Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé était un agent des services frontaliers – il a reçu une suspension de 20 jours pour s’être présenté en retard au travail – il a contesté la gravité de cette mesure disciplinaire – l’administrateur général s’est opposé à l’admissibilité en preuve des dossiers médicaux du fonctionnaire s’estimant lésé – la Commission a accueilli l’objection parce que les dossiers n’étaient pas pertinents à la question en jeu, n’étant pas liés à la période ayant mené au défaut du fonctionnaire s’estimant lésé de se présenter à temps au travail – la Commission a conclu que l’administrateur général n’avait pas correctement appliqué la doctrine de la mesure disciplinaire progressivela gradation des mesures disciplinaires pour les incidents de nature similaire – la Commission a conclu que la suspension était excessive dans les circonstances, compte tenu de la gravité du défaut de se présenter à temps pour le travail, de la date du dernier incident de nature similaire, de la façon dont l’administrateur général a traité ce dernier incident, de la durée de service du fonctionnaire s’estimant lésé, de son remords et de sa coopération avec l’enquête de l’administrateur général – la Commission a réduit la suspension à 4 jours.

Objection accueillie.
Grief accueilli.

Contenu de la décision

Date : 20221117

Dossier : 566‑02‑13872

 

Référence : 2022 CRTESPF 94

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

Entre

 

Mark JASON Menzies

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

administrateur général

(Agence des services frontaliers du Canada)

 

défendeur

Répertorié

Menzies c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Nancy Rosenberg, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Zachary Rodgers, avocat

Pour le défendeur : Laetitia Auguste, avocate

Affaire entendue par vidéoconférence
du 14 au 16 juin 2022
.
(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1] Mark Menzies, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), est un agent des services frontaliers de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’« Agence ») qui travaille au point d’entrée du pont Blue Water à Sarnia, en Ontario. Il a commencé son emploi en 1996 à titre d’inspecteur des douanes, le titre du poste à l’époque, et comptait 18 ans de service au moment où il a déposé le présent grief pour contester l’imposition d’une suspension disciplinaire de 20 jours.

[2] Le 2 mars 2015, le fonctionnaire ne s’est pas présenté au travail pour son « quart de nuit ». Après avoir reçu un appel de son superviseur, il a pris immédiatement des dispositions pour se rendre au travail et était sur place, prêt à travailler, une heure après le début de son quart prévu.

[3] Le fonctionnaire avait un dossier disciplinaire volumineux qui comprenait six incidents antérieurs d’omission de se présenter au travail, ainsi que plusieurs incidents d’autres types d’inconduite, pour lesquels il avait reçu des réprimandes écrites et des suspensions de 2, de 5, de 10 et de 15 jours. Aucune des mesures disciplinaires antérieures n’avait été contestée.

[4] Le fonctionnaire a reconnu que son omission de se présenter au travail contrevenait au Code de conduite de l’Agence et qu’il s’agissait d’une conduite inacceptable justifiant une mesure disciplinaire. Toutefois, il a contesté la suspension de 20 jours qui lui a été imposée, car il estimait qu’elle était excessive.

[5] Par conséquent, les seules questions que la Commission doit trancher sont celles de savoir si la mesure disciplinaire imposée était excessive et, le cas échéant, quelle autre mesure disciplinaire moindre devrait la remplacer.

[6] J’ai déterminé que la suspension de 20 jours était excessive et je la remplace par une suspension de quatre jours.

II. Résumé de la preuve

[7] La Commission a entendu le témoignage de Sebastian Marschner, qui est actuellement le gestionnaire régional des programmes Commerçant de confiance de l’Agence et qui était un surintendant de la section des opérations commerciales pendant la période pertinente, et de Robert Long, qui est actuellement le chef des opérations commerciales et qui était à l’époque le chef intérimaire. Le fonctionnaire a témoigné pour son propre compte.

[8] M. Marschner était le surintendant en service qui a signalé l’incident. Il a confirmé à l’audience que le fonctionnaire ne s’était pas présenté au travail pour son « quart de nuit », qui était prévu de 23 h 10 le 2 mars à 8 h 00 le 3 mars 2015. Lorsque M. Marschner l’a appelé à 23 h 30, le fonctionnaire a dit qu’il croyait travailler un quart d’après‑midi, a constaté son erreur, a présenté ses excuses et a dit qu’il s’y rendrait dès que possible. M. Marschner a signalé à l’époque, et a témoigné à l’audience, que le fonctionnaire s’était présenté au travail prêt à travailler (c’est‑à‑dire en uniforme et armé) à 0 h 10 le 3 mars 2015, soit une heure après le début de son quart prévu.

[9] Lorsque M. Marschner a signalé l’incident, M. Long lui a demandé de vérifier si un changement de quart avait peut‑être eu lieu qui pourrait expliquer l’omission du fonctionnaire de se présenter au travail. Il n’y avait eu aucun changement de quart. Enfin, il a demandé à M. Marschner de mener une enquête.

[10] Le 17 mars 2015, M. Marschner a mené une enquête dont le but était d’obtenir des renseignements supplémentaires et de donner au fonctionnaire l’occasion de fournir toute autre considération qui devrait être prise en compte. À la question de savoir si la direction devrait tenir compte de circonstances atténuantes, le fonctionnaire a de nouveau présenté ses excuses. Il a déclaré qu’il s’était écoulé deux ans depuis sa dernière omission de se présenter au travail et qu’il s’efforcerait de ne pas répéter cette conduite. Il n’a soulevé aucune autre explication ou circonstance atténuante.

[11] Le 9 avril 2015, M. Marschner a tenu une réunion prédisciplinaire dont le but était de présenter ses conclusions préliminaires et de recevoir tout renseignement supplémentaire qui devrait être pris en compte avant de rendre une décision disciplinaire. M. Marschner a examiné les faits et a fait part de sa conclusion selon laquelle l’omission du fonctionnaire de se présenter au travail constituait une violation des articles du Code de conduite de l’Agence qui portent sur la négligence à l’égard du service et des heures de travail. Il a donné au fonctionnaire la possibilité de répondre à ces conclusions et de présenter d’autres circonstances atténuantes. Le fonctionnaire a répondu qu’il n’avait rien à ajouter.

[12] M. Marschner a témoigné qu’il aurait généralement mené le processus jusqu’à la fin, c’est‑à‑dire qu’il aurait pris une décision quant à une mesure disciplinaire et l’aurait imposée. Toutefois, dans le présent cas, il était clair que la mesure disciplinaire serait plus importante qu’une suspension de cinq jours, soit la suspension la plus longue qu’un surintendant de l’Agence peut imposer. Par conséquent, quelque temps après l’enquête, il a remis le dossier à M. Long.

[13] Toutefois, M. Marschner ne pouvait pas se rappeler quand ou comment la décision de le faire avait été prise, ou qui l’avait prise. Il a témoigné que, lorsqu’elle envisage une mesure disciplinaire, la direction consulte généralement des spécialistes en relations de travail tout au long du processus. Il aurait participé au processus décisionnel, en communiquant ce qui s’était passé et les résultats de l’enquête, mais il ne se souvenait pas avoir pris cette décision ou avoir formulé des recommandations au sujet d’une mesure disciplinaire particulière.

[14] Le 11 mai 2015, M. Long a tenu la réunion disciplinaire. Le compte rendu de la réunion énumère les facteurs atténuants et aggravants pris en compte, comme suit :

[Traduction]

[…]

· Les facteurs atténuants suivants ont été pris en compte :

Ø Durée du service – 18 ans; votre DSC est de février [sic] décembre 1996.

Ø Fait preuve de remords – vous étiez sincère lorsque vous avez présenté vos excuses pour l’omission de vous présenter au travail.

Ø La réponse de l’employé à l’enquête de la direction sur l’inconduite alléguée – vous avez coopéré de la façon la plus complète possible lors de toutes les réunions et de tous les échanges avec la direction quant à cette enquête.

· Les facteurs aggravants suivants ont été pris en compte :

Ø Il s’agit de votre huitième incident disciplinaire. L’incident le plus récent a eu lieu en 2014, pour lequel une suspension sans solde d’une durée de 15 jours ou de 112,5 heures a été imposée en raison d’une inconduite.

Ø Votre omission de vous présenter au travail fait en sorte que l’employeur a de la difficulté à gérer ses activités de façon efficace.

[…]

 

[15] M. Long a expliqué que, deux fois par année, les employés participent à la mise au choix des quarts de travail en fonction de leur ancienneté. Lorsque tous les quarts sont remplis, ils en sont avisés par courriel et les quarts sont affichés sur un babillard central. Des changements peuvent alors être apportés à l’horaire à la demande de la direction ou d’un employé, et un horaire mis à jour est affiché chaque semaine. Les employés connaissent leur horaire des mois à l’avance.

[16] M. Long a expliqué la raison pour laquelle l’omission de se présenter au travail constitue un problème grave pour l’Agence et la façon dont cette omission peut entraîner des répercussions importantes sur les activités. Il a dit que, surtout pendant un quart de nuit, une omission de se présenter au travail peut rendre les choses très difficiles, car l’effectif est réduit. Une omission de se présenter au travail crée un volume important de travail pour le surintendant, qui devrait établir des horaires de travail, répondre aux intervenants et régler toute autre question qui survient. S’il y a omission de se présenter au travail, le surintendant doit plutôt consacrer du temps à appeler l’employé qui ne s’est pas présenté au travail. Si le surintendant ne parvient pas à communiquer avec l’employé, il doit procéder à une vérification du bien‑être. Cette vérification consiste à se présenter à la résidence de l’employé avec un autre agent, ce qui prend du temps et réduit davantage l’effectif sur place.

