Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a déposé sept plaintes visant des nominations différentes à partir du même processus de sélection, alléguant un abus de pouvoir dans l’application du principe du mérite – le plaignant a allégué que l’intimé avait abusé de son pouvoir en évaluant une compétence lors de l’entrevue et un jeu de rôle – les notes du comité de sélection de l’entrevue indiquaient que le plaignant avait omis certaines informations et qu’il n’avait pas obtenu la note de passage – le plaignant a contesté la validité des notes manuscrites du comité de sélection en croyant qu’elles ne reflétaient pas ce qu’il avait dit – le plaignant a allégué que l’intimé avait abusé de son pouvoir en refusant de le réévaluer lors d’une discussion informelle – la Commission a conclu que le plaignant n’avait pas démontré que l’intimé avait abusé de son pouvoir – le plaignant n’a pas présenté une preuve prépondérante que les notes manuscrites étaient incomplètes – le comité de sélection a maintenu sa décision, car le plaignant n’avait rien amené de nouveau lors de la discussion informelle.

Plaintes rejetées.

Contenu de la décision

Date: 20220725

Dossiers: EMP-2017-11062

et EMP-2017-11075 à 11080

 

Référence: 2022 CRTESPF 60

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur l’emploi dans la fonction

publique

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

seydou doumbia

plaignant

 

et

 

administrateur général (Ministère de L’eMPLOI ET du DÉVELOPPEMENT SOCIAL)

 

intimé

et

AUTRES PARTIES

Répertorié

Doumbia c. Administrateur général (ministère de l’Emploi et du Développement social)

Affaire concernant des plaintes d’abus de pouvoir aux termes de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Devant : Renaud Paquet, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Lui-même

Pour l’intimé : Marylise Soporan, avocate

Pour la Commission de la fonction publique : Louise Bard, analyste principale

Affaire entendue par vidéoconférence,

le 7 juin 2022.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Plaintes devant la Commission

[1] Le 23 mars et le 30 mars 2017, Seydou Doumbia (le « plaignant ») a déposé sept plaintes en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; la « LEFP ») alléguant que le sous-ministre de l’Emploi et du Développement social (l’« intimé ») avait abusé de son pouvoir aux termes de l’article 77(1) de la LEFP lors du processus de sélection interne portant le numéro 2016‑CSD‑IA‑QUE-12353 (le « processus de sélection »).

[2] Chacune des plaintes vise une nomination différente, mais chacune de ces nominations a été faite à partir du processus de sélection. Le 2 mai 2017, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») a décidé de regrouper les sept plaintes, compte tenu qu’il s’agissait d’un seul processus de sélection au terme duquel l’intimé avait estimé que le plaignant ne possédait pas les compétences et capacités requises pour occuper le poste visé.

[3] Le processus de sélection visait à solliciter des candidatures pour des postes d’agent de programmes au groupe et au niveau PM-02 à la Direction générale des services aux citoyens et des programmes de l’intimé à divers endroits au Québec.

[4] Le processus de sélection comprenait l’évaluation des capacités et compétences suivantes :

· Communication orale

· Communication écrite

· Raisonnement

· Travail d’équipe

· Attitude axée sur le client

· Collecte de données diagnostiques

· Réseautage

· Fiabilité

 

[5] Au terme du processus d’évaluation, l’intimé a conclu que le plaignant ne satisfaisait pas à la compétence « Collecte de données diagnostiques ». Il en est résulté que le plaignant ne s’est pas qualifié pour le poste et n’a pu être nommé.

[6] C’est donc sur l’évaluation de la compétence « Collecte de données diagnostiques » que porte la présente plainte. Le plaignant allègue que l’intimé a abusé de son pouvoir en évaluant cette compétence.

[7] Le 18 juin 2019, l’intimé a demandé que la plainte soit rejetée parce que le plaignant n’aurait plus d’intérêt personnel pour le poste visé par le processus de sélection. Selon l’intimé, le plaignant occupe maintenant un poste dont la classification et le salaire sont beaucoup plus élevés que ceux d’un agent de programmes de groupe et niveau PM-02.

