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Date : 20221028

Dossier : 566-24-13847

 

Référence : 2022 CRTESPF 89

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

enTRE

 

Daniela Giannini

fonctionnaire s’estimant lésée

 

et

 

OPÉRATIONS DES ENQUÊTES STATISTIQUES

 

employeur

Répertorié

Giannini c. Opérations des enquêtes statistiques

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Guy Giguère, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée : Kim Patenaude, avocate

Pour l’employeur : Kieran Dyer, avocat

Affaire entendue par vidéoconférence

les 20 et 21 juin 2022.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Introduction

[1] Daniela Giannini, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), a travaillé à temps partiel comme intervieweuse nommée pour une période déterminée aux Opérations des enquêtes statistiques (l’« employeur »), de 2011 à 2016. Elle allègue que l’employeur a fait preuve de discrimination à son égard sur le fondement de son invalidité ou de son sexe et de sa situation de famille (sa grossesse) lorsqu’il a omis de renouveler sa nomination pour une période déterminée en 2016.

[2] L’employeur ne conteste pas que la fonctionnaire était invalide et enceinte à l’époque. Cependant, il soutient que son contrat pour une période déterminée n’a pas été renouvelé parce qu’il n’y avait pas de travail disponible à lui attribuer.

[3] Pour trancher ce grief, je dois déterminer si la fonctionnaire a présenté une preuve suffisante pour établir à première vue (aussi connue sous le nom de preuve prima facie) que son contrat pour une période déterminée n’a pas été renouvelé en raison d’une discrimination.

[4] Si je tire cette conclusion, je dois ensuite déterminer si l’employeur a fourni une explication raisonnable pour ne pas avoir renouvelé le contrat de la fonctionnaire pour une période déterminée. Si je conclus que tel n’est pas le cas, je dois ensuite conclure que l’employeur a fait preuve de discrimination à l’égard de la fonctionnaire en raison de son invalidité ou de sa grossesse.

[5] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la fonctionnaire a établi une preuve prima facie que la discrimination constituait le motif du non‑renouvellement de son contrat pour une période déterminée.

[6] Toutefois, je conclus aussi que l’employeur a produit une preuve qui m’a convaincu que le motif pour lequel il n’a pas renouvelé le contrat de la fonctionnaire pour une période déterminée était un manque de travail à l’issue des enquêtes spécialisées, en 2015. Je conclus donc qu’il n’y a pas eu de discrimination à l’égard de la fonctionnaire lorsque son emploi pour une période déterminée n’a pas été renouvelé.

II. Contexte

[7] En 2011, la fonctionnaire a commencé à travailler à temps partiel auprès de l’employeur comme intervieweuse d’enquêtes téléphoniques - entrevues téléphoniques assistées par ordinateur (ETAO) nommée pour une période déterminée, au bureau régional de Sturgeon Falls, en Ontario. La nomination pour une période déterminée allait du 9 décembre 2011 au 8 mars 2012, et elle a été renouvelée au cours des années suivantes jusqu’au 10 septembre 2014.

[8] La fonctionnaire a été en congé de maternité et en congé parental du 3 novembre 2013 au 15 octobre 2014. À son retour le 16 octobre 2014, elle a commencé à travailler comme intervieweuse sur place - entrevues sur place assistées par ordinateur (EPAO) nommée pour une période déterminée, à Guelph, en Ontario, jusqu’au 31 mai 2015. Cette nomination pour une période déterminée a été prolongée jusqu’au 30 septembre 2015.

[9] Durant cette période, la fonctionnaire a travaillé sur deux enquêtes spécialisées, soit l’Étude sur la santé des enfants de l’Ontario (ESEO) et l’Enquête sur la nutrition. Elle a aussi commencé à travailler sur l’Enquête sur la population active (EPA), une enquête de base permanente qui vise à déterminer les taux de chômage.

[10] Le 18 mai 2015, la fonctionnaire a pris un congé pour cause de maladie afin de subir une chirurgie au dos d’urgence. Le 15 septembre 2015, pendant son congé d’invalidité, sa nomination pour une période déterminée a été prolongée à compter du 1er octobre 2015 jusqu’au 31 mars 2016.

