Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante avait déposé une plainte contre la défenderesse quant à son devoir de représentation équitable, soutenant que la défenderesse ne l’avait pas appuyée suffisamment pour contester la décision de l’employeur de la renvoyer en cours de stage – elle avait aussi avancé des allégations de discrimination fondées sur le véganisme et sa condition médicale – la Commission a conclu que la plaignante n’avait pas démontré que la défenderesse avait agi de façon arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi dans sa représentation de la plaignante – les représentantes de la défenderesse ont considéré les circonstances du renvoi en cours de stage et ont examiné le bien-fondé du grief – elles ont pris la décision de mettre fin à la représentation du grief, compte tenu du manque de coopération et de la représentation par quelqu’un de l’extérieur, et compte tenu de la difficulté juridique de contester le renvoi en cours de stage puisque l’employeur avait des motifs liés au rendement pour mettre fin à l’emploi de la plaignante – il n’y avait aucun élément de preuve permettant de faire le lien entre le véganisme de la plaignante et son renvoi en cours de stage – aucune jurisprudence ne soutenait le véganisme comme motif interdit de discrimination – la décision de renvoyer la plaignante avait été prise avant le congé de maladie de la plaignante – la représentante n’a pas constaté de discrimination liée à la condition médicale – la plaignante avait déposé une seconde plainte visant une déléguée syndicale, alléguant qu’elle avait plutôt collaboré avec l’employeur dans le processus qui a abouti au renvoi en cours de stage – la Commission a conclu que la déléguée syndicale ne jouait pas un rôle de représentation de la plaignante – elle ne faisait qu’assister à une réunion comme témoin et n’est pas intervenue – la déléguée syndicale n’a pas participé de près ou de loin au renvoi en cours de stage.

Plaintes rejetées.

Contenu de la décision

Date: 20221107

Dossiers: 561-02-42426

561-02-42433

 

Référence: 2022 CRTESPF 91

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Rosie Gagnon

plaignante

 

et

 

Association canadienne des employés professioNnels

 

défenderesse

Répertorié

Gagnon c. Association canadienne des employés professionnels

Affaire concernant des plaintes visées à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante : Émile Arsalane

Pour la défenderesse : Jean-Michel Corbeil, avocat

Affaire entendue par vidéoconférence,

les 18 et 19 octobre 2021; du 8 au 11 mars, du 21 au 23 juin et le 29 août 2022.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Plaintes devant la Commission

[1] Le 5 janvier 2021, Rosie Gagnon (la « plaignante ») a déposé une plainte (dossier 561-02-42426) à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») contre l’Association canadienne des employés professionnels (la « défenderesse »), l’agent négociateur qui représente l’unité de négociation dont faisait partie la plaignante. Celle-ci travaillait pour le Bureau de la traduction qui, pour les fins de la présente décision, est l’employeur, puisque l’employeur légal, le Conseil du Trésor, lui a délégué ses pouvoirs de gestion des ressources humaines. L’employeur a mis fin à son emploi alors qu’elle était encore en période de stage.

[2] La plaignante soutient que la défenderesse ne l’a pas appuyée suffisamment dans sa démarche pour contester la décision de l’employeur de la renvoyer. Le 5 janvier 2021, elle a également déposé une seconde plainte (dossier 561-02-42433), visant plus particulièrement Stéphanie Beaulieu, réviseure aux Débats parlementaires et déléguée syndicale. La plaignante allègue que Mme Beaulieu, contrairement à son rôle d’aider les membres de l’unité de négociation à titre de déléguée syndicale, a plutôt collaboré avec l’employeur dans un processus qui a abouti au renvoi en cours de stage.

[3] Les deux plaintes ont été déposées en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »), qui vise les pratiques déloyales, et plus particulièrement l’article 187, qui définit comme suit l’obligation de l’agent négociateur de représenter les membres de l’unité de négociation de façon équitable :

187 Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

 

[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la plaignante ne m’a pas démontré que la défenderesse avait agi de façon arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi dans sa représentation de la plaignante, ni que Mme Beaulieu avait agi de quelconque façon qui engagerait la responsabilité de l’agent négociateur. Par conséquent, les deux plaintes sont rejetées.

II. Résumé de la preuve

[5] La plaignante a cité à témoigner Bernard Desgagné, traducteur-réviseur aux Débats parlementaires, et elle a elle-même témoigné.

[6] La défenderesse a cité à témoigner Mme Beaulieu, Isabelle Germain, agente de relations de travail chez la défenderesse et Isabelle Petrin, agente principale des relations de travail, également chez la défenderesse.

[7] De façon à organiser la preuve de façon cohérente, je traite des différents sujets soulevés tour à tour.

A. L’emploi de la plaignante

[8] La plaignante a été embauchée au niveau TR-02 comme traductrice aux Débats parlementaires le 1er mai 2019.

[9] L’emploi de traducteur aux Débats parlementaires est sujet à des conditions de travail particulières. Les traducteurs doivent traduire les débats de la Chambre des communes et du Sénat le jour même, afin de produire pour le lendemain matin une traduction fidèle des travaux de la veille. L’horaire de travail est prévu de 16 h à minuit, mais pendant les périodes occupées, notamment mai et juin, les heures peuvent être prolongées jusqu’aux petites heures du matin, et même plus.

[10] Pendant les périodes occupées, le nombre de mots à traduire est augmenté de façon significative. Alors que le nombre normal de mots à traduire aux Débats parlementaires est de 2 500 mots par jour, le compte de mots peut augmenter à 6 000, voire 8 000 pendant cette période de fin de session. Les parlementaires peuvent siéger plus tard, ce qui allonge d’autant le travail des traducteurs.

[11] C’est dans cette période assez frénétique que la plaignante a débuté sa carrière de traductrice à la fonction publique. Elle était auparavant traductrice dans le privé. Elle avait atteint un certain niveau de compétence pour avoir réussi l’examen qui la placerait dans un poste TR-02, le poste d’entrée étant le niveau TR-01.

[12] La plaignante a témoigné que la gestionnaire qui l’avait embauchée, Anik Bard, lui avait laissé entendre qu’au cours de la première année, on ne s’attendait pas à ce que les traducteurs nouvellement embauchés traduisent 2 500 mots par jour. L’attente était plutôt de 1 800 mots, pour en arriver à la fin de l’année aux 2 500 mots. Mme Bard n’a pas témoigné à l’audience, et je n’ai eu aucune confirmation indépendante de ces propos.

[13] Toujours est-il, d’après des documents de comptes de mots déposés à l’audience, que la plaignante a traduit beaucoup plus que 2 500 mots par jour pendant mai et juin. Ces deux premiers mois ont donc été très difficiles pour elle. Pendant l’été, le Parlement étant en congé, elle a travaillé à la section des documents parlementaires.

[14] Certaines critiques ont été émises à l’égard des traductions de la plaignante, du fait qu’elle ne semblait pas toujours comprendre le contexte ou le contenu des textes à traduire, un fait accentué par son utilisation de la traduction automatique. Cette technique n’est pas interdite au Bureau de la traduction, elle est en fait encouragée, mais les traducteurs doivent en faire un usage judicieux et réviser leurs textes soigneusement pour éviter les bévues inévitables de la traduction automatique. La preuve contient notamment un échange entre Catherine Leduc, réviseure, et le gestionnaire intérimaire Benoît Laflamme au sujet de la qualité des textes traduits par la plaignante.

[15] Dès juin 2019, il était question d’un plan d’action pour encadrer la plaignante. En octobre 2019, M. Laflamme a annoncé à la plaignante qu’on lui imposait un plan d’action, dont le but avoué était de l’aider à s’améliorer. Elle aurait des étapes à franchir et un encadrement fourni par trois réviseurs chevronnés, dont M. Desgagné.

[16] Ce dernier a témoigné à l’audience. Il a expliqué qu’on lui avait demandé d’aider la plaignante en révisant ses textes. M. Desgagné avait révisé quelques textes de la plaignante au cours des mois de mai et juin, et avait noté quelques problèmes de traduction, dus selon lui à un manque d’expérience et de connaissances, ainsi qu’à une tendance trop marquée à se fier à la traduction automatique.

[17] À partir d’octobre 2019, M. Desgagné était donc chargé de réviser les textes de la plaignante, avec deux autres réviseures. D’octobre à décembre, en raison des élections, le Parlement ne siégeait pas et il y avait donc très peu de textes à traduire. À partir de décembre, les travaux de la Chambre ont repris.

[18] La traduction des débats parlementaires se fait par blocs – on donne à chaque traducteur un passage de 200 à 300 mots environ à traduire. Une fois la traduction faite, elle est toujours révisée par un réviseur, c’est-à-dire un traducteur de niveau TR-03.

[19] M. Desgagné a témoigné qu’il avait noté des progrès dans le travail de la plaignante, qui était attentive et réceptive à ses commentaires. Il restait encore des choses à améliorer, et M. Desgagné l’encourageait à prendre plus de temps et mettre plus de soins à traduire et surtout réviser ses blocs, mais somme toute, il la pensait en bonne voie d’arriver à niveau dans le cadre de son plan d’action.

[20] En mars 2020, la plaignante a pris un congé de maladie. Dès son retour, le 31 mars 2020, sa gestionnaire lui a annoncé qu’elle mettait fin à son emploi pendant la période de stage. Selon la gestionnaire, le plan d’action n’avait pas suffisamment amélioré le rendement de la plaignante. La lettre de fin d’emploi (renvoi en cours de stage) est datée du 17 avril 2020; le licenciement en cours de stage prenait effet le 24 avril, avec le versement du salaire d’un mois supplémentaire.

