Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La Commission a réintégré la fonctionnaire s’estimant lésée dans une décision antérieure (2020 CRTESPF 122), et la présente décision portait sur une demande de dommages pour préjudice psychologique, ainsi que de dommages punitifs – la Commission a accordé à la fonctionnaire s’estimant lésée 135 000 $ à titre de dommages pour préjudice psychologique – la conduite de l’employeur a été la principale cause des symptômes graves de mauvaise santé dont a souffert la fonctionnaire s’estimant lésée, y compris le stress à long terme, l’anxiété et la dépression, qui l’ont empêché de retourner au travail – la Commission a également accordé à la fonctionnaire s’estimant lésée un montant de 75 000 $ en dommages punitifs pour la conduite de l’employeur durant les processus d’enquête et de grief – la Commission a déterminé que la fonctionnaire s’estimant lésée n’avait jamais eu accès à la véritable raison de sa suspension et de son licenciement, qui était fondé sur l’acceptation par l’employeur des allégations faites par un détenu indiquant qu’elle apportait de la drogue dans l’établissement – l’employeur n’a pas vraiment mené d’enquête sur ces allégations, et l’employeur s’est forgé l’opinion que la fonctionnaire s’estimant lésée était coupable des infractions alléguées sans jamais lui montrer les éléments réellement retenus contre elle et sans lui permettre de contester la preuve et d’y répondre – les actes de l’employeur étaient délibérés et malveillants et d’une nature si néfaste et personnelle qu’en alléguant que la fonctionnaire s’estimant lésée était impliquée dans des activités liées à la drogue, il a causé un préjudice à long terme à sa nature – la Commission a accordé à la fonctionnaire s’estimant lésée un montant supplémentaire de 100 000 $ en dommages punitifs pour une fausse allégation que l’employeur a faite le dernier jour de l’audience de la Commission, selon laquelle la fonctionnaire s’estimant lésée avait été admise à l’hôpital pour une surdose de drogue – la présentation de cette allégation, fondée sur de faux renseignements, signifiait que l’employeur l’avait fabriquée ou qu’il était complètement insouciant – la Commission a conclu que la conduite de l’employeur, lorsqu’il a présenté cette fausse accusation, visait à porter préjudice aux arguments de la fonctionnaire s’estimant lésée et à renforcer les allégations de drogue contre elle – ce faisant, l’employeur a cherché à entraver l’administration de la justice – la fonctionnaire s’estimant lésée s’est également vue accorder des intérêts – la demande de dommages de la fonctionnaire s’estimant lésée pour perte de réputation et de prestations du Régime de pensions du Canada a été rejetée.

Dommages accordés en partie.
Intérêts accordés.

Contenu de la décision

Date: 20221121

Dossier: 566-02-13909

 

Référence: 2022 CRTESPF 95

 

Loi sur la Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail dans

le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

Entre

 

Louise Lyons

fonctionnaire s’estimant lésée

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(Service correctionnel du Canada)

 

défendeur

Répertorié

Lyons c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Bryan R. Gray, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée : Corinne Blanchette, Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN

Pour le défendeur : Caroline Engmann, puis Marc Séguin, avocats

Affaire entendue par vidéoconférence,

du 22 au 24 juin 2021.

(Arguments écrits déposés les 20 et 29 septembre 2022.)

(Traduction de la CRTESPF


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Résumé 2

II. Résumé de la décision dans Lyons 2020 4

III. Éléments de preuve 6

A. La fonctionnaire 6

B. Le Dr Jeffrey Morley 10

C. Le Dr Martin Dodds 11

D. Le rappel de la fonctionnaire 14

E. L’interaction entre la fonctionnaire et Mme Lakey au casino 15

IV. Questions en litige et analyse 16

A. Dommages (moraux) majorés pour préjudice psychologique 18

B. Dommages punitifs 43

1. Actions prises par l’employeur au cours des procédures d’enquête et de règlement du grief 43

2. Fausse allégation de l’employeur au dernier jour de l’audience 56

C. Intérêts à payer sur l’indemnité et rajustement au titre du Régime de pensions du Canada 69

D. Perte de réputation 72

V. Remarque du commissaire 75

VI. Ordonnance de mise sous scellés 75

VII. Ordonnance 79


 

 

I. Résumé

[1] Dans la décision Lyons c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2020 CRTESPF 122 (« Lyons 2020 »), la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») a déjà ordonné la réintégration de Louise Lyons, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), dans le poste d’agente correctionnelle de niveau CX-2 (y compris une suspension sans solde d’un mois). Dans le dernier paragraphe de cette décision, je fais savoir que je reprendrai l’audience pour me prononcer sur la demande de la fonctionnaire concernant les dommages compensatoires majorés (moraux) pour préjudice psychologique et les dommages punitifs. La présente décision tranche ces questions et d’autres points liés au redressement qui n’avaient pas été réglés dans la décision de 2020 ni lors de la reprise de l’audience en 2021.

[2] La fonctionnaire se voit accorder 150000 $ (moins 10 % pour d’autres facteurs contributifs) en dommages majorés pour le préjudice psychologique qu’elle a subi.

[3] La fonctionnaire se voit également accorder 175000 $ à titre de dommages punitifs.

[4] Cette somme vise à punir le Service correctionnel du Canada (SCC ou l’« employeur ») et à dissuader toute autre inconduite déplorable de ce genre dont la malveillance répugne à la Commission par son manque de justice et de décence.

[5] Les dommages punitifs découlent du comportement de l’employeur, qui a notamment refusé d’accorder à la fonctionnaire son droit à la justice naturelle (75000 $) et a porté une fausse accusation hautement préjudiciable, sans aucun élément de preuve pour l’étayer devant la Commission, le dernier jour des trois semaines de procédure qui ont abouti à la décision Lyons 2020, ce qui constitue une entrave à l’administration de la justice (100000 $).

[6] Soit la fausse allégation est une fabrication de l’employeur, soit, comme celui-ci l’a prétendu, il s’agit simplement de faux ragots rapportés à un gestionnaire correctionnel non nommé par un agent correctionnel non nommé que l’employeur a présentés à la Commission.

[7] Il serait généreux de ma part que j’admette l’explication de l’employeur, mais il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un acte des plus irresponsables si l’employeur dit vrai lorsqu’il prétend avoir simplement rapporté de faux ragots hautement préjudiciables devant la Commission sans qu’aucun témoin ne puisse attester de leur source ou de leur véracité.

[8] Peu importe qu’il s’agisse d’une fabrication de l’employeur ou que l’employeur ait négligemment présenté l’allégation avec pour seule explication qu’elle provenait d’un CX non nommé, je dois conclure que l’employeur avait l’intention de nuire à la cause de la fonctionnaire en cherchant à l’associer au commerce illicite de drogue. Or, il est conclu dans Lyons 2020 qu’il s’agissait du véritable motif de licenciement de la fonctionnaire, même si l’employeur n’a présenté pratiquement aucun élément de preuve ayant un rapport quelconque avec pareille allégation devant la Commission à l’audience d’arbitrage de griefs portant sur la question.

[9] En agissant de la sorte, l’employeur a tenté de tromper la Commission et donc de la détourner de son devoir de servir les intérêts de la vérité, de l’équité et de la justice lors de l’audience.

[10] Un acte planifié, délibéré et malveillant de cette sorte doit être considéré comme un affront et une obstruction à l’administration de la justice. La Commission condamne avec toute la détermination possible cet acte du Service correctionnel du Canada.

[11] De plus, les parties ont exigé que je rende une décision-lettre, le 27 avril 2021 (non publiée; « Lyons 2021 »), pour régler plusieurs points liés à la réintégration de la fonctionnaire et au versement de la rémunération et des avantages sociaux que l’employeur devait.

[12] Pour les motifs exposés en détail dans la présente décision, l’indemnité pour préjudice psychologique est justifiée par la preuve claire et convaincante que la fonctionnaire, le médecin de famille de longue date de cette dernière et un psychologue ayant une formation spécialisée en trouble de stress post-traumatique (TSPT) chez les premiers intervenants, y compris les agents correctionnels, ont présentée.

[13] Cette preuve a clairement établi que le comportement de l’employeur était [traduction] « de loin » la cause principale des graves symptômes de maladie de la fonctionnaire. Au cours de l’audience de 2021, la fonctionnaire a continué à présenter de graves symptômes de stress, d’anxiété et de dépression qui l’ont largement tenue à l’écart de son ancien mode de vie. Il s’agit maintenant de symptômes à long terme qui ont nécessité l’ajout de médicaments sur ordonnance et un suivi psychologique qui a débuté en 2021.

[14] Lors de l’audience de 2021, la fonctionnaire ne pouvait toujours pas retourner sur son lieu de travail en raison d’un mal-être qui perdurait, même si elle avait obtenu la réintégration dans son poste à la suite de l’arbitrage de son grief en 2020.

[15] La demande de dommages pour atteinte à la réputation qu’a présentée la fonctionnaire est rejetée, car une telle demande, selon les décisions pertinentes rendues par des instances d’appel, doit reposer sur un préjudice qui entrave les démarches nécessaires pour trouver un nouvel emploi. La fonctionnaire a été réintégrée et indemnisée pour toutes ses pertes de revenus et de prestations pendant la période précédant sa réintégration par ordonnance de la Commission.

II. Résumé de la décision Lyons 2020

[16] Les 12 premiers paragraphes de la décision Lyons 2020 se lisent comme suit :

[1] Louise Lyons, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), occupait un poste d’agente correctionnelle (CX, classifié CX-02) à l’Établissement de Kent à sécurité maximale (l’« établissement ») du Service correctionnel du Canada (SCC ou l’« employeur »), situé près d’Abbotsford, en Colombie‑Britannique. La fonctionnaire a maintenu un dossier de rendement sans tache pendant sa carrière de près de 16 ans et elle a reçu plusieurs mentions élogieuses par écrit pour son bon travail.

[2] L’employeur a appris qu’un détenu avait fait des allégations très graves contre la fonctionnaire. Le détenu était gardé en isolement pendant qu’il faisait l’objet d’accusations de possession de drogue en vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (L.C.). 1992, ch. 20; LSCMLC. Il craignait que son transfèrement en suspens de l’établissement à un établissement à sécurité moyenne ne fût annulé, parce qu’il s’était fait prendre en possession de drogue, et il voulait offrir des renseignements afin de s’assurer que son transfèrement serait effectué comme prévu.

[3] Les allégations à l’encontre de la fonctionnaire concernaient des actes qui auraient pu constituer le fondement d’au moins une infraction criminelle grave, si l’affaire avait été renvoyée aux autorités chargées de l’application des lois. Les renseignements fournis par l’informateur ont mené à la découverte d’une grande quantité de drogue illicite, du fentanyl, qui était caché dans la cellule d’un détenu à l’établissement, ainsi qu’à la saisie d’un téléphone cellulaire crypté et d’un tournevis de sécurité que les détenus utilisaient pour avoir accès à des secteurs autrement inaccessibles de leur cellule, afin de cacher des objets interdits, comme des stupéfiants.

[4] Les renseignements divulgués par l’informateur ont mené à l’examen de la vidéo enregistrée par les caméras de sécurité (la « vidéo »), qui assurent constamment la surveillance des corridors (la rangée) à l’extérieur des cellules. La vidéo a montré la fonctionnaire en train de transmettre des articles entre des cellules. La vidéo a aussi montré la fonctionnaire saisir un grand sac rempli d’effets personnels dans une cellule appartenant à un détenu connu sous le nom de « Détenu W », puis le placer dans une salle à l’intention des CX durant un isolement cellulaire en vertu de l’article 53 de la LSCMLC (la « fouille en vertu de l’article 53 »; les précisions seront présentées plus loin dans la présente décision) aux fins d’une fouille de drogue.

[5] L’employeur a utilisé la vidéo pour souligner le fait que la fonctionnaire se tenait debout près de la fente pour plateau-repas ouverte de la porte d’une cellule, où le détenu qui s’y trouvait pouvait éventuellement l’atteindre. L’employeur a laissé entendre que la fonctionnaire s’était inutilement exposée au risque de subir un préjudice de la part du détenu en agissant ainsi. La fonctionnaire regarde ensuite par‑dessus son épaule de manière suspecte, en direction de l’endroit où sa partenaire s’était trouvée, puis elle s’arrête un instant, éventuellement afin de s’assurer que sa partenaire CX ne s’y trouve pas encore et puisse la voir interagir avec le détenu. Ensuite, la fonctionnaire retire son gant de sécurité, saisit des articles par la fente ouverte, puis parle brièvement avec le détenu qui se trouve dans la cellule. Tout cela a incité l’employeur à conclure que la fonctionnaire faisait confiance aux détenus, ce qui démontrait qu’elle avait des relations inacceptables avec eux.

[6] L’employeur a aussi conclu que ces actes de la fonctionnaire avaient compromis la fouille en vertu de l’article 53 de son unité E (« Écho »), en raison du risque que ces stupéfiants ou d’autres objets interdits, tels que des armes, aient été cachés dans ces articles transmis entre des détenus. L’employeur a déterminé que ces actes constituaient des violations graves de son code de déontologie et qu’ils violaient ses Directives du commissaire (DC) 566-9 et 12.

[7] L’employeur a conclu que les actes de la fonctionnaire avaient été délibérés et graves, et que dans leur ensemble ils avaient rompu de façon irrémédiable son lien de confiance avec celle‑ci. Ces actes exigeaient la suspension avec solde immédiate de la fonctionnaire et, ultérieurement, à la suite d’une enquête, son licenciement.

[8] En réalité, la preuve a établi que l’employeur s’était fondé principalement sur les renseignements fournis par l’informateur, et qu’il avait décidé précocement, pendant l’enquête, que la fonctionnaire avait été compromise.

[9] Cependant, à l’audience, l’employeur n’a produit pratiquement aucun élément de preuve ayant trait à ces allégations très graves que l’informateur avait faites. Il est devenu évident que l’employeur avait agi en fonction de ces allégations sans jamais les avoir présentées exhaustivement à la fonctionnaire, ni lui avoir donné la possibilité de réfuter la preuve présentée contre elle.

[10] Ces actes ont violé le principe le plus fondamental du droit administratif canadien, à savoir que, selon les règles de la justice naturelle, la fonctionnaire doit connaître les arguments avancés contre elle et être en mesure de rétorquer aux allégations, ce que rend l’adage latin audi alteram partem, ce qui veut dire « entends l’autre partie ».

[11] D’après la preuve dont j’ai été saisi, toutefois, je conclus que la vidéo a montré la fonctionnaire en train de transmettre des articles entre des cellules durant un isolement cellulaire sans les avoir fouillés, puis saisir un grand sac rempli d’articles dans une cellule et le placer dans le bureau des CX à l’extérieur du secteur fouillé, en contravention des politiques et procédures établies, ce qui constituait des actes inacceptables, qui justifiaient la prise d’une mesure disciplinaire.

[12] Compte tenu de toutes les circonstances pertinentes, notamment l’excellent dossier de service de la fonctionnaire et le fait que l’employeur s’est fié à des renseignements non démontrés, en fonction desquels il a pris des mesures au mépris des principes de la justice naturelle, je conclus que le licenciement de la fonctionnaire était excessif. J’y substitue une suspension d’un mois sans solde.

 

III. Éléments de preuve

A. La fonctionnaire

[17] Dans son témoignage, la fonctionnaire a affirmé ce qui suit :

· Elle a vécu quatre années d’enfer depuis qu’elle a dû quitter son lieu de travail sous escorte avant d’être suspendue et congédiée.

· À cause du congédiement, elle a perdu sa maison et a dû faire appel à la banque alimentaire d’une organisation caritative locale pour se nourrir.

· Elle qui avait eu une belle carrière et reçu des éloges dans ses fonctions de CX-2 dans un établissement à sécurité maximale se retrouvait soudainement à devoir travailler comme concierge au salaire minimum.

· Elle a dû accepter un simple emploi de balayeur dans un commerce de détail, car aucun employeur ne voulait l’embaucher si le domaine d’emploi se rapprochait le moindrement de sa carrière dans les services correctionnels et la sécurité, quand elle informait l’employeur qu’elle avait été licenciée pour des raisons disciplinaires.

· Elle était dévastée par la perte de son emploi et par l’impossibilité de trouver un autre poste dans le domaine des services correctionnels, de la police et de la sécurité.

· Son père avait fait carrière dans la police, et elle était envahie par le sentiment de ne pas faire honneur à l’héritage que son père avait laissé à la famille, en raison de l’accusation de l’employeur.

· Pendant plusieurs mois, elle n’a eu aucun revenu.

· Elle se sentait profondément humiliée lorsque des clients – anciens collègues de travail ou connaissances – la voyaient balayer le plancher dans son nouveau lieu de travail.

· Son état de santé et le stress et l’anxiété qu’elle ressentait au travail en raison du traitement qu’elle avait subi de la part de son employeur l’ont empêchée de reprendre son poste de CX-2 à l’établissement Kent du SCC à Agassiz, en Colombie-Britannique (« Kent »), malgré son désir de le faire.

· Elle a perdu tous ses amis et toutes ses connaissances dans la collectivité. Ses contacts sur les réseaux sociaux l’ont bloquée.

· Ses collègues ont entendu dire et ont cru qu’elle avait été congédiée parce qu’elle avait fait passer de la drogue, en particulier du fentanyl et d’autres produits de contrebande, dans l’établissement Kent pour le compte du crime organisé.

· Elle a été congédiée en raison d’allégations relatives aux drogues illicites puis, le dernier jour de l’audience, l’employeur a faussement déclaré qu’elle avait été admise à l’urgence d’un hôpital local pour être soignée à la suite d’une surdose de drogue.

· Ses collègues l’évitaient et ne voulaient pas lui parler.

· Sa réputation a été détruite.

· Elle a été anéantie par la fausse déclaration de l’employeur selon laquelle elle avait subi une surdose de drogue.

· Cette fausse affirmation est ignoble. Elle ne reposait sur aucun fait; il n’y avait pas la moindre preuve.

· La fausse allégation de surdose de drogue s’est répandue à Chilliwack, en Colombie-Britannique, là où elle vit, et elle a détruit sa réputation.

· Chilliwack est à faible distance de plusieurs établissements du SCC. Bon nombre d’autres gardiens y vivent, ont entendu les rumeurs et pensent qu’elle a été renvoyée pour avoir fait passer de la drogue.

· Les amis et les collègues de travail qu’elle fréquentait dans la collectivité refusent désormais de lui adresser la parole. Ils l’évitent et ne répondent pas à ses salutations.

· Après sa réintégration, elle s’est rendue à Kent pour assister à une réunion. Après, lorsqu’elle marchait dans la cour en direction de la grille d’entrée, elle a vu un collègue (nommé), un formateur CX. Celui-ci l’a regardée fixement et a continué de marcher dans sa direction, l’a croisée sans lui adresser la parole, puis a passé une porte qu’il a fait claquer derrière lui. Deux nouveaux employés du CX l’accompagnaient, et elle a vu qu’ils parlaient entre eux ensuite, et qu’ils la regardaient.

· Lorsqu’elle s’est rendue à l’établissement Kent la fois suivante pour s’occuper de documents de paye, un CX qu’elle connaissait, au volant d’un véhicule en patrouille mobile, l’a regardée fixement en passant près d’elle. Quarante minutes plus tard, quand elle s’apprêtait à quitter les lieux à la fin de la réunion, il était assis dehors, près de la grille principale, et il ne l’a pas quittée des yeux jusqu’à ce qu’elle entre dans sa voiture et démarre.

· Les allégations que l’employeur a faites contre elle ne disparaîtront jamais. Elles la suivront partout où elle ira et pèseront sur elle pour le reste de sa vie.

· Le dernier jour de l’audience, lorsque l’employeur a affirmé qu’elle avait fait une surdose de drogue, elle s’est sentie dévastée.

· Elle a été blessée par cette fausse accusation au point où elle s’est sentie malade et n’a pas pu se rendre au travail, bien qu’elle n’avait pas de congé de maladie.

· Son employeur l’a trahie.

· Elle ne pourra plus jamais faire confiance à son employeur.

· Elle se sentait si mal qu’elle prenait des médicaments prescrits par son médecin contre l’anxiété et la dépression.

· Elle a subi des crises de stress qui ont fait remonter en elle un trouble de stress post-traumatique (TSPT) lié à une émeute survenue sur son lieu de travail plusieurs années auparavant.

· Le stress et l’anxiété dus à la perte d’emploi ont eu des répercussions sur tous les aspects de sa vie.

· Elle n’arrive plus à se rappeler quoi que ce soit.

· Les relations avec les membres de sa famille se sont toutes dégradées.

· Le stress et l’anxiété causés par ce qui lui arrive la rendent physiquement malade.

· Elle ne sait pas comment elle a pu tenir aussi longtemps.

· Elle est tombée dans le trou le plus noir qu’elle ait jamais connu et ne sait plus comment avancer dans la vie.

· Elle a pensé au suicide.

 

[18] Je note que, lors de l’interrogatoire principal, la fonctionnaire a témoigné qu’elle était [traduction] « sur le point de se suicider », mais qu’elle est allée demander de l’aide à l’hôpital après avoir ressenti tout l’amour qu’elle a pour ses enfants. Elle a déclaré que cet événement avait eu lieu après sa suspension par l’employeur, quand elle n’avait aucun revenu.

[19] Plus tard, lorsqu’on lui a présenté le dossier médical détaillé de son médecin, la fonctionnaire s’est rappelé que, effectivement, elle était allée à l’hôpital pour obtenir de l’aide en santé mentale avant d’être suspendue de son poste à l’établissement Kent.

[20] Interrogée sur les conséquences de la perte de la totalité de ses revenus, la fonctionnaire a témoigné ce qui suit :

· C’était un enfer.

· Elle n’avait plus les moyens de garder sa voiture.

· Elle a perdu sa maison de rêve offrant une magnifique vue sur la montagne, une maison dont elle était propriétaire depuis plusieurs années et qui avait été aménagée pour permettre à sa mère d’y vivre dans un logement indépendant.

· Elle a perdu une énorme appréciation de sa maison, car les prix de l’immobilier ont beaucoup augmenté après sa suspension et son licenciement de Kent.

· Elle a dû changer d’appartement chaque année, car, en raison de la montée en flèche des prix de l’immobilier dans la région, les appartements étaient convertis en condos les uns après les autres ou disparaissaient pour laisser place au développement immobilier.

· Elle a fait appel aux services d’une banque alimentaire.

· Elle a été contrainte d’emprunter des dizaines de milliers de dollars pour couvrir ses frais de subsistance de base auprès de petites entreprises offrant des « prêts sur salaire », qui exigent des intérêts exorbitants.

· Elle a dû emprunter de l’argent à des membres de sa famille.

· Son mari a été contraint de trouver un second emploi et de travailler des quarts de travail consécutifs.

· Elle pense que son employeur a cherché à la détruire. Elle est blessée, en colère, car jamais on ne lui redonnera entièrement ce qui lui a été enlevé.

 

[21] Lors de l’interrogatoire principal, la fonctionnaire a conclu son témoignage en déclarant qu’elle est une bonne personne et qu’elle était bonne gardienne pour son employeur, qu’elle a été trahie par ce dernier et qu’elle ne mérite pas les horreurs qui lui sont arrivées depuis sa suspension et son congédiement à l’établissement Kent.

