Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Chacun des fonctionnaires s'estimant lésés a présenté un grief individuel relativement à la Politique et à la décision de l’employeur de les placer en congé administratif non payé en raison de leur défaut de se conformer à la Politique – l’employeur a rejeté les griefs au premier palier de la procédure de règlement des griefs et dans un cas, il n’a pas répondu au grief – les fonctionnaires s'estimant lésés ont ensuite renvoyé leurs griefs à l’arbitrage sans les présenter aux autres paliers de la procédure de règlement des griefs – ils ont ensuite été renvoyés à la Commission en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »), alléguant une mesure disciplinaire ayant entraîné un licenciement, une rétrogradation, une suspension ou une sanction pécuniaire – l’employeur a présenté une objection préliminaire selon laquelle la Commission n’avait pas compétence pour entendre les griefs étant donné qu’ils n’ont pas été présentés à tous les paliers requis, comme l’exige l’article 225 de la Loi – les fonctionnaires s'estimant lésés ont soutenu que la Politique constituait une mesure disciplinaire tellement grave à l’endroit des fonctionnaires non vaccinés qu’elle équivalait à un congédiement déguisé ou à un licenciement implicite, ce qui leur conférait le droit d’exiger que leurs griefs respectifs soient présentés directement au dernier palier de la procédure de règlement des griefs et que la réponse de l’employeur au premier palier soit considérée comme la réponse au dernier palier – la Commission a déterminé que pour renvoyer les griefs à l’arbitrage, les fonctionnaires s'estimant lésés devaient respecter la procédure de règlement des griefs, ce qu’ils n’ont pas fait – un fonctionnaire s'estimant lésé ne peut pas unilatéralement faire fi de la procédure de règlement des griefs en s’appuyant uniquement sur sa description de son grief comme portant sur un congédiement déguisé ou un licenciement implicite – il irait à l’encontre de la convention collective et de l’esprit et l’objet de la Loi d’accepter la position mise de l’avant par les fonctionnaires s’estimant lésés – les griefs n’ont pas été renvoyés à l’arbitrage d’une manière appropriée et, à ce titre, la Commission n’avait pas compétence pour les traiter.

Objection préliminaire de l’employeur accueillie.
Griefs rejetés.

Contenu de la décision

Date: 20221007

Dossiers: 566-32-44058, 44192, 44211, 44212 et 44249

 

Référence: 2022 CRTESPF 84

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

ENTRE

 

David Fauteux, Amy Bellefleur, Valérie Dubois, Anik Rossignol et Véronique Bellemare

fonctionnaires s’estimant lésés

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS)

 

défendeur

Répertorié

Fauteux c. Administrateur général (Agence canadienne d’inspection des aliments)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

Devant : Amélie Lavictoire, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour les fonctionnaires s’estimant lésés : William Desrochers, avocat

Pour le défendeur : Richard Fader et Marie-France Boyer, avocats

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés
les 10 et 23 juin et les 18 et 25 juillet 2022.


MOTIFS DE DÉCISION

[1] Les fonctionnaires s’estimant lésés, soit David Fauteux, Amy Bellefleur, Valérie Dubois, Anik Rossignol et Véronique Bellemare (les « fonctionnaires »), sont des employés de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’« employeur » ou l’« Agence »). Chacun d’entre eux a présenté un grief individuel relativement à la Politique de l’Agence canadienne d’inspection des aliments sur la vaccination contre la COVID-19 (la « Politique ») et la décision de l’employeur de les placer en congé administratif non payé en raison de leur défaut de se conformer à la Politique.

[2] Les griefs sont très semblables les uns les autres et ont suivi un cheminement semblable. Les griefs ont été présentés à l’employeur, qui les a rejetés au premier palier de la procédure de règlement des griefs. Les fonctionnaires ont ensuite renvoyé leur grief à l’arbitrage sans le présenter aux autres paliers de la procédure de règlement des griefs. Un grief fait exception, soit le grief d’Anik Rossignol. L’employeur n’a pas rendu une décision relativement à ce grief. Toutefois, ce grief, comme les autres, a été renvoyé à l’arbitrage sans avoir été présenté aux paliers subséquents de la procédure de règlement des griefs.