[21] Je résume ici le parcours de la plaignante, afin de fournir le contexte à sa plainte contre la défenderesse. Le renvoi en cours de stage est contesté dans le cadre d’un grief dont je ne suis pas saisie. La question que je dois trancher n’est pas de savoir si l’employeur avait tort ou raison de renvoyer la plaignante en cours de stage. Il s’agit plutôt pour moi de déterminer si, dans sa représentation de la plaignante, la défenderesse a agi de façon arbitraire, discriminatoire ou avec mauvaise foi.

[22] Je dois ajouter au résumé de l’emploi de la plaignante un dernier élément qui, selon elle, a été un facteur dans son renvoi en cours de stage.

[23] La plaignante est depuis longtemps végane. Cela signifie qu’elle ne consomme aucun produit d’origine animale. Cette réalité a été mise en relief par le fait que l’employeur commande et paie un repas aux traducteurs qui travaillent aux Débats lorsque la période de travail dépasse les heures normales. C’était le cas en mai et juin 2019.

[24] La plaignante a déposé en preuve à l’audience beaucoup d’échanges de courriels qui montrent selon elle la difficulté qu’elle avait à obtenir une part de repas végétalienne. En fait, les courriels montrent les efforts déployés, notamment par celle qui était chargée de la commande des repas, pour répondre aux demandes de la plaignante. Il est certain que les règles du véganisme sont souvent ignorées de ceux qui ne pratiquent pas ce mode de vie. À un certain point, la gestionnaire, voulant apparemment faire plaisir à tous, a passé un contrat avec un fournisseur non habituel, spécialisé dans la confection de sandwichs. Elle a fait un effort pour respecter l’alimentation végane, telle qu’elle la comprenait, selon l’extrait suivant de son courriel :

[…] Je tiens à préciser que, à part la mayonnaise, les sauces de [restaurant] ne contiennent ni œufs ni produits laitiers ou graisse animale. J’ai communiqué avec l’administration centrale de [restaurant] et, à part le pain au fromage, les autres pains ne contiennent pas d’œufs, de produits laitiers ou de graisse animale.

Les sauces seront à part ainsi que les condiments vinaigrés. Il y a des sandwiches « veggie delite » sans fromage.

[…]

 

[25] Cette gestionnaire n’a pas témoigné à l’audience, donc je ne sais pas à quel point elle a approfondi la question de l’origine animale des ingrédients. À première vue, le choix de sandwichs semblait inclure des options véganes. Erreur. Certains pains (le détail des ingrédients a été déposé en preuve) contiennent du miel, aliment proscrit par les végans, puisqu’il est produit par des animaux exploités et maltraités. (La pollinisation par les insectes qui permet la culture des fruits et légumes n’est pas une exploitation d’animaux, selon la réponse donnée en contre-interrogatoire par la plaignante). D’autres pains contiennent de la poudre de lait écrémé. Certaines sauces contenaient des produits laitiers.

B. Les actions de Mme Beaulieu

[26] Mme Beaulieu est traductrice-réviseure aux Débats parlementaires, au niveau TR-03 comme M. Desgagné. À ce titre, elle a eu l’occasion de réviser des blocs de traduction de la plaignante. Elle était assez critique de la qualité de la traduction, et trouvait que la plaignante ne mettait pas le soin et le temps voulus pour assurer cette qualité.

[27] La plaignante a déposé en preuve un courriel de Mme Beaulieu qui illustre selon elle le ton sec et peu aimable de Mme Beaulieu. Rappelons que ce courriel date du 11 juin 2019, au plus fort de la période où tous les traducteurs travaillent de très longues heures, dans des conditions fort exigeantes. Le texte du courriel est le suivant :

Objet : Bloc 49 au Sénat

Bonjour Rosie,

Même si tu es nouvelle, je pense que tu es ici depuis assez longtemps pour savoir qu’on ne retraduit pas une citation dont il existe déjà une traduction officielle. C’est au traducteur qu’il revient de la trouver et de la reprendre telle quelle.

En l’occurrence, le bloc t’indiquait précisément la source de la citation : le mémoire de l’organisme Chiefs of Ontario [hyperlien dans le texte original]. Aucune recherche n’était donc nécessaire; il s’agissait simplement d’aller récupérer le document dans la liste des mémoires soumis au Sénat sur le projet de loi C-92. Si tu ignorais comment le faire, il aurait suffi de demander de l’aide pour que quelqu’un te montre où aller (en l’occurrence, tu vas sur le site des comités du Sénat, puis, dans le menu, tu sélectionnes Mémoires).

Les soirées étant ce qu’elles sont ces temps-ci, nous avons vraiment besoin que les traducteurs fassent leurs propres recherches et qu’ils les indiquent correctement. Autrement, nous devons refaire le travail, ce qui alourdit d’autant notre charge. Je t’invite donc à prendre le temps de bien faire ton travail, ce qui facilitera d’autant le nôtre.

Merci!

[…]

 

[28] La plaignante a répondu au courriel en se défendant, comme suit :

Bonjour Stéphanie,

Je fais toujours mes recherches. J’ai pourtant fait la recherche et j’ai trouvé le document en question en anglais seulement. J’ai tenté de trouver la version française, sans succès. J’ai aussi tenté de changer le « e » de l’adresse pour un « f » et un « fr ». Je me suis dit qu’étant donné que c’était un organisme de l’Ontario, aucune traduction ne devait exister.

Merci et désolée,

Rosie

 

[29] Elle a également transféré les deux courriels à sa gestionnaire, indiquant ce qui suit : « […] un tout petit peu plus d’indulgence de la part de certains réviseurs me ferait un grand bien sur le plan émotionnel ».

[30] Confrontée à cet échange à l’audience, Mme Beaulieu semblait un peu prise de court. Il était évident, selon son témoignage et son parcours professionnel, qu’elle est exigeante, pour les autres comme pour elle-même. Le courriel adressé à la plaignante faisait partie de ses fonctions, selon elle. Elle signalait une erreur, et profitant d’une occasion pédagogique, indiquait comment y remédier. Elle aurait attendu comme réponse un simple merci.

[31] Mme Beaulieu est également déléguée syndicale (l’autre délégué syndical aux Débats parlementaires étant M. Desgagné). À ce titre, elle assure le lien entre l’employeur et la défenderesse, en ce sens que le délégué syndical est témoin pour l’agent négociateur de la situation de travail au quotidien. Le délégué syndical signale à l’agent négociateur les problèmes de relations de travail, et peut répondre aux questions des fonctionnaires. Par contre, le délégué syndical n’est pas appelé à représenter un fonctionnaire en cas de grief ou plainte. Cette tâche revient aux agents de relations de travail de l’agent négociateur.

[32] En juin 2019, la gestionnaire Mme Bard a rencontré la plaignante pour discuter de certains points. D’après la plaignante, il s’agissait d’une rencontre disciplinaire, où on lui reprochait de ne pas être assez aimable dans ses courriels, et où on lui a également parlé de ses exigences véganes. Il n’y a aucune preuve documentaire d’une convocation à une rencontre disciplinaire.

[33] Mme Bard a demandé à Mme Beaulieu d’assister à cette rencontre, comme témoin et comme déléguée syndicale. La plaignante et Mme Beaulieu avaient un souvenir différent de cette rencontre, et même de leurs positions respectives. La plaignante avait souvenir que Mme Beaulieu lui faisait face, comme Mme Bard, alors que Mme Beaulieu se souvenait plutôt avoir été à côté de la plaignante.

[34] La plaignante a demandé à Mme Germain, en décembre 2020, de communiquer avec Mme Beaulieu pour obtenir un compte-rendu de cette réunion. Mme Beaulieu a donné les détails suivants sur la rencontre de juin 2019 :

[] C’est Anik qui m’avait demandé d’assister à cette réunion en tant que témoin afin de protéger les droits de Rosie. Je suis essentiellement restée en retrait pour les laisser discuter entre elles.

Il y a été question de l’attitude de Rosie dans ses interactions, notamment par courriel. Rosie a dit ne pas s’être rendu compte de la perception que ses communications laissaient. Elles ont ensuite discuté de stratégies pour remédier à la situation.

Il a aussi été question des repas fournis au cours des soirées de travail prolongé; je ne me rappelle pas qui des deux a amené le sujet sur le tapis. Anik a expliqué qu’elle était tenue de fournir un repas à tous les employés, sans pour autant devoir s’adapter aux restrictions alimentaires de chacun (Rosie a un régime particulier), ce qui serait trop exigeant sur le plan logistique. Elle a toutefois dit qu’elle prenait des mesures d’adaptation raisonnables pour que chacun puisse s’alimenter, notamment en sélectionnant des options particulières (pizzas végétariennes, par exemple) ou en autorisant certaines personnes à demander des plats un peu plus chers que la limite prévue dans la convention collective. Diverses autres possibilités ont été évoquées de part et d’autre, mais c’est flou dans ma mémoire, probablement parce que la conversation ne s’y est pas arrêtée.

La réunion m’a semblé s’être terminée sur une note cordiale. Tout le monde semblait être sur la même longueur d’onde.

 

[35] La plaignante a témoigné de cette rencontre qu’elle avait l’impression que Mme Beaulieu était plutôt du côté de Mme Bard. Elle avait nettement l’impression qu’on lui reprochait son ton dans les courriels, pas assez jovial, et les difficultés qu’elle causait avec ses choix de repas.

