Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20221207

Dossier : 771‑02‑39152

Référence : 2022 CRTESPF 100

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur l’emploi dans

la fonction publique

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Martin Haller

plaignant

 

et

 

administrateur général

(ministère de la Défense nationale)

 

intimé

et

AUTRES PARTIES

Répertorié

Haller c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale)

Affaire concernant une plainte d’abus de pouvoir déposée aux termes des alinéas 77(1)a) et b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Devant : Amélie Lavictoire, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Louis Bisson, Union des employés de la Défense nationale

Pour l’intimé : Peter Doherty, avocat

Pour la Commission de la fonction publique : Alain Jutras, analyste principal

Affaire entendue par vidéoconférence

les 3 et 4 août 2022.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Plainte devant la Commission

[1] Martin Haller (le « plaignant ») était le chef adjoint du service d’incendie de la base des Forces canadiennes Shilo (« BFC Shilo ») située au Manitoba. Il est maintenant à la retraite.

[2] Le 26 septembre 2018, il a déposé une plainte auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») à l’encontre de l’administrateur général du ministère de la Défense nationale (l’« intimé ») relativement à un processus de nomination visant à doter le poste de chef du service d’incendie (FR‑06) à la BFC Shilo (processus de nomination no 18-DND‑INA‑CA‑436180). Le plaignant a allégué dans la plainte qu’il y avait eu abus de pouvoir dans le choix d’un processus non annoncé et dans l’application du principe du mérite.

[3] Pour les motifs qui suivent, la plainte est rejetée. Les éléments de preuve déposés par le plaignant ne permettent pas à la Commission de conclure que l’intimé a abusé de son pouvoir dans le présent cas.

II. Résumé de la preuve

A. L’état des choses à la caserne

[4] Le plaignant a été le chef adjoint du service d’incendie de la BFC Shilo de 2005 jusqu’à sa retraite en 2021. Son poste était classifié au groupe et au niveau FR‑04 et il relevait du chef du service d’incendie.

[5] Jusqu’en mars 2015, la caserne de la BFC Shilo était sous la responsabilité du Service du Génie, dont relevait le chef du service d’incendie. Le 1er avril 2015, la responsabilité de la caserne a été transférée au Service des opérations (« division G3 » ou le « Service ») et le chef du service d’incendie a commencé à relever d’un officier des opérations responsable des opérations à la BFC Shilo.

[6] En 2018, et à compter du processus de nomination en litige, l’officier des opérations était le major Talon Desjardins (le « gestionnaire délégué »), qui, à l’époque, détenait le grade de capitaine. Le major Desjardins a occupé le poste d’officier des opérations deux fois, soit de décembre 2014 à juillet 2015, puis de la mi‑2017 à juillet 2021. Il n’était pas affecté à la BFC Shilo entre ces dates.

[7] Le major Desjardins a témoigné de l’état de la situation à la caserne lorsqu’elle est passée sous sa responsabilité en avril 2015. Il n’avait pas réellement traité avec la caserne ou ses employés avant cette date, y compris le plaignant. Dans les jours qui ont précédé le transfert de la responsabilité, il a reçu des exposés oraux de la part du Service des relations de travail et de l’officier du génie de la base chargé de la caserne jusqu’à ce moment‑là. Ils ont décrit la situation à la caserne comme étant toxique et agitée. Il existait des problèmes liés au rendement concernant à la fois le chef du service d’incendie et le chef adjoint du service d’incendie, ainsi que des problèmes relatifs à l’affectation des ressources et à la formation. Toutefois, les conflits internes entre le chef du service d’incendie, le chef adjoint du service d’incendie et d’autres membres de la caserne étaient le plus problématiques. Selon le major Desjardins, une grande partie du dysfonctionnement à la caserne était attribuable au chef du service d’incendie et au chef adjoint du service d’incendie. Le témoignage du plaignant a permis de confirmer que lui et le chef du service d’incendie avaient une relation de travail acrimonieuse et difficile. Il a décrit le comportement du chef du service d’incendie à son égard comme du harcèlement.

[8] Lorsqu’il a assumé la responsabilité de la caserne en avril 2015, le major Desjardins a rencontré le chef du service d’incendie. Il a témoigné que le chef du service d’incendie a pu lui parler du plaignant à ce moment‑là. Dans l’affirmative, il était convaincu que le chef du service d’incendie ne lui avait fourni aucun renseignement sur le plaignant qui ne lui avait pas déjà été communiqué par le Service des relations de travail ou l’officier du génie de la base.

[9] En 2013 ou en 2014, bien avant que la caserne ne soit sous la responsabilité du major Desjardins, le plaignant a été retiré de la caserne en raison de ce que le major Desjardins a décrit comme des problèmes de rendement et des problèmes avec le chef du service d’incendie. Le plaignant a témoigné qu’il avait été retiré de la caserne à la demande du chef du service d’incendie pour avoir remis en question son leadership. Selon le major Desjardins, le commandant de la base a pris la décision de retirer le plaignant de la caserne sur la recommandation de l’officier du génie de la base. Le major Desjardins n’a pas participé à la décision.

[10] Le plaignant a continué de détenir le titre de chef adjoint du service d’incendie et de toucher le salaire associé à ce poste, mais il travaillait dans un autre immeuble et n’exerçait plus les fonctions et les responsabilités d’un chef adjoint du service d’incendie. Il avait été affecté à des projets spéciaux. Le plaignant n’a pas travaillé à la caserne ou avec les employés de la caserne avant une période qui coïncidait à peu près avec la fin du processus de nomination en litige.

[11] Entre avril 2015 et son départ de la BFC Shilo en juillet 2015, le major Desjardins a rencontré le plaignant à plusieurs reprises pour discuter de projets sur lesquels le plaignant travaillait. Ils ont échangé de nombreux courriels. Le major Desjardins a été témoin du style de communication orale et écrite du plaignant et a examiné le travail écrit du plaignant, y compris les notes d’information, les courriels et les trousses de renseignements.

[12] Le major Desjardins a décrit sa relation avec le plaignant comme cordiale et professionnelle. Le témoignage du plaignant n’a pas contredit cette description de leur relation.

[13] Après son retour à la Division G3 en 2017, le major Desjardins a eu plusieurs conversations avec le plaignant au sujet de son rendement. Ces discussions ont surtout porté sur le style des communications écrites du plaignant lorsqu’il rédigeait alors qu’il était frustré ou en colère. Le major Desjardins a offert un mentorat et des propositions visant à aider le plaignant à élaborer des stratégies pour éviter d’envoyer des communications écrites lorsqu’il est en colère.