[17] Le surintendant peut tenter d’appeler un autre employé pour que ce dernier fasse des heures supplémentaires. Il s’agit d’une procédure complexe qui peut prendre des heures, surtout pour un « quart de nuit », car il est généralement difficile de trouver un remplaçant à cette heure-là. Il est également possible que le surintendant doive fermer une voie commerciale ou essayer d’emprunter un agent des opérations relatives aux voyageurs. L’absence pourrait toucher les inspections secondaires qui doivent être effectuées par deux agents pour des raisons de sécurité, touchant ainsi la santé et la sécurité au travail si deux agents ne sont pas disponibles.

[18] Il n’y a aucun système pour signaler la présence; les agents des services frontaliers sont traités comme des agents d’application de la loi. On s’attend simplement à ce qu’ils soient là. Les absences inattendues peuvent mettre leurs collègues dans une position inconfortable, car il leur incombe d’informer un surintendant de toute absence. Comme ils ne veulent pas faire cela, ils choisiront parfois de ne rien dire et de fermer une voie ou de prendre d’autres mesures. Parfois, les surintendants ne savent même pas qu’un agent ne s’est pas présenté au travail avant que la circulation ne soit bloquée ou que d’autres problèmes surviennent.

[19] M. Long a déclaré que, même si certains emplois ne sont pas soumis à des contraintes de temps quant au moment où le travail est exécuté, ce n’est pas le cas des agents des services frontaliers. Le fait d’arriver une heure en retard n’évite pas nécessairement les problèmes. Si les voies ne peuvent pas être couvertes et que la circulation des camions est bloquée, l’Agence ne respecte pas ses obligations envers ses intervenants. Cette situation peut donner lieu à des appels et à des plaintes, dont certains seraient adressés au président ou au vice‑président de l’Agence. Toutefois, M. Long a confirmé qu’il n’avait reçu aucun rapport d’incidence réelle sur les activités découlant de l’incident du 2 mars 2015.

[20] M. Long a témoigné qu’il avait pris la décision quant à la mesure disciplinaire. Il a dit que M. Marschner aurait consulté la section régionale des relations de travail de l’Agence et qu’à un moment donné, il aurait constaté que la mesure disciplinaire serait plus importante qu’une suspension de cinq jours et qu’il fallait donc acheminer le dossier à M. Long. Toutefois, tout comme M. Marschner, il ne pouvait pas se rappeler quand ou comment cela avait été déterminé, ou qui avait déterminé cela.

[21] M. Long a témoigné que les mesures disciplinaires n’ont pas pour but de punir, mais plutôt de corriger, et qu’il a appliqué le principe des mesures disciplinaires progressives. Il a confirmé ce qu’il avait écrit sur l’avis de mesure disciplinaire, à savoir qu’il avait tenu compte de toutes les politiques et de tous les faits pertinents, ainsi que de toute circonstance aggravante ou atténuante, pour déterminer la mesure disciplinaire. Il a précisé que les politiques dont il a tenu compte étaient la politique et les lignes directrices de l’Agence sur les mesures disciplinaires à l’intention des gestionnaires, ainsi que les lignes directrices du Conseil du Trésor sur les mesures disciplinaires.

[22] Il s’est souvenu que le facteur aggravant principal était le dossier disciplinaire considérable du fonctionnaire, surtout la gravité de la dernière mesure disciplinaire, qui avait été une suspension de 15 jours. Selon sa compréhension des mesures disciplinaires progressives, cette dernière mesure disciplinaire avait établi le point de départ de la prochaine mesure disciplinaire, qui devait faire état d’au moins un niveau de gravité plus élevé. M. Long a reconnu que des mesures disciplinaires progressives n’avaient pas été appliquées de cette façon dans le passé, et a indiqué qu’il ne savait pas pourquoi, mais qu’il avait supposé que la direction précédente les avait simplement mal appliquées.

[23] M. Long a dit qu’il y avait une certaine souplesse pour sauter des étapes; par exemple, pour un comportement inacceptable très grave, une suspension de 10 jours pourrait être imposée en l’absence de dossier disciplinaire antérieur. Par conséquent, l’unique possibilité de rechange qui s’offrait à lui aurait été de sauter une étape et d’imposer une suspension de 25 ou de 30 jours, mais il ne voyait pas la nécessité de le faire dans les circonstances.

[24] Même s’il aurait pu choisir une mesure disciplinaire plus sévère, M. Long ne croyait pas qu’il existait une certaine souplesse permettant de rebrousser chemin, c’est-à-dire d’imposer une mesure disciplinaire moins sévère que la dernière mesure disciplinaire imposée. Il n’a pas non plus estimé qu’il pouvait imposer une suspension de la même durée que celle de la mesure disciplinaire antérieure, soit une autre suspension de 15 jours. Les demi‑étapes n’étaient pas non plus possibles; par exemple, il ne pouvait pas imposer une suspension de 16 jours. Même si des suspensions d’un et de deux jours étaient disponibles aux échelons inférieurs de l’échelle disciplinaire, les échelons supérieurs augmentaient à raison de cinq jours, et la prochaine étape ne pouvait être que de 20 jours.

[25] M. Long a déclaré qu’il y avait de nombreux facteurs atténuants, comme les 18 années de service du fonctionnaire et le fait qu’il faisait preuve de remords. Le facteur le plus important, selon M. Long, était celui selon lequel le fonctionnaire avait coopéré de la façon la plus complète possible avec la direction tout au long du processus. Lorsqu’il a imposé la suspension de 20 jours, il était conscient des répercussions financières importantes et il a tenté de les atténuer dans une certaine mesure en repoussant le début de la suspension à une date suivant un jour férié à venir, de sorte que le fonctionnaire ne perde pas la rémunération du jour férié.

[26] Le fonctionnaire a témoigné pour son propre compte. Il a déclaré franchement qu’il n’avait aucun souvenir indépendant des événements, compte tenu du temps qui s’était écoulé, mais qu’il ne contestait aucun des documents qui ont consigné ces événements. Il a confirmé qu’il ne s’était pas présenté au travail, conformément à la description donnée par les témoins de l’administrateur général. Il n’a pas contesté que cette conduite justifiait une mesure disciplinaire. Il n’a contesté que la gravité de la mesure disciplinaire.

[27] Il a témoigné qu’il avait eu l’impression qu’il travaillait les après‑midi plutôt que les nuits. À la question de savoir comment cela aurait pu se produire, le fonctionnaire a supposé qu’il avait peut-être examiné la mauvaise section de l’horaire ou qu’il l’avait simplement mal copiée dans son livre. Le fonctionnaire a confirmé que, lorsqu’il avait été invité à présenter des facteurs atténuants à la réunion d’enquête, il avait répondu que deux ans s’étaient écoulés depuis sa dernière omission de se présenter au travail, qu’il avait présenté ses excuses et qu’il avait promis de faire de son mieux pour ne pas répéter l’erreur. Il a confirmé qu’on lui avait alors demandé s’il avait quelque chose à ajouter, et qu’il n’avait rien ajouté.

[28] Le fonctionnaire a témoigné qu’il savait qu’il avait commis une erreur, qu’il s’agissait d’une violation de la politique de l’Agence et qu’elle justifiait une mesure disciplinaire. Toutefois, il croyait qu’on lui imposerait une suspension de deux ou de trois jours. Étant donné le temps qui s’était écoulé depuis sa dernière omission de se présenter au travail, il n’estimait pas que son comportement était suffisamment grave pour justifier une suspension de 20 jours.

[29] Selon l’expérience du fonctionnaire, la direction examinait les mesures disciplinaires antérieures pour une conduite du même type afin de déterminer la mesure disciplinaire. Par exemple, l’avis de mesure disciplinaire qu’il avait reçu pour sa suspension de 15 jours indiquait que tout comportement [traduction] « de cette nature » à l’avenir pourrait entraîner une mesure disciplinaire plus sévère. Compte tenu de son expérience à l’égard des mesures disciplinaires, il a supposé que la direction examinerait la dernière mesure disciplinaire concernant une omission de se présenter au travail qui lui avait été imposée, et procéderait en fonction de celle‑ci.

[30] Selon la façon dont la situation avait été traitée auparavant, il estimait que des violations de la politique semblables étaient regroupées. Les omissions de se présenter au travail seraient traitées comme un « volet » ou un « secteur d’activité », tandis que les plaintes du public ou les infractions législatives, par exemple, étaient considérées comme des volets différents. La mesure disciplinaire était imposée en fonction de la nature de la conduite inacceptable. Lorsqu’une mesure disciplinaire lui avait été imposée pour cinq « retards », ceux-ci avaient tous été regroupés et une mesure disciplinaire combinée, soit une suspension de deux jours, lui avait été imposée.

[31] Le fonctionnaire a témoigné qu’il estimait que [traduction] « la sanction devrait correspondre au crime », puisque c’est un principe que les agents des services frontaliers connaissent bien. Ils sont ordonnés à faciliter la circulation légale des marchandises et des personnes à la frontière, et on leur répète que les mesures d’application de la loi antérieures prises à l’égard d’un voyageur ne sont pas pertinentes lorsqu’il s’agit d’une nouvelle infraction d’un type différent. Il estimait que ce principe était juste et qu’il devrait s’appliquer également aux mesures disciplinaires imposées aux employés.

[32] Le fonctionnaire a témoigné au sujet de graves problèmes personnels qu’il avait connus à l’époque et pour lesquels il avait demandé de l’aide à la suite de ces événements. Il a dit que son représentant syndical avait soulevé ce point au premier palier de la procédure de règlement des griefs, tel qu’il est consigné dans les notes de cette réunion, comme suit : [traduction] « Il y a aussi des problèmes personnels en cours à la maison qui sont confidentiels. Ces problèmes devraient également être considérés comme des facteurs atténuants » [le passage en évidence l’est dans l’original]. Le fonctionnaire a témoigné que les renseignements avaient été formulés de cette façon parce qu’il voulait que la direction sache qu’il vivait des problèmes personnels, mais qu’il n’était pas prêt à divulguer la nature de ceux-ci à ce moment‑là.