[36] Mme Beaulieu a été appelée à remplacer un certain temps Mme Bard. Elle a expliqué à l’audience qu’elle le faisait plutôt à contre-cœur, consciente de son rôle de déléguée syndicale. Elle demandait donc que ses responsabilités soient très limitées, pour éviter des conflits d’intérêt.

[37] La plaignante a déposé en preuve à l’audience des courriels de Mme Beaulieu à Mme Bard au sujet des problèmes de traduction de la plaignante. Il semble que la communication entre Mme Beaulieu et la plaignante ait été difficile. Dans un courriel daté du 18 juin 2019, Mme Beaulieu écrit ce qui suit à Mme Bard :

Ça ne va vraiment pas. Au-delà des erreurs de compréhension et des phrases mal écrites, les recherches ne sont pas faites, même quand elles sont simples (pensons au titre du rapport de la Commission Berger, dans mon exemple du Sénat).

Je ne sais plus trop par où la prendre pour lui faire comprendre qu’elle doit s’appliquer davantage et faire ses recherches elle-même []

 

[38] Je note, parce que le fait a été souligné dans le contre-interrogatoire de Mme Beaulieu, que ce courriel a été envoyé peu de temps après l’annonce de Mme Bard qu’elle allait commander des sandwichs en faisant un effort pour respecter les choix de ceux qui ne consomment pas de produits d’origine animale. Mme Beaulieu ne se rappelait pas avoir lu le courriel au sujet de la commande de sandwichs.

[39] Le 21 juin 2019, Mme Beaulieu a envoyé un courriel à Mme Bard intitulé « Et de trois », dont le premier paragraphe se lit comme suit :

Je trouve déplorable qu’elle ait remis ce genre de travail, surtout dans les conditions actuelles. Vu l’attente qu’il y a eu, Rosie avait largement le temps nécessaire pour ralentir et retravailler le texte, quitte à le mettre de côté pour y revenir un peu plus tard. J’ai assurément passé plus de temps à le réviser qu’elle en a mis à le traduire et à le relire []

 

[40] Il semble que les deux autres courriels auxquels la mention « Et de trois » semble faire référence portaient également sur des lacunes dans le travail de la plaignante.

[41] La plaignante a déposé en preuve à l’audience plusieurs communications entre Mme Beaulieu et Mme Bard, pour établir qu’elles étaient proches. Je ne doute pas que les relations entre Mme Bard et Mme Beaulieu étaient cordiales. Cela ne me mène pas à la conclusion qu’elles étaient de connivence pour faire perdre son emploi à la plaignante. Les seuls échanges écrits concernant la plaignante portent sur le travail de la plaignante ; à titre de réviseure, Mme Beaulieu était censée tenir Mme Bard, la gestionnaire, au courant des problèmes notés, puisque la plaignante était en période de probation. Il y a également le fait que Mme Bard a demandé à Mme Beaulieu d’assister à la rencontre de juin, mais il semble que cela se soit fait de façon assez impromptue.

[42] La plaignante a tenté d’établir que Mme Beaulieu était lourdement derrière le plan d’action imposé, que ses plaintes en étaient l’origine. Pourtant, M. Desgagné lui-même semblait favorable à un plan d’action, et son évaluation de la plaignante était assez semblable à celle de Mme Beaulieu. Il a écrit ce qui suit à Mme Germain (à l’appui de la plaignante) :

[…]

Lorsque Rosie est arrivée aux Débats parlementaires, en mai 2019, la charge de travail était très élevée. Le TR-3 qui était chargé de l’encadrer, Jean-François Baril, a rapidement jugé qu’elle était apte à suivre la cadence infernale, mais je ne pense pas qu’il ait vraiment eu le temps de bien examiner les traductions de Rosie, qui avait recours à la traduction automatique et à ce qu’on appelle la « postédition » pour parvenir à traduire les quantités de mots astronomiques qu’on lui demandait.

[…]

Entre le 29 mai et le 18 juin 2019, j’ai eu l’occasion de réviser 25 blocs de débats de la Chambre des communes qui avaient été traduits par Rosie, soit environ 5000 mots. J’y ai trouvé un grand nombre de fautes de sens. Manifestement, Rosie ne comprenait pas toujours le texte anglais. J’en ai glissé un mot à Jean-François Baril ainsi qu’à Thomas Ouellet, qui est le TR-4 aux Débats. Mais comme notre charge de travail était très lourde à ce moment-là, le cas de Rosie n’a pas fait l’objet de mesures avant octobre 2019. […] Le rendement de Rosie était jugé insuffisant. J’ai accepté d’encadrer Rosie. […]

[…] j’ai constaté que, vu son jeune âge et son inexpérience, Rosie avait parfois de la difficulté à comprendre le texte anglais. De plus, comme elle avait pris l’habitude de la postédition depuis le début de ses études, elle avait aussi de la difficulté à rendre les idées clairement, en choisissant le bon vocabulaire et en construisant bien ses phrases. Bref, elle avait des lacunes importantes qui ne sont toutefois pas anormales parmi les traducteurs inexpérimentés. Je me suis toujours demandé comment Rosie avait pu réussir le concours de TR-2 et être embauchée par le Bureau de la traduction. À mon avis, elle n’avait pas les capacités nécessaires et aurait dû être embauchée comme TR-1 dans un autre service que les Débats parlementaires. […]

 

[43] Il est arrivé un soir de février 2020 que la plaignante décide d’emporter son ordinateur portable à la maison pour travailler à la maison le lendemain par crainte d’intempéries. Mme Beaulieu l’a croisée et lui a dit qu’il fallait une permission expresse de l’employeur pour le télétravail; ce n’était pas l’employé qui décidait.

[44] Mme Beaulieu est partie en congé de maladie à l’automne 2020. Outre le contact avec Mme Germain au sujet de la rencontre de juin 2019, elle a une conversation téléphonique avec cette dernière le 6 janvier 2021. Les notes de cette conversation ont été déposées en preuve à l’audience. Nous y reviendrons plus loin.

C. Les actions de Mme Germain

[45] Dès le 1er avril 2020, la plaignante a communiqué avec Mme Germain, agente de relations de travail chez la défenderesse, d’abord par téléphone et ensuite par courriel. Elle lui a expliqué dans un long courriel son embauche, ses conditions de travail, le plan d’action, et finalement l’annonce faite le 31 mars 2020 par Valérie Chevrier, la gestionnaire, que son emploi prendrait fin le 24 avril 2020. Elle a précisé qu’elle revenait alors d’un arrêt de travail. Elle a ajouté que son réviseur principal, M. Desgagné, s’était dit très surpris de la décision de renvoi en cours de stage, ce que celui-ci a d’ailleurs confirmé à l’audience.

[46] Mme Germain lui a répondu par courriel le jeudi 2 avril 2020, et lui a écrit qu’elle communiquerait avec les relations de travail pour voir si un transfert dans un autre poste était possible. Elle a aussi mentionné la possibilité de déposer un grief. Elle lui a proposé un appel téléphonique pour le lundi suivant.

[47] Le 3 avril 2020, Mme Germain a écrit de nouveau à la plaignante pour lui dire que la lettre de fin d’emploi n’avait pas encore été rédigée, et qu’il ne s’agissait encore que d’une recommandation.

[48] Le 8 avril 2020, la plaignante a demandé s’il y avait des nouvelles. Mme Germain lui a répondu le 9 avril que, malheureusement, la gestion ne changerait pas d’idée. Elle a proposé de déposer un grief, pour le motif que la décision était arbitraire. Elle a demandé à la plaignante de lui faire suivre la lettre de licenciement dès réception de celle-ci.

[49] Le 17 avril 2020, la plaignante a transmis la lettre par courriel à Mme Germain. Elle a écrit que la gestionnaire mentait à propos d’une rencontre du 10 février où elle aurait parlé de blocs insuffisants; la plaignante a soutenu que c’était faux. La rencontre a bien eu lieu, mais selon elle, la gestionnaire ne lui a pas parlé de blocs insuffisants. L’allusion aux blocs insuffisants n’est ni dans la lettre de licenciement ni dans le courriel de transmission de la lettre.

[50] Dans un courriel du 22 avril 2020, la plaignante a transmis un courriel de M. Desgagné, qui croyait comprendre ce qu’on entendait par « blocs insuffisants ». En fait, il demandait à la plaignante de retravailler certains blocs, et en avait informé le répartiteur. Selon M. Desgagné, de porter plus d’attention aux blocs avait porté ses fruits, et il avait noté une amélioration.

[51] Le 23 avril 2020, Mme Germain a écrit à la plaignante pour lui demander les plans d’action ainsi que les commentaires de tous les encadreurs. Elle a réitéré cette demande le 28 avril. Le même jour, la plaignante lui a répondu ce qui suit : « Après réflexion, je ne vois pas en quoi les commentaires des encadreurs m’aideraient, parce que leurs commentaires n’étaient pas nécessairement axés sur mes points forts mais plutôt sur mes points faibles. » Mme Germain a répondu laconiquement, toujours le même jour : « Pour démontrer que ça ne reflète pas la réalité. J’en ai besoin. » La plaignante a alors fait suivre les commentaires des encadreurs pour les quatre étapes réalisées du plan d’action, la quatrième étape se terminant le 21 février 2020.

[52] Le 30 avril 2020, Mme Germain a envoyé le courriel suivant à la plaignante :

Bonjour,

Voici le grief que vous devez signer, dater et envoyer à votre gestionnaire. SVP, me confirmer quand ce sera fait. Ce grief sera mis en attente jusqu’à ce qu’il soit possible de le présenter au troisième palier de la procédure de grief, et ce, auprès de Lucie Séguin.