[11] Le 15 janvier 2016, la fonctionnaire est allée à sa clinique médicale afin de s’enquérir de sa capacité à retourner au travail. Comme son médecin était en congé, l’infirmière praticienne lui a remis une note indiquant que son neurochirurgien avait estimé qu’elle pouvait retourner au travail, pour effectuer des tâches modifiées. Elle pouvait travailler de la maison et faire des visites à domicile, à la condition de ne rien porter de plus lourd qu’un ordinateur portatif.

[12] Le 15 février 2016, Gabrielle Meilleur, gestionnaire des dossiers de capacités à la Sun Life, a appelé Natalie Dokis, gestionnaire régionale des programmes (GRP) de la région de Toronto (Ontario), au sujet des prestations d’invalidité à long terme de la fonctionnaire. Mme Meilleur a indiqué qu’elle avait reçu de nouveaux renseignements médicaux selon lesquels la fonctionnaire était désormais apte au travail, en observant certaines restrictions, et qu’il serait mis fin à ses prestations d’invalidité le 28 février 2016. Mme Meilleur a confirmé cela dans un courriel le 19 février 2016.

[13] Le 23 février 2016, Mme Meilleur a rappelé Mme Dokis pour discuter des fonctions du poste de la fonctionnaire et des restrictions qui s’appliquaient à son cas. Mme Dokis a avisé Mme Meilleur qu’elle recueillerait de plus amples renseignements et qu’elle donnerait ensuite des précisions.

[14] Le 26 février 2016, Mme Dokis a avisé la fonctionnaire qu’elle ne prévoyait pas être en mesure de renouveler son emploi pour une période déterminée en raison de la disponibilité du travail dans sa région actuelle. Cette information a été confirmée ultérieurement dans un courriel le 29 février 2016.

[15] Le 29 février 2016 également, Mme Meilleur et Mme Dokis ont eu une autre conversation téléphonique. Mme Dokis a informé Mme Meilleur que la fonctionnaire était une travailleuse nommée pour une période déterminée, qu’elle était affectée à des projets spéciaux, qu’il n’y avait actuellement pas d’affectations spéciales et que, par conséquent, il n’y avait pas de travail pour elle. Mme Meilleur a confirmé que cela ne changerait en rien la décision de la Sun Life de ne pas prolonger le versement des prestations d’invalidité à long terme de la fonctionnaire au‑delà du 28 février 2016.

[16] Le 14 mars 2016, la fonctionnaire a déposé un grief alléguant la discrimination fondée sur l’invalidité ou le sexe et la situation de famille (sa grossesse), en contravention de l’article 16 de la convention collective pertinente. Le grief a été rejeté à tous les paliers de la procédure de règlement des griefs, la décision au quatrième palier ayant été rendue le 22 décembre 2016.

[17] Le 8 mars 2017, le grief a été renvoyé à l’arbitrage.

[18] Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et le titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) et de la Loi sur les relations dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) pour qu’ils deviennent respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi »).

III. Questions en litige

[19] Question 1 : La fonctionnaire a‑t‑elle établi une preuve prima facie que son emploi pour une période déterminée n’a pas été renouvelé en raison d’une discrimination?

[20] Question 2 : L’employeur a‑t‑il fourni une explication raisonnable pour ne pas avoir renouvelé l’emploi de la fonctionnaire pour une période déterminée?

IV. Preuve et argumentation de la fonctionnaire

[21] En novembre 2015, pendant son congé d’invalidité, la fonctionnaire a reçu un appel de Mme Thompson, l’intervieweuse principale dont elle relevait. La fonctionnaire a témoigné qu’on lui avait demandé quand elle pourrait reprendre le travail, parce que Mme Thompson était submergée de travail. La fonctionnaire ignorait si elle pouvait retourner au travail, et elle a dit à Mme Thompson qu’ultérieurement, en novembre, elle avait un rendez‑vous avec son neurochirurgien, qui réévaluerait son cas.