[22] En contre-interrogatoire, la fonctionnaire a déclaré ce qui suit :

· Oui, le rapport du comité d’enquête (CE) sur les allégations portées contre elle, notamment celle selon laquelle elle avait fait passer du fentanyl à Kent, devait être privé et ne pas être diffusé à l’ensemble du personnel.

· Oui, les allégations que le détenu a faites contre elle ont été mentionnées dans Lyons 2020, au paragraphe 369.

· Oui, dans Lyons 2020, la Commission a conclu qu’une suspension sans solde d’un mois était justifiée pour sa conduite en service à Kent.

· Non, elle n’avait rien reçu de l’employeur concernant l’affirmation qu’elle était toxicomane.

· Oui, il y avait une liste affichée à l’entrée de Kent qui indiquait le nom de ceux qui avaient été suspendus ou congédiés et à qui l’entrée était refusée, et son nom y apparaissait.

· Elle a reçu des soins médicaux et psychologiques à différents moments après sa suspension et son licenciement, mais n’a pas communiqué avec le programme d’aide aux employés (PAE) de l’employeur.

· Elle n’a pas fait de demande au programme provincial d’indemnités pour accident du travail à l’automne 2016.

 

[23] La fonctionnaire a été invitée à répondre à plusieurs questions sur les dates de ses rendez-vous avec son médecin de famille et son psychologue traitant. Elle n’était pas certaine de la date exacte de plusieurs rendez-vous qui ont fait l’objet d’un examen en même temps que les éléments de preuve documentaires tirés de son dossier médical. Toutefois, à l’examen du dossier médical, il a été établi qu’il s’était écoulé deux mois après le licenciement avant qu’elle n’en parle à son médecin, un fait qu’elle a reconnu par la suite. Au sujet de cette période de deux mois, elle a témoigné qu’elle essayait de vivre sa vie, qu’elle prenait ses médicaments sur ordonnance et qu’elle essayait du mieux qu’elle pouvait d’éviter de ne pas aller voir son médecin chaque semaine ou mois.

[24] Il a également été établi que la fonctionnaire est allée voir son médecin de famille 23 fois entre septembre 2016 et le 24 février 2021. Selon elle, toutes les visites étaient liées au stress et à l’anxiété découlant de la perte d’emploi.

B. Le Dr Jeffrey Morley

[25] Le Dr Morley a été présenté comme un psychologue agréé et un spécialiste du counseling en cas de traumatisme, avec une spécialité en stress traumatique attestée par l’American Board. Son témoignage a porté sur sa thérapie auprès de la fonctionnaire.

[26] Le Dr Morley a témoigné comme suit :

· Il a traité la fonctionnaire du 31 janvier au 24 mai 2021.

· Les symptômes de dépression, d’anxiété et de stress post-traumatique qu’elle présentait étaient graves et avaient, à son avis, un impact considérable sur sa santé mentale, et tout cela découlait de son licenciement et des événements qui l’avaient précédé.

· Les crises de larmes et la difficulté à respirer faisaient partie de ces symptômes graves.

· Il s’est dit assez certain de ses observations, car les symptômes étaient plutôt évidents, même s’il n’avait pas encore fait d’évaluation détaillée qui aurait nécessité de passer en revue toute son expérience de vie.

· Il doute qu’elle puisse un jour retourner travailler à Kent, car elle se sent trahie par son employeur et ne se sent pas en sécurité au travail.

· Il a déclaré qu’une partie importante de la maladie était due à un lourd sentiment de honte et d’humiliation, ainsi qu’au rejet que lui avait fait vivre sa collectivité à la suite des allégations liées à la drogue faites contre elle.

· Il a expliqué que ce vif traumatisme s’est superposé à un TSPT vécu antérieurement à la suite d’une émeute dans son lieu de travail, lors de laquelle elle a craint pour sa vie.

· Il a ajouté, cependant, que les problèmes liés à son congédiement et la façon dont son employeur gérait la situation sont [traduction] « de loin » la cause principale de ses problèmes, lesquels persisteront sans doute pendant des années.

 

[27] Je souligne que le Dr Morley a écrit ce qui suit dans ses notes cliniques présentées comme pièces à l’audience :

· Le 4 avril 2021 : [traduction] « Tant d’humiliation et de jugement de la part des gens du SCC quand elle s’est rendue à Kent pour régler certaines choses. Sentiment de réputation entachée pour toujours et de manque de sécurité au SCC. »

· Le 14 mai 2021 : [traduction] « Impression persistante qu’elle ne peut retourner au SCC pour des raisons de sécurité physique et psychologique. »

· Le 24 mai 2021 : [traduction] « A parlé davantage de son sentiment d’avoir été trahie par la CSC. »

 

[28] Lors du contre-interrogatoire, le Dr Morley a déclaré ce qui suit :

· Oui, il a fondé ses observations sur des informations fournies par la fonctionnaire, sans tenter de faire une vérification indépendante.

· Non, il n’est pas un défenseur de la fonctionnaire.

· C’est en janvier 2021 qu’il a reçu la fonctionnaire pour un premier traitement à sa clinique.

· Il n’a pas fait une longue liste des antécédents médicaux de la fonctionnaire et ne le fait généralement pas lorsqu’il accueille un nouveau patient à sa clinique.

· Oui, il traite beaucoup de premiers intervenants contre le stress au travail et les maladies connexes.

· Oui, un CX est un premier intervenant.

· Oui, il a présenté au SCC un exposé sur la résilience afin d’aider le personnel à mieux gérer le stress au travail.

· Dans la catégorie des professions dont les CX font partie, le stress et l’anxiété sont monnaie courante et les maladies apparentées se manifestent chez 30 % des personnes, un taux supérieur à celui observé dans la population générale.

· N’ayant pas approfondi le sujet, il n’a pas voulu se prononcer sur le TSPT que la fonctionnaire a vécu antérieurement à la suite de l’émeute à la prison, mais il a affirmé qu’il est possible qu’un trouble antérieur de ce type ait pu se produire.

· Non, il n’y a pas eu, à sa connaissance, d’évaluation ou de diagnostic officiel précisant la maladie de la fonctionnaire depuis janvier 2021.

· D’après les notes cliniques présentées comme pièce à l’audience, qui indiquent que la fonctionnaire lui a parlé des difficultés qu’elle vivait sur le plan familial, oui, ces difficultés ont pu contribuer aux symptômes qu’il a déjà décrits. Il en va de même pour la violence que lui a fait subir un ancien conjoint durant des années.

· Oui, les notes cliniques indiquent également que la fonctionnaire a décrit d’autres problèmes familiaux de longue date dans sa vie, ce qui peut ajouter au stress vécu et contribuer aux symptômes actuels.

· Il serait presque impossible pour la fonctionnaire de retourner à Kent un jour.

 

[29] Dans son témoignage en réponse, le Dr Morley a déclaré que, ayant eu l’occasion d’observer de près la fonctionnaire lors des consultations, il n’avait aucune raison de douter de la crédibilité de ce qu’elle lui avait dit lors des séances cliniques.

C. Le Dr Martin Dodds

[30] Le Dr Dodds a 30 ans d’expérience à titre de médecin de famille et a reçu la fonctionnaire comme patiente pour la première fois à sa clinique de Chilliwack en 2001. Étant son médecin de famille, il la voyait régulièrement depuis au moins 2004.

[31] L’employeur n’a pas contesté les titres de compétences ni le témoignage du docteur relativement à ses opinions de médecin de famille.

[32] Le Dr Dodds a témoigné comme suit :

· À partir du 26 septembre 2016, à peu près au moment de la première suspension de la fonctionnaire, cette dernière l’a consulté pour des symptômes assez graves, notamment de l’irritabilité, du stress, de l’anxiété et l’insomnie, symptômes qui persistent à ce jour.

· Il a déclaré que la suspension, et ensuite le licenciement ont provoqué chez elle un trouble d’anxiété sociale (phobie sociale) qui, pendant de longues périodes, l’empêchait de quitter son domicile, l’isolait, lui faisait faire des cauchemars et de l’insomnie et lui donnait des pensées suicidaires.

· Tous ses symptômes cadrent avec un diagnostic de trouble anxieux ou trouble de l’humeur et de TSPT.

· Malgré un événement au travail ayant déjà provoqué un épisode de TSPT, il pense que ce qu’elle a vécu lors de sa suspension et de son licenciement est une situation qui suffit à elle seule pour parler d’un événement déclencheur d’un TSPT.

· Lorsqu’on lui a demandé si la fonctionnaire s’était rendue dans un hôpital local pour y être traitée pour une surdose de drogue, il a répondu que, à sa connaissance, un tel événement ne s’était pas produit. Il a ensuite vérifié les dossiers médicaux de l’autorité sanitaire régionale et n’a rien trouvé qui puisse donner à penser que la fonctionnaire a été traitée pour une surdose de drogue à l’hôpital.

· Cependant, il a ajouté que lorsque l’employeur a porté cette accusation, le stress et l’anxiété vécus par la fonctionnaire ont augmenté, et celle-ci est devenue encore plus renfermée.

 

[33] Les notes cliniques du Dr Dodds, dont j’ai ordonné le caviardage à la demande de la fonctionnaire afin d’empêcher la divulgation de renseignements très personnels n’ayant aucun lien avec les questions à trancher lors de cette audience, ont été acceptées comme pièces et comprenaient les mentions suivantes :

· Le 27 septembre 2016, il a écrit ce qui suit : [traduction] « Je pense que son état mental est maintenant rendu au point du TSPT où il est probable qu’elle ne retourne plus jamais travailler. » Plus loin, dans la même fiche au dossier, il a ajouté : [traduction] « […] il est extrêmement improbable qu’elle reprenne le travail ».

· Le 6 octobre 2016, il a écrit ce qui suit : [traduction] « Elle éprouve une grande anxiété dès qu’elle pense à retourner au travail ou même à se rendre dans cette zone. »

· Le 19 janvier 2017, il a écrit ce qui suit : [traduction] « Il y a 0 chance qu’elle tente le moindre retour à cet emploi. » Dans la fiche au dossier de la patiente pour cette même date, on retrouve plus loin les détails d’une prescription d’Ativan, que je note comme étant un médicament courant pour le traitement des troubles anxieux.

· Le 22 juin 2017, il a écrit que la fonctionnaire [traduction] « […] ne s’en sort pas très bien ces derniers temps […] » et « Elle pense beaucoup trop [à la perte de son emploi et à l’idée d’essayer d’y revenir], on dirait presque un trouble de stress post-traumatique. » Dans la même fiche au dossier de la patiente, on retrouve par la suite une prescription de Cipralex, que je note comme étant un médicament courant pour le traitement de la dépression, de l’anxiété et des troubles obsessionnels compulsifs.

· Le 21 février 2019, il a écrit que la fonctionnaire se plaignait de vertiges, de fatigue et de nausées. Il a écrit par la suite ce qui suit : [traduction] « Je pense que cela est étroitement lié à l’anxiété et au stress. »

· Le 24 septembre 2019, il a écrit ce qui suit :

 

[Traduction]

 

[La fonctionnaire] est en grande détresse, elle est engagée dans une bataille juridique avec son employeur pour licenciement ou congédiement abusif. Avec les contrecoups de ces événements, elle a de plus en plus de mal à dormir, elle est irritable, de plus en plus anxieuse, elle a du mal à se concentrer et elle est plus renfermée qu’auparavant.

De fausses allégations de séjour à l’hôpital ont été faites. Je vais y donner suite.

Le dossier de la patiente indique par la suite qu’un autre médicament, l’Effexor, a été prescrit en plus d’une nouvelle ordonnance d’Ativan, à prendre en combinaison. Je note que l’Effexor est un traitement courant contre la dépression.

· Le 4 janvier 2021, il note dans le dossier de sa patiente qu’elle a eu [traduction] « gain de cause sur toute la ligne » dans le grief déposé pour ravoir son emploi, mais qu’elle [traduction] « est toujours accablée par un flux constant d’émotions et par le TSPT lié aux événements ». Il inscrit qu’il va essayer de l’inscrire dans un programme officiel de traitement du TSPT et qu’il a écrit une note pour trouver un psychologue pour l’aider.

 

[34] Le Dr Dodds a témoigné en contre-interrogatoire comme suit :

· Les notes cliniques de son rendez-vous du 27 septembre 2016 avec la fonctionnaire, confirmées par lui, nous indiquent ce qui suit :

 

[Traduction]

 

[…]

[…] [elle était] très stressée, principalement en raison de son TSPT. Il y a eu une multitude de problèmes. Elle souffre d’un TSPT depuis l’émeute de la prison, il y a 8 ans. Elle a fait un retour incroyable au travail après l’émeute, mais une agression par son ex-mari il y a deux ans s’est ajoutée aux facteurs de stress […]

[…]

· À son cabinet de médecine familiale, il ne pose généralement pas de diagnostics. Ce sont plutôt les symptômes observés qu’on trouve dans ses notes, sauf lorsque le diagnostic est très évident.

· Il a confirmé que cette note particulière indique qu’un retour au travail était improbable, étant donné les antécédents de TSPT de la fonctionnaire après l’émeute et l’agression par son ex-mari, un collègue de travail à l’établissement Kent.

· Il n’était pas au courant du traitement qu’elle avait obtenu pour le traitement du TSPT en 2008, si tant est qu’il y en ait eu un.

· Il ne l’a pas vue en mars 2017, dans les semaines qui ont suivi la réception de sa lettre de licenciement de la part de l’employeur, mais, à cette époque, l’attente pour les rendez-vous était de quatre à cinq semaines.

· Il a confirmé que ses notes cliniques vont de 2019 à 2021 et qu’il y est inscrit qu’elle a continué à souffrir d’un niveau accablant de stress et d’anxiété en lien avec son congédiement et sa réintégration à la suite de la décision de l’arbitre.

· Selon les notes cliniques du 23 juin 2020, la fonctionnaire n’était exposée à aucun facteur de stress externe autre que ses problèmes au travail.

· Ses notes cliniques et ses conclusions sont basées sur les symptômes qu’il a observés et sur ce que la fonctionnaire lui a dit. Il n’a pas cherché à vérifier de manière indépendante ce qu’elle lui disait, mais il a appris à la connaître au cours des nombreuses années de traitement.

· Il n’a pas vu la lettre de licenciement ni la décision dans laquelle la Commission a ordonné la réintégration.

 

D. Le rappel de la fonctionnaire

[35] J’ai accueilli la demande de la fonctionnaire qui souhaitait témoigner à nouveau afin de rectifier ce qu’elle a qualifié de souvenir erroné de sa présence à l’hôpital local. Le témoignage du Dr Dodds et l’examen de ses dossiers hospitaliers lui avaient rafraîchi la mémoire. L’employeur ne s’y est pas opposé et n’a pas prétendu que le témoignage porterait préjudice à sa cause lorsque j’ai posé la question à son avocat.

[36] La fonctionnaire a expliqué avoir déclaré par erreur, dans son témoignage principal, s’être fait soigner au service des urgences local pour traitement psychologique lié à des idées suicidaires après sa suspension au travail. Elle a précisé lors de l’examen de rappel que ce traitement avait plutôt eu lieu avant sa suspension.

[37] J’ai également permis à l’employeur de présenter un « Rapport d’observation ou de déclaration » (ROD) rédigé par la gestionnaire correctionnelle (GC) Julia Lakey, ancienne collègue de travail de la fonctionnaire, afin de l’intégrer au contre-interrogatoire du témoignage de rappel. Mme Lakey était GC au moment de son témoignage.

[38] Lors du contre-interrogatoire de rappel, la fonctionnaire a déclaré ce qui suit :

· Un soir, elle et son mari, lui aussi un CX à Kent, sont allés dans un casino local avec bar-salon et y ont vu Mme Lakey, collègue et amie de la fonctionnaire. La fonctionnaire l’a saluée. Ne recevant pas de réponse, elle l’a saluée de nouveau.

· À la deuxième salutation, Mme Lakey a dit : [traduction] « Tu sais ce que tu as fait. »

 

[39] L’avocat de l’employeur a ensuite dit à la fonctionnaire que Mme Lakey aurait une version complètement différente de l’événement, tel qu’il avait été décrit dans le ROD du 25 novembre 2019. La fonctionnaire a répondu être au courant du ROD, dans lequel on l’accusait d’avoir menacé Mme Lakey, ce qui a donné lieu à une enquête de police qui, selon elle, n’a pas été concluante.

E. L’interaction entre la fonctionnaire et Mme Lakey au casino

[40] Dans son témoignage, la fonctionnaire a décrit Chilliwack, où elle vit, comme étant un lieu central pour les gardiens, en raison du nombre de pénitenciers fédéraux situés à proximité et du nombre de CX qui y vivent. Un soir après son licenciement, a‑t‑elle expliqué, elle s’est rendue à un casino local pour passer la soirée et prendre un bon repas.

[41] Elle a expliqué que, peu après son arrivée, elle a croisé une ancienne collègue de travail (identifiée plus tard comme étant Mme Lakey) et l’a saluée au passage. La fonctionnaire a déclaré qu’elle n’avait reçu aucune réponse. La fonctionnaire a alors répété sa salutation et, cette fois, selon elle, Mme Lakey s’est tournée vers elle en disant : [traduction] « Tu sais ce que tu as fait, tu es vraiment sale, tu es folle. »

[42] Mme Lakey a été appelée à témoigner. Elle s’est montrée d’une grande aide en faisant des efforts considérables pour se libérer pendant qu’elle était en congé. Elle a dit dans son témoignage qu’elle était CX-2 à l’époque des faits et qu’elle a depuis été promue au poste de GC. Elle a confirmé avoir déposé le ROD du 25 novembre 2019 et l’avoir rédigé sous le titre [traduction] « Incident de la fin de semaine avec la CX Louise Humphrey », concernant l’interaction notée au casino avec la fonctionnaire. Elle a déclaré l’avoir rédigé et déposé parce qu’elle estimait qu’il était de son devoir d’agente de la paix de mentionner l’incident en plus de faire un signalement au service de police local.

[43] Selon son témoignage, quelque temps après l’interaction, Mme Lakey était assise à sa table lorsqu’une femme auparavant attablée avec la fonctionnaire s’est approchée d’elle en l’invectivant et en proférant des jurons. Selon le témoignage de Mme Lakey, les personnes de la table voisine se sont retournées pour demander ce qui s’était passé. Mme Lakey a dit que peu de temps après le départ de la femme en furie, pendant que son mari était parti chercher des bières, son regard a croisé celui de la fonctionnaire qui s’est mise à lui hurler quelque chose en lien avec son refus de lui parler. Mme Lakey a dit avoir répondu [traduction] : « Non, tu es folle. »

[44] Mme Lakey a ensuite expliqué que la fonctionnaire est devenue agitée et s’est mise à brandir les bras énergiquement. La fonctionnaire a ensuite dit que le Service correctionnel du Canada avait [traduction] « merdé », ajoutant qu’elle obtiendrait un million de dollars et que la direction de Kent pouvait aller [traduction] « se faire foutre ». Elle a ensuite traité Mme Lakey de [traduction] « grosse salope ». La fonctionnaire a dit qu’elle allait lui [traduction] « botter le derrière » et a essayé d’attirer Mme Lakey à l’extérieur. Mme Lakey a dit dans son témoignage qu’elle est restée assise et qu’elle n’a cessé de répéter à la fonctionnaire : « On voit ta folie. »

[45] Lorsqu’on lui a demandé lors de l’interrogatoire principal si elle avait traité la fonctionnaire de [traduction] « sale » pendant l’échange dans le casino, Mme Lakey a nié avoir utilisé ce terme en disant : [traduction] « Je n’en parle pas. Je ne sais pas ce qui est arrivé. »

[46] Bon nombre d’autres témoignages ont été présentés à l’audience au sujet de cette interaction, qui était presque exclusivement liée à la demande d’une indemnité liée à la perte de réputation de la fonctionnaire.

[47] Ce résumé de l’interaction avec Mme Lakey est noté par respect pour les efforts faits par ce témoin pour participer à l’audience et parce qu’il s’agit d’un élément fondamental de la demande de dommages de la fonctionnaire pour atteinte à sa réputation, une question qui sera abordée plus loin dans la présente décision.

IV. Questions en litige et analyse

[48] La présente décision doit déterminer si la preuve présentée à la Commission cadre avec la jurisprudence existante pour ce qui est de l’octroi d’une réparation pécuniaire pour préjudice psychologique subi par la fonctionnaire, et s’il est justifié d’accorder des dommages punitifs en raison du comportement de l’employeur au cours de la procédure disciplinaire et de la procédure de règlement du grief ainsi que devant la Commission.

[49] La fonctionnaire a fait valoir que la Commission a le pouvoir d’accorder des dommages pour préjudice psychologique et atteinte à la réputation et d’accorder des dommages punitifs en vertu du paragraphe 228(2) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »).

[50] L’employeur n’a pas contesté l’argument de la fonctionnaire portant sur la compétence d’accorder une indemnité, mais il a fait valoir que, compte tenu de la preuve dont je dispose et de la jurisprudence pertinente, la somme accordée, le cas échéant, devrait être très modeste.

[51] L’employeur a renvoyé à un arrêt de la Cour suprême du Canada pour rappeler la prudence et la retenue dont il faut faire preuve pour traiter une telle demande et le seuil élevé à respecter pour justifier une ordonnance de dommages punitifs.

[52] La fonctionnaire a renvoyé à la jurisprudence accordant un large éventail de dommages et a suggéré un minimum de 50000 $ pour chacun des trois chefs réclamés. Dans les arguments écrits ultérieurs déposés (en septembre 2022) à la demande de la Commission, la fonctionnaire a révisé sa demande à la hausse concernant les dommages punitifs en l’espèce, demandant au moins 100000 $ relativement à ces dommages, pour un total de 250000 $.

[53] La fonctionnaire a déclaré que les faits dont je suis saisi sont uniques, qu’ils ne sont visés par aucune jurisprudence existante et que le choix de la somme appropriée, étant une tâche presque impossible, relève davantage de l’art que de la science.

[54] Lorsque j’ai demandé à l’employeur, à la fin de sa plaidoirie, si j’avais bien compris qu’il déclinait toute responsabilité en lien avec les dommages demandés et qu’il ne devait rien à la fonctionnaire, il a répondu par la négative. Il a fait valoir qu’aucun dommage punitif ne devrait être accordé, mais n’a pas fait d’observation aussi définitive concernant le préjudice psychologique.

[55] L’employeur a présenté à l’audience des éléments de preuve qui, selon lui, établissaient un lien de causalité faible ou inexistant entre ses actions et le préjudice subi allégué, et il a également contesté la gravité du préjudice allégué.

A. Dommages (moraux) majorés pour préjudice psychologique

[56] La fonctionnaire a fait valoir que les constats de comportement inapproprié de la part de l’employeur, selon Lyons 2020, et le préjudice qui en a découlé pour sa santé, selon les observations faites à l’audience, devraient entraîner l’octroi d’importants dommages majorés.