Bonne journée,

[…]

 

[53] Le grief s’énonçait comme suit : « Je présente un grief concernant la décision de l’employeur de mettre fin à mon emploi prise en date du 17 avril 2020. »

[54] La plaignante a répondu : « Ne faudrait-il pas détailler les motifs du grief ? Est-ce que le fait de ne mentionner que le congédiement est suffisant ? […] » Mme Germain lui a répondu : « Non, un grief doit rester très large. C’est dans les plaidoiries qu’on détaille. »

[55] Le grief a été déposé au début mai 2020. Dès le 20 mai, Nathalie Laliberté, dont le titre est vice-présidente, Services au Parlement et Interprétation du Bureau de la traduction, a invité la plaignante et Mme Germain à l’audience du grief au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs. Selon Mme Germain, Mme Laliberté est la gestionnaire qui a refusé de trouver un autre poste de traducteur à la plaignante au moment où il était question de mettre fin à son emploi.

[56] Mme Germain pensait donc qu’il valait mieux franchir cette étape le plus tôt possible, puisque selon elle, il était peu probable que Mme Laliberté change d’avis et accueille le grief. Mieux valait passer au palier suivant, pour envisager éventuellement le renvoi à l’arbitrage, après évaluation des chances de succès.

[57] La plaignante pensait plutôt qu’on devait attendre pour avoir toute la documentation requise pour le deuxième palier. Cette différence d’opinion a persisté dans toute la relation entre Mme Germain et la plaignante, mais Mme Germain a accepté de faire prolonger le délai pour l’audience en attendant les documents.

[58] La plaignante attendait des documents d’une demande d’accès à l’information (aux termes de la Loi sur l’accès à l’information (L.R.C. (1985) ch. A-1), et a indiqué à Mme Germain qu’elle soupçonnait qu’il pouvait y avoir des motifs discriminatoires à l’origine du plan d’action qui lui avait été imposé en octobre 2019. Mme Germain était un peu surprise – elle avait posé la question au moment de déposer le grief, à savoir s’il pouvait y avoir discrimination, et la plaignante lui avait répondu qu’elle ne le pensait pas.

[59] Mme Germain a écrit à la plaignante qu’il serait difficile de modifier le grief, et de maintenant ajouter la discrimination. Toutefois, elle a ajouté qu’elle verrait ce qu’elle pouvait faire.

[60] L’audience au deuxième palier a été reportée. Dans les mois qui ont suivis, il y a eu quelques échanges entre Mme Germain et la plaignante. Celle-ci a communiqué notamment la charge de travail excessive qu’elle avait eue en mai et juin 2019, peu de temps après son arrivée aux Débats parlementaires.

[61] Mme Germain a demandé à la plaignante vers la mi-juin 2020 si elle avait reçu des documents provenant de sa demande d’accès à l’information. La plaignante a répondu qu’elle n’avait encore rien reçu.

[62] Le 10 décembre 2020, Mme Germain a écrit à la plaignante pour dire que l’audition du grief se ferait en janvier 2021, à la demande de l’employeur. La plaignante a demandé des explications sur la procédure de règlement des griefs. Mme Germain a répondu par un long courriel qui cite des extraits de la convention collective. Elle a ajouté que la plaignante pouvait procéder par elle-même si elle le souhaitait, mais que si elle voulait garder la représentation de la défenderesse, elle devait fournir des dates de disponibilité pour l’audience en janvier 2021.

[63] La plaignante a répondu le même jour que les demandes d’accès à l’information avaient porté leurs fruits, mais qu’elles n’étaient pas complétées. Elle pensait maintenant que le licenciement était lié à des représailles, à la suite de son congé de maladie et sa demande d’une mesure d’adaptation. Elle a aussi allégué que le plan d’action avait été mis en place de façon arbitraire, comme mesure de représailles à la suite de sa demande d’une mesure d’adaptation pour son véganisme.

[64] Mme Germain a répondu qu’il s’agissait de nouveaux renseignements qui auraient dû être fournis au départ. Elle a demandé plus de précisions sur les documents manquants, ainsi que des renseignements sur une demande de mesure d’adaptation avec justification pour les limitations fonctionnelles.

[65] Elle a réitéré qu’il y avait assez d’information pour aller à l’audience de deuxième palier, mais elle a indiqué qu’elle allait demander encore une prorogation; elle ne savait pas si l’employeur l’accorderait.

[66] La plaignante a répondu qu’elle avait déjà parlé de ces faits mais que Mme Germain ne leur avait pas accordé d’importance. Elle s’est plainte de la lenteur de divulgation de l’employeur. Le 13 décembre, la plaignante a envoyé un courriel à Mme Germain dans lequel elle disait notamment : « Nous sommes toujours en train de travailler fort pour monter le dossier. » Elle a demandé à Mme Germain de communiquer avec Mme Beaulieu au sujet d’une réunion « quasi-disciplinaire » qui aurait eu lieu en juin 2019 et à laquelle assistait Mme Beaulieu à titre de déléguée syndicale.

[67] Ce courriel a suscité une certaine interrogation chez Mme Germain. Elle était d’accord pour communiquer avec Mme Beaulieu, ce qu’elle a fait, mais elle ne comprenait pas le « Nous » dans la première phrase. Les règlements internes de la défenderesse prévoient que la représentation par la défenderesse doit être unique; elle n’admet pas la co-représentation. Or, il semble d’après les courriels de la plaignante qu’elle avait consulté un avocat (qui voyait des mesures de représailles) et qu’elle montait son dossier avec quelqu’un d’autre que Mme Germain.

[68] Le 14 décembre 2020, elle a envoyé une lettre à la plaignante pour faire le point. Il semblait que la plaignante avait reçu des renseignements par l’accès à l’information qui l’amenaient à croire à la discrimination, mais elle n’avait partagé aucun document en ce sens avec Mme Germain. Elle n’avait fourni aucun renseignement d’ordre médical pour la demande de mesure d’adaptation liée à sa santé.

[69] Dans cette même lettre, Mme Germain a ajouté : « Le véganisme n’est ni une maladie ni une croyance religieuse protégée par la Loi canadienne sur les droits et libertés. » On a clarifié à l’audience qu’elle faisait référence de façon générale aux lois sur les droits de la personne au Canada, notamment la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6), et la Charte canadienne des droits et libertés, Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.U.), 1982 c 11 (la « Charte »).

[70] Mme Germain a demandé à la plaignante de lui fournir les documents relatifs à son allégation de discrimination au plus tard le 16 décembre 2020 à 17 heures.

[71] Enfin, elle a précisé que la défenderesse ne faisait pas de co-représentation, et qu’un grief de discrimination ne pouvait être déposé qu’en vertu de la convention collective.

[72] La demande de mesure d’adaptation pour raisons médicales concernait le télétravail, demande qui avait été accordée.

[73] Le 18 décembre 2020, Mme Germain a informé la plaignante que la défenderesse ne plaiderait pas la discrimination, parce qu’il n’y avait « […] aucun motif illicite répondant aux critères de discrimination établis par la Charte ». Elle a ajouté que la défenderesse évaluerait au début janvier si le grief serait défendu. Le seul motif à l’encontre du renvoi en cours de stage était la décision arbitraire de l’employeur en lien avec les objectifs établis à l’embauche. Toutefois, le renvoi avait eu lieu pendant la période de probation, pour des motifs liés au travail, les deux critères essentiels selon Mme Germain.

[74] Mme Germain a insisté pour que le grief procède en février 2021. Elle a dit constater que plusieurs informations résultant de la demande d’accès à l’information n’avaient pas été divulguées à la défenderesse. Elle a terminé la lettre de la façon suivante :

[…]

Donc, afin d’être claire, nous avons soumis le grief contestant votre rejet en probation afin de protéger vos droits.

À ce jour, malgré un long délai, et l’assurance de l’employeur que toutes les informations demandées et relatives à votre fin d’emploi vous ont été fournies, vous ne nous avez remis aucun document nous permettant de conclure que la décision de l’employeur était contestable en vertu de la jurisprudence applicable.

Un rejet en probation est valide en vertu de la jurisprudence si : 1) il est décidé et a lieu pendant la période probatoire et 2) est lié à un motif d’emploi.

Votre rejet en probation est survenu dans les 12 mois de votre embauche donc en période probatoire. Vote [sic] rejet en probation est lié à un motif d’emploi, votre performance.

Un courriel vous sera envoyé avant le 8 janvier afin de vous confirmer nos intentions. Vous pourrez choisir d’avancer votre grief par vous-même, le cas échéant.

[…]

 

[75] Mme Germain a répété à maintes reprises à l’audience qu’elle aurait été prête à contester le renvoi en cours de stage dans le cadre de la procédure de règlement des griefs, et qu’elle aurait utilisé les commentaires de M. Desgagné sur la façon abrupte dont le plan d’action s’était terminé et souligné les exigences démesurées au départ de l’emploi de la plaignante aux débats. Toutefois, elle n’a jamais pu le faire, parce que la plaignante voulait retarder l’audience de deuxième palier, contre l’avis de Mme Germain. Celle-ci considérait que l’audience de deuxième palier ne pourrait donner qu’un résultat négatif, mais pourrait néanmoins fournir des renseignements supplémentaires de la part de l’employeur.