[14] Le major Desjardins a témoigné que plusieurs lettres d’attentes ont été rédigées à l’intention du plaignant au sujet de la nécessité de communiquer de manière acceptable, de se comporter de façon respectueuse et courtoise et de suivre les directives.

[15] Le plaignant a également été suspendu quatre fois pour des raisons disciplinaires. Les suspensions ont été imposées par le major Desjardins et un autre membre de la direction pour des raisons telles que quitter le travail sans autorisation, faire preuve d’un comportement non professionnel et pour des problèmes liés à la communication, notamment le fait de crier après les autres. Selon le témoignage du plaignant, le major Desjardins a imposé deux des suspensions, toutes les deux au début de 2018, avant la tenue du processus de nomination en litige.

[16] Le plaignant a déposé des griefs au sujet des mesures disciplinaires. Les griefs ne comportaient aucune allégation concernant personnellement le major Desjardins. À la question de savoir si les griefs auraient pu avoir eu une incidence sur son impartialité en tant que gestionnaire délégué, le major Desjardins a répondu par la négative. Il a décrit la procédure de règlement de griefs comme un outil à la disposition de tous les employés pour traiter et régler les problèmes en milieu de travail, une procédure qu’il avait lui‑même utilisée.

B. Départ du chef du service d’incendie

[17] Lorsque le major Desjardins est retourné à la Division G3 en 2017, il y avait des problèmes concernant le chef du service d’incendie, ce qui a entraîné le départ en congé de ce dernier. Le chef du service d’incendie a nommé Daniel Barney (la « personne nommée ») en tant que chef intérimaire du service d’incendie en son absence. Lorsque le chef du service d’incendie a prolongé son congé, il a recommandé au major Desjardins de prolonger la nomination intérimaire de M. Barney. Satisfait du rendement de la personne nommée en tant que chef intérimaire du service d’incendie, le major Desjardins a prolongé la nomination intérimaire. Le chef du service d’incendie a ensuite continué à prolonger son congé par tranches d’environ trois mois. La nomination intérimaire de la personne nommée a été prolongée de la même façon.

[18] Le chef du service d’incendie n’est jamais retourné au lieu de travail. Il a décidé de prendre sa retraite une fois son congé épuisé. Le major Desjardins a témoigné que lorsque le chef du service d’incendie a pris sa retraite de façon inattendue, il a prolongé la nomination intérimaire de la personne nommée pour assurer un leadership uniforme à la caserne. Il a ensuite amorcé le processus de remplacement du chef du service d’incendie, qui n’a pas participé au processus de nomination en litige.

[19] En tout, la personne nommée a été chef intérimaire du service d’incendie pendant environ un an et jusqu’à l’achèvement du processus de nomination. Le major Desjardins ne connaissait pas la personne nommée avant qu’elle ne soit nommée chef intérimaire du service d’incendie, mais il a eu la chance de la voir travailler pendant la nomination intérimaire.

C. Le choix du processus de nomination

[20] Le major Desjardins était le gestionnaire délégué chargé du processus de nomination. Le personnel des relations de travail l’a aidé au cours du processus.

[21] Le major Desjardins a témoigné que tout au long du processus de nomination, il s’était concentré sur les intérêts supérieurs de la Division G3 et de la caserne. Il savait qu’il serait bientôt affecté ailleurs. Il voulait préparer le Service pour la réussite.

[22] Après avoir consulté un conseiller en dotation et examiné un document du ministère de la Défense nationale sur les options de dotation disponibles et les considérations importantes (intitulé [traduction] Fiche d’information : Processus de nomination non annoncé et préparé par le Directeur – Politiques d’emploi civil, juin 2016), le major Desjardins a décidé de procéder à un processus interne non annoncé. Les raisons pour lesquelles il a procédé ainsi comprenaient les suivantes :

[Traduction]

 

– l’importance de doter le poste rapidement en raison du fait que la caserne offrait d’importants services de sécurité publique et d’intervention d’urgence à la BFC Shilo et dans la collectivité environnante;

– son premier examen des ressources internes disponibles, qui a révélé qu’il y avait des membres du personnel au sein du Service qui, du moins sur papier, semblaient posséder les qualifications minimales du poste;

– l’importance de trouver un candidat qui comprendrait rapidement le milieu et connaissait les subtilités de la caserne afin de régler les problèmes qui y existaient depuis plus de 10 ans.

 

[23] Le major Desjardins a témoigné que le choix d’un processus non annoncé comportait d’autres considérations, notamment le fait que la BFC Shilo soit située en région éloignée, la nature spécialisée du travail d’un chef du service d’incendie sur une base des Forces canadiennes, la nécessité d’un programme de perfectionnement professionnel et les conséquences de vie ou de mort d’une situation d’urgence, le cas échéant, pendant une période où la caserne n’a pas de chef du service d’incendie.

[24] Il était encore plus problématique de laisser le poste vacant ou sans un dirigeant solide parce la caserne n’avait pas non plus de chef adjoint du service d’incendie, car le plaignant avait été retiré de la caserne plusieurs années auparavant. Habituellement, le chef adjoint du service d’incendie était chargé des opérations, tandis que le chef du service d’incendie se concentrait principalement sur l’administration, y compris les rapports financiers et les exigences. Étant donné que le chef adjoint du service d’incendie avait été retiré de la caserne, le chef du service d’incendie devait surveiller tous les aspects des opérations de la caserne. Le major Desjardins craignait que le fait de laisser la caserne sans un chef du service d’incendie puisse compromettre les opérations et entraîner des problèmes de ressources et une baisse du moral des employés.

[25] La « Formulation de la décision de sélection » préparée par le major Desjardins comporte certaines, mais pas toutes, des raisons susmentionnées pour le choix d’un processus non annoncé.

D. L’évaluation des critères de mérite

[26] Les qualifications essentielles du poste comprenaient une série de cinq cours ou leur équivalent, une expérience en direction de services de lutte contre les incendies et de sauvetage et une expérience en supervision d’employés d’un service d’incendie. Elles comprenaient également la capacité de diriger les opérations d’un service d’incendie, de communiquer efficacement de vive voix et par écrit, ainsi que des relations interpersonnelles efficaces, du leadership, du jugement, de l’initiative et de la fiabilité.