[57] La jurisprudence présentée à ce sujet porte sur les dommages majorés et sur les dommages moraux pour préjudice psychologique subi. Je ne vois aucune distinction à faire entre les deux termes ni de conséquence découlant de l’utilisation de l’un au lieu de l’autre dans les cas qui me sont soumis, et je les considère donc comme étant interchangeables.

[58] Dans ses observations sur cette question, l’employeur n’a pas nié toute responsabilité ni soutenu que la fonctionnaire n’avait subi aucun préjudice. Il a toutefois fait valoir que la preuve montrait que des facteurs n’ayant aucun rapport avec sa suspension ou son licenciement expliquaient son mal-être.

[59] Ces facteurs seront analysés ultérieurement, mais ils comprennent les préjudices antérieurs causés par une émeute sur le lieu de travail et par la violence domestique commise par un collègue. De plus, l’employeur a contesté les éléments de preuve médicaux présentés pour montrer que la fonctionnaire n’allait pas bien, suggérant que ceux-ci reposaient surtout sur les déclarations subjectives de la fonctionnaire.

[60] L’employeur a également fait remarquer qu’il a été conclu dans la décision Lyons 2020 que la fonctionnaire méritait une sanction disciplinaire importante, à savoir une suspension d’un mois sans solde, et qu’elle est donc l’auteure de son propre malheur. Enfin, l’employeur a renvoyé à des cas dans lesquels il a été conclu qu’un certain niveau de stress, d’anxiété et de déception dans la vie et au travail est inévitable, et ainsi ne donnent pas droit à réparation.

[61] En ce qui concerne la question préliminaire de la responsabilité de l’employeur pour une partie ou la totalité des préjudices subis par la fonctionnaire ultérieurement à son emploi, je note que les deux parties ont renvoyé à l’arrêt de la Cour suprême du Canada Honda Canada Inc. c. Keays, 2008 CSC 39, qui fait autorité en matière de dommages pour préjudice psychologique. La Cour s’est exprimée comme suit :

[…]

[57] Des dommages‑intérêts ne doivent donc être accordés pour les circonstances du congédiement que lorsqu’est remplie la condition énoncée dans l’arrêt Wallace, à savoir que l’employeur s’est comporté, lors du congédiement, « de façon inéquitable ou [en faisant] preuve de mauvaise foi en étant, par exemple, menteu[r], trompeu[r] ou trop implacabl[e] » […]

[Je mets en évidence]

 

[62] Elle a ajouté ce qui suit au paragraphe 59 :

[59] […] Partant, lorsque l’employé peut prouver que les circonstances du congédiement lui ont infligé un préjudice moral que les parties avaient envisagé, l’indemnisation se fera non pas par l’allongement arbitraire du préavis, mais bien par l’octroi d’une somme dont le montant reflète le préjudice réel. À titre d’exemples de comportements qui infligent un préjudice indemnisable, mentionnons l’atteinte à la réputation de l’employé découlant de déclarations faites lors du congédiement, l’inexactitude du motif invoqué ou le dessein de priver l’employé d’un droit, notamment celui à des prestations de retraite ou à la titularisation […]

[Je mets en évidence]

 

[63] Je suis d’accord avec la fonctionnaire pour dire que mes constatations dans la décision Lyons 2020 satisfont aux critères énoncés dans Honda Canada Inc. que je viens de citer. Ma conclusion selon laquelle l’employeur a refusé à la fonctionnaire son droit à la justice naturelle en présentant de manière inexacte les véritables raisons de son congédiement est une preuve claire et convaincante qu’il a agi de mauvaise foi en étant mensonger et trompeur.

[64] J’ai conclu dans Lyons 2020 que l’employeur avait accepté les allégations de l’informateur détenu en isolement et qu’il avait rapidement tranché que la fonctionnaire avait été compromise. L’employeur a ensuite entrepris une démarche afin de trouver d’autres raisons qui justifieraient sa décision de licencier la fonctionnaire.

[65] La Commission a jugé que la preuve à l’appui de ces autres raisons ne pouvait à elle seule justifier le licenciement de la fonctionnaire. De plus, cette preuve a été jugée insuffisante pour prouver que la fonctionnaire avait une intention malicieuse ou une motivation malhonnête, comme le prétendait l’employeur.

[66] La décision Lyons 2020 conclut que, lors de l’audience, l’employeur a fait à plusieurs reprises des déclarations basées sur de pures conjectures et non étayées par des éléments de preuve pour imputer à la fonctionnaire des motifs et une intention malicieuse afin de soutenir ses allégations de liens compromettants avec le crime organisé.

[67] Ces attaques personnelles contre la fonctionnaire ont été renforcées dans les arguments finaux de l’employeur par un cas de jurisprudence dans lequel il avait été établi qu’un CX avait eu des relations étroites avec des membres connus du crime organisé.

[68] L’employeur est allé jusqu’à appeler un collègue CX à la barre. Celui-ci a déclaré qu’il ne pourrait jamais plus travailler avec la fonctionnaire ou lui faire confiance du fait qu’elle avait été compromise.

[69] L’employeur a prémédité ces actions qui se sont déroulées sur des mois et des années d’enquête, de grief et finalement d’arbitrage. La preuve énoncée dans la présente décision a établi que l’employeur, qui a nié à la fonctionnaire son droit à la justice naturelle et a fait contre elle des attaques très personnelles, est responsable des dommages pour préjudice psychologique subi.

[70] La jurisprudence présentée par la fonctionnaire fait état d’un éventail de sommes accordées pour préjudice psychologique. À l’extrémité inférieure de la fourchette se trouve la décision Mattalah c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement), 2018 CRTESPF 13. Dans cette affaire entendue par la Commission, un agent du service extérieur avait fait l’objet d’un plan d’amélioration du rendement sans avoir été informé des objectifs de rendement au préalable, une injustice contrevenant à la convention collective, ce qui avait eu pour résultat qu’il n’avait pas eu droit à une promotion. Selon ses allégations, son affectation à l’étranger avait pris fin prématurément et il avait ensuite été muté à Ottawa, ce qui lui avait occasionné des coûts considérables sur les plans financier et émotionnel. Il a témoigné être devenu épuisé, anxieux et déprimé, en conséquence de quoi il avait pris des médicaments et avait consulté. Il a également affirmé que sa progression de carrière avait été compromise à jamais par le fait que son employeur n’avait pas respecté l’obligation prévue par la convention collective au regard des objectifs de rendement et de l’évaluation annuelle (voir les paragraphes 155 et 156).

[71] La Commission a accordé 20000 $ en dommages pour le préjudice psychologique découlant de la violation de la convention collective et a déclaré ce qui suit :

[…]

159 Ainsi, je suis convaincue que le fonctionnaire a droit à une réparation compensatoire à cet égard. Je suis d’avis qu’il existe au moins quatre éléments en l’espèce qui militent en faveur de l’octroi des dommages-intérêts majorés.

160 Premièrement, contrairement à la clause 9.03a) de la convention collective, l’employeur n’a pas fourni au fonctionnaire des objectifs par écrit au début de son affectation. Je suis d’accord avec le fonctionnaire qu’il aurait été difficile pour lui d’être évalué négativement en fonction de critères qui n’ont pas été clairement soulignés au début de son affectation.

161 Deuxièmement, contrairement à la clause 9.03b) de la convention collective, l’employeur n’a pas été franc au sujet du fait que la deuxième affectation du fonctionnaire était remise en question en décembre 2014 en raison du rendement insuffisant du fonctionnaire. Comme il a été décrit par le fonctionnaire, ces événements ont eu un effet direct sur sa vie et son bien-être.

162 Troisièmement, contrairement à la clause 9.03b) de la convention collective, l’employeur a caché au fonctionnaire la vérité en ce qui concerne le PAR, ce qui n’a pas aidé le fonctionnaire à améliorer son rendement. Le PAR n’était qu’une évaluation du potentiel du fonctionnaire à occuper le poste FS-03. Tout le processus du PAR a été très difficile pour le fonctionnaire. En raison du comportement de l’employeur, ces difficultés ont outrepassé les difficultés habituelles qu’un employé peut rencontrer lorsque soumis à un PAR. Il a demandé de la rétroaction relativement à sa rédaction de rapports, mais n’en a pas reçue. Il a travaillé fort pour satisfaire aux exigences supplémentaires de l’employeur en vertu du PAR, en plus de son travail régulier. Par conséquent, son état de santé s’est détérioré.

163 Quatrièmement, le manque de franchise et de clarté de l’employeur a eu des répercussions négatives sur la réputation de couloir du fonctionnaire.

164 En somme, pendant cette période, en raison de la contravention de la convention collective par l’employeur, le fonctionnaire a ressenti un manque de confiance, des sentiments blessés, une faible estime de soi, de l’humiliation, du stress, de l’angoisse et un sentiment de trahison. Par conséquent, il a sollicité un traitement médical. Selon les éléments de preuve présentés, je conclus que sa douleur et sa souffrance étaient significatives et de longue durée, et persistent encore.

[…]

169 Bien que le cas en l’espèce ne porte pas sur un congédiement mais une violation d’une entente collective, les principes énoncés dans Keays sont utiles. Des dommages ne sont pas accordés au fonctionnaire en raison des souffrances morales ordinaires découlant du PAR ou d’une réaffectation. Plutôt, lors de l’octroi de dommages-intérêts majorés, il faut prendre en considération toute conduite injuste, de mauvaise foi, menteuse, trompeuse ou trop implacable de la part de l’employeur lors de la mise en œuvre du PAR ou de la réaffectation de l’employé, allant à l’encontre de la convention collective.

170 Les dommages collatéraux intangibles relatifs à la douleur et à la souffrance ainsi qu’à la perte de réputation et du moral sont difficiles à quantifier en l’espèce. Toutefois, à mon avis, il convient que le défendeur verse au fonctionnaire un montant raisonnable en guise de dommages-intérêts pour des questions qui ne peuvent être évaluées objectivement — la douleur et la souffrance, la perte de la réputation et du moral, et d’autres questions semblables (y compris la douleur de la fonctionnaire de voir sa famille souffrir psychologiquement). Compte tenu des éléments de preuve et des arguments susmentionnés, je conclus que le versement de 20000 $ constitue une compensation raisonnable.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[72] Bien que, de toute évidence, la Commission ait été touchée par les circonstances malheureuses que M. Mattalah avait vécues, par sa frustration et ses inquiétudes causées par ce qu’il jugeait être un obstacle freinant injustement sa progression de carrière, celui-ci n’avait subi aucune perte de revenu et ses craintes au regard de son avancement professionnel semblaient être passablement spéculatives. J’écarte ce cas, car je n’y trouve aucune des répercussions à long terme ou très graves sur la santé dont je dois tenir compte dans l’affaire devant moi, aucune des difficultés que la fonctionnaire a subies après avoir perdu son emploi, ni la honte ressentie dans la collectivité quand elle a vu sa réputation ternie parce qu’elle avait soi-disant passé de la drogue malgré son rôle d’agente de la paix.

[73] Le préjudice que la fonctionnaire a subi dans la présente affaire, au vu de la preuve, est nettement plus grave que celui subi dans Mattalah.

[74] La fonctionnaire a également cité une décision dans laquelle le tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique a ordonné le versement d’une indemnité dans le haut de l’échelle, selon ses termes, soit 220000 $ (moins 20 % pour les impondérables) pour atteinte à la dignité en raison d’une discrimination fondée sur la race en milieu de travail (voir Francis v. BC Ministry of Justice (No. 5), 2021 BCHRT 16).

[75] Même si Francis relève d’une juridiction provinciale et des droits de la personne, elle offre néanmoins une comparaison intéressante, car elle concerne un préjudice grave pour la santé subi à la suite d’événements survenus sur le lieu de travail.

[76] Selon ma lecture attentive du cas, M. Francis et la fonctionnaire devant moi ont subi bon nombre des mêmes effets néfastes et des mêmes atteintes à la santé et au bien-être. Toutefois, les éléments de preuve présentés dans Francis ont montré qu’environ sept ans après la fin de l’emploi, les médecins praticiens ont déclaré que M. Francis était totalement invalide et qu’il serait à tout jamais inapte au travail. M. Francis présentait une bonne partie des symptômes que présente la fonctionnaire devant moi. Toutefois, d’autres éléments de preuve fournis par son médecin de longue date ont permis d’ajouter un élément de comparaison : avant l’incident sur le lieu de travail, M. Francis était actif, en forme et athlétique; après, il était très malade et en grande partie inactif. D’autres éléments de preuve qui ont également été présentés dans Francis montraient qu’il présentait des symptômes de trouble anxieux et de trouble dépressif et que ces troubles provoquaient des indigestions sévères au point qu’il avait du mal à se nourrir (voir les paragraphes 207 à 211).

[77] À l’instar de ce que montrent les éléments de preuve dont je dispose, la santé de M. Francis a continué à se détériorer des années après qu’il a eu cessé de travailler (voir le paragraphe 24).

[78] La preuve dont je dispose montre une aggravation des symptômes, une augmentation de médicaments prescrits et une thérapie hautement spécialisée de traitement des traumatismes, même après l’ordonnance de la réintégration de la fonctionnaire dans son emploi (Lyons 2020). Selon les observations du médecin de famille, le simple fait d’envisager un retour au travail exacerbe les symptômes d’anxiété de la fonctionnaire.

[79] Après avoir lu attentivement et avec considération Francis et en la comparant à la preuve dont je dispose dans la présente affaire, je conclus que la preuve dans Francis décrit un préjudice très semblable, quoique plus grave. Dans les caractéristiques distinctives importantes de Francis, je relève les éléments de preuve supplémentaires concernant la santé vibrante de M. Francis avant l’incident, ce à quoi on peut peut-être ajouter le nombre d’années écoulées entre l’incident et la déclaration d’invalidé totale, d’incapacité à occuper un emploi et de difficulté à manger et à digérer.

[80] En ce qui concerne les symptômes psychologiques éprouvés par la fonctionnaire, qui ne suffisent pas pour justifier l’octroi de dommages selon lui, l’employeur a renvoyé à la décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique Lau v. Royal Bank of Canada, 2017 BCCA 253, qui conclut comme suit :

[Traduction]

 

[…]

[50] Comme l’indique l’arrêt Mustapha [Mustapha c. Culligan of Canada Ltée, 2008 CSC 27] :

[9] Cela dit, les troubles psychologiques constituant un préjudice personnel doivent être distingués d’une simple contrariété. En droit, un préjudice personnel suppose l’existence d’un traumatisme sérieux ou d’une maladie grave : voir Hinz c. Berry, [1970] 2 Q.B. 40 (C.A.), p. 42; Page c. Smith, p. 189; Linden et Feldthusen, p. 425-427. Le droit ne reconnaît pas les contrariétés, la répulsion, l’anxiété, l’agitation ou les autres états psychologiques qui restent en deçà d’un préjudice. […] Tout bonnement, les contrariétés mineures et passagères n’équivalent pas à un préjudice personnel et, de ce fait, ne constituent pas un dommage.

[…]

[69] Pour recevoir des dommages-intérêts majorés dus à une détresse psychologique, l’employé doit démontrer que le mode de congédiement lui a causé un préjudice allant au-delà de la détresse normale et du préjudice moral issus de ce congédiement.

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[81] Je souscris à la réponse de la fonctionnaire selon laquelle il ne fait aucun doute que la conduite de l’employeur lui a causé une détresse psychologique qui dépasse la simple perturbation psychologique occasionnée par une perte d’emploi.

[82] La fonctionnaire a expliqué à quel point elle est tombée malade, jusqu’à l’impossibilité d’occuper un emploi. Elle a dû prendre des médicaments prescrits par des médecins pour traiter l’anxiété et la dépression, a connu des crises de larmes, de la difficulté à respirer et des crises de stress qui ont déclenché les symptômes de son TSPT. Sa mémoire a été altérée et elle a eu des pensées suicidaires. Ces effets sur la santé ont été aggravés par l’énorme impact financier que le congédiement injustifié a eu sur elle et sa famille, sans parler du fait qu’elle a été traitée comme un paria par la confrérie très soudée des employés des services correctionnels dans sa région. La preuve du préjudice important et parfois débilitant subi par la fonctionnaire a été étayée par les témoignages des Drs Dodds et Morley.

[83] Dans ses observations finales, l’employeur a principalement mis l’accent sur les éléments de preuve qui, selon lui, donnent à penser que d’autres facteurs ont contribué, du moins en partie, au mal‑être de la fonctionnaire, ce qui devrait atténuer les constations de responsabilité et avoir pour résultat qu’il soit moins exposé au versement d’éventuels dommages. Il a souligné le témoignage du Dr Morley, dans lequel celui-ci a déclaré que les facteurs de stress passés, les traumatismes et les facteurs de stress postérieurs à l’emploi mentionnés par la fonctionnaire au cours de leurs séances et qui ont été documentés à l’audience ont tous contribué à ses problèmes actuels. Il a également souligné la déclaration que le Dr Dodds a faite lors du contre-interrogatoire, selon laquelle un retour au travail était peu probable en raison des antécédents de TSPT de la fonctionnaire à la suite de l’émeute et de l’agression commise par son ex-mari, un collègue de travail à Kent.

[84] À ce sujet, l’employeur a relevé les passages suivants de l’arrêt Younesi v. Kaz Minerals Projects B.V., 2021 BCSC 614 :

[Traduction]

 

[78] Il est important de noter dans une affaire de congédiement injustifié que « le critère d’octroi de dommages pour détresse psychologique est, en principe, le même en droit contractuel qu’en droit de la responsabilité délictuelle » : Lau, par. 48. Par conséquent, comme c’est le cas dans une affaire de responsabilité délictuelle et comme l’a reconnu la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Saadati c. Moorhead, 2017 CSC 28, l’existence d’un trouble psychiatrique reconnu n’est pas requise et la production d’un élément de preuve médical n’est pas rigoureusement nécessaire, mais il doit tout de même y avoir un fondement probatoire qui montre raisonnablement que le mode de congédiement a eu un impact grave et prolongé sur l’état mental du demandeur.

[79] De plus, dans un cas de ce genre, il importe de garder à l’esprit les principes distincts de causalité applicables a) à la responsabilité et b) à l’évaluation des dommages. Les principes de base visant l’établissement de la causalité dans une affaire de responsabilité sont énoncés dans l’arrêt Athey c. Leonati, 1996 CanLII 183 (SCC), [1996] 3 R.C.S. 458, aux paragr. 13 à 20, repris à maintes reprises depuis. Ils comprennent ce qui suit :

1. Le critère général, quoique non décisif, en matière de causalité est celui du « facteur déterminant » (« but for test »), selon lequel le demandeur est tenu de prouver que le préjudice ne serait pas survenu sans la négligence du défendeur.

2. Le critère en matière de causalité ne doit pas être appliqué de façon trop rigide. La causalité n’a pas à être déterminée avec une précision scientifique, car il s’agit essentiellement d’une question de fait pratique à laquelle on peut répondre par le bon sens ordinaire.

3. Il n’est pas nécessaire que le demandeur établisse que la négligence du défendeur a été la seule cause du préjudice. Dans la mesure où le défendeur est en partie la cause du préjudice, il engage sa responsabilité.

4. La responsabilité ne peut être répartie entre les causes délictuelles et les causes non délictuelles du dommage ou de la perte. En droit, la responsabilité du défendeur n’est pas écartée du seul fait que d’autres facteurs qui ne lui sont pas imputables ont contribué au préjudice.

 

[85] L’employeur a également invoqué l’arrêt Younesi pour l’analyse qu’il fait d’un état préexistant et la règle de la vulnérabilité de la victime, que la Cour a décrite comme suit :

[Traduction]


[89] J’ai mentionné ci-dessus certains principes sous-jacents à l’évaluation des dommages pour détresse mentale. Dans le présent cas, j’ai constaté que M. Younesi présentait des traits de personnalité correspondant à ceux d’une victime vulnérable, qui le rendent excessivement sensible aux insultes et à la détresse mentale, et que le mode de congédiement était effectivement au moins une cause, voire la seule, de la détresse prolongée dont il souffre depuis lors. Cela suffit à faire peser sur Kaz Minerals une responsabilité au regard de dommages majorés. Toutefois, il faut tenir compte des facteurs non liés au licenciement qui ont contribué eux aussi de manière importante à cette détresse, pour établir le montant de ces dommages. Je fais surtout référence au fait que M. Younesi n’a pas été en mesure de décrocher un emploi, malgré des efforts diligents, depuis qu’il a été congédié par Kaz Minerals.

[…]

[91] Je ne dispose d’aucune preuve d’expert, ni même d’aucune preuve médicale, pour établir la mesure dans laquelle M. Younesi aurait subi une détresse mentale causée par un chômage prolongé si Kaz Minerals avait mis fin à son emploi de manière « appropriée ». Cependant, si je reprends l’approche robuste et pragmatique de causalité qui a servi en première instance, je peux également tirer une conclusion de causalité contributive concernant le chômage prolongé de M. Younesi en appliquant le fameux « bon sens ordinaire » aux faits, et ce, même en l’absence de preuve scientifique. Il s’agit peut-être d’un exercice quelque peu arbitraire mais qui, en fin de compte, doit être équitable pour les deux parties.

[92] Les sommes accordées au titre des dommages majorés dans les cas de congédiement abusif se situent généralement dans la fourchette de 25000 $ à 35000 $. Celle-ci témoigne de la démarche convenablement prudente adoptée pour évaluer ces dommages.

[93] Si la détresse mentale de M. Younesi a été substantielle et prolongée, elle a aussi été fortement exacerbée par les conditions actuelles du marché et par l’incapacité de M. Younesi à se dénicher un autre emploi. Si j’accordais des dommages compte tenu de l’ensemble de la détresse, la somme serait probablement de 25000 $. Vu les circonstances particulières du présent cas, j’applique un « rabais » pour tenir compte de la contribution substantielle du chômage prolongé dont Kaz Minerals n’est pas responsable pour accorder à M. Younesi des dommages majorés de 12500 $.

[…]

 

[86] L’employeur a soutenu que le témoignage du Dr Dodds devait être écarté et a allégué que le docteur l’a présenté comme s’il défendait la fonctionnaire. Je ne suis pas de cet avis.

[87] En tout temps durant son témoignage, son ton était professionnel, ses réponses, directes, s’appuyant parfois sur ses notes cliniques. Aucun de ses commentaires ne détonnait au point de pouvoir être considéré comme un plaidoyer en faveur de la fonctionnaire.

[88] L’employeur a également contesté les observations du Dr Dodds, qui portent sur les effets délétères de la suspension et du congédiement ultérieur, les étapes de l’audience du comité d’enquête, la lettre de licenciement, les audiences d’arbitrage de la Commission et, enfin, sur l’allégation selon laquelle la fonctionnaire aurait fait une surdose de drogue.

[89] L’employeur a souligné que le témoignage du médecin ne faisait que reprendre en grande partie ce que la fonctionnaire lui avait dit de ses symptômes. L’employeur a suggéré que le médecin aurait dû prendre le temps de vérifier les informations fournies par la fonctionnaire. Je note que l’employeur n’a cité aucune jurisprudence permettant d’écarter les notes cliniques d’un médecin au motif qu’elles reposent dans une certaine mesure sur les symptômes signalés par le patient.