[33] Le fonctionnaire n’a pas participé à la réunion de grief au troisième palier. Toutefois, les documents indiquent, et il n’est pas contesté, que son représentant syndical a soulevé la question selon laquelle l’administrateur général aurait dû accorder plus d’attention aux problèmes personnels du fonctionnaire lors de la détermination de la mesure disciplinaire.

[34] Le fonctionnaire a témoigné qu’après ces événements, il a reçu de l’aide d’amis pour régler certains de ses problèmes personnels, a consulté des médecins pour des problèmes médicaux et, plusieurs années plus tard, après avoir reçu un diagnostic de trouble du sommeil, il a demandé à l’Agence de mettre en œuvre une mesure d’adaptation. La mesure d’adaptation consistait à travailler le jour de façon stable afin d’éviter d’avoir à gérer le changement difficile de son cycle de sommeil pour les jours, les après-midi et les nuits. Il a fait remarquer que ce changement l’avait beaucoup aidé et qu’il ne s’était pas présenté au travail en retard et n’avait pas omis de se présenter au travail par la suite. Il a cherché à introduire des dossiers médicaux de plusieurs médecins qu’il avait consultés. Toutefois, l’administrateur général s’est opposé à leur admissibilité. J’aborderai cette objection plus loin dans la présente décision.

[35] Le fonctionnaire a fourni la même description des répercussions opérationnelles par suite d’une omission de se présenter au travail que celle présentée par les témoins de l’administrateur général, en ajoutant qu’une omission pourrait aussi entraîner des répercussions négatives sur les autres agents qui attendent d’être remplacés. Néanmoins, il a également indiqué que, selon lui, une heure de retard n’était pas si grave et que la gravité d’une omission de se présenter au travail pouvait être évaluée de deux façons. Dans certaines circonstances, les répercussions sur les activités peuvent être importantes, mais l’omission de se présenter au travail n’est pas nécessairement grave lorsqu’on l’examine dans le cadre d’une mesure disciplinaire. À sa connaissance, aucune répercussion n’avait découlé de son omission et, par conséquent, il n’estimait pas que cet incident d’omission de se présenter au travail était très grave.

[36] Bien que le fonctionnaire ait qualifié son omission de se présenter au travail de « retard », il a reconnu en contre‑interrogatoire qu’il ne savait pas qu’il était censé être au travail et que la durée de son absence aurait pu être bien plus longue qu’une heure s’il n’avait pas reçu l’appel de M. Marschner.

[37] Avant cet incident, le fonctionnaire avait fait l’objet de mesures disciplinaires neuf fois pour divers types de comportement, comme suit :

· Le 27 juin et le 17 août 2009, il a reçu des réprimandes écrites en raison de deux violations distinctes des procédures de manipulation des armes à feu.

· Le 17 octobre 2010, il a reçu une réprimande écrite pour avoir révélé au public des renseignements confidentiels de l’Agence et s’être livré à des critiques publiques de l’Agence.

· Le 3 février 2012, il a reçu une suspension de deux jours en raison de deux incidents où il a fumé pendant qu’il était en service, l’un desquels a retardé le traitement d’un voyageur, ce qui a donné lieu à une plainte.

· Le 28 février 2012, il a reçu une suspension de cinq jours en raison de deux interactions négatives avec des voyageurs.

· Le 15 novembre 2012, il a reçu une réprimande écrite pour avoir omis de se présenter devant le tribunal en tant que témoin essentiel de la Couronne, ce qui a entraîné le rejet de l’affaire de la Couronne.

· Le 15 avril 2013, il a reçu une suspension de 10 jours en raison d’une interaction négative avec un camionneur et d’un incident d’omission de se présenter au travail.

· Le 17 octobre 2013, il a reçu une suspension de deux jours en raison de cinq incidents d’omission de se présenter au travail. Tous les incidents étaient semblables à celui en litige; il a omis de se présenter au travail, a reçu un appel de l’Agence et s’est présenté au travail peu de temps après. Les cinq incidents se sont produits le 9 octobre 2011, le 9 novembre 2011, le 12 septembre 2012, le 23 mars 2013 et le 27 août 2013.

· Le 4 septembre 2014, il a reçu une suspension de 15 jours en raison d’une interaction négative extrêmement grave avec un conducteur.

 

[38] Le fonctionnaire n’a contesté aucun des faits relatifs à ces cas antérieurs de mesures disciplinaires. Il a dit qu’il n’était peut-être pas d’accord avec quelques-uns des facteurs, mais il a confirmé qu’il avait choisi de ne pas les contester.

III. L’argumentation de l’administrateur général

A. Admissibilité des dossiers médicaux postérieurs aux mesures disciplinaires

[39] L’administrateur général a fait valoir que les dossiers médicaux postérieurs aux mesures disciplinaires que le fonctionnaire cherchait à déposer en preuve ne devraient pas être admis, parce qu’il ne les avait pas divulgués au préalable, ce qui est contraire aux exigences de communication préalable à l’audience de la Commission; le dépôt de ceux-ci a modifié la nature du grief et a donc contrevenu au principe établi dans Burchill c. Canada (Procureur général), [1981] 1 C.F. 109 (C.A.); les renseignements dans les dossiers constituaient du ouï‑dire non vérifié; et ils n’étaient pas pertinents à la période en litige.

[40] L’administrateur général n’a pas laissé entendre que la communication tardive était intentionnelle, mais il a soutenu que les exigences de communication préalable à l’audience permettent aux parties de se préparer de manière adéquate à une audience, et que la communication tardive a nui à sa capacité de présenter un argument complet. Cela a soulevé une question d’équité procédurale. L’administrateur général n’a pas contesté le fait que les documents lui ont été fournis dès que le fonctionnaire les a reçus, mais il a soutenu qu’il y avait néanmoins un élément de surprise, car il ne savait même pas que le fonctionnaire avait demandé de les recevoir.

[41] L’administrateur général a également fait valoir qu’un fonctionnaire s’estimant lésé ne peut pas présenter un nouveau grief ou un grief différent à l’arbitrage (voir Burchill). Le fonctionnaire a tenté de reconfigurer le grief en quelque chose qui n’avait pas fait l’objet de la procédure de règlement des griefs. Les notes de la réunion tenue au premier palier de la procédure de règlement des griefs indiquent que le représentant syndical avait mentionné que le fonctionnaire éprouvait des « problèmes personnels », mais que ces derniers étaient confidentiels. Le fonctionnaire a reconnu qu’il ne souhaitait pas que la direction ait de plus amples renseignements sur ses problèmes personnels. L’administrateur général a fait valoir que le fonctionnaire ne pouvait pas gagner sur les deux fronts; il ne pouvait pas invoquer la confidentialité et demander ensuite à la Commission d’examiner des questions dont la direction n’avait aucune connaissance. Il n’a pas été question d’une défense médicale pendant la procédure de règlement des griefs, et le dépôt de dossiers médicaux à l’arbitrage aboutirait à de nouveaux motifs pour le grief.

[42] L’administrateur général a également soutenu que les renseignements médicaux constituaient du ouï‑dire non vérifié. Ces renseignements comprenaient des notes cliniques de quatre professionnels de la santé différents, dont aucun n’a témoigné. L’administrateur général a demandé à la Commission de tirer une conclusion défavorable à l’encontre du fonctionnaire, étant donné qu’il n’a cité à témoigner aucun des médecins et qu’il a simplement témoigné lui‑même au sujet du contenu des documents.

[43] L’administrateur général a également soutenu que les dossiers n’étaient pas pertinents puisqu’ils n’ont commencé qu’en juin 2015, après que l’inconduite et la mesure disciplinaire ont eu lieu. Le témoignage du fonctionnaire a confirmé cette période Il a dit qu’il n’avait consulté des médecins qu’après ces événements. Comme l’a cité la Commission dans Peterson c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTEFP 29, la Cour suprême du Canada a déclaré dans Cie minière Québec Cartier c. Québec (Arbitre des griefs), [1995] 2 RCS 1095, au paragraphe 13, qu’un décideur ne peut se fonder sur la preuve d’événements subséquents que lorsqu’elle est pertinente quant aux questions dont il est saisi et qu’elle aide à clarifier le caractère raisonnable d’une décision au moment où elle a été prise. Si la suspension de 20 jours était justifiée au moment où la direction l’a imposée, la Commission ne peut pas se fonder sur des événements ultérieurs pour annuler cette suspension au seul motif que les événements subséquents rendent une telle annulation juste et équitable, de l’avis de la Commission.

[44] Dans le présent cas, la direction n’était au courant d’aucun problème médical au moment où elle a pris la décision d’imposer une suspension de 20 jours au fonctionnaire et, même si elle avait été au courant de tels problèmes, aucun renseignement médical ou diagnostic n’était disponible, car le fonctionnaire n’avait pas encore consulté un médecin. Rien dans les dossiers médicaux du fonctionnaire n’indique qu’un diagnostic se rapporte à la période de l’inconduite, et il n’y a aucun moyen de savoir si un tel diagnostic existait à ce moment‑là. L’administrateur général a cité Tobin c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 76, pour étayer la proposition selon laquelle la direction doit déterminer une mesure disciplinaire en fonction des meilleures preuves dont elle dispose à ce moment-là.

B. Principe des mesures disciplinaires progressives

[45] L’administrateur général a soutenu qu’il était tout à fait raisonnable de passer d’une suspension de 15 jours à une suspension de 20 jours. Les facteurs aggravants comprenaient le dossier disciplinaire du fonctionnaire (voir Riche c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2013 CRTFP 35, dans lequel un historique disciplinaire, dont aucun des incidents n’a été contesté, a été considéré comme un facteur aggravant).