[27] Comme je l’ai déjà mentionné, le major Desjardins avait identifié des employés qui, sur papier, semblaient posséder les qualifications minimales du poste de chef du service d’incendie. Il y avait trois candidats possibles : la personne nommée, le plaignant et un autre employé qui ne travaillait pas à la caserne. Il les a identifiés en comparant la liste des cours et des accréditations essentielles requis d’un chef du service d’incendie à une liste existante des accréditations et de la formation que chacun des employés du Service possédait ou avait suivie. Il a ensuite examiné de manière plus approfondie la candidature de chacun des candidats possibles afin de confirmer si chacun satisfaisait effectivement à toutes les qualifications essentielles. Afin d’effectuer cet examen plus détaillé, il s’est appuyé sur ses connaissances personnelles des employés et sur les renseignements figurant au dossier concernant leur formation.

[28] Le major Desjardins a témoigné qu’il avait consacré d’une semaine à une semaine et demie au processus d’examen et qu’il avait préparé un document manuscrit évaluant chaque candidat par rapport à chacune des qualifications essentielles. Il a examiné toutes les candidatures en fonction des mêmes critères. Il n’a pas informé les employés qu’il évaluait leurs candidatures à l’époque; il ne les a pas non plus informés plus tard qu’ils avaient été pris en considération pour le poste. Son évaluation écrite de la personne nommée a été utilisée comme le fondement de l’évaluation narrative produite à l’appui de la nomination.

[29] Les évaluations manuscrites de la candidature du plaignant et du troisième employé préparées par le major Desjardins n’ont pas été déposées en preuve. L’existence de ces évaluations a été révélée pendant le témoignage du major Desjardins. Étant donné qu’il a longuement témoigné – et qu’il a été contre‑interrogé – au sujet des résultats de ces évaluations et des qualifications qu’il estimait que le plaignant et l’autre employé possédaient et manquaient, j’ai refusé de suspendre l’audience, d’exiger que l’intimé trouve les évaluations manuscrites et de lui permettre de rouvrir sa preuve.

[30] L’examen des candidatures par le major Desjardins l’a amené à conclure que la personne nommée, qui occupait le poste d’inspecteur en chef des incendies (FR‑03) au moment de sa nomination, était le seul employé qui possédait toutes les qualifications essentielles. Le major Desjardins a communiqué avec lui pour confirmer son intérêt à l’égard du poste et a ensuite préparé une évaluation narrative de six pages à l’appui de la nomination.

[31] Étant donné que le plaignant n’a pas contesté que la personne nommée possédait toutes les qualifications essentielles et que la plupart de ses allégations ont trait à la façon dont sa candidature a été évaluée, il n’est pas nécessaire de procéder à un examen détaillé du contenu de l’évaluation narrative. Un résumé suffira.

[32] Selon l’évaluation narrative, la personne nommée possédait toute la formation requise pour le poste. Il possédait une expérience en services de lutte contre les incendies et de sauvetage et avait la capacité de diriger des opérations de services d’incendie. Il avait une expérience dans la supervision et la direction d’équipes de lutte contre les incendies et dans la supervision des opérations d’une caserne. Il était fiable et attentif aux demandes et aux besoins des autres. Il entretenait des relations interpersonnelles efficaces en appuyant et en encadrant les membres de l’équipe. Il avait fait preuve d’initiative à plusieurs reprises en remplaçant le chef du service d’incendie lorsque celui‑ci était absent et en réglant tout problème imprévu qui est survenu pendant ces périodes. Il a fait preuve de jugement dans le cadre de projets d’infrastructure qui exigeaient la participation de la caserne pour assurer le respect des politiques et des exigences. Il a également été en mesure de communiquer efficacement, comme l’ont démontré ses exposés oraux et ses communications écrites sur des questions complexes. Enfin, l’évaluation narrative a fourni des exemples des compétences en leadership de la personne nommée, motivant une équipe et coordonnant les efforts visant à accroître la présence de la caserne à la BFC Shilo.

[33] En comparaison, le major Desjardins a témoigné que le plaignant n’avait pas les compétences en leadership requises pour le poste. Il a décrit le leadership comme une « compétence générale » intimement liée à la fiabilité et à l’initiative. Un dirigeant doit inspirer le respect en appuyant son équipe, en tenant compte des besoins des autres et en assumant les erreurs passées. Selon le major Desjardins, non seulement le plaignant n’a jamais admis avoir commis des erreurs, mais il n’a pas non plus saisi les occasions qui lui avaient été offertes pour faciliter son retour à la caserne ou pour interagir avec les employés de la caserne. Il a dit avoir eu l’impression de traîner le plaignant dans le processus de retour à ses fonctions de chef adjoint du service d’incendie.

[34] Le major Desjardins a également témoigné longuement au sujet des compétences en communication du plaignant. Il a décrit le style de communication écrite du plaignant comme étant bref, agité, difficile à comprendre et presque incohérent, surtout lorsque le plaignant était en colère ou frustré au moment de la rédaction. Le major Desjardins devait souvent appeler le plaignant après avoir reçu un courriel de sa part pour comprendre la signification du courriel. La communication de vive voix du plaignant a également été décrite comme étant peu claire et difficile à comprendre. Selon le major Desjardins, il arrivait parfois que le plaignant « se renferme », affiche un langage corporel qui gênait la communication et doive quitter la salle pour se calmer avant de revenir poursuivre la conversation.

[35] L’évaluation de la candidature du plaignant a également amené le major Desjardins à conclure que le plaignant n’avait pas le jugement requis pour le poste. Il a expliqué que le plaignant n’avait pas fait preuve de jugement lorsqu’il travaillait sur les projets qui lui avaient été confiés. Le plaignant criait après les autres et communiquait de manière irrespectueuse. Le major Desjardins a témoigné que la tendance du plaignant à réagir émotionnellement – de vive voix et par écrit – démontrait qu’il n’avait pas le jugement nécessaire pour se concentrer sur les intérêts supérieurs du Service et de ses employés.