[22] Mme Thompson a témoigné qu’elle avait appelé la fonctionnaire en novembre 2015 afin de savoir comment elle se portait et si elle allait reprendre le travail bientôt. Mme Thompson ne se souvenait pas en détail de leur conversation, mais elle n’avait assurément pas prié la fonctionnaire de revenir au travail. Elle anticipait être à court de personnel, puisqu’elle prévoyait les départs de deux ou trois intervieweurs de son équipe.

[23] Le 19 novembre 2015, le neurochirurgien de la fonctionnaire a réévalué son cas et a conclu que la fonctionnaire pouvait retourner au travail, avec certaines restrictions. Le neurochirurgien a conclu que la fonctionnaire ne pourrait pas porter l’équipement qu’elle transportait avant la chirurgie aux fins des visites à domicile.

[24] Le 23 février 2016, Mme Dokis a appelé la fonctionnaire pour discuter de son retour au travail et de ses restrictions. La fonctionnaire a expliqué que son neurochirurgien avait limité à huit livres le poids qu’elle pouvait porter aux fins des entrevues à domicile. Mme Dokis et la fonctionnaire ont parlé des livres et des deux ordinateurs portatifs que cette dernière avait l’habitude de transporter aux fins de l’ESEO. La fonctionnaire a témoigné qu’elle avait avisé Mme Dokis du fait qu’elle était enceinte, et qu’elle avait demandé si elle avait droit à un congé de maternité, puisqu’il était exigé d’avoir effectué 600 heures de travail.

[25] Le vendredi 26 février 2016, la fonctionnaire a appelé Mme Dokis parce qu’elle n’avait pas reçu de nouvelles d’elle. Mme Dokis lui a dit qu’elle mettait fin à son emploi. La fonctionnaire en a demandé la confirmation par écrit. Le lundi 29 février 2016, la fonctionnaire a reçu un courriel de Mme Dokis, qui indiquait qu’en raison de la disponibilité du travail dans sa région, elle ne prévoyait pas renouveler son emploi pour une période déterminée.

[26] Au même moment le 29 février 2016, Mme Thompson a envoyé un message texte à la fonctionnaire pour lui demander son adresse domiciliaire. Mme Thompson a expliqué qu’elle tentait de déterminer quels dossiers elle pouvait attribuer à la fonctionnaire. Elle a aussi envoyé quelques dossiers à la fonctionnaire, parce qu’elle n’était pas au courant de sa conversation avec Mme Dokis.

[27] Mme Thompson a été surprise lorsque, plus tard, elle a appris que l’emploi de la fonctionnaire pour une période déterminée n’était pas prolongé. Elle avait estimé que la fonctionnaire était un membre utile pour l’équipe. Le gestionnaire de collecte de données (GCD), ou Mme Dokis, a demandé à Mme Thompson de récupérer les dossiers qu’elle avait envoyés à la fonctionnaire.

[28] La fonctionnaire a décrit les difficultés financières et émotionnelles auxquelles elle a été confrontée après avoir appris que son emploi pour une période déterminée n’était pas renouvelé. Elle s’est retrouvée sans le moindre revenu à la fin de février 2016. Elle était enceinte, mais elle n’avait pas droit aux prestations de maternité et aux prestations parentales, puisqu’elle n’avait pas travaillé depuis sa chirurgie au dos survenue en mai 2015. Heureusement, elle avait présenté une demande de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada en octobre 2015. À la suite d’un refus initial et d’une demande de réexamen, elle y a eu droit rétroactivement à septembre 2015. Elle a touché des prestations jusqu’en mai 2019.

[29] La fonctionnaire soutient que Mme Thompson était très bien informée de la productivité des intervieweurs et des exigences à venir. Mme Dokis et le GCD occupaient tous deux leurs postes respectifs depuis moins de six mois. Mme Thompson a communiqué avec la fonctionnaire en novembre 2015 parce qu’elle savait que certains intervieweurs quitteraient leur poste.

