Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée était une agente correctionnelle – elle a présenté un grief concernant une suspension de 15 jours sans solde – elle n’a pas effectué correctement les rondes de sécurité – elle n’a pas bien rempli ses fonctions de surveillance accrue du risque de suicide – elle n’a pas signalé qu’un autre agent correctionnel était endormi ou allongé au moment de remplir les fonctions de surveillance accrue du risque de suicide – la Commission a conclu que l’employeur a établi certaines des allégations d’inconduite – la Commission a conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée n’avait pas effectué ses rondes de sécurité conformément à la procédure appropriée – la Commission a conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée n’avait pas maintenu une observation constante et directe d’un détenu faisant l’objet d’une surveillance accrue du risque de suicide – la Commission a conclu que l’employeur n’a pas prouvé que le collègue de la fonctionnaire s'estimant lésée était endormi ou allongé, et que cette présumée inconduite n’était donc pas fondée – la Commission a conclu que la suspension n’était pas excessive dans les circonstances – la gravité des infractions, impliquant la santé et la sécurité des détenus, était le critère le plus important – la fonctionnaire s’estimant lésée n’a pas fait preuve de remords ou de compréhension quant à la gravité de son inconduite pendant le processus disciplinaire et l’audience – la Commission a conclu que la gravité de l’inconduite aurait pu justifier une sanction beaucoup plus sévère.

Grief rejeté.

Contenu de la décision

Date : 20221222

Dossier : 566-02-14845

 

Référence : 2022 CRTESPF 103

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

ENTRE

 

Daphne Desjarlais

fonctionnaire s’estimant lésée

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(Service correctionnel du Canada)

 

défendeur

Répertorié

Desjarlais c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : John G. Jaworski, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée : Corinne Blanchette, Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN (UCCO-SACC-CSN)

Pour le défendeur : Marie-France Boyer, avocate

Affaire entendue à Abbotsford, en Colombie-Britannique,

et par vidéoconférence

du 19 au 22 novembre 2019, et les 3 et 4 août 2021.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1] Daphne Desjarlais, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), est employée par le Conseil du Trésor (l’« employeur ») et travaille pour le Service correctionnel du Canada (SCC) en tant qu’agente correctionnelle, un poste classifié au groupe et au niveau CX-2, à l’Établissement de Mission (EM) situé à Mission, en Colombie-Britannique, dans la région du Pacifique du SCC.

[2] Dans les établissements pour femmes du SCC, les agents de groupe et de niveau CX-2 sont considérés comme des intervenants de première ligne (IPL).

[3] Les faits à l’origine de la présente affaire se sont produits lorsque la fonctionnaire travaillait comme IPL à l’Établissement d’Edmonton pour femmes (EEF ou l’« Établissement ») situé à Edmonton, en Alberta, dans la région des Prairies du SCC, pendant un quart de nuit, soit la nuit du 22 au 23 janvier 2017. La fonctionnaire a été mutée à l’EM peu après les faits à l’origine du grief.

[4] Par une lettre datée du 19 octobre 2017 (la « lettre disciplinaire »), la fonctionnaire s’est vu imposer une suspension disciplinaire de 15 jours par Brooke Kassen, le directeur intérimaire de l’EM. Les passages pertinents de la lettre sont reproduits ci-dessous :

[Traduction]

[…]

Le 22 juin 2017, nous nous sommes rencontrés dans le cadre d’une audience disciplinaire, en présence de [nom omis], votre représentante syndicale et de [nom omis], conseillère en relations de travail de l’Établissement de Mission. L’audience était destinée à vous permettre de clarifier les faits entourant les événements du 23 janvier 2017 et de me faire part de toute circonstance atténuante que vous souhaitiez voir prise en compte, avant de rendre une décision disciplinaire. Au cours de notre rencontre, vous avez confirmé avoir passé en revue à la fois le rapport disciplinaire rédigé le 20 mars 2017 et les séquences vidéo correspondantes du quart de travail en question. Vous avez fait part de préoccupations spécifiques concernant les heures des contrôles de sécurité auxquels le CE [comité d’enquête] fait référence dans le rapport, votre passage, dans le cadre du processus d’enquête, du statut de témoin à celui d’objet de l’enquête, et la conclusion du CE selon laquelle vous n’étiez pas un témoin crédible.

Vous avez également exprimé des préoccupations concernant les inexactitudes contenues dans le rapport, en particulier les conclusions du CE figurant à la page 18 du rapport, comme indiqué ci-dessous, qui, selon vous, sont « complètement erronées ».

« À 03:16:42, l’IPL Desjarlais saisit son livre posé sur la table. À partir de ce moment, on observe que l’IPL DESJARLAIS lit, tournant à intervalles réguliers une page du livre jusqu’à 04:04:30, moment auquel il semble qu’elle consigne une entrée sur la feuille de registre (Annexe E4). Cette situation se poursuit jusqu’à 06:51, heure à laquelle une autre IPL entre dans l’unité. Ce n’est qu’à 07:07:30 que l’IPL DESJARLAIS s’est approchée de la cellule de la détenue [nom caviardé]. De 03:09:30 à 07:07:30, l’IPL DESJARLAIS n’a pas maintenu une observation directe et constante de la détenue [nom caviardé]. »

Après avoir visionné la séquence vidéo avec votre représentante syndicale à Edmonton, vous avez indiqué que vous n’aviez pas relevé des lacunes dans l’exercice de vos fonctions. Au cours de l’audience disciplinaire, vous avez expliqué que votre conduite était « impeccable », à l’exception d’une quarantaine de secondes pendant lesquelles vous étiez dos à la détenue. Au cours de notre rencontre, vous avez fourni une copie d’un courriel envoyé à la directrice Lee Anne Skene le 24 février 2017, dans lequel vous assumez la responsabilité de vos actes durant cette période.

Le processus d’enquête a eu lieu dans la région des Prairies et la directrice Brigitte Bouchard a accepté l’enquête telle qu’elle a été rédigée, dans laquelle le CE a constaté ce qui suit :

- Les rondes de sécurité n’ont pas été effectuées conformément à la DC 566-4, Dénombrements et patrouilles de sécurité.

- La tâche de surveillance accrue de la détenue [nom caviardé], qui présente un risque de suicide, n’a pas été exécutée conformément à la DC 843, Gestion des comportements d’automutilation et suicidaires chez les détenus.

J’ai examiné à la fois la séquence vidéo et le rapport du CE, qui fait état de plusieurs moments au cours desquels la manière dont la tâche d’observation de la détenue a été exercée était inadmissible. Les pages 17 et 18 du rapport du CE mentionnent tout particulièrement les éléments suivants :

- Entre 02:20 et 02:29, vous avez observé la détenue [nom caviardé] sous un angle de 90 degrés en tenant un livre.

- De 02:29 à 02:56:09, vous avez discuté avec une collègue de travail, debout ou accroupie près du matelas; l’une ou l’autre de ces positions permettait d’observer directement la détenue [nom caviardé].

- De 03:09:30 à 03:11:30, vous avez été observée en train de ranger des objets dans l’unité de sécurité, dos à la fenêtre de la détenue [nom caviardé].

- De 03:11:30 à 03:16:42, vous avez effectué votre tâche d’observation de la détenue assise sur une chaise située dans un angle et à environ 4 mètres de la porte de la détenue [nom caviardé], les jambes étendues sur une autre chaise.

- De 03:16:42 à 06:51, vous avez été observée en train de lire, tournant régulièrement les pages. Il faut attendre 07:07:30 avant de vous voir vous approcher de la cellule de la détenue [nom caviardé].

Agente Desjarlais, je m’attends à ce que les membres du personnel soient assis directement en face de la fenêtre d’observation, qu’ils soient concentrés et qu’ils observent le détenu en tout temps lorsqu’ils effectuent leur tâche de surveillance accrue du risque de suicide. Au cours de l’audience disciplinaire, vous avez réfuté la conclusion selon laquelle vous lisiez un livre pendant l’exercice de vos fonctions, indiquant que c’était le dossier de la détenue qui était en votre possession. À titre de facteur atténuant, vous avez expliqué que la chaise haute qui vous a été fournie à l’EEF pour effectuer votre tâche de surveillance accrue du risque de suicide de la détenue [nom caviardé] était inconfortable et n’était pas ergonomique. Cela a entraîné un inconfort qui a été exacerbé par les lourdes bottes que vous devez porter en tant qu’agente correctionnelle. Aucune autre information n’a été fournie qui expliquerait ou justifierait de quelque manière que ce soit la manière cavalière décrite ci-dessus avec laquelle vous avez exercé vos fonctions le 23 janvier 2017. Je considère que votre conduite est inacceptable compte tenu des exigences de la Directive du commissaire 843 du Service correctionnel du Canada, Gestion des comportements d’automutilation et suicidaires chez les détenus.

Votre manque de vigilance et votre inaction à l’égard du comportement de votre collègue qui exerçait sa tâche en position horizontale sur un matelas sont préoccupants. Au cours de l’audience disciplinaire, vous avez déclaré avoir conseillé votre collègue sur les conséquences de ses actes, mais vous avez rejeté toute responsabilité quant à la nécessité de signaler l’incident, en déclarant que vous « ne saviez pas si elle avait des problèmes de dos ». Je n’accepte pas l’explication donnée; il est déraisonnable de supposer qu’il s’agissait d’une mesure soutenue par la direction pour répondre aux besoins ergonomiques d’un membre du personnel. Je m’attends à ce que, si vous voyez un membre du personnel exercer des fonctions d’une manière qui compromet la sécurité de l’établissement, vous signaliez l’incident à la direction.

Sur la base de ce qui précède, j’ai déterminé que votre conduite vous a amenée à enfreindre la section suivante des Normes de conduite professionnelle et du Code de discipline (DC 060) :

Première norme – Responsabilité dans l’exécution des tâches

• omet de respecter ou d’appliquer une loi, un règlement, une directive du commissaire, un ordre permanent ou une autre directive quelconque ayant trait à ses fonctions;

• omet de prendre les mesures voulues ou néglige ses fonctions d’agent de la paix d’autres façons;

• exerce ses fonctions de façon négligente et par ce fait, soit directement ou indirectement, met en danger un autre employé du SCC ou une autre personne quelconque ou cause des blessures ou la mort;

J’estime qu’en tant qu’agente correctionnelle de la fonction publique fédérale ayant reçu une formation complète et possédant plus de cinq (5) ans d’expérience au sein du Service correctionnel du Canada, il est plus que raisonnable de s’attendre à ce que vous compreniez et respectiez toutes les politiques, y compris les directives du commissaire, les consignes de poste et les ordres permanents dans l’exercice de vos fonctions. La tâche principale d’un agent correctionnel et du Service correctionnel du Canada est de préserver la vie. Je m’attends à ce que tous les membres du personnel s’acquittent de leurs fonctions avec diligence, conformément à la politique; cela est particulièrement important pour les détenus placés sous surveillance accrue du risque de suicide compte tenu de leur propension accrue à vouloir se mutiler ou se suicider.

[…]

 

[5] Le 6 novembre 2017, la fonctionnaire a déposé un grief contre sa suspension disciplinaire, dans lequel elle demande les réparations suivantes :

[Traduction]

[…]

Je demande que cette mesure disciplinaire soit annulée et je demande à être remboursée.

Je demande que toute mention de cette mesure disciplinaire soit retirée de mon dossier.

Je demande à être indemnisée pour les possibilités d’heures supplémentaires perdues ainsi que pour les primes de quart, les primes de fin de semaine, les heures de remplacement et les crédits de congé (le cas échéant);

Je demande des intérêts sur les montants qui me sont dus;

Je demande un ajustement de ma pension et de mon RPC à la suite de cette mesure;

Je demande que ce grief soit transmis directement au deuxième palier, car les gestionnaires délégués pour répondre au premier palier n’ont pas le pouvoir d’annuler la décision du directeur.

[…]

 

[6] Le grief a été rejeté au cours de la procédure de règlement des griefs, et il a été renvoyé à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») pour arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). L’audience a débuté en personne à Abbotsford, en Colombie-Britannique, et, en raison de la pandémie de COVID-19, s’est terminée par vidéoconférence.

II. Résumé de la preuve

A. Contexte

[7] Les faits qui constituent l’inconduite de la fonctionnaire et qui ont conduit à imposer à celle-ci une mesure disciplinaire se sont produits le matin du 23 janvier 2017 (le « 23 janvier ») dans l’unité d’isolement, parfois appelée unité sécurisée ou unité sécurisée d’isolement de l’EEF. Par souci de simplicité, j’emploierai l’expression « unité d’isolement ».

[8] Une détenue (la « détenue A » aux fins de la présente décision) a été désignée comme présentant un risque élevé d’automutilation et de suicide et a été placée sous surveillance accrue du risque de suicide (SARS) à partir de 17 h environ le 20 janvier 2017, jusqu’à 14 h le 23 janvier. Pendant cette période, elle se trouvait dans la cellule située immédiatement après l’entrée de l’unité d’isolement de l’EEF, soit la cellule no 182.

[9] La SARS est parfois désignée dans la preuve comme la « surveillance accrue ».

[10] Au moment où elle s’est vu imposer la mesure disciplinaire, la fonctionnaire comptait environ six ans de service auprès de l’employeur au sein du SCC. Elle a rejoint le SCC en 2011 et travaillait alors à l’administration régionale de la région du Pacifique. Elle a témoigné qu’après un peu plus de deux ans passés à occuper différents postes au sein du SCC, elle a reçu une offre pour un poste d’IPL à l’EEF. La fonctionnaire mesure 5 pieds et 6 pouces.

[11] Au moment de l’audience, M. Kassen était le directeur de l’Établissement de la vallée du Fraser pour femmes, mais il était en affectation comme directeur de l’Établissement du Pacifique. Les deux établissements sont situés dans la région du Lower Mainland en Colombie-Britannique, dans la région du Pacifique du SCC. En juin 2017, il était le directeur par intérim de l’EM.

[12] Au moment de l’audience et au moment où la fonctionnaire a reçu la lettre disciplinaire, Shawn Huish était le directeur de l’EM.

[13] Au moment de l’audience et des faits pertinents au grief, Lee Anne Skene était la sous-directrice du Pénitencier de la Saskatchewan, un établissement à sécurité maximale pour hommes situé à Prince Albert, en Saskatchewan, dans la région des Prairies du SCC. En février 2017, elle était la directrice intérimaire de l’EEF.

[14] Au moment de l’audience, Henry Shea était le directeur adjoint des opérations (DAO) à l’Établissement de Kent, un établissement à sécurité maximale pour hommes situé dans la vallée du Fraser, dans l’ouest de la Colombie-Britannique, dans la région du Pacifique du SCC. Aux moments pertinents pour les questions faisant l’objet du grief, il était le DAO de l’EEF.

[15] Au moment de l’audience et au moment des faits pertinents au grief, Janice Marghella était gestionnaire correctionnelle (GC) à l’EEF.

[16] Au moment de l’audience, Mark Anderson était à la retraite. Avant de prendre sa retraite, il travaillait au SCC depuis le mois de mars 1981, où il a occupé différentes fonctions. Il a notamment occupé des postes de groupe et de niveau CX-1, CX-2, a été gestionnaire correctionnel et a occupé les postes de directeur adjoint et de sous‑directeur.

[17] Au moment de l’audience et depuis 2005, Danisa Jara était une IPL de groupe et de niveau CX-2 à l’EEF. Aux moments pertinents pour le grief, elle était également la présidente de la section locale du syndicat.

[18] À l’époque des faits pertinents au grief, Grace Scott était une IPL de groupe et de niveau CX-2 à l’EEF; elle effectuait le même quart de travail que la fonctionnaire et interagissait avec elle. Mme Scott s’est également vu imposer une mesure disciplinaire pour son inconduite présumée relative à ses actions lors de la surveillance de la détenue A entre 23 h le 22 janvier 2017 (le « 22 janvier ») et 7 h le 23 janvier dans l’unité d’isolement de l’EEF. Elle a également déposé un grief concernant la mesure disciplinaire, qui a fait l’objet d’une audience d’arbitrage distincte devant moi et d’une décision distincte.

[19] Au moment de l’audience, Steven Loeb était gestionnaire de la prestation des programmes au Centre d’apprentissage et de développement correctionnel du SCC. Il a rejoint le SCC en 1995 en tant que CX-1 et a ensuite occupé un poste de groupe et de niveau CX-2 aux Établissements de Kent et de Mountain, qui font partie de la région du Pacifique du SCC.