II. Résumé de la preuve soumise par les parties

[8] Dans l’ensemble, la preuve soumise par les parties ne se contredisait pas. La preuve sera donc présentée dans un ordre logique en combinant la preuve du plaignant et celle de l’intimé. Au besoin, les points de désaccord seront précisés. Le plaignant a témoigné en plus de présenter en preuve un cahier de documents. Je note qu’il n’a pas référé aux onglets 6 à 8 de son cahier. L’intimé a appelé Kali Corovesis comme témoin. Elle faisait partie du comité de sélection. Au moment du processus de sélection, Mme Corovesis était gestionnaire des programmes au bureau de Laval de l’intimé.

[9] Le processus de sélection visait à constituer un bassin de candidats qualifiés pour le poste d’agent de programme. Selon les documents déposés en preuve, les activités principales ou les tâches d’un agent de programme sont les suivantes :

· Renseigner, conseiller et orienter ainsi que promouvoir et effectuer la prestation de programmes.

 

· Établir et entretenir des relations avec les clients et les intervenants pour promouvoir et exécuter les programmes ainsi que tirer profit des solutions coopératives.

 

· Consulter et conseiller quant à l’élaboration des demandes, des propositions et de plans d’action.

 

· Évaluer et recommander des demandes, des propositions et des plans d’action en vue d’obtenir de l’aide financière pour le programme.

 

· Évaluer les demandes par rapport au marché du travail et à d’autres renseignements pertinents et faire part de ses opinions et de son jugement.

 

· Aborder et conclure des ententes avec des employeurs, des parraineurs et des particuliers.

 

· Surveiller, analyser et évaluer les activités liées aux ententes et les demandes afin de déterminer l’admissibilité, de traiter les paiements et de recommander une admissibilité continue et future.

 

· Participer aux groupes de travail locaux ou communautaires pour appuyer la mise en œuvre des priorités et des stratégies locales.

 

[10] Selon Mme Corovesis, la compétence « Collecte de données diagnostiques » est une compétence importante pour un agent de programme. Elle vise la capacité des candidats à repérer les éléments importants en vue de l’acceptation ou du refus des demandes des clients. Les candidats doivent pouvoir rapidement obtenir les renseignements nécessaires pour clarifier une situation ou prendre une décision.

[11] Le comité de sélection a évalué la compétence « Collecte de données diagnostiques » lors d’une entrevue avec les candidats qui avaient réussi les étapes précédentes du processus de sélection. L’entrevue servait aussi à mesurer d’autres compétences sur lesquelles je ne reviendrai pas, car la plainte ne vise pas leur évaluation. L’entrevue consistait en un jeu de rôle pour lequel les candidats avaient obtenu 30 minutes auparavant une trousse d’information qui comprenait des informations détaillées sur le jeu de rôle. Le candidat devait y jouer le rôle de l’agent de programme et Mme Corovesis y jouait le rôle du client.

[12] Lors du jeu de rôle, le client contactait l’agent de programme qui, pour les fins du jeu de rôle, était un agent de l’Office des bingos du Canada qui relève ici de l’intimé. L’agent de programme avait le dossier du client entre les mains. Il devait communiquer avec le client au sujet de son dossier pour lui expliquer les principes et modalités d’un bingo récréatif, ce qui advenait de sa demande, sa décision de lui accorder ou non une licence et le montant payable ou remboursable s’il y a lieu. Il devait aussi l’informer du moment où une confirmation écrite de la décision serait émise. Dans les informations de quelques pages remises aux candidats, il était entre autres indiqué que la licence de bingo de l’organisme représenté par le client avait déjà été suspendue pour une période de trois mois dans le passé. Il était aussi indiqué que la licence était valide pour trois ans et que les droits étaient payables annuellement à raison de 23 $, indexés chaque année selon l’évolution de l’indice des prix à la consommation.

[13] La note de passage des candidats était de 70 % pour la compétence « Collecte de données diagnostiques ». Cette note était obtenue si le candidat avait démontré une partie des comportements attendus et obtenus les renseignements demandés. Selon la grille de correction, les candidats devaient, pour obtenir la note de passage, explorer lors de l’entrevue téléphonique avec le client la question de la suspension de la licence ou questionner l’existence possible d’une autre licence ayant cours.

