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Dossier de la Commission : 590-02-44769

 

Dans l’affaire d’une commission de l’intérêt public établie en vertu de

la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Entre :

Le Conseil du Trésor du Canada

et

L’Alliance de la Fonction publique du Canada

(Groupe Services techniques)

 

 

 

 

 

Devant : William Kaplan, président

Lynn Harnden, personne désignée du CT

Gary Cwitco, personne désignée de l’Alliance

 

 

Comparutions

 

Pour l’AFPC : Seth Sazant, négociateur

Silja Freitag, agente de recherche

AFPC

 

 

Pour le Conseil du Trésor : Danielle Chaine

Négociatrice, Gestion de la rémunération et de la négociation collective, Conseil du Trésor du Canada

 

 

Les affaires ont donné lieu à une audience tenue par Zoom le 9 décembre 2022.


 

Rapport de la Commission de l’intérêt public

(Traduction de la CRTESPF)

Introduction

[1] Le présent document est un rapport de la Commission de l’intérêt public (CIP) établie en vertu de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral concernant le renouvellement de la convention collective entre l’Alliance de la Fonction publique du Canada (Alliance) et le Conseil du Trésor du Canada (CT) pour l’unité de l’administration publique centrale appelée groupe Services techniques (TC). Le groupe TC comprend environ 11 000 postes, dont 75 % sont classés dans la catégorie Techniciens divers (GT) et Soutien technologique et scientifique (EG).

Historique de la négociation

[2] La convention collective pour le groupe TC est arrivée à échéance le 21 juin 2021. Les parties se sont réunies dans le cadre de négociations collectives en juin, septembre et novembre 2021, puis en janvier, mars, mai et octobre 2022 (les négociations de la table traitant des questions communes ont eu lieu séparément). Au total, les parties se sont rencontrées à 32 reprises; toutefois, un accord n’a été obtenu que sur une poignée de points d’ordre administratif, laissant en suspens toutes les propositions du groupe TC : 89 de l’Alliance et 12 du CT. Bien que le contexte soit contesté, il est tout à fait clair que, quelle que soit la négociation collective qui ait eu lieu au moment où l’Alliance a déclaré l’impasse le 18 mai 2022 (ou depuis), aucun progrès réel n’avait été fait dans la résolution des questions en suspens.

[3] Fait à noter, l’Alliance s’est opposée à l’établissement d’une CIP. En effet, l’Alliance a écrit au coordonnateur des Services de médiation et de règlement des différends de la CRTESPF le 14 juin 2022, en indiquant clairement qu’une CIP ne serait pas un moyen efficace d’aider les parties à conclure une convention collective (et en joignant des éléments de preuve démontrant que les recommandations de la CIP sont généralement peu suivies par les parties). À son avis, une CIP ne ferait que retarder la conclusion d’une convention collective lorsque, compte tenu de l’inflation et d’autres raisons, le temps presse. Elle a donc demandé qu’aucune nomination de ce genre ne soit faite.

[4] D’autre part, le CT était entièrement favorable à l’établissement d’une CIP. Le fait de ne pas le faire mettrait le syndicat en position de grève sans négociation suffisante et sérieuse, sans parler de l’intérêt public. Le CT a également demandé un retour aux négociations avec un nombre raisonnable de priorités clés et un nombre réduit de propositions. De plus,

[Traduction]
[...] l’Employeur continue de chercher à comprendre « les raisons » derrière chacune des nombreuses propositions déposées par l’agent négociateur [...] Malheureusement, l’agent négociateur n’a pas fourni à l’Employeur des renseignements, des preuves ou des justifications concernant bon nombre de ses propositions [...] cela favorise les discussions fondées sur des données probantes qui se prêtent à la capacité des parties de déterminer une voie possible vers un règlement.

 

[5] Le 29 juin 2022, la présidente de la CRTESPF a informé les parties qu’elle établissait une CIP (et elle a également nommé un médiateur pour l’aider pendant la période précédant l’audience de la CIP). La présidente a clairement conclu, conformément au paragraphe 162(2), que la négociation avait progressé au point où il était approprié d’amorcer le processus de CIP. En d’autres termes, la présidente a déterminé – après avoir examiné les nombreuses observations écrites sur ce point – qu’il était temps de nommer une CIP. Des séances de médiation à la Table des TC (ainsi que d’autres) ont donc eu lieu, mais, encore une fois, les progrès ont été minimes. Après l’établissement de cette CIP le 15 août 2022, les parties ont déposé des observations écrites détaillées et les questions en litige ont fait l’objet d’une audience tenue par Zoom le 9 décembre 2022.

Le contexte législatif et la position des parties

[6] Nous commençons par notre mandat : « La commission de l’intérêt public s’efforce, dans les meilleurs délais, d’aider les parties au différend à conclure ou à réviser la convention collective. » Notre travail est également guidé par les facteurs énumérés à l’article 175. L’attention est toujours portée aux facteurs a) à e). Toutefois, la phrase d’introduction est également pertinente et applicable : « Dans la conduite de ses séances et l’établissement de son rapport, la commission de l’intérêt public prend en considération les facteurs qui, à son avis, sont pertinents et notamment […] » (nous mettons en évidence). Notre tâche consiste donc à produire un rapport qui aidera les parties à conclure une convention collective et, ce faisant, à tenir compte des facteurs énumérés ainsi que de tout autre facteur que nous jugeons pertinent.