[3] L’employeur a formulé une objection relativement à la compétence de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») d’entendre ces griefs parce qu’ils n’ont pas été présentés à tous les paliers de la procédure de règlement des griefs et donc ne pouvaient pas être renvoyés à l’arbitrage.

[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus que le renvoi à l’arbitrage est prématuré. La Commission n’a pas compétence pour entendre les griefs.

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

[5] La Politique est entrée en vigueur le 8 novembre 2021.

[6] Les fonctionnaires occupaient des postes au sein du groupe Soutien technologique et scientifique (groupe EG) dans différentes régions du pays. En vertu de la Politique, chacun des fonctionnaires, comme l’ensemble des employés de l’Agence, devait attester son statut vaccinal. Ils ont refusé de se conformer à la Politique.

[7] À l’exception d’une fonctionnaire qui était en congé lors de l’entrée en vigueur de la Politique et qui l’était toujours en date du dépôt des arguments écrits, les fonctionnaires ont été mis en congé administratif non payé au début de décembre 2021 jusqu’à ce qu’ils se conforment à la Politique. La Politique a été suspendue en juin 2022.

[8] Comme il a été indiqué précédemment, les fonctionnaires ont présenté des griefs individuels contestant la Politique et demandant à l’employeur de renoncer à l’application de la Politique afin de ne pas les mettre en congé non payé ou, encore, de mettre fin à leur congé et leur verser rétroactivement le salaire dont ils ont été privés.

[9] Deux griefs ont été rédigés en français et trois en anglais. Sous réserve de certaines variations dans leur formulation, tous les griefs indiquaient également qu’ils portaient sur une mesure disciplinaire entraînant une suspension et une sanction pécuniaire ainsi que sur une modification unilatérale aux conditions d’emploi constituant, selon les fonctionnaires, un licenciement implicite.

[10] Encore une fois avec une certaine variation dans la formulation, le dernier paragraphe de chacun des griefs indiquait que si le grief n’était pas réglé après avoir franchi « le ou les paliers prévus » dans la convention collective, il pourrait être soumis à l’arbitrage, conformément à la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi ») et ses règlements d’application, « […] puisqu’il porte sur une mesure disciplinaire entraînant une suspension et une sanction pécuniaire ainsi que sur une modification unilatérale aux conditions d’emplois qui se solde donc par un licenciement implicite ». Les griefs de langue anglaise précisaient que la mesure disciplinaire imposée par l’Agence avait pour but de les obliger à démissionner, et donc constituait un licenciement implicite.

[11] Un fonctionnaire, David Fauteux, a demandé que son grief soit entendu directement au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Son grief indiquait également qu’il avait l’intention de renvoyer son grief à l’arbitrage si son grief n’était pas réglé à sa satisfaction après avoir été entendu [traduction] « seulement au dernier palier ». L’employeur a rejeté la demande.

[12] Chacun des fonctionnaires, à l’exception peut-être de Mme Rossignol, a été invité à une audience au premier palier de la procédure de règlement des griefs prévu à la convention collective. La convention collective pertinente est la Convention collective entre l’Agence canadienne d’inspection des aliments et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) concernant l’unité de négociation l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) conclue le 30 décembre 2020 (la « convention collective »).

[13] Les fonctionnaires n’ont pas participé à l’audience au premier palier. L’employeur a rendu sa décision à l’égard des griefs en fonction des renseignements dont il disposait.

[14] L’employeur a rejeté les griefs de M. Fauteux, Mme Bellefleur, Mme Dubois et Mme Bellemare au premier palier. Dans tous les cas, la décision de l’employeur prévoyait que, si le ou la fonctionnaire n’était pas d’accord avec la décision, il ou elle pouvait soumettre son grief au niveau suivant de la procédure de règlement des griefs, conformément à la convention collective.