[90] Je note également que le Dr Dodds a témoigné qu’il exerce sa profession depuis 30 ans, qu’il agit comme médecin de famille auprès de la fonctionnaire depuis « un bon moment » et que les notes cliniques contenues dans le dossier qu’il avait devant lui à l’audience remontaient à 2004.

[91] Je refuse la demande de l’employeur d’accorder moins de poids au témoignage du Dr Dodds. Ce dernier s’est présenté comme un professionnel accompli et a répondu de manière directe et succincte à toutes les questions posées lors de l’interrogatoire principal et du contre-interrogatoire. À aucun moment lors de son témoignage a-t-il suggéré ou laissé entendre la possibilité que la fonctionnaire a pu déformer ou exagérer les symptômes rapportés lorsqu’elle lui a demandé des soins après avoir été suspendue, puis licenciée.

[92] L’employeur a également cherché à soulever un doute sur le mauvais état de santé de la fonctionnaire, en faisant des suppositions à la lumière des dates de ses rendez-vous avec le Dr Dodds. Il a été relevé au cours de l’argumentation que la fonctionnaire a vu le Dr Dodds en septembre 2016 avant que le comité d’enquête ne l’interroge, et que son stress avait pu être déclenché par des préoccupations prospectives. Je note qu’elle avait déjà été suspendue à ce moment-là.

[93] L’employeur a également noté que la fonctionnaire n’a pas eu de consultation avec le Dr Dodds au cours des deux mois qui ont suivi la réception de la lettre de licenciement. L’employeur a fait valoir que rien n’explique le délai écoulé avant que la fonctionnaire ne consulte. En fait, le Dr Dodds a parlé dans son témoignage d’un intervalle approximatif de huit semaines et a déclaré que la fonctionnaire prenait déjà des médicaments prescrits à ce moment et qu’il pourrait simplement s’agir du délai d’attente habituelle pour obtenir un rendez-vous, en raison de son horaire chargé.

[94] Je ne tire aucune conclusion de cette période de deux mois sans rendez-vous chez le médecin. La fonctionnaire a déclaré qu’elle était alors chez elle, qu’elle essayait de vivre sa vie et qu’elle prenait ses médicaments pendant cette période. Il s’agit d’une supposition et d’une conjecture inutiles de la part de l’employeur qui prétend que l’absence de rendez-vous chez le médecin puisse démontrer quoi que ce soit de pertinent quant aux questions que je dois trancher.

[95] L’employeur a soutenu que je devrais tirer le moins possible de conclusions à la lumière du témoignage du Dr Morley et ne lui accorder que peu de poids. Selon lui, le docteur a simplement accepté tous symptômes et causes que la fonctionnaire lui a mentionnés sans faire d’étude ou de recherche pour confirmer les renseignements rapportés. L’employeur a souligné que le Dr Morley ne disposait pas de tous les antécédents médicaux de la fonctionnaire et qu’il n’avait fourni aucun élément de preuve pour étayer son opinion, à savoir que le niveau de stress lié au travail de la fonctionnaire dépasse de loin les seuils élevés et normaux ressentis par les premiers intervenants et les agents chargés de l’application de la loi.

[96] L’employeur a également fait valoir que toute personne ressent un stress lorsqu’elle est congédiée, mais que, comme il a été établi dans Younesi, ce fait ne justifie pas nécessairement l’octroi de dommages majorés.

[97] L’employeur s’est également servi du témoignage et des notes cliniques du Dr Dodds pour démontrer que la fonctionnaire a subi des facteurs de stress importants tant au travail qu’à la maison, ce qui a entraîné de l’anxiété et peut-être une dépression.

[98] L’employeur a de nouveau fait référence à Younesi et à ses conclusions sur la règle de vulnérabilité de la victime, selon laquelle les affections et les traumatismes préexistants de la fonctionnaire doivent avoir eu un effet sur son état après le licenciement, et il a déclaré qu’il ne devrait pas être tenu responsable de l’effet cumulatif de tous ces facteurs qui ont contribué à sa souffrance.

[99] Enfin, l’employeur a souligné qu’il a été annoncé dès le début de l’audience que la mère de la plaignante allait témoigner. Par la suite, à la fin du témoignage de la fonctionnaire, il a été annoncé que sa mère ne témoignerait pas, car elle était bouleversée à l’idée de le faire et ne se sentait pas bien. L’employeur a suggéré qu’il fallait tirer une conclusion défavorable de ce changement de plan. Cette proposition est une pure conjecture, et rien ne la justifie.

[100] Les parties sont libres d’appeler ou non une ou plusieurs personnes de leur choix à témoigner. Il arrive que leur plan d’origine change au cours de l’audience. La Commission ne fera pas de telles déductions spéculatives qui portent atteinte à la crédibilité et à la cause de la fonctionnaire.

[101] La fonctionnaire a fait valoir qu’il est bien établi que son témoignage peut être invoqué comme preuve du préjudice qu’elle a subi. De la décision rendue par le juge Pinard de la Cour fédérale dans Canada (Procureur général) c. Robitaille, 2011 CF 1218 (« Robitaille CF »), elle a relevé l’extrait suivant :

[…]

[36] Le demandeur conteste la conclusion de l’arbitre à l’effet que le défendeur a subi une atteinte à sa santé causée par le stress d’une enquête injustifiée. Le demandeur s’en prend particulièrement au texte contenu au paragraphe 337 de la décision de l’arbitre :

Le fonctionnaire a témoigné que la longueur des procédures et le stress relié à l’enquête ont fait en sorte qu’il a fait une dépression majeure au point d’épuiser sa banque de congés de maladie. Sa conjointe l’a quitté en raison du stress familial causé par toute cette affaire. Au moment de l’audience, le fonctionnaire habitait dans une pension. Il est ruiné. Bien qu’une preuve médicale puisse s’avérer utile pour démontrer une atteinte physique ou psychologique, elle n’est pas essentielle pour démontrer le caractère grave et nocif de conduite de l’employeur, ni l’atteinte à la dignité du fonctionnaire. Le fonctionnaire avait droit à un milieu de travail exempt de malice et de mauvaise foi, soit un milieu sain et productif comme l’a préconisé l’employeur.

[37] À ce sujet, la preuve médicale que le demandeur juge insatisfaisante est complétée par le témoignage clair et direct du défendeur à l’effet qu’il souffrait d’une dépression majeure entre mars et septembre 2005, ce dont l’arbitre pouvait, comme elle l’a fait, tenir compte.

[38] Dans la décision récente Attorney General of Canada v. Tipple, 2011 FC 762, mon collègue le juge Russel W. Zinn précise que seule la preuve testimoniale de la victime peut suffire pour conclure que la victime a subi un préjudice moral, telle une détresse. Cette appréciation de la preuve est laissée à l’arbitre. L’absence de preuve médicale ne nie pas le dommage souffert par la victime, en autant que le lien de causalité entre le préjudice moral subi et le comportement fautif reproché est néanmoins démontré.

 

[102] La fonctionnaire a ajouté que les éléments de preuve qu’elle a présentés contiennent son propre témoignage détaillé et, en plus, le témoignage clair de son médecin de famille et celui d’un psychologue apte à traiter le TSPT des premiers intervenants et des CX.

[103] La fonctionnaire a fait valoir qu’il est bien établi que son TSPT préexistant ne devrait pas empêcher ou réduire son droit à une indemnisation pour le préjudice que lui ont causé les actions de l’employeur.

[104] Elle s’est référée au contrôle judiciaire d’une décision de la Commission qui a donné gain de cause — sans surprise peut-être au regard des faits de l’affaire — à la demanderesse, qui avait subi un préjudice, à savoir une agression sexuelle commise par des collègues de travail en service, fait qui avait été admis par l’employeur. La question en litige était celle de savoir si un préjudice (en l’occurrence, un préjudice moral occasionné par la discrimination) pouvait être indemnisé seulement si les actions alléguées étaient la seule cause du préjudice. L’extrait suivant est tiré de Madame Unetelle c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 183 :

[24] Dans la présente affaire, la Commission n’a pas effectué l’analyse requise et n’a pas expliqué la raison pour laquelle le préjudice subi par la demanderesse n’était indemnisable que si les actes de son collègue en constituaient la seule et unique cause.

[…]

[27] En exigeant qu’un acte discriminatoire soit la seule et unique cause du préjudice qui en résulte, la Commission, de façon déraisonnable, a ajouté par interprétation des mots au libellé de l’alinéa 53(2)e), à savoir que l’indemnité ne peut être accordée par suite d’une pratique discriminatoire que si cette pratique est la seule cause du préjudice.

[28] Deuxièmement, comme je le mentionne plus haut, l’indemnisation pour préjudice non pécuniaire vise notamment à préserver la dignité et l’autonomie personnelle de la demanderesse, ainsi qu’à reconnaître la nature humiliante et dégradante des pratiques discriminatoires. L’interprétation restrictive donnée par la Commission du terme « indemniser » empêche l’indemnisation dans une situation où la conduite dégradante aggrave une condition préexistante ou contribue au préjudice causé par une autre source. En plus d’être déraisonnable, l’interprétation de la Commission va à l’encontre de l’objet de cette réparation.

 

[105] En réponse à l’argument de l’employeur selon lequel il fallait réduire considérablement ses dommages-i du fait de son état de santé préexistant, la fonctionnaire a répondu que, même si elle avait bel et bien connu, tant au travail qu’à la maison, de nombreuses difficultés importantes qui ont eu une incidence sur sa santé, elle a persévéré en les surmontant toutes et elle a continué à bien travailler, avec assiduité et en obtenant un bon rendement jusqu’à sa suspension et à son licenciement. Pour étayer son bon rendement au travail, elle a cité l’extrait suivant de la décision Lyons 2020 :

[34] Le rapport du CE souligne que la fonctionnaire a entamé sa carrière de CX I à l’établissement le 26 août 2000, et que ses rapports de rendement les plus récents indiquaient qu’elle effectuait son travail avec compétence. Le rapport souligne aussi qu’en 2005, en 2008 et en 2011, elle avait reçu des notes de service [traduction] « en remerciement pour son travail ».

[35] Le rapport du CE souligne que, le 12 novembre 2014, la fonctionnaire a reçu par écrit une mention élogieuse pour les efforts qu’elle avait déployés afin de gérer un détenu problématique. Et en dernier lieu, le rapport souligne qu’aucune mesure disciplinaire ne figure à son dossier.

 

[106] Dans le but de réfuter l’argument de l’employeur selon lequel les conditions antérieures (selon la règle de la vulnérabilité de la victime) atténuent sa responsabilité dans l’aggravation de l’état de santé de la fonctionnaire après sa perte d’emploi, la fonctionnaire a fait valoir que, malgré les nombreuses difficultés qui lui ont causé des préjudices avant qu’elle perde son emploi, elle a toujours eu la force et la capacité de surmonter ces difficultés. De plus, elle a mentionné ses bons résultats au travail et le fait que l’employeur n’a fourni aucun élément de preuve pour étayer tout problème d’assiduité qu’elle aurait pu avoir.

[107] Je trouve l’argument de la fonctionnaire convaincant. Sa résilience est démontrée par la preuve qui nous informe qu’elle a cherché un traitement psychologique d’urgence dans un hôpital local avant sa suspension et ensuite son licenciement. Malgré ce fait, elle a continué à aller travailler et à travailler de manière satisfaisante. Bien qu’elle souffre d’un TSPT à la suite de l’émeute sur le lieu de travail et qu’elle ait survécu à des violences domestiques en les surmontant, il ne fait pas de doute selon la preuve qu’elle a continué à bien travailler et qu’aucun problème de rendement ou d’assiduité n’a été documenté dans la preuve.

[108] Compte tenu des preuves claires et convaincantes dont je dispose concernant l’état de santé de la fonctionnaire, et conformément aux conclusions de la Cour d’appel fédérale (CAF) dans Madame Unetelle, je rejette la demande de l’employeur de réduire considérablement les dommages en raison de l’état de santé préexistant.

[109] L’employeur a également présenté des observations sur la question de l’aggravation de l’état de santé de la fonctionnaire qui est postérieur à la cessation d’emploi et à Lyons 2020.

[110] Concernant le témoignage du Dr Morley qui confirme l’aggravation des symptômes de la fonctionnaire en 2021, l’employeur a fait valoir que ce témoignage fait également ressortir d’autres facteurs responsables contributifs qui devraient réduire, voire éliminer, tout dommage découlant du préjudice subi au cours de cette période. Il a fait valoir que ces éléments de preuve devraient être considérés comme étant conformes à la décision de la Cour dans Younesi.

[111] L’employeur a souligné que le Dr Morley avait témoigné en contre-interrogatoire que la fonctionnaire lui avait parlé de problèmes relationnels qu’elle vivait à la maison (2021) et qu’elle admettait que ces problèmes contribuaient à l’aggravation de ses symptômes (2021). Il a également témoigné qu’elle vivait d’autres problèmes familiaux qui perduraient depuis longtemps, que ceux-ci étaient une source de stress et qu’ils contribuaient ainsi à ses symptômes actuels.

[112] Par souci de clarté, je note que les interactions du Dr Morley avec la fonctionnaire ont commencé à la fin de janvier 2021. Elles sont indépendantes des interactions avec le Dr Dodds, et elles ont eu lieu ultérieurement aux notes cliniques de ce dernier datées du 23 juin 2020, mentionnées précédemment, selon lesquelles aucun facteur de stress externe autre que ses problèmes au travail n’avait eu d’incidence sur la fonctionnaire.

[113] Je suis persuadé par le témoignage clair et convaincant du Dr Morley qui, en répondant à une question portant sur ce point précis, affirmait que le congédiement et la façon dont l’employeur a géré la situation étaient [traduction] « de loin » la cause principale du préjudice et de l’état de mal-être ressentis par la fonctionnaire. Il a ajouté que les problèmes de santé auxquels elle a été confrontée allaient probablement durer des années.

[114] Pour les raisons que je viens d’énoncer, j’accepte les arguments de l’employeur selon lesquels des facteurs de causalité de nature domestique apparus après la cessation d’emploi ont contribué au mal-être de la fonctionnaire. Compte tenu de la preuve claire et convaincante du Dr Morley sur ce point, comme je viens de le noter, je réduirai de 10 % le montant des dommages majorés.

[115] Bien que l’employeur n’ait pas présenté d’observations détaillées sur le montant, je note que, dans Younesi, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a examiné cette question et a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

 

[89] J’ai mentionné ci-dessus certains principes sous-jacents à l’évaluation des dommages pour détresse mentale. Dans le présent cas, j’ai constaté que M. Younesi présentait des traits de personnalité correspondant à ceux d’une victime vulnérable, qui le rendent excessivement sensible aux insultes et à la détresse mentale, et que le mode de congédiement était effectivement au moins une cause, voire la seule, de la détresse prolongée dont il souffre depuis lors. Cela suffit à faire peser sur Kaz Minerals une responsabilité au regard de dommages majorés. Toutefois, il faut tenir compte des facteurs non liés au licenciement qui ont contribué eux aussi de manière importante à cette détresse, pour établir le montant de ces dommages. Je fais surtout référence au fait que M. Younesi n’a pas été en mesure de décrocher un emploi, malgré des efforts diligents, depuis qu’il a été congédié par Kaz Minerals.

[90] Kaz Minerals n’avait pas l’obligation d’employer M. Younesi ni pour toujours ni pour une durée déterminée. En l’absence de motif valable pour mettre fin à l’emploi sans préavis, l’entreprise avait le droit de mettre fin à l’emploi à tout moment en faisant parvenir à M. Younesi le préavis qui convient, ou une indemnité tenant lieu de préavis, comme l’exige la common law, en l’occurrence, une période de quatre mois (avant considérations relatives aux incitations). S’il avait reçu ce préavis, M. Younesi aurait de toute façon abouti au chômage et aurait été soumis aux mêmes forces du marché qui ont nui à sa recherche d’emploi. Kaz Minerals n’a pas créé ces conditions de marché et n’est pas responsable des difficultés éprouvées par M. Younesi à cet égard, y compris la contribution de celles-ci à la détresse mentale prolongée dont il souffre depuis lors. L’évaluation des dommages majorés doit tenir compte de cette réalité.

[91] Je ne dispose d’aucune preuve d’expert, ni même d’aucune preuve médicale, pour établir la mesure dans laquelle M. Younesi aurait subi une détresse mentale causée par un chômage prolongé si Kaz Minerals avait mis fin à son emploi de manière « appropriée ». Cependant, si je reprends l’approche robuste et pragmatique de causalité qui a servi en première instance, je peux également tirer une conclusion de causalité contributive concernant le chômage prolongé de M. Younesi en appliquant le fameux « bon sens ordinaire » aux faits, et ce, même en l’absence de preuve scientifique. Il s’agit peut-être d’un exercice quelque peu arbitraire mais qui, en fin de compte, doit être équitable pour les deux parties.

[92] Les sommes accordées au titre des dommages majorés dans les cas de congédiement abusif se situent généralement dans la fourchette de 25000 $ à 35000 $. Celle-ci témoigne de la démarche convenablement prudente adoptée pour évaluer ces dommages.

[93] Si la détresse mentale de M. Younesi a été substantielle et prolongée, elle a aussi été fortement exacerbée par les conditions actuelles du marché et par l’incapacité de M. Younesi à se dénicher un autre emploi. Si j’accordais des dommages compte tenu de l’ensemble de la détresse, la somme serait probablement de 25000 $. Vu les circonstances particulières de l’espèce, j’applique un « rabais » pour tenir compte de la contribution substantielle du chômage prolongé dont Kaz Minerals n’est pas responsable pour accorder à M. Younesi des dommages majorés de 12500 $.

 

[116] Bien que l’employeur n’ait pas fait de renvoi à ces paragraphes de Younesi dans ses observations finales sur ce point, j’ai relevé dans la décision une déclaration importante qui mérite d’être soulignée : [traduction] « Les indemnités accordées au titre des dommages majorés dans les cas de congédiement abusif se situent généralement dans la fourchette de 25000 $ à 35000 $. Celle-ci témoigne de la démarche convenablement prudente adoptée pour évaluer ces dommages. »

[117] Même si aucune des parties n’a présenté d’observations sur cette déclaration de la Cour de la Colombie-Britannique dans Younesi, que ce soit par excès de prudence ou de précaution, je l’examinerai ainsi que la jurisprudence à laquelle la Cour a fait référence dans Younesi, sans pages ni paragraphes cités comme faisant autorité pour conclure sur la gamme générale des décisions liées à un congédiement abusif.

[118] Dans l’introduction de son examen des dommages majorés, la Cour a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

 

[52] Dans le contexte d’une réclamation pour congédiement abusif, l’arrêt faisant autorité en matière de dommages majorés est bien sûr Honda Canada Inc. c. Keays, 2008 SCC 39. En Colombie-Britannique, une décision faisant autorité est Lau v. Royal Bank of Canada, 2017 BCCA 253. J’ai également tenté de résumer les principes pertinents de l’arrêt Ensign v. Price’s Alarm Systems (2009) Ltd. 2017 BCSC 2137, par lequel 25000 $ ont été accordés en dommages majorés.

[…]

 

[119] La Cour a déclaré ce qui suit dans Ensign :

[Traduction]


[63] Il n’y a pas, dans le présent cas, de témoignage du médecin de famille de M. Ensign ni de tout autre médecin. M. Ensign déclare que, même si sa femme a insisté pour qu’il consulte un médecin au sujet de ses symptômes de stress, il a hésité à le faire parce qu’il craignait que cela puisse jouer sur son admissibilité à une assurance-vie et à une assurance hypothécaire ou faire augmenter les primes d’assurance. J’accueille cet élément de preuve.

[64] Dans son affidavit, M. Ensign déclare que la manière dont il a été traité par Price’s Alarms « tout au long du processus de cessation d’emploi » a été dévastatrice. Il reconnaît qu’il est toujours difficile d’être congédié, ce qui lui était déjà arrivé il y a plusieurs années, mais il accuse Price’s Alarm Systems d’être malhonnête, ce qui lui a causé du stress, de l’anxiété et de l’inquiétude. Il accuse le défendeur de le berner et de faire des « offres d’emploi fictives », ce qui lui donne l’impression que l’entreprise tente de l’intimider pour qu’il laisse tomber la procédure. Au lieu de lui offrir simplement une indemnité de départ convenable, l’entreprise le traite d’une façon qui ne lui paraît pas juste, et cela l’afflige encore aujourd’hui. Il a perdu confiance en lui, il est sans cesse stressé, il ne dort pas bien à cause de ce bouleversement et « son mariage en a souffert ».

[…]

[66] Le témoignage de M. Ensign est dans une certaine mesure corroboré par la déclaration sous serment de sa femme, dans laquelle cette dernière confirme que son mari est devenu stressé, irritable et renfermé. Elle l’a encouragé plusieurs fois à consulter son médecin, ce qu’il refuse de faire. Elle observe que M. Ensign est bien plus contrarié par la façon dont il a été traité par Price’s Alarms que par l’idée que son emploi ait pris fin.

[…]

[68] La défenderesse souscrit à l’argument de M. Ensign selon lequel les indemnités pour dommages majorés dans les cas de congédiement abusif se situent généralement entre 25000 $ et 35000 $. La détresse mentale dont M. Ensign a souffert a été substantielle et prolongée. Je lui accorde à ce titre 25000 $ en dommages majorés.

 

[120] Je note tout d’abord que, dans tous les cas mentionnés dans Younesi et dans le cas de M. Younesi lui-même, l’instance devait tenir compte d’un contrat de travail en common law dans le secteur privé, secteur dans lequel le plaignant avait eu des difficultés plus ou moins grandes à trouver un emploi après son congédiement.

[121] Encore une fois, en l’absence d’observations de la part des parties sur ce point, je souligne que le cas en cause, comme dans presque tous les cas de ce genre portés devant la Commission, concerne une personne employée de la fonction publique fédérale dont le licenciement exige un motif valable (voir le paragraphe 12(3) de Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. (1985), ch. F-11); « LGFP »), à quelques exceptions près (comme les licenciements en vertu de l’alinéa 12(1)f) de la LGFP et les renvois en cours de stage en vertu de l’article 62 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique). La personne ne s’attend autrement pas à un licenciement non motivé.

[122] En outre, il est manifeste que, contrairement aux demandeurs dans les cas auxquels Younesi fait référence, la fonctionnaire devant moi est beaucoup plus captive dans son poste. Elle possède des compétences hautement spécialisées, celles d’une CX dans un pénitencier fédéral à sécurité maximale. Son témoignage a clairement montré que le préjudice causé par les actions de son employeur l’a angoissée à tel point qu’elle ne peut pas retourner dans son poste, là où elle a pourtant travaillé pendant des années et accumulé de l’ancienneté et là où elle aurait voulu rester. L’espèce se distingue donc de la jurisprudence citée dans Younesi, car les demandeurs dans ces affaires étaient passés à autre chose après avoir été congédiés et n’avaient plus qu’à présenter au tribunal les difficultés rencontrées pour trouver un emploi ailleurs.

[123] Je traiterai plus loin dans cette décision du préjudice relativement modeste de ces demandeurs mentionnés dans Younesi.