[36] Les connaissances dont disposait le major Desjardins au sujet du plaignant, obtenues lors de nombreuses interactions, l’ont amené à estimer que le plaignant n’avait pas non plus la capacité d’établir et de maintenir des relations interpersonnelles efficaces, ni la capacité d’être fiable. Il a expliqué que d’autres organisations à la BFC Shilo préféraient travailler avec les employés de la caserne autres que le plaignant. Selon lui, cela était attribuable à l’approche et à la nature du plaignant. Le major Desjardins a également témoigné qu’il encourageait le plaignant à communiquer avec les employés de la caserne afin d’améliorer les relations et d’établir les conditions pour lui permettre de retourner à la caserne. Toutefois, le plaignant a généralement refusé de parler avec la plupart des employés de la caserne et, souvent, les employés de la caserne ne souhaitaient pas traiter avec le plaignant, en raison des problèmes et des conflits antérieurs. Selon le major Desjardins, le plaignant ne semblait pas vouloir traiter avec les employés de la caserne.

[37] Le plaignant a témoigné qu’il possédait toutes les qualifications essentielles et plus encore, y compris une formation que la personne nommée ne possédait pas.

[38] Le troisième employé pris en considération pour le poste possédait la plupart des qualifications essentielles, mais pas toutes. Il lui manquait deux cours de formation. Même s’il avait été possible qu’il suive la formation requise sur une période de quelques mois, le major Desjardins estimait que le caractère urgent de la situation l’obligeait à prioriser la dotation du poste par une personne qui possédait déjà toutes les qualifications.

[39] Le 31 août 2018, une « notification de candidature retenue » a été affichée, indiquant que la candidature de la personne nommée avait été prise en considération aux fins d’une nomination promotionnelle au poste de chef du service d’incendie. Elle a été nommée au poste le 12 septembre 2018.

[40] Lorsqu’il a été contre‑interrogé au sujet d’un conflit d’intérêts possible, étant donné sa participation à l’imposition d’une mesure disciplinaire contre le plaignant et son rôle en tant que gestionnaire délégué chargé du processus de nomination, le major Desjardins a témoigné que selon sa formation militaire, il était important d’apprendre de ses erreurs et d’aller de l’avant. Il n’a pas tenu compte des erreurs antérieures ou des problèmes disciplinaires du plaignant et n’estimait pas qu’il devait déléguer à une autre personne la tâche d’évaluer la candidature du plaignant. Il a rejeté comme étant inappropriée et non pratique l’idée qui lui a été présentée en contre‑interrogatoire selon laquelle il aurait dû demander au chef du service d’incendie d’une autre base des Forces canadiennes d’évaluer la candidature du plaignant. Les chefs du service d’incendie sur les bases des Forces canadiennes entretiennent des relations professionnelles étroites. Selon lui, impliquer un autre chef du service d’incendie n’aurait pas éliminé les préoccupations concernant la partialité.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le plaignant

[41] Le plaignant décrit le présent cas comme un cas comportant plusieurs niveaux de mauvaise foi et d’abus de pouvoir.

[42] Il fait valoir que le choix d’un processus de nomination non annoncé constituait un abus de pouvoir parce que la Formulation de la décision de sélection ne tenait pas compte de la réalité de la situation en milieu de travail et n’avait donc pas de sens dans les circonstances; voir Hunter c. Sous‑ministre de l’Industrie, 2019 CRTESPF 83. Même si l’intimé soutient qu’il était urgent de doter le poste, environ quatre mois se sont écoulés entre le départ à la retraite du chef du service d’incendie et la date de publication de la notification de candidature retenue. Il n’y avait aucune urgence. Un chef intérimaire du service d’incendie avait été nommé et l’intimé aurait pu prendre le temps de mener un processus annoncé. En outre, même si l’intimé fait valoir qu’il ne pouvait pas prendre le temps d’effectuer un processus annoncé qui aurait nécessité l’évaluation de plusieurs candidats sans compromettre ses opérations, il ressort de la preuve que le gestionnaire délégué a effectivement pris le temps d’évaluer la candidature de trois employés, dont celle du plaignant.

[43] Le plaignant fait également valoir qu’il existait une crainte raisonnable de partialité dans l’évaluation des critères de mérite et que, par conséquent, il y a eu mauvaise foi et abus de pouvoir; voir Denny c. Sous‑ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 29. L’intimé avait le devoir d’être équitable et d’être perçu comme tel dans son évaluation de la candidature du plaignant; voir Amirault c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2012 TDFP 6. Un tiers bien renseigné qui examinerait les faits du présent cas percevrait raisonnablement de la partialité de la part du gestionnaire délégué. L’intimé aurait pu déléguer l’évaluation de la candidature du plaignant à un autre examinateur, mais il ne l’a pas fait. Sa candidature a plutôt été évaluée par une personne qui lui avait imposé des mesures disciplinaires. Une personne bien renseignée supposerait que la nature des relations entre le plaignant et d’autres membres de la voie hiérarchique de la BFC Shilo, l’historique des mesures disciplinaires concernant le plaignant et le gestionnaire délégué et le fait que le plaignant avait été retiré de la caserne pendant presque trois ans avant le processus de sélection ont nui au jugement de la personne qui a évalué la candidature du plaignant.

[44] Selon le plaignant, l’intimé a également abusé de son pouvoir dans l’application du principe du mérite en enfreignant les valeurs d’accès et d’équité lorsqu’il a évalué sa candidature à son insu. L’évaluation secrète d’une personne constitue une violation des valeurs de dotation; voir Renaud c. Sous‑ministre de la Défense nationale, 2013 TDFP 26. En évaluant sa candidature à son insu, l’intimé a privé le plaignant de la connaissance qu’il avait été jugé dépourvu des qualifications essentielles, ce qui signifie qu’il ne pouvait pas contester l’élimination de sa candidature ou demander une discussion informelle.

[45] Il soutient en outre que sa candidature a été exclue pour des raisons n’ayant rien à voir avec les critères d’évaluation, que les critères utilisés pour évaluer sa candidature différaient de ceux utilisés pour évaluer les autres candidats et que certains critères ont été évalués plus sévèrement à son égard. Par exemple, le gestionnaire délégué a témoigné qu’il a tenu compte de l’absence de certaines compétences générales du plaignant, mais il n’y a aucune indication qu’il a examiné les autres candidats en fonction de ces mêmes compétences. Il a également évalué la capacité de leadership du plaignant de manière négative, en raison de l’hésitation du plaignant à retourner à la caserne lorsque cette possibilité lui a été offerte.

[46] Le plaignant soutient que, dans l’ensemble, les éléments de preuve démontrent que sa candidature n’a pas été retenue parce qu’il était un employé difficile et qu’il avait été évalué, en secret, par une personne qui s’est appuyée sur ses connaissances personnelles du plaignant et sur leurs antécédents communs – y compris les mesures disciplinaires – pour effectuer son évaluation.