[14] Au cours de l’entrevue du plaignant qui a eu lieu le 3 mai 2016, Mme Corovesis et Marc Cladios, l’autre membre du comité de sélection, prenaient des notes. À la fin de l’entrevue, ils ont comparé leurs notes et ils sont arrivés à un consensus qui est reflété dans les notes manuscrites prises par M. Cladios. Mme Corovesis a témoigné que les notes de M. Cladios reflétaient exactement l’évaluation du plaignant. Sa signature et celle de M. Cladios apparaissent d’ailleurs au bas des notes qui ont été déposées en preuve. Les notes sont datées du 3 mai 2016.

[15] Selon ces notes et le témoignage de Mme Corovesis, le plaignant a obtenu la note de 50 %. Il aurait omis d’explorer la question de la suspension de la licence ou de l’existence possible d’une autre licence. Or, il s’agissait là, selon la grille de correction et selon le témoignage de Mme Corovesis, d’un élément essentiel pour obtenir la note de passage. De plus, le plaignant aurait accepté erronément le paiement des droits de licence pour 3 ans au montant de 69 $, alors que, selon les instructions fournies, les droits étaient payables annuellement et qu’ils étaient indexés une fois l’an. Les notes du comité de sélection indiquent aussi que le plaignant a omis d’obtenir certaines autres informations de la part du client.

[16] Le plaignant est en désaccord avec le résultat obtenu. Il a témoigné que les notes de M. Cladios et de Mme Corovesis ne reflètent pas correctement les informations et réponses qu’il a fournies lors du jeu de rôle. Il a témoigné qu’il est certain qu’il a posé toutes les questions visant à obtenir les informations du client. Il a dit en être certain, car c’est un automatisme pour lui de poser toutes les questions pour bien identifier un client. Il a aussi témoigné qu’il est d’avis que les instructions pouvaient être interprétées de plus d’une façon sur la question des frais annuels de 23 $ pour une licence de trois ans. Selon lui, il n’était pas nécessairement erroné d’accepter 69 $ pour une licence de trois ans. Enfin, il croit qu’il n’est pas possible qu’il ait perdu 50 % des points sur la base qu’il aurait, selon le comité de sélection, omis de poser des questions au client sur la question de la suspension de la licence.

[17] Le plaignant a été informé le 31 mai 2016 qu’il était exclu du processus de sélection, car il avait échoué à la compétence « Collecte de données diagnostiques ». Selon la plainte déposée le 23 mars 2017, Mme Corovesis aurait dit au plaignant lors de la discussion informelle du 9 juin 2016 qu’il aurait échoué principalement à cause de l’erreur d’accepter le paiement de 69 $ pour trois ans. Mme Corovesis a témoigné que le plaignant n’avait amené rien de nouveau lors de la discussion informelle et que le comité de sélection avait décidé de maintenir sa décision d’exclure le plaignant du processus de sélection car il avait échoué à la compétence « Collecte de données diagnostiques ».

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le plaignant

[18] Le plaignant demande que sa plainte soit accueillie. Il veut obtenir justice à la suite de la décision de l’intimé de l’exclure du processus de sélection, alors que l’intimé ne peut prouver comment il a déterminé les notes qui lui ont été accordées lors de l’évaluation de la compétence « Collecte de données diagnostiques ». L’intimé a abusé de son pouvoir par l’insouciance grave dont il a fait preuve.

[19] Le comité de sélection n’a pas pris en compte ce que le plaignant a dit. Il n’a pas exercé son pouvoir correctement en refusant de le réévaluer avec un esprit ouvert. Le pouvoir discrétionnaire de l’intimé n’est pas absolu. Il avait l’obligation d’être transparent dans ses décisions, sans quoi c’est un abus de pouvoir.

[20] Le comité de sélection a refusé de tenir compte des éléments apportés par le plaignant lors de la discussion informelle du 9 juin 2016. Cela lui aurait permis de corriger les erreurs qu’il avait commises lors de la notation du plaignant. Les notes du comité étaient incorrectes. Elles ne reflètent pas ce que le plaignant a dit lors du jeu de rôle. Il est possible que le comité de sélection, pour diverses raisons, ait omis des détails en prenant des notes. Les notes du comité de sélection ne sont pas une preuve valide de ce qui a été dit à l’entrevue.