[76] Le 5 janvier 2021, Mme Germain a écrit à Mme Gagnon pour lui demander de préciser à quelles découvertes elle faisait allusion dans un courriel récent. Mme Germain a indiqué qu’elle n’avait été mise au courant d’aucune découverte qui justifierait la défense du cas. Elle n’avait que le plan d’action commenté par les encadreurs. Elle a réitéré que le grief devait procéder au deuxième palier en février.

[77] Le 6 janvier 2021, Mme Germain a reçu un appel de Mme Beaulieu, qui lui a d’abord parlé de sa propre situation. Puis, Mme Beaulieu a continué sur le sujet de la plaignante. Cette partie des notes de la conversation a été déposée en preuve à l’audience.

[78] Les commentaires de Mme Beaulieu au sujet de la plaignante sont hautement négatifs. Selon les notes, Mme Beaulieu dit de la plaignante qu’elle est incompétente, impolie et très négative. Elle faisait mal son travail et ne se relisait pas, laissant à d’autres le soin de réviser ses blocs de traduction. Toujours selon Mme Beaulieu, la plaignante était mécontente des choix de restaurants, malgré le fait que son « choix de véganisme » a toujours été respecté.

[79] Mme Germain et Mme Beaulieu ont témoigné au sujet de cette conversation à l’audience. Pour sa part, Mme Beaulieu était un peu surprise de son ton virulent. Elle a dit qu’elle n’aurait jamais dit de la plaignante qu’elle était « incompétente ». Elle aurait plutôt dit qu’elle n’était pas compétente, une nuance importante. Selon le témoignage de Mme Beaulieu à l’audience, la plaignante pouvait s’améliorer. Le problème était qu’on lui avait demandé un rendement de TR-02, alors qu’elle aurait dû être embauchée comme TR-01, et ce dans le difficile contexte des Débats, à la période la plus occupée. La plaignante n’était pas à la hauteur, mais la faute revenait peut-être à l’employeur de l’avoir embauchée directement aux Débats.

[80] Mme Beaulieu a témoigné qu’au moment de cette conversation, elle vivait elle-même une période difficile, pour laquelle elle était en congé de maladie. Elle n’avait qu’un vague souvenir de la conversation, mais elle a déclaré qu’elle était surprise du ton quelque peu hargneux.

[81] Mme Germain a confirmé que Mme Beaulieu traversait alors une période difficile. Mme Germain a dit avoir noté fidèlement ce que Mme Beaulieu lui disait; évidemment, elle n’excluait pas que les propos aient pu être exagérés vu l’état d’esprit de Mme Beaulieu.

[82] De toute façon, selon le témoignage de Mme Germain, cette conversation avec Mme Beaulieu n’a pas affecté les décisions prises au sujet de la représentation de la plaignante.

[83] Le 7 janvier 2021, Mme Germain a reçu un courriel d’Émile Arsalane, le conjoint de la plaignante, qui lui disait qu’il prendrait désormais le relais pour représenter la plaignante pour la suite des procédures. Il l’a informée que deux plaintes avaient été déposées contre la défenderesse à la Commission.

[84] Le 20 janvier 2021, Mme Petrin a envoyé une lettre à la plaignante pour lui signifier que la défenderesse se retirait de la représentation du dossier. Faute de renseignements additionnels, elle était d’avis que le grief avait peu de chances de succès. Le renvoi en cours de stage s’était fait pendant la période de stage, et l’employeur avait un motif lié à l’emploi. Elle a aussi noté que la plaignante était désormais représentée par M. Arsalane.

[85] Mme Petrin a aussi expliqué dans la lettre les motifs de la défenderesse de ne pas déposer un grief contre la discrimination fondée sur le véganisme. D’une part, selon Mme Petrin, le véganisme n’est pas un motif de discrimination interdit par la loi; d’autre part, le grief serait déposé avec beaucoup trop de retard. Elle a renvoyé la plaignante à la Commission canadienne des droits de la personne si elle souhaitait poursuivre cette voie.

[86] Enfin, la lettre a conclu sur une possibilité de recours de la plaignante contre la décision de la défenderesse de mettre fin à la représentation. La preuve à l’audience a établi que la plaignante ne s’était pas prévalue de ce recours.

D. Le rôle de Mme Petrin

[87] Dans son témoignage, Mme Petrin a expliqué son rôle de conseillère auprès des agents de relations de travail de la défenderesse ainsi que le rôle qu’elle avait joué dans le présent dossier.

[88] Mme Petrin est avocate de profession, membre du Barreau du Québec. Toutefois, elle ne pratique pas comme avocate. Son rôle est agente principale des relations de travail, un poste créé en 2018 pour refléter ses responsabilités au sein de la défenderesse. À ce titre, elle encadre les agents de relations de travail (par exemple, Mme Germain) en leur fournissant des conseils sur leurs dossiers et en effectuant des recherches juridiques plus approfondies.

[89] Mme Germain a demandé conseil à Mme Petrin à divers moments, et notamment pour la question de la discrimination fondée sur le véganisme. Mme Petrin a expliqué à l’audience les recherches qu’elle avait menées sur ce sujet.

[90] La convention collective interdit la discrimination fondée non seulement sur la religion mais aussi sur la croyance. Le Code des droits de la personne de l’Ontario (L.R.O. 1990, chap. H.19) protège également la croyance, et donc Mme Petrin s’est penchée en particulier sur la jurisprudence ontarienne, mais non exclusivement. Sur la base de ses recherches, elle a conclu que le véganisme comme tel n’était pas protégé. Selon Mme Petrin, le véganisme est un choix alimentaire. Pour être un motif protégé, ce choix doit se rattacher soit à une religion, soit à une condition médicale. En soi, d’après Mme Petrin, l’alimentation n’est pas un motif de discrimination.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la plaignante

[91] La plaignante a déposé à l’audience une plaidoirie écrite. Lorsque je mets des passages en guillemets dans le résumé des arguments qui suit, ces passages proviennent de la plaidoirie écrite.

1. Plainte 561-02-42426

[92] La plaignante prétend que l’agent négociateur a failli à son devoir de bien faire enquête sur sa situation. Mme Germain n’a pas communiqué avec sa superviseure ni sa gestionnaire. Elle n’a pas communiqué non plus avec les autres encadreuses assignées au plan d’action. Elle n’a pas assuré le suivi avec M. Desgagné.

[93] Mme Germain a demandé à la plaignante avant le dépôt du grief si elle avait été victime de discrimination. Elle n’a pas tenu compte du fait que la plaignante lui avait dit avoir été congédiée au retour d’un congé de maladie. En outre, ce n’est pas à la plaignante de décider s’il y a eu discrimination; c’est plutôt l’agente de relations de travail qui devrait être en mesure d’éclairer la plaignante à ce sujet.

[94] La plaignante soutient que le fait pour l’agent négociateur de croire « aveuglément » les arguments de l’employeur est un acte arbitraire. Elle cite à cet égard les décisions McRae Jackson, 2004 CCRI 290 et Burns c. Section locale no 2182 d’Unifor, 2020 CRTESPF 119.

[95] Selon la plaignante, plutôt que de faire enquête directement, Mme Germain s’est contentée de consulter Catherine Rousseau, conseillère en relations de travail chez l’employeur, qui d’après la plaignante « a œuvré à coordonner le congédiement ».

[96] La plaignante souligne que Mme Germain a parlé de l’importance d’avoir de bonnes relations avec Mme Rousseau; il est donc compréhensible qu’elle ne douterait pas de la version de cette dernière. Mme Germain a demandé à Mme Rousseau de négocier avec Mme Laliberté en faveur de la plaignante; comment pouvait-on faire confiance à celle qui avait probablement recommandé le congédiement?

[97] Mme Germain ne s’est pas renseignée suffisamment sur les demandes d’accès à l’information, elle se fiait aux dires de l’employeur que l’information avait été fournie. Elle espérait recevoir davantage d’information de la gestion en poursuivant avec les paliers de grief. Elle croyait l’employeur quant à la décision de congédier la plaignante avant le congé de maladie. Elle croyait Mme Beaulieu qui parlait d’une charge de travail inférieure pour la plaignante alors que les documents montraient une surcharge de travail.

[98] La plaignante reproche à Mme Germain d’avoir laissé entendre que le grief avait peu de chances de succès, qu’il n’y aurait pas de dédommagement à moins de prouver la discrimination, sans envisager la possibilité de dédommagement pour perte de salaire.

[99] La plaignante me demande de me prononcer sur les obligations de l’agent négociateur en matière d’équité procédurale et de justice naturelle. Elle cite à ce titre deux décisions de la Commission, Pronovost c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2020 CRTESPF 24 et Veillette c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 58, ainsi qu’une décision de la Cour d’appel fédérale, Bremsak v. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2014 CAF 11.

[100] Selon la plaignante, on aurait dû lui expliquer exactement ce qu’elle devait prouver pour qu’elle puisse faire le tri des documents qu’elle avait.

[101] Mme Petrin a décidé sans connaître tous les faits que le grief n’avait aucune chance de succès. Cela va contre le principe de justice naturelle qu’il faut entendre toute la preuve avant de décider.

[102] Autre atteinte à la justice naturelle, le fait que la défenderesse ne permette pas au fonctionnaire représenté de consulter un avocat, en refusant carrément la co-représentation.

[103] La plaignante plaide que l’agent négociateur avait tort de vouloir procéder au deuxième palier, car selon elle, l’employeur avait l’obligation d’attendre qu’elle ait reçu toute la documentation de sa demande d’accès à l’information, et ce, en vertu d’un autre principe de justice naturelle, le droit d’être entendu.