[46] Le fonctionnaire avait eu neuf incidents disciplinaires et plus d’incidents d’inconduite (certains des avis de mesure disciplinaire faisaient renvoi à plus d’un incident). Aucun de ces incidents n’avait été contesté de quelque façon que ce soit.

[47] Bien que l’incident en litige n’ait été qu’un retard d’une heure, le fonctionnaire a reconnu que son absence aurait pu être d’une durée beaucoup plus longue s’il n’avait pas reçu l’appel du surintendant, car il ne savait pas qu’il était censé être au travail. La preuve indiquait clairement les répercussions opérationnelles d’un employé qui ne se présente pas au travail pour un quart et la raison pour laquelle cette omission est considérée comme une conduite inacceptable grave.

[48] Les facteurs atténuants ont été pris en considération, soit la durée du service du fonctionnaire, ses remords et surtout sa coopération pendant tout le processus. Les problèmes personnels et médicaux soulevés à l’audience en tant que facteurs atténuants possibles n’ont pas été soulevés avant l’audience devant la Commission et, par conséquent, la direction n’aurait pas pu les prendre en considération. Le fonctionnaire n’a témoigné d’aucun lien entre ses problèmes personnels et son omission de se présenter au travail. Il a répété à l’audience qu’il avait tout simplement mal compris l’horaire.

[49] L’administrateur général a fait valoir que le principe des mesures disciplinaires progressives avait été appliqué correctement et il a fait référence à Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 5e édition, au paragraphe 7:72 (Rehabilitative Potential), et en particulier au passage qui se lit, en partie, comme suit :

[Traduction]

[…] Selon la théorie, très simplement, en augmentant progressivement la sévérité des sanctions disciplinaires pour une inconduite persistante, l’employé sera encouragé à se réformer. Un tel système améliore l’équité et l’efficacité des mesures disciplinaires en tant qu’outil correctif en s’assurant que les employés ne sont pas punis plus sévèrement que nécessaire et ne sont pas pris par surprise. […]

 

[50] L’administrateur général a soutenu que les Lignes directrices concernant la discipline du Conseil du Trésor, les Conseils en matière de discipline à l’intention des gestionnaires de l’Agence et la Politique en matière de discipline de l’Agence portent tous sur l’idée des mesures disciplinaires progressives, c’est‑à‑dire que les mesures disciplinaires devraient être de plus en plus sévères. M. Long a également témoigné que les mesures disciplinaires n’ont pas pour but de punir, mais plutôt de corriger, et qu’il a appliqué le principe des mesures disciplinaires progressives.

[51] L’administrateur général a cité Reid‑Moncrieffe c. Administrateur général (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CRTFP 25, pour étayer la proposition selon laquelle le principe des mesures disciplinaires progressives signifie que des mesures disciplinaires de niveaux croissants peuvent être imposées dans le contexte de différents types d’inconduite. Dans cette affaire, Mme Reid‑Moncrieffe avait reçu une suspension de 25 jours pour des problèmes de conflit d’intérêts et de traitement préférentiel, puis une suspension de 30 jours pour avoir fait des appels interurbains à un coût minime. Elle a ensuite été licenciée en raison de deux omissions de se présenter au travail. Un arbitre de grief a fait remarquer que si les appels téléphoniques à bas prix avaient mené à la première mesure disciplinaire, les choses auraient été différentes, mais comme la dernière mesure disciplinaire qui lui avait été imposée était la suspension de 25 jours, il était impossible de conclure qu’une suspension de 30 jours était injustifiée. L’arbitre de grief a confirmé en outre l’une des deux absences comme justifiant le licenciement de Mme Reid‑Moncrieffe, et encore une fois, il a déclaré que même si cette inconduite ne justifiait pas à elle seule le licenciement, ayant confirmé la suspension de 30 jours, il était impossible de conclure que le licenciement était déraisonnable en tant qu’étape suivante.

[52] L’administrateur général a soutenu que, même si la dernière mesure disciplinaire imposée au fonctionnaire concernait une plainte présentée par un conducteur et non une omission de se présenter au travail, elle n’empêchait pas l’application du principe des mesures disciplinaires progressives. Il était raisonnable de passer d’une suspension de 15 jours à une suspension de 20 jours, car l’omission de se présenter au travail n’a pas eu lieu de façon isolée. Même si le fait de se présenter au travail une heure en retard pouvait être considéré comme n’étant pas grave (ce à quoi l’administrateur général ne souscrivait pas), la validité de la suspension dépendait de l’ensemble du dossier disciplinaire du fonctionnaire en plus de toute circonstance aggravante et atténuante.

[53] Entre 2009 et 2014, le fonctionnaire était passé d’une réprimande écrite à une suspension de 15 jours. En outre, il y avait eu plusieurs omissions de se présenter au travail et, le 2 mars 2015, une mesure disciplinaire d’un niveau plus élevé était justifiée parce que la mesure disciplinaire antérieure n’avait pas eu l’effet escompté.

IV. L’argumentation du fonctionnaire

A. Admissibilité des dossiers médicaux postérieurs aux mesures disciplinaires

[54] Selon la position du fonctionnaire, l’argument de l’administrateur général a laissé entendre que le désaccord entre les parties était plus ferme qu’il ne l’était réellement quant à la question de l’admissibilité de ses dossiers médicaux.

[55] Le fonctionnaire a reconnu que, sur le plan technique, la politique de communication préalable à l’audience de la Commission n’avait pas été respectée, mais il a soutenu qu’il s’était essentiellement conformé à cette politique en fournissant les documents à l’administrateur général dès que possible. De plus, l’administrateur général n’a allégué aucun préjudice particulier en conséquence.

[56] Comme dans Burchill, le fait que le fonctionnaire a éprouvé des problèmes personnels a été soulevé aux premier et troisième paliers de la procédure de règlement des griefs. Sa situation personnelle a été un facteur réel tout au long de la procédure de règlement des griefs, et la direction aurait dû lui accorder plus de poids.

[57] Cela dit, le fonctionnaire n’a pas présenté ses dossiers médicaux à titre de défense médicale. Il n’a pas soutenu qu’il était injuste de la part de la direction de lui imposer une mesure disciplinaire parce qu’il avait une incapacité. Il a plutôt simplement demandé à la Commission de tenir compte de sa situation personnelle difficile à l’époque, comme elle l’a fait dans Desjardins c. Administrateur général (Services partagés Canada) et Conseil du Trésor (Services partagés Canada), 2020 CRTESPF 43, lorsqu’elle a conclu que, naturellement, le fonctionnaire s’estimant lésé dans cette affaire n’était pas concentré sur la conformité parfaite à la lettre d’instruction de son employeur en raison de circonstances personnelles difficiles.

[58] Dans le présent cas, le fonctionnaire a offert ses dossiers médicaux seulement pour corroborer son témoignage sur sa situation personnelle et son état d’esprit à l’époque, afin d’aider la Commission à évaluer la culpabilité du comportement et, dans une certaine mesure, son dossier disciplinaire. Dans Cie minière Québec Cartier, un arbitre de grief a conclu qu’un employeur avait été justifié d’imposer une mesure disciplinaire en fonction des faits dont il disposait à l’époque, mais s’est néanmoins appuyé sur de nouveaux éléments de preuve pour annuler cette mesure disciplinaire. Ce n’est pas ce que l’on demande à la Commission dans le présent cas. Le fonctionnaire a demandé à la Commission de prendre en compte la preuve médicale en tant que facteur atténuant uniquement si elle conclut que la direction a imposé une mesure disciplinaire excessive et qu’il faut donc privilégier une mesure disciplinaire moins sévère.

[59] Le fonctionnaire a également fait remarquer que dans Tobin et Peterson, une preuve médicale postérieure à la mesure disciplinaire avait été admise. Dans Peterson, la Commission a expressément conclu que la preuve était pertinente et pouvait donc être prise en compte.

B. Principe des mesures disciplinaires progressives

[60] Le témoignage de M. Long était clair. À son avis, l’imposition de mesures disciplinaire va toujours dans un sens; on ne peut jamais imposer une mesure moins sévère que la dernière mesure disciplinaire qui a été imposée. Il estimait que la suspension antérieure de 15 jours imposée au fonctionnaire était déterminante. La suspension de 20 jours était la seule mesure disciplinaire qu’il a envisagé d’imposer parce qu’à son avis, il s’agissait de la prochaine étape. Il est impossible de concilier cela avec les déclarations écrites et le témoignage de M. Long selon lesquels il a pris en compte tous les facteurs aggravants et atténuants.

[61] Que signifie le fait de prendre en compte les facteurs aggravants et atténuants dans ce contexte? Certes, M. Long a pris en compte la durée du service et les remords du fonctionnaire, et il était particulièrement reconnaissant de la coopération du fonctionnaire dans le cadre du processus. Toutefois, aucun de ces facteurs n’a influencé sa décision. M. Long a effectivement limité son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur sa compréhension des politiques et des lignes directrices du Conseil du Trésor et de l’Agence; le principe des mesures disciplinaires progressives sur lequel il a fondé sa décision ne figure toutefois pas dans ces documents. Au contraire, le point de départ de l’évaluation de la mesure disciplinaire est toujours le comportement en soi, et les facteurs aggravants et atténuants sont pris en compte par la suite.

[62] Le fonctionnaire pouvait raisonnablement s’attendre à ce que le retard au travail soit considéré comme relativement moins grave que l’inconduite antérieure liée à une interaction directe avec un conducteur qui avait donné lieu à l’imposition d’une suspension de 15 jours. Le pouvoir discrétionnaire de la direction a été limité et, par conséquent, elle a écarté les facteurs atténuants et a accordé trop d’importance à un facteur aggravant (la suspension antérieure de 15 jours).