B. Pour l’intimé

[47] L’intimé nie qu’il y a eu abus de pouvoir lors du choix du processus de nomination et dans l’application du principe du mérite. Le gestionnaire délégué a exercé correctement son pouvoir discrétionnaire et la nomination a été effectuée de manière équitable et transparente, conformément à la LEFP.

[48] L’article 33 de la LEFP accorde aux administrateurs généraux le pouvoir discrétionnaire de choisir le processus de nomination. Il n’accorde aucune préférence aux processus de nomination annoncés par rapport aux processus de nomination non annoncés. La jurisprudence de la Commission reconnaît également ce pouvoir discrétionnaire; voir Robbins c. Administrateur général de Service Canada, 2006 TDFP 17; Clout c. Sous‑ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2008 TDFP 22; et Morris c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2009 TDFP 9. L’intimé indique que Jarvo c. Sous‑ministre de la Défense nationale, 2011 TDFP 6, et MarinLazarescu c. Président de Services partagés Canada, 2020 CRTESPF 52, sont particulièrement pertinentes aux faits du présent cas, notamment en ce qui concerne le départ à la retraite imprévu du titulaire d’un poste essentiel jouant un rôle de leadership important dans une équipe sous pression.

[49] Dans le cas présent, le gestionnaire délégué a justifié son choix d’un processus non annoncé en soulignant le besoin pressant de doter le poste de chef du service d’incendie en raison des services d’urgence essentiels offerts par la caserne aux opérations militaires de la BFC Shilo, aux habitations sur la base et à la collectivité environnante. La caserne de la BFC Shilo était unique en ce sens qu’elle offrait des services d’urgence et des services de lutte contre les incendies hors de la base à deux collectivités voisines.

[50] Le gestionnaire délégué a également identifié la nécessité d’un dirigeant solide ayant la capacité de traiter et de régler immédiatement les questions liées aux relations interpersonnelles et aux ressources afin d’éviter la détérioration accrue du moral et une réduction de la capacité de l’unité de fonctionner de manière efficace. Des besoins opérationnels sérieux et urgents ont nécessité le recours à un processus non annoncé. Ces besoins ont été consignés dans la Formulation de la décision de sélection et ont été expliqués en détail à l’audience.

[51] Comme il a choisi un processus non annoncé, le gestionnaire délégué n’a sollicité aucune demande de candidature. Il n’était pas tenu de le faire; voir le paragraphe 30(4) de la LEFP. Même si la personne nommée, le plaignant et un autre employé ont été considérés et évalués en fonction de ses connaissances personnelles, il n’était pas tenu d’examiner plus d’un candidat. Il a été jugé que le plaignant et un autre candidat ne possédaient pas les qualifications essentielles.

[52] La nomination était assujettie au mérite, comme l’exige le paragraphe 30(1) de la LEFP. La personne nommée satisfaisait à toutes les qualifications essentielles, ce qui n’est pas contesté. Il était le seul employé qui possédait toutes les qualifications essentielles.

[53] Le gestionnaire délégué a évalué tous les candidats en se fondant sur ses connaissances personnelles de ces derniers et de leur rendement antérieur, ce qui constitue une méthode d’évaluation acceptable; voir Bérubé‑Savoie c. Sous‑ministre de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, 2013 TDFP 2 et Visca c. Sous‑ministre de la Justice, 2007 TDFP 24. Son raisonnement pour avoir sélectionné la personne nommée a été exposé dans l’évaluation narrative des critères de mérite. Ces raisons comprenaient la nécessité d’un titulaire doté d’un leadership solide et de compétences interpersonnelles, capable d’apporter stabilité et cohérence à l’équipe de la caserne sous pression.

[54] Le gestionnaire délégué a également expliqué en détail comment et pourquoi il a déterminé que le plaignant ne satisfaisait pas aux qualifications essentielles. Le plaignant n’a pas établi une partialité en faveur de la candidature de la personne nommée ni une crainte raisonnable de partialité à l’égard de sa candidature.

[55] La Commission ne peut pas conclure qu’il existe une crainte raisonnable de partialité en se fondant sur une spéculation ou des soupçons. Une crainte de partialité doit être réelle, probable ou raisonnablement évidente; voir Hansen c. Administrateur général (ministère de la Justice), 2022 CRTESPF 9. Le plaignant n’a présenté aucun élément de preuve permettant de faire passer ses soupçons à une crainte de partialité réelle, probable ou raisonnablement évidente.

[56] Le fait que le plaignant ait déposé des griefs ne suffit pas à permettre à la Commission de déduire que le gestionnaire délégué a perdu son impartialité; voir Gandhi c. Canada (Agence des services frontaliers), 2015 CF 436, confirmée dans 2016 CAF 124; Hansen; et Saunders c. Sousministre de la Défense nationale, 2014 TDFP 13. Les griefs du plaignant étaient contre l’intimé et non le gestionnaire délégué. En outre, seulement un ou deux des griefs portaient sur une mesure disciplinaire qui avait été imposée par le gestionnaire délégué. Denny et Amirault se distinguent puisque les deux concernaient des plaintes contre la personne qui avait effectué l’évaluation en litige. Ce n’est pas le cas dans la présente affaire; il n’y a pas non plus de preuve de conflit personnel ou d’animosité entre le plaignant et le gestionnaire délégué. Le gestionnaire délégué n’a pas participé à la décision de retirer le plaignant de la caserne. Il a hérité d’une situation qui concernait d’importants problèmes interpersonnels et de rendement. Il a fait son travail et le plaignant a exercé son droit de déposer un grief. Il est courant qu’une mesure disciplinaire soit imposée et qu’elle fasse ensuite l’objet d’un grief. Un tel événement de routine ne peut pas être considéré comme une atteinte à l’impartialité du processus de nomination.

C. Pour la Commission de la fonction publique

[57] Aucun représentant de la Commission de la fonction publique n’a assisté à l’audience. Dans ses arguments écrits, elle n’a adopté aucune position quant au bien‑fondé de la plainte.

IV. Analyse

[58] Il incombe au plaignant de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que l’intimé a abusé de son pouvoir; voir Tibbs c. Sous‑ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8, aux paragraphes 49 à 55, et Davidson c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 226, au paragraphe 27.