[104] La plaignante remet en question les avis donnés sur la Commission des droits de la personne et la démarche au troisième palier, ainsi que l’opinion de Mme Germain que les paliers de grief peuvent servir à recueillir de l’information auprès de l’employeur et à aider à déterminer s’il y a lieu de poursuivre à l’arbitrage.

[105] La plaignante critique la notion de discrimination que semble prôner l’agent négociateur. Selon elle, il ne s’agit pas de faire de lien direct, mais plutôt de percevoir des « subtiles odeurs de discrimination ». Cette norme aurait dû être acceptée par Mme Germain et Mme Petrin.

[106] La plaignante est d’avis que Mme Petrin est sujette à un critère plus sévère d’exactitude juridique que l’agent négociateur dans son ensemble, compte tenu de sa formation et de son habilitation au Barreau. Pour cette raison, elle a commis une faute par ses conseils sur la Commission des droits de la personne et son opinion sur le véganisme comme n’étant pas un motif de discrimination en droit canadien. Elle s’est également trompée en disant qu’un grief qui porte sur la discrimination doit se faire en vertu de la convention collective, et donc avec l’appui de l’agent négociateur.

[107] La plaignante a fait plusieurs commentaires sur la représentation que pouvait donner Mme Germain du groupe des traducteurs (TR) au Bureau de la traduction parce qu’elle semblait être la seule qui s’occupait de ce groupe. La plaignante a aussi fait allusion au manque d’intervention de la défenderesse dans les conditions de travail des traducteurs aux Débats, notamment le nombre de mots exigés en période de pointe.

[108] Tous ces commentaires débordent largement le cadre de la présente plainte. J’ai refusé d’entendre de la preuve sur la problématique générale des traducteurs aux Débats. La plainte dont je suis saisie vise la représentation de la plaignante par la défenderesse; elle ne vise pas les autres traducteurs.

[109] La plaignante est d’avis que la défenderesse commet une faute en refusant de soutenir que le véganisme peut être un motif de discrimination.

[110] Le droit aux repas végans est protégé par la liberté de conscience assurée par la Charte à l’alinéa 2a). La plaignante cite à cet égard la décision Maurice c. Canada (Procureur général), 2002 CFPI 69, dans laquelle la Cour fédérale a déclaré que le fait de refuser des repas végétariens à un détenu violait sa liberté de conscience.

[111] De plus, selon la plaignante, Mme Petrin a mené une recherche largement déficiente pour aboutir à la conclusion que le véganisme ne constituait pas une croyance au sens de l’article anti-discrimination de la convention collective, et donc n’était pas un motif interdit de discrimination. Bien que la plaignante concède « qu’aucune décision n’ait, à ce jour, été rendue sur le sujet », il semblerait qu’en appliquant les principes fondamentaux, on en arriverait à la conclusion que le véganisme est effectivement un motif interdit.

[112] La plaignante reproche aussi à la défenderesse de ne pas avoir plaidé la discrimination fondée sur une condition médicale, alors qu’elle revenait d’un congé de maladie et qu’elle venait de demander une mesure d’adaptation lorsqu’on lui a annoncé qu’on allait mettre fin à son emploi. Selon la plaignante, le lien est évident.

[113] Finalement, non seulement la défenderesse a fait erreur en ne considérant pas les allégations de discrimination, Mme Petrin a elle-même eu un traitement discriminatoire à l’égard de la plaignante en semblant ne pas prendre au sérieux le véganisme comme motif de discrimination.

2. Plainte 561-02-42433

[114] La plainte est portée contre Mme Beaulieu, qui, selon la plaignante, s’est donné un rôle de représentation en acceptant d’être témoin à la rencontre en juin 2019, tenue par Mme Bard avec la plaignante.

[115] La plaignante soutient que Mme Beaulieu a participé au subterfuge de l’employeur menant au congédiement de la plaignante, et qu’elle a utilisé son rôle de déléguée syndicale pour s’attirer les faveurs de l’employeur, comme réviseure et comme gestionnaire, sans égards pour les droits de la plaignante.

[116] La plaignante souligne la relation très amicale entre Mme Beaulieu et Mme Bard. Elle soutient que Mme Beaulieu aurait dit à Mme Germain « avoir un certain pouvoir de décision quant à la sélection des restaurants ». Je note ici que je n’ai rien vu de tel dans la preuve. Pourtant, selon la plaignante, son véganisme dérangeait Mme Beaulieu pour cette raison.

[117] La plaignante soutient que les seules plaintes contre ses traductions émanent de Mme Beaulieu. C’est donc elle, logiquement, qui est à l’origine du plan d’action et éventuellement, du renvoi en cours de stage.

[118] L’intervention de Mme Beaulieu, lorsqu’elle arrête la plaignante avec son ordinateur portable en février 2020, montre bien qu’elle est du côté de l’employeur, et contre la plaignante.

[119] Enfin, l’appel téléphonique entre Mme Germain et Mme Beaulieu le 6 janvier 2021 montre bien le parti pris de cette dernière contre la plaignante.

[120] La plaignante a demandé plusieurs mesures de redressement. Parce que je ne fais pas droit au grief, je ne vois pas l’utilité de m’y attarder.

B. Pour la défenderesse

[121] Une plainte pour défaut de représentation équitable se fait en vertu de l’article 187 de la Loi. Pour avoir gain de cause, la plaignante doit démontrer que la défenderesse a agi de façon discriminatoire ou arbitraire, ou avec mauvaise foi, dans sa représentation de la plaignante. Or, celle-ci ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve.

[122] La jurisprudence de la Commission est claire que le désaccord avec la stratégie ou le raisonnement de l’agent négociateur ne suffit pas pour établir que celui-ci a failli à son devoir (voir notamment Gibbins c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2015 CRTEFP 36).

[123] La plaignante a reproché à la défenderesse d’avoir indiqué qu’il serait difficile de renverser la décision de l’employeur parce que le renvoi avait eu lieu au cours de la période de stage et qu’il y avait, selon l’employeur, un motif lié à l’emploi. Cette position n’était pas prise pour nier les droits de la plaignante, mais plutôt pour tenir compte de la réalité, qu’il est difficile de contester le renvoi en cours de stage.

[124] Mme Germain a fait de son mieux pour accompagner la plaignante dans sa contestation, mais il y a eu une absence de coopération. Finalement, la plaignante a signifié à la défenderesse qu’elle était représentée par quelqu’un d’autre, qui se chargeait du dossier. La défenderesse avait clairement indiqué qu’elle ne faisait pas de co-représentation. En outre, vu l’absence de renseignements supplémentaires, elle était d’avis que le grief aurait peu de chances de succès. Le déroulement des événements aurait pu être différent si Mme Germain avait pu procéder avec les paliers de grief; elle a clairement dit à l’audience qu’elle aurait été prête à aller de l’avant, mais que la plaignante refusait de procéder.

[125] La plaignante a deux plaintes : l’une contre Mme Beaulieu, l’autre contre la défenderesse (plus particulièrement les actions de Mme Germain et Mme Pétrin).

[126] Pour ce qui est de la plainte contre Mme Beaulieu, il faut comprendre que cette dernière ne joue aucun rôle de représentation des fonctionnaires individuellement. À titre de déléguée syndicale, elle fait le lien entre le milieu de travail et la défenderesse; en étant un témoin sur le terrain, elle permet à la défenderesse de mieux comprendre les enjeux au travail. Par contre, elle ne représente pas les fonctionnaires pour leurs griefs, et elle ne fait pas enquête sur les situations de travail donnant lieu à des griefs. Cela est plutôt le rôle de l’agente des relations de travail.

[127] Il n’y a rien dans la preuve qui établit que Mme Beaulieu a joué un rôle dans l’établissement du plan d’action, ou que Mme Beaulieu aurait fait preuve de discrimination à l’endroit de la plaignante en raison de son véganisme.

[128] Mme Beaulieu révisait les textes de la plaignante à titre de TR-03, comme d’autres personnes le faisaient. Elle a signalé des lacunes, comme elle était censée le faire. Elle n’avait aucun rôle à jouer dans la commande des repas ni dans le choix de restaurant. Il n’y a simplement aucune indication que le véganisme de la plaignante ait eu une incidence sur sa révision.

[129] Quant à la plainte contre la défenderesse et ses agentes, Mme Germain et Mme Petrin, elle n’est pas fondée non plus. La plaignante ne peut reprocher à la défenderesse d’avoir cessé la représentation – c’est elle-même qui choisit un représentant extérieur. La séparation est donc mutuelle.

[130] La jurisprudence démontre que l’obligation de représentation équitable n’est pas une obligation de perfection. Pourvu que l’agent négociateur fasse enquête honnêtement sur la situation de l’employé, qu’il étudie le dossier avec soin et sérieux, il aura rempli son devoir. Il n’est pas tenu d’adopter les stratégies ou positions de l’employé.

[131] Dans le cas présent, Mme Germain et Mme Petrin ont considéré avec sérieux la situation de la plaignante pour en arriver à la conclusion, fondée sur les précédents, que le grief avait peu de chances de succès. Cependant, malgré cette conclusion, Mme Germain a toujours été prête à défendre le grief, en invoquant le caractère arbitraire du renvoi en cours de stage et la charge excessive de travail pendant les premiers mois de l’emploi de la plaignante. Elle n’a jamais pu agir, parce que la plaignante s’opposait à l’avis de Mme Germain de procéder à l’audience du deuxième palier de la procédure des griefs. On ne peut lui tenir rigueur d’avoir écouté la plaignante, jusqu’à ce que celle-ci signale qu’elle se faisait représenter par quelqu’un d’autre que Mme Germain.