[7] Normalement, les CIP abordent leur tâche en formulant des recommandations extrêmement précises ou, parfois, plus générales, sur les propositions que les deux parties ont présentées. Elles procèdent ainsi parce qu’en faisant valoir leur expertise en commentant les propositions en suspens, elles peuvent, au moyen de recommandations, fournir des indications aux parties sur les possibilités de règlement. Dans le présent cas, pour les raisons exposées ci-dessous, nous avons conclu que le fait de choisir parmi les propositions et de faire des recommandations sur certaines d’entre elles et non sur d’autres ne serait pas particulièrement utile pour aider les parties à conclure une convention collective.

[8] Premièrement, il y a un grand nombre de questions en suspens, ce qui n’est pas surprenant. Le groupe TC est vaste et extrêmement hétérogène. L’unité de négociation a l’obligation de représenter les intérêts de nombreux groupes d’employés relativement petits. De toute évidence, toutes les propositions du syndicat ne seront pas éventuellement incluses dans la convention collective conclue. Néanmoins, le nombre de questions en suspens rend la résolution difficile, particulièrement en raison de l’absence de priorités déterminées – une observation qui s’applique également aux propositions du CT (bien que dans le contexte d’un nombre beaucoup plus restreint de questions en suspens). Les deux parties ont reconnu ce problème épineux.

[9] Deuxièmement, ce qui rend notre tâche encore plus difficile, c’est que les parties voient d’un œil radicalement différent les critères de gouvernance énoncés à l’article 175 de la LRTSPF. Ces critères sont les suivants :

  • a) la nécessité d’attirer au sein de la fonction publique des personnes ayant les compétences voulues et de les y maintenir afin de répondre aux besoins des Canadiens;

  • b) la nécessité d’offrir au sein de la fonction publique une rémunération et d’autres conditions d’emploi comparables à celles des personnes qui occupent des postes analogues dans les secteurs privé et public, notamment les différences d’ordre géographique, industriel et autre qu’elle juge importantes;

  • c) la nécessité de maintenir des rapports convenables, quant à la rémunération et aux autres conditions d’emploi, entre les divers échelons au sein d’une même profession et entre les diverses professions au sein de la fonction publique;

  • d) la nécessité d’établir une rémunération et d’autres conditions d’emploi justes et raisonnables, compte tenu des qualifications requises, du travail accompli, de la responsabilité assumée et de la nature des services rendus;

  • e) l’état de l’économie canadienne et la situation fiscale de l’État fédéral.

 

[10] De l’avis du CT, tel qu’il est décrit en détail dans son mémoire (avec les preuves à l’appui), il n’y a pas eu, par exemple, de difficultés de recrutement et de maintien en poste. Dans ses arguments, d’après les données qu’il a présentées, les niveaux de rémunération pour le groupe TC sont appropriés pour attirer et maintenir en poste des employés et que des augmentations ou des allocations supérieures aux modèles n’étaient pas nécessaires dans aucune des classifications que l’Alliance a proposé d’ajuster à la hausse. Les salaires du groupe TC étaient très compétitifs par rapport au marché du travail extérieur et il n’y avait pas non plus de problème de relativité interne à régler. Enfin, bien que le Canada se remettait bien des dommages économiques causés par la pandémie, la situation économique était turbulente et comportait de graves problèmes, y compris la possibilité d’une récession qu’il fallait prendre en compte.

[11] Dans l’ensemble, dans la présentation du CT, il y avait des arguments solides en faveur de la restriction de la rémunération (une conclusion qui a été renforcée lorsque les demandes de l’Alliance ont été placées dans le contexte général des principales ententes salariales en vigueur dans toutes les administrations, privées et publiques, pour la période à l’étude). En termes simples, les propositions monétaires de l’Alliance pour le seul groupe TC ont été, selon le CT, chiffrées de façon prudente à environ 300 millions de dollars, soit 28,33 % de la base salariale des TC, et étaient donc incompatibles, voire contraires, à l’application appropriée des critères prévus par la loi. Elles n’étaient, en aucune façon, justes et raisonnables.

[12] Le point de vue de l’Alliance peut être décrit comme étant totalement à l’opposé de celui exprimé par le CT. Le marché du travail des employés du groupe TC était très concurrentiel – en général, le marché du travail était restreint – et il y avait des preuves manifestes de difficultés de recrutement et de maintien en poste dans de nombreuses classifications d’emplois déterminées et établies par l’Alliance. Pire encore, il y avait de nombreux exemples d’employés du gouvernement occupant des emplois pratiquement identiques, mais recevant des salaires différents, sans qu’aucune explication ne soit donnée lorsqu’on en demandait une. L’économie canadienne a non seulement rebondi, mais elle était robuste.