[30] La fonctionnaire soutient que l’attitude de l’employeur a changé dès qu’il a été mis au courant de la nécessité d’une mesure d’adaptation en raison de son invalidité et de sa grossesse. Deux jours après avoir discuté avec Mme Dokis de la nécessité d’une mesure d’adaptation et de la grossesse, Mme Dokis l’a avisée qu’il n’y avait pas de travail pour elle. Toutefois, il y avait du travail pour elle, puisque Mme Thompson lui a envoyé des dossiers en février 2016.

[31] La fonctionnaire conclut que les éléments de preuve établissent une preuve prima facie de discrimination, puisque l’existence d’un lien clair avec le non‑renouvellement de son emploi pour une période déterminée a été démontrée. L’employeur ne s’est pas réellement efforcé de prendre une mesure d’adaptation à son égard.

V. Preuve et argumentation de l’employeur

[32] Mme Dokis a expliqué qu’elle avait commencé à travailler comme GRP dans la région de Toronto en septembre 2015. Elle avait sous sa responsabilité six ou sept GCD, 17 intervieweurs principaux et 150 intervieweurs. Lorsqu’elle attribuait du travail sur le terrain aux intervieweurs, elle jaugeait le travail à effectuer et veillait à ce qu’il soit équilibré et situé à une distance raisonnable du domicile des intervieweurs. Les employés nommés pour une période indéterminée se voyaient attribuer des tâches en premier.

[33] Mme Dokis a témoigné qu’à l’automne 2015, deux grandes enquêtes spéciales prenaient fin, soit l’ESEO et l’Enquête sur la nutrition. Il y a eu un ralentissement considérable à l’automne, puisque toutes les enquêtes spéciales prenaient fin.

[34] Mme Dokis a expliqué que l’emploi de la fonctionnaire pour une période déterminée avait été renouvelé en octobre 2015, conformément à la politique de renouvellement des emplois pour une période déterminée dans les cas de congé de maladie ou de congé de maternité. Toutefois, au même moment, l’emploi pour une période déterminée d’un autre intervieweur de la même région n’a pas été renouvelé, en raison d’une pénurie de travail.

[35] Après sa discussion avec Mme Meilleur le 23 février 2016, Mme Dokis a appelé la fonctionnaire, qui a confirmé qu’elle était désormais autorisée à retourner au travail à la suite de son congé d’invalidité. Mme Dokis ne se souvenait pas d’avoir discuté de la grossesse de la fonctionnaire, ni de la question de savoir si elle avait droit à un congé de maternité. La fonctionnaire lui a dit qu’elle avait travaillé sur l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (ESCC) et sur l’EPA avant son congé, ce qui avait initialement donné à Mme Dokis l’impression que la fonctionnaire était intervieweuse pour les enquêtes de base.

[36] À la suite de cet appel téléphonique, Mme Dokis a communiqué avec le GCD, et elle lui a demandé de voir quelles tâches étaient disponibles pour la fonctionnaire. Ultérieurement, le GCD a signalé que Mme Thompson avait trouvé quelques dossiers relevant de l’ESCC, une enquête de base permanente, mais rien d’autre. Mme Thompson a ensuite indiqué qu’elle avait trouvé du travail et qu’elle était censée l’attribuer par écrit. Le GCD n’a toutefois jamais rien reçu. Le GCD a aussi signalé que Mme Thompson avait exprimé des préoccupations au sujet des charges de travail minces au cours de l’été 2016.

[37] Le vendredi 26 février 2016, Mme Dokis a reçu un appel de la fonctionnaire, qui donnait suite à leur conversation antérieure. Elle a avisé la fonctionnaire qu’elle ne pensait pas pouvoir lui trouver du travail. Elle a envoyé un courriel le lundi suivant afin de le confirmer.