[59] Le plaignant ne conteste pas le fait que la personne nommée possédait toutes les qualifications essentielles. Il ne conteste pas non plus le choix des qualifications essentielles dans l’énoncé des critères de mérite et le recours du gestionnaire délégué à ses connaissances personnelles en tant que méthode d’évaluation. Il conteste le choix d’un processus non annoncé et l’évaluation de sa candidature à son insu par une personne qui a participé à l’imposition d’une mesure disciplinaire antérieure contre lui et qui était au courant des griefs qu’il a déposés à l’encontre de ces mesures. Il allègue qu’il existe une crainte raisonnable de partialité.

A. Le choix d’un processus non annoncé

[60] L’article 33 de la LEFP confère à l’intimé le pouvoir discrétionnaire de choisir un processus de nomination annoncé ou non annoncé. La LEFP ne mentionne aucune préférence. Par conséquent, il est bien établi que les administrateurs généraux et leurs gestionnaires délégués jouissent d’un vaste pouvoir discrétionnaire dans le choix du processus de nomination; voir Clout, Jarvo et Morris. Toutefois, ils doivent exercer ce pouvoir discrétionnaire conformément à l’objectif législatif de la LEFP et aux pratiques d’emploi équitables et transparentes; voir Beyak c. Sous‑ministre de Ressources naturelles Canada, 2009 TDFP 7.

[61] Au cours de l’audience, et étant donné que des éléments de preuve ont été présentés confirmant que le plaignant avait été pris en considération et évalué aux fins du poste, il n’a plus insisté sur le fait qu’un processus non annoncé avait été choisi en vue d’exclure sa candidature. Toutefois, il a toujours fait valoir que la Formulation de la décision de sélection ne tenait pas compte de la réalité et n’avait donc pas de sens dans les circonstances. Il a soutenu qu’il n’existait aucune urgence de doter le poste parce qu’un chef intérimaire du service d’incendie avait été nommé. La caserne n’était pas sans leadership. Il a également contesté la notion d’urgence en soulignant le fait que le gestionnaire délégué ne s’est pas concentré sur une seule candidature pour des raisons d’efficacité, mais qu’il a pris le temps d’examiner trois candidatures et de préparer des évaluations écrites de celles‑ci.

[62] Le présent cas est différent de Hunter, qui est invoquée par le plaignant. Dans Hunter, les documents à l’appui du choix d’un processus non annoncé manquaient à bien des égards et le gestionnaire délégué ne se souvenait pas clairement des événements. Il y avait des écarts entre les déclarations incluses dans les documents à l’appui alléguant l’urgence et les éléments de preuve révélant une longue période d’inaction de la part du gestionnaire délégué en réponse à l’annonce d’un départ à la retraite imminent.

[63] Dans le présent cas, la Formulation de la décision de sélection est complète et détaillée. Elle démontre des besoins opérationnels sérieux et urgents qui ont nécessité le choix d’un processus non annoncé. Le témoignage du gestionnaire délégué à l’audience était crédible, détaillé et conforme à la justification qu’il a rédigée en 2018 dans le cadre du processus de nomination.

[64] L’urgence n’était pas le seul facteur que l’intimé a invoqué pour appuyer son choix d’un processus non annoncé. Toutefois, même si c’était le cas, il ressort des éléments de preuve que même si le temps total écoulé entre la retraite imprévue du chef du service d’incendie (le 4 mai 2018) et la « notification de candidature retenue » (le 12 septembre 2018) peut sembler long, le gestionnaire délégué a participé activement au processus tout au long de cette période. Il a consulté le Service des relations de travail et il a examiné ses options en matière de dotation. Il a ensuite procédé à un premier examen pour confirmer l’existence de candidats internes qui pourraient satisfaire aux qualifications essentielles. Il a préparé la Formulation de la décision de sélection à la fin de juin ou au début de juillet 2018 et a signé l’évaluation narrative le 9 août 2018. À un moment donné entre ces dates, il a effectué une évaluation détaillée des trois candidats. La notification de candidature retenue a été affichée le 31 août 2018 et la notification de nomination l’a été peu après. Les préoccupations exprimées dans Hunter concernant l’inaction ne sont pas pertinentes au présent cas.

[65] Jarvo et Marin‑Lazarescu soulignent l’importance de tenir compte de l’ensemble du contexte dans lequel la décision de procéder à un processus non annoncé a été prise.

[66] La caserne était dans une situation trouble depuis des années. Le moral était bas. Le chef adjoint du service d’incendie avait été retiré de la caserne, ce qui signifiait que le chef du service d’incendie était chargé de tous les aspects des opérations. La charge de travail était lourde. Le chef du service d’incendie a pris sa retraite de façon inattendue. La caserne, sur laquelle la BFC Shilo et la collectivité avoisinante se fiaient pour les services d’urgence et de lutte contre les incendies, se retrouvait donc sans chef ayant le pouvoir clair et incontestable qui accompagne une nomination pour une période indéterminée. Le fait de ne pas doter le poste aurait pu compromettre les services d’urgence. Il y avait un besoin immédiat d’un dirigeant solide ayant la capacité de traiter les problèmes interpersonnels et de ressources de longue date.

[67] Le plaignant peut ne pas être d’accord sur le fait que l’urgence constituait une préoccupation légitime dans les circonstances; toutefois, l’intimé a présenté de nombreux éléments de preuve pour démontrer la nécessité d’agir rapidement.

[68] Le fait qu’un chef intérimaire du service d’incendie a été nommé au poste ne rend pas le choix d’un processus non annoncé contraire à l’objectif législatif de la LEFP. Étant donné la nature des services d’urgence qu’elle offre, une caserne ne peut pas être laissée sans dirigeant. Une nomination intérimaire était une nécessité opérationnelle effectuée en réponse à la retraite imprévue du chef du service d’incendie. L’intimé ne peut pas être empêché d’invoquer un sentiment d’urgence parce qu’il a répondu à une préoccupation opérationnelle importante. De même, je ne peux pas conclure que le fait que le gestionnaire délégué ait évalué trois candidatures plutôt qu’une rend ce processus de nomination contraire à l’objet législatif de la LEFP et aux pratiques d’emploi équitables et transparentes; voir Beyak.

[69] Rien dans les éléments de preuve n’indique qu’un processus non annoncé a été choisi en vue d’exclure le plaignant, loin de là. Le gestionnaire délégué a choisi ce processus en partie parce qu’il estimait qu’il était important pour la personne nommée de connaître et de comprendre l’historique et la dynamique de l’équipe de la caserne. Il a choisi ce processus parce qu’il savait que des candidats internes semblaient posséder les qualifications essentielles. Le plaignant était un de ces candidats. Sa candidature a été prise en considération, même si cela a été à son insu.