[15] Tel qu’il a été mentionné précédemment, aucune décision n’a été rendue à l’égard du grief de Mme Rossignol.

[16] Au lieu de soumettre leurs griefs au deuxième palier, les fonctionnaires les ont renvoyés à la Commission en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi. Cet alinéa permet le renvoi à l’arbitrage de griefs qui portent sur une mesure disciplinaire ayant entraîné un licenciement, une rétrogradation, une suspension ou une sanction pécuniaire.

[17] Comme il a été indiqué précédemment, l’employeur a présenté une objection préliminaire selon laquelle la Commission n’a pas compétence pour entendre ces griefs étant donné que les griefs n’ont pas été présentés à tous les paliers requis, comme l’exigent l’article 225 de la Loi et la convention collective.

[18] Lors d’une conférence de gestion des cas ayant eu lieu en mai 2022, les parties ont consenti à ce que l’objection de l’employeur soit décidée de façon préliminaire et sur la base d’arguments écrits. En vertu de l’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365), la Commission peut trancher toute affaire ou question dont elle est saisie sur la base d’arguments écrits, sans tenir d’audience.

[19] Les cinq dossiers ont été regroupés aux fins de la présente décision.

II. La convention collective, la Loi et le Règlement

[20] Avant de résumer les arguments présentés par les parties, il y a lieu de passer en revue les articles de la convention collective, du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005-79; le « Règlement ») et de la Loi pertinents à ces arguments.

[21] La convention collective prévoit une procédure de règlement des griefs à trois paliers (clause 17.03 de la convention collective).

[22] Si la décision ou le règlement du grief au premier palier ne donne pas satisfaction à l’employé ou si l’employeur n’a pas fourni de réponse dans les 15 jours civils qui suivent la date de présentation du grief, le fonctionnaire peut présenter le grief au deuxième palier. Il en est de même pour la présentation du grief au troisième et dernier palier de la procédure (clauses 17.11 et 17.12 de la convention collective).

[23] Un employé qui néglige de présenter son grief au palier suivant dans les délais prescrits est réputé avoir renoncé à son grief sauf si des circonstances indépendantes de sa volonté l’ont empêché de respecter les délais prescrits (clause 17.19 de la convention collective).

[24] Deux seules exceptions existent à cette procédure de règlement des griefs à trois paliers : lorsque la nature du grief est telle qu’une décision ne peut être rendue au-dessous d’un palier d’autorité et que les parties s’entendent pour supprimer un palier ou tous les paliers sauf le dernier (clause 17.16 de la convention collective) ou si le grief porte sur la rétrogradation ou le licenciement de l’employé pour un motif déterminé aux termes des alinéas 12(2)c) ou d) de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. (1985), ch. F-11; la « LGFP »). Dans ce dernier cas, le grief n’est présenté qu’au dernier palier (clause 17.17).

[25] En vertu de la clause 17.21 de la convention collective, un employé qui a présenté un grief portant sur une mesure disciplinaire entraînant une suspension ou une sanction pécuniaire ou sur un licenciement ou une rétrogradation au sens de la LGFP « […] jusqu’au et y compris le dernier palier de la procédure de règlement des griefs […] », peut présenter le grief à l’arbitrage selon les dispositions de la Loi si le grief n’a pas été réglé à sa satisfaction.

[26] À ce contexte s’ajoute l’article 71 du Règlement, qui précise qu’un grief individuel ayant trait, entre autres, à un licenciement peut être présenté au dernier palier de la procédure sans avoir été présenté aux paliers inférieurs. Toutefois, l’article 71 doit être lu en conjonction avec le par. 237(2) de la Loi qui prévoit que les clauses d’une convention collective l’emportent sur les dispositions incompatibles du Règlement.

[27] La Loi impose des exigences devant être respectées afin de renvoyer un grief à l’arbitrage. L’article 225 de la Loi prévoit que le renvoi à l’arbitrage ne peut avoir lieu qu’après que le grief a été présenté à tous les paliers « […] requis conformément à la procédure applicable […] », c’est-à-dire dans le respect de la procédure de règlement des griefs prévue à la convention collective.