[124] En ce qui concerne la dernière étape de l’évaluation des dommages, les arguments de la fonctionnaire relèvent la partie suivante de la décision de la Cour d’appel fédérale dans Tipple c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 158, qui porte sur le montant à accorder :

[33] Devant notre Cour, M. Tipple a réussi à défendre les dommages-intérêts accordés, à l’exception du montant de 125000 $ accordé pour préjudice psychologique que la Cour fédérale a annulé et qui n’était pas en cause dans le présent appel. Cependant, une partie ou la totalité de ce montant pourrait être rétablie après la nouvelle audience ordonnée par la Cour fédérale […]

[34] J’accueillerais l’appel en partie et les dépens devant notre Cour et la Cour fédérale sont établis à 12000 $, comprenant les débours et les taxes. Je modifierais le jugement de la Cour fédérale de façon que les paragraphes 1 et 2 soient libellés comme suit :

1. La demande introduite par le procureur général dans le dossier T-1295-10 est accueillie en partie. L’octroi de dommages-intérêts de 125000 $ pour préjudice psychologique est annulé et la question de la détermination du montant de ces dommages-intérêts est renvoyée à la Commission des relations de travail dans la fonction publique pour qu’elle statue à nouveau à cet égard.

[Je mets en évidence]

 

[125] La décision de la Commission Tipple c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2010 CRTFP 83, et le contrôle judiciaire de cette décision par la Cour fédérale fournissent une analyse des plus détaillées de la question des dommages majorés ou moraux pour préjudice psychologique dans la fonction publique fédérale.

[126] Cependant, la décision de la Commission sur le montant ne constitue pas un précédent, puisque la Cour fédérale l’a annulée lors d’un contrôle judiciaire. La Cour affirmait ce qui suit au paragraphe 61 : « […] je conclus que le montant octroyé de 125000 $ n’est pas une des “issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit” et qu’il doit être annulé. »

[127] Mais là encore, lors du contrôle qu’elle en a fait, la CAF n’a pas laissé la décision de la Cour fédérale entièrement intacte. Bien que la question des dommages moraux pour préjudice psychologique n’ait pas fait l’objet d’un appel, une partie ou la totalité de cette indemnité pouvait encore être rétablie après la nouvelle audition de l’affaire par la Commission, selon la déclaration de la Cour qui suit :

[33] Devant notre Cour, M. Tipple a réussi à défendre les dommages-intérêts accordés, à l’exception du montant de 125000 $ accordé pour préjudice psychologique que la Cour fédérale a annulé et qui n’était pas en cause dans le présent appel. Cependant, une partie ou la totalité de ce montant pourrait être rétablie après la nouvelle audience ordonnée par la Cour fédérale.

[Je mets en évidence]

 

[128] Le registre des décisions de la Commission n’indique pas si une autre décision a été rendue dans ce cas. Ce que nous savons, c’est que la somme de 125000 $ a été annulée à la faveur d’une analyse très détaillée à la Cour fédérale, et que la Cour d’appel fédérale a déclaré, sans analyse ni motifs, que cette même somme pourrait être rétablie par la Commission dans une nouvelle audition de l’affaire, ce qui n’a jamais eu lieu en fin de compte.

[129] Ces efforts de compréhension des examens visant la décision de la Commission ne sont toutefois que des spéculations, car la Commission n’a pas réexaminé la question. L’on peut supposer que les parties ont résolu le problème elles‑mêmes.

[130] La décision de la Commission d’octroyer 125000 $ pour préjudice psychologique dans Tipple devient par conséquent un précédent fantôme, dans le meilleur des cas. Après l’annulation de la décision par la Cour fédérale, la Cour d’appel fédérale rouvre la porte au prononcé d’une nouvelle décision par la Commission.

[131] Je note les éléments de preuve présentés à la Commission qui exposent le préjudice subi par M. Tipple. La Commission a tiré les conclusions suivantes :

326 M. Tipple a déclaré que son licenciement illégal a été source de grand stress et qu’il a nui à sa santé physique et mentale de même que celle de sa famille. M. Tipple a expliqué qu’à cause de son licenciement illégal, il a subi des épisodes de perte de confiance, de préjudice moral, de manque d’estime de soi, d’humiliation, de tension, d’angoisse et des sentiments de trahison. M. Tipple a déclaré que cette épreuve s’est révélée très émotive et traumatisante et que sa santé mentale et physique en a été affectée.

327 Je suis convaincu que M. Tipple a satisfait au critère énoncé dans Keays et que le manquement du défendeur à son obligation de bonne foi et d’équité quant au mode de licenciement lui a causé un préjudice psychologique que les parties avaient envisagé. En conséquence, je conclus que M. Tipple a droit à des dommages pour préjudice psychologique.

328 Pour établir le montant du dédommagement à adjuger, je dois tenir compte du poste de M. Tipple dans la collectivité des cadres de direction. Il est vrai que M. Tipple n’a pas produit de preuve médicale d’un état particulier ou d’un traitement administré à la suite de son licenciement. Toutefois, je conviens que si M. Tipple avait présenté une telle preuve, elle aurait probablement affecté sa capacité de vendre avec succès ses compétences comme cadre de direction à des employeurs et des relations d’affaires possibles. Dans de telles circonstances, et en l’absence d’une preuve particulière qui justifierait un plus gros dédommagement, je conclus qu’un montant de 125000 $ dédommage raisonnablement M. Tipple pour la perte de dignité, le préjudice moral et l’humiliation qui ont résulté du mode de son licenciement. En conséquence, je conclus que M. Tipple a droit à des dommages pour préjudice psychologique d’un montant de 125000 $.

[Je mets en évidence]

 

[132] Je note la mention : « en l’absence d’une preuve particulière qui justifierait un plus gros dédommagement » dans la conclusion de la Commission. En écrivant ne pas pouvoir accorder une somme supérieure en raison d’un manque de preuve, la Commission anticipait un cas comme celui dont je suis saisi.

[133] En dépit de ce que la preuve montrait dans Tipple comme étant des effets délétères malheureux qui causaient un préjudice à M. Tipple, je suis d’avis que rien ou presque dans le témoignage de ce dernier ne décrit des symptômes aussi graves, pratiquement débilitants, dont la fonctionnaire a souffert dans le présent cas, comme l’ont montré les témoignages de professionnels de la santé.

[134] À la lecture du contrôle judiciaire annulant l’indemnité accordée par la Commission pour préjudice psychologique, la Cour fédérale a constaté ce qui suit :

[47] Le procureur général ne conteste pas que l’arbitre de grief a compétence pour accorder des dommages-intérêts sur le fondement des principes énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Honda; toutefois, il soutient que l’octroi de 125000 $ dans la présente affaire est excessif et déraisonnable, n’est pas conforme à d’autres affaires où de tels dommages-intérêts ont été accordés et n’est pas étayé par la preuve. En outre, le procureur général soutient que l’arbitre de grief a omis de justifier le montant des dommages-intérêts accordés, se contentant de réduire de moitié le montant de 250000 $ réclamé par M. Tipple en raison de l’absence de preuves médicales.

[Je mets en évidence]

 

[135] La Cour a ensuite déclaré ce qui suit :

[53] Je suis d’accord avec le procureur général pour dire qu’une somme de 125000 $ n’est pas un « montant symbolique »; cependant, il existait des éléments de preuve justifiant l’octroi d’une certaine somme. Dans la présente affaire, le témoignage de M. Tipple quant aux conséquences du comportement de son ancien employeur sur son état psychologique était la seule preuve d’un préjudice psychologique.

[…]

[57] La somme octroyée par l’arbitre de grief est importante; ce montant atteint presque trois fois ce qui a déjà été octroyé par un autre tribunal pour le dédommagement d’une perte semblable. Je n’accepte pas la prétention de M. Tipple voulant que l’arbitre de grief ne soit pas tenu d’appliquer la common law, car cela signifierait que l’arbitre de grief pourrait rendre n’importe quelle décision. Des dommages-intérêts doivent être accordés et les montants, déterminés sur le fondement de principes, même lorsqu’il est difficile de faire un calcul […]

[…]

[60] Bien qu’il faille faire montre d’une grande déférence à l’égard des conclusions de l’arbitre de grief, je ne peux conclure, en me basant sur les faits présentés à l’arbitre de grief et à la Cour, que l’octroi de 125000 $ à titre de dommages-intérêts relativement à un préjudice psychologique constitue une des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » pour les raisons suivantes. Premièrement, l’arbitre de grief n’explique pas pourquoi l’octroi d’un montant de 125000 $, plutôt que celui de tout autre montant, est convenable, hormis le fait que ce montant soit la moitié du montant réclamé. Deuxièmement, M. Tipple ne présente aucune preuve, hormis son propre témoignage, du fait qu’il a souffert d’un manque de confiance, d’un préjudice moral, d’un manque d’estime de soi, d’humiliation, de stress, d’anxiété et d’un sentiment de trahison. Plus précisément, il n’existe pas de preuve que M. Tipple a dû recevoir des traitements médicaux ou qu’il a reçu un diagnostic psychologique causé par la conduite de l’employeur lors de la cessation d’emploi, la seule preuve étant qu’il avait été licencié. Troisièmement, contrairement aux faits dans Zesta Engineering, la décision n’indique aucunement que le préjudice psychologique subi par M. Tipple était important et durable, et qu’il en souffrait toujours. Quatrièmement et enfin, le montant octroyé est grandement disproportionné par rapport aux montants accordés dans des décisions antérieures, alors que l’effet du licenciement sur l’état psychologique de l’employé semble être moins important en l’espèce que dans ces autres affaires. Ici, M. Tipple a décrit cet effet comme étant « une perte de dignité, un préjudice moral et une humiliation ».

[Je mets en évidence]

 

[136] En appliquant aux faits de la présente affaire la jurisprudence que j’ai recensée au regard du montant octroyé, je conclus que l’arrêt Younesi et les décisions sur lesquelles il fait fond en faisant mention d’une fourchette de 25000 à 35000 $ reposent sur des éléments de preuve étayant un préjudice très modeste. Celui-ci fait pâle figure par rapport à celui qui m’a été adressé.

[137] Ces cas ne sont tout simplement pas utiles, car ils décrivent tous des niveaux de frustration, de sentiments blessés et de stress qui n’incluent aucun des préjudices graves à long terme pour la santé que les professionnels de la santé ont documentés lorsqu’ils ont témoigné devant moi.

[138] La preuve dans Francis est beaucoup plus proche de celle dont je dispose, mais elle fait état d’une invalidité permanente plus grave et à plus long terme. Je note également que la fonctionnaire a reconnu dans ses arguments que la somme accordée dans Francis se situe dans le haut de la fourchette des dommages. Je conclus donc que les dommages à octroyer dans la présente affaire devraient être inférieurs à ceux qui ont été accordés dans Francis.

[139] Je note également que la fonctionnaire mentionne que la décision Francis a été rendue en 2021, soit environ 11 ans après la décision Tipple de la Commission, en 2010. Bien que je n’accorde pas de poids important à cette observation, je souscris à l’argument selon lequel Francis signale une certaine tendance à la hausse des dommages au cours de la dernière décennie.

[140] La décision Tipple, possiblement la décision la plus pertinente dans la présente affaire parmi celles qui font autorité, concerne un préjudice bien moindre, et je n’y vois aucune preuve médicale, aucun diagnostic connexe de troubles mentaux, pas de médicaments, et elle est muette sur les perspectives de guérison à long terme. La Commission s’exprime comme suit dans sa conclusion dans Tipple : « Je conclus qu’un montant de 125000 $ dédommage raisonnablement M. Tipple pour la perte de dignité, le préjudice moral et l’humiliation qui ont résulté du mode de son licenciement. » Ces éléments mentionnés dans Tipple n’ont aucune mesure avec la preuve médicale devant moi, qui décrit les souffrances de la fonctionnaire.

[141] Deuxièmement, comme il a été mentionné précédemment, l’affaire dont je suis saisi présente tous les éléments de preuve clairs et convaincants issus d’évaluations médicales et de témoignages de médecins qui font défaut à Tipple.

[142] Troisièmement, la preuve qui m’a été présentée a clairement établi un préjudice important, durable et continu pour la fonctionnaire, dont les symptômes se sont aggravés au lieu de s’améliorer au cours des mois qui ont précédé l’audience.

[143] Après avoir examiné les arguments des parties sur cette question et après une analyse très attentive des prononcés de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale, je conclus que 150000 $ est un montant approprié à octroyer.

[144] Cette indemnité est conforme aux décisions d’appel rendues dans Tipple, vu les éléments de preuve médicaux convaincants dont je dispose et le témoignage de la fonctionnaire sur les actions de l’employeur qui lui ont causé un préjudice pour la santé et la qualité de vie beaucoup plus grave, tenace et continu que celui dont il était question dans Tipple.

[145] Il s’agit de différences importantes entre ce dont dispose la Commission dans la présente affaire et ce dont elle disposait dans Tipple, et ces différences règlent bon nombre des problèmes soulevés par la Cour fédérale dans Tipple, selon l’analyse détaillée présentée précédemment dans la présente décision.

[146] Ma conclusion sur le montant des dommages pour préjudice psychologique est également conforme à la conclusion que la Cour d’appel fédérale a rendue dans Tipple, car « […] une partie ou la totalité de ce montant pourrait être rétablie […] » lors d’un nouvel examen de l’affaire par la Commission, lequel n’a jamais eu lieu, comme je l’ai souligné.

[147] L’employeur, comme je l’ai déjà mentionné, a fait valoir que les indemnités pour préjudice psychologique doivent être réduites en raison d’autres facteurs qui ont contribué aux symptômes de la fonctionnaire. En reconnaissance de ce que j’ai déjà noté dans le contre-interrogatoire du Dr Morley, une réduction de 10 % sera appliquée à l’indemnité de 150000 $ en raison de la contribution modeste de ces autres facteurs de stress présents dans la vie domestique de la fonctionnaire après la perte de son emploi.

[148] Par conséquent, des dommages majorés (moraux) d’un montant de 135000 $ sont octroyés en raison du préjudice psychologique que les actions de l’employeur ont causé à la fonctionnaire.

B. Dommages punitifs

1. Actions prises par l’employeur au cours des procédures d’enquête et de règlement du grief

[149] La fonctionnaire a fait valoir que, tout au long de la saga malheureusement longue, de 2016 à 2020, l’employeur a agi à certains moments de manière malveillante, répréhensible, délibérée et scandaleuse dans les efforts incessants qu’il a déployés pour lui nuire.

[150] L’employeur a répondu qu’aucun de ses comportements ne peut raisonnablement satisfaire à la norme très élevée qui est nécessaire à l’octroi de dommages punitifs et qu’aucune indemnité ne devait être accordée à ce titre.

[151] La fonctionnaire a renvoyé à la décision Robitaille c. Administrateur général (ministère des Transports), 2010 CRTFP 70 (« Robitaille CRTFP »), dans laquelle la Commission a accordé 50000 $ en dommages punitifs, comme suit : « En ce qui concerne les actes fautifs de l’administrateur général, soit avoir eu un comportement malveillant, répréhensible et malicieux à l’endroit du fonctionnaire, j’ordonne à l’administrateur général de payer au fonctionnaire la somme de 50000 $ à titre de dommages punitifs. »

[152] La fonctionnaire a relevé un appui de la Cour fédérale à la proposition selon laquelle la Commission a le pouvoir d’accorder des dommages punitifs. La Cour s’était exprimée comme suit lors du contrôle judiciaire de la déclaration de la Commission dans Robitaille CF :

[…]

[51] Il n’est pas contesté par les parties que l’arbitre a le pouvoir, en vertu de l’article 228 de la Loi, d’ordonner le paiement de dommages punitifs. La question est celle de savoir si l’arbitre, en l’espèce, a eu raison d’en accorder.

[52] D’une part, le demandeur reprend la jurisprudence citée par l’arbitre voulant que ce ne soit que lorsque l’acte reproché constitue en lui-même une faute distincte donnant ouverture à un droit d’action que des dommages punitifs puissent être accordés (voir Honda Canada Inc. c. Keays, [2008] 2 R.C.S. 362 aux para 62 et 68). Le demandeur soutient particulièrement que dans l’affaire Le Procureur général du Canada c. Bédirian, 2007 CAF 221, au paragraphe 24, il est indiqué qu’une obligation de bonne foi et de traitement équitable ne constitue pas une faute distincte donnant ouverture à des dommages punitifs. Toutefois, à mon avis, la Cour d’appel fédérale ne va pas jusqu’à dire que la mauvaise foi de la part d’un employeur ne peut jamais constituer une faute civile distincte. À mon sens, il est plus juste de dire que l’arrêt enseigne que la preuve de la mauvaise foi ne constitue pas nécessairement une faute distincte donnant ouverture à des dommages punitifs.

[53] Dans le présent cas, l’arbitre a bien apprécié les principes applicables en la matière :

[344] La notion de dommages punitifs est bien encadrée par la common law. Les comportements doivent être durs, vengeurs, répréhensibles et malicieux. Il n’existe toutefois aucun critère précis pour déterminer ce qui constitue de la malice. Toutefois, dans Honda Canada Inc. c. Keays, 2008 CSC 39 62, la Cour suprême du Canada a déclaré que des dommages peuvent être accordés uniquement lorsque « l’acte fautif délibéré est si malveillant et inacceptable qu’il justifie une sanction indépendante ». Ainsi, les dommages punitifs sont accordés dans le cas d’une faute donnant elle-même ouverture à un droit d’action. Dans Keays, la Cour suprême du Canada a fait deux mises-en-garde, soit que le pouvoir discrétionnaire devait s’exercer avec une grande prudence et de façon exceptionnelle. Je suis aussi consciente du fait que la Cour d’appel fédérale, dans Bédirian c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 221, a refusé d’accorder de tels dommages.

[…]

 

[153] L’employeur a relevé dans Honda Canada Inc. les déclarations suivantes de la Cour suprême du Canada :

[…]

[68] Même si je déférais à l’avis du juge de première instance sur ce point, notre Cour a statué que « l’attribution de dommages-intérêts punitifs doit toujours se faire après mûre réflexion et que le pouvoir discrétionnaire de les accorder doit être exercé avec une très grande prudence » (Vorvis, p. 1104-1105). Les tribunaux ne devraient en accorder qu’à titre exceptionnel (Whiten, par. 69), et la faute donnant elle-même ouverture à un droit d’action n’est qu’un des nombreux éléments qu’ils doivent examiner attentivement avant de le faire. Un autre élément est que le comportement en cause ait été « dur, vengeur, répréhensible et malicieux » et « de nature extrême et [qu’il] mérite, selon toute norme raisonnable, d’être condamné et puni » (Vorvis, p. 1108).

[…]

 

[154] L’employeur a également invoqué l’affaire de propriété intellectuelle Bauer Hockey Corp. c. Sport Maska Inc. (Reebok-CCM Hockey), 2014 CAF 158 (« Bauer »).

[155] Il est affirmé dans Bauer que les dommages punitifs sont exemplaires et qu’ils ne devraient être accordés que lorsqu’il existe des éléments de preuve clairs d’une conduite délibérée et hautaine si malveillante qu’elle heurte le sentiment de décence du tribunal et qu’elle constitue l’exception à la règle.

[156] L’employeur a fait valoir que les critères énoncés dans Whiten c. Pilot Insurance Co., 2002 CSC 18 (comme la CAF l’a noté dans Bauer) doivent guider mon analyse et mener au rejet de la réclamation de dommages punitifs. La CAF a déclaré ce qui suit :

[…]

[19] Les dommages-intérêts punitifs, comme leur nom l’indique, visent à punir. À ce titre, ils constituent une exception à la règle générale, tant en common law qu’en droit civil, selon laquelle les dommages-intérêts visent à indemniser la personne lésée et non à punir l’auteur du méfait. On peut accorder des dommages-intérêts punitifs lorsque la mauvaise conduite du défendeur est si malveillante, opprimante et abusive qu’elle choque le sens de dignité du juge. Les dommages-intérêts punitifs n’ont aucun lien avec ce que le demandeur est fondé à recevoir au titre d’une indemnisation. Ils visent non pas à indemniser le demandeur, mais à punir le défendeur. C’est le moyen par lequel le juge exprime son indignation à l’égard du comportement inacceptable du défendeur, lorsque ce comportement est véritablement outrageant. Ils revêtent le caractère d’une amende destinée à dissuader le défendeur et les autres d’agir ainsi (Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, aux paragraphes 196 à 199 (Hill); Whiten c. Pilot Insurance Co., 2002 CSC 18, [2002] 1 R.C.S. 595 (Whiten), au paragraphe 36).

[20] De nombreux facteurs peuvent influer sur la gravité du caractère répréhensible du comportement du défendeur et justifier une condamnation à des dommages-intérêts punitifs. En voici quelques-uns : a) le fait que la conduite répréhensible ait été préméditée et délibérée; b) l’intention et la motivation du défendeur; c) le caractère prolongé de la conduite inacceptable du défendeur; d) le fait que le défendeur ait caché sa conduite répréhensible ou tenté de la dissimuler; e) le fait que le défendeur savait ou non que ses actes étaient fautifs; f) le fait que le défendeur ait ou non tiré profit de sa conduite répréhensible; g) le fait que le défendeur savait que sa conduite répréhensible portait atteinte à un intérêt auquel le demandeur attachait une grande valeur (Whiten, au paragraphe 113).

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[157] La fonctionnaire a noté que Lyons 2020 fait mention de 23 problèmes liés à la conduite de l’employeur au cours de l’enquête disciplinaire, de l’audience et du licenciement. Elle a souligné l’importance de la constatation de la Commission selon laquelle elle a été privée de justice naturelle, n’ayant jamais vu ni pu réfuter les éléments de preuve du véritable dossier monté contre elle. J’analyserai plus tard les constatations les plus importantes qui se trouvent dans cette décision.

[158] L’employeur a répondu à cet argument en suggérant que les actes de mauvaise conduite mentionnés dans Lyons 2020, quels qu’ils soient, ont déjà été réglés. Je ne suis pas de cet avis. La présente audience et la présente décision sur les questions relatives à la réparation n’auraient pas eu lieu si tel avait été le cas.

[159] Je souligne avec insistance les conclusions suivantes de Lyons 2020, qui me semblent les plus pertinentes parmi les 23 mentionnées par la fonctionnaire.

[160] L’employeur a accepté les allégations d’un informateur délinquant et a, sur cette base, rapidement décidé que la fonctionnaire était compromise, scellant ainsi le sort de celle-ci avant même que le comité d’enquête n’ait eu la possibilité de rassembler des éléments de preuve et de l’interroger.

[161] La fonctionnaire n’a jamais eu accès à la véritable raison de sa suspension et de son licenciement, ce qui constitue une violation de son droit à la justice naturelle.

[162] Après avoir décidé prématurément que la fonctionnaire avait été compromise, l’employeur s’est efforcé de trouver des éléments qui prouveraient qu’elle avait commis d’autres actes répréhensibles qu’il pourrait lui communiquer pour justifier le licenciement.

[163] Ces autres éléments de preuve se résument à quelques brèves séquences de vidéosurveillance et aux déclarations des témoins de l’employeur qui, devant la Commission à l’audience d’arbitrage de grief, ont prêté une mauvaise intention aux actions de la fonctionnaire captées par les caméras de surveillance.