[63] L’avis de mesure disciplinaire concernant le retard au travail antérieur du fonctionnaire indique que tout comportement [traduction] « de cette nature » à l’avenir pourrait entraîner une mesure disciplinaire plus sévère, pouvant aller jusqu’au licenciement. Par conséquent, même dans ses communications avec le fonctionnaire, la direction a reconnu que les cloisons de conduite, même si elles ne sont pas étanches, indiquent que le point de départ est la nature de la conduite, et que la sévérité des mesures disciplinaires doit être ajustée en fonction de cela.

[64] En ce qui concerne les facteurs atténuants, le fonctionnaire était un employé de longue date et il était généralement reconnu comme un bon agent des services frontaliers. Il a fait preuve d’amélioration importante en ce qui concerne sa présence au travail conformément à son horaire depuis l’imposition de la mesure disciplinaire en octobre 2013 pour cinq omissions de se présenter au travail. Ces progrès témoignent de son potentiel de réadaptation. Il a éprouvé des remords et a été entièrement coopératif au cours de la procédure jusqu’à l’audience devant la Commission, y compris au cours de celle‑ci.

[65] L’incident du 2 mars 2015 n’était pas prémédité et, même si le fait qu’il avait été en retard sans raison valable soit grave dans l’abstrait, cet incident n’était pas grave dans les faits; aucune répercussion négative n’est survenue en conséquence, et il a été reconnu que le manque de personnel constitue un problème quotidien. De plus, la vie personnelle du fonctionnaire était perturbée de façon importante à l’époque, et même si elle n’excuse pas l’incident, elle peut et devrait être prise en compte.

[66] Le dossier disciplinaire du fonctionnaire constitue un facteur aggravant à prendre en compte, mais il ne s’agit pas d’un facteur déterminant. Toutes les mesures disciplinaires sévères étaient liées à des interactions avec des conducteurs. La suspension de 10 jours avait été suivie d’une suspension de deux jours pour cinq incidents d’omission de se présenter au travail. La mesure disciplinaire imposée pour l’incident du 2 mars 2015 aurait dû augmenter principalement à partir de cette suspension de deux jours. De plus, la durée de cette suspension laisserait entendre que la mesure disciplinaire appropriée pour l’incident actuel devrait être une suspension d’un ou de deux jours ou peut‑être une réprimande écrite compte tenu des facteurs atténuants.

V. Motifs

[67] La décision rendue dans Canadian Food and Allied Workers Union, Local P‑162 v. Wm. Scott & Company Ltd. (1976), [1977] 1 Canadian LRBR 1 (BC LRB) (« Wm. Scott & Company Ltd. »), qui portait sur un licenciement disciplinaire, ainsi que de nombreuses décisions qui ont suivi et qui l’ont appliquée aux mesures disciplinaires, ont établi que la Commission doit poser trois questions distinctes lorsqu’elle analyse un grief disciplinaire :

1. La conduite de l’employé justifiait-elle l’imposition d’une mesure disciplinaire?

2. Le cas échéant, la mesure disciplinaire imposée était‑elle excessive?

3. Si elle était excessive, quelle autre mesure devrait la remplacer?

 

[68] À la page 4, Wm. Scott & Company Ltd. fournit une liste (non exhaustive, mais néanmoins utile) de facteurs à prendre en compte pour répondre aux deux premières questions. Elle indique qu’il faut tenir compte de la gravité du comportement, déterminer s’il était prémédité ou spontané, si l’employé avait un bon dossier de service de longue date, si une mesure disciplinaire progressive avait été tentée et si la mesure disciplinaire était conforme aux politiques établies de l’employeur ou si l’employé a été traité différemment en raison d’une sanction très sévère.

[69] Le fardeau de la preuve incombe à l’administrateur général dans la présente affaire. Toutefois, le fonctionnaire a reconnu que son omission de se présenter au travail constituait une inconduite qui justifiait l’imposition d’une mesure disciplinaire. Par conséquent, l’administrateur général devait établir uniquement que la mesure disciplinaire qu’il a imposée pour l’inconduite n’était pas excessive. La tâche de la Commission consiste à déterminer si la mesure disciplinaire était excessive et, le cas échéant, quelle autre mesure pourrait la remplacer.

A. Décision sur l’admissibilité de la preuve médicale postérieure aux mesures disciplinaires

[70] Le fonctionnaire a témoigné au sujet de problèmes personnels et médicaux pour lesquels il a demandé de l’aide après avoir reçu la suspension de 20 jours pour l’incident du 2 mars 2015. Il a cherché à présenter ses dossiers médicaux. L’administrateur général s’est opposé à leur admissibilité pour plusieurs motifs, tels qu’ils ont été décrits plus haut dans la décision. J’ai entendu la preuve médicale, sous réserve qu’elle soit officiellement admise en preuve devant moi, et j’ai réservé ma décision quant à son admissibilité.

[71] L’administrateur général a soutenu que la communication tardive des dossiers médicaux du fonctionnaire a contrevenu aux exigences de la Commission en matière de communication préalable à l’audience et a nui à la capacité de l’administrateur général de préparer ses arguments, soulevant ainsi une question d’équité procédurale. Il a demandé à la Commission d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour refuser d’admettre la preuve pour ce motif. Je fais toutefois remarquer que l’administrateur général n’a allégué aucun préjudice particulier qu’il a subi en conséquence et qu’il aurait pu traiter tout élément de surprise en demandant un ajournement court ou long. Afin de veiller à ce que le fonctionnaire ait la possibilité de présenter tous les renseignements possiblement pertinents à la Commission, je ne déclarerai pas la preuve irrecevable pour une simple violation technique des exigences en matière de communication.

[72] Je ne suis pas d’accord avec l’administrateur général pour dire que le fonctionnaire a contrevenu au principe établi dans Burchill et a tenté de modifier la nature du grief après son renvoi à l’arbitrage. Il s’agit d’un grief disciplinaire et il incombe à l’administrateur général de justifier le caractère approprié de la mesure disciplinaire. De plus, l’administrateur général a été informé de l’existence de problèmes personnels possiblement pertinents aux premier et troisième paliers de la procédure de règlement des griefs. Même si le fonctionnaire n’a pas communiqué de détails à ce moment‑là, la direction a été avertie et l’administrateur général ne peut pas avoir été pris par surprise lorsque ces problèmes ont été soulevés à nouveau à l’arbitrage.

[73] L’administrateur général a fait valoir que les dossiers médicaux du fonctionnaire constituent une preuve par ouï‑dire et qu’ils sont incomplets, manquent de contexte et ne sont pas vérifiés sans le témoignage d’un médecin à leur égard. Le fonctionnaire a soutenu qu’il n’a pas cherché à les présenter pour établir une défense médicale contre son inconduite, mais seulement pour corroborer son témoignage et aider la Commission à considérer sa situation personnelle comme un facteur atténuant, si elle décide qu’une mesure disciplinaire moins sévère serait appropriée. Je conviens que les dossiers médicaux du fonctionnaire constituent du ouï‑dire. Étant donné que la preuve par ouï‑dire est admissible dans le cadre d’une audience administrative, je ne déclare pas les dossiers médicaux irrecevables pour cette raison, même si je fais remarquer qu’ils ne seraient pas utiles à la Commission sans un témoignage explicatif et contextuel.

[74] Toutefois, je suis d’accord avec l’administrateur général pour dire que les dossiers ne sont pas pertinents puisqu’ils n’ont pas trait à la période entourant l’incident du 2 mars 2015. Même si le témoignage du fonctionnaire a laissé entendre un lien entre ce qu’il a vécu à ce moment‑là et ce que les professionnels de la santé ont enregistré lorsqu’il a demandé tardivement un traitement, il s’agit au mieux d’un lien ténu. J’estime que les dossiers médicaux du fonctionnaire ne sont pas suffisamment pertinents pour être admis en preuve et, par conséquent, j’accueille l’objection de l’administrateur général pour ce motif. Par conséquent, les dossiers médicaux du fonctionnaire ne font pas partie du dossier de la Commission relatif à la présente procédure. Je fais remarquer en outre que même s’ils devaient être admis, le poids qui pourrait leur être accordé serait minime sans le témoignage d’un médecin permettant d’établir un lien entre les renseignements qu’ils contiennent et la période en litige.

[75] Le directeur exécutif du Secrétariat de la Commission veillera à ce qu’aucune copie des dossiers médicaux du fonctionnaire (désignés provisoirement comme pièces 3 et 4 lors de l’audience tenue du 14 au 16 juin 2022) ne soit conservée dans les dossiers de la Commission relatifs à la présente procédure.

B. Le caractère inapproprié de l’approche par échelons fixes

[76] Le fonctionnaire avait un dossier disciplinaire volumineux lorsque l’incident d’omission de se présenter au travail est survenu le 2 mars 2015. Il avait fait l’objet de mesures disciplinaires progressives et avait reçu plusieurs réprimandes écrites, ainsi que des suspensions de deux, de cinq, de 10 et de 15 jours. Il est ressorti clairement de la preuve que la dernière suspension de 15 jours était la raison pour laquelle il a reçu une suspension de 20 jours en raison d’une inconduite qui, même si elle était grave, n’était pas assez grave en soi pour justifier une sanction aussi sévère.

[77] M. Long a été franc dans son témoignage selon lequel il a imposé une suspension de 20 jours parce que le fonctionnaire avait déjà fait l’objet d’une suspension de 15 jours, même si elle n’avait pas été imposée pour une omission de se présenter au travail. M. Long a reconnu que les mesures disciplinaires n’avaient pas été imposées de cette façon dans le passé. Toutefois, il a témoigné que sa compréhension du principe des mesures disciplinaires progressives, tel qu’il est décrit dans les politiques et lignes directrices applicables, exigeait une telle approche. Il a estimé que la suspension de 15 jours antérieure constituait le facteur déterminant de la sévérité de la mesure disciplinaire à imposer.