[28] Le paragraphe 209(1) de la Loi prévoit également qu’un fonctionnaire s’estimant lésé ne peut renvoyer à l’arbitrage un grief individuel portant sur une mesure disciplinaire entraînant un licenciement, une rétrogradation, une suspension ou une sanction pécuniaire qu’après avoir porté le grief « jusqu’au dernier palier de la procédure applicable […] ».

III. Résumé de l’argumentation

[29] Les arguments écrits déposés par les fonctionnaires ont principalement porté sur le fond de leur grief, c’est-à-dire sur la nature de la décision de l’employeur de les placer en congé non payé, une décision qu’ils caractérisent de mesure disciplinaire entraînant un congédiement déguisé ou un licenciement implicite.

[30] Selon les fonctionnaires, la Politique constituait une mesure disciplinaire tellement grave à l’endroit des fonctionnaires non vaccinés qu’elle équivaut à un congédiement déguisé ou un licenciement implicite. Ils font valoir qu’ils étaient en droit d’exiger que leurs griefs respectifs soient présentés directement au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, en application de la clause 17.17 de la convention collective. Ainsi, la réponse de l’employeur au premier palier devrait, dans chacun des dossiers, être réputée être la réponse au dernier palier, permettant ainsi aux fonctionnaires de renvoyer leur grief à l’arbitrage conformément à l’alinéa 209(1)b) de la Loi.

[31] Les fonctionnaires font valoir que l’application de la notion du congédiement déguisé à la fonction publique fédérale est incertaine et qu’il y a lieu pour la Commission de clarifier la question parce que, selon eux, il est impératif de le faire pour trancher l’objection préliminaire de l’employeur. Selon les fonctionnaires, ils ont subi un congédiement déguisé ou étaient en droit de considérer la décision de l’employeur de les mettre en congé non payé pour une durée indéterminée comme étant un congédiement déguisé.

[32] L’employeur soutient qu’il n’est pas nécessaire pour la Commission de se pencher sur le fond des griefs, l’application de la notion du congédiement déguisé ou la nature de la décision de l’Agence pour trancher l’objection préliminaire quant au non-respect de la procédure de règlement des griefs. La Commission n’a pas compétence pour entendre ces affaires parce qu’elle n’est pas habilitée à instruire un grief qui n’a pas été présenté jusqu’au palier final (voir Brown c. Administrateur général (ministère du Développement social), 2008 CRTFP 46, au par. 26 et Tuquabo c. Agence du revenu du Canada, 2006 CRTFP 128, au par. 16). Les griefs n’ont fait l’objet que d’une décision au premier palier et les fonctionnaires n’ont pas pris de démarches pour présenter leurs griefs respectifs aux paliers subséquents.

[33] L’article 225 de la Loi prévoit qu’un grief ne peut être renvoyé à l’arbitrage qu’après la présentation du grief à tous les paliers requis conformément à la convention collective. Les fonctionnaires n’ont pas fait cela et la Commission n’a pas la compétence ou le pouvoir discrétionnaire de permettre aux fonctionnaires de contourner les exigences de l’art. 225 (voir Martel c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 35, au par. 26).

[34] Les fonctionnaires ont renvoyé leurs griefs à la Commission en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi qui porte sur « […] une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire ». L’employeur fait valoir que les griefs devaient être portés jusqu’au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Il n’y avait aucune entente entre les parties selon laquelle les fonctionnaires pouvaient présenter leurs griefs directement au dernier palier et aucun des fonctionnaires n’a été licencié. Ils sont tous toujours à l’emploi de l’Agence.