[164] L’employeur a tenté à plusieurs reprises d’attribuer à la fonctionnaire une intention malveillante très grave à ces actions. Cependant, à l’audience, aucun élément de preuve clair, convaincant ou irréfutable ne m’a été présenté pour me permettre de prendre une décision aussi grave qui salirait la réputation de la fonctionnaire.

[165] Les nombreuses séquences de témoignage par lesquelles l’employeur a tenté d’attribuer une intention malveillante n’ont pas été étayées par des éléments de preuve et ont été qualifiées de simples conjectures.

[166] L’employeur a eu plusieurs fois l’occasion de se servir de méthodes d’enquête pour trouver des éléments de preuve matériels qui lieraient la fonctionnaire aux allégations du délinquant-informateur voulant qu’elle soit passeuse de drogue, mais il n’a à peu près rien fait en ce sens.

[167] Comme l’a noté la fonctionnaire, dans Lyons 2020, j’ai conclu comme suit que l’enquête sur les actes répréhensibles et la stratégie d’arbitrage des griefs de l’employeur avaient pris une tournure très personnelle et que l’employeur avait calomnié la fonctionnaire :

[…]

[392] Je souligne que l’avocate de l’employeur m’a présenté la décision rendue par la Commission dans Lapostolle c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 138, où le fonctionnaire s’estimant lésé, qui était CX II, avait des liens étroits avec des personnes associées au crime organisé.

[393] M. Lapostolle n’a pas nié ce fait à son audience d’arbitrage, mais il a affirmé qu’il ne devait pas être sanctionné en raison de sa vie privée et de ses activités avec des personnes liées à la mafia. Dans ses motifs justifiant le maintien du licenciement, la Commission a souligné que le fonctionnaire s’estimant lésé avait fréquenté publiquement des personnes mêlées au crime organisé et que, par conséquent, il avait terni l’image de l’employeur (au paragraphe 93).

[394] Dans Lapostolle, la Commission a aussi souligné une preuve a posteriori des activités publiques du fonctionnaire s’estimant lésé avec des personnes liées à la mafia.

[395] J’estime troublant le fait que l’employeur m’ait présenté Lapostolle, étant donné qu’aucune preuve n’a été produite devant moi à l’audience afin de démontrer des contacts ou une collaboration de la fonctionnaire avec des personnes liées d’une façon quelconque à la mafia ou au crime organisé.

[396] Le CE s’est fié sur l’informateur, qui a fait des allégations de relations personnelles de cette nature, mais l’employeur a expressément pris ses distances par rapport à cette question. Cependant, il s’est efforcé à tous moments de ramener devant moi la question de ces relations présumées.

[397] L’employeur ne peut miser sur les deux tableaux.

[398] Je ne puis comprendre les efforts de l’employeur visant à lier la fonctionnaire à la mafia et aux drogues illicites qu’en concluant qu’il souhaitait s’attaquer à sa personnalité, afin de conclure à un lien avec les allégations de l’informateur.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[168] Comme l’indique Lyons 2020, l’employeur a même refusé d’utiliser ce qui aurait pu être des moyens d’enquête évidents, à sa disposition à Kent, pour ajouter des éléments de preuve matériels aux allégations de l’informateur-détenu. Pour justifier le licenciement, l’employeur a insisté sur la façon inhabituelle, et inadéquate selon ce que j’ai conclu, de manipuler les effets personnels des détenus en les faisant passer de cellule en cellule et en retirant un sac de ces biens du corridor (la rangée). Lors d’un interrogatoire détaillé sur ces actions, enregistrées par une vidéo de sécurité, les témoins de la direction se sont donné beaucoup de mal pour confirmer les risques auxquels la fonctionnaire avait exposé le personnel et les détenus en manipulant incorrectement les effets personnels (vêtements, chapeau, chaussures, étuis à disques compacts, etc.). Ils ont expliqué que ce type d’articles pouvait servir à dissimuler et à transporter des drogues illicites et d’autres produits de contrebande dans l’établissement.

[169] Cependant, lorsqu’on leur a demandé si l’un ou l’autre de ces articles avait été soumis à un test de détection de drogues (par un équipement à balayage ionique ou en faisant appel à un chien dressé à cette fin), les témoins ont été momentanément désemparés, comme s’ils n’avaient jamais pensé à une telle éventualité.

[170] Enfin, après avoir examiné les notes et les dossiers, le GC McCoy a pu répondre qu’aucun test de ce genre n’avait été fait pour vérifier si des articles personnels manipulés par la fonctionnaire contenaient ne serait-ce qu’une infime quantité de drogues illicites. Voici l’extrait pertinent de Lyons 2020 :

[…]

[206] Même si l’employeur a soutenu qu’en soi la simple violation de cette DC est grave, il est important de souligner qu’il a été démontré que la préoccupation selon laquelle des objets interdits tels que du fentanyl étaient cachés dans le sac relevait seulement d’un comportement à risque de la part de la fonctionnaire.

[207] En contre-interrogatoire, lorsqu’il a été questionné sur ce point, le gestionnaire correctionnel (GC) McCoy a confirmé que lorsqu’il avait découvert le sac dans le bureau des CX, il l’avait fouillé et n’avait rien trouvé d’autre que des vêtements, des chaussures, un chapeau, une montre, des jeux vidéo et des disques compacts renfermant probablement de la musique, qui appartenaient au détenu.

[…]

[209] M. McCoy a témoigné qu’il n’avait pas soumis les articles à un test de dépistage de drogue, puisqu’il n’avait rien trouvé dans le sac qui aurait pu laisser croire à la présence de drogue.

[…]

[212] Le GC David Mardell, qui a assumé les fonctions d’enquêteur spécial (ES) lors des incidents en cause, a témoigné qu’à son avis aucun des articles qui se trouvaient dans le grand sac n’avait été soumis à un test de dépistage de drogue après que le sac avait été placé dans le bureau des CX.

[213] Lorsque le GC Mardell a été questionné de nouveau sur ce point, il a témoigné qu’on le lui aurait fort probablement dit s’il y avait eu un test de dépistage de drogue dont les résultats auraient été positifs, ou si l’on avait trouvé une arme dans le sac.

[…]

[226] Je souscris également à l’argument de la fonctionnaire selon lequel la mauvaise intention que l’employeur a tenté de lui attribuer, parce qu’elle avait sorti le sac du secteur fouillé, a été atténuée par le fait que sa partenaire était à ses côtés et qu’elle l’avait vu prendre le sac et l’emporter à l’extérieur de la rangée.

[…]

[245] Je souligne encore qu’en fin de compte, la fouille n’a pas apporté la preuve que de la drogue avait été transmise entre des détenus au cours de la période visée dans ce segment de la vidéo.

[…]

[293] Malgré la note sinistre que l’employeur a ajoutée lorsqu’il a résumé les actes de la fonctionnaire consistant à sortir le sac du secteur fouillé, l’employeur a admis que l’on n’avait trouvé ni drogue ni objets interdits dans le sac lorsqu’il avait été récupéré dans la salle des CX à la sortie de la rangée.

[294] Précédemment, j’ai souligné que l’on n’avait trouvé ni drogue ni objets interdits dans les cellules où l’on avait vu la fonctionnaire transmettre des articles. En réalité, durant la fouille en vertu de l’article 53, aucune découverte de ce genre n’a été faite dans l’ensemble de l’unité Écho où travaillait la fonctionnaire.

[295] L’employeur a en outre admis qu’aucune fouille au regard des fiches de biens personnels n’avait été effectuée, afin de faire concorder les biens et leur propriétaire et d’inculper le détenu qu’on voit dans la vidéo pour avoir contrevenu à la DC en étant en possession de biens autres que les siens.

[296] En fin de compte, ces déclarations sur une intention coupable sont de simples accusations non étayées par la preuve.

[297] Comme je l’ai déjà conclu dans la présente décision, l’informateur a dit à l’employeur que la fonctionnaire agissait comme passeuse de drogue rémunérée pour des criminels connus. L’employeur a accepté cette allégation comme étant vraie. Le reste de son argumentation a été consacré à l’examen de la preuve vidéo dans laquelle la fonctionnaire avait admis sa faute et son erreur.

[298] Ma seule conclusion est que l’employeur n’a pas produit une preuve claire, logique et convaincante me permettant de conclure, selon la prépondérance des probabilités, à ses allégations selon lesquelles la fonctionnaire a eu une intention coupable ou mauvaise autre que celle qu’elle a admise, qui démontre, comme je l’ai souligné, sa conduite inappropriée ayant consisté à transmettre des articles entre des détenus et à prendre un sac contenant des effets personnels.

[…]

 

[171] Dans le même ordre d’idées, dans un témoignage non contredit, la fonctionnaire a affirmé qu’après avoir été convoquée au bureau de la directrice de l’établissement, confrontée, puis escortée en dehors de l’établissement, elle avait présumé par déduction que, si le problème était lié à la fouille qui avait été lancée en raison de la présence de drogue dans l’établissement, elle risquait de faire l’objet d’accusations connexes. Ainsi, elle a invité la directrice à fouiller son sac à main, sa case au travail, sa voiture, son téléphone cellulaire et ses informations bancaires. Encore une fois, selon le témoignage non contredit, l’employeur n’en a rien fait.

[172] Vu la terrible médisance, que je tairai par respect, que le personnel avait fait circuler dans des ROD et qui évoquait les difficultés financières de la fonctionnaire et des allégations de mauvais goût sur sa vie personnelle et ses liens avec le crime organisé, que le comité disciplinaire de l’employeur a examinées, on aurait pu penser que l’employeur aurait trouvé utile d’accepter l’invitation à fouiller les effets personnels de la fonctionnaire pour y chercher des éléments de preuves tangibles.

[173] Bien qu’aucun des ROD n’ait été officiellement retenu par le comité d’enquête et qu’aucun n’ait été produit en preuve devant la Commission, le manque de volonté d’enquêter sur les méfaits allégués illustre encore une fois la manière autoritaire et injuste de la procédure retenue par l’employeur pour licencier la fonctionnaire, selon les arguments présentés par cette dernière à ce sujet.

[174] L’employeur a fait valoir en conclusion que si la fonctionnaire a subi un préjudice tout au long du processus d’enquête, de discipline et d’arbitrage de grief, c’est de sa propre faute, car la Commission a jugé que son comportement méritait une suspension d’un mois sans solde dans Lyons 2020.

[175] Bien que j’aie conclu dans Lyons 2020 que les actions de la fonctionnaire mentionnées précédemment méritaient une suspension d’un mois sans salaire, il s’agissait d’une mesure de dissuasion visant à éviter de nouvelles erreurs du genre au travail, et non d’une condamnation morale comme cherchait à le faire valoir l’employeur lorsqu’il a tenté de défendre ses actions. Voici l’extrait pertinent de Lyons 2020 :

[…]

[424] Transmettre des articles entre des détenus pendant la fouille en vertu de l’article 53 constituait une grave erreur de jugement de la part de la fonctionnaire. Cela posait des risques graves pour les détenus et le personnel de l’établissement. Il faut dénoncer énergiquement de pareilles erreurs, afin d’avoir un effet dissuasif sur les autres CX et de s’assurer que la fonctionnaire comprend la gravité de ses erreurs.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[176] Il est conclu dans cette décision que la fonctionnaire a donné un témoignage crédible lorsqu’elle a décrit les actions qui lui étaient reprochées dans les segments de vidéosurveillance, en les décrivant comme étant des erreurs et un manque de jugement. Elles se sont produites en partie parce qu’elle était épuisée après avoir travaillé de longs quarts de travail consécutifs et en partie parce qu’elle avait essayé de traiter les détenus de longue date comme des êtres humains en répondant à leurs demandes d’aide de base lors d’un confinement obligatoire. Elle l’a fait dans l’espoir de créer une atmosphère plus courtoise dans ce qui était autrement une existence presque sans espoir pour ces détenus de longue date qui passaient leur vie dans un établissement à sécurité maximale.

[177] Pour déterminer s’il y a lieu d’accorder des dommages punitifs dans la présente affaire, je me fonde comme suit sur les conclusions que la Cour suprême du Canada a présentées au paragraphe 68 de l’arrêt Honda Canada Inc., tel qu’il a été mentionné précédemment :

[…] [l]a faute donnant elle-même ouverture à un droit d’action n’est qu’un des nombreux éléments qu’ils doivent alors examiner attentivement avant de le faire. Un autre élément est que le comportement en cause ait été « dur, vengeur, répréhensible et malicieux » et « de nature extrême et [qu’il] mérite, selon toute norme raisonnable, d’être condamné et puni » […]

 

[178] Les fautes commises par l’employeur sont indépendantes et passibles d’action, car celui-ci a privé la fonctionnaire du droit à la justice naturelle et il lui a caché la véritable source et le témoignage sur lesquels il s’est appuyé pour décider rapidement qu’elle s’était compromise et qu’il fallait la licencier.

[179] En examinant les arguments de l’employeur sur cette question, je peux confirmer que les critères établis par la Cour suprême du Canada dans Whiten, tels que mentionnés précédemment, sont satisfaits, à savoir :

a) le fait que la conduite répréhensible ait été préméditée et délibérée;

b) l’intention et la motivation de l’employeur étaient de mettre fin à la carrière de la fonctionnaire, sans que cette dernière ait aucune chance d’être réintégrée, et d’éviter que le véritable dossier monté contre elle soit soumis à un examen minutieux;

c) l’employeur a persisté dans sa conduite scandaleuse pendant une longue période, soit plusieurs années, jusqu’à ce que la Commission rende sa décision en 2019;

d) l’employeur a dissimulé et tenté de dissimuler le fait qu’il a nié à la fonctionnaire son droit à la justice naturelle;

e) l’employeur savait que ses actes étaient fautifs;

f) l’employeur a tiré profit de sa conduite répréhensible, car il a atteint son objectif de mettre fin à la carrière de la fonctionnaire;

g) la conduite répréhensible de l’employeur a porté atteinte à un intérêt qui ne saurait toucher la fonctionnaire plus personnellement; en effet, celui-ci a attribué des motifs criminels aux actes captés par la vidéo de sécurité, malgré le fait qu’il n’avait pour ainsi dire aucun élément de preuve et qu’il n’a en fait pratiquement rien fait pour rechercher des éléments de preuve matériels afin d’étayer ses allégations dévastatrices qui étaient la véritable cause du licenciement. (Voir Whiten au paragraphe 113.)

 

[180] Pour en arriver à la conclusion qu’une indemnité de 75000 $ est raisonnable dans les circonstances particulières du présent cas, j’ai pris soigneusement compte du fait que l’acte répréhensible de l’employeur dont je suis saisi est beaucoup plus grave que ce que la preuve a révélé dans Robitaille CRTFP. Dans cette décision, la Commission a conclu que les actes répréhensibles suivants de l’employeur justifiaient l’octroi dans cette affaire de 50000 $ en dommages punitifs :

[…]

[346] Après avoir pris connaissance de la jurisprudence qui m’a été soumise, et en particulier l’affaire Bédirian, je suis d’avis que les faits de la présente affaire démontrent que les représentants de l’employeur ont agi délibérément et avec malice à l’égard du fonctionnaire en procédant comme suit :

· en faisant mener une enquête sans vérification des faits et sans expliquer au fonctionnaire pourquoi l’enquête portait sur des incidents : a) qui ne faisaient pas partie de la plainte originale (16 incidents alors que la plainte en comptait 5); b) exclus de la définition de sa politique (comme l’abus de pouvoir); c) prescrits par sa politique (c’est-à-dire qui ont eu lieu plus d’un an avant le dépôt de la plainte); d) clairement exclus du pouvoir d’enquête (l’agression sexuelle); et e) qui se sont produits avant que la politique n’entre en vigueur (les incidents qui précèdent le 1er juin 2001);

· en ne communiquant au fonctionnaire les éléments essentiels à la plainte que quelques jours avant la tenue de l’enquête et en ne lui communiquant ni la plainte de Mme Belliveau ni le document chronologique des événements préparé par Mme Deslauriers au soutien de ses allégations;

· en favorisant Mme Deslauriers, soit : en rencontrant le délégué syndical de celle-ci avant qu’elle dépose une plainte formelle; en rencontrant Mme Deslauriers et son délégué syndical en septembre 2004 en vue d’accepter de faire enquête sur des allégations d’agression sexuelle; en rencontrant Mme Deslauriers à trois reprises pour l’aider à formuler une plainte conforme aux attentes des enquêteurs; en demandant aux enquêteurs de rencontrer Mme Belliveau au motif que sa déclaration pourrait soutenir les allégations de Mme Deslauriers, alors que l’employeur avait rejeté la plainte de Mme Belliveau;

· en décidant de mener une enquête concernant l’ensemble du « climat organisationnel » de la section gérée par le fonctionnaire, sans le lui communiquer et sans lui permettre de s’expliquer;

· en jugeant le fonctionnaire coupable d’actes de harcèlement sans évaluer pleinement le dossier;

· en tentant de persuader le fonctionnaire d’accepter une rétrogradation en le menaçant avec un décret d’exemption que l’employeur savait être illégal, puis, lorsque le fonctionnaire a refusé d’être intimidé, en le relevant de ses fonctions de gestionnaire et en l’affectant à des tâches dévalorisantes;

· en continuant de maintenir dans le dossier personnel du fonctionnaire une mesure disciplinaire devenue désuète, et de s’en servir pour imposer au fonctionnaire un « plan de redressement » dont le succès dépendait entièrement de la bonne volonté de Mme Gagnon, le tout sans expliquer au fonctionnaire les lacunes qui lui étaient reprochés [sic];

· en réaffectant le fonctionnaire à un lieu de travail à plus de deux heures de route de son domicile tous les jours, avec la menace d’une mesure disciplinaire s’il ne se présentait pas au travail, et ce, sans le consulter ou tenter d’atténuer les effets sur sa vie personnelle;

· en tentant de soustraire le fonctionnaire de son droit à l’arbitrage par le renversement d’une suspension de 15 jours en une lettre de réprimande.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[181] Bien que chacun des actes répréhensibles dont il est question dans Robitaille, et très certainement la totalité de ces actes pris ensemble, témoigne d’un esprit trompeur et malveillant de la part de l’employeur, leur gravité n’approche pas celle de la faute étayée par la preuve dans le présent cas. La vie professionnelle du fonctionnaire dans Robitaille était sans doute devenue misérable, mais il a continué à travailler, et les conclusions de la Commission ne suggèrent pas que l’employeur l’ait attaqué de manière personnelle au point de le priver de son honneur et de sa dignité en concluant qu’il était coupable d’une activité criminelle grave.

[182] Contrairement à ce qui s’est passé dans Robitaille, l’employeur a dans le présent cas décidé très rapidement d’accepter des allégations qui auraient pu signifier la commission d’un acte criminel grave impliquant des drogues illicites dangereuses et le crime organisé, selon la preuve dont je dispose. La preuve montre aussi que l’employeur s’est forgé une opinion de culpabilité de la fonctionnaire sans jamais lui montrer le véritable dossier monté contre elle et sans lui permettre de vérifier la preuve ni d’y répondre. Les allégations ont ensuite servi à mettre fin à sa carrière, la laissant sans emploi pendant un certain temps, sans le sou et dépendante des banques alimentaires pour se nourrir.

[183] Qui plus est, la preuve dans le présent cas montre que l’employeur a traité l’affaire de manière très personnelle, de façon à détruire la personnalité de la fonctionnaire, qui en est devenue malade à long terme et n’a plus réussi à trouver de travail, sauf dans des emplois subalternes au salaire minimum. Elle s’est sentie humiliée lorsque d’anciens collègues et des membres de la collectivité qui la connaissaient l’ont vue en train de balayer le plancher.

[184] De plus, ce qui est peut-être le plus important, les actions de l’employeur étaient d’une nature personnelle si préjudiciable que, lorsqu’il a allégué qu’elle était impliquée dans une activité criminelle grave, il a causé ce que la preuve montre comme étant un préjudice à très long terme, voire permanent, pour la réputation de la fonctionnaire. Cette dernière n’a pas pu et ne pourra probablement jamais confronter la véritable preuve pesant contre elle et ainsi avoir l’occasion de prouver son innocence face aux allégations de l’employeur. Son nom et sa place dans la collectivité demeurent dans un état de purgatoire, et elle sera à tout jamais marquée par l’allégation de passage de drogue pour le crime organisé.

[185] Pour ces raisons qui sont toutes étayées par une preuve claire et convaincante, je conclus que les actions délibérées et malveillantes de l’employeur sont beaucoup plus graves que celles évoquées dans Robitaille et justifient l’octroi de dommages punitifs beaucoup plus importants.

[186] J’en conclus que l’octroi de 75000 $ à titre de punition et de dissuasion au regard des actes de l’employeur, qui a délibérément caché à la fonctionnaire le véritable dossier qu’il avait contre elle, l’a privée de son droit à la justice naturelle et l’a attaquée personnellement et de manière cinglante.

2. Fausse allégation de l’employeur au dernier jour de l’audience

[187] Aux fins de la bonne administration de la justice, il me faut également examiner la conduite de l’employeur lors du dernier jour d’audience dans Lyons 2020, en tant que question supplémentaire au regard des dommages punitifs.

[188] La Commission avait mené trois semaines d’audience en plus de nombreuses séances de gestion des cas portant sur différentes requêtes contestées de divulgation de renseignements, entendu des témoignages sur plusieurs jours et passé des heures à examiner des séquences de vidéos de sécurité. Au matin du vendredi de la troisième semaine d’audience, alors que la preuve était close, les deux parties devaient comparaître pour présenter leur argumentation finale sur le fond de l’affaire. L’audition devait ensuite prendre fin.

[189] Cependant, la matinée a été perdue lorsque, dès le début, l’avocate de l’employeur s’est levée pour demander un entretien en chambre. Lors de cet entretien, l’avocate a révélé avoir reçu l’instruction écrite de présenter une requête de modification des motifs de licenciement de la fonctionnaire, parce que l’employeur venait d’apprendre que la fonctionnaire avait été admise au service des urgences d’un hôpital local à la suite d’une surdose de drogue.

[190] L’avocate de l’employeur a présenté l’allégation. Lorsque je lui ai demandé si elle avait un témoin à faire entendre ou si elle avait l’intention de témoigner elle-même, l’expression de son visage a laissé paraître qu’il n’y avait aucun témoin ou déposant prêt à faire l’allégation sous serment. L’avocate a décliné l’occasion de témoigner elle-même à ce sujet.

[191] Étant donné que l’avocate a présenté l’allégation sans aucune preuve, j’ai indiqué que l’audience serait suspendue pendant 90 minutes pour permettre au directeur et à l’informateur de l’employeur ayant une connaissance personnelle de l’allégation de se présenter devant la Commission pour témoigner.

[192] Bien entendu, personne ne s’est présenté pour témoigner au sujet de l’allégation formulée par l’avocate de l’employeur. Avec le recul, aucun témoin n’aurait pu se présenter, étant donné qu’il s’agissait d’une fausse allégation, d’une fabrication.