[21] Selon le plaignant, il devrait y avoir des enregistrements des entrevues lors des processus de sélection et ces enregistrements devraient être conservés pour référence future. Compte tenu qu’il n’y avait pas d’enregistrements lors de ce processus de sélection, c’est sa parole contre celle du comité de sélection. Il faut que ce processus soit amélioré pour assurer une plus grande transparence.

[22] Le plaignant demande qu’à l’avenir toutes les entrevues de sélection soient enregistrées pour assurer une plus grande transparence et éviter qu’on en vienne à une situation où c’est la parole de l’un contre la parole de l’autre.

[23] Le plaignant dit avoir toujours un intérêt personnel pour le poste visé par le processus de sélection. Il admet occuper maintenant un poste dont la classification et le salaire sont beaucoup plus élevés que ceux d’un agent de programmes de groupe et niveau PM-02. Toutefois, il est d’avis que sa plainte demeure valable. Si la plainte est accueillie, il décidera alors s’il veut être réévalué pour le poste d’agent de programmes.

[24] Le plaignant m’a renvoyé aux décisions suivantes : Cameron c. Administrateur général de Service Canada, 2008 TDFP 16; Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8; Poirier c. Sous-ministre des Anciens Combattants, 2011 TDFP 3; Burke c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 3 ; Jolin c. Administrateur général de Service Canada, 2007 TDFP 11; Ouellet c. le président de l’Agence canadienne de Développement international, 2009 TDFP 26; Jacobsen c. Sous‑ministre d’Environnement Canada, 2009 TDFP 8; Renaud c. Sous‑ministre de la Défense nationale, 2013 TDFP 26; Rochon c. Sous-ministre des Pêches et des Océans, 2011 TDFP 7; Chiasson c. Sous-ministre de Patrimoine canadien, 2008 TDFP 27; Kress c. Sous-ministre d’Affaires indiennes et du Nord Canada, 2011 TDFP 41; Hughes c. Sous‑ministre de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, 2011 TDFP 16; Laroche c. Sous-ministre des Affaires étrangères, 2009 TDFP 17; Laviolette c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2015 CRTEFP 6; Rozka c. Sous‑ministre de Citoyenneté et Immigration Canada, 2007 TDFP 46; Bowman c. Sous‑ministre de Citoyenneté et Immigration Canada, 2008 TDFP 12; Hailu c. Sous‑ministre de Santé Canada, 2013 TDFP 27; Bazinet c. Sous-ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 CRTESPF 82; Brookfield c. Sous‑ministre des Affaires étrangères et du Commerce international, 2011 TDFP 25.

B. Pour l’intimé

[25] L’intimé maintient que la plainte devrait être rejetée sur la base que le plaignant n’a plus d’intérêt personnel pour le poste visé par le processus de sélection, car il occupe maintenant un poste dont la classification et le salaire sont beaucoup plus élevés que ceux d’un agent de programmes de groupe et niveau PM-02. L’intimé s’oppose à la plainte, car le plaignant n’a pas d’intérêt personnel dans sa plainte. De plus, il ne peut revendiquer comme il le fait des mesures qui s’appliquent à d’autres processus de sélection.

[26] Le plaignant a été rejeté du processus de sélection parce qu’il a échoué à la compétence « Collecte de données diagnostiques ». Cette compétence était une compétence essentielle requise pour le poste d’agent de programmes. Les candidats en avaient été avisés à l’avance. Avant le jeu de rôle, ils avaient aussi reçu la documentation permettant de s’y préparer.

[27] L’intimé a déposé en preuve la grille de notation que le comité de sélection avait utilisée pour évaluer la performance des candidats au jeu de rôle qui visait entre autres à évaluer la compétence « Collecte de données diagnostiques ». Cette grille de notation a été rédigée avant les entrevues. À partir de cette grille et des résultats de l’entrevue du plaignant, le comité de sélection a attribué la note de 50 % au plaignant pour cette compétence. Cette note est justifiée par le fait que le plaignant a omis de traiter d’un élément essentiel lors du jeu de rôle, soit la question de la suspension de la licence, en plus d’omettre d’autres éléments.