[78] M. Long a dit qu’il y avait une souplesse pour sauter des étapes; par exemple, pour un comportement inacceptable très grave, une suspension de 10 jours pourrait être imposée en l’absence de tout dossier disciplinaire. Par conséquent, selon lui, la seule autre possibilité qui s’offrait à lui aurait été de sauter une étape et d’imposer une suspension de 25 ou de 30 jours, mais il ne voyait pas la nécessité de le faire dans les circonstances.

[79] Même s’il aurait pu choisir une mesure disciplinaire plus sévère, M. Long ne croyait pas qu’il pouvait aller dans l’autre sens, soit imposer une mesure disciplinaire moins sévère que la dernière mesure disciplinaire imposée. Il n’a pas non plus estimé qu’il pouvait imposer une suspension de la même durée que celle de la mesure disciplinaire antérieure, soit une autre suspension de 15 jours. Les demi‑étapes n’étaient pas non plus possibles; par exemple, il ne pensait pas pouvoir imposer une suspension de 16 jours. Même si des suspensions d’un et de deux jours étaient disponibles aux échelons inférieurs de l’échelle disciplinaire, les échelons supérieurs augmentaient à raison de cinq jours, et la prochaine étape ne pouvait que correspondre à 20 jours.

[80] L’interprétation de M. Long des mesures disciplinaires progressives est appelée l’approche par échelons fixes. Une mesure disciplinaire est déterminée en passant simplement à la prochaine étape de l’échelle disciplinaire, quelle que soit la nature ou la gravité du comportement. Ce genre d’approche disciplinaire a depuis longtemps été rejetée, même lorsqu’elle est exigée par la politique de l’employeur. Toutefois, une telle approche n’est pas exigée dans le présent cas. Même si M. Long avait clairement mal compris, les politiques et lignes directrices applicables n’exigent pas ni ne laissent entendre une approche par échelons fixes.

[81] Par exemple, les Lignes directrices concernant la discipline du Conseil du Trésor énoncent ce qui suit :

[…]

4. Détermination de la mesure disciplinaire appropriée

Chaque incident d’inconduite présumée est examiné sur une base individuelle. Compte tenu des circonstances, de l’avis de la direction, quelles mesures s’imposent pour corriger le comportement indésirable? Les mesures disciplinaires ne doivent pas être punitives. […]

Des circonstances atténuantes, comme la durée du service de l’employé, son dossier antérieur, la gravité de l’infraction et les circonstances particulières de chaque cas peuvent justifier des variations dans la réaction de la direction à des infractions apparemment semblables. Quelle que soit la réaction, les mesures disciplinaires sont fonction de la nature de l’infraction, des circonstances et de tout facteur atténuant. […]

5. Souplesse et application de mesures disciplinaires

Il est recommandé d’éviter des formules de correspondance rigides entre les infractions et les mesures disciplinaires. Une mesure disciplinaire de plus en plus sévère peut être justifiée en cas d’inconduites répétées.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[82] De même, les Conseils en matière de discipline à l’intention des gestionnaires de l’Agence énoncent ce qui suit :

[…]

Souplesse et application de mesures disciplinaires

La correspondance rigide entre les infractions et les mesures disciplinaires devrait être évitée. Une mesure disciplinaire de plus en plus sévère est justifiée en cas d’inconduites répétées ou pour un seul acte d’inconduite grave.

Détermination de la mesure disciplinaire appropriée

Chaque incident d’inconduite présumée doit être examiné au cas par cas. Compte tenu des circonstances, de l’avis du gestionnaire, quelles mesures s’imposeraient pour corriger le comportement inacceptable? L’application de mesures disciplinaires ne devrait pas être de nature punitive, mais plutôt de corriger. […]

Des circonstances atténuantes et les circonstances particulières de chaque cas peuvent justifier des variations dans la réaction du gestionnaire à des infractions apparemment semblables. […]

[…]

[Je mets en évidence]

 

[83] Le chapitre 4 du Code de conduite de l’Agence, intitulé « Mesures disciplinaires et règlement des questions liées au Code de conduite », énonce ce qui suit : « Les décisions portant sur les mesures disciplinaires seront prises au cas par cas après avoir tenu compte de la nature de l’infraction et de la gravité de l’inconduite. » [Je mets en évidence]

[84] Ces politiques et lignes directrices communiquent clairement qu’elles ne sont pas fondées sur une approche par échelons fixes et qu’elles n’exigent pas une telle approche. Au contraire, elles soulignent que la détermination d’une mesure disciplinaire appropriée doit être effectuée au cas par cas et doit être fondée sur la nature de l’infraction et les circonstances particulières de chaque situation. Elles ne laissent pas entendre non plus que les suspensions doivent se produire par étapes prédéterminées d’un, de deux, de cinq, de 10, de 15, de 20, de 25 et de 30 jours, quelle que soit la nature du comportement.

[85] L’administrateur général a souligné que les politiques et lignes directrices applicables font renvoi aux mesures disciplinaires « par ordre croissant de sévérité ». Il est vrai que le document Lignes directrices concernant la discipline du Conseil du Trésor indique au début de sa section de définitions ce qui suit : « Par ordre croissant de sévérité, les mesures disciplinaires sont les suivantes […] ». Il énumère et définit ensuite les différents types de mesures disciplinaires qui peuvent être imposées, dans l’ordre suivant : réprimande verbale, réprimande écrite, suspension, sanction pécuniaire, rétrogradation et licenciement. Toutefois, cela explique simplement que l’ordre dans lequel elles sont énumérées indique leur sévérité relative, conformément à ce que l’employeur comprend. Une réprimande écrite vient après une réprimande verbale sur la liste parce qu’elle est considérée comme une mesure disciplinaire plus sévère. La Politique de l’ASFC en matière de discipline reproduit la même liste de mesures disciplinaires dans sa section de définitions pour indiquer, selon leur placement dans la liste, la façon dont l’Agence perçoit leur sévérité relative.

[86] Rien dans ces politiques et lignes directrices ne limite les options de la direction pour déterminer la durée d’une suspension en laissant entendre qu’elle doit toujours être plus longue que la dernière ou qu’elle doit augmenter par un échelon précis. Les politiques et les lignes directrices n’indiquent rien qui laisse entendre une approche par échelons fixes, mais même si c’était le cas, comme le font les politiques de certains employeurs, il s’agirait clairement d’une application incorrecte du principe des mesures disciplinaires progressives. Le caractère proportionnel d’une mesure disciplinaire doit toujours être évalué à la lumière de la nature et des circonstances particulières entourant le comportement qui doit changer.

[87] La décision rendue dans United Steel Workers of America, Local 5795 v. Iron Ore Company of Canada (2015), 262 L.A.C. (4th) 400 (NL) (« Iron Ore »), portait sur les répercussions d’une politique disciplinaire par échelons fixes d’un employeur. Même si les politiques et lignes directrices applicables à l’Agence ne prévoient aucune exigence relative à une approche par échelons fixes, M. Long a eu l’impression qu’elles l’exigeaient. Par conséquent, l’analyse dans Iron Ore est pertinente au présent cas. Dans Iron Ore, un arbitre a examiné plusieurs décisions antérieures et analysé l’affaire dont il était saisi comme suit :

[Traduction]

[…]

122 L’arbitre Oakley, dans Iron Ore Co. of Canada and USW, Local 5795 (Winters), Re, (Lorne Winters), fait remarquer que la politique sur les mesures disciplinaires progressives de l’employeur n’exige pas l’imposition de la sanction à la prochaine étape du système de mesures disciplinaires progressives. Il a également fait remarquer qu’un arbitre n’est pas lié par la politique sur les mesures disciplinaires progressives lorsqu’il examine la sanction. Dans ce cas, il a refusé de confirmer le congédiement du plaignant, même si ce dernier avait franchi l’étape 4.

123 Brown et Beatty indiquent à la p.7‑167 de leur texte que, généralement, les arbitres examinent les antécédents d’emploi dans lesquels l’employé persiste dans le même genre d’inconduite plus sérieusement que ceux qui sont marqués par une série d’infractions différentes. Dans un cas extrême, l’inconduite antérieure peut être si mineure et/ou si différente de l’incident final culminant qu’elle ne peut pas compter du tout contre l’employé.

124 Dans Calgary (City) v. C.U.P.E., Local 37 (2010), 196 L.A.C. (4th) 225 (Alta. Arb.) (Tettensor), il a été énoncé que nonobstant le système de mesures disciplinaires progressives par échelons fixes de l’employeur (c.‑à‑d. la prochaine étape du système est appliquée même s’il s’agit d’une inconduite non liée), les arbitres devraient tenir compte des circonstances particulières pour déterminer si la mesure disciplinaire est raisonnable.

125 L’arbitre dans ce cas a écrit, en faisant référence à la décision de l’arbitre Adams dans l’affaire Livingston Industries Ltd., ce qui suit : « [I]l a indiqué que ces modèles offrent une certitude aux parties, leur permettent de réglementer leurs affaires sans la nécessité d’une intervention arbitrale excessive ». Il a également reconnu qu’Adams énonçait également que « les employeurs sont limités par l’exigence légale d’un motif valable et juste ».

126 Il en est certainement ainsi pour les arbitres et, à mon avis, on ne doit jamais perdre de vue le fait que le système est une élaboration de la direction, et non des parties, et que nous ne traitons pas d’un élément enchâssé dans la convention collective.