[193] Le reste de la matinée a été consacré à la requête par laquelle l’employeur souhaitait modifier les motifs de licenciement de la fonctionnaire. En fin de compte, comme il n’existait aucune preuve à l’appui de la requête, j’ai donné à l’avocate de l’employeur la possibilité de la retirer.

[194] Après une argumentation détaillée de la fonctionnaire qui demandait du temps pour revoir sa demande de dommages majorés et punitifs afin de tenir compte des événements de la matinée, j’ai accordé une longue période de dîner.

[195] Les plaidoiries finales ont finalement commencé en milieu d’après-midi. Les vols à destination de Vancouver (C.-B.) prévus en début de soirée ont été manqués, l’audience s’étant terminée à Abbottsford (C.-B.) à 21 h 20, heure du Pacifique, en ce vendredi soir du mois d’août.

[196] Toutefois, les parties n’ont pas été en mesure de se préparer adéquatement à répondre aux événements de la matinée. Par conséquent, la Commission a accédé à la demande de la fonctionnaire en reportant la présentation des arguments sur la réparation.

[197] Comme l’indique Lyons 2020, les arguments écrits à ce sujet ont été reçus dans les semaines qui ont suivi. Lorsque Lyons 2020 a été rendue, ordonnant la réintégration de la fonctionnaire, la Commission a également ordonné la tenue d’une audience pour permettre l’audition de témoignages et d’arguments sur la question des dommages majorés pour préjudice psychologique et des dommages punitifs.

[198] Il est entendu, contrairement aux récentes observations de l’employeur que je présenterai en détail plus tard, qu’aucun des arguments écrits et oraux produits ultérieurement ni, bien franchement, la présente décision distincte de la Commission n’auraient été nécessaires n’eût été la conduite de l’employeur qui, au matin du dernier jour de l’audience, a présenté l’allégation fabriquée de toutes pièces selon laquelle la fonctionnaire avait fait une surdose de drogue.

[199] Il serait généreux de ma part d’accepter l’explication des ragots fournis par l’employeur, mais il s’agirait d’un acte complètement insouciant de la part de l’employeur si, comme il le prétend, celui-ci a rapporté (innocemment selon ses propres dires) de fausses rumeurs hautement préjudiciables devant la Commission, sans présenter de témoin ni d’élément de preuve pour attester de leur source.

[200] J’ai examiné attentivement la preuve et les arguments sur cette question et j’en ai conclu, comme je l’ai mentionné précédemment dans la présente décision, que le fait que l’employeur a présenté de fausses informations hautement préjudiciables à la Commission doit nécessairement mener à la conclusion qu’il a fabriqué cette allégation ou qu’il a fait preuve d’une insouciance totale en présentant de faux ragots sans source devant la Commission. C’est pourquoi j’ai sollicité des arguments écrits pour approfondir la question. J’ai mentionné précédemment le résultat de ces arguments et l’analyse sera présentée plus loin dans la présente décision.

[201] Même si le comportement hautement offensant de l’employeur qui a consisté à porter devant la Commission une allégation fabriquée contre la fonctionnaire s’est produit bien après le licenciement, je note comme suit la conclusion de la Cour d’appel fédérale dans Tipple concernant le comportement de l’employeur au cours de la procédure :

[…]

[29] En règle générale, les tribunaux et les instances juridictionnelles ont le pouvoir inhérent de contrôler leur propre procédure et de remédier à un abus de celle-ci. Ce pouvoir inhérent comprend, dans les cas appropriés comme la présente affaire, le droit d’exiger le remboursement de frais qu’une partie a dû engager en raison de la conduite abusive ou de l’obstruction de la partie adverse.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[202] Bien que la somme adjugée dans le présent cas ne porte pas sur le remboursement de frais, l’arrêt Tipple de la CAF a néanmoins ouvert la porte à la possibilité de sanctionner pécuniairement une conduite abusive ou d’obstruction devant la Commission.

[203] Les actions sanctionnées par la CAF dans l’arrêt Tipple étaient de nature procédurale, en ce sens que le fonctionnaire s’estimant lésé avait dû engager des frais de procédure supplémentaires, et elles visaient davantage à frustrer le fonctionnaire s’estimant lésé, par dépit peut-être, ou à faire traîner en longueur la procédure, ce qui est pire.

[204] Dans la décision Tipple, la Commission a déclaré ce qui suit au paragraphe 362 : « Je déclare en outre que M. Tipple a engagé des frais juridiques supplémentaires occasionnés par le défaut constant de l’administrateur général de se conformer aux ordonnances de divulgation rendues dans la présente affaire et que l’administrateur général est responsable de ces frais supplémentaires. »

[205] La CAF a approuvé cette conclusion avant de conclure comme suit :

[…]

[30] En l’espèce, l’arbitre a conclu que TPSGC a fait de l’obstruction en omettant de façon répétée de respecter les ordonnances de divulgation, ce qui a entraîné pour M. Tipple des frais juridiques inutiles pour faire exécuter les ordonnances de l’arbitre. Devant notre Cour, TPSGC a soutenu qu’il s’était conformé à ces ordonnances, et c’est ce qu’il a finalement fait. Le dossier justifie toutefois la conclusion de l’arbitre selon laquelle TPSGC a adopté un comportement l’amenant à s’exécuter tardivement et de façon insuffisante, et TPSGC n’a remédié à ce comportement qu’à la suite d’une pression incessante exercée par l’avocat de M. Tipple.

[31] À mon avis, il était raisonnable que l’arbitre conclue que le défaut de TPSGC de respecter les ordonnances de divulgation de l’arbitre en temps opportun a imposé un fardeau financier injustifié à M. Tipple, et qu’il conclue que le fardeau devrait être assumé en toute équité par TPSGC. Dans les circonstances hautement inhabituelles de l’espèce, le montant accordé par l’arbitre à titre de dommagesintérêts pour entrave à la procédure était légal et résultait d’un exercice raisonnable du pouvoir de l’arbitre de contrôler la procédure d’arbitrage.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[206] Comme l’a noté la fonctionnaire, la Commission a déjà suivi la voie tracée par la CAF dans l’arrêt Tipple lorsqu’elle a accordé des dommages punitifs pour la conduite de l’employeur dans Markovic c. Service de protection parlementaire, 2021 CRTESPF 128, au paragr. 409.

[207] Si la conduite inacceptable d’un plaideur devant la Commission dans Tipple justifiait, selon la CAF, une sanction visant essentiellement le remboursement des frais engagés, alors la Commission doit sûrement pouvoir imposer une sanction pécuniaire en réponse à la conduite inacceptable, bien plus grave, qui visait à faire obstruction à la justice devant elle.

[208] En réfléchissant à la meilleure façon de réagir à la situation sans précédent dans laquelle l’employeur soit fabrique une allégation hautement préjudiciable et la rapporte devant la Commission, soit agit de manière totalement insouciante après avoir entendu de faux ragots fabriqués par d’autres personnes à son emploi (selon les arguments de l’employeur, un employé du SCC a porté l’information à son attention), il est devenu évident que les gestes de l’employeur avaient nécessairement pour but d’induire la Commission en erreur.

[209] Je prends note de la définition suivante de l’expression anglaise « obstructing justice » (« entrave à la justice »), en particulier en ce qui concerne l’administration de la justice; voir Black’s Law Dictionary, Abridged 6th Ed., à la p. 742 :

[Traduction]


Tout acte, toute conduite ou toute mise en scène qui se déroule lors d’une procédure en cours et qui vise à jouer sur la fragilité humaine, à détourner et à dissuader le tribunal de l’accomplissement de son devoir en le poussant à compromettre son propre jugement sans entrave en le plaçant, au moyen d’une affirmation sciemment fausse, dans une position erronée devant le public, constitue une entrave à l’administration de la justice.

 

 

[210] La Commission a invité les parties à présenter des arguments écrits sur la demande de dommages punitifs pour entrave à la procédure et entrave à la justice. Voici le texte de l’invitation de la Commission à formuler des commentaires :

[Traduction]

 

[…]

Le commissaire chargé de la présente affaire, M. Gray, a demandé que les parties en cause soient invitées à commenter par écrit sur la notion d’entrave à la justice, dans la mesure où elle pourrait jouer dans les conclusions de la Commission dans la décision Lyons, 2020 CRTESPF 122, qui porte sur la conduite de l’employeur qui, le dernier jour de l’audience, a fait une allégation, qui s’est avérée fausse par la suite, selon laquelle la fonctionnaire avait récemment subi une surdose de drogue.

De plus, la Commission invite les deux parties à présenter leurs arguments sur l’application, le cas échéant, de la décision de la Cour d’appel fédérale dans Tipple c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 158, aux paragraphes 20 à 31, en ce qui concerne les dommages pour entrave à la procédure.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[211] La fonctionnaire a répondu que le comportement de l’employeur constitue effectivement une entrave à la justice et un abus de procédure et que celui-ci mérite une condamnation plus sévère qui le dissuadera de recommencer. Elle a demandé qu’une indemnité minimale 100 000 $ soit ordonnée à l’encontre de l’employeur à cet égard (arguments écrits de septembre 2022).

[212] La fonctionnaire a également noté la récente décision Markovic, dans laquelle la Commission a conclu que l’employeur est une institution fédérale qui doit servir de modèle aux autres employeurs (voir le paragraphe 412).

[213] Je suis du même avis. Une partie, à plus forte raison un agent de la Couronne, qui fabrique elle-même de fausses informations ou qui se fie de façon insouciante à l’information fabriquée transmise par un de ses employés et présente ces mensonges hautement préjudiciables à une audience quasi judiciaire cherche à dissuader et à entraver l’administration de la justice.

[214] En particulier, la fonctionnaire a mentionné la décision arbitrale Doug’s Heating Co. v. UAW, Local 170, 1988 CarswellBC 2135, dans laquelle l’arbitre a réprimandé l’employeur pour avoir fait usage de tactiques visant à contrecarrer l’arbitrage, et il a conclu que ce comportement équivalait à une attaque contre la primauté du droit (voir le paragraphe 23).

[215] La fonctionnaire a conclu ses arguments écrits (septembre 2022) avec la déclaration suivante : [traduction] « Les points à retenir de toutes ces décisions sont une conduite qui jette le discrédit sur l’administration de la justice ou qui tend à pervertir celle-ci et qui équivaut à une entrave à la justice. »

[216] L’employeur a fait valoir que l’action reprochée, c’est-à-dire le fait de faire planer le spectre d’une surdose de drogue, était justifiée dans la mesure où elle visait à modifier les motifs de congédiement, ce qui est une méthode acceptée en droit du travail au regard de faits postérieurs à la mesure disciplinaire (voir Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 3e édition, paragraphe 7:2200).

[217] J’accepte cet argument de l’employeur comme faisant état d’une généralité en droit du travail. Cependant, lors des plaidoiries de juin 2021, j’ai rappelé à l’employeur la manière avec laquelle il avait présenté sa requête, c’est-à-dire sans aucune preuve, en passant par son avocate de l’époque pour relayer des ragots hautement préjudiciables, sans mentionner leur source. L’avocate a répondu que, par exemple, il était possible qu’un affidavit déficient rende la requête de modification infructueuse, mais comme l’allégation a été faite à huis clos, elle ne devrait en aucun cas être considérée comme un motif d’octroi de dommages punitifs. Elle a ajouté qu’aucun préjudice ne devrait être imputé à l’employeur étant donné que l’allégation, ainsi présentée, était censée demeurer confidentielle.

[218] Comme l’avocate de l’employeur n’avait pas représenté ce dernier lors de l’audience sur le bien-fondé du grief, je lui ai rappelé les détails de l’allégation de surdose de drogue et le fait que, de toute évidence, cette prétention visait à renforcer les allégations liées au passage de drogue et au crime organisé. Elle a alors répondu que la requête ne devrait pas être considérée comme étant problématique, puisqu’elle avait été retirée en fin de compte.

[219] Dans ses arguments écrits de septembre 2022, l’employeur a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

 

Le Service correctionnel du Canada (l’« employeur ») a licencié la fonctionnaire s’estimant lésée en se fondant sur les allégations d’un détenu informateur selon lesquelles elle apportait de la drogue dans l’établissement et sur des séquences vidéo qui la montrent en train de passer des articles d’une cellule à l’autre. L’audience a eu lieu du 30 octobre au 2 novembre 2018, puis du 8 au 11 janvier et du 6 au 9 août 2019.

Le 6 août 2019 ou vers cette date, l’employeur a été informé que la fonctionnaire avait été récemment admise à l’hôpital à la suite d’une surdose de drogue, après un appel d’urgence au 911. Un agent correctionnel a rapporté cette information à la direction du SCC.

Le 7 août 2019, l’employeur a informé la Commission et l’agent négociateur à huis clos (c’est-à-dire devant le commissaire, l’avocate de l’employeur, le représentant de l’agent négociateur et le représentant du SCC) et a demandé l’avis de la Commission en vue de modifier les motifs de licenciement ou d’y apporter un complément. La Commission a ordonné à l’employeur de présenter des éléments de preuve à l’appui de l’allégation.

L’employeur n’a pas été en mesure d’obtenir ces éléments de preuve, puisqu’ils n’étaient pas en sa possession ou ne relevaient pas de lui, et il s’est demandé si une ordonnance de production serait nécessaire. L’employeur n’a pas présenté de requête de modification ou de complément des motifs de licenciement.

[…]

 

[220] Je note le curieux aveu du Service correctionnel du Canada selon lequel « le Service correctionnel du Canada (l’“employeur”) a licencié la fonctionnaire s’estimant lésée en se fondant sur les allégations d’un détenu informateur selon lesquelles elle apportait de la drogue dans l’établissement ».

[221] Bien qu’elle remonte à loin à ce stade de la procédure, la déclaration concède les conclusions de la Commission dans Lyons 2020 selon lesquelles l’employeur a privé la fonctionnaire de son droit à la justice naturelle en dissimulant le véritable motif du licenciement. Bien entendu, aucune mention et aucun élément de preuve n’avait alors été présenté à la Commission au sujet de la fonctionnaire et la drogue.

[222] Dans son résumé des arguments sur la question de l’entrave à la justice, l’employeur a écrit ceci :

[Traduction]


L’employeur n’a pas eu de comportement qui pourrait, selon toute interprétation raisonnable, atteindre le seuil très élevé autorisant l’octroi de dommages pour entrave à la justice. L’employeur n’a ni entravé ni retardé le processus d’audience, ni généré de frais supplémentaires pour la fonctionnaire. Par conséquent, la Commission ne devrait pas ordonner l’octroi de dommages pour entrave à la justice.

[…]

Le concept d’entrave à la justice est réservé à des circonstances très inhabituelles lors desquelles une partie entrave ou retarde la procédure, ce qui entraîne des frais juridiques supplémentaires inutiles pour l’autre partie. Dans Tipple, la Commission a conclu que l’employeur avait adopté une conduite d’obstruction en refusant de façon répétée de se conformer aux ordonnances de divulgation, faisant preuve d’un refus constant en s’exécutant tardivement, de sorte que M. Tipple a engagé des frais juridiques inutiles pour faire exécuter les ordonnances de l’arbitre.

Le fil conducteur liant Tipple et d’autres décisions ayant touché au concept d’entrave à la justice est qu’il existe un seuil élevé pour tirer une telle conclusion, qui d’ailleurs ne convient qu’en de rares circonstances et exige la preuve de facteurs non présents dans le présent cas, à savoir :

a) la conduite d’obstruction ou abusive d’une partie au cours du processus d’arbitrage;

b) des dépenses qu’une partie a nécessairement dû engager en raison de la conduite abusive ou d’obstruction de la partie adverse;

c) une charge financière injustifiée qui devrait, en toute équité, être supportée par la partie qui a adopté la conduite d’obstruction.

[…]

 

[223] L’employeur a invoqué plusieurs décisions à l’appui de ses arguments, notamment Sheet Metal Workers’ International Association Local Union #8 v. Dr. Cool Industrial Inc., 2014 CanLII 67645 (AB GAA). Dans ce cas, le syndicat avait demandé des dommages majorés en s’appuyant sur le concept d’« entrave à la procédure » introduit dans Tipple, invoquant notamment les difficultés éprouvées pour porter l’affaire en arbitrage, l’absence des représentants de l’employeur et leur comportement faisant obstruction tout au long du processus préalable à l’audience. L’arbitre Moreau a refusé d’ordonner l’octroi de dommages majorés ou punitifs. Ses commentaires étaient les suivants :

[Traduction]

 

[…]

Avant la tenue de l’audience d’arbitrage, le représentant de l’employeur a fait preuve à plusieurs reprises d’un manque de coopération pour tenter de résoudre l’affaire. Toutefois, compte tenu de la somme en jeu et des autres mesures prises dans la présente affaire par toutes les parties concernées, je ne pense pas que les actions de l’employeur relèvent de l’obstruction. Il s’agit d’un seuil très élevé, que les éléments de preuve n’étayent pas dans le présent cas. Par conséquent, je ne crois pas qu’il soit approprié d’accorder des dommages majorés ou punitifs.

[…]

 

[224] L’arbitre Moreau avait également refusé d’ordonner à l’employeur de payer la totalité des frais de la procédure d’arbitrage, malgré qu’il ait noté que celui-ci avait omis de coopérer à plusieurs reprises à la procédure d’arbitrage du grief.

[225] L’employeur a ensuite longuement défendu les efforts qu’il a faits pour [traduction] « aller à la pêche » et obtenir de l’autorité sanitaire locale qu’elle documente l’admission d’urgence de la fonctionnaire pour une surdose de drogue qui n’a pas eu lieu.

[226] L’employeur a également fait valoir que les décisions invoquées sur la question d’entrave à la justice ou d’entrave à la procédure sont distinctes, car elles traitent de questions de procédure, de défaut de production ou de production tardive (Tipple), de procédure frivole et de comportement non coopératif (Doug’s Heating Co.).

[227] De plus, l’employeur a noté que, dans Markovic, la Commission a estimé que les dommages octroyés dans Tipple étaient de nature distincte et ne devraient pas être considérés comme étant pertinents dans la présente affaire par la Commission. Le passage cité à ce sujet est le suivant :

[…]

[391] Bien que, dans Tipple, M. Tipple ait réclamé, à l’audience d’arbitrage de son grief, des dommages pour entrave à la procédure en raison de la conduite de son employeur dans le cadre de cette même audience, et que les dommages réclamés par l’employé dans l’affaire devant moi soient des dommages punitifs, il demeure que, dans les deux cas, les dommages visent, du moins en partie, une conduite tenue à l’occasion de l’audience d’arbitrage de grief. Je conclus donc que, dans ces circonstances, j’ai le pouvoir de trancher la demande de dommages punitifs présentée par l’employé.

[…]

 

[228] Je préfère l’argument de la fonctionnaire sur ce passage de Markovic, et je suis d’accord pour dire que celui-ci adopte l’arrêt Tipple par lequel la CAF a établi qu’il est possible de sanctionner par l’octroi de dommages une conduite répréhensible au cours de la procédure.

[229] Enfin, dans ses arguments écrits en réponse, l’employeur déclare ce qui suit :

[Traduction]

 

[…]

La fonctionnaire confond le concept d’entrave à la justice avec ceux d’outrage au tribunal et de dommages punitifs. La demande de « dommages punitifs pour entrave à la justice » présentée par la fonctionnaire ne repose sur aucun fondement juridique. L’arrêt Tipple n’a pas créé un chef nouveau ou additionnel de dommages punitifs.

[…]

 

[230] Je ne vois pas la nécessité de déterminer si la somme accordée dans Tipple, qui découlait de la conduite de l’employeur pendant une audience d’arbitrage, est une nouveauté. L’arrêt pose clairement qu’il est tout à fait possible de dénoncer une conduite répréhensible de ce genre au cours d’une audience devant la Commission par l’octroi de dommages.

[231] Les circonstances et les conclusions énoncées dans l’arrêt Tipple portaient sur le fardeau financier injustifié qui avait pesé sur le fonctionnaire s’estimant lésé dans ce cas, mais j’estime que la situation dans le présent cas va au-delà de la question des coûts supplémentaires et mérite encore plus l’octroi distinct ou additionnel de dommages punitifs.

[232] Pour examiner ce point essentiel de la question de l’octroi de dommages punitifs supplémentaires dans le but de dénoncer la conduite de l’employeur au cours du dernier jour d’audience, il faut d’abord jauger le degré de la faute. Comme il est mentionné dans les arguments de l’employeur, il existe un seuil très élevé à atteindre pour établir la responsabilité aux fins de l’octroi de dommages punitifs.

[233] Après avoir examiné attentivement la preuve dont je dispose et les arguments réfléchis des deux parties sur la question, y compris les plaidoiries de 2021 et les arguments écrits de septembre 2022, je dois conclure qu’il est difficile d’imaginer de la part d’un employeur une conduite devant la Commission qui heurterait davantage le sentiment de justice et de décence de cette dernière que ce qui s’est produit dans le présent cas.

[234] Il est difficile de concevoir une fausse allégation qui serait plus préjudiciable que celle que l’employeur a présentée au dernier jour de l’audience devant la Commission, au moment des plaidoiries finales : l’employeur a essayé encore une fois d’établir un lien entre la fonctionnaire et des drogues illicites en l’accusant d’être toxicomane et d’avoir fait une overdose.

[235] L’employeur doit être amené à comprendre que ce qu’il a fait le dernier jour de l’audience sur le fond de l’affaire, à savoir accuser faussement la fonctionnaire d’avoir été hospitalisée pour une surdose de drogue, était choquant tant l’affirmation était grossière et complètement fausse.

[236] Je ne suis pas d’accord avec la suggestion de l’employeur selon laquelle le fait que cette allégation fausse et hautement préjudiciable ait été faite à huis clos devrait le libérer de toute responsabilité à cet égard.

[237] Peu importe que l’employeur ait fabriqué l’allégation ou qu’il l’ait présentée de manière inconsidérée, sans précision outre le fait qu’elle provenait d’un CX anonyme, je dois conclure que l’employeur avait l’intention de porter préjudice à la fonctionnaire en cherchant à l’associer au commerce illicite de la drogue, véritable motif du licenciement selon les conclusions de Lyons 2020.

[238] Ces conclusions ont été tirées même si l’employeur n’a apporté pratiquement aucun élément de preuve en rapport avec pareille allégation devant la Commission, lors de l’audience d’arbitrage de grief sur la question. En agissant de la sorte, l’employeur a cherché à tromper, à détourner et à dissuader la Commission et, en fin de compte, à faire entrave à l’administration de la justice lors de l’audience de la Commission.

[239] La CAF décrit au paragraphe 31 de l’arrêt Tipple exactement la situation actuelle dans laquelle se trouve la Commission, qui doit, avec fermeté, dénoncer et tenter de dissuader tout acte de ce genre de la part de l’employeur afin de contrôler le processus d’arbitrage dont elle est saisie : « Dans les circonstances hautement inhabituelles de l’espèce, le montant accordé par l’arbitre à titre de dommages-intérêts pour entrave à la procédure était légal et résultait d’un exercice raisonnable du pouvoir de l’arbitre de contrôler la procédure d’arbitrage. »

[240] J’estime que les actions commises par l’employeur dans la présente affaire constituent une entrave à l’administration de la justice. Un tel acte doit être considéré comme étant plus grave que l’entrave à la procédure constatée dans Tipple. Par conséquent, j’en conclus qu’elle doit entraîner des dommages bien pesés et que la somme accordée doit être plus élevée que dans Tipple.