IV. Analyse

[35] Les fonctionnaires caractérisent leurs griefs contre la Politique comme étant des griefs contre un congédiement déguisé ou un licenciement implicite découlant de la décision de l’employeur de les placer en congé non payé pour défaut de se conformer à la Politique. Cette caractérisation est contestée par l’employeur. Selon l’Agence, aucun des fonctionnaires n’a été licencié. Ils n’ont été placés qu’en congé administratif non payé et ces congés ont pris fin en juin 2022 lorsque l’application de la Politique a été suspendue.

[36] Pour rendre une décision relativement à l’objection préliminaire formulée par l’employeur, je dois décider si les fonctionnaires pouvaient renvoyer leurs griefs à l’arbitrage sans présenter leurs griefs respectifs à chacun des paliers de la procédure de règlement des griefs prévue à la convention collective. Pour ce faire, je dois décider si les fonctionnaires étaient en droit de traiter la décision rendue par l’employeur au premier palier comme étant une décision au palier final, et ce, en raison de leur caractérisation de leurs griefs respectifs comme étant des griefs relatifs à un congédiement déguisé ou un licenciement implicite.

[37] La procédure de règlement des griefs existe pour une raison. Sauf exception, on ne devrait pas la contourner avant de renvoyer une affaire à l’arbitrage. La raison d’être d’une telle procédure a été décrite comme suit dans Laferrière c. Administrateur général (Agence spatiale canadienne), 2008 CRTFP 53, au par. 28 :

[…]

[28] La procédure interne de règlement des griefs existe pour fournir une possibilité aux parties de trouver elles-mêmes des solutions aux litiges qui les opposent. Les divers paliers de la procédure leur fournissent autant d’occasions de dialogue et de discussions en vue d’en arriver à une solution. À défaut d’entente, elles peuvent par la suite s’en remettre à une tierce partie qui a le pouvoir d’imposer une solution. Il s’agit là de la base même des systèmes de griefs des régimes canadiens de relations de travail et sur ce, la Loi ne diffère pas.

[…]

 

[38] Les paliers de la procédure de règlement des griefs visent à créer des opportunités pour le dialogue et des discussions, favorisant ainsi la résolution juste et efficace de différends entre un fonctionnaire et son employeur. Pour cette raison, la Loi, le Règlement et la convention collective insistent sur le respect de la procédure de règlement des griefs avant le renvoi à l’arbitrage et ne reconnaissent que très peu d’exceptions.

[39] L’article 225 de la Loi, une disposition législative qui porte sur la compétence de la Commission, prévoit qu’un grief ne peut être renvoyé à l’arbitrage qu’après la présentation du grief à tous les paliers requis selon la convention collective. De plus, l’article de la Loi qui énumère les types de griefs pouvant être renvoyés à l’arbitrage précise qu’un grief ne peut être renvoyé à l’arbitrage qu’après avoir été porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable (voir le par. 209(1) de la Loi).

[40] Le législateur a d’ailleurs insisté sur l’importance de la procédure de règlements des griefs par l’inclusion du par. 241(2) de la Loi, selon lequel l’omission de présenter un grief à tous les paliers requis à la convention collective est exclue des vices de procédure ou de forme pouvant être tolérés par la Commission. Le renvoi d’un grief à l’arbitrage peut être invalidé en raison du défaut de respecter la procédure de règlement des griefs.

[41] La Commission a, à maintes reprises, conclu qu’elle n’avait pas compétence à l’égard de griefs lorsque les fonctionnaires s’estimant lésés n’avaient pas satisfait aux conditions énoncées dans la Loi concernant le renvoi à l’arbitrage, notamment le respect de la procédure de règlement des griefs (voir, entre autres, Brown, au par. 29; Laferrière; El-Menini c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2018 CRTESPF 40).

[42] La procédure de règlement des griefs prévue à la convention collective compte trois paliers. Les griefs en cause n’ont été présentés qu’au premier palier.

[43] Les fonctionnaires ne prétendent pas qu’un manque de compréhension des démarches à suivre ou des circonstances indépendantes de leur volonté les ont empêchés de respecter la procédure de règlement des griefs. Ils ont intentionnellement renvoyé leurs griefs à l’arbitrage avant de les présenter au deuxième palier. Ils ont choisi de traiter la réponse de l’employeur au premier palier comme étant une décision au palier final.