127 Dans Calgary (City) v. C.U.P.E., Local 37, il y a un autre renvoi à Livingston Industries Ltd. et l’arbitre fait remarquer qu’il est énoncé ce qui suit : « [L]e système ne peut pas être déterminant quant au résultat. Les arbitres sont tenus de prendre en considération les circonstances particulières de l’inconduite pour déterminer si la mesure disciplinaire relève de la gamme des réponses disciplinaires raisonnables de l’employeur. »

128 L’arbitre dans Calgary (City) v. C.U.P.E., Local 37 a fait remarquer dans le cas dont il était saisi que la Ville se réservait le droit de passer outre une étape lorsque cette mesure est justifiée par la nature de l’inconduite. À son avis, l’approche par échelons fixes devrait également être nuancée lorsque les circonstances le justifient.

129 Je suis d’accord.

[…]

132 Même si la politique énonce que des violations de différentes règles seront considérées comme des violations répétées de la même règle aux fins des mesures disciplinaires progressives, en ce sens qu’elles démontrent un modèle d’inconduite, je conclus qu’un respect aveugle et inflexible à cet égard n’est pas approprié lorsqu’il s’agit de corriger un comportement.

133 Le problème à régler dans la présente affaire était l’absentéisme. Le fait de ne pas appeler à temps y était clairement lié. Une infraction liée à la ceinture de sécurité ne l’était pas. Même s’il ne faut pas écarter entièrement l’infraction liée à la ceinture de sécurité, je suis d’avis qu’on ne peut pas et ne devrait pas lui accorder le même poids que si cette suspension d’un jour avait concerné l’absentéisme ou l’omission de fournir un préavis de son absence.

134 Le niveau de discipline imposé en mars aurait dû, à mon avis, refléter le fait qu’on ne lui imposait des mesures disciplinaires que pour ne pas avoir donné un préavis d’une heure qu’il allait être absent pour son quart et non pas pour un absentéisme injustifié. Il aurait dû aussi, à mon avis, refléter que sa suspension antérieure ne concernait pas l’absentéisme ou l’omission de fournir un préavis en temps opportun, mais une chose complètement différente.

[…]

138 Dans Etobicoke General Hospital v. O.N.A., 1977 CarswellOnt 702 (Ont. Arb.), la majorité d’une commission présidée par l’arbitre Brandt a fait la distinction entre l’importance d’un dossier pour une infraction n’ayant aucun lien avec l’infraction commise à l’occasion de l’incident culminant et un qui était lié et, parce que l’infraction n’était pas liée, l’incident culminant a été traité de manière indépendante.

139 Le fait que les répercussions sont tout aussi importantes sur l’employeur si une personne ne fournit pas un préavis que celles où une personne ne donne pas de préavis et est également absente sans justification, et le fait que la violation concernant la ceinture de sécurité ne devrait pas être entièrement écartée, sont, à mon avis, traités de manière adéquate par une suspension de trois (3) jours, l’apogée de l’étape 3 des mesures disciplinaires. Il s’agissait d’une mesure disciplinaire plus sévère que la suspension d’un jour qui avait été imposée antérieurement.

[…]

 

[88] Comme il est cité dans Iron Ore, un arbitre dans Canadian Union of Public Employees, Local 37 v. Calgary (City), 2010 CanLII 96455 (AB GAA), a également abordé cette question dans un cas où un employeur avait une politique disciplinaire à échelons fixes en vigueur, comme suit :

[Traduction]

[…]

110 […] Même si j’accepte que les arbitres devraient accorder un certain poids à un système de mesures disciplinaires progressives d’un employeur pour les motifs énoncés dans l’affaire Livingston, j’accepte également, comme l’a énoncé l’arbitre Adams, que le système ne peut pas être déterminant du résultat. Nous sommes tenus de prendre en considération les circonstances particulières de l’inconduite pour déterminer si la mesure disciplinaire relève de la gamme des réponses raisonnables de l’employeur. La Ville se réserve le droit de passer outre une étape lorsque la nature de l’inconduite le justifie. À mon avis, l’approche par échelons fixes devrait également être nuancée lorsque les circonstances le justifient.

111 […] en prenant toutes les circonstances de l’espèce en considération, je suis d’avis que l’imposition d’une sanction qui met un employé de vingt‑cinq (25) ans à une (1) étape du licenciement, ce qui, selon l’approche par échelons fixes, pourrait être une inconduite relativement mineure, pour avoir appelé en retard, est excessive et offense mon sens de la justice et de l’équité. À mon avis, une réponse raisonnable aurait été l’imposition d’une autre suspension de deux (2) jours.

[…]

 

[89] M. Long semblait avoir beaucoup d’empathie pour le fonctionnaire et était bien au courant de son obligation de déterminer et de prendre en considération toutes les circonstances atténuantes. Sa première réponse après avoir été informé de l’incident a été de demander s’il y avait peut‑être eu un changement de quart qui aurait pu expliquer l’omission du fonctionnaire de se présenter au travail. Lorsqu’il a imposé la suspension de 20 jours, il a retardé son début jusqu’après un jour férié à venir, de sorte que le fonctionnaire ne perdrait pas la rémunération du jour férié. Il était clair que M. Long a abordé l’affaire et le fonctionnaire de bonne foi et avec la ferme intention de parvenir à une décision juste. Toutefois, à mon avis, il a mal interprété et mal appliqué le principe des mesures disciplinaires progressives et les politiques et lignes directrices applicables.

[90] En fait, il semble que l’Agence ait pu mal appliquer le principe des mesures disciplinaires progressives et les politiques et lignes directrices applicables avant même que le dossier ne soit transmis à M. Long. Il est ressorti de la preuve que, dans le cours normal des choses, M. Marschner aurait conservé le dossier jusqu’à son achèvement. À titre de surintendant, il aurait déterminé et imposé la mesure disciplinaire, s’il s’agissait d’une suspension de cinq jours ou moins. Il a été déterminé à un moment donné que la suspension serait certainement de plus de cinq jours et, par conséquent, le dossier lui a été retiré et transmis à M. Long. Toutefois, ni l’un ni l’autre ne savait ni ne se rappelait exactement comment ou par qui cette décision avait été prise. Ils ont tous deux supposé qu’elle découlait probablement d’une discussion que M. Marschner aurait eue avec un représentant des relations de travail, qu’il aurait consulté dans le cours normal des choses.

[91] Cette lacune dans la preuve laisse entendre que la décision selon laquelle la mesure disciplinaire serait certainement plus sévère qu’une suspension de cinq jours a été prise avant que quelqu’un ne décide quelle serait la mesure disciplinaire. De plus, ni M. Long ni M. Marschner n’a pris cette décision, mais quelqu’un d’autre l’a prise ou l’a recommandée. Par conséquent, il est plus probable que M. Long n’ait pas été le seul à avoir mal compris le principe des mesures disciplinaires et les politiques et lignes directrices applicables.

[92] La personne qui a déterminé la sévérité de la mesure disciplinaire l’a fait avant que M. Marschner ait eu la possibilité de prendre sa propre décision après avoir pris en compte toutes les circonstances et les facteurs atténuants et aggravants. M. Marschner a témoigné qu’il avait participé à l’enquête et qu’il avait transmis les renseignements obtenus de celle‑ci, mais qu’il ne se rappelait pas avoir formulé des recommandations au sujet de la mesure disciplinaire. Par conséquent, il est plus probable que la décision de renvoyer la question à l’échelle supérieure ait été fondée sur la même hypothèse que celle de M. Long, à savoir que le principe des mesures disciplinaires progressives devrait être appliqué par échelons fixes, simplement en fonction de la sévérité de la dernière mesure disciplinaire imposée.

C. Le caractère proportionnel de la mesure disciplinaire imposée

[93] Je souligne à nouveau la liste de facteurs à prendre en considération établie dans Wm. Scott & Company Ltd. Comme je l’ai déjà mentionné, cette liste n’est pas exhaustive, mais elle est néanmoins utile. Le premier facteur énuméré est la gravité du comportement en cause, qui doit être prise en considération avant tout.

[94] Si le comportement du fonctionnaire avait été une interaction négative avec un voyageur ou un camionneur, comportement pour lequel il avait déjà fait l’objet de suspensions de cinq, de 10 et de 15 jours, alors une suspension de 20 jours n’aurait peut-être pas été excessive, selon, bien sûr, toutes les circonstances et les facteurs atténuants et aggravants. Il ne s’agissait toutefois pas d’une interaction négative avec un voyageur. Même s’il n’y a aucun doute que l’omission de se présenter au travail constitue un problème grave qui peut avoir une incidence négative sur la sécurité et l’efficacité opérationnelles, elle n’est tout simplement pas dans la même catégorie que les interactions négatives avec les conducteurs.

[95] Le fonctionnaire avait également eu des incidents antérieurs d’omission de se présenter au travail, mais le dernier (le 27 août 2013) s’était produit presque deux ans avant l’incident du 2 mars 2015. De plus, même si les deux témoins cités par l’administrateur général, et même le fonctionnaire dans une certaine mesure, ont témoigné au sujet de la gravité d’une omission de se présenter au travail dans le contexte des services frontaliers, la meilleure preuve de la gravité relative de ce comportement est la mesure disciplinaire antérieure qui a été imposée au fonctionnaire à cet égard, soit une suspension combinée de deux jours pour cinq incidents distincts.

[96] Il est également révélateur que la direction ait attendu que cinq incidents de ce genre se soient accumulés sur une période de deux ans avant d’imposer une mesure disciplinaire à leur égard. Le fonctionnaire a fait l’objet d’une mesure disciplinaire en octobre 2013 pour des omissions de se présenter au travail en 2011, en 2012 et bien avant en 2013. Cette situation laisse entendre que si le cinquième incident n’avait pas eu lieu, les quatre premières omissions de se présenter au travail n’auraient probablement pas entraîné une mesure disciplinaire du tout.

[97] De plus, il a reçu cette suspension de 2 jours après avoir fait l’objet des suspensions de cinq et de 10 jours pour des problèmes plus graves. Évidemment, comme l’a reconnu M. Long, la direction n’avait pas appliqué auparavant des mesures disciplinaires progressives par échelons fixes.