[70] Le gestionnaire délégué a consigné les raisons pour lesquelles il a choisi un processus non annoncé. Il a longuement témoigné au sujet des raisons qui l’ont amené à cette conclusion. Aucun élément de preuve n’indique un abus de pouvoir dans le choix de l’intimé de procéder comme il l’a fait. Au contraire, le choix d’un processus de nomination non annoncé a permis de démontrer l’utilisation de la souplesse prévue par la LEFP pour permettre à l’intimé d’aborder une situation dans laquelle des besoins opérationnels importants et urgents nécessitaient une mesure de dotation rapide.

B. Crainte raisonnable de partialité

[71] Le plaignant soutient qu’il existait une crainte raisonnable que l’intimé ait fait preuve de partialité dans son évaluation de sa candidature.

[72] Il incombe au plaignant de démontrer l’existence d’une crainte raisonnable de partialité. Il ne suffit pas de soupçonner ou de supposer qu’il y ait eu partialité. Les éléments de preuve doivent démontrer que la partialité est réelle, probable ou raisonnablement évidente; voir Denny, au paragraphe 124.

[73] Le critère relatif à la crainte raisonnable de partialité est bien établi; voir Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394, et Newfoundland Telephone Co. c. Terre‑Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623. Paraphrasé pour s’adapter au contexte du présent cas, le critère consiste à déterminer si une personne raisonnablement bien informée, qui étudierait la question en profondeur de façon réaliste et pratique, conclurait qu’il est plus probable qu’improbable que le gestionnaire délégué, consciemment ou non, n’évalue pas la candidature du plaignant de façon équitable. Si un observateur relativement bien informé qui examine le processus en litige dans le présent cas pourrait raisonnablement percevoir de la partialité de la part de l’intimé ou du gestionnaire délégué, la Commission peut donc conclure qu’il y a eu un abus de pouvoir; voir Denny, au paragraphe 126 et Gignac c. Sous‑ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 2010 TDFP 10, aux paragraphes 72 à 74.

[74] Le plaignant n’a présenté aucun élément de preuve qui permet d’appuyer raisonnablement une allégation de crainte raisonnable de partialité ou de traitement différentiel. Il n’a fourni que des spéculations et des soupçons à l’appui de son argument selon lequel le gestionnaire délégué a été partial dans son évaluation de la candidature du plaignant.

[75] Le plaignant n’a pas allégué que sa relation avec le gestionnaire délégué était tendue ou qu’il y avait une animosité entre eux. Il n’a pas contesté la description que le major Desjardins a faite de ses efforts pour encadrer le plaignant et l’aider à régler des problèmes particuliers concernant son rendement au travail afin que le plaignant puisse retourner à la caserne. Essentiellement, le plaignant demande à la Commission de déduire une crainte raisonnable de partialité en raison de l’imposition par le gestionnaire délégué de mesures disciplinaires à son égard et de la connaissance de ce gestionnaire des griefs que le plaignant a déposés concernant ces mesures disciplinaires et des mesures disciplinaires imposées par d’autres.

[76] À première vue, il peut sembler problématique que la candidature du plaignant ait été évaluée uniquement par un gestionnaire qui lui avait imposé des mesures disciplinaires et qui était au courant des griefs déposés par le plaignant concernant ces mesures disciplinaires. Toutefois, il en faut plus pour qu’une personne raisonnablement bien informée, qui étudierait la question de façon réaliste et pratique, conclue que, selon toute vraisemblance, le gestionnaire délégué évaluerait la candidature du plaignant de façon injuste.

[77] Le témoignage du gestionnaire délégué au sujet du plaignant et de ses qualifications était clair et cohérent. Le ton et le contenu étaient neutres. Il a reconnu s’être appuyé sur ses connaissances personnelles des candidats pour évaluer s’ils possédaient les qualifications essentielles. Il a fourni de nombreux exemples d’observations, d’interactions et de situations qui l’ont amené à conclure que le plaignant ne possédait pas plusieurs des qualifications essentielles. Le plaignant n’a présenté aucune contestation concernant ces déclarations; il n’a pas non plus laissé entendre que, dans son évaluation, le gestionnaire délégué s’était appuyé sur des faits qui ont donné lieu aux mesures disciplinaires.

[78] Même si le plaignant a soutenu que ses compétences en leadership avaient été évaluées de manière plus sévère que celles des autres candidats, il n’a pas contesté l’évaluation du gestionnaire délégué à son égard relativement à la grande partie des autres qualifications essentielles du poste, notamment l’initiative, la fiabilité, le jugement, les relations interpersonnelles efficaces et la communication de vive voix et par écrit. Sa contestation concernant les compétences en leadership est en grande partie sémantique; elle met l’accent sur l’utilisation par le gestionnaire délégué de l’expression « compétences générales » en référence au leadership. Rien ne justifie la proposition du plaignant selon laquelle l’utilisation de cette expression indique une partialité ou un traitement différentiel dans l’évaluation de ces critères de mérite.

[79] Contrairement à Denny et à Amirault, le gestionnaire délégué n’a pas fait l’objet de plaintes ou de griefs déposés par le plaignant. Dans ces cas, la Commission a conclu qu’il existait une crainte raisonnable de partialité en raison de conflits antérieurs entre les plaignants et les membres d’un comité d’évaluation. Ces cas portaient sur des allégations de crainte raisonnable de partialité dans des contextes où les personnes qui ont procédé à l’évaluation avaient fait l’objet de plaintes présentées par la personne évaluée. Il n’en est pas ainsi dans le présent cas. Le plaignant n’a pas allégué qu’il y avait eu des conflits entre lui et le gestionnaire délégué. Ses griefs avaient été déposés à l’encontre de la direction en général, et non à l’encontre du gestionnaire délégué. En outre, les mesures disciplinaires qu’il a contestées n’ont pas toutes été imposées par le gestionnaire délégué.

[80] Les mesures disciplinaires et les griefs qui en découlent sont courants dans les relations de travail. L’imposition d’une mesure disciplinaire aux employés, lorsqu’elle est justifiée, faisait partie intégrante des fonctions du gestionnaire délégué à titre de superviseur direct du plaignant à l’époque, comme c’est le cas pour tous les gestionnaires. Il n’est pas possible de déduire que le gestionnaire délégué a perdu son impartialité à l’égard du plaignant parce qu’il a imposé des mesures disciplinaires à l’encontre de ce dernier. L’imposition d’une mesure disciplinaire en soi ne démontre pas une partialité réelle, probable ou raisonnablement évidente.