[132] Mme Germain a toujours traité le dossier avec sérieux. Dès qu’elle a appris que la plaignante risquait de perdre son emploi, elle a tenté de négocier avec l’employeur. Elle a communiqué avec M. Desgagné et elle a reçu de la plaignante un résumé de la situation.

[133] Au départ, il n’était pas question de discrimination ni de représailles. Ce n’est que beaucoup plus tard que la plaignante a soulevé ces questions. La plaignante lui reproche son pessimisme – il s’agissait pour Mme Germain de gérer les attentes. Le renvoi en cours de stage n’est pas un licenciement au sens propre, qui exigerait un motif valable. Pour le renvoi en cours de stage, l’insatisfaction de l’employeur suffit, pourvu que cette insatisfaction soit liée au travail de l’employé.

[134] Selon la défenderesse, le parcours que proposait Mme Germain pour le grief était raisonnable – il s’agissait de franchir les paliers pour obtenir le plus d’information possible de l’employeur. Cette information pourrait être utile pour décider du renvoi à l’arbitrage.

[135] Mme Germain s’est rendu compte que la plaignante ne coopérait pas : elle consulte, elle monte un dossier, elle laisse entendre qu’il y a discrimination, mais elle ne partage aucun renseignement avec Mme Germain. Finalement, elle partage des billets médicaux, qui, selon Mme Germain, n’appuient pas une allégation de discrimination. Elle laisse entendre qu’il y a discrimination en raison de son véganisme.

[136] Mme Petrin a fait une recherche, pour en arriver à la conclusion que le véganisme ne peut être considéré comme un motif de discrimination interdit. La plaignante a fini par signifier qu’elle serait représentée par quelqu’un d’autre.

[137] La défenderesse soutient qu’il n’y a rien d’arbitraire, de discriminatoire ou de mauvaise foi dans la démarche de la défenderesse et les actions de Mme Germain et Mme Petrin. Ces dernières ont étudié le dossier de façon sérieuse. Mme Germain a tenté de négocier avec l’employeur et elle a examiné ce que lui donnait la plaignante comme renseignements.

[138] Le désaccord sur la stratégie de procéder ou non au deuxième palier, ou le désaccord sur le véganisme comme motif de discrimination, ne suffisent pas pour conclure que la défenderesse a agi de façon discriminatoire, arbitraire ou avec mauvaise foi dans sa représentation de la plaignante.

[139] La plaignante a plaidé que la défenderesse avait une obligation d’équité procédurale et de justice naturelle à son endroit. C’est mal comprendre les principes du droit administratif. L’agent négociateur n’est pas un décideur administratif à qui s’imposent ces obligations. La défenderesse cite à cet égard la décision Hogan c. C.B.R.T. & G.W. [1981] 3 Can. L.R.B.R. 389, et notamment le passage suivant au paragraphe 17 :

[] C’est peut-être la similarité des expressions « devoir de représentation juste » et « juste façon de procéder » qui confond les parties et leurs avocats peu versés en relations de travail. […] En bâtissant leur argumentation, ils cherchent à traiter le représentant syndical et la procédure de règlement des griefs comme si tous deux remplissaient une fonction administrative quasi-judiciaire classique. Ce n’est nettement pas le cas. Notre préoccupation première n’est pas les règles de justice naturelle et la procédure suivie mais plutôt de savoir si l’agent négociateur, avant sa décision, a donné à la question l’attention qu’elle méritait et y a consacré les ressources à sa disposition.

 

[140] La défenderesse conclut qu’elle a rempli ses obligations à l’égard de la plaignante : Mme Germain a considéré avec sérieux les allégations de la plaignante et elle s’est renseignée auprès de l’employeur, de M. Desgagné et de la plaignante. Le manque de coopération et la réticence de procéder de la plaignante l’ont empêchée de poursuivre plus loin.

[141] L’analyse selon laquelle le grief serait difficile à défendre, dans le contexte d’un renvoi en cours de stage pour des raisons de rendement, n’était pas arbitraire ni motivée par la mauvaise foi. Au contraire, il s’agissait d’une analyse réaliste, au meilleur des connaissances de Mme Germain.

[142] Finalement, le désistement de la défenderesse s’est fait en partie en raison de l’analyse du grief, mais aussi en fonction du fait que la plaignante avait choisi d’être représentée par quelqu’un d’autre à l’extérieur de la défenderesse. On ne peut conclure sur la base de ces faits qu’il y a eu violation du devoir de représentation équitable.

IV. Analyse

[143] Les deux plaintes sont portées aux termes de l’article 187 de la Loi, qu’il convient de citer de nouveau pour éclairer l’analyse :

187 Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

 

[144] L’obligation qui est faite à un agent négociateur n’est pas de se plier aux souhaits de l’employé qu’il représente, ni d’adopter la stratégie que celui-ci prône. La jurisprudence est constante en ce sens : l’agent négociateur doit démontrer qu’il a étudié le dossier avec soin et sérieux. Comme l’écrit l’arbitre de grief dans Halfacree c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 28, au par. 23 :

[23] Dans l’arrêt Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon et autre, [1984] 1 R.C.S. 509, la Cour suprême du Canada a établi qu’il est suffisant de la part d’un agent négociateur de démontrer qu’il a pris en considération les circonstances relatives au grief, qu’il a examiné le bien-fondé de celui-ci et qu’il a pris une décision rationnelle sur la question de savoir s’il convenait de poursuivre l’affaire. […]

 

[145] Je ne vois rien dans les agissements de la défenderesse qui contrevient à ces directives. Mme Germain et Mme Petrin ont considéré les circonstances du renvoi en cours de stage, elles ont examiné le bien-fondé du grief, et elles ont pris la décision, qui se justifie rationnellement, de mettre fin à la représentation du grief, compte tenu du manque de coopération et de la représentation par quelqu’un de l’extérieur, et compte tenu de la difficulté juridique de contester le renvoi en cours de stage.

A. Plainte 561-02-42426

1. Caractère discriminatoire de la représentation

[146] La plaignante aurait voulu que j’établisse clairement dans la présente décision que le véganisme est un motif de discrimination au sens de la loi, ou du moins un choix protégé par l’article 2 de la Charte (liberté de conscience).

[147] Je ne suis pas prête à me prononcer sur le véganisme comme étant un motif protégé par la Charte, la Loi canadienne sur les droits de la personne ou la convention collective, parce qu’une telle conclusion n’est pas nécessaire aux fins de la présente décision.

[148] La défenderesse, par l’entremise de Mme Germain et de Mme Petrin, a signifié à la plaignante qu’elle n’était pas prête à reconnaître le véganisme comme motif de discrimination. Mme Petrin a conclu que dans l’état du droit actuel au Canada, le véganisme n’a pas été reconnu comme motif de discrimination.

[149] Je note que la plaignante invoque la décision Maurice de la Cour fédérale. Dans cette décision, la Cour a jugé que le végétarianisme d’un détenu était protégé par la liberté de conscience, et que le fait pour les autorités carcérales de lui refuser des repas végétariens constituait une violation de l’article 2 de la Charte. Les circonstances sont trop différentes pour que cette décision puisse être applicable en l’espèce. Il suffit de dire que l’alimentation de la plaignante ne dépendait pas de l’employeur, alors que celle d’un détenu dépend entièrement des autorités carcérales.

[150] J’ai compris de la preuve présentée qu’il y a deux motifs pour lesquels la défenderesse ne voulait pas poursuivre le dossier véganisme. D’abord, les recherches de Mme Petrin qui ne lui donnaient aucune jurisprudence permettant de voir le véganisme comme motif interdit de discrimination. Ensuite, il n’y avait aucun élément de preuve permettant de faire le lien entre le véganisme de la plaignante et son renvoi en cours de stage.

[151] Encore une fois, je ne me prononce pas sur la décision de l’employeur de mettre fin à l’emploi de la plaignante. Le débat sur le grief reste entier. Il existe peut-être des éléments de preuve dont je ne suis pas saisie qui montrent un parti pris contre la plaignante de l’employeur en raison de son véganisme. Si de telles preuves existent, je suis convaincue qu’elles n’ont pas été présentées à la défenderesse. On ne peut donc lui reprocher de ne pas avoir agi en conséquence.

[152] La plaignante reproche aussi à la défenderesse de ne pas avoir constaté de discrimination alors qu’elle a été informée de son licenciement au retour d’un congé de maladie. À première vue, effectivement, on peut se poser des questions. Et Mme Germain a posé des questions pour comprendre le lien entre le congé de maladie et le renvoi en cours de stage, pour découvrir qu’il n’y en avait pas. Elle s’est satisfaite de l’explication de l’agente des relations de travail de l’employeur, Catherine Rousseau, qui lui a laissé entendre, avec courriels à l’appui, que la décision avait été prise dès le mois de février, avant le congé de maladie.

[153] Encore une fois, je ne me prononce pas sur les agissements de l’employeur. Je ne fais que considérer les actions des représentantes de la défenderesse, soit Mme Germain et Mme Petrin. Je ne constate pas de comportement discriminatoire.

2. Caractère arbitraire ou mauvaise foi dans la représentation

[154] La plaignante plaide qu’on devrait voir Mme Germain comme étant un peu trop alliée de l’employeur, et notamment en raison de son excellente relation avec Mme Rousseau, qu’elle a confirmée à l’audience.

