Décisions de la CRTESPF

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Date: 20221223

Dossiers: 561-02-44478, 597-02-44687 et 597-02-44688

 

Référence: 2022 CRTESPF 105

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

david lessard-gauvin

plaignant et demandeur

 

et

 

alliance de la fonction publique du canada

 

défenderesse

 

Répertorié

Lessard-Gauvin c. Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaires concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral et deux demandes d’autorisation de poursuite visée à l’article 205 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Renaud Paquet, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant et défendeur : Lui-même

Pour la défenderesse : Kim Patenaude, avocate

Décision rendue sur la base des documents au dossier

et des arguments écrits déposés le 3 novembre 2022.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Plainte et demandes devant la Commission

[1] Le 26 janvier 2022, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») a rendu la décision Lessard-Gauvin c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2022 CRTESPF 4 (la « décision 2022 CRTESPF 4 »). Dans cette affaire, le plaignant était David Lessard-Gauvin (le « plaignant »), et la défenderesse était l’Alliance de la Fonction publique du Canada (la « défenderesse »). La Commission a conclu que la défenderesse avait manqué à son devoir de représentation et lui a ordonné de soumettre, au nom du plaignant, une demande de prorogation de délai selon l’article 61 du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral.

[2] La Commission a demandé à la défenderesse de lui soumettre ses arguments écrits en appui à la demande de prorogation de délai au plus tard le 25 février 2022. La défenderesse n’a pas respecté la date limite du 25 février 2022. La Commission a accordé un délai supplémentaire à la défenderesse pour soumettre ses arguments écrits, qui furent éventuellement reçus par la Commission le 7 mars 2022. L’objet premier de la plainte portant le numéro 561-02-44478, déposée le 4 mars 2022, est le non‑respect par la défenderesse du délai du 25 février 2022. Selon le plaignant, vu le continuum de négligence de la défenderesse à son égard, le non-respect de ce délai ne peut qu’être qualifié d’arbitraire et de négligence grave.

[3] Le 4 mars 2022, le plaignant a aussi présenté à la Commission une demande d’autorisation de poursuite contre la défenderesse pour ses manquements au devoir de représentation équitable reconnus par la Commission dans la décision 2022 CRTESPF 4 (dossier 597-02-44687). Par souci de clarté, nous utiliserons le mot plaignant tout au long de la présente décision même si, pour les fins de cette demande et de celle dont il est question ci-après, M. Lessard-Gauvin est un demandeur et non un plaignant. Le 4 mars 2002, le plaignant a présenté à la Commission une seconde demande d’autorisation de poursuite (dossier 591-02-44688) en relation avec la plainte (dossier 561‑02‑44478) pour le non-respect par la défenderesse du délai du 25 février 2022.

[4] Le 24 mai 2022, la Commission a tenu une conférence de gestion des cas avec les parties. Plus tard, la Commission a décidé de traiter initialement des dossiers sur la base d’arguments écrits. Le 29 juillet 2022, le greffe de la Commission écrivait ce qui suit aux parties :

[…]

La plainte 561-02-44478 datée du 4 mars 2022 et les demandes 597-02-44687 et 44688 renvoient toutes à la décision 2022 CRTESPF 4. Elles sont jusqu’ici demeurées en attente et elles seront traitées dans un même processus de soumissions. Le Commissaire demande à M. Lessard-Gauvin de faire parvenir à la Commission au plus tard le 30 septembre 2022 ses soumissions écrites en regard de la plainte 561-02-44478 et des demandes 597‑02-44687 et 44688. Veuillez noter qu’à la suite de la réception de ces soumissions, il est possible que le Commissaire rende une décision finale sur la plainte et les deux demandes sans autre avis. Il est aussi possible qu’il décide alors, selon un échéancier à préciser, de demander d’autres soumissions ou précisions des parties avant de rendre une décision.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[5] Le 15 septembre 2022, le plaignant a avisé la Commission qu’il aimerait « ouvrir le dialogue » avec la défenderesse afin d’en arriver à un règlement à l’amiable, compte tenu de la décision de la défenderesse de recourir aux services d’un avocat externe pour le représenter pour l’arbitrage de son grief. Le 5 octobre 2022, j’ai été informé que la défenderesse avait refusé de participer à une médiation dans le cadre des présents dossiers. Le 6 octobre 2022, j’ai remis en marche le processus d’arguments écrits commencé le 26 juillet 2022, avec comme changement que la date limite accordée au plaignant pour faire parvenir ses arguments était dorénavant le 28 octobre 2022. N’ayant rien reçu du plaignant à cette date, la Commission lui a demandé de lui faire parvenir ses arguments au plus tard le 3 novembre, à 16 h. La Commission a reçu les arguments du plaignant par courriel, en après-midi, le 3 novembre 2022.

II. Résumé de la réponse de la défenderesse à la plainte et aux demandes d’autorisation de poursuite

[6] Dans la décision 2022 CRTESPF 4, la Commission a ordonné à la défenderesse de présenter, dans les 30 jours de sa décision, une demande de prorogation de délai pour déposer le grief du plaignant dans les délais prévus. Or, une telle demande avait déjà été présentée à la Commission le 4 août 2020, mais n’avait pas encore été traitée. Néanmoins, la Commission a ordonné à la défenderesse de lui soumettre par écrit, au plus tard le 25 février 2022, ses arguments en appui d’une prorogation de délai. N’ayant pas reçu les arguments de la défenderesse, la Commission a changé la date du 25 février 2022 au 7 mars 2022, puis au 14 mars 2022.

[7] En raison d’un volume de travail plus élevé que d’habitude et de changements dans le personnel, la défenderesse n’a pas été en mesure de respecter l’échéancier initial et elle n’a fait parvenir ses arguments à la Commission que le 7 mars 2022.

[8] Selon la défenderesse, même s’il est vrai que les arguments de la défenderesse sur la demande de prorogation ont été déposés le 7 mars 2022 au lieu du 25 février 2022, la défenderesse n’a pas manqué pour autant à son devoir de représentation équitable. Elle n’a pas agi de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi. La plainte devrait donc être rejetée, car elle ne satisfait à aucun des critères démontrant que la défenderesse a manqué à son devoir de représentation. Qui plus est, le plaignant n’a subi aucun préjudice du fait qu’elle n’a pas respecté le premier délai fixé par la Commission. En appui de sa position sur la plainte, la défenderesse me renvoie à Ouellet c. Luce St-Georges, 2009 CRTFP 107.

[9] La défenderesse allègue que les demandes du plaignant d’intenter des poursuites en vertu de l’article 205 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi ») sont frivoles et ne seront d’aucune utilité.

[10] Le 26 janvier 2022, la Commission a rendu la décision 2022 CRTESPF 4 accueillant la plainte du plaignant concernant l’omission de la défenderesse de déposer le grief du plaignant dans les délais prévus. La Commission a ordonné à la défenderesse de présenter, dans les 30 jours, une demande de prorogation de délai pour présenter les griefs à l’employeur et de représenter le plaignant dans le cadre de sa demande. Comme reporté ci-haut, la défenderesse a présenté ses arguments relatifs à cette demande quelques jours après le délai fixé par la Commission. Puis, le 19 mai 2022, la Commission a rendu la décision Lessard-Gauvin c. Conseil du Trésor (École de la fonction publique du Canada), 2022 CRTESPF 40, dans laquelle elle a accordé la demande de prorogation de délai. De plus, elle a ordonné que les griefs du plaignant soient mis au rôle dès que possible.

[11] La Loi stipule que les organisations syndicales peuvent être poursuivies pour une infraction si la Commission y consent. Bien que ce recours existe dans la Loi, depuis l’entrée en vigueur du recours en 2005, il a été très rarement invoqué et presque jamais accordé. Dans Quadrini c. Agence du revenu du Canada, 2008 CRTFP 37, la Commission a indiqué que ces demandes sont extrêmement rares et impliquent presque toutes des situations où il était allégué que des employés avaient participé à une grève illégale.

[12] La Cour d’appel fédérale, dans Bremsak c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2012 CAF 91, a affirmé que ce recours ne devrait être accordé que pour « […] les situations les plus graves, tant à cause des répercussions juridiques importantes pour les personnes poursuivies que pour les effets négatifs d’une poursuite au criminel sur les relations de travail […] ».

[13] Comme l’atteste la jurisprudence, l’article 205 de la Loi est une disposition exceptionnelle, qui ne devrait être invoquée que dans les cas extrêmes, lorsqu’il n’y a pas d’autres moyens de réparer le tort encouru et que son application favoriserait les bonnes relations de travail.

[14] Le plaignant a déposé deux demandes d’autorisation d’intenter une poursuite contre la défenderesse. La première est au sujet de l’infraction traitée dans la décision 2022 CRTESPF 4. La deuxième est au sujet de l’infraction reprochée dans la plainte portant le numéro de dossier 561-02-44478, soumise le 4 mars 2022.

[15] La défenderesse soutient que le plaignant ne s'est pas acquitté de son fardeau de démontrer que les fautes reprochées sont si graves qu'elles nécessitent une poursuite contre la défenderesse. De plus, tout préjudice découlant des erreurs du syndicat a été réparé, ce qui rend la question de réparation du préjudice sans objet.

[16] De plus, la défenderesse n’a jamais fait preuve de mauvaise foi ou n’a jamais eu une quelconque intention de nuire aux intérêts du plaignant. Comme il est indiqué dans la décision 2022 CRTESPF 4, lorsque la représentante de l’AFPC a découvert son erreur, elle a immédiatement contacté l’employeur et a tenté de régler la situation. De plus, la défenderesse a reconnu sa faute et accepté la responsabilité de son inattention.

[17] La défenderesse maintient que les demandes d’autorisation de poursuite sont sans objet et frivoles. La jurisprudence est claire qu’une telle autorisation ne sera accordée que dans les situations extrêmement exceptionnelles. Dans le présent cas, le plaignant a subi un tort regrettable, mais réparable, lequel a été reconnu par la Commission et réparé par la défenderesse. Les pouvoirs de redressement de la Commission étaient tout à fait adéquats et une poursuite criminelle ne serait d’aucune utilité.

III. Les arguments du plaignant en appui à sa plainte et à ses demandes d’autorisation de poursuite

[18] Pour des raisons pratiques, et au risque de mal interpréter les arguments du plaignant en appui à sa plainte et à ses demandes, j’ai choisi de les reproduire intégralement. Les voici :

[…]

Concernant la plainte 561-02-44478, je maintiens que mon dossier fait l’objet d’une négligence continue assimilable à une « représentation inéquitable » au sens de la Loi.

Je me permets quelques propos sur le « comment » il est possible de conclure à une représentation syndicale inéquitable. D’abord, à l’instar de la discrimination, la représentation inéquitable peut apparaitre sur trois niveaux, et ce, quel que soit le genre de reproche fait au syndicat (arbitraire, négligence, discrimination, mauvaise foi, etc) :

Micro : C’est le niveau d’analyse qui s’attarde à l’individu et ses interactions avec autrui.

Mezzo : C’est le niveau d’analyse qui s’attarde à la culture organisationnelle et aux politiques organisationnelles. À l’égard de l’AFPC, il y a trois sous-niveaux : syndicat local, élément et agent négociateur.

Macro : C’est le niveau d’analyse qui s’attarde aux lois et à la culture sociale.

Je n’ai pas trouvé de tableau explicatif propre aux syndicats. Je soumets tout de même celui-ci-dessus. Il faut évidemment le lire en l’adaptant aux réalités propres aux syndicats.

De plus, la représentation inéquitable peut apparaitre essentiellement de deux façons :

1 En analysant les actes/omissions pris individuellement, c’est-à-dire qu’un ou des actes/omissions pris isolément peut/peuvent constituer un cas de représentation inéquitable;

2 En analysant les actes/omissions avec une vision de « continuum », une vision systémique ou une vision globale; c’est‑à‑dire qu’aucun acte/omission pris isolément peut constituer un cas de représentation inéquitable mais pourrait tout de même constituer une représentation inéquitable en regardant la situation globalement.

Cependant, c’est en intégrant ces deux façons que la CRTESPF devrait traiter une plainte. Autrement dit, qu’il y ait ou non un acte/omission qui puisse, de façon isolée, constituer un cas de représentation syndicale inéquitable, la CRTESPF devrait toujours analyser la situation de façon globale afin d’évaluer la présence ou l’absence d’une représentation inéquitable.

Afin d’avoir une vision globale, la CRTESPF doit tenir compte :

· Des allégations et faits mentionnés dans la plainte;

· Des allégations et faits survenus après la plainte;

· Du contexte factuel antérieur aux allégations de la plainte;

Le premier élément va de soi et je ne m’y attarderai pas.

Le deuxième élément vise à assurer un meilleur accès à la justice. Afin d’éviter au plaignant de redéposer une nouvelle plainte pour chaque acte ou omission pouvant constituer de la représentation inéquitable, la CRTESPF devrait analyser tout fait et toute allégation postérieurs à la plainte mais antérieurs au jugement, sous réserve d’accorder au syndicat la possibilité de répliquer à ces faits et allégations.

Le troisième élément doit tenir compte du délai prévu par la loi et, comme dans la présente situation, du respect de la chose jugée. En demeurant à l’intérieur de ces deux balises, l’approche de la CRTESPF doit favoriser la prise en compte du contexte factuel antérieur. Ainsi, la CRTESPF devrait tenir compte du contexte factuel ayant été analysé dans les dossiers de la décision 2022 CRTESPF 4. À l’égard du troisième élément, il est donc important d’effectuer une distinction entre « faits en litige » et « contexte factuel ». Seuls les deux premiers éléments peuvent servir à établir des faits en litige.

Par ailleurs, l’iniquité de la représentation peut être directe, c’est‑à‑dire apparaître à sa face même, ou être « par effets préjudiciables ». Ceci est particulièrement important à l’égard des cas d’arbitraire, de négligence grave et de discrimination de la part du syndicat. La notion/preuve d’« intention » ne devrait être exigée que pour la mauvaise foi. Rappelons aussi que tous les critères de l’article 187 peuvent se démontrer avec une présomption de faits, c’est-à-dire avec un raisonnement inductif appuyé par des faits « graves, précis et concordants ».

Historiquement, la CRTESPF a eu une approche conservatrice où elle n’analyse que le niveau « micro » et uniquement en fonction d’actes/omissions pris individuellement, et ce, même quand on lui demande d’analyser une situation selon une perspective globale. Cette approche doit évoluer. L’iniquité de la représentation syndicale peut se manifester de diverses façons et sur plusieurs niveaux et l’analyse juridique de la CRTESPF doit être adaptée à cette réalité.

Mes propos ci-dessus ne visent pas à modifier les critères de l’article 187 LRTSPF (négligence grave, arbitraire, discrimination, mauvaise foi, …). Je propose seulement une méthode d’analyse plus holistique des faits en litige et du contexte factuel du litige et plus respectueuse de la dignité humaine du salarié et de ses droits fondamentaux (accès à la justice, droit à des conditions de travail justes et raisonnables, droit à l’égalité et à la protection contre la discrimination, etc).

Concernant le contexte factuel, je demande à la CRTESPF de tenir compte des faits mentionnés dans mes plaintes antérieures, particulièrement les faits sous-jacents à la décision 2022 CRTESPF 4. J’estime qu’il y a un continuum de négligence de la part du syndicat et ce continuum doit s’évaluer à la lumière de l’ensemble des circonstances. Je ne reprendrai pas ici ces circonstances puisque le commissaire saisi de la présente plainte est le même que pour mes plaintes antérieures. J’invite donc le commissaire à relire, au besoin, les dossiers de plainte antérieure.

Concernant le contexte factuel et les faits en litige de la présente plainte, j’invite la CRTESPF à relire mon formulaire de plainte.

Je m’attarderai à souligner les faits survenus après la plainte et qui appuie mon allégation de représentation syndicale inéquitable, lorsqu’on considère la situation dans son ensemble. Il s’agit donc d’ajouter de nouvelles allégations (faits en litige) et de bonifier le contexte factuel en tenant compte de toutes les circonstances survenues jusqu’à aujourd’hui.

· Dans le cadre de la représentation quant à la requête en prorogation, la représentante Christine Dutka, n’a jamais communiqué avec moi pour m’expliquer la situation, tenir compte de mon point de vue, ou autre.

· Le syndicat maintient sa position qu’il souhaite m’imposer un règlement hors cour, et ce, même s’il ne m’apparait pas juste/satisfaisant.

· L’avocat ne semble pas avoir la volonté ou les ressources nécessaires pour me représenter. Il n’est pas en mesure de me dire quels documents le syndicat lui a remis et il omet des éléments dans ce qui lui a été demandé par la Commissaire Lavictoire pour la conférence de règlement.

· Il fut difficile d’organiser mon transport en français pour me rendre à la conférence de règlement.

· L’AFPC a trop tardé avant de nommer quelqu’un pour me représenter pour mon grief.

Je demande donc à la CRTESPF de rejeter la requête en rejet préliminaire et d’établir un échéancier pour présenter tous les éléments de preuve à l’égard de la faute du syndicat et à l’égard du préjudice subi. Je souhaite présenter mes arguments lors d’une audience.

Concernant les demandes 597-02-44687 et 44688, il semble que la CRTESPF et les organismes l’ayant précédé rejettent systématiquement ce type de demande.

Ceci n’est pas surprenant compte tenu du type de régime de relations de travail dans lequel nous sommes. Les salariés sont vidés de leur personnalité juridique et de leur dignité humaine et n’ont pas plus de valeur qu’une plante verte. Cela ne ferait pas de sens, selon les principes du régime actuel, d’établir qu’un syndicat aurait pu avoir commis une infraction pénale contre une plante verte. Il faudrait un/une commissaire plutôt « woke » pour ne serait-ce qu’envisager la possibilité d’accueillir une telle demande. Or, à la lumière de ses décisions antérieures, le Commissaire assigné à mes demandes a une vision politique ancrée dans le néo-libéralisme et le principe «auto-régulation» syndicale. Mêmes les meilleurs arguments dans un dossier encore plus solide que le mien ne viendrait pas à bout d’une telle mentalité conservatrice. Il m’apparait donc vain de plaider sur ces demandes car leur sort a été décidé bien avant leur dépôt.

 

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

 

IV. Analyse et motifs

[19] La plainte invoque l’alinéa 190(1)g) de la Loi, qui renvoie à l’article 185. Parmi les pratiques déloyales dont fait mention cet article, l’article 187 est celui qui est d’intérêt dans la présente plainte. Ces dispositions se lisent comme suit :

190 (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

190 (1) The Board must examine and inquire into any complaint made to it that

[…]

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

(g) the employer, an employee organization or any person has committed an unfair labour practice within the meaning of section 185.

[…]

185 Dans la présente section, pratiques déloyales s’entend de tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) et (2), les articles 187 et 188 et le paragraphe 189(1).

185 In this Division, unfair labour practice means anything that is prohibited by subsection 186(1) or (2), section 187 or 188 or subsection 189(1)

[…]

187 Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

187 No employee organization that is certified as the bargaining agent for a bargaining unit, and none of its officers and representatives, shall act in a manner that is arbitrary or discriminatory or that is in bad faith in the representation of any employee in the bargaining unit.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[20] Les demandes d’autorisation de poursuite du plaignant renvoient au paragraphe 202(1) et à l’article 205 de la Loi. Ces dispositions se lisent comme suit :

202 (1) L’organisation syndicale ou chacun de ses dirigeants et représentants qui contrevient aux articles 187 ou 188 commet une infraction et encourt, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, une amende maximale de mille dollars.

202 (1) Every employee organization that contravenes, and every officer or representative of one who contravenes, section 187 or 188 is guilty of an offence and liable on summary conviction to a fine of not more than $1,000.

[…]

205 Il ne peut être intenté de poursuite pour infraction prévue dans la présente section sans le consentement de la Commission.

205 A prosecution for an offence under this Division may be instituted only with the consent of the Board.

 

A. La plainte de manquement au devoir de représentation équitable

[21] L’essence de la plainte déposée le 4 mars 2022 découle essentiellement du retard de la défenderesse de répondre aux demandes d’arguments écrits de la Commission visant une demande de prorogation de délai présentée au nom du plaignant. La Commission avait demandé que la défenderesse fasse parvenir ses arguments au plus tard le 25 février 2022. Elle l’a fait le 7 mars 2022, soit exactement huit jours ouvrables après le délai initialement fixé.

[22] Même si ce retard n’est que de quelques jours, le plaignant rappelle qu’il s’inscrit dans un continuum de négligence de la part de la défenderesse. Selon lui, cette négligence se poursuit encore dans le cadre de l’arbitrage prochain de son grief.

[23] La défenderesse a expliqué le retard en question par un volume de travail plus élevé que d’habitude et des changements dans le personnel. Selon elle, le plaignant n’a subi aucun préjudice à la suite du retard.

[24] Il me semble inutile d’aller plus loin dans l’analyse des arguments soumis par les parties. La plainte doit être rejetée, car il n’y a rien dans les actions de la défenderesse qui pourrait être qualifié d’arbitraire, de discriminatoire ou de mauvaise foi. Certes, la défenderesse a soumis ses arguments huit jours en retard, mais cela ne constitue par une négligence grave. Ce n’est d’ailleurs que ce niveau de négligence qu’on associe à un traitement arbitraire (voir la décision 2022 CRTFP 4) ou au manquement au devoir de représentation équitable. Le plaignant ne m’a rien soumis pour me convaincre qu’il y avait négligence grave ou manquement au devoir de représentation. Enfin, comme le soumet la défenderesse, le retard n’a eu aucune conséquence négative sur le plaignant. Dans les faits, la demande de prorogation de délai présentée par la défenderesse au nom du plaignant a été accordée par la Commission dans sa décision du 19 mai 2022.

B. Les demandes d’autorisation de poursuite

[25] Selon l’article 205 de la Loi, le plaignant doit obtenir le consentement de la Commission pour pouvoir intenter des poursuites pour les infractions commises par la défenderesse à l’article 187 de la Loi.

[26] Dans les paragraphes précédents, j’ai rejeté la plainte portant le numéro de dossier 561‑02‑44478. J’ai alors conclu que la défenderesse n’avait pas contrevenu à l’article 187 de la Loi. La défenderesse ne peut donc encourir d’amende selon le paragraphe 202(1) de la Loi, ce qui rend inopérant l’application de l’article 205 de la Loi. La demande portant le numéro de dossier 597-02-44688 est donc rejetée.

[27] L’autre demande (numéro de dossier 597-02-44687) vise l’infraction à l’article 187 de la Loi commise par la défenderesse qui avait omis de déposer le grief du plaignant dans les délais prévus (voir la décision 2022 CRTESPF 4). Une représentante de la défenderesse avait alors été négligente en omettant de déposer le grief que lui avait fait parvenir le plaignant. Elle croyait à tort que le plaignant avait déjà lui-même déposé son grief. Dans sa décision, la Commission a conclu qu’il y avait eu négligence grave et manquement au devoir de représentation équitable. Elle a ordonné à la défenderesse de présenter une demande de prorogation de délai au nom du plaignant. Cette demande a été acceptée par la Commission (voir la décision 2022 CRTESPF 40).

[28] La défenderesse prétend que tout préjudice découlant de ses erreurs de ne pas avoir déposé un grief dans les délais a été réparé lorsque la Commission a accordé la demande de prorogation de délai. Sur ce, je suis entièrement d’accord avec la défenderesse. Il n’y a rien dans les arguments du plaignant qui pourrait d’ailleurs me convaincre du contraire.

[29] Selon la jurisprudence de la Commission sur le consentement dont il est question à l’article 205 de la Loi, un tel consentement est rarement accordé. Dans Quadrini, aux paragraphes 67 et 68, la Commission s’exprime en ces termes :

[67] Je tiens à préciser que, à ma connaissance, il n’y a pas eu d’autres demandes devant la CRTFP présentées en vertu de l’article 205 de la nouvelle Loi depuis l’entrée en vigueur de celle-ci, le 1er avril 2005. Sous le régime de l’ancienne Loi, les demandes d’autorisation d’intenter des poursuites présentées en vertu d’une disposition similaire (l’article 107 de ladite Loi) étaient extrêmement rares et ont presque toutes eu lieu dans des situations où il était allégué que des employés avaient participé à une grève illégale.

[68] Selon moi, il est tout à fait approprié que la CRTFP considère le très petit nombre de demandes d’autorisation de poursuivre qui lui sont présentées comme étant très sérieuses et exceptionnelles. L’article 205 de la nouvelle Loi ne doit pas être invoqué à la légère, étant donné qu’il peut en résulter des conséquences de nature juridique extraordinaires pour les personnes faisant l’objet des poursuites proposées. En ce qui concerne la présente affaire, je ne suis pas sûr que le plaignant ait bien évalué la jurisprudence très limitée dont dispose la CRTFP dans ce domaine. Peut-être croit-il qu’il est relativement courant d’invoquer l’article 205 lorsqu’on dépose une plainte de pratique déloyale de travail. Si tel est le cas, il s’agit là d’une pratique qui doit être découragée.

 

[30] Dans la présente affaire, il n’est évidemment pas question de grève illégale. Il s’agit plutôt d’une infraction à la Loi dont les effets ont été entièrement corrigés par la demande de prorogation de délai accordée par la Commission.

[31] Les demandes de consentement d’intenter une poursuite ne devraient être accordées que dans des situations exceptionnelles, au cours desquelles, à tout le moins, le demandeur a subi des préjudices importants qui ne peuvent être réparés selon les processus de redressements prévus par la Loi. La présente demande ne satisfait aucunement à ce critère d’exception.

[32] La demande d’autorisation de poursuite est donc rejetée.

[33] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[34] La plainte portant le numéro de dossier 561-02-44478 est rejetée.

[35] La demande portant le numéro de dossier 597-02-44687 est rejetée.

[36] La demande portant le numéro de dossier 597-02-44688 est rejetée.

Le 23 décembre 2022.

Renaud Paquet,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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