[28] L’intimé a rappelé que le rôle de la Commission n’est pas de réévaluer le plaignant, mais plutôt de déterminer s’il y a eu abus de pouvoir. Or, la preuve déposée par le plaignant ne permet pas d’en arriver à une telle conclusion.

[29] L’intimé m’a renvoyé aux décisions suivantes : Tibbs; Rozka; Portree c. Administrateur général de Service Canada, 2006 TDFP 14; Visca c. Sous-ministre de la Justice, 2007 TDFP 24; Zhao c. Sous-ministre de Citoyenneté et Immigration Canada, 2008 TDFP 30; Lavigne c. Canada (Justice), 2009 CF 684; Brown c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2011 TDFP 15; Bizimana c. Sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux, 2014 TDFP 3; Abi-Mansour c. Canada (Procureur général), 2015 CF 882; Baragar c. Président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, 2016 CRTEFP 50; Canada (Procureur général) c. Cameron, 2009 CF 618; Davidson c. Sous-ministre de la Justice, 2022 CRTESPF 21; Davidson c. Sous-ministre de la Santé, 2020 CRTESPF 56; Davidson c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 226; Doraiswamy c. Sous-ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités, 2011 TDFP 35; Gulia c. Administrateur en chef du Service administratif des tribunaux judiciaires, 2020 CRTESPF 39; Smith c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2018 CRTESPF 19; Wepruk c. Sous-ministre de la Santé, 2018 CRTESPF 14.

C. Pour la Commission de la fonction publique

[30] La Commission de la fonction publique n’a pas comparu à l’audience. Elle a toutefois soumis, le 29 septembre 2021, un document de 19 pages, rappelant son interprétation du droit applicable. J’ai lu attentivement ce document et j’ai examiné la jurisprudence alors fournie. Les décisions soumises par les parties me suffisent pour prendre une décision éclairée basée sur le droit applicable.

IV. Analyse et motifs

[31] Les plaintes renvoient à l’article 77(1) de la LEFP. Cet article se lit comme suit :

77 (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement de la Commission des relations de travail et de l’emploi, présenter à celle-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

77 (1) When the Commission has made or proposed an appointment in an internal appointment process, a person in the area of recourse referred to in subsection (2) may — in the manner and within the period provided by the Board’s regulations — make a complaint to the Board that he or she was not appointed or proposed for appointment by reason of

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);

(a) an abuse of authority by the Commission or the deputy head in the exercise of its or his or her authority under subsection 30(2);

b) abus de pouvoir de la part de la Commission du fait qu’elle a choisi un processus de nomination interne annoncé ou non annoncé, selon le cas;

(b) an abuse of authority by the Commission in choosing between an advertised and a non-advertised internal appointment process;

c) omission de la part de la Commission d’évaluer le plaignant dans la langue officielle de son choix, en contravention du paragraphe 37(1).

(c) the failure of the Commission to assess the complainant in the official language of his or her choice as required by subsection 37(1).

 

[32] Le plaignant allègue que l’intimé a abusé de son pouvoir lors de l’évaluation de la compétence « Collecte de données diagnostiques ». Il allègue aussi que l’intimé aurait dû tenir compte des éléments apportés par le plaignant lors de la discussion informelle de juin 2016, ce qui lui aurait permis de corriger les erreurs qu’ils avaient commises lors de la notation du plaignant.

[33] La décision Tibbs, rendue par le Tribunal de la dotation de la fonction publique (TDFP), précise ce qui constitue un abus de pouvoir au sens de la LEFP. Le TDFP, au paragraphe 70 de cette décision, s’exprime comme suit :

[70] Comme l’a soulevé la plaignante dans ses arguments, Jones et de Villars, supra, ont dégagé cinq catégories d’abus énoncés dans la jurisprudence. Comme le font remarquer ces savants auteurs à la page 171, ces mêmes principes généraux de droit administratif s’appliquent à toutes les formes de décisions discrétionnaires administratives. Les cinq catégories d’abus sont les suivantes :

1. Lorsqu’un délégué exerce son pouvoir discrétionnaire dans une intention illégitime (incluant dans un but non autorisé, de mauvaise foi ou en tenant compte de considérations non pertinentes).