[20] Au moment de l’audience et depuis le mois de mars 2019, Jeffery Robinson était un IPL de groupe et de niveau CX-2 à l’Établissement pour femmes Grand Valley (EFGV) à Kitchener, en Ontario. De novembre 2013 à mars 2019, il était un IPL de groupe et de niveau CX-2 à l’EEF; il effectuait le même quart de travail que la fonctionnaire et interagissait avec elle.

[21] Au moment de l’audience, Phoebe Zhong était IPL à l’EFGV. Elle l’a intégré en 2019 après avoir quitté l’EEF, où elle travaillait depuis 2014.

[22] Au moment de l’audience, Lesya Sorokopud était assistante technique à Innovation, Sciences et Développement économique Canada. Entre janvier 2015 et septembre 2017, elle était IPL à l’EEF du SCC.

[23] Au moment de l’audience, Tina Greyeyes était agente de programmes correctionnels au SCC. Entre 2009 et 2020, elle était IPL du SCC à l’EEF.

[24] Au moment de l’audience et depuis le mois d’août 1996, Sandra Bellerose était une IPL de groupe et de niveau CX-2 à l’EEF.

[25] Une copie d’un rapport d’enquête disciplinaire daté du 20 mars 2017 (le « rapport d’enquête »), rédigé par M. Anderson et Maria Popiwchak (dont le poste ne m’a pas été précisé), concernant l’inconduite présumée de la fonctionnaire et de Mme Scott, a été déposée à titre de preuve.

[26] L’enquête disciplinaire portait à l’origine sur la conduite de Mme Scott et a été ouverte par Belinda Cameron, en sa qualité de directrice intérimaire, par un ordre de convocation rendu le 8 février 2017, après qu’une note anonyme eut été portée à son attention La note indiquait ce qui suit : [traduction] « Grace Scott, chargée d’effectuer une surveillance accrue le samedi soir, a dormi recroquevillée dans une couverture et allongée sur un matelas dans la rangée » (la « note anonyme »). L’enquête initiale concernant Mme Scott a finalement été élargie pour y inclure la fonctionnaire.

[27] Par une note de service datée du 8 février 2017, Mme Cameron a avisé M. Anderson et Mme Popiwchak de leur mandat à l’égard de l’enquête, en leur envoyant une copie de l’ordre de convocation daté du 8 février 2017. Dans le cadre des instructions données à M. Anderson et Mme Popiwchak, Mme Cameron a indiqué ce qui suit : [traduction] « [...] si, au cours de l’enquête, vous constatez une autre inconduite qui diffère considérablement de l’inconduite faisant l’objet de l’enquête, vous êtes tenus de communiquer avec moi pour demander un ordre de convocation modifié à cet égard. »

[28] Le 21 février 2017, Mme Skene, en sa qualité de directrice intérimaire de l’EEF, a modifié l’ordre de convocation du 8 février 2017 en élargissant son mandat afin que celui-ci puisse couvrir la conduite de la fonctionnaire pendant le quart de travail du 23 janvier, lors duquel la fonctionnaire avait également à effectuer la surveillance accrue de la détenue A.

[29] M. Shea a témoigné que l’agent de renseignements de sécurité (ARS) de l’EEF a porté à son attention la note anonyme. Cela l’a amené à examiner l’horaire de la fonctionnaire et à déterminer la plage horaire à laquelle elle aurait été chargée d’effectuer une surveillance accrue le 23 janvier. Il a déterminé la plage en question, puis a examiné les vidéos de la rangée de l’unité d’isolement. Il a ensuite enregistré et sécurisé les vidéos de celle-ci et celles de la cellule no 182, où se trouvait la détenue A.

[30] L’unité d’isolement se compose d’une zone dans laquelle se trouvent le poste de contrôle de l’unité d’isolement (PCUI), une rangée (la « rangée ») et quatre cellules. La rangée peut s’apparenter au couloir d’une maison qui permet d’accéder aux différentes pièces. Dans le cas de l’unité d’isolement, les pièces sont les cellules, dont les portes donnent sur la rangée. La rangée elle-même est séparée du reste de l’établissement par une porte verrouillée (la « porte de la rangée »). Elle est située à une extrémité de l’unité. En parcourant du regard la rangée, on peut voir le PCUI, qui est adjacent à la porte de la rangée et situé à gauche de celle-ci. Le PCUI dispose de fenêtres qui donnent sur la rangée et permet d’avoir une vue sur les portes des cellules. Lorsque l’on se tient à la porte de la rangée et que l’on parcourt du regard la rangée, les cellules se trouvent à droite. Il y a quatre cellules. Dès que vous pénétrez dans la rangée, immédiatement à droite, avant la première cellule, se trouve la douche de l’unité d’isolement (la « douche »). Après la douche se trouve la première cellule, dans laquelle la détenue A était placée, soit la cellule no 182.

[31] M. Shea a témoigné que deux caméras se trouvent à chaque extrémité de la rangée de l’unité d’isolement, dans les coins supérieurs, et que toutes les cellules de l’unité sont équipées d’une caméra. Il a déclaré que les séquences vidéo sont conservées sur un serveur pendant une période de 30 jours, après quoi, si elles n’ont pas été enregistrées (téléchargées), elles sont écrasées par de nouvelles séquences plus récentes. Il a déclaré que seuls son bureau et celui de l’ARS ont accès au serveur et aux vidéos. M. Shea a témoigné des mesures de sécurité mises en place pour garantir que les vidéos ne soient pas altérées. Rien ne prouve que les vidéos produites à l’audience n’étaient pas authentiques.

[32] Deux vidéos ont été déposées à titre de preuves. La première a été prise par la caméra située à l’intérieur de la cellule de la détenue A (la « vidéo de la cellule ») et la seconde par la caméra située à l’arrière de la rangée (la « vidéo de la rangée »). Les deux séquences vidéo ont été enregistrées à partir de 23 h 58 min 00 s le 22 janvier. Les séquences sont accompagnées d’un enregistrement continu de l’heure qui indique l’heure en heures, minutes, secondes et millisecondes; cependant, dans les présents motifs, lorsque je ferai référence à l’heure de la vidéo, je me référerai uniquement aux heures, minutes et secondes, dans le format suivant : 00:00:00.

[33] Aux fins de la présente audience et de l’audience du grief de Mme Scott, Mme Marghella a pris des mesures et élaboré un schéma des parties pertinentes de la rangée et de l’emplacement des objets dans la rangée à proximité de la cellule no 182 nécessaires pour comprendre les allégations d’inconduite et le déroulement des événements. Le schéma a été identifié par Mme Marghella et déposé à titre de preuve. Les éléments pertinents pour la compréhension de la présente décision sont les suivants :

• la rangée est un long rectangle;

• lorsque l’on entre dans la rangée et que l’on parcourt celle-ci du regard depuis la porte de la rangée, les cellules se trouvent toutes sur le côté droit;

• immédiatement à gauche de la porte de la rangée se trouve une partie du PCUI, qui empiète un peu sur la rangée et possède une fenêtre qui donne à la fois sur la rangée et sur les portes des cellules;

• en remontant la rangée et en dépassant la partie du PCUI qui empiète sur la rangée, l’extrême gauche de la rangée consiste en un mur de béton (le « mur du fond ») et est parallèle aux cellules de l’unité d’isolement;

• la distance entre les portes des cellules de l’unité d’isolement et le mur du fond est de 149 pouces (ou de 12 pieds et 5 pouces);

• immédiatement adjacente à la porte de la rangée, et entre celle-ci et la cellule no 182, se trouve la douche;

• à peu près au milieu de la rangée se trouvent une table rectangulaire (la « table de la rangée ») fixée au sol et 6 tabourets, 3 de chaque côté de table, qui semblent être fixés soit à la table soit au sol;

• une caméra se trouve dans la rangée (la « caméra de la rangée ») et, si l’on se tient à la porte de la rangée et qu’on parcourt la rangée du regard, la caméra est située dans le coin supérieur gauche du mur du fond de la rangée. Le champ de cette caméra couvre les 4 cellules.

 

[34] La caméra de la rangée filme la rangée, de l’extrémité de l’unité d’isolement jusqu’à la partie avant de celle-ci. Lorsque l’on visionne la vidéo de la rangée, les portes des cellules se trouvent sur le côté gauche, la dernière cellule de la rangée est la première sur le côté gauche, tandis que la cellule n182 est la dernière cellule sur le côté gauche. Le mur du fond de la rangée se trouve sur le côté droit. Au milieu de la séquence filmée, on peut voir la porte de la rangée et, à sa droite, le PCUI qui empiète sur la rangée.

[35] Un IPL est posté dans le PCUI et contrôle l’accès à la rangée jusqu’à un moment où les lumières sont éteintes pour la nuit, moment où la porte de la rangée est déverrouillée. Il ne m’a pas été indiqué à quel moment elle est à nouveau verrouillée.

[36] Le schéma de Mme Marghella présente également les spécificités de la porte de la cellule no 182 et ses dimensions, qui sont les suivantes :

• elle est d’une largeur de 36 pouces (3 pieds);

• elle est d’une hauteur de 84 pouces (7 pieds);

• elle est dotée de deux fenêtres qui permettent de voir à l’intérieur de la cellule, une située sur la partie supérieure de la porte et une autre sur la partie inférieure, lesquelles sont séparées par une ouverture destinée à la distribution de nourriture;

• les deux fenêtres sont de même dimension, soit d’une largeur de 23 pouces et d’une hauteur de 25 pouces (presque 2 pieds carrés);

• l’espace qui sépare la fenêtre inférieure du sol est de 11 pouces;

• 36 pouces (3 pieds) séparent le sol de la limite supérieure de la fenêtre inférieure;

• 40 pouces et demi séparent le sol de la limite inférieure de l’ouverture destinée à la distribution de nourriture;

• l’écart entre la limite supérieure de la fenêtre inférieure et la limite inférieure de l’ouverture destinée à la distribution de nourriture est de 4 pouces et demi;

• l’écart entre la limite inférieure et la limite supérieure de l’ouverture destinée à la distribution de nourriture est de 6 pouces;

• l’écart entre la limite supérieure de l’ouverture destinée à la distribution de nourriture et la limite inférieure de la fenêtre supérieure est de 5 pouces;

• l’écart entre la limite supérieure de la fenêtre supérieure et la limite supérieure de la porte est de 7 pouces et demi.

 

[37] Bien que le schéma n’indique pas les mesures des espaces compris entre les bords de la porte et les bords des fenêtres, il ressort des vidéos que les fenêtres sont placées au centre de la porte, de gauche à droite.

[38] La cellule no 182 est peu spacieuse. Je n’avais pas de dimensions pour elle; cependant, en se basant sur le fait qu’elle contient un lit sur lequel une personne doit pouvoir s’allonger, la cellule semble, d’après les vidéos, mesurer au minimum plus de 6 pieds si on la mesure de la porte au mur du fond. Si l’on se tient à l’extérieur de la cellule et que l’on regarde par la fenêtre, le lit est adjacent au côté droit du mur et est perpendiculaire au côté de la cellule où se trouve la porte. Il est fixé au sol et semble fixé contre le mur qui est partagé avec la douche. L’extrémité du lit la plus proche de la porte de la cellule, d’après la taille de tous les éléments apparaissant dans les vidéos, semble être située à une distance d’au moins 3 pieds à 3 pieds et demi de la porte de la cellule.

[39] Lorsque l’on se tient devant la porte de la cellule et que l’on regarde à l’intérieur, la caméra vidéo se trouvant à l’intérieur de la cellule est située au fond de celle-ci, dans le coin supérieur gauche. Si l’on visionne la séquence vidéo de la cellule, la porte de la cellule se trouve plus à droite de l’écran, tandis que du côté gauche et au milieu, on aperçoit largement le lit sur lequel la détenue A est allongée. La détenue A dormait sur le lit, la tête posée sur la partie du lit située au fond de la cellule, c’est-à-dire la partie plus éloignée de la porte, et les pieds sur la partie du lit la plus près de la porte.

[40] M. Anderson a témoigné des étapes que lui et Mme Popiwchak ont suivies pour mener leur enquête, notamment la collecte et l’examen des documents pertinents, y compris la vidéo de la rangée et la vidéo du téléphone cellulaire (qu’il a déclaré avoir reçue de M. Shea) et les entrevues de différentes personnes, dont celle de la fonctionnaire. Les deux vidéos ont été visionnées à l’audience et, à quelques reprises, l’avocat de l’employeur et la représentante de la fonctionnaire ont posé des questions à M. Anderson sur ce qui se passait dans les vidéos et sur les éléments consignés dans le rapport d’enquête. M. Anderson a témoigné avoir effectué une visite de l’unité d’isolement à deux reprises, soit le 15 février 2017 et le 20 février 2017.

[41] J’ai examiné les enregistrements vidéo dans leur intégralité.

B. Lois, règlements, directives du commissaire, politiques et procédures du SCC pertinents et description du travail d’un IPL

[42] Dans de nombreux documents du SCC, les détenus sont souvent désignés comme « délinquants ».

[43] La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (L.C. 1992, ch. 20; la « LSCMLC ») est la loi qui régit les services correctionnels ainsi que la mise en liberté sous condition et la détention de personnes (détenus). C’est la loi qui régit le SCC. En vertu de la LSCMLC, le Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (DORS/92-620) a été adopté, et son article 3 prévoit ce qui suit :

3 L’agent doit :

3 Every staff member shall

a) bien connaître la Loi et le présent règlement ainsi que les directives écrites d’orientation générale qui concernent ses fonctions;

(a) be familiar with the Act, these Regulations and every written policy directive that relates to the staff member’s duties;

b) exercer ses fonctions avec impartialité et diligence, conformément aux principes énoncés dans la Loi et dans le document intitulé Mission du Service correctionnel du Canada, publié par le Service, compte tenu de ses modifications éventuelles;

(b) perform the staff member’s duties impartially and diligently and in accordance with the principles set out in the Act and in the Mission of the Correctional Service of Canada, published by the Service, as amended from time to time…

[…]

 

 

[44] Une copie de la Directive du commissaire (DC) 060 Code de discipline (le « Code »), qui était en vigueur au moment de l’inconduite et de l’imposition de la mesure disciplinaire, a été déposée à titre de preuve. Les parties pertinentes de cette DC sont les suivantes :

[…]

OBJECTIF DE LA POLITIQUE

1. Établir des normes de conduite rigoureuses pour les

employés du Service.

RESPONSABILITÉS GÉNÉRALES

[…]

3. Il incombe aux employés du Service de respecter les Règles de conduite professionnelle. Des règles de conduite professionnelle découle un certain nombre de règles précises que doivent observer les employés du Service correctionnel du Canada. Une liste d’exemples d’infractions est présentée sous chaque règle précise. Ces listes ne sont pas exhaustives.

4. On s’attend aussi à ce que chacun des employés du Service connaisse et respecte les lois, règlements et politiques auxquels est assujetti le personnel du SCC ainsi que les instructions et directives du Service.

RÈGLES DE CONDUITE PROFESSIONNELLE

Responsabilité dans l’exécution des tâches

5. Les employés doivent avoir une conduite qui rejaillit positivement sur la fonction publique du Canada, en travaillant ensemble pour atteindre les objectifs du Service correctionnel du Canada. Ils s’acquitteront de leurs tâches avec diligence et compétence, et en ayant soin de respecter les valeurs et les principes décrits dans le document sur la Mission, ainsi que les politiques et procédures établies dans la législation, les directives, les guides et autres documents officiels. Les employés sont obligés de suivre les instructions de leurs superviseurs et de tout autre employé responsable du lieu de travail. Ils doivent également servir le public avec professionnalisme, courtoisie et promptitude.

Infractions

6. Commet une infraction l’employé qui :

a. omet de consigner ses présences ou celles d’un autre employé, ou les consigne de façon frauduleuse;

b. se présente en retard au travail ou ne s’y présente pas, ou quitte son lieu de travail sans autorisation;

c. cherche à obtenir, ou obtient, frauduleusement les documents nécessaires pour recevoir l’approbation d’un congé;

d. refuse de témoigner ou de présenter des preuves lors d’une enquête effectuée selon les lois du Parlement ou lors de toute enquête officielle que prévoit la Directive du commissaire 041 – Enquêtes sur les incidents, ou fait obstruction à ladite enquête, ou nuit à son déroulement de toute autre façon;

[…]

f. omet de prendre les mesures voulues ou néglige ses fonctions d’agent de la paix d’autres façons;

g. omet de respecter ou d’appliquer une loi, un règlement, une directive du commissaire, un ordre permanent ou une autre directive quelconque ayant trait à ses fonctions;

[…]

j. volontairement ou par négligence, fait ou signe une fausse déclaration ayant trait à l’exercice de ses fonctions;

[…]

l. omet de signaler à un supérieur tout objet interdit trouvé en la possession d’un autre employé, d’un délinquant ou d’un membre du public;

m. exerce ses fonctions de façon négligente et par ce fait, soit directement ou indirectement, met en danger un autre employé du Service ou une autre personne quelconque ou cause des blessures ou la mort;

[…]

Conduite et apparence

7. Le comportement des employés, qu’ils soient de service ou non, doit faire honneur au Service correctionnel du Canada et à la fonction publique. Tous les employés doivent se comporter d’une façon qui projette une bonne image professionnelle, tant par leurs paroles que par leurs actes. De même, lorsqu’ils sont de service, leur apparence et leurs vêtements doivent refléter leur professionnalisme et être conformes aux normes de santé et de sécurité au travail.