[13] Il fallait toutefois s’attaquer immédiatement à l’inflation, compte tenu de son effet corrosif sur les salaires des employés, ce qui se reflétait de plus en plus dans les règlements salariaux annuels à travers le Canada, tant dans les ententes négociées dans le secteur public que dans le secteur privé, des règlements qui avaient manifestement pour but de rattraper l’inflation. L’Alliance a critiqué le calcul du coût de ses propositions par le CT, soulignant que certaines hypothèses et méthodologies erronées du CT gonflaient le montant réel. Lorsque tous ces facteurs et d’autres questions pertinentes ont été pris en considération, le seul résultat approprié selon l’Alliance était de recommander l’adoption de ses propositions. À tout le moins, un rapport, même un rapport de base, devait être publié sans délai afin que la négociation puisse reprendre plus efficacement (selon l’Alliance, les diverses offres du CT dans le cadre de la négociation collective ne tenaient compte d’aucune des priorités clés de l’Alliance et ont été calculées pour attirer le rejet compte tenu de l’approche « à prendre ou à laisser » du CT).

Discussion

[14] En rédigeant notre rapport, nous devons tenir compte des facteurs a) à e) ainsi que de tout autre facteur que nous considérons pertinent. Nous en sommes arrivés à la conclusion que le moment n’était pas encore propice à des négociations collectives productives.

[15] Il est clair que les parties sont loin l’une de l’autre et ont des explications divergentes quant à cette distance. Nous en sommes arrivés à la conclusion qu’il ne serait pas particulièrement utile, dans ce contexte, de se pencher sur la granularité des propositions en suspens du groupe TC. Autrement dit, des recommandations précises sur des propositions particulières ne nous aideraient pas, à notre avis, à remplir notre mandat statutaire d’aider les parties à conclure une convention collective.

[16] La première chose qui doit se produire est que les questions communes à la Table traitant des Questions Communes doivent être résolues. Jusqu’à ce que ce processus soit terminé, les parties ne peuvent effectivement pas participer à une négociation collective complète. La présidente de la CRTESPF aurait pu refuser de nommer une CIP et aurait pu ordonner aux parties de continuer à négocier. De toute évidence, elle a conclu, comme nous, que les négociations doivent aller de l’avant. Une fois que les questions communes auront été réglées, cela fournira une architecture globale pour le règlement des autres questions à la Table des TC. Jusqu’à ce que cela se produise, les négociations se font dans le vide. La deuxième chose qui doit se produire est que les deux parties doivent cerner leurs priorités afin qu’elles puissent engager des discussions plus étroites et plus ciblées, même dans le contexte actuel où, par nécessité, l’Alliance doit avancer de nombreuses propositions compte tenu de la composition de l’unité de négociation.

[17] De l’avis de l’Alliance, la quasi-totalité des classifications du groupe TC sont sous-payées tant sur le plan de la comparabilité externe qu’interne. En outre, l’Alliance plaide en faveur de rajustements spécifiques des salaires et des allocations supplémentaires pour certaines classifications. Le CT n’est pas d’accord et il a donné certaines des raisons de ses divers désaccords dans son mémoire et à l’audience. À notre avis, ces questions doivent être traitées dans leur contexte, et ce contexte doit inclure la résolution des questions économiques communes suivies – dans le cadre d’un processus de négociation collective – d’un échange complet et franc sur la justification des propositions; un processus où les deux parties peuvent poser des questions et y répondre tout en effectuant des mouvements de compromis. Les propositions du CT doivent faire partie de ce qui, après tout, n’est rien de moins que les concessions de part et d’autre inhérentes à la libre négociation collective.

[18] Il n’échappe pas à notre attention que bon nombre des questions en suspens dans cette CIP étaient également en cause dans les CIP précédentes (ce qui renforce notre point de vue selon lequel la négociation collective libre, et non ce processus, est le meilleur moyen de régler les questions en suspens). À notre avis, une fois que les principaux éléments économiques auront été réglés, si les parties déterminent des priorités, échangent des opinions et des renseignements, puis qu’elles modèrent leurs demandes, il nous semble qu’il y ait de nombreux domaines de compromis possibles. Cela nécessitera toutefois une réinitialisation de la négociation collective – dans n’importe quelle tribune – avec un accent sur les priorités et les compromis. Nous sommes également d’avis que bon nombre des propositions d’ajustement de la classification pourraient être résolues grâce à la réforme en cours de l’évaluation des emplois, ce qui bénéficierait manifestement d’une certaine diligence compte tenu des échéanciers prévus.

 

 

Recommandations

 

  1. Nous recommandons que les vingt-cinq (25) points d’ordre administratif convenus et approuvés pendant la négociation ou la médiation fassent partie de tout règlement final négocié.

  2. Nous recommandons que, dans quelque tribune que ce soit, les parties concentrent leurs efforts sur l’identification, parmi les questions en suspens, de leurs véritables priorités et se réunissent ensuite pour négocier collectivement les résultats.

 

 

FAIT à Toronto ce 13e jour de janvier 2023.

 

« William Kaplan »

 

William Kaplan, président

 

« Lynn Harnden »

 

Lynn Harnden, personne désignée du CT

 

« Gary Cwitco »

 

Gary Cwitco, personne désignée de l’Alliance

 

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