2. Lorsqu’un délégué se fonde sur des éléments insuffisants (incluant lorsqu’il ne dispose d’aucun élément de preuve ou qu’il ne tient pas compte d’éléments pertinents).

3. Lorsque le résultat est inéquitable (incluant lorsque des mesures déraisonnables, discriminatoires ou rétroactives ont été prises).

4. Lorsque le délégué commet une erreur de droit dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

5. Lorsqu’un délégué refuse d’exercer son pouvoir discrétionnaire en adoptant une politique qui entrave sa capacité d’examiner des cas individuels avec un esprit ouvert.

 

[34] Comme l’a conclu la Cour fédérale dans Abi-Mansour ou la Commission dans Bazinet, l’abus de pouvoir n’a pas à être accompagné d’une intention pour que la Commission conclue qu’il y a eu abus de pouvoir. Le plaignant doit me prouver, selon la prépondérance des probabilités, non pas que l’intimé a abusé intentionnellement de son pouvoir, mais plutôt que ses actions, décisions ou comportements constituent un abus de pouvoir.

[35] Ceci dit, mon rôle n’est pas de décider si le comité de sélection a bien fait son travail, mais plutôt de déterminer si le comité de sélection a abusé de son pouvoir lors de l’évaluation de la compétence « Collecte de données diagnostiques ».

[36] Le comité de sélection a choisi d’évaluer cette compétence au moyen d’un jeu de rôle lors d’une entrevue téléphonique avec les candidats. Pour ce faire, il leur avait au préalable remis des instructions détaillées. Le plaignant ne conteste pas la validité de cet outil d’évaluation. Il ne conteste pas non plus la grille de notation du comité de sélection. Il conteste plutôt la validité des notes manuscrites du comité de sélection qui, selon lui, sont incomplètes et ne reflètent pas ce qu’il a dit lors de l’entrevue téléphonique.

[37] Rappelons que c’est au plaignant de prouver qu’il y a eu un abus de pouvoir. Or, le plaignant ne m’a pas présenté une preuve prépondérante que les notes manuscrites du comité de sélection étaient incomplètes, bien au contraire. C’est plutôt l’intimé qui a présenté une preuve prépondérante que les notes manuscrites du comité de sélection justifiaient l’échec du plaignant à la compétence « Collecte de données diagnostiques ».

[38] Je ne remets aucunement en doute la preuve présentée par l’intimé et l’exactitude des notes manuscrites du comité de sélection. Selon le témoignage de Mme Corovesis, les membres du comité de sélection ont pris de notes lors de l’entrevue téléphonique du plaignant. Mme Corovesis a témoigné que les notes reflétaient exactement l’évaluation du plaignant. Je la crois. Sa signature et celle de M. Cladios apparaissent d’ailleurs au bas des notes. Les notes sont datées du 3 mai 2016, le jour même de l’entrevue. Selon le témoignage de Mme Corovesis, le plaignant a obtenu la note de 50 %, car il aurait omis d’explorer la question de la suspension de la licence ou de l’existence possible d’une autre licence. Il s’agissait là d’un élément essentiel pour obtenir la note de passage. Dès lors, les autres éléments de réponses attendues me semblent de moindre importance.

[39] Le plaignant a témoigné pour sa part que les notes manuscrites du comité de sélection ne reflétaient pas correctement les réponses qu’il a fournies lors du jeu de rôle. Il a témoigné qu’il est certain qu’il a posé toutes les questions visant à obtenir les informations du client. Il a dit en être certain, car c’est un automatisme pour lui de poser toutes les questions pour bien identifier un client. Il croit qu’il n’est pas possible qu’il ait perdu 50 % des points sur la base qu’il aurait omis de poser des questions au client sur la question de la suspension de la licence.