Infractions

8. Commet une infraction l’employé qui :

a. présente une apparence et/ou un comportement indigne d’un employé du Service lorsqu’il est de service ou en uniforme;

[…]

c. se conduit d’une manière susceptible de jeter le discrédit sur le Service, qu’il soit de service ou non;

[…]

g. consomme de l’alcool ou d’autres substances intoxicantes pendant qu’il est de service;

h. se présente au travail en état d’ébriété ou inapte à remplir ses fonctions parce qu’il a consommé de la drogue ou de l’alcool;

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[45] La DC 843 a pour titre Gestion des comportements d’automutilation et suicidaires chez les détenus; et les parties pertinentes de cette DC sont les suivantes :

[…]

PROCÉDURE D’ATTRIBUTION D’UN NIVEAU D’OBSERVATION DE LA SURVEILLANCE DU RISQUE DE SUICIDE

Dépistage du risque de suicide

6. Tous les détenus feront l’objet d’un dépistage à l’aide de la Liste de contrôle des besoins immédiats – Risque de suicide, conformément à la DC 705-3 – Entrevues sur les besoins immédiats et à l’admission.

7. En plus des exigences énoncées dans la DC 705-3 – Entrevues sur les besoins immédiats et à l’admission, la Liste de contrôle des besoins immédiats – Risque de suicide sera utilisée :

a. dans les 24 heures suivant l’arrivée du détenu à un nouvel établissement

b. au moment du placement du détenu en isolement préventif

c. par tout employé, autre que le personnel de soins de santé, qui intervient auprès du détenu lorsqu’il y a des motifs de croire que celui-ci peut présenter un risque de suicide et qu’un professionnel de la santé mentale n’est pas immédiatement disponible, y compris lorsque le détenu revient à l’établissement depuis un tribunal extérieur ou lorsque le motif de son placement en isolement préventif change.

8. S’il y a des motifs de croire que le détenu pose un risque imminent de tentative de suicide, l’employé contactera immédiatement un professionnel de la santé mentale et le gestionnaire correctionnel de service. Le professionnel de la santé mentale attribuera un niveau d’observation fondé sur une évaluation en personne. Si aucun professionnel de la santé mentale n’est disponible, le gestionnaire correctionnel de service placera immédiatement le détenu sous surveillance accrue, et ce dernier sera évalué par un professionnel de la santé mentale le plus rapidement possible, mais dans les 24 heures.

9. L’aiguillage vers un professionnel de la santé mentale (au moyen du formulaire Renvoi aux Services de psychologie/santé mentale en établissement, CSC/SCC 0450) doit être consigné dans le Registre des interventions.

Niveaux d’observation de la surveillance du risque de suicide (surveillance accrue du risque de suicide, surveillance modifiée du risque de suicide et surveillance de la santé mentale)

10. Un détenu qui, selon son évaluation, nécessite une surveillance accrue ou modifiée du risque de suicide :

a. sera placé dans une cellule d’observation

b. sera soumis à une évaluation de son état de santé mentale, en personne, par un professionnel de la santé mentale dans un délai de 24 heures; la fréquence des évaluations ultérieures sera établie par un professionnel de la santé mentale. Le professionnel de la santé mentale examinera le Rapport sur l’observation de l’isolement et de la contrainte (CSC/SCC 1006) en incorporant tout renseignement pertinent dans l’évaluation et y apposera ses initiales

c. recevra la visite quotidienne d’un membre du personnel infirmier, conformément à la DC 800 – Services de santé (section sur l’isolement préventif).

11. Les détenus placés sous surveillance accrue du risque de suicide seront sous l’observation directe constante d’un agent correctionnel/intervenant de première ligne (ou d’un professionnel de la santé mentale dans les centres régionaux de traitement). La surveillance par caméra seulement est interdite.

[…]

13. L’agent correctionnel/intervenant de première ligne (ou le professionnel de la santé mentale, le cas échéant) consignera les activités du détenu dans le Rapport sur l’observation de l’isolement et de la contrainte (CSC/SCC 1006), selon les besoins, mais au moins toutes les 15 minutes.

[…]

15. Le professionnel de la santé mentale remplira le Formulaire d’observation de la surveillance accrue du risque de suicide (CSC/SCC 1434), le Formulaire d’observation de la surveillance modifiée du risque de suicide (CSC/SCC 1435) ou le Formulaire de surveillance de la santé mentale (CSC/SCC 1436). Une copie sera remise au gestionnaire correctionnel de service, qui veillera à ce que les employés qui interagissent régulièrement avec le détenu pendant tous les quarts de travail y aient accès. Si le détenu fait l’objet d’un Plan de gestion interdisciplinaire (CSC/SCC 1432) actif, les formulaires d’observation de la surveillance du risque de suicide ne sont pas requis.

[…]

Surveillance accrue du risque de suicide

17. Un détenu qui présente un risque imminent de comportement suicidaire ou d’automutilation est placé sous surveillance accrue du risque de suicide.

18. Le détenu placé sous surveillance accrue du risque de suicide recevra à tout le moins :

a. une jaquette de sécurité, en tout temps

b. un matelas et une couverture de sécurité, sauf s’il essaie d’utiliser ces articles pour s’automutiler ou pour empêcher le personnel de le surveiller. Dans ce cas, ceux-ci pourront être retirés de la cellule, puis retournés dès qu’ils cessent de constituer un danger pour la sécurité du détenu

c. de la nourriture et des liquides qui peuvent être consommés facilement sans ustensiles ni vaisselle (mets qui se mangent avec les doigts)

d. des articles d’hygiène (le professionnel de la santé mentale déterminera, avec l’avis du gestionnaire correctionnel de service, quand fournir des articles d’hygiène si ces objets sont associés à un risque quelconque de comportement suicidaire ou d’automutilation).

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[46] La DC 566-4 a pour titre Dénombrements et patrouilles de sécurité; les parties pertinentes de cette DC sont les suivantes :

Normes pour les patrouilles de sécurité

[…]

30. Dans les établissements à sécurité maximale, moyenne ou à niveaux multiples et dans les unités de garde en milieu fermé des établissements pour femmes, les patrouilles de sécurité dans les unités résidentielles des détenus seront menées le plus souvent possible, mais il doit y avoir au moins une patrouille toutes les 60 minutes suivant le début de la dernière patrouille. Les patrouilles seront décalées pour éviter qu’elles ne soient prévisibles.

[…]

34. Pendant les patrouilles de sécurité, les membres du personnel et les contractuels s’assureront que les délinquants sont bien en vie. Dans les cas où il est impossible pour les membres du personnel ou les contractuels de vérifier si le délinquant est en vie et n’est pas en détresse, ils interagiront avec lui d’une manière conforme à la DC 560 – Sécurité et surveillance actives pour s’assurer qu’il se porte bien.

[…]

 

[47] Une copie de la description de travail d’un IPL a été déposée en preuve. Les passages pertinents au présent grief sont les suivants :

[Traduction]

[…]

Service à la clientèle […]

Opérations correctionnelles liées à la sécurité et à la protection du public, du personnel, des détenus et de l’établissement […]

Activités principales […]

1. Assurer la sécurité au sein de l’établissement (ce qui inclut le public, le personnel, les bénévoles, les visiteurs, les prestataires de services et les détenus). Il s’agit notamment d’assurer la sécurité à un poste attribué, de faire fonctionner et de s’assurer que l’équipement et les dispositifs de sécurité sont protégés et en état de marche, d’identifier et de signaler les défaillances et les risques pour la sécurité, de fouiller les zones pour prévenir et détecter la circulation d’objets interdits.

[…]

Efforts […]

[…]

12) Vigilance accrue

[…]

3. Une vigilance accrue est nécessaire pour évaluer le comportement et les attitudes des détenus par rapport aux stratégies correctionnelles. De nombreuses distractions peuvent rendre la tâche plus difficile.

4. Une vigilance accrue est requise lors de la surveillance et de l’observation du comportement des détenus pendant le déroulement des programmes et des activités de loisirs. Cette vigilance est requise tout au long de la journée de travail pour pouvoir repérer les risques ou les atteintes à la sécurité et prendre des mesures à cet égard.

[…]

Responsabilité […]

[…]

6) Assurer le respect des règles

1. Effectuer des rondes, des surveillances et des inspections courantes de l’établissement, ainsi que la surveillance des détenus, des visiteurs et du personnel de l’établissement, et veiller au respect de toutes les lois, de tous les règlements et de toutes les politiques applicables au SCC (c.-à-d. la LSCMLC).

2. En tant que membre de l’équipe de gestion de cas, surveiller et consigner le comportement des détenus en fonction des objectifs des plans correctionnels et des politiques et lois applicables. Partager la responsabilité de déterminer et de signaler aux autorités compétentes de l’établissement les progrès ou les violations des plans correctionnels. Les infractions peuvent entraîner le dépôt d’accusations, l’expulsion des programmes ou le transfert dans une unité à sécurité plus élevée.

[…]

 

C. Du 22 au 23 janvier 2017

[48] À 16 h 47 le 20 janvier 2017, la détenue A a été évaluée par un professionnel de la santé mentale, qui a rempli un formulaire CSC/SCC 1434, soit le « Formulaire d’observation de la surveillance accrue du risque de suicide ». Il y était indiqué que la détenue A devait se voir remettre une jaquette de sécurité, un matelas et une couverture de sécurité et qu’elle devait également se voir remettre des mets qui se mangent avec les doigts, un gobelet jetable pour les liquides et des articles d’hygiène à utiliser sous surveillance. Dans la case intitulée « Observation method - Méthode d’observation », il était indiqué ce qui suit : [traduction] « Observation constante en personne par un employé. » Par ailleurs, les remarques suivantes ont été rédigées par le professionnel de la santé mentale, dans la case intitulée « notes-remarques » :

[Traduction]

Le rédacteur a rencontré [la détenue A] à 16 h 47 après avoir appris qu’elle s’était perforée le poignet gauche avec un stylo (blessure superficielle). [La détenue A] a participé à l’interrogatoire de façon coopérative dans la salle d’interrogatoire. Les GC McCormick, Bevan et Kowalchuk ont été consultés. D’après la présentation de [la détenue A], ses antécédents et le facteur contextuel, il est recommandé que [la détenue A] soit placée sous surveillance accrue du risque de suicide.

 

[49] Dans la soirée du 22 janvier, la détenue A se trouvait dans la cellule no 182 de l’unité d’isolement. Étant donné qu’il avait été déterminé qu’elle présentait un risque élevé de suicide et qu’elle devait être constamment surveillée dans sa cellule par une IPL, un formulaire 1006 du CSC/SCC (le « formulaire 1006 ») a été utilisé. Il s’agit du formulaire utilisé par les IPL qui surveillent un détenu qui fait l’objet d’une SARS et dans lequel ils doivent consigner le comportement du détenu toutes les 15 minutes. Le formulaire est pré-imprimé et comporte trois longues colonnes. Une colonne est réservée à l’équipe de jour (de 7 h à 14 h 45), une colonne à l’équipe de l’après-midi (de 15 h à 22 h 45) et une colonne à l’équipe de nuit (de 23 h à 6 h 45). L’équipe de nuit assure le service de la dernière heure d’un jour donné et des premières 6 heures et 45 minutes du jour suivant.

[50] Chaque colonne est divisée en tranches de 15 minutes, et deux espaces sont disponibles à côté de chaque tranche de 15 minutes. Le premier espace est réservé à l’inscription d’un code numérique, à côté duquel se trouve un deuxième espace dans lequel l’IPL qui surveillait le détenu à ce moment précis et qui a effectué l’évaluation de ce dernier doit apposer ses initiales. La partie supérieure du formulaire 1006 comporte un cadre. Ce cadre contient une légende indiquant un code numérique, de 1 à 21, correspondant à une activité différente. Par exemple, le numéro 1 correspond à [traduction] « donner des coups sur la porte, le mur ou le sol », et le numéro 2 correspond à [traduction] « crier ou hurler ».

[51] Mme Marghella a témoigné que le quart de nuit-matin commence à 18 h 30 un jour donné et se termine à 7 h 15 le jour suivant. La séance d’information de l’équipe est à 18 h 30. Donc, dans le présent cas, le quart de travail aurait commencé à 18 h 30 le 22 janvier et se serait terminé à 7 h 15 le 23 janvier. L’appel nominal a été déposé à titre de preuve. Mme Marghella a déclaré que le personnel était au complet et que deux personnes supplémentaires étaient présentes au cas où une escorte était nécessaire ou qu’un autre événement se produisait. C’est lors de la séance d’information de l’équipe que les tâches de chacun sont confirmées ou modifiées. La séance d’information de l’équipe est faite par le GC de service. Il est indiqué que la fonctionnaire avait été affectée au poste responsable de la sécurité des visiteurs et de l’entrée principale. Dans son témoignage, Mme Marghella a déclaré qu’en tant que membre du poste de sécurité de l’entrée principale, elle devait effectuer des patrouilles de sécurité dans l’unité d’isolement. Elle a témoigné que, même si l’IPL est inscrit à l’horaire pour ce poste, il n’est pas toujours présent à l’entrée principale. La fonctionnaire a témoigné qu’au début de son quart de travail (18 h 30 le 22 janvier), elle autorisait les personnes à sortir de l’établissement et effectuait des patrouilles de sécurité.

[52] La preuve a révélé que la fonctionnaire et Mme Scott étaient les deux IPL qui ont effectué la SARS de la détenue A pendant la tranche du quart de travail qui allait de 23 h le 22 janvier à 7 h 15 le 23 janvier. Mme Scott était chargée de cette SARS de 23 h à 3 h 05 environ, et la fonctionnaire a pris la relève à 3 h 05 environ jusqu’à 7 h 15.

[53] Le formulaire 1006 de la détenue A (le « formulaire 1006 de la détenue A »), qui couvrait la période allant de 7 h le 22 janvier à 6 h 45 le 23 janvier, a été déposé à titre de preuve. Ce formulaire comportait une indication horaire supplémentaire manuscrite tout en bas, soit 6 h 46. Les codes utilisés tout au long de cette période de 24 heures consistaient en 5 numéros, comme suit :

· « 8 », pour indiquer que la détenue se tenait debout;

· « 9 », pour indiquer que la détenue était allongée ou assise;

· « 11 », pour indiquer que la détenue était calme;

· « 20 », pour indiquer un échange avec la détenue;

· « 21 », pour indiquer d’autres activités non couvertes par les 20 numéros précédents.

 

[54] Sur le formulaire 1006 de la détenue A, l’IPL qui observait la détenue a indiqué, entre parenthèses, à côté de l’inscription du code 21, qui a été consigné plusieurs fois, l’activité à laquelle se livrait la détenue, comme manger ou faire de l’exercice. Quant au code 20, qui fait référence à l’interaction avec la détenue, l’IPL qui observait la détenue a indiqué, entre parenthèses, l’identité de la personne qui échangeait avec la détenue, par exemple, un professionnel de la santé mentale.

[55] Sur le formulaire 1006 de la détenue A, pour la période entre 3 h 15 et 6 h 45 le 23 janvier, la fonctionnaire a paraphé toutes les entrées qui ont eu lieu, soit un total de 15 entrées. Sur ces entrées, deux numéros ont été inscrits à chaque fois, soit le 9 et le 11, pour indiquer la position allongée ou assise de la détenue et son calme. La fonctionnaire a également ajouté une entrée chronométrée manuscrite à 6 h 46, pour indiquer que la détenue A était aux toilettes à ce moment-là.

[56] Au cours de la SARS de la détenue A, il a été constaté que quatre chaises ont été utilisées. L’une d’elles était une chaise haute télescopique (la « chaise haute ») qui ressemble à un tabouret de bar avec un dossier et un siège pivotant, et dont la hauteur peut être réglée, mais à un niveau plus élevé qu’une chaise de bureau normale. Cela permet à un agent correctionnel, ou à un IPL dans le cas d’un établissement pour femmes, de s’asseoir et de regarder dans la cellule d’isolement depuis la fenêtre supérieure et de voir un détenu entièrement de la tête aux pieds lorsqu’il est allongé sur le lit (quoique si le détenu s’est couvert, l’agent correctionnel ou l’IPL le verra de la tête aux pieds, mais certaines parties de son corps seront recouvertes par la couverture de sécurité).