[81] Il n’est pas non plus possible de déduire que le gestionnaire délégué a perdu son impartialité à l’égard du plaignant parce que ce dernier avait déposé des griefs concernant les mesures disciplinaires que le gestionnaire délégué lui avait imposées. Il en va de même en ce qui concerne le fait que le gestionnaire délégué avait connaissance des autres griefs déposés par le plaignant; voir Gandhi, au paragraphe 58 et Saunders, au paragraphe 39. Rien dans le témoignage du gestionnaire délégué n’indique la présence de frustration, d’hostilité ou d’animosité envers le plaignant pour avoir exercé son droit de déposer un grief. Une simple participation aux processus disciplinaire et de règlement des griefs ne suffit pas pour étayer une crainte raisonnable de partialité. Les éléments de preuve dont dispose la Commission ne suffisent pas à établir que les griefs ont eu une incidence, ou auraient vraisemblablement eu une incidence, sur l’évaluation des qualifications du plaignant par le gestionnaire délégué.

[82] J’ajouterais que le gestionnaire délégué a témoigné que les mesures disciplinaires et les griefs constituent des outils couramment utilisés pour régler les problèmes en milieu de travail. Lorsqu’il a discuté des mesures disciplinaires, le gestionnaire délégué a témoigné que, conformément à sa formation militaire, il n’avait pas tenu compte des problèmes disciplinaires antérieurs du plaignant. Il a également indiqué qu’il avait lui‑même recouru à la procédure de règlement des griefs dans le passé. Pour ces raisons, il n’a pas estimé qu’il devait déléguer à un tiers l’évaluation de la candidature du plaignant.

[83] La croyance du gestionnaire délégué en sa propre impartialité n’est pas déterminante quant à la présence ou l’absence d’une crainte raisonnable de partialité. La Commission peut conclure à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité lorsqu’il existe des éléments de preuve qui révèlent une partialité « réelle, probable ou raisonnablement évidente »; voir Denny. Il n’existe aucun élément de preuve de ce genre dans le présent cas.

[84] Une personne raisonnablement bien renseignée qui examinerait de façon réaliste et pratique le processus de nomination en litige ne percevrait pas raisonnablement une partialité de la part de l’intimé dans son évaluation de la candidature du plaignant. Même s’il avait été préférable que le gestionnaire délégué fasse intervenir un tiers dans l’évaluation de la candidature du plaignant étant donné sa participation à l’imposition de mesures disciplinaires contre le plaignant, son omission de le faire n’équivaut pas à un abus de pouvoir.

C. Évaluation du plaignant

[85] Enfin, le plaignant soutient que le fait que l’intimé a évalué sa candidature à son insu constituait un abus de pouvoir, car cela l’a privé de l’occasion de fournir des renseignements susceptibles d’appuyer sa candidature. Ce faisant, l’intimé n’a pas respecté les valeurs de dotation concernant l’accès et la transparence. Le plaignant a décrit sa préoccupation concernant l’accès comme étant liée au fait qu’il avait été privé d’une discussion informelle et de la possibilité de fournir des renseignements supplémentaires en réponse à la décision de l’intimé d’éliminer sa candidature.

[86] Le fait d’informer le plaignant que sa candidature était prise en considération aux fins du poste aurait atténué ses préoccupations quant au manque de transparence du processus de nomination. Toutefois, je ne peux pas conclure que l’omission de l’informer de ce fait constitue un abus de pouvoir dans le contexte d’un processus non annoncé dans le cadre duquel l’intimé n’était pas tenu de prendre en considération plus d’un candidat.

[87] La principale valeur de dotation qu’est la transparence crée des obligations particulières. Elle exige que les évaluations et les décisions soient dûment consignées au moment du processus de nomination; voir Morris, au paragraphe 82. Elle exige également que les personnes dans la zone de recours soient informées de leur droit de porter plainte. Dans un processus non annoncé, la transparence exige également que l’administrateur général explique son choix de processus; voir Robert c. Sous‑ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 TDFP 24, au paragraphe 60. Toutes ces exigences ont été respectées dans le présent cas.

[88] L’invocation par le plaignant de la principale valeur de dotation qu’est l’accessibilité est déplacée. L’accessibilité, dans le contexte de la dotation, fait référence à la nécessité de s’assurer que les personnes ont une possibilité raisonnable de présenter leur candidature et d’être prises en considération aux fins d’un emploi, sous réserve des limites reconnues par la LEFP; voir Jarvo, aux paragraphes 29 à 32 et Vaudrin c. Sous‑ministre de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, 2011 TDFP 19, au paragraphe 54. Dans le présent cas, le plaignant a été pris en considération pour le poste de chef du service d’incendie, même s’il ne le savait pas à l’époque.

[89] L’accès ne signifie pas que tous les employés peuvent présenter leur candidature et être pris en considération pour une nomination dans tous les processus de dotation; voir Vaudrin, au paragraphe 54. Comme je l’ai déjà mentionné, les administrateurs généraux disposent d’un vaste pouvoir discrétionnaire relativement au choix du processus de nomination et ils ne sont pas tenus de prendre en considération plus d’une personne pour qu’une nomination soit faite en fonction du mérite; voir le paragraphe 30(4) et l’article 33 de la LEFP.

[90] En outre, la valeur de l’accessibilité ne crée pas un droit à une discussion informelle. Ces discussions ne constituent pas un mécanisme permettant à un candidat de demander une réévaluation de ses qualifications; voir Rozka c. Sous‑ministre de Citoyenneté et Immigration Canada, 2007 TDFP 46, au paragraphe 76. Elles constituent un moyen de communication permettant à un candidat de discuter des raisons pour lesquelles il a été éliminé d’un processus. Même si les discussions informelles sont fortement encouragées, la LEFP ne les rend pas obligatoires; voir l’article 47 de la LEFP. Par conséquent, le plaignant n’a pas été privé d’un droit à une discussion informelle. La valeur de dotation qu’est l’accessibilité n’a pas non plus été enfreinte dans le présent cas.

[91] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[92] La plainte est rejetée.

Le 7 décembre 2022.

Traduction de la CRTESPF

Amélie Lavictoire,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.