[40] Il est fort possible que le plaignant soit tout à fait honnête dans sa démarche et qu’il croît ce qu’il avance. Toutefois à part son témoignage, rien d’autre dans la preuve présentée par le plaignant ne remet en doute la preuve présentée par l’intimé et l’exactitude des notes manuscrites du comité de sélection.

[41] D’une part, les notes manuscrites du comité de sélection, prises le jour même de l’entrevue, indiquent que le plaignant n’a pas abordé les questions relatives à la licence lors de l’entrevue. D’autre part, le plaignant a témoigné que les notes du comité sont incomplètes et ne reflètent pas ce qu’il a dit lors de l’entrevue.

[42] La version du comité de sélection me semble crédible. Comment le comité aurait-il pu écrire dans les notes prises lors de l’entrevue et révisées le jour même que le plaignant avait omis d’aborder la question des licences? Cette question était essentielle à la réussite des candidats à la compétence « Collecte de données diagnostiques ». Un tel scénario me semble très peu probable et rien dans la preuve présentée par le plaignant ne me permet d’adhérer à la thèse qu’il soutient.

[43] Selon le plaignant, le comité de sélection n’a pas exercé correctement son pouvoir discrétionnaire en refusant de tenir compte des éléments apportés lors de la discussion informelle du 9 juin 2016. Sur ce point, Mme Corovesis a d’ailleurs témoigné que le comité de sélection avait maintenu sa décision, car le plaignant n’avait rien amené de nouveau lors de la discussion informelle. Le plaignant ne m’a pas démontré que l’intimé avait abusé de son pouvoir en refusant de le réévaluer et en maintenant sa décision.

[44] Sur la base de ce qui précède, je rejette donc les plaintes. Le plaignant n’a pas fait la preuve que l’intimé avait abusé de son pouvoir.

[45] Selon le plaignant, la contradiction entre les versions opposées des parties aurait pu être résolue par un enregistrement des entrevues. Or, les entrevues n’ont pas été enregistrées. Il a demandé que la Commission ordonne qu’à l’avenir les entrevues de sélection soient enregistrées. Même si j’acceptais sa plainte, je n’accepterais pas cette demande, car je n’ai pas compétence pour émettre une ordonnance qui porte sur d’autres processus de sélection. Sur ce point, la Cour fédérale écrivait au paragraphe 18 de Cameron ce qui suit :

[18] La lecture combinée des articles 77, 81 et 82 de la Loi indique que toute mesure corrective ordonnée par le Tribunal ne doit porter que sur le processus de nomination faisant l’objet des plaintes dont il est saisi. La mesure corrective doit viser à remédier au défaut identifié par le processus de nomination passés ou futurs dont le Tribunal n’est pas saisi par une plainte formulée processus de nomination passés ou futurs dont le Tribunal n’est pas saisi par une plainte formulée selon la Loi.

[46] L’intimé a demandé que la plainte soit rejetée car le plaignant n’aurait plus d’intérêt personnel pour le poste visé par le processus de sélection. Selon cette demande, le plaignant occuperait maintenant un poste dont la classification et le salaire sont beaucoup plus élevés que ceux d’un agent de programmes de groupe et niveau PM-02. Le plaignant admet qu’il occupe actuellement un poste dont la classification et le salaire sont plus élevés que ceux d’un agent de programmes de groupe et niveau PM-02. Toutefois, il est d’avis que sa plainte demeure valable. Si la plainte était accueillie, il déciderait alors s’il voulait être réévalué pour le poste d’agent de programmes.

[47] Je doute fort de l’intérêt actuel du plaignant pour un poste de groupe et niveau PM-02. Par contre, je crois plutôt qu’il semblerait intéressé à être réévalué pour démontrer qu’il possède les compétences pour occuper ce poste. Quoiqu’il en soit, je n’ai pas à trancher cette question ayant déjà rejeté la plainte sur le fonds.

[48] Enfin, je ne vois nul besoin de commenter le reste de l’abondante jurisprudence soumise par les parties. J’ai consulté ces décisions et, quoiqu’en partie pertinentes, elles n’ajoutent rien aux décisions utilisées et citées pour justifier ma décision.

[49] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[50] Les plaintes sont rejetées.

Le 25 juin 2022.

 

Renaud Paquet,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.