[57] La deuxième chaise était une chaise en plastique blanc comme celles que l’on trouve sur les terrasses ou dans les cours arrière (la « chaise blanche »). Cette chaise était dépourvue de roulettes. Les troisième et quatrième chaises semblaient être deux chaises de bureau standard distinctes montées sur roulettes (la « chaise de bureau no 1 » et la « chaise de bureau no 2 »).

[58] Le 15 février 2017, la fonctionnaire a été interrogée dans le cadre de l’enquête disciplinaire initialement convoquée le 8 février 2017 et portant sur les actes de Mme Scott. Après que l’enquête a été modifiée pour inclure les actes de la fonctionnaire, cette dernière a été interrogée une deuxième fois, soit le 21 février 2017. Au cours des deux entrevues, la fonctionnaire était accompagnée d’un représentant syndical. La seconde entrevue a été enregistrée par la fonctionnaire et son représentant syndical. Une copie de l’enregistrement de la seconde entrevue a été déposée à titre de preuve.

[59] Les notes manuscrites qu’a rédigées M. Anderson lors des entrevues avec la fonctionnaire ont été déposées en preuve en plus du rapport d’enquête. M. Anderson a témoigné que ces notes portaient sur les réponses de la fonctionnaire et qu’il n’avait pas consigné les questions. Lors du contre-interrogatoire, les notes rédigées par Mme Popiwchak ont été déposées en preuve.

[60] Les parties pertinentes du rapport d’enquête qui portent sur les entrevues de la fonctionnaire sont les suivantes :

[Traduction]

[…]

L’IPL DESJARLAIS a été interrogée à l’Établissement d’Edmonton pour femmes le 16 janvier 2017. […]

[…] L’IPL DESJARLAIS a confirmé au Comité qu’elle avait été chargée d’effectuer une surveillance accrue du risque de suicide le 23 janvier 2017.

L’IPL DESJARLAIS a indiqué qu’elle avait déjà effectué des surveillances accrues du risque de suicide. L’IPL DESJARLAIS a expliqué que l’intervenant de première ligne doit s’asseoir à la porte de la cellule du détenu et le surveiller. Elle a également indiqué qu’il est nécessaire de remplir la feuille de contrôle du registre (annexe G4) toutes les quinze minutes. Le détenu reçoit une jaquette et une couverture pour dormir sur le lit. Un matelas est posé sur la structure métallique surélevée.

L’IPL DESJARLAIS a indiqué que plusieurs chaises se trouvent dans l’unité d’isolement et que les intervenants de première ligne doivent en choisir une pour s’asseoir à la porte de la cellule : une grande chaise de bureau [la chaise haute], une chaise de bureau standard [soit la chaise de bureau no 1, soit la chaise de bureau no 2] et une petite chaise en plastique [la chaise blanche]. L’IPL DESJARLAIS a également décrit les fenêtres de la porte de la cellule d’isolement. Une grande fenêtre supérieure et une fenêtre inférieure sont séparées par l’ouverture métallique destinée à la distribution de nourriture. L’IPL DESJARLAIS préfère utiliser la grande chaise de bureau pour observer la détenue à travers la fenêtre supérieure. L’IPL DESJARLAIS a expliqué que si elle utilisait la chaise de bureau standard, elle devrait se pencher pour regarder par la fenêtre inférieure de la porte de la cellule, car l’ouverture destinée à la distribution de nourriture lui bloquerait la vue dans la cellule.

[…]

L’IPL DESJARLAIS a déclaré que, pendant la surveillance accrue du risque de suicide qu’elle effectuait de 3 h à 7 h, elle était assise sur une chaise située directement en face de la porte de la cellule de la détenue. L’IPL DESJARLAIS a répété que les deux grandes fenêtres de la porte de la cellule servaient aux intervenants de première ligne à surveiller les détenues. L’IPL DESJARLAIS a confirmé qu’elle était assise sur une chaise haute jusqu’à ce qu’elle soit remplacée à 7 h.

[…]

L’IPL DESJARLAIS a confirmé auprès du Comité qu’elle s’est assise sur une chaise haute, directement à l’extérieur de la cellule de la détenue [nom caviardé], pendant toute la durée de la surveillance accrue du risque de suicide.

Le 21 février 2017, le Comité a informé l’IPL DESJARLAIS que l’ordre de convocation avait été modifié de manière à ce que celui‑ci couvre l’IPL DESJARLAIS et l’allégation selon laquelle elle a fait preuve de négligence dans l’exercice de ses fonctions lors de la surveillance accrue du risque de suicide effectuée le 23 janvier 2017. À la suite de cela, l’IPL DESJARLAIS a été interrogée à l’Établissement d’Edmonton pour femmes le 21 février 2017. L’IPL DESJARLAIS était accompagnée de Danisa JARA, EEF, présidente de l’UCCO-SACC-CSN.

Danisa JARA a demandé un bref ajournement après que l’IPL DESJARLAIS a été informée que l’ordre de convocation avait été modifié de manière à couvrir son cas et l’allégation selon laquelle elle avait fait preuve de négligence dans l’exercice de ses fonctions lors de la surveillance accrue du risque de suicide effectuée le 23 janvier 2017. Danisa JARA et l’IPL DESJARLAIS sont revenues munies d’un enregistreur audio et ont poursuivi l’entrevue.

 

Le Comité a examiné avec l’IPL DESJARLAIS sa déclaration précédente faite le 16 février 2017. L’IPL DESJARLAIS a confirmé qu’elle était restée à proximité de la cellule. Le Comité a demandé à l’IPL DESJARLAIS d’expliquer ce qu’elle entendait par « à la porte de la cellule ». L’IPL DESJARLAIS a expliqué qu’elle était assise sur la chaise haute et qu’elle regardait par la fenêtre supérieure de la porte de la cellule. Le Comité a demandé à l’IPL DESJARLAIS si elle s’était éloignée de la porte de la cellule pendant la période de surveillance accrue du risque de suicide. L’IPL DESJARLAIS a répondu qu’elle ne s’en souvenait pas, qu’elle avait pu se déplacer vers une chaise plus basse mais qu’elle ne se souvenait pas d’avoir déplacé la chaise.

[…]

Le Comité a demandé à l’IPL DESJARLAIS de décrire sa position lorsqu’elle était assise sur une chaise plus basse et ce qu’elle pouvait voir dans la cellule d’isolement. L’IPL DESJARLAIS a déclaré qu’elle aurait bougé de la chaise haute. Lorsqu’on est assis sur la chaise basse, on peut voir le lit par la fenêtre inférieure. L’IPL DESJARLAIS a estimé qu’elle devait se tenir à environ 10 pieds de la cellule, sur le côté.

[…]

 

[61] Les notes manuscrites rédigées par M. Anderson et Mme Popiwchak lors de l’entrevue de la fonctionnaire du 15 février 2017 indiquent que la fonctionnaire a affirmé que, pour effectuer la SARS, ce qu’elle avait déjà fait à d’autres occasions (avant la SARS de la détenue A du 23 janvier), il faut s’asseoir devant la cellule et observer. Lorsqu’on lui a demandé comment elle devait s’y prendre, elle a répondu qu’il fallait s’asseoir devant la porte de la détenue et, toutes les 15 minutes environ, consigner (ce que la détenue fait) sur une feuille de contrôle.

[62] Les notes manuscrites de M. Anderson et de Mme Popiwchak portant sur les deux entrevues révèlent que la fonctionnaire a déclaré que, pendant la SARS, elle s’était assise juste devant la porte de la cellule de la détenue A. Les notes rédigées par Mme Popiwchak font état de l’échange suivant enregistré lors de la deuxième entrevue, soit le 21 février 2017 :

[Remarque : « M : » pour M. Anderson, « D : » pour la fonctionnaire.]

[Traduction]

[…]

M – a mentionné la chaise haute pour se positionner

D – chaise de bureau dont la hauteur peut être réglée

– est restée en face de la cellule

M – cela signifie quoi

D – observer à travers la fenêtre – supérieure

– je ne me souviens plus – question sur la distance avec la porte

M – a demandé si elle s’est déplacée –

D – ne se souvient plus, mais s’est peut-être assise sur la chaise basse

– ne se souvient plus si elle a changé de chaise – lors de la 1ère entrevue – a déclaré s’être assise sur la chaise haute

– a décrit les caractéristiques de la porte, 2 fenêtres avec une ouverture pour la distribution de nourriture.

M – si on est assis sur la chaise basse – peut-on voir à travers la fenêtre inférieure? - Oui

– si on est assis sur la chaise basse, on peut voir la partie où se trouve le lit à travers la fenêtre inférieure

M – où étiez-vous installée par rapport à la porte de la cellule

D – se serait reculée si n’était plus sur la chaise haute

[…]

[Sic tout au long]

 

[63] L’échange verbal qui a eu lieu avec la fonctionnaire le 21 février 2017 a fait l’objet d’un enregistrement audio, lequel a été déposé en preuve. J’ai écouté l’intégralité de l’enregistrement. Au cours de l’entrevue, la fonctionnaire a confirmé avoir dit aux enquêteurs, lors de sa première entrevue, qu’elle était restée à la porte de la cellule no 182. Lorsqu’on lui a demandé de préciser ce qu’elle voulait dire, elle a dit qu’elle regardait par la fenêtre supérieure, puis elle a confirmé qu’elle était assise sur la chaise haute et qu’elle regardait par la fenêtre supérieure. Lorsque Mme Popiwchak lui a demandé à quelle distance de la porte elle se trouvait (la porte de la cellule no 182), la fonctionnaire a répondu qu’elle était juste derrière la porte, puis elle a dit : [traduction] « Je crois. » À ce moment-là, Mme Jara l’a interrompue et on l’a entendue dire : [traduction] « Si vous ne vous souvenez pas, dites “je ne me souviens pas”. » Après l’interruption de Mme Jara, la fonctionnaire a dit qu’elle ne se souvenait pas.

[64] Au cours de son témoignage, M. Anderson a été amené, au moyen de la vidéo de la cellule et de la vidéo de la rangée, à visionner des moments précis durant lesquels la fonctionnaire se trouvait dans la rangée et à observer le comportement de la détenue A, de la fonctionnaire et d’autres IPL.

[65] M. Anderson s’est rendu à l’unité d’isolement et s’est placé à l’endroit où, selon lui et Mme Popiwchak, la fonctionnaire était assise, puis il est entré dans la cellule et s’est allongé sur le lit. Une vidéo a été tournée pendant l’une des visites de M. Anderson et de Mme Popiwchak dans la rangée de l’unité d’isolement, qui a été déposée en preuve (la « vidéo d’enquête »). Dans son témoignage, M. Anderson a expliqué ce que lui et Mme Popiwchak faisaient lorsque la vidéo d’enquête a été tournée.

1. Preuve constituée des vidéos de la rangée, de la cellule et de la vidéo d’enquête

[66] Les vidéos de la rangée et de la cellule commencent à 23:58:00 le 22 janvier et se poursuivent jusqu’à un peu plus de 07:15:00 le 23 janvier.

[67] À 23:58:00, les vidéos de la rangée et de la cellule montrent que Mme Scott se tient à la porte de la cellule no 182 et regarde par la fenêtre supérieure de la porte. Au début, elle est assise sur la chaise haute, regardant par la fenêtre supérieure, mais peu après, elle en descend et se tient debout et continue de regarder par la fenêtre supérieure. La chaise haute est située en face de la porte de la cellule, bien qu’un peu en retrait de celle-ci.

[68] À 00:00:35, on peut voir Mme Scott, sur la vidéo de la rangée, qui s’éloigne de la porte de la cellule et se dirige vers la porte de la rangée; elle revient ensuite vers la porte de la cellule à 00:00:51, jette un coup d’œil à l’intérieur, regarde ailleurs et vers le bas, et à 00:00:56, elle s’éloigne de nouveau de la porte de la cellule et se dirige vers la porte de la rangée. Au même moment, la vidéo montre la fonctionnaire qui entre dans la rangée, puis Mme Scott qui en sort. La fonctionnaire pose quelques articles qu’elle porte sur la chaise blanche qui se trouve dans la rangée et qui est située contre le mur entre la douche et la porte de la cellule n182. À 00:01:08, elle regarde dans la cellule. Elle s’assoit ensuite sur la chaise haute, qu’elle avance un peu vers la porte, et observe la détenue A à travers la fenêtre supérieure de la porte de la cellule. À 00:01:16, on peut voir la fonctionnaire observant la détenue A par la fenêtre supérieure de la porte de la cellule.

[69] À 00:04:12, on voit la fonctionnaire porter une main à son visage. Bien que l’image soit un peu floue, on peut voir la tête de la fonctionnaire et, d’après le rapport des proportions, elle porte la main à son nez ou à ses yeux. Sur la base de la vidéo de la rangée, et des objets figurant sur la vidéo, la fonctionnaire est clairement assise à environ deux pieds de la fenêtre, et ses yeux sont juste au-dessus de la limite inférieure de la fenêtre supérieure. Sur la vidéo de la cellule, on ne peut voir que les pieds et les chevilles de la fonctionnaire. D’après la vidéo de la cellule, la fonctionnaire est positionnée du côté gauche de la porte de la cellule et regarde en biais depuis la fenêtre supérieure.

[70] À 00:06:43, alors que l’on peut constater que la fonctionnaire observe la détenue A à travers la fenêtre supérieure de la porte de la cellule no 182, la porte de la rangée s’ouvre. On aperçoit Mme Scott entrer dans la rangée de l’unité d’isolement avec un matelas. À 00:06:55, la fonctionnaire cesse d’observer la détenue A et se retourne pour regarder Mme Scott. Cela apparaît également clairement sur la vidéo du téléphone cellulaire. Le matelas n’est pas très épais, car la vidéo montre que Mme Scott a pu en saisir l’épaisseur d’une seule main. Mme Scott déplace ensuite la chaise de bureau no 1 sur laquelle se trouvent des objets, et la pousse vers la table de la rangée, près de la partie de la table qui se trouve le plus près du mur du fond de la rangée. Mme Scott plie ensuite le matelas à peu près en son milieu, et le dispose à moitié contre le mur du fond et à moitié sur le sol.

[71] À 00:07:07, la fonctionnaire ne regarde toujours pas en direction de la cellule n182 et on la voit se lever de la chaise haute. À 00:07:09, après avoir manipulé le matelas et déplacé la chaise de bureau no 1, Mme Scott se dirige à nouveau vers la porte de la rangée. Lorsqu’elle se rapproche de la porte de la rangée, la fonctionnaire se tient debout, et il est clair qu’elle et Mme Scott discutent brièvement. À 00:07:21, la fonctionnaire, toujours debout, se retourne pour regarder à l’intérieur de la cellule no 182, et Mme Scott sort de la rangée. La fonctionnaire reste debout devant la porte et observe la détenue A par la fenêtre supérieure.

[72] À 00:08:02, la vidéo de la rangée montre Mme Scott qui rentre dans la rangée, portant des couvertures. La fonctionnaire se détourne un instant de l’observation de la détenue A pour regarder Mme Scott. Mme Scott saisit un sac à dos posé sur la chaise blanche. Elle place ensuite le sac à dos et les couvertures à proximité du matelas et le long du mur qui se trouve sous les fenêtres du PCUI. Elle retourne ensuite à l’endroit situé entre la porte de la rangée et la porte de la cellule no 182 et on la voit parler à la fonctionnaire. La fonctionnaire semble observer la détenue A en se tenant debout.

[73] À 00:08:20, Mme Scott saisit un dossier qui se trouve sur la chaise blanche et se déplace pour le déposer à proximité du matelas, des couvertures et du sac à dos. À 00:08:24, la fonctionnaire se détourne de la cellule no 182, regarde Mme Scott et semble lui parler. Personne n’observe la détenue A. À 00:08:39, la vidéo de la rangée montre Mme Scott debout et agrippant le dossier de la chaise haute pendant qu’elle parle à la fonctionnaire, laquelle se trouve loin de la cellule no 182, à proximité de la porte de la rangée, le dos tourné à la cellule no 182, et discute avec Mme Scott. Mme Scott déplace alors la chaise haute qui se trouve en face de la cellule no 182 et la place près de la partie de la table de la rangée qui est la plus éloignée du mur du fond et la plus proche de la cellule no 182. Elle et la fonctionnaire semblent poursuivre leur discussion.