[38] En contre‑interrogatoire, Mme Thompson a témoigné qu’à la fin d’une enquête, elle discutait du rendement des intervieweurs nommés pour une période déterminée avec le GCD. Toutefois, elle ne se souvenait pas d’avoir eu une conversation avec le GCD au sujet du rendement de la fonctionnaire. Elle préparait aussi un plan comprenant des affectations, afin que le GCD l’examine. Le GCD consultait ensuite Mme Dokis, qui, en définitive, décidait qui serait embauché à titre d’employé nommé pour une période déterminée.

[39] Mme Thompson ne se souvenait d’aucune conversation avec le GCD ou avec Mme Dokis durant laquelle elle aurait été priée de trouver du travail pour la fonctionnaire. Elle a témoigné qu’elle n’avait eu que deux échanges avec la fonctionnaire, soit en novembre 2015 et le 29 février 2016. En août 2016, elle avait aussi communiqué avec la fonctionnaire, mais elle ne se rappelait pas pourquoi. Elle a expliqué que le travail peut fluctuer d’un mois à l’autre et que le travail avait peut‑être augmenté à ce moment‑là.

[40] Mme Thompson a indiqué que la charge de travail avait diminué en 2016, puisqu’il s’agissait d’une année de recensement et que les enquêtes spéciales n’étaient pas prévues au cours de cette période. Durant un ralentissement, la directive consistait à attribuer des tâches aux employés nommés pour une période indéterminée avant les employés nommés pour une période déterminée. Certains intervieweurs ont même été retirés de leur équipe pour travailler sur le recensement.

[41] Mme Dokis a été questionnée à fond sur les différentes enquêtes que son groupe gérait. Selon son témoignage, aucune tâche ne pouvait être attribuée à la fonctionnaire dans sa région parce qu’elle était une employée nommée pour une période déterminée, et que les employés nommés pour une période indéterminée avaient la priorité pour les enquêtes de base en cours. Mme Dokis a expliqué qu’il restait suffisamment d’intervieweurs pour effectuer le travail dans la région de la fonctionnaire.

[42] Mme Dokis a décrit le problème rencontré en disant qu’il y avait trop d’employés nommés pour une période indéterminée et pas suffisamment de travail. Lorsque les emplois des intervieweurs nommés pour une période déterminée n’étaient pas renouvelés, ceux‑ci n’étaient pas remplacés parce qu’il n’y avait pas suffisamment de travail. Cette situation visait la fonctionnaire, qui n’a pas été remplacée lorsque son emploi pour une période déterminée n’a pas été renouvelé.

[43] Mme Dokis a expliqué qu’elle connaissait la fonctionnaire à l’époque où celle‑ci travaillait à Sturgeon Falls et qu’elle était une bonne intervieweuse. Elle l’a ultérieurement recommandée pour effectuer des tâches de recensement.

[44] L’employeur soutient qu’en définitive, il appartient au GCD et à la GRP de décider de renouveler l’emploi d’un employé nommé pour une période déterminée. Pendant que la fonctionnaire était en congé, les mandats de divers autres employés nommés pour une période déterminée n’ont pas été renouvelés, et aucun employé n’a été embauché pour les remplacer en raison de la pénurie de travail.

[45] L’employeur soutient que Mme Dokis s’est efforcée de trouver du travail pour la fonctionnaire. Elle a demandé au GCD de voir s’il y avait du travail pour la fonctionnaire, et ultérieurement, elle a orienté celle‑ci vers des tâches liées au recensement.

[46] L’employeur souligne que Mme Thompson a été priée de communiquer par écrit les tâches qui pouvaient être assignées à la fonctionnaire, mais qu’elle ne l’a pas fait. Mme Dokis devait s’assurer que les employés nommés pour une période indéterminée ne seraient pas privés de tâches. À titre d’employée nommée pour une période déterminée, la fonctionnaire n’était pas embauchée aux fins des enquêtes de base. Les travailleurs nommés pour une période déterminée étaient embauchés pour mener les enquêtes spéciales, qui étaient à court terme, tandis que les employés nommés pour une période indéterminée étaient chargés des enquêtes de base permanentes. Bien que la fonctionnaire ait acquis une certaine expérience de l’une des enquêtes de base permanentes, soit l’EPA, les employés nommés pour une période indéterminée avaient un droit de priorité à l’égard de cette enquête et de toutes les autres enquêtes de base permanentes.

[47] L’employeur soutient que la fonctionnaire n’a pas établi une preuve prima facie de discrimination, puisqu’il n’y avait aucun lien entre le non‑renouvellement de son emploi pour une période déterminée et son invalidité ou sa grossesse. Son emploi pour une période déterminée n’a pas été renouvelé parce qu’il n’y avait pas de travail pour elle dans sa région.

VI. Analyse

[48] Question 1 : La fonctionnaire a‑t‑elle établi une preuve prima facie que son emploi pour une période déterminée n’a pas été renouvelé en raison d’une discrimination?

[49] Comme le soutiennent les parties, le critère qui permet de déterminer s’il y a eu discrimination dans l’emploi comprend deux étapes. En premier lieu, le ou la fonctionnaire doit établir une preuve prima facie de discrimination, c’estàdire la preuve qui, en l’absence d’une réponse de l’employeur, serait suffisante pour conclure à la discrimination. Voir McCarthy c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2020 CRTESPF 45, au paragraphe 83.

[50] Dans le contexte de l’emploi, une preuve prima facie de discrimination comporte les trois éléments suivants :

1) le ou la fonctionnaire a une caractéristique protégée contre la discrimination en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6);

2) le ou la fonctionnaire a subi un effet négatif quant à son emploi;

3) la caractéristique protégée était un facteur de la répercussion négative.

 

[51] Dans le présent cas, il n’est pas contesté que la fonctionnaire réunit les deux premiers éléments. Celle‑ci doit donc démontrer qu’il existe un lien entre son invalidité ou sa grossesse (la caractéristique protégée) et le non‑renouvellement de son emploi pour une période déterminée (la répercussion négative), tout en reconnaissant que d’autres facteurs peuvent être présents. Voir aussi Bourdeau c. Conseil du Trésor (Commission de l’immigration et du statut de réfugié), 2021 CRTESPF 43, et Kirby c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2015 CRTEFP 41.

[52] Il ressort clairement de la preuve produite par la fonctionnaire qu’en novembre 2015, sa superviseure lui a dit qu’il y aurait du travail pour elle à son retour dans le milieu de travail. Lorsqu’elle était sur le point de retourner au travail à la fin de février 2016, elle a discuté des restrictions qui s’appliquaient à son cas, de son invalidité et de sa grossesse avec Mme Dokis. Quelques jours plus tard, Mme Dokis l’a avisée que son emploi pour une période déterminée ne serait pas renouvelé. Le même jour, la fonctionnaire reçoit un message texte de sa superviseure qui souhaite lui donner du travail et lui envoie des dossiers un peu plus tard.

[53] Je conclus que la preuve produite par la fonctionnaire est suffisante à première vue pour établir qu’il existe un lien entre son invalidité ou sa grossesse et le non‑renouvellement de son emploi pour une période déterminée.

[54] Question 2 : L’employeur a‑t‑il fourni une explication raisonnable pour ne pas avoir renouvelé l’emploi de la fonctionnaire pour une période déterminée?

[55] Comme j’ai conclu que la fonctionnaire a établi une preuve prima facie de discrimination, la deuxième étape du critère s’applique. Je dois déterminer si l’employeur a fourni une explication raisonnable pour ne pas avoir renouvelé l’emploi de la fonctionnaire pour une période déterminée, à savoir qu’il y avait une pénurie de travail. Si je conclus que l’employeur n’en a pas fourni, en ce cas je devrai conclure qu’il a fait preuve de discrimination à l’égard de la fonctionnaire en raison de son invalidité ou de sa grossesse.

[56] L’employeur explique que la fonctionnaire n’avait pas connaissance de l’ensemble de la situation. En octobre 2015, son emploi pour une période déterminée avait été renouvelé pendant qu’elle était en congé, conformément à la politique. Toutefois, en même temps, beaucoup d’intervieweurs nommés pour une période déterminée ont été licenciés, et l’emploi pour une période déterminée d’un intervieweur de sa région n’a pas été renouvelé en raison d’une pénurie de travail. La superviseure de la fonctionnaire n’a pas informé celle‑ci du fait qu’à l’automne 2015, le ralentissement de travail coïncidant avec la fin des enquêtes spécialisées pourrait avoir une incidence sur le renouvellement de son emploi pour une période déterminée. Il n’a pas été dit non plus à la fonctionnaire qu’on prévoyait un autre ralentissement pour l’été 2016.

[57] La fonctionnaire soutient que Mme Thompson était très bien informée de la productivité des intervieweurs et des exigences à venir. Toutefois, il incombait à Mme Dokis et au GCD de décider si l’emploi des employés nommés pour une période déterminée pouvait être renouvelé, compte tenu du ralentissement du travail. De plus, la proportion d’employés nommés pour une période indéterminée était trop élevée pour la charge de travail réduite. Mme Dokis et le GCD devaient s’assurer qu’il y avait suffisamment de travail pour les employés nommés pour une période indéterminée dans la région de la fonctionnaire lorsqu’ils ont dû décider si son emploi pour une période déterminée pouvait être renouvelé.

[58] En février 2016, Mme Dokis a prié le GCD de voir s’il y avait des tâches disponibles pour la fonctionnaire dans sa région. Le GCD a signalé que Mme Thompson avait trouvé seulement quelques dossiers liés à l’ESCC, qui est une enquête de base permanente. Comme les notes manuscrites de Mme Dokis l’indiquent, ultérieurement, Mme Thompson a signalé qu’elle avait trouvé du travail, qu’elle était censée remettre par écrit. Le GCD a avisé Mme Dokis que Mme Thompson n’avait jamais remis le travail.

[59] Mme Thompson ne se souvenait pas que le GCD lui ait demandé de trouver du travail pour la fonctionnaire. D’un autre côté, le témoignage de Mme Dokis sur ce point était clair et concordait avec ses notes manuscrites. Les événements sont survenus il y a près de six ans, ce qui explique pourquoi les témoins ont eu de la difficulté à se souvenir de certaines discussions. J’estime que la preuve prépondérante est que le GCD avait demandé à Mme Thompson de remettre, par écrit, les dossiers qu’elle pouvait confier à la fonctionnaire.

[60] Mme Thompson n’aurait pas pu fournir ce travail parce qu’il ne restait pas de travail pouvant être attribué aux enquêtes spécialisées et qu’elle n’a trouvé que quelques dossiers liés à l’ESCC. Elle avait connaissance des ralentissements et elle devait appliquer la politique consistant à attribuer les tâches d’enquête de base aux employés nommés pour une période indéterminée en priorité. Même si elle prévoyait des départs au sein de son équipe d’intervieweurs dans la région de la fonctionnaire, ces départs ne s’étaient pas encore concrétisés lorsque le GCD lui a demandé de trouver du travail pour la fonctionnaire.

[61] Mme Dokis n’a pas reçu les renseignements dont Mme Thompson disposait. Mme Dokis a conclu que dans la région de la fonctionnaire, il restait suffisamment d’intervieweurs pour effectuer le travail. Par conséquent, elle ne pouvait pas renouveler l’emploi de la fonctionnaire pour une période déterminée en raison d’une pénurie de travail. La fonctionnaire n’a pas été remplacée lorsque son emploi pour une période déterminée n’a pas été renouvelé.

[62] Je conclus que la preuve produite par l’employeur m’a convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que le motif du non‑renouvellement de l’emploi de la fonctionnaire pour une période déterminée était lié uniquement à une pénurie de travail, et que sa grossesse et son invalidité n’ont pas influé sur cette décision. Par conséquent, l’employeur n’a pas fait preuve de discrimination à l’égard de la fonctionnaire.

[63] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VII. Ordonnance

[64] Le grief est rejeté.

Le 28 octobre 2022.

Traduction de la CRTESPF

Guy Giguère,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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