[155] Je ne vois pas dans le fait d’entretenir de bonnes relations avec son homologue chez l’employeur une faute de la part de Mme Germain. La Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral le dit dans son préambule : l’objectif n’est pas d’entretenir une relation d’adversaires, mais bien d’établir des relations de travail harmonieuses.

[156] Mme Germain a fait son travail en tentant d’obtenir plus de renseignements sur la décision de renvoyer la plaignante en cours de stage. Elle a fait des démarches pour tenter de convaincre l’employeur d’affecter la plaignante dans un autre poste au bureau de la traduction. Elle a obtenu des renseignements qui l’ont convaincue que l’employeur avait des motifs liés au rendement pour mettre fin à l’emploi de la plaignante.

[157] Malgré la difficulté de contester un renvoi en période de stage, Mme Germain a toujours été disposée à représenter la plaignante et à contester le renvoi en cours de stage en raison du caractère apparemment arbitraire de la décision et de la situation difficile de la plaignante en début de stage pendant la période extrêmement occupée de mai et juin 2019, s’appuyant largement sur les dires de M. Desgagné. Elle a répété cette position à l’audience. Elle n’a jamais eu la chance de le faire. La plaignante a sans cesse repoussé l’audition au deuxième palier, contre l’avis de Mme Germain, et finalement, M. Arsalane s’est chargé de la représentation.

[158] Il n’y a rien d’arbitraire ou de mauvaise foi dans la représentation de Mme Germain. Elle a pris le dossier au sérieux, elle a écouté la plaignante et retardé l’audience du deuxième palier, elle a demandé à maintes reprises les preuves qui pourraient étayer le grief. Malgré des allusions à la discrimination, la plaignante n’a jamais présenté de preuve que le véganisme était en jeu dans son renvoi en cours de stage. Elle est revenue de son congé de maladie et l’employeur a accordé la mesure d’adaptation demandée, soit le télétravail. Pour les raisons énoncées plus haut, Mme Germain n’a pas constaté de discrimination liée à la condition médicale.

[159] La jurisprudence est claire à ce sujet : il ne s’agit pas pour moi de déterminer si la défenderesse a choisi la meilleure stratégie ni de décider si l’analyse de la discrimination est absolument correcte. Il s’agit plutôt de déterminer si les représentantes de la défenderesse ont fait leur travail sérieusement et consciencieusement. Je conclus par l’affirmative.

[160] Un désaccord sur la stratégie ne peut fonder une plainte de représentation inéquitable. Mme Germain avait des raisons claires et logiques de vouloir procéder au deuxième palier ou même au troisième. On peut citer à cet égard la décision Gibbins c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2015 CRTEFP 36, au para. 104 :

104 Mais, comme il a été souligné dans Bahniuk, le syndicat n’est pas obligé de se plier aux directives de ses membres lorsqu’il s’agit de décider de la voie à suivre en matière de représentation, pourvu qu’il n’agisse pas de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire. En outre, je crois que le syndicat n’est pas obligé de représenter une employée qui ne collabore pas avec lui, ou dont le manque de confiance est si dévastateur que la relation n’est pas fonctionnelle. En pareilles circonstances, sa représentation ne serait pas fructueuse et, par conséquent, ne serait pas dans l’intérêt des membres dans leur ensemble.

 

[161] La plaignante a beaucoup insisté sur l’obligation de la défenderesse de se conformer à l’équité procédurale et la justice naturelle. Je suis d’accord avec le raisonnement dans Hogan : ces caractéristiques de la justice administrative ne sont pas des obligations qui sont créées par le devoir de représentation équitable.

[162] La plaignante a cité trois décisions à cet égard : Pronovost, Veillette et Bremsak. Dans Pronovost, la Commission indique qu’il y a une certaine obligation d’équité procédurale lorsqu’on prive quelqu’un d’un droit. Dans cette décision, on ne privait pas Mme Pronovost d’un droit, et cette obligation n’était donc pas reconnue. Dans le cas présent, les actions de la défenderesse ne privent pas la plaignante d’un droit : elle peut présenter un grief contre son renvoi en cours de stage sans l’appui de l’agent négociateur.

[163] Dans Veillette et Bremsak, il s’agissait de cas de discipline au sein de l’agent négociateur. On privait les plaignants de la possibilité de participer pleinement aux activités syndicales. Une certaine obligation était donc créée, mais d’ailleurs respectée.

[164] L’enjeu dans la présente cause ne se situe pas à un niveau qui engage une obligation d’équité procédurale ou de justice naturelle pour l’agent négociateur. Celui-ci ne doit pas agir de façon arbitraire, et dans cette mesure, doit bien sûr écouter le ou la fonctionnaire qu’il représente. Cela ne crée pas pour autant les obligations que la plaignante voudrait imposer : de lui expliquer la démonstration qu’elle doit faire pour gagner sa cause (c’est à l’agent négociateur qui la représente de faire cette démonstration).

[165] L’obligation d’équité procédurale et le respect de la justice naturelle s’appliquent aux tribunaux quasi-judiciaires tels que la Commission. Une fois les paliers de la procédure de grief franchis, le grief aurait pu être renvoyé à l’arbitrage. C’est à ce moment que les documents requis auraient fait l’objet d’une ordonnance de production (sous réserve de pertinence). C’est aussi à ce moment que la plaignante aurait eu droit à une audience parfaitement impartiale, où la décision ne provenait pas de l’employeur, mais bien d’une tierce partie indépendante. Je ne peux reprocher ce raisonnement à la défenderesse. Mme Germain voyait dans les paliers de grief l’occasion d’avancer le grief. La plaignante voyait les choses d’un autre œil; elle voulait avoir en main toutes les preuves possibles pour étayer son grief, présumément dans l’espoir de convaincre l’employeur. Encore une fois, cette différence d’opinion ne suffit pas pour conclure que la plainte est fondée.

[166] Je conclus que la défenderesse n’a pas agi de façon arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi dans sa représentation de la plaignante.

B. Plainte 561-02-42433

[167] La plainte porte spécifiquement sur Mme Beaulieu, qui aurait agi de façon contraire à l’article 187 de la Loi dans sa représentation de la plaignante. Je ne peux entériner cette allégation, pour les raisons suivantes.

[168] D’abord, en tant que déléguée syndicale, Mme Beaulieu ne jouait pas un rôle de représentation de la plaignante. Ce rôle est réservé aux agents de relations de travail, comme Mme Germain.

[169] La plaignante a tenté de monter en épingle la participation de Mme Beaulieu dans une réunion avec la gestionnaire. Mme Beaulieu a bien expliqué son rôle : elle y était comme témoin, pour protéger à la fois la gestionnaire et la plaignante. D’après les deux témoignages, Mme Beaulieu n’est pas intervenue, elle n’a fait qu’assister à la rencontre.

[170] Ensuite, je ne pourrais conclure que Mme Beaulieu est à l’origine du plan d’action qui a finalement échoué. Les échanges qui précèdent la mise en place du plan ont lieu entre M. Laflamme et Mme Leduc, une autre réviseure. L’amitié entre Mme Beaulieu et Mme Bard me semble aussi une fausse piste. Ce n’est pas Mme Bard qui impose le plan d’action, c’est M. Laflamme.

[171] Enfin, si Mme Beaulieu était critique du travail de la plaignante au cours des mois de mai et juin 2019, elle n’était pas la seule. M. Desgagné a également fait part à Mme Germain des lacunes dans le travail de la plaignante. Il ne semblait pas penser que le plan d’action était une mauvaise idée, au contraire. Il y voyait l’encadrement dont la plaignante avait besoin selon lui.

[172] Dans le contre-interrogatoire de Mme Beaulieu, on a tenté de faire ressortir son hostilité au véganisme de la plaignante. Je n’ai pas vu d’hostilité, mais plutôt de l’indifférence. Le véganisme est très important pour la plaignante; il l’était pour l’employeur dans la mesure où on voulait que tout le monde puisse profiter des repas offerts en période de pointe, mais ce n’était pas la seule contrainte alimentaire dont l’employeur devait tenir compte. Ce que j’ai retenu des propos de Mme Beaulieu est que selon elle le véganisme est un choix alimentaire parmi d’autres. De là à dire que Mme Beaulieu aurait collaboré à l’éventuel renvoi en cours de stage pour des motifs discriminatoires, l’écart est infranchissable.

[173] La plainte est donc rejetée pour deux motifs : je ne vois pas que Mme Beaulieu ait participé de près ou de loin au renvoi en cours de stage, et je ne vois pas que son rôle de déléguée syndicale ait été en contradiction avec son rôle de réviseure. Elle était la présence de l’agent négociateur en milieu de travail pour refléter la perspective des fonctionnaires sur la situation de travail; elle n’avait aucun rôle de représentation individuelle et donc ne pouvait faillir à la tâche.

[174] Je dois faire un commentaire sur les notes prises par Mme Germain lors d’une conversation en janvier 2021 avec Mme Beaulieu au sujet de la plaignante. Le ton est certainement négatif. Cependant, compte tenu de la séquence des événements, je ne vois pas que cette conversation ait eu une incidence ni sur la décision de la défenderesse de mettre fin à la représentation, puisque la représentation était assumée par quelqu’un d’autre et que le raisonnement de la défenderesse était déjà arrêté, ni sur le rôle qu’a pu jouer Mme Beaulieu dans le plan d’action et le renvoi, puisque bien d’autres acteurs y étaient impliqués. Je conclus donc que la plainte contre Mme Beaulieu n’est pas fondée.

[175] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[176] Les plaintes sont rejetées.

Le 7 novembre 2022.

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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