[74] À 00:08:45, la vidéo de la rangée montre la fonctionnaire se tournant vers la porte de la rangée pour en sortir et Mme Scott, dos à la cellule no 182, se dirigeant vers le mur du fond de la rangée et le matelas. À 00:08:54, on voit la fonctionnaire sortir de la rangée. À ce moment-là, on peut clairement apercevoir la chaise blanche près du mur entre la porte de la cellule n182 et la douche.

[75] Mme Scott n’observe pas la détenue A ni ne regarde à l’intérieur de la cellule no 182 ni même en direction de la cellule no 182. À 00:09:02, on peut voir Mme Scott ouvrir une des couvertures pliées, la secouer et l’étendre sur le matelas posé sur le sol. Elle manipule un peu la couverture, et à 00:09:32, elle rapproche la chaise haute de la table de la rangée, ostensiblement hors du champ de vision entre l’endroit où se trouve le matelas et la fenêtre inférieure de la cellule no 182. Elle retourne ensuite manipuler le matelas, et les lumières de la rangée s’éteignent à 00:09:34 - 00:09:35. Il faut une seconde à la caméra pour s’ajuster à la vision nocturne. Mme Scott continue de manipuler le matelas, et il est évident qu’elle n’observe pas la détenue A. Elle se détourne de la cellule no 182. À 00:09:44, elle pousse la chaise haute encore plus près de la table de la rangée. À 00:09:50, elle est à genoux, probablement sur le matelas, et tourne le dos à la cellule. Elle continue à manipuler le matelas ou les couvertures.

[76] Bien que les lumières de la rangée aient été éteintes, les lumières de la cellule no 182 sont restées allumées. Les lumières des autres cellules de l’unité d’isolement étaient éteintes.

[77] À 00:10:01, la vidéo de la rangée montre Mme Scott assise sur le matelas, adossée au mur du fond, faisant face à la cellule no 182. Elle semble ensuite déployer une couverture sur ses jambes étendues.

[78] À 00:17:10, la fonctionnaire entre dans la rangée et, tout en marchant, jette un coup d’œil à l’intérieur de la cellule no 182, en marquant une brève pause dans sa foulée, mais sans s’arrêter. Elle a regardé à l’intérieur de cette cellule moins d’une seconde. Tout en continuant à se diriger vers la cellule adjacente à la cellule no 182, elle jette un coup d’œil à l’endroit où Mme Scott est assise, et allume alors sa lampe de poche. Une plaque couvre la fenêtre supérieure de cette cellule. Elle l’écarte et se penche en avant pour regarder à l’intérieur. Elle ne braque pas la lampe à l’intérieur la cellule, mais la tient de manière à ce que la lumière soit dirigée vers le plafond de la rangée; elle jette ensuite un coup d’œil dans la cellule. Elle regarde à l’intérieur de la cellule pendant moins d’une seconde avant de laisser retomber la plaque et de passer à la cellule suivante.

[79] La vidéo de la rangée montre que la fonctionnaire se trouve au niveau de la troisième cellule de la rangée. Elle continue de pointer sa lampe de poche de façon à ce que le faisceau soit dirigé vers le plafond de la rangée. Aucune plaque ne recouvre la fenêtre de cette cellule. La fonctionnaire regarde à l’intérieur de cette cellule pendant moins d’une seconde, avant de passer à la quatrième et dernière cellule de la rangée, dont la fenêtre, comme celle de la deuxième cellule de la rangée, était dissimulée par une plaque qu’il fallait écarter. Encore une fois, elle a pointé sa lampe de poche vers le plafond de la rangée. Elle a regardé à l’intérieur pendant une seconde. Entre le moment où la fonctionnaire a jeté un coup d’œil vers la cellule no 182 jusqu’au moment où elle s’est détournée de la quatrième cellule, 15 secondes se sont écoulées; durant ces 15 secondes, la fonctionnaire a passé tout au plus 3 à 4 secondes à observer 4 détenues.

[80] À 00:17:45, la fonctionnaire quitte la rangée. Il a été demandé à la fonctionnaire ce que faisait Mme Scott lorsqu’elle est entrée dans la rangée. Elle a répondu qu’elle était assise sur le matelas, adossée au mur du fond, avec une couverture.

[81] À 01:14:10, la fonctionnaire entre dans la rangée pour effectuer une patrouille de sécurité. Elle interrompt brièvement sa marche et s’arrête pendant un peu moins d’une seconde et demie pour jeter un coup d’œil dans la cellule n182 avant de se diriger vers la cellule voisine. Lorsqu’elle atteint la fenêtre de cette cellule, elle s’arrête et semble détourner la tête de cette cellule et regarder par-dessus son épaule, soit vers la porte de la rangée, soit vers Mme Scott. Sa lampe de poche n’est pas encore allumée, et elle n’a pas encore écarté la plaque dissimulant la fenêtre pour regarder à l’intérieur. Lorsque la lampe de poche de la fonctionnaire s’allume, et qu’elle est à nouveau dirigée vers le plafond, elle écarte simultanément la plaque dissimulant la fenêtre et regarde à l’intérieur de la cellule. Elle le fait pendant moins d’une seconde avant de se diriger vers la troisième cellule. Elle jette un coup d’œil à l’intérieur de celle-ci pendant moins d’une seconde. Elle se dirige vers la quatrième et dernière cellule où, après avoir écarté la plaque dissimulant la fenêtre, elle regarde à l’intérieur pendant 13 secondes. Entre le moment où la fonctionnaire entre dans la rangée et le moment où elle détourne le regard de la quatrième cellule, 40 secondes s’écoulent.

[82] À 01:15:03, on aperçoit la fonctionnaire arrêtée à l’endroit où Mme Scott se trouve assise sur le matelas. À 01:16:00, elle sort de la rangée. Encore une fois, dans l’interrogatoire principal de la fonctionnaire, il a été demandé à cette dernière ce que faisait Mme Scott à ce moment-là, ce à quoi elle a répondu que Mme Scott était assise sur le matelas, adossée au mur du fond, avec une couverture sur ses jambes qui semblaient croisées.

[83] La fonctionnaire entre dans la rangée à 02:11:29 pour sa dernière patrouille de sécurité. Ce faisant, elle ralentit et s’arrête devant la cellule no 182, mais elle regarde Mme Scott. À 02:11:43, elle se tourne et regarde par la fenêtre supérieure de la cellule no 182 pendant moins d’une seconde avant de reporter son attention sur Mme Scott. Tout en continuant à regarder dans la direction de Mme Scott, elle se dirige lentement vers la cellule voisine de la cellule no 182. Avant d’y arriver, elle s’arrête, et il apparaît clairement qu’elle et Mme Scott discutent. Elle avance jusqu’à la deuxième cellule, écarte la plaque dissimulant la fenêtre de la cellule, allume la lampe de poche de la même manière que lors de ses autres patrouilles de sécurité, et regarde à l’intérieur de la cellule. Elle se dirige vers la troisième cellule, où elle regarde à l’intérieur pendant moins d’une seconde avant de se diriger vers la quatrième cellule et de regarder à l’intérieur pendant une seconde.

[84] À 02:12:30, la fonctionnaire quitte la rangée. Encore une fois, lors de son interrogatoire principal, il a été demandé à la fonctionnaire ce que faisait Mme Scott à ce moment-là, ce à quoi la fonctionnaire a répondu que Mme Scott était assise sur le matelas, le dos appuyé contre le mur du fond, avec une couverture sur les jambes.

[85] À 02:16:25, Mme Scott, pour la première fois depuis qu’elle a déplacé la chaise haute à 00:09:44, se lève et s’éloigne du matelas et du mur du fond, se dirige vers la porte de la cellule no 182, et regarde à l’intérieur. Elle s’éloigne ensuite et fait les cent pas.

[86] À 02:19:54, la fonctionnaire entre dans la rangée, et Mme Scott en sort. La fonctionnaire tient manifestement dans sa main gauche un objet qui ressemble à un livre. Elle se penche et saisit un objet sur la chaise blanche (qui est toujours contiguë au mur entre la cellule no 182 et la douche) et le dépose sur le rebord de la fenêtre du PCUI. La fonctionnaire a déclaré qu’il s’agissait d’un rouleau de papier hygiénique. Elle retourne vers la porte de la cellule n182, regarde à l’intérieur, puis tend la main vers la chaise blanche, la saisit et la place à quelques pieds de la porte, mais un peu plus à gauche de celle-ci si l’on regarde vers la cellule. Le devant de la chaise n’est pas dirigé vers la porte de la cellule no 182, mais vers la porte de la rangée. La fonctionnaire s’assoit ensuite sur la chaise. Elle semble se pencher vers l’avant.

[87] Après que la fonctionnaire s’est assise sur la chaise blanche, on peut voir le dossier de la chaise et la partie supérieure du torse et la tête de la fonctionnaire au‑dessus de la partie supérieure du dossier de la chaise. On voit également la partie inférieure des jambes de la fonctionnaire et ses pieds entre les pieds de la chaise. On voit également que le livre est clairement ouvert par la fonctionnaire et qu’il est visible sur son côté gauche (près de la lumière provenant de la fenêtre inférieure de la cellule no 182).

[88] À 02:29:03, Mme Scott entre dans la rangée et retourne sur le matelas du mur du fond. La fonctionnaire n’observe plus la détenue A, et il semble qu’elle engage une conversation avec Mme Scott, en regardant dans la direction de Mme Scott et non dans celle de la cellule no 182. À 02:31:33, la fonctionnaire se lève, quitte la chaise blanche où elle se trouve et poursuit sa conversation avec Mme Scott. À 02:40:30, la fonctionnaire se dirige vers le matelas, se penche et semble s’accroupir à côté de Mme Scott. À 02:47:45, la fonctionnaire se lève.

[89] Il a été demandé à la fonctionnaire ce qui s’était passé à 02:16:25, et elle a déclaré que Mme Scott avait demandé une pause. La fonctionnaire a donc déclaré l’avoir remplacée pendant une courte période et que Mme Scott était revenue, était retournée au matelas et s’était assise dessus, adossée au mur du fond.

[90] À 02:55:50, M. Robinson entre dans la rangée, se dirige vers l’endroit où se trouvent la fonctionnaire et Mme Scott, et il y a un échange entre eux. À 02:56:10, la fonctionnaire retourne vers la chaise blanche, y dépose le livre et se dirige vers la porte de la rangée.

[91] Dans le témoignage qu’il a présenté devant moi, M. Robinson a déclaré que lorsqu’il est entré dans la rangée la première fois (ce qui, selon la vidéo de la rangée, s’est produit à 02:55:50), il a effectué une ronde de sécurité. Toutefois, cette ronde n’a pas été effectuée, car la vidéo de la rangée montre qu’aucune ronde n’a été effectuée à ce moment-là.

[92] À 02:56:15, la fonctionnaire, accompagnée de M. Robinson, quitte la rangée. À 02:57:53, Mme Scott se lève et se dirige vers la cellule no 182. Elle y jette un coup d’œil pendant quelques secondes, puis se détourne et arrange ses vêtements. Elle retourne ensuite vers le mur du fond et le matelas et ramasse des objets. À 02:59:10, Mme Scott retourne vers la cellule no 182, regarde à nouveau à l’intérieur, puis s’éloigne et plie les couvertures qu’elle utilisait. Elle retourne à la porte de la cellule no 182, et reste là.

[93] Entre 03:05:50 et 03:12:34, on peut voir les images suivantes dans la vidéo de la rangée :

• À 03:05:45 : la fonctionnaire entre dans la rangée en tirant la chaise de bureau n2. On voit que le siège de la chaise se situe à peu près au niveau des genoux de la fonctionnaire. La fonctionnaire et Mme Scott semblent discuter, et il semble que Mme Scott regarde à l’intérieur de la cellule n182.

• À 03:07:23 : ni la fonctionnaire ni Mme Scott ne regardent à l’intérieur de la cellule no 182. On voit Mme Scott s’éloigner de la porte de la cellule n182, faisant dos à la porte de la cellule. La fonctionnaire ne fait plus face à la cellule, mais au mur du fond, et regarde Mme Scott. La fonctionnaire tient également ce qui semble être une bouteille d’eau ou une sorte de récipient pour boisson qu’elle manipule entre ses mains en parlant avec Mme Scott. Aucun objet ne se trouve sur le siège de la chaise de bureau n2 lorsqu’elle la fait entrer dans la rangée.

• À 03:07:38 : Mme Scott ramasse les couvertures qu’elle avait pliées et posées sur la chaise haute.

• À 03:08:14 : ni la fonctionnaire ni Mme Scott ne regardent à l’intérieur de la cellule n182.

• À 03:08:26 : la fonctionnaire et Mme Scott ne regardent toujours pas à l’intérieur de la cellule n182. Mme Scott se dirige vers la porte de la rangée.

• À 03:08:29 : ni la fonctionnaire ni Mme Scott ne regardent à l’intérieur de la cellule n182. Mme Scott sort de la rangée. La fonctionnaire est dos à la porte de la cellule n182 et déplace la chaise de bureau n2 vers le mur du fond.

• À 03:08:42 : la fonctionnaire déplace la chaise de bureau n2, s’arrête à peu près à mi-chemin entre la porte de la cellule n182 et le mur du fond et s’assoit sur cette chaise. Elle semble observer la détenue A à travers la fenêtre inférieure de la cellule n182.

• À 03:09:24 : la fonctionnaire se lève et ne regarde manifestement pas à l’intérieur de la cellule n182, car elle tourne le dos à la porte de la cellule. Elle tient manifestement une bouteille d’eau ou un récipient pour boisson. Elle le pose sur la table de la rangée, puis manipule son uniforme pendant un moment, et déplace ensuite la chaise haute, la manipule, puis la déplace de l’endroit où elle se trouvait en la poussant plus loin dans la rangée et en l’éloignant de la cellule n182. Elle exécute tout cela sans regarder à l’intérieur de la cellule no 182.

• À 03:09:50 : la fonctionnaire saisit à nouveau la chaise haute, puis se tourne et regarde en direction de la porte de la rangée, qui s’ouvre, et Mme Scott entre. Mme Scott passe devant la cellule no 182 et effectue une patrouille de sécurité pour contrôler les autres cellules de la rangée et regarde à l’intérieur de chaque cellule par la fenêtre de la porte des cellules. La fonctionnaire continue de manipuler la chaise haute.

• À 03:10:01 : la fonctionnaire se trouve au niveau du mur du fond de la rangée, où Mme Scott avait placé son matelas. Elle est dos à la cellule no 182. Mme Scott se tourne vers la fonctionnaire, et il semble qu’elle et la fonctionnaire discutent.

• À 03:10:17 : la fonctionnaire saisit le matelas posé par Mme Scott contre le mur du fond et le déplace.

• À 03:10:28 : la fonctionnaire déplace la chaise de bureau no 2 et la place contre le mur du fond, là où Mme Scott avait précédemment posé le matelas sur lequel elle était assise. Elle se dirige ensuite vers la chaise blanche et saisit le livre qu’elle avait précédemment posé sur la chaise.

• À 03:10:36 : Mme Scott se dirige vers la porte de la rangée. La fonctionnaire est courbée à la hauteur de la taille et manipule la chaise de bureau n2, dont le dossier est posé contre le mur du fond.

• À 03:10:38 : Mme Scott passe devant la cellule no 182 et ne regarde pas à l’intérieur.

• À 03:10:45 : Mme Scott sort de la rangée.

• À 03:10:48 : la fonctionnaire se trouve loin de la cellule no 182 et lui fait dos; elle se trouve à la table de la rangée où elle manipule des objets qui semblent être des vêtements et un livre. Elle saisit ensuite un dossier qui se trouvait parmi les objets qu’elle manipulait sur la table de la rangée.

• À 03:11:07 : la fonctionnaire se déplace en direction de la cellule no 182, mais s’arrête devant la chaise blanche et ne va pas jusqu’à la porte de la cellule ni ne regarde à l’intérieur. Elle saisit un sac sur la chaise blanche et le pose sur la table de la rangée.

• À 03:11:16 : la fonctionnaire déplace la chaise blanche et la pose en face de la chaise de bureau no 2; elle s’assoit sur la chaise de bureau no 2 et étend ses jambes sur la chaise blanche.

• À 03:11:26 : la fonctionnaire se tient debout à la table de la rangée devant la chaise de bureau no 2, ne regardant pas en direction de la cellule no 182.

• À 03:11:36 : la fonctionnaire s’assoit sur la chaise de bureau no 2, le dos contre le mur du fond, et étend ses jambes sur la chaise blanche. Elle tient un dossier dans ses mains.

• À 03:11:54 : la porte de la rangée s’ouvre, et Mme Scott entre et se dirige à proximité de la table de la rangée. Elle se tient devant la chaise blanche et semble saisir un objet posé sur la table. On peut voir la fonctionnaire lever un bras devant elle.

• À 03:12:27 : Mme Scott s’éloigne de la table de la rangée, se dirige vers la porte de la rangée et en sort. Pendant ce temps, la fonctionnaire tient un objet dans ses mains et le porte à visage.

• À 03:12:34 : la fonctionnaire semble retirer quelque chose d’une poche. Elle soulève ensuite un morceau de papier qui semble être de format légal et qui est attaché d’une manière ou d’une autre au dossier posé sur ses genoux.

• À 03:14:04 : la fonctionnaire pose sur ses genoux le papier qu’elle a entre les mains.

 

[94] Après que Mme Scott a quitté la rangée à 03:12:27, entre 03:12:27 et 05:42:58, la fonctionnaire reste assise sur la chaise de bureau no 2, qui est toujours placée contre le mur du fond. Durant toute cette période, on peut voir la fonctionnaire et, à intervalles réguliers, ses gestes révèlent qu’elle manipule quelque chose sur ses genoux, par exemple le dossier contenant des documents, qu’elle sort un objet de sa poche de poitrine ou le remet dedans, ou qu’elle saisit ou dépose sa bouteille d’eau sur la table de la rangée. À 05:42:49, la fonctionnaire se tourne vers la table de la rangée et manipule un objet qui se trouve posé dessus. La fonctionnaire n’est plus assise de telle sorte que son dos repose contre le dossier de la chaise, lequel est appuyé contre le mur du fond. Elle est entièrement visible à l’écran, alors qu’au cours des deux heures précédentes, elle était assise de telle sorte qu’on pouvait voir qu’elle était assise le corps et le dos appuyés contre le mur du fond, sans que sa tête ni son torse ne soient visibles sur la vidéo de la rangée.

[95] À 05:42:59, la fonctionnaire se met à enlever ce qui semble être ses lunettes posées sur son front et les met devant ses yeux. Elle saisit aussi manifestement un objet dans sa main qui semble être un stylo ou un crayon, regarde vers ses genoux et écrit quelque chose. À 05:43:26, elle relève la tête et se tourne à nouveau vers la table de la rangée. Elle regarde alors clairement en direction de la cellule no 182.

[96] À 05:43:56, la fonctionnaire semble remettre ses lunettes sur son front. Elle continue à regarder en direction de la cellule no 182. À 05:44:44, elle se lève de la chaise de bureau no 2 et se tient debout, sans avancer les pieds, et reste debout jusqu’à 05:45:23, heure à laquelle elle se tourne vers sa gauche et se déplace légèrement vers la table de la rangée. Lorsqu’elle était debout, sa tête semblait faire face à la cellule no 182; cependant, lorsqu’elle s’est tournée, sa tête était tournée vers les objets posés sur la table. À 05:45:25, elle approche son bras et sa main droite de la table, et commence à manipuler des objets posés sur la table. À 05:45:40, elle se tourne à nouveau vers la chaise de bureau no 2 et s’assoit, faisant à nouveau face à la cellule no 182.

[97] À 06:43:02, la vidéo de la cellule montre la détenue A se lever et se mettre debout pour s’approcher de la porte de la cellule no 182. Elle reste debout devant la porte jusqu’à 06:43:48, heure à laquelle elle se tourne et se dirige vers les toilettes.

[98] À 06:43:18, la fonctionnaire se lève et se dirige lentement vers la porte de la rangée et saisit un objet sur le rebord de la fenêtre du PCUI, puis se dirige vers la cellule no 182 et, à 06:43:43, elle regarde par la fenêtre supérieure de celle-ci. Elle tend un objet à la détenue A (du papier hygiénique) à travers l’ouverture destinée à la distribution de la nourriture.

[99] À 06:45:10, la fonctionnaire détourne la tête de la cellule, et à 06:45:14, elle lui tourne le dos et se dirige vers le mur du fond de la rangée. À 06:45:22, elle s’assoit à nouveau sur la chaise de bureau no 2 et retire ses lunettes de son front pour les placer devant ses yeux; elle semble se pencher vers l’avant. À 06:45:40, Mme Scott entre dans la rangée et entame une discussion avec la fonctionnaire. La fonctionnaire n’observe pas la détenue A ni ne regarde en direction de la cellule no 182. La fonctionnaire se lève ensuite, se dirige vers la porte de la rangée et en sort, et Mme Scott s’assoit sur la chaise de bureau no 2.

[100] À 06:50:23, la fonctionnaire rentre par la porte de la rangée et retourne à la chaise de bureau no 2. Mme Scott se lève et sort de la rangée. La fonctionnaire s’assoit sur la chaise de bureau no 2. Pendant quelques secondes, lorsque Mme Scott se lève et que la fonctionnaire retourne à la chaise, ni la fonctionnaire ni Mme Scott n’observent la détenue A.

[101] À 06:50:52, la fonctionnaire se lève et se dirige vers la porte de la cellule no 182, et à 06:50:58, elle regarde par la fenêtre supérieure. À 06:51:01, Mme Scott entre de nouveau dans la rangée et, au même moment, la fonctionnaire tourne le dos à la cellule no 182 et se dirige vers le mur du fond de la rangée. Mme Scott semble se trouver là pour effectuer une patrouille de sécurité. Ce faisant, elle s’approche de la cellule no 182, et elle jette un bref coup d’œil à l’intérieur de la cellule, sans s’arrêter. La fonctionnaire retourne à la chaise de bureau no 2 et s’assoit de nouveau. Pendant quelques secondes encore, aucune des deux IPL n’observe la détenue A.

[102] À 06:51:25, la fonctionnaire, qui est assise sur la chaise de bureau no 2, tourne la tête vers la table de la rangée et n’observe plus la détenue A. Elle consulte des documents qu’elle tient dans ses mains et qui sont clairement visibles. À 06:51:34, Mme Scott termine sa patrouille de sécurité. Elle retourne à la porte de la rangée et en sort. Personne n’observe la détenue A.

[103] À 06:51:40, la fonctionnaire saisit un document posé sur la table de la rangée et le pose sur ses genoux, et on peut voir qu’elle le consulte sur ses genoux. À 06:51:50, M. Robinson franchit la porte de la rangée, s’approche de la fonctionnaire et engage avec elle ce qui semble être une discussion. La fonctionnaire, dont la tête était penchée vers ses genoux, lève la tête et regarde M. Robinson, puis sa tête recule et disparaît du champ de vision de la caméra. Il y a un échange entre eux, et à 06:52:17, M. Robinson sort de la rangée. On ne peut pas voir la tête de la fonctionnaire sur la vidéo de la rangée pendant cet échange ou lorsque M. Robinson sort de la rangée.

[104] En contre-interrogatoire, il a été demandé à M. Robinson s’il se souvenait avoir vu la fonctionnaire assise sur une chaise appuyée contre le mur du fond lorsqu’il est entré dans la rangée, ce à quoi il a répondu : [traduction] « Non. »

[105] À 06:52:37, la fonctionnaire se penche vers l’avant. Sa tête revient dans le champ de vision de la caméra, et elle tourne la tête pour regarder vers la table de la rangée et au-delà, et non vers la cellule no 182. À 06:52:51, M. Robinson revient dans la rangée et s’approche de la fonctionnaire, qui est toujours assise sur la chaise de bureau no 2, et les deux semblent discuter. La tête de la fonctionnaire reste visible, et elle semble manipuler un objet sur la chaise blanche qui se trouve directement en face d’elle, puis elle semble regarder direction de la cellule no 182.

[106] À 06:53:41, la fonctionnaire tourne à nouveau la tête vers la table de la rangée, saisit un objet, le déplace sur la chaise blanche en face d’elle et commence à manipuler des objets sur cette chaise, hors du champ de vision de la caméra. Il est difficile de savoir si la fonctionnaire porte le regard sur les objets posés sur la chaise blanche ou en direction de la cellule no 182.

[107] À 07:07:14, la fonctionnaire se lève, se dirige vers la cellule no 182, regarde par la fenêtre supérieure et continue de regarder par la fenêtre supérieure tout en se tenant debout à l’extérieur de la porte jusqu’à 07:08:55, moment où elle se tourne et s’éloigne de la porte pendant quelques secondes, puis se retourne et regarde de nouveau à l’intérieur. Ensuite, à 07:09:05, elle se tourne et se dirige vers la chaise blanche, saisit un objet, et on peut la voir manipuler un objet dans sa main, la tête tournée vers le PCUI. À 07:09:39, elle se tourne et retourne vers la cellule no 182 et se tient à la porte, regardant à nouveau depuis la fenêtre supérieure.

[108] À 07:12:57, la fonctionnaire détourne le regard de la cellule n182 pendant quelques secondes, puis regarde à nouveau dans la direction de celle-ci.

[109] À 07:15:16, une IPL non identifiée entre dans la rangée, et la fonctionnaire détourne son attention de la cellule no 182. Ni la fonctionnaire ni cette autre IPL n’observent la détenue A. Cette IPL pose ce qui semble être une bouteille sur la table de la rangée et se rapproche de la fonctionnaire, qui tourne le dos à la cellule. La fonctionnaire semble remettre quelque chose à cette agente. Personne n’observe la détenue A. Les deux agentes ont une discussion devant la cellule, mais personne n’observe la détenue A. À 07:15:46, la fonctionnaire s’éloigne de la porte de la cellule no 182, et l’IPL s’approche et commence à observer la détenue A. La fonctionnaire saisit sa bouteille et quitte la rangée à 07:15:55.

2. Autres éléments de preuve

[110] Dans son témoignage, M. Anderson, interrogé sur la possibilité de demander à un détenu de faire un geste, par exemple se repositionner ou montrer ses mains et sa tête, a déclaré : [traduction] « toutes les options sont sur la table », car [traduction] « nous [le SCC] avons l’obligation de nous assurer qu’ils sont bien en vie, en sécurité et qu’ils respirent. » M. Anderson a déclaré que, lorsqu’il a visionné la vidéo de la cellule et qu’il a constaté la manière dont la détenue A s’était positionnée, il a décidé de se rendre dans l’unité d’isolement et dans la cellule no 182 pour examiner leur configuration; il s’est tenu à l’endroit où se trouvait la fonctionnaire. Il a affirmé qu’il était impossible de regarder par la fenêtre inférieure et d’observer en permanence la détenue.

[111] En contre-interrogatoire, en réponse à une question posée par la représentante de la fonctionnaire, M. Anderson a rapporté les propos de cette dernière qui l’ont incité à s’adresser à la direction, propos que la fonctionnaire a tenus lors de la première entrevue organisée au cours de l’enquête initiale de M. Anderson et Mme Popiwchak; la fonctionnaire avait alors affirmé qu’elle était assise dans la chaise haute à la porte de la cellule au cours de la période de la SARS dont elle avait la charge. Lorsqu’ils ont visionné la vidéo de la rangée, il est apparu évident que cela n’avait pas été le cas.

[112] M. Anderson a témoigné qu’il avait lui-même tourné la vidéo d’enquête. Il a déclaré que lui et Mme Popiwchak sont descendus à l’unité d’isolement de l’EEF pour vérifier s’ils pouvaient effectivement avoir la vue que la fonctionnaire leur avait décrite. M. Anderson a indiqué qu’ils se sont placés à trois endroits :

• à l’endroit où Mme Scott était assise sur le sol, près du mur du fond;

• là où la fonctionnaire se serait trouvée sur une chaise appuyée contre le mur du fond;

• à la table de la rangée.

 

[113] Cependant, en visionnant la vidéo d’enquête, il apparaît que la partie de la vidéo tournée depuis la chaise, comme l’a indiqué dans la vidéo M. Anderson, se situait à une certaine distance à gauche de la fenêtre; le type et la hauteur de la chaise n’ont pas été précisés. Par ailleurs, aucune indication n’a été fournie quant à savoir laquelle des deux chaises disponibles au coin de la table de la rangée la plus proche de la cellule no 182 a été utilisée pour tourner la vidéo.

[114] Une copie d’un document intitulé [traduction] « Volets de la formation du Programme de formation correctionnelle (PFC) » (le « plan du PFC »)a été déposée en preuve. M. Loeb a témoigné qu’il s’agit du plan de cours du programme de formation des nouveaux agents correctionnels. Il a déclaré que, même si la version fournie à l’audience datait de janvier 2015, le contenu était le même que celui de la version en vigueur au moment où la fonctionnaire est censée avoir suivi sa formation, bien que le format du document diffère. M. Loeb a déclaré que le programme de formation est dispensé par étapes. La première étape consiste en environ 80 heures de cours en ligne, effectuées en 4 à 5 semaines, et qui aboutissent à un examen. La deuxième étape est constituée d’environ 40 heures de travaux à effectuer par les recrues, sur la base des connaissances transmises lors de la première étape, qui doivent être réalisés sur une période de 2 à 4 semaines. La troisième étape consiste en une formation en personne dans les installations de formation du SCC. Il s’agit d’un programme de 351 heures en classe, réparties sur une période de 11 à 12 semaines.

[115] M. Loeb a indiqué que le cours no 6 de la première étape du PFC était intitulé [traduction] « Prévention du suicide et de l’automutilation ». Aux étapes deux et trois, une séance intitulée [traduction] « Réagir aux situations de suicide et d’automutilation » était offerte. Le plan du PFC indiquait que la formation durait sept heures.

[116] M. Loeb a également mentionné le document intitulé [traduction] « Réagir aux situations de suicide et d’automutilation ». Bien que ce document n’indique pas spécifiquement la façon dont un agent correctionnel est censé mener une enquête sur le suicide et l’automutilation, le document est clair et indique les éléments que les agents correctionnels devraient connaître, notamment quant à la surveillance des détenus et aux indicateurs et signes avant-coureurs de ce type de situation.

[117] Au cours de son témoignage, la fonctionnaire a admis qu’elle s’était détournée de la détenue A et qu’elle tournait le dos à la cellule lorsqu’elle déplaçait les chaises qui se trouvaient près de la table de la rangée et le matelas qui avait été utilisé par Mme Scott. Elle a déclaré que ces manœuvres ont duré environ 40 secondes.

[118] La fonctionnaire a témoigné que, pendant que Mme Scott effectuait la SARS de la détenue A, elle a apporté un matelas dans la rangée de l’unité d’isolement, qu’elle a placé contre le mur du fond, en face de la cellule n182. Elle a également confirmé que Mme Scott avait apporté des couvertures. Elle a déclaré que, pendant que Mme Scott effectuait la SARS, elle a constaté que celle-ci était assise, adossée au mur du fond. Elle a déclaré que les couvertures couvraient les jambes de Mme Scott. Elle a déclaré que, chaque fois qu’elle voyait Mme Scott assise le matelas, elle était éveillée et alerte et n’était pas allongée ou endormie. La fonctionnaire a également déclaré que Mme Scott lui avait indiqué que ce qu’elle faisait, par exemple s’asseoir sur un matelas pour effectuer la SARS d’une détenue, était possible à l’EFGV. La fonctionnaire a déclaré avoir indiqué à Mme Scott que le fait de s’asseoir sur un matelas pour effectuer une SARS n’était pas convenable.

[119] En ce qui concerne l’allégation selon laquelle la fonctionnaire lisait un livre pendant la SARS dont elle avait la charge, les notes d’entrevue de Mme Popiwchak révèlent qu’il a été demandé à la fonctionnaire si elle avait apporté un livre ou d’autres documents de lecture avec elle. Les notes indiquent qu’elle a répondu avoir consulté [traduction] « une feuille de contrôle » et qu’elle a ensuite dit : [traduction] « Non, pas habituellement; peut-être un livre posé sur un bureau ou quelque chose comme ça. » Dans son témoignage, la fonctionnaire a nié le fait qu’elle lisait un livre, bien qu’elle ait admis qu’elle en avait un sur elle au moment où elle est venue remplacer Mme Scott à 02:19:54. Elle a ensuite déclaré qu’elle apportait des livres pour les détenues, car la bibliothèque des détenues se trouvait juste derrière la porte de la rangée. Elle a déclaré que les détenues (vraisemblablement dans l’unité d’isolement) ne sortaient pas. Elle a ensuite déclaré que, si le livre devait être donné à la détenue A, il aurait dû être approuvé par les psychologues. Elle a ensuite déclaré que le livre avait été laissé sur la table de la rangée lorsqu’elle est partie. Aucun de ces propos n’a été tenu lors de la seconde entrevue.

[120] M. Kassen a déclaré qu’il avait décidé d’imposer à la fonctionnaire une suspension disciplinaire de trois semaines parce que les actes d’inconduite, tels qu’ils sont énoncés dans la lettre disciplinaire, découlaient de la manière dont elle avait effectué la SARS de la détenue A et du fait qu’elle n’avait pas dénoncé Mme Scott concernant la manière dont cette dernière avait effectué la SARS de la détenue A.

[121] L’IPL qui était en poste au PCUI entre 23 h le 22 janvier et 7 h le 23 janvier n’a pas témoigné; cependant, elle a été interrogée dans le cadre de l’enquête et les notes d’entrevue de M. Anderson et de Mme Popiwchak, ainsi que le rapport d’enquête, révèlent que cette IPL a indiqué ce qui suit :

[Traduction]

• une fois les détenues de la rangée enfermées pour la nuit, la porte de la rangée était déverrouillée et, par conséquent, les employés n’avaient pas à demander à l’agent en poste au PCUI de déverrouiller la porte pour entrer et sortir de l’unité;

• il est nécessaire que l’IPL qui effectue la SARS assure une observation constante de la détenue;

• normalement, l’IPL qui effectue la SARS est assis sur une chaise ou debout à la porte de la cellule de la détenue.

 

[122] Le 2 juin 2017, la fonctionnaire a envoyé le courriel suivant à plusieurs IPL :

[Traduction]

[…]

Comme certains d’entre vous le savent déjà, je fais l’objet d’un examen minutieux pour savoir si j’ai effectué correctement ou non la surveillance accrue dont j’avais la charge. Je crois de tout cœur que je l’ai fait, mais l’enquêteur a l’impression qu’on ne peut pas observer la détenue de la première cellule respirer lorsque l’on est assis sur la chaise de bureau basse et derrière la table de la rangée. Comme la plupart d’entre nous, pendant les quarts de soir et parfois pendant la journée, selon ce que fait la détenue, nous nous assoyons à cet endroit pour poser notre café, notre feuille de contrôle ou des articles pour la détenue, et nous pouvons clairement observer la détenue depuis cet endroit; j’aimerais vous demander votre soutien sous la forme d’un courriel confirmant qu’il est possible d’observer les détenues allongées sur leur lit dans la première cellule depuis cet endroit?

[…]

 

[123] Mme Zhong a répondu au courriel de la fonctionnaire le 5 juin 2017. Elle a identifié son courriel de ce jour-là, qui indiquait ce qui suit :

[Traduction]

[…]

J’ai effectué de nombreuses surveillances accrues depuis que j’ai commencé à travailler à l’EEF. Je peux confirmer que je n’ai aucun problème à observer une détenue endormie, respirant dans son lit avec la lumière allumée en m’assoyant sur une chaise de bureau basse près de la table de la rangée. En fait, c’est le meilleur endroit pour observer la détenue lorsqu’il n’y a pas de chaise de bureau haute disponible. En s’assoyant devant la porte de la cellule avec la chaise de bureau basse, il est vraiment difficile d’avoir une vue sans incliner le haut du corps, et personne ne peut tenir longtemps dans cette position. Au contraire, nous avons une vue claire sans nous épuiser facilement en nous assoyant près de la table de la rangée sur la chaise de bureau basse. De plus, peu importe où les agents sont assis, nous ajustons nos postures lorsque la détenue bouge afin d’avoir la meilleure visibilité.

[…]

 

[124] Mme Zhong a témoigné avoir été IPL à l’EEF de 2014 à 2019, après quoi elle a été transférée à l’EFGV. Elle a déclaré mesurer 5 pieds ou 5 pieds et 1 pouce. Elle a déclaré que, pendant son affectation à l’EEF, elle a effectué, en moyenne, 2 à 3 SARS par mois, parfois plus. La représentante de la fonctionnaire lui a demandé comment elle se plaçait lorsqu’elle effectuait une SARS, ce à quoi elle a répondu : [traduction] « La plupart du temps, nous devons nous asseoir sur une chaise basse. » Lorsqu’on lui a demandé si la direction lui indiquait comment et sur quoi elle devait se tenir, elle a répondu ne se souvenir d’aucun problème avec la direction et a déclaré : [traduction] « [N]’importe quelle chaise qui permet d’observer la détenue. » En contre-interrogatoire, elle a confirmé qu’elle n’a pas effectué la SARS de la détenue A et qu’elle n’a pas effectué de patrouilles de sécurité dans l’unité d’isolement les 22 et 23 janvier. Elle a également confirmé qu’elle ne savait pas si la chaise haute était disponible pendant ce quart de travail.

[125] Mme Sorokopud a répondu au courriel de la fonctionnaire le 4 juin 2017. Elle a identifié son courriel de ce jour-là, qui indiquait ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Moi, Lesya Sorokopud, ai effectué des tâches de surveillance accrue à de nombreuses occasions. Je confirme que l’on peut observer une détenue endormie (de la tête aux pieds) respirer dans la cellule 182 avec une lumière allumée, tout en étant assis sur une chaise de bureau près de la table de la rangée. Le seul moment où l’on doit se déplacer pour avoir une meilleure vue, c’est lorsque la détenue doit aller aux toilettes. Pour être honnête, le fait de s’asseoir près de la table de la rangée et d’observer la détenue est parfois tellement préférable, surtout pendant les quarts de nuit, lorsque la détenue dort et qu’elle ne bouge pas beaucoup. Cela permet de faire son travail, car on voit toujours la détenue respirer, mais c’est plus confortable pour l’agent. On peut rester assis sur la chaise haute beaucoup plus longtemps sans se fatiguer à cet endroit, ce qui est très important, surtout si vous n’avez pas beaucoup d’autres agents disponibles pour échanger avec vous pendant votre quart de travail. La chaise haute sur laquelle nous devons nous asseoir devant la cellule peut être extrêmement inconfortable. La plupart du temps, le repose-pieds de cette chaise ne fonctionne pas et le fait de s’asseoir sur cette chaise sans repose-pieds coupe tout simplement la circulation sanguine des jambes en quelques minutes (mes pieds ne touchent jamais le sol sur cette chaise). Quant au fait de rester debout devant la cellule, cela peut devenir très vite épuisant, surtout quand on passe habituellement au moins une heure d’affilée en surveillance accrue. Daphne, si vous demandez à quelqu’un qui a effectué une surveillance accrue et s’est assis près de la table de la rangée en observant la détenue dans la cellule 182 avec la lumière allumée, dans notre établissement, il pourra confirmer qu’il a une bonne visibilité.

[…]

 

[126] Mme Sorokopud a témoigné avoir été IPL à l’EEF de janvier 2015 au 30 septembre 2017. Elle a déclaré mesurer 5 pieds et 5 pouces. Elle a déclaré qu’au cours de son affectation à l’EEF, elle a effectué environ 20 SARS, bien qu’elle ait également déclaré que parfois, elle effectuait des SARS plusieurs fois au cours d’un seul quart de travail. La représentante de la fonctionnaire lui a demandé de décrire la chaise de bureau. Elle a répondu que, de mémoire, il s’agissait d’une chaise de bureau souple, puis a indiqué qu’elle était généralement haute, mais a ajouté qu’une chaise basse était également disponible et que celle-ci permettait de toucher le sol avec ses pieds. Elle a déclaré que la chaise haute ne lui convenait pas, mais que la chaise de bureau pouvait être réglée et que ses pieds pouvaient toucher le sol. Elle a ajouté que lors d’une SARS, les employés présents sont peu nombreux et que, si vous avez besoin de vous asseoir, la chaise de bureau est plus confortable. Lorsqu’on lui a demandé dans quelle mesure, le cas échéant, la direction avait discuté avec elle de la possibilité d’effectuer une SARS en se tenant près de la table de la rangée, et elle a répondu n’en avoir jamais discuté. Elle a dit qu’on ne lui avait jamais expliqué comment elle devait effectuait la SARS et qu’on ne l’avait jamais sanctionnée. En contre-interrogatoire, elle a confirmé qu’elle n’a pas effectué de SARS de la détenue A ni de patrouilles de sécurité dans l’unité d’isolement les 22 et 23 janvier. Elle a également confirmé qu’elle ne savait pas si la chaise haute était disponible pendant ce quart de travail ni où se tenait la fonctionnaire lorsqu’elle a effectué la SARS le 23 janvier.

[127] Mme Greyeyes a répondu au courriel de la fonctionnaire le 5 juin 2017. Elle a identifié son courriel de ce jour-là, qui indiquait ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Je n’étais pas au courant qu’il y avait une sorte d’enquête en cours. Mais je peux vous assurer qu’on peut avoir une vue (directe) depuis la table de l’unité d’isolement de la première cellule d’isolement de l’unité d’isolement. On a une vue claire de la cellule et selon l’endroit où se trouvait la détenue, il est possible de la voir. À moins qu’elle ne soit aux toilettes, je pense que c’est le seul endroit qui nécessite d’être près de la fenêtre pour la voir.

[…]

 

[128] Mme Greyeyes a témoigné avoir été IPL à l’EEF de 2009 jusqu’en 2018. Elle a déclaré mesurer 5 pieds et 6 pouces. Elle a déclaré avoir effectué un certain nombre de SARS lorsqu’elle était à l’EEF, mais elle n’a pas donné un chiffre exact. Elle a déclaré qu’elle effectuait ces SARS régulièrement; lorsqu’il lui a été demandé si elle effectuait des SARS tous les jours ou toutes les semaines, elle a répondu qu’elle en effectuait assurément tous les mois. Elle a également déclaré que l’on pouvait avoir une vue de l’ensemble de la cellule, à l’exception des toilettes. Elle a indiqué qu’elle n’assurait pas cette surveillance de loin, mais qu’elle se déplaçait suffisamment pour avoir une bonne vue. Lorsqu’on lui a demandé dans quelle mesure, le cas échéant, la direction lui avait indiqué l’endroit où elle devait se tenir lorsqu’elle effectuait la SARS, elle a répondu que la direction ne lui en avait jamais parlé. En contre-interrogatoire, elle a déclaré ne pas se souvenir si elle avait effectué une SARS de la détenue A ou des patrouilles de sécurité dans l’unité d’isolement les 22 et 23 janvier.

[129] Mme Bellerose a répondu au courriel de la fonctionnaire le 2 juin 2017. Elle a identifié son courriel de ce jour-là, qui indiquait ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Bonjour, j’ai effectué des surveillances accrues à de nombreuses reprises. Je peux dire que l’on peut parfaitement observer la détenue lorsqu’elle est dans sa cellule ou allongée sur le lit, car il y a une lumière allumée au-dessus d’elle et on peut la voir respirer. Si la détenue se lève et se déplace, on peut aussi se lever et la surveiller par la fenêtre. Cependant, les nuits, cela n’arrive jamais, elles sont généralement en train de dormir.

[…]

 

[130] Mme Bellerose a témoigné qu’au moment de l’audience, elle était IPL à l’EEF et ce depuis 25 ans. Elle a déclaré mesurer 5 pieds et 5 pouces. Elle a déclaré avoir effectué un certain nombre de SARS lorsqu’elle était à l’EEF et qu’au moment où elle témoignait (août 2021), elle en avait effectué environ 15 au cours des deux dernières années. Elle a déclaré que l’on pouvait parfaitement voir une détenue se trouvant dans la cellule no 182 et que si la détenue dans la cellule bougeait le matelas sur le sol, ce qui arrivait parfois, il fallait se déplacer. Lorsqu’on lui a demandé dans quelle mesure, le cas échéant, la direction lui avait indiqué l’endroit où elle devait se tenir lorsqu’elle effectuait une SARS, Mme Bellerose a répondu que la direction ne lui en avait jamais parlé. En contre‑interrogatoire, elle a déclaré qu’elle n’était pas de service les 22 et 23 janvier.

[131] Plusieurs évaluations du rendement de la fonctionnaire ont été déposées en preuve, notamment des évaluations de son travail en tant que commis (CR-4) avant de devenir agente correctionnelle, ainsi que des évaluations effectuées après qu’elle est devenue agente correctionnelle de groupe et de niveau CX-2, pour les exercices 2014-2015 à 2020-2021.

III. Résumé de l’argumentation

[132] L’employeur m’a renvoyé à Besirovic c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2021 CRTESPF 33, à Bridgen c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 92, à Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.), à Cooper c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 119, à Douglas c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2020 CRTESPF 51, à Hogarth c. Conseil du Trésor (Approvisionnements et Services), dossier de la CRTFP 166-02-15583 (19870331), à McKenzie c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 26, à N. J. c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 129, à Philps c. Agence du revenu du Canada, 2016 CRTEFP 110, à Rahim c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 121, à Ranu c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 89, à Stead c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 87, à Tipple c. Canada (Conseil du Trésor), [1985] A.C.F. no 818 (C.A.) (QL), à Yayé c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTEFP 51, à Walker c. Administrateur général (ministère de l’Environnement et du Changement climatique), 2018 CRTESFP 78, et à William Scott & Co. v. C.F.A.W., Local P-162, 1976 CarswellBC 518 (« Wm. Scott »).

[133] L’employeur a demandé le rejet du grief.

[134] La fonctionnaire m’a également renvoyé à Wm. Scott, Besirovic et Bridgen, ainsi qu’à King c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 84, à Carignan c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2019 CRTESPF 86, à Lyons c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2020 CRTESPF 122, à Desjarlais c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 88, à Cyr c. Agence Parcs Canada, 2016 CRTEFP 111, à Maas c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 123, à Verville c. Canada (Service correctionnel), 2004 CF 767, à Stann c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2018 CRTESPF 5, à Lloyd c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 115 et à Kinsey c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2015 CRTEFP 30.

[135] La fonctionnaire a demandé que le grief soit accueilli et qu’on lui accorde les réparations suivantes :

• le remboursement des 15 jours de salaire perdu en raison de la suspension;

• des intérêts préjugement et post-jugement sur la rémunération perdue au taux applicable dans la province de la Colombie-Britannique;

• toute rémunération perdue pour les heures supplémentaires et les primes de poste;

• le rajustement de ses heures ouvrant droit à pension;

• le rajustement de toute perte de congé;

• le retrait de la mesure disciplinaire de son dossier.

 

[136] De plus, la fonctionnaire a demandé que je demeure saisi du présent cas pour régler toute question découlant de la mise en œuvre de toute réparation que j’accorde.

IV. Motifs

A. Ordonnance de mise sous scellés

[137] L’employeur a demandé que les vidéos de la cellule no 182 et de la rangée de l’unité d’isolement, la vidéo d’enquête, ainsi que le schéma de l’unité d’isolement soient mis sous scellés. Dans Basic c. Association canadienne des employés professionnels, 2012 CRTFP 120, aux paragraphes 9 à 11, la Commission des relations de travail dans la fonction publique a déclaré ce qui suit :

9 La mise sous scellés de documents ou de dossiers déposés en vue d’une audience judiciaire ou quasi judiciaire va à l’encontre du principe fondamental consacré dans notre système de justice selon lequel les audiences sont publiques et accessibles. La Cour suprême du Canada a statué que l’accès du public aux pièces et aux autres documents déposés dans le cadre d’une procédure judiciaire était un droit protégé par la Constitution en vertu des dispositions sur la « liberté d’expression » de la Charte canadienne des droits et libertés; voir Société Radio-Canada c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), [1996] 3 R.C.S. 480; Dagenais c. Société Radio‑Canada, [1994] 3 R.C.S. 835; R. c. Mentuck, 2001 CSC 76, Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41 (CanLII).

10 Cependant, la liberté d’expression et le principe de transparence et d’accessibilité publique des audiences judiciaires et quasi judiciaires doivent parfois être soupesés en fonction d’autres droits importants, dont le droit à une audience équitable. Bien que les cours de justice et les tribunaux administratifs aient le pouvoir discrétionnaire d’accorder des demandes d’ordonnance de confidentialité, de nonpublication et de mise sous scellés de pièces, ce pouvoir discrétionnaire est limité par l’exigence de soupeser ces droits et intérêts concurrents. Dans Dagenais et Mentuck, la Cour suprême du Canada a énuméré les facteurs à prendre en considération pour déterminer s’il convient d’accepter une demande de restriction de l’accès aux procédures judiciaires ou aux documents déposés dans le cadre de ces procédures. Ces décisions ont mené à ce que nous connaissons aujourd’hui comme étant le critère Dagenais/Mentuck.

11 Le critère Dagenais/Mentuck a été établi dans le cadre de demandes d’ordonnance de nonpublication dans des instances criminelles. Dans Sierra Club of Canada, la Cour suprême du Canada a précisé le critère en réponse à une demande d’ordonnance de confidentialité dans le cadre d’une procédure civile. Le critère adapté est le suivant :

[…]

1. elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d’un litige, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter le risque.

2. ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

[…]

 

[138] Dans les circonstances actuelles, j’estime qu’il est approprié de mettre les pièces sous scellés. Il est dans l’intérêt du public de préserver la confidentialité de l’aménagement de la sécurité des locaux d’un établissement ainsi que la vie privée de la détenue A. La mise sous scellés de ces vidéos n’affecte en rien la transparence de la décision ou du processus. Par conséquent, la mise sous scellés des pièces E-3, E-6, E-7 et G-6 est ordonnée.

[139] Je fais également remarquer que, dans les dossiers de documents de l’employeur et de la fonctionnaire, à certains endroits, le nom de la détenue A, par inadvertance, n’a pas été caviardé. Les parties doivent revoir les dossiers de documents qu’elles ont soumis pour s’assurer que le nom de la détenue A est partout caviardé. La Commission doit mettre sous scellés tous les dossiers de pièces dans lesquels le nom de la détenue A pourrait être visible par inadvertance pendant une période de 30 jours pour permettre aux parties d’effectuer cette tâche et de fournir à la Commission des dossiers de remplacement.

B. Demande de visite des lieux

[140] Au cours de l’audience, j’ai appris que les dossiers relatifs à la suspension et au licenciement de Mme Scott ont également été soumis à la Commission et qu’ils découlaient des mêmes événements ou presque. Après que cela a été porté à l’attention de la présidente de la Commission, ces dossiers m’ont également été confiés.

[141] Alors que l’audience de la semaine du 18 novembre 2019 touchait à sa fin, et étant donné qu’elle n’était pas terminée, j’ai discuté avec les parties de la possibilité de la poursuivre à Edmonton, en même temps que l’audience des griefs déposés par Mme Scott, qui se rapportent à la même SARS le matin du 23 janvier, et d’effectuer une visite de l’unité d’isolement de l’EEF et de la cellule no 182. L’avocat de l’employeur et la représentante de l’employeur dans la présente affaire sont également ceux impliqués dans les griefs de Mme Scott; toutefois, la représentante syndicale dans les griefs de Mme Scott était différente de la représentante impliquée dans la présente affaire. J’ai demandé au greffe de la Commission d’organiser la poursuite coordonnée de la présente procédure et de l’audience des griefs de Mme Scott à Edmonton, de sorte qu’une visite de l’EEF puisse être effectuée en présence des représentants impliqués dans les deux affaires et de moi-même.

[142] Malgré les efforts de toutes les parties concernées, la pandémie de COVID-19 a frappé avant que les affaires puissent être mises au rôle à Edmonton et qu’une visite de l’EEF soit effectuée. À la mi-mars 2020, la Commission a cessé d’entendre les affaires, annulant toutes les audiences qui avaient été prévues jusqu’à la fin du mois de juillet 2020. À la fin de l’été 2020, la Commission a repris ses audiences, mais toutes étaient menées virtuellement via une plateforme de vidéoconférence, à savoir Zoom ou Microsoft Teams. Depuis le début de la pandémie, le gouvernement fédéral et une grande partie de la fonction publique ont travaillé à domicile et ne sont pas retournés dans leurs bureaux. En outre, les déplacements des fonctionnaires fédéraux ont été fortement réduits.

[143] Avant la poursuite de cette affaire et l’audience des griefs de Mme Scott, j’ai été informé par l’avocat de l’employeur que le SCC effectuait des rénovations à l’unité d’isolement de l’EEF et qu’il se pouvait que l’unité ne soit pas dans le même état après les rénovations que le matin du 23 janvier. Toutefois, à la date de l’audience de conclusion de la présente affaire, soit les 3 et 4 août 2021, et de l’audience des griefs de Mme Scott, ces rénovations avaient été retardées, et l’avocat de l’employeur a réitéré sa demande de visite des lieux.

[144] Bien que les choses se soient améliorées sur le front de la pandémie à la fin de l’été 2021, lorsque j’ai terminé l’audience de cette affaire et que j’ai entendu et clos les griefs de Mme Scott (tous deux par vidéoconférence), le pays se trouvait en plein dans la troisième vague de la pandémie, avec de nombreuses mesures de restriction nationales, provinciales et locales encore en place; la quatrième vague n’avait pas encore déferlé. J’ai déterminé, en me fondant sur les preuves que j’ai vues et entendues dans cette affaire et sur les griefs de Mme Scott (dont la plupart étaient similaires ou identiques à ceux de la fonctionnaire), et en tenant compte de l’état actuel de la pandémie et des recommandations formulées par les autorités sanitaires compétentes, qu’il n’était pas nécessaire, et qu’il ne serait pas sûr ou sage, de se rendre à l’EEF ou d’exiger que les parties et leurs représentants s’y rendent pour effectuer une visite des lieux. En conséquence, aucune visite n’a été effectuée.

C. Le bien-fondé du grief

[145] Les audiences d’arbitrage concernant les mesures disciplinaires aux termes de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sont des audiences de novo et le fardeau de la preuve incombe au défendeur.

[146] Pour trancher les questions portant sur des mesures disciplinaires, on examine habituellement les trois critères suivants (voir Wm. Scott) : Y a-t-il eu inconduite de la part du fonctionnaire? Le cas échéant, la mesure disciplinaire que l’employeur a imposée étaitelle excessive dans les circonstances? Si elle était excessive, quelle autre mesure juste et équitable devrait y être substituée dans les circonstances?

1. Y a-t-il eu inconduite de la part de la fonctionnaire?

[147] Les actes d’inconduite allégués se rapportent tous à la façon dont la fonctionnaire a exercé ses fonctions dans l’unité d’isolement de l’EEF le matin du 23 janvier. L’inconduite alléguée par l’employeur et décrite dans la lettre disciplinaire découlait du fait que la fonctionnaire n’avait pas effectué ses patrouilles de sécurité conformément à la DC 566-4, qu’elle n’avait pas effectué la SARS de la détenue A conformément à la DC 843, et qu’elle a été consciente de l’exécution par Mme Scott de ses tâches dans [traduction] « une position horizontale » et n’a pas réagi à cet égard. Ses actions contrevenaient à la fois aux Normes de conduite professionnelle et au Code, plus précisément à la première norme – Responsabilité dans l’exécution des tâches, comme suit :

[…]

· omet de respecter ou d’appliquer une loi, un règlement, une directive du commissaire, un ordre permanent ou une autre directive quelconque ayant trait à ses fonctions;

· omet de prendre les mesures voulues ou néglige ses fonctions d’agent de la paix d’autres façons;

· exerce ses fonctions de façon négligente et par ce fait, soit directement ou indirectement, met en danger un autre employé du Service ou une autre personne quelconque ou cause des blessures ou la mort;

[…]

 

[148] Le 20 janvier 2017, un professionnel de la santé mentale a déterminé que la détenue A présentait un risque d’automutilation ou de suicide, et il a été décidé qu’elle ferait l’objet d’une SARS. Elle a été placée dans la cellule no 182 de l’unité d’isolement. La cellule no 182 est la première cellule située à droite lorsque l’on entre dans l’unité d’isolement. Si l’on regarde la cellule n182 en se tenant à sa porte, à gauche se trouve une autre cellule, et à droite, la douche.

[149] Entre 0 h et 7 h le 23 janvier, deux IPL, soit la fonctionnaire et Mme Scott, ont été chargées d’effectuer la SARS de la détenue A. De 0 h à 3 h environ, Mme Scott était chargée d’effectuer la SARS, et de 3 h à 7 h environ, la fonctionnaire était chargée d’effectuer la SARS; cependant, la vidéo de la rangée déposée en preuve révèle l’absence de délimitation claire de la période durant laquelle chacune des deux IPL devait effectuer la SARS et le fait que toutes les deux se chevauchaient dans l’exécution de leur tâche de SARS puisqu’elles étaient toutes les deux présentes dans la rangée en même temps. Ces éléments seront exposés plus en détail plus loin dans les présents motifs.

[150] Les allégations contre la fonctionnaire peuvent être divisées en fonction des actes d’inconduite suivants :

a) la fonctionnaire n’a pas effectué ses patrouilles de sécurité conformément aux règles et procédures applicables;

b) la fonctionnaire n’assurait pas une observation directe et constante de la détenue A lorsqu’elle n’était pas assise contre le mur du fond de la rangée de l’unité d’isolement;

c) la fonctionnaire n’assurait pas une observation directe et constante de la détenue A lorsqu’elle était assise contre le mur du fond de la rangée de l’unité d’isolement;

d) la fonctionnaire n’a pas dénoncé le comportement de Mme Scott, qui s’est allongée ou a dormi sur un matelas pendant qu’elle était chargée de la SARS de la détenue A.

 

[151] Pour les motifs qui suivent, j’estime que l’employeur a établi certaines des inconduites qu’il a alléguées. Par conséquent, il a satisfait au premier critère énoncé dans Wm. Scott.

a. La fonctionnaire n’a pas effectué ses patrouilles de sécurité conformément aux règles et procédures applicables

[152] Entre 00:00:00 et 03:00:00, alors qu’elle n’était pas chargée d’effectuer la SARS de la détenue A, la fonctionnaire a eu à effectuer d’autres tâches, notamment des patrouilles de sécurité. Aucune preuve n’a été présentée au sujet de ces patrouilles de sécurité qui ont eu lieu à l’extérieur de l’unité d’isolement et, si je comprends bien la mesure disciplinaire imposée, celle-ci ne portait que sur la façon dont la fonctionnaire a effectué les patrouilles de sécurité dans la rangée, et la vidéo de la rangée montre clairement à quels moments la fonctionnaire s’en chargeait. La preuve a révélé que la fonctionnaire a effectué trois patrouilles de sécurité dans la rangée de l’unité d’isolement entre 00:00 et 00:03:00, comme suit :

· à partir de 00:17:10;

· à partir de 01:14:10;

· à partir de 02:11:29.

 

[153] La fonctionnaire a nié avoir effectué ces patrouilles de façon inappropriée.

[154] J’ai visionné les vidéos de la rangée et de la cellule dans leur intégralité et avec une grande attention.

[155] La DC 566-4 énonce les dispositions relatives aux dénombrements et aux patrouilles de sécurité et indique qu’elles doivent être aussi fréquentes que possible, mais qu’elles doivent avoir lieu au moins une fois toutes les 60 minutes à partir du début de la dernière patrouille et que les patrouilles doivent être décalées, pour éviter toute prévisibilité. Il est également précisé que, pendant les patrouilles, l’IPL doit s’assurer que les détenus sont bien en vie.

[156] Il apparaît clairement que la fonctionnaire a effectué au moins une patrouille de sécurité dans les 60 minutes suivant ses patrouilles précédentes, puisque la première patrouille a eu lieu à 00:17:10 et les deux suivantes à 01:14:10 et 02:12:30, soit moins de 60 minutes après la patrouille précédente. Je ne dispose d’aucune preuve concernant la patrouille de sécurité qui a été effectuée avant celle effectuée par la fonctionnaire à 00:17:10. Par conséquent, je vais présumer que sa première patrouille a été effectuée dans le délai approprié et que, par conséquent, la fonctionnaire n’a pas enfreint la disposition pertinente de la DC 566-4.

[157] Dans la partie de la présente décision consacrée à la preuve, j’ai expliqué en détail comment la fonctionnaire a effectué le contrôle des quatre cellules des détenues de la rangée pendant les trois patrouilles de sécurité. Quatre détenues et 3 patrouilles équivalent à 12 contrôles. Les détails exposés dans la partie de la présente décision consacrée à la preuve révèlent clairement que, sur ces 12 contrôles, tous, sauf un, ont duré environ une seconde, et plusieurs ont duré moins d’une seconde. Comme indiqué plus haut dans la présente décision, les vidéos de la rangée et des cellules enregistrent le temps en heures, minutes, secondes et millisecondes. Les vidéos peuvent être arrêtées, mises en pause et rembobinées pour vérifier l’heure exacte.

[158] Je suis convaincu que, compte tenu de la façon dont la fonctionnaire a effectué ces patrouilles de sécurité, à l’exception de la seule fois où elle a regardé dans la dernière cellule de la rangée pendant 13 secondes, elle n’a pas été en mesure de vérifier si une personne était bien en vie. Il est évident qu’au cours de certaines de ces patrouilles de sécurité, elle a passé l’essentiel de son temps à discuter avec Mme Scott.

[159] Je conclus que l’employeur s’est acquitté de son fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la fonctionnaire a enfreint la DC 566-4 le matin du 23 janvier.

b. La fonctionnaire n’assurait pas une observation directe et constante de la détenue A lorsqu’elle n’était pas assise contre le mur du fond de la rangée de l’unité d’isolement
c. La fonctionnaire n’assurait pas une observation directe et constante de la détenue A lorsqu’elle était assise contre le mur du fond de la rangée de l’unité d’isolement

[160] J’ai regroupé ces deux éléments, car le critère à appliquer est en grande partie le même : la fonctionnaire a-t-elle assuré une observation directe et constante de la détenue A lorsqu’elle a été chargée d’effectuer la SARS de la détenue A aux premières heures du 23 janvier?

[161] Dans la description de travail d’un IPL, la toute première ligne de la rubrique [traduction] « Service à la clientèle » indique ceci : [traduction] « Les opérations correctionnelles liées à la sécurité et à la protection du public, du personnel, des détenus et de l’établissement [...] » Sous la rubrique [traduction] « Activités principales », la toute première activité mentionnée est la [traduction] « [...] sécurité au sein de l’établissement (comprend le public, le personnel, les bénévoles, les visiteurs, les prestataires de services et les détenus). »

[162] La DC 843 traite de la gestion des détenus qui présentent des comportements d’automutilation et de suicide. Elle énonce les mesures à prendre pour évaluer le comportement d’un détenu et, s’il est déterminé que le comportement du détenu correspond aux critères d’automutilation ou de suicide, un protocole est mis en place. Il prévoit trois niveaux de surveillance du risque de suicide, dont le plus élevé est la SARS. Lorsqu’un détenu est placé sous SARS, il est placé dans une cellule réservée à la surveillance du risque de suicide et « [...] [est] sous l’observation directe constante d’un agent correctionnel/intervenant de première ligne (ou d’un professionnel de la santé mentale dans les centres régionaux de traitement). La surveillance par caméra seulement est interdite. »

[163] La définition même de la « surveillance accrue du risque de suicide » et le fait qu’un professionnel de la santé qualifié, qui est responsable des détenus de l’établissement, a déterminé qu’un détenu particulier devait être placé sous surveillance accrue du risque de suicide indiquent clairement que cette personne court un risque important de se faire du mal ou de tenter de se suicider immédiatement ou à tout moment.

[164] Je n’ai aucun doute quant au fait que l’expression « observation directe constante » est à la fois claire et sans ambiguïté. Les mots « constant » et « direct » sont définis comme suit dans le New World Dictionary of the American Language :

[Traduction]

constant

1. qui ne change pas; qui reste le même; en particulier, a) qui reste ferme dans ses intentions; résolu; b) […] c) qui ne varie pas ou ne change pas; régulier; stable 2. Qui dure tout le temps; en continu; persistant […]

[…]

 

[Traduction]

direct

1. […] non interrompu […]3. sans rien ni personne entre les deux; immédiat; proche, de première main ou personnel; 4. En ligne de descendance ininterrompue; linéaire;

 

[165] Je n’ai aucun doute sur ce que signifie l’emploi des termes « constante » et « directe » dans la DC 843 et sur ce que les IPL doivent comprendre : on surveille en permanence le détenu pour s’assurer qu’il est en sécurité et qu’il ne commet aucun geste pour tenter de se blesser ou de s’enlever la vie. C’est l’unique objectif de la SARS. Il ne s’agit pas de surveiller [traduction] « plus ou moins » ou de surveiller [traduction] « de temps en temps » ou de [traduction] « regarder ou jeter un coup d’œil ». Cela signifie [traduction] « toujours ».

i. Lorsque la fonctionnaire n’était pas assise contre le mur du fond

[166] À 00:06:00, les vidéos de la rangée et de la cellule montrent la fonctionnaire assise sur la chaise haute et qui regarde par la fenêtre supérieure de la porte de la cellule no 182. M. Kassen, M. Shea, M. Anderson et Mme Marghella ont déclaré que c’est bien dans cette position que la SARS devait être effectuée. Il fallait assurer une observation directe et constante de la détenue, de sorte que l’on pouvait observer tout le corps de celle-ci, en particulier sa tête et son torse, ainsi que ses bras et ses mains, même si une partie ou la totalité du corps pouvait être recouverte d’une couverture de sécurité. S’asseoir et observer