[241] L’inconduite de l’employeur était si malveillante, oppressive et hautaine qu’elle offense le sentiment de décence de la Commission (voir Bauer, au par. 19). Comme je l’ai souligné dans les paragraphes précédents, j’estime que l’inconduite de l’employeur le dernier jour de l’audience satisfait à plusieurs des facteurs décrits dans Whiten pour l’attribution de dommages punitifs, y compris le fait qu’elle visait délibérément à nuire à la cause de la fonctionnaire dans un prolongement semblable, mais distinct, de l’inconduite de l’employeur pendant les processus d’enquête et de règlement du grief.

[242] Encore une fois, je reprends maintenant précisément les observations que l’employeur a présentées pour rappeler à la Commission la conclusion de la Cour suprême dans Honda Canada Inc., comme suit :

[…]

[68] Même si je déférais à l’avis du juge de première instance sur ce point, notre Cour a statué que « l’attribution de dommages-intérêts punitifs doit toujours se faire après mûre réflexion et que le pouvoir discrétionnaire de les accorder doit être exercé avec une très grande prudence » (Vorvis, p. 1104-1105). […]

 

[243] Après examen minutieux et en gardant à l’esprit la prudence avec laquelle je dois exercer mon pouvoir discrétionnaire, je conclus que 100000 $ est un montant raisonnable de dommages dans l’unique but de punir l’employeur pour sa conduite le dernier jour de l’audience et de le dissuader d’avoir à l’avenir une conduite aussi choquante et inacceptable que celle qui a été documentée dans le présent cas.

[244] Aucune audience devant la Commission ne devrait plus jamais être présentée avec des informations fausses et extrêmement préjudiciables, possiblement fabriquées par l’employeur et destinées à entraver l’administration de la justice dans le cadre de l’arbitrage d’un grief. Le fait de présenter des informations aussi fausses devant la Commission était, de la part de l’employeur, un acte délibéré qui heurte grandement tout sentiment raisonnable de justice et de décence.

[245] Lors de l’audience sur la question de la réparation, l’employeur a fait valoir que la Commission devrait faire preuve de retenue en octroyant des dommages, et ce, par souci des fonds publics.

[246] Le souci du SCC à l’égard des contribuables canadiens sera bien mieux servi si, à l’avenir, le SCC évite toute autre violation du droit de ses employés à la justice naturelle et prend soin de ne jamais plus avoir le front de présenter devant la Commission une fausse allégation préjudiciable, non étayée par le moindre élément de preuve, pour nuire à l’arbitrage d’un grief.

[247] Dans ses arguments écrits de septembre 2022, l’agent négociateur de la fonctionnaire a demandé une compensation financière de 5000 $, sans doute pour le supplément en heures de travail et en conseils juridiques qui ont été requis pour traiter la question de la conduite de l’employeur.

[248] Cette demande est rejetée, car l’indemnité accordée par la présente décision suffit à punir et à dissuader l’employeur de répéter ce genre de conduite.

C. Intérêts à payer sur l’indemnité et rajustement au titre du Régime de pensions du Canada

[249] La fonctionnaire a écrit à la Commission le 17 février 2022 pour demander des directives concernant les intérêts devant être versés sur les sommes dues à la suite de ma décision Lyons 2020. Les parties n’ont pas réussi à s’entendre sur le taux d’intérêt ni sur la question de savoir si les intérêts devaient être calculés sur le montant brut ou sur le montant net des sommes dues. La fonctionnaire a demandé que les intérêts soient calculés sur le montant brut des sommes dues, plutôt que sur le montant net, et que le taux d’intérêt soit le taux mensuel du mois de février de chaque année. Selon les informations présentées, l’écart se situait autour de 20000 $ selon le mode de calcul des intérêts à payer.

[250] La fonctionnaire a invoqué la décision Tipple de la Commission, aux paragraphes 307 à 309, concernant le versement d’intérêts sur la somme octroyée dans cette affaire.

[251] Dans ses observations finales, la fonctionnaire a également demandé que l’ordonnance d’octroi de dommages prévoie le versement d’intérêts antérieurs et postérieurs au jugement. La fonctionnaire a mentionné la décision de la Commission Gagné c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2020 CRTESPF 114, et elle a demandé des intérêts d’avant et d’après jugement similaires sur les indemnités accordées dans cette décision. La Commission avait rendu l’ordonnance suivante dans ce cas :

[…]

[173] Le fonctionnaire aura le droit à des intérêts sur le montant net qui lui est dû selon les paragraphes 170 et 171 de la présente décision au taux d’intérêt approprié, conformément aux lois de l’Alberta, comme il est prévu au paragraphe 36(1) de la Loi sur les Cours fédérales (L.R.C. 1985) ch. F-7). Les intérêts d’avant le jugement doivent être calculés à compter de la date du licenciement jusqu’à la date de la présente décision et après cela, à compter de la date du présent jugement jusqu’à la date de paiement, au taux en vigueur après le jugement.

[…]

 

[252] J’accepte la réponse de l’employeur sur cette question et le fait que celle-ci repose sur le libellé de l’ordonnance initiale de la Commission.

[253] Comme l’a relevé l’employeur dans ses arguments sur ce point, il profiterait injustement à la fonctionnaire que les intérêts soient versés sur des montants bruts qui font eux-mêmes l’objet des retenues salariales habituelles. Conformément au volet de l’ordonnance consacré aux sommes dues, les intérêts à verser sur les indemnités octroyées dans Lyons 2020 et Lyons 2021 seront nets des déductions salariales habituelles.

[254] L’ordonnance rendue dans Lyons 2020 précise que les intérêts sont simples (paragraphe 452). Comme l’a fait valoir l’employeur, les sommes dues à la fonctionnaire ont été versées en février, mars et juillet 2021. Il a calculé que le taux d’intérêt était de 0,50 % pour cette période. Il a obtenu ce pourcentage en consultant les « séries mensuelles » fournies sur le site Internet de la Banque du Canada et en y saisissant la période allant du 1er février au 30 juillet 2021.

[255] Je considère que ce calcul est conforme au libellé de l’ordonnance de 2020 de la Commission. Les sommes dues à la fonctionnaire, telles qu’elles ont été ordonnées dans la présente décision, seront calculées d’une manière conforme à ce qui a été retenu dans Lyons 2020.

[256] La fonctionnaire a également écrit dans ses arguments de février 2022 qu’elle demande des dommages au lieu de la réintégration pour ce qu’elle a dit être une perte de prestations au titre du Régime de pensions du Canada (RPC), en raison de la perte de salaire avant la réintégration ordonnée dans Lyons 2020. Selon elle, cette demande fait suite à l’ordonnance de la Commission au paragraphe 450 de Lyons 2020, qui prévoit que la fonctionnaire doit être « […] réintégrée dans ses fonctions de CX-02 avec son salaire intégral et ses avantages sociaux, à compter de la date du licenciement […] ». Elle a confirmé que ses droits à pension au titre du Régime de pension de retraite de la fonction publique ont été rétablis.

[257] La fonctionnaire a invoqué les décisions Pelletier c. Agence du revenu du Canada, 2019 CRTESPF 117, au par. 175, et Gill c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2019 CRTESPF 102, à l’appui de cette demande.

[258] Je note que, dans Pelletier, la Commission ne fait référence qu’à la « pension » dans son ordonnance (voir les paragraphes 175 et 176) qui s’adresse à l’employeur. Comme l’a fait remarquer l’employeur sur ce point, le RPC est un régime législatif complet, distinct du Régime de pension de la fonction publique, et n’est pas administré par l’employeur.

[259] Au paragraphe 233 de Gill, la Commission fait référence précisément à la « pension de la fonction publique » du fonctionnaire s’estimant lésé dans ce cas. Encore une fois, il s’agit d’un élément distinct du RPC. En conséquence, aucun de ces cas ne m’aide à accorder une indemnité pour le RPC ou le rétablissement des prestations connexes.

[260] La fonctionnaire a également invoqué la décision Toronto (City) v. Canadian Union of Public Employees Local 79, [1985] O.L.A.A. No 14 (QL), pour appuyer sa demande relative au RPC. Cette décision fait expressément référence au RPC du fonctionnaire s’estimant lésé dans ce cas et aussi au régime de retraite de l’employeur et indique que les deux régimes doivent être [traduction] « […] rétablis le plus complètement possible […] et, si la chose s’avérait impossible, il doit être indemnisé sous la forme d’un paiement supplémentaire en espèces ». Je conclus que ce cas ne sert pas la demande de la fonctionnaire dans la présente affaire, parce que le rétablissement du RPC n’était pas spécialement inclus dans le libellé de l’ordonnance de la Commission relative à la réintégration de la fonctionnaire, et que la fonctionnaire n’a pas établi que le RPC peut être envisagé en application de l’ordonnance de rétablissement de son salaire et de ses avantages, ce qui, à l’opposé, est le cas du Régime de pension de retraite de la fonction publique.

[261] Je suppose que l’absence de décision de la Commission relativement au rétablissement des prestations du RPC est liée au fait que cette question échappe au contrôle de l’employeur, comme celui-ci l’a indiqué. Compte tenu de ce régime législatif, je m’attends également à ce que la valeur du rétablissement des prestations au titre du RPC, ou des pertes de celles-ci, ne puisse être déterminée à l’avance et soit purement spéculative.

[262] La demande d’indemnisation de la fonctionnaire pour le rétablissement des prestations futures au titre du RPC est rejetée pour ces motifs.

D. Perte de réputation

[263] La fonctionnaire a brièvement, et avec peu d’analyse juridique des précédents, mentionné l’indemnité que la Commission accordée pour atteinte à la réputation dans l’affaire Tipple, tel qu’il est mentionné dans l’arrêt de la CAF, et a suggéré qu’une somme d’au moins 50000 $ soit accordée pour ce chef de préjudice.

[264] Les deux parties avaient accès et ont fait appel au riche dossier de la preuve dans la présente affaire et elles se sont appuyées à la fois sur les conclusions de Lyons 2020 et sur les témoignages.

[265] L’employeur a cité un passage en notant que, dans la présente affaire, les actions de la fonctionnaire méritaient, après examen, une mesure disciplinaire importante sous la forme d’une suspension d’un mois sans salaire. Il a ajouté qu’il n’avait joué aucun rôle dans la diffusion d’informations publiques sur l’affaire. Il a aussi affirmé qu’il n’avait aucun contrôle sur le commérage des employés au sujet de la fonctionnaire.

[266] De plus, l’employeur a noté le fait que la décision Tipple de la Commission a trouvé une preuve objective de préjudice public à la réputation du fonctionnaire s’estimant lésé. Il a ensuite fait valoir qu’il n’y avait aucune preuve de ce genre dans l’affaire devant moi, car les échanges avec Mme Lakey ont seulement montré que cette dernière avait entendu dire que la fonctionnaire avait été suspendue pour avoir fait passer des marchandises d’une cellule à l’autre.

[267] L’employeur a fait valoir que la preuve établissant que la fonctionnaire a pu trouver un emploi, même s’il ne s’agissait que de balayage de plancher, montre que sa réputation a été peu ou pas du tout entachée.

[268] L’employeur a souligné le fait que la fonctionnaire a déjà été réintégrée conformément à Lyons 2020 et qu’elle a obtenu le rétablissement de son salaire et de ses avantages dans Lyons 2021, et donc qu’elle a obtenu réparation. Cela dit, il n’a pas abordé directement la conclusion que la Commission a rendue dans Tipple concernant la perte de réputation.

[269] L’employeur a pris note des conclusions de la CAF dans l’arrêt Tipple (au paragraphe 16), que la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a également invoquées comme suit dans Lau (au paragraphe 62) :

[62] Lorsque les dommages-intérêts sont demandés pour perte de réputation, le mode de congédiement doit satisfaire à trois autres conditions : a) la réputation de l’employé est entachée par de fausses allégations connues du public, b) l’employeur omet de prendre des mesures correctives raisonnables et n’offre aucune excuse raisonnable pour cette omission et c) le préjudice causé à la réputation de l’employé a porté atteinte à sa capacité de trouver un nouvel emploi.

[Je mets en évidence]

 

[270] Je note que, tant dans la décision de la Commission Tipple que dans les décisions de la Cour suprême du Canada Wallace c. United Grain Growers Ltd., [1997] 3 SCR 701, et Honda Canada Inc., sur lesquelles Tipple s’appuyait, les fonctionnaires s’estimant lésés ou demandeurs ont été congédiés et n’ont pas été réintégrés dans leur emploi au cours de la procédure. De plus, je note que, même si la fonctionnaire a invoqué Robitaille, il n’est pas du tout question dans cette affaire d’une indemnité pour perte de réputation.

[271] Bien que la fonctionnaire ait présenté des éléments de preuve suggérant qu’elle a effectivement subi une perte de réputation en raison des actions de l’employeur, je ne peux pas conclure que ce préjudice est lié à une atteinte à sa capacité de trouver un nouvel emploi.

[272] Dans les arguments écrits du 30 septembre 2019 (à la page 4), l’avocate de l’employeur a écrit que toute réclamation pour laquelle l’employeur serait responsable d’une perte de réputation ayant altéré la capacité de la fonctionnaire à trouver un nouvel emploi est sans fondement et non étayée par la preuve.

[273] Je viens de noter que toutes les décisions pertinentes qui ont été invoquées par les deux parties exigent que l’indemnisation pour perte de réputation soit liée à une atteinte à la capacité de trouver un nouvel emploi.

[274] Même si la fonctionnaire a témoigné avoir trouvé difficile, après sa suspension et son licenciement, de trouver des offres d’emploi dans son domaine, pour ensuite toujours essuyer un refus, et même si elle a expliqué avoir finalement trouvé un emploi de balayage de plancher à un salaire correspondant à moins de la moitié de celui d’un CX-2, ces difficultés ont déjà été compensées par les sommes qui lui ont été accordées dans Lyons 2020.

[275] Cette décision l’a réintégrée dans son emploi, moins un mois de salaire, et a ordonné que l’enquête disciplinaire, la suspension et le licenciement soient effacés de son dossier. Lorsque l’employeur a cherché à se soustraire à la responsabilité de certains des avantages de la fonctionnaire, j’ai expressément écrit, dans Lyons 2021, que [traduction] « la fonctionnaire a obtenu gain de cause et elle devait être réintégrée comme si le licenciement n’avait pas eu lieu » (à la page 3).

[276] La fonctionnaire ne peut être réintégrée et retrouver la place qu’elle aurait occupée si son licenciement n’avait pas eu lieu, tout en recevant de la part de l’employeur des dommages pour le préjudice qu’il lui a causé et qui a réduit sa capacité à se trouver un nouvel emploi. Ce serait doubler les indemnités accordées pour une même perte.

[277] De plus, la fonctionnaire a rappelé à la Commission, dans ses plaidoiries finales, que Mme Lakey, une ancienne collègue de travail, a attesté et reconnu avoir fait des commentaires grossiers à la fonctionnaire et l’avoir évitée en public. La fonctionnaire a également fait référence à Lyons 2020, qui cite le témoignage du CX-2 Sean White comme suit au paragraphe 419 : « L’employeur est allé jusqu’à citer le CX-02 White à témoigner qu’il ne pouvait plus travailler de nouveau avec la fonctionnaire, parce qu’elle était corrompue par des criminels. Il a affirmé qu’il n’aurait pas confiance en elle. »

[278] Bien que la fonctionnaire ait fait valoir que ces arguments et d’autres éléments de preuve montrent que sa réputation a été entachée et qu’elle a souffert de la honte d’avoir été rejetée et stigmatisée par les nombreux CX qui travaillent et vivent dans sa collectivité ou à proximité, je conclus que l’indemnisation de tous les effets délétères de ce mauvais traitement est comprise dans l’indemnité que je lui ai accordée pour préjudice psychologique.

[279] Bien que je n’accorde pas de poids significatif à ce point, car aucune des parties ne l’a relevé en plaidoirie, la Commission a déclaré dans Lyons 2020 (voir le paragraphe 456) qu’elle convoquerait à nouveau une audience pour entendre la plaidoirie orale concernant la demande de dommages moraux pour préjudice psychologique et de dommages punitifs. L’atteinte à la réputation n’est pas mentionnée dans les éléments sur lesquels la Commission garde compétence pour rendre la présente décision et ordonnance sur la réparation.

[280] Après avoir lu attentivement la jurisprudence, et après avoir appliqué soigneusement ces décisions aux faits devant moi, je conclus que, pour les raisons énoncées, la fonctionnaire n’a pas droit à des dommages pour atteinte à sa réputation.

V. Remarque du commissaire

[281] L’analyse et la décision portant sur les dommages punitifs devaient nécessairement tenir compte de la conduite de l’employeur pendant l’enquête, au cours de l’audience d’arbitrage et pendant les deux années qui ont suivi, mais aucun des commentaires que j’ai formulés dans la présente décision ou dans les deux décisions écrites précédentes dans cette affaire ne vise de quelque façon que ce soit la conduite des avocats, au nombre de trois, qui, à différents moments, ont été en charge du dossier en tant que représentants de l’employeur.

[282] En outre, le fait que la deuxième avocate ayant représenté l’employeur lorsque je rendais ma décision de 2021 sur certains aspects concernant le salaire et les avantages et dans l’affaire en cours soit devenue ma collègue à la Commission n’a eu aucune incidence sur ma décision. Mme Engmann et moi n’avons jamais discuté de ce dossier en dehors de nos réunions de gestion des cas et du rôle de représentation qu’elle jouait en tant qu’avocate à l’audience, chaque fois en présence de la représentante de la fonctionnaire, et le tout s’est déroulé avant sa nomination à la Commission.

VI. Ordonnance de mise sous scellés

[283] J’ai accédé à la demande de l’employeur concernant la production de documents fiscaux et de documents contenant des renseignements très personnels sur la fonctionnaire, sous la forme de notes cliniques médicales et psychologiques. J’ai également examiné et accepté une demande de caviardage présentée par la fonctionnaire afin que les documents médicaux ne contiennent pas de renseignements très personnels n’ayant aucun rapport avec la présente affaire. La fonctionnaire a ensuite demandé une ordonnance de mise sous scellés des documents restants. L’employeur ne s’est pas opposé à cette demande.

[284] La Commission a très récemment examiné une demande de mise sous scellés dans Miller c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2022 CRTESPF 10, dans laquelle elle a conclu ce qui suit :

[64] Dans Basic c. Association canadienne des employés professionnels, 2012 CRTFP 120, aux paragraphes 9 à 11, la Commission des relations de travail dans la fonction publique a déclaré ce qui suit :

9 La mise sous scellés de documents ou de dossiers déposés en vue d’une audience judiciaire ou quasi judiciaire va à l’encontre du principe fondamental consacré dans notre système de justice selon lequel les audiences sont publiques et accessibles. La Cour suprême du Canada a statué que l’accès du public aux pièces et aux autres documents déposés dans le cadre d’une procédure judiciaire était un droit protégé par la Constitution en vertu des dispositions sur la « liberté d’expression » de la Charte canadienne des droits et libertés; voir Société Radio-Canada c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), [1996] 3 R.C.S. 480; Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 R.C.S. 835; R. c. Mentuck, 2001 CSC 76, Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41 (CanLII).

10 Cependant, la liberté d’expression et le principe de transparence et d’accessibilité publique des audiences judiciaires et quasi judiciaires doivent parfois être soupesés en fonction d’autres droits importants, dont le droit à une audience équitable. Bien que les cours de justice et les tribunaux administratifs aient le pouvoir discrétionnaire d’accorder des demandes d’ordonnance de confidentialité, de non-publication et de mise sous scellés de pièces, ce pouvoir discrétionnaire est limité par l’exigence de soupeser ces droits et intérêts concurrents. Dans Dagenais et Mentuck, la Cour suprême du Canada a énuméré les facteurs à prendre en considération pour déterminer s’il convient d’accepter une demande de restriction de l’accès aux procédures judiciaires ou aux documents déposés dans le cadre de ces procédures. Ces décisions ont mené à ce que nous connaissons aujourd’hui comme étant le critère Dagenais/Mentuck.

11 Le critère Dagenais/Mentuck a été établi dans le cadre de demandes d’ordonnance de non-publication dans des instances criminelles. Dans Sierra Club of Canada, la Cour suprême du Canada a précisé le critère en réponse à une demande d’ordonnance de confidentialité dans le cadre d’une procédure civile. Le critère adapté est le suivant :

[…]

a. elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d’un litige, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter le risque;

b. ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

 

[285] J’ordonne la mise sous scellés des onglets 7, 10 et 12 de la pièce BA-1, le cahier de documents de l’agent négociateur de la fonctionnaire. L’onglet 7 contient des informations fiscales, financières et personnelles. Les onglets 10 et 12 contiennent des notes cliniques du médecin traitant et du psychologue, et on y trouve des informations très personnelles sur la fonctionnaire et son état de santé.

[286] La présente ordonnance est conforme à la position que la Cour suprême du Canada a récemment adoptée dans l’arrêt Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25, concernant le critère énoncé dans l’arrêt Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41. La Cour a reconnu qu’il existe un aspect de la vie privée qui constitue un intérêt public important aux fins du critère, à savoir les renseignements personnels de nature très délicate qui entraîneraient non seulement un désagrément ou de l’embarras, mais aussi une atteinte à la dignité de la personne touchée.

[287] Les questions d’ordre médical et personnel qui sont pertinentes pour l’audience et la compréhension de la présente décision ont été décrites dans les premières pages de la présente décision. La Commission fait normalement usage d’une extrême prudence pour ne pas divulguer de renseignements personnels tels que des informations médicales détaillées. Cependant, certaines parties de la présente décision sont largement tributaires de tels détails, et la justice exige qu’ils soient confirmés pour satisfaire au besoin de transparence dans le prononcé de la présente décision et des dommages octroyés.

[288] Autrement, il n’est pas nécessaire de maintenir cette transparence pour les autres renseignements personnels de nature délicate figurant dans les documents qui ont été mis sous scellés à la demande de la fonctionnaire et qui posent un risque sérieux pour sa vie privée. L’importance de protéger ces renseignements personnels de nature très délicate l’emporte sur le droit à la liberté d’expression et sur l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

[289] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VII. Ordonnance

[290] Il est ordonné à l’employeur de verser à la fonctionnaire une somme de 135000 $ en dommages majorés pour préjudice psychologique.

[291] Il est ordonné à l’employeur de verser à la fonctionnaire une somme de 175000 $ en dommages punitifs.

[292] L’employeur doit ajouter des intérêts simples aux 310000 $ dus à la fonctionnaire, calculés au taux annuel basé sur le taux officiel de la Banque du Canada (données mensuelles).

[293] La demande de dommages de la fonctionnaire pour perte de réputation et de prestations du RPC est rejetée.

[294] Il est ordonné que les onglets 7, 10 et 12 de la pièce BA-1, le cahier de documents de l’agent négociateur de la fonctionnaire, soient mis sous scellés.

Le 21 novembre 2022.

Traduction de la CRTESPF

Bryan R. Gray,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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