[44] Quatre d’entre eux n’ont pris aucune démarche en vue d’arriver à une entente avec l’employeur afin que leurs griefs puissent être présentés directement au dernier palier, comme il est prévu à la clause 17.16 de la convention collective. Le seul fonctionnaire qui a pris une telle démarche a vu sa demande rejetée. L’employeur insistait sur le respect de la procédure de règlement des griefs prévue à la convention collective.

[45] L’article 71 du Règlement permet d’éliminer des paliers dans certaines circonstances, notamment lorsqu’un grief individuel a trait à un licenciement. Ces griefs peuvent être présentés au dernier palier. Toutefois, la clause 17.17 de la convention collective est plus précise et l’emporte sur l’article 71 du Règlement (voir, par exemple, Association des juristes de justice c. Conseil du Trésor, 2019 CRTESPF 90, aux paragraphes 65 à 69; voir également le par. 237(2) de la Loi). La clause 17.17 de la convention collective prévoit que ce n’est que lorsque l’employeur licencie un employé pour un motif déterminé aux termes des alinéas 12(2)c) ou d) de la LGFP qu’un grief n’est présenté qu’au dernier palier. Bien qu’ils aient invoqué la clause 17.17 à l’appui de l’argument voulant que leurs griefs respectifs pouvaient être présentés directement au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, les fonctionnaires n’ont pas prétendu avoir fait l’objet d’un tel licenciement.

[46] Les fonctionnaires font valoir qu’ils ont fait l’objet d’un congédiement déguisé et étaient en droit de traiter la décision rendue par l’employeur au premier palier comme étant une décision rendue au palier final.

[47] Je ne tire aucune conclusion à savoir si la notion de congédiement déguisé s’applique à la fonction publique fédérale ou si l’application de la Politique constituait, dans les faits, un congédiement déguisé ou un licenciement implicite. Ces questions sont des questions de droit et de fond importantes. Toutefois, afin de saisir la Commission de ces questions, les fonctionnaires devaient respecter la procédure de règlement des griefs prévue à la convention collective afin de renvoyer leurs griefs respectifs à l’arbitrage conformément aux exigences de la Loi. Ils ne l’ont pas fait.

[48] Je ne peux pas accepter qu’un fonctionnaire s’estimant lésé puisse unilatéralement faire fi de la procédure de règlement des griefs prévue à la convention collective en s’appuyant uniquement sur sa description de son grief comme portant sur un congédiement déguisé ou un licenciement implicite. Un fonctionnaire n’est pas en droit de traiter la réponse, ou l’absence de réponse, de l’employeur au premier palier comme étant une décision au palier final de la procédure de règlement des griefs, et ce, uniquement en raison de sa caractérisation de la situation. Il irait à l’encontre de la convention collective et de l’esprit et l’objet de la Loi d’accepter la position mise de l’avant par les fonctionnaires.

[49] Les fonctionnaires sont libres d’interpréter la décision de l’Agence comme constituant un congédiement déguisé et de faire valoir leurs droits. Toutefois, ils doivent faire cela dans le respect de la procédure établie par la convention collective et la Loi. Permettre aux fonctionnaires de renvoyer leurs griefs à l’arbitrage sans qu’ils se soient conformés à la procédure de règlement des griefs serait contraire à l’objectif de la procédure de règlement des griefs telle qu’elle est décrite dans Laferrière.

[50] Étant donné que les fonctionnaires ne se sont pas conformés à la procédure de règlement des griefs, les griefs n’ont pas été renvoyés à l’arbitrage en vertu de la Loi d’une manière appropriée et, à ce titre, la Commission n’a pas compétence pour les traiter.

[51] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[52] L’objection préliminaire de l’employeur est accueillie.

[53] Les griefs sont rejetés.

Le 7 octobre 2022.

Amélie Lavictoire,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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