[98] Dans ces circonstances, le principe des mesures disciplinaires progressives serait correctement appliqué en prenant en considération principalement la suspension combinée antérieure de deux jours pour les cinq incidents similaires distincts d’omission de se présenter au travail et de progresser à partir de cela, plutôt que commencer par la suspension de 15 jours qui avait été imposée pour un comportement très grave d’une nature entièrement différente.

[99] Toutefois, cela ne signifie pas que la mesure disciplinaire progressive dicterait simplement de passer à la prochaine étape après la suspension combinée de deux jours pour cinq omissions distinctes de se présenter au travail sans prendre en considération les mesures disciplinaires antérieures imposées pour un autre comportement plus grave. Le fonctionnaire a laissé entendre que si cinq incidents semblables distincts avaient entraîné une suspension combinée de deux jours, la discipline proportionnelle pour l’incident du 2 mars 2015 serait une suspension d’un ou de deux jours, ou peut‑être même une réprimande écrite. Je ne suis pas de cet avis.

[100] Même si un dossier disciplinaire volumineux pour une conduite de nature différente ne constitue pas automatiquement le point de départ, il ne devrait pas non plus être complètement écarté. La jurisprudence indique clairement que, même si des mesures disciplinaires ne doivent pas être imposées par échelons fixes, il ne faut pas ignorer les mesures disciplinaires antérieures pour différents types de comportements, mais plutôt être considérées comme un facteur aggravant, le cas échéant.

[101] Aucun des témoins de l’administrateur général n’a témoigné que le fonctionnaire n’était pas un bon employé. Au contraire, M. Marschner a dit qu’il était un bon agent. Néanmoins, le fait reste qu’il avait un dossier disciplinaire volumineux qui ne peut être ignoré simplement parce qu’il consistait en grande partie d’un comportement de nature différente de celui de l’omission de se présenter au travail. Les interactions négatives du fonctionnaire avec les voyageurs et les conducteurs, les violations concernant les armes à feu, l’omission de comparaître devant le tribunal et les critiques publiques à l’égard de l’Agence ne donnent pas une image d’un employé qui se souciait beaucoup de son travail, qui prenait les mesures disciplinaires au sérieux ou qui avait appris de ses erreurs. Le fonctionnaire a témoigné qu’il n’avait pas contesté le comportement sous‑jacent qui avait donné lieu à ces mesures disciplinaires antérieures et que, même s’il avait pu ne pas souscrire à certains détails, il a confirmé qu’il avait choisi de ne pas les contester.

[102] Par conséquent, j’ai considéré le dossier disciplinaire volumineux du fonctionnaire comme un facteur aggravant important. J’ai également pris en considération les facteurs atténuants que la direction a pris en considération : la durée du service du fonctionnaire, ses remords et sa coopération pendant le processus.

[103] Même si je n’ai pas admis en preuve les dossiers médicaux du fonctionnaire, j’ai tenu compte du témoignage du fonctionnaire au sujet de ses problèmes personnels et médicaux. Toutefois, le fonctionnaire n’a établi aucun lien entre ces problèmes et son omission de se présenter au travail le 2 mars 2015. Par exemple, même s’il a obtenu un diagnostic de trouble du sommeil beaucoup plus tard, et même s’il a témoigné avoir eu des difficultés à dormir à l’époque, il n’a pas laissé entendre que son omission de se présenter au travail le 2 mars 2015 découlait de ces difficultés. Il a dit qu’il avait tout simplement mal compris l’horaire, soit en lisant la mauvaise section de l’horaire principal, soit en la copiant incorrectement dans son livre.

[104] Même s’il n’est pas difficile de comprendre que les circonstances personnelles du fonctionnaire ont fait que sa vie était fortement désorganisée et que cela pouvait avoir contribué à la probabilité qu’il fasse une erreur à l’égard de son horaire de travail, aucune preuve n’a permis d’établir un tel lien, pas même sa propre explication de ce qui s’est passé le 2 mars 2015.

[105] Par conséquent, compte tenu de la nature de la conduite du fonctionnaire le 2 mars 2015, de la difficulté opérationnelle que cette conduite peut créer, des facteurs atténuants de remords et de coopération, ainsi que du facteur aggravant d’un dossier disciplinaire volumineux, je conclus que la suspension de 20 jours était excessive. Une suspension de quatre jours sera substituée à titre de réponse disciplinaire appropriée.

VI. Ordonnance de confidentialité

[106] Le fonctionnaire a demandé une ordonnance de confidentialité à l’égard de ses dossiers médicaux, compte tenu des renseignements personnels et médicaux de nature délicate qu’ils contiennent. Ces documents ont été désignés provisoirement comme pièces 3 et 4 lors de l’audience, en attendant ma décision sur leur admissibilité. Ils n’ont pas été déposés officiellement en preuve. Étant donné que j’ai accueilli l’objection de l’administrateur général quant à leur admissibilité et déclaré qu’ils ne font pas partie du dossier de la Commission relatif à la présente procédure, la demande du fonctionnaire d’une ordonnance de confidentialité est théorique.

[107] Pour sa part, l’administrateur général a demandé une ordonnance de confidentialité concernant la pièce 2 (l’horaire de travail du fonctionnaire) en raison de préoccupations en matière de sécurité si les renseignements sur le processus d’établissement des horaires des agents des services frontaliers devaient être rendus publics.

[108] Les demandes d’ordonnance de confidentialité doivent être examinées et analysées dans le contexte du principe de transparence judiciaire, principe fondamental qui s’applique à toutes les audiences de la Commission. Dans Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25, au paragraphe 38, la Cour suprême du Canada a reformulé l’analyse juridique applicable afin d’exiger de la partie qui demande une ordonnance de confidentialité qu’elle établisse que :

1) la publicité des débats judiciaires pose un risque sérieux pour un intérêt public important;

2) l’ordonnance sollicitée est nécessaire pour écarter ce risque sérieux pour l’intérêt mis en évidence, car d’autres mesures raisonnables ne permettront pas d’écarter ce risque; et

3) du point de vue de la proportionnalité, les avantages de l’ordonnance l’emportent sur ses effets négatifs.

 

[109] La Cour a fait remarquer que cette nouvelle formulation préserve l’essence du critère Dagenais/Mentuck (voir Dagenais c. Société Radio‑Canada, [1994] 3 RCS 835, et R. c. Mentuck, 2001 CSC 76), qui a été redéfini dans Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41.

[110] La Commission a examiné des demandes de confidentialité liées à la sécurité dans divers contextes. Par exemple, dans Douglas c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2020 CRTESPF 51, on a demandé à la Commission de mettre sous scellés les pièces qui avaient été déposées pour démontrer l’installation physique des fonctionnaires s’estimant lésés relativement à des mesures d’adaptation. Il s’agissait de photographies et d’un plan d’étage d’un établissement correctionnel fédéral et la demande de les mettre sous scellés était fondée sur des préoccupations de sécurité. Citant le critère Dagenais/Mentuck tel que redéfini dans Sierra Club, la Commission a conclu ce qui suit :

[64] La Commission adhère au principe de transparence judiciaire dans ses audiences et sa prise de décisions. Ses dossiers sont accessibles au public. Cependant, certaines situations justifient une ordonnance de confidentialité. […]

[65] Le maintien de la sécurité d’un pénitencier constitue une préoccupation valable qui l’emporte sur l’intérêt du public pour les procédures. […] Rendre ces documents publics pourrait engendrer un risque pour l’Établissement Nova. Les photographies et le plan d’étage constituent la pièce E‑2, qui doit être mise sous scellés.

 

[111] Le fait d’assurer la sécurité à la frontière constitue un intérêt public important et j’accepte, selon la prépondérance des probabilités, que l’accès du public à l’horaire de travail du fonctionnaire, c’est‑à‑dire à l’horaire de travail d’un agent des services frontaliers au port d’entrée du pont Blue Water, représente un risque sérieux pour la sécurité de la frontière. J’estime que le fait de protéger l’horaire de travail du fonctionnaire de l’accès public, et rien de moins, empêcherait un risque pour la sécurité de la frontière. Par conséquent, la mise sous scellés de l’horaire de travail du fonctionnaire constitue la seule option raisonnable dont dispose la Commission. À mon avis, l’effet bénéfique de la mise sous scellés de l’horaire de travail du fonctionnaire dans ces circonstances l’emporte considérablement sur l’effet négatif sur le droit du public d’avoir accès au dossier de la Commission dans la présente affaire.

[112] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VII. Ordonnance

[113] L’objection de l’administrateur général à l’admissibilité en preuve des dossiers médicaux du fonctionnaire est accueillie et je déclare qu’ils ne font pas partie du dossier de la Commission relatif à la présente procédure.

[114] J’ordonne au directeur exécutif du Secrétariat de la Commission de veiller à ce qu’aucune copie des dossiers médicaux du fonctionnaire (désignés provisoirement comme pièces 3 et 4 lors de l’audience tenue du 14 au 16 juin 2022) ne soit conservée dans les dossiers de la Commission relatifs à la présente procédure.

[115] La suspension de 20 jours est remplacée par une suspension de quatre jours.

[116] J’ordonne à l’administrateur général de verser au fonctionnaire le salaire et les avantages sociaux des 16 jours auxquels il aurait eu droit sans la suspension de 20 jours, moins les retenues habituelles.

[117] La pièce 2 (l’horaire de travail du fonctionnaire) est mise sous scellés.

[118] Je demeurerai saisie pendant 60 jours à compter de la date de la présente décision pour toute question liée au calcul des montants dus en vertu du paragraphe 116 de la présente décision.

Le 17 novembre 2022.

Traduction de la CRTESPF

Nancy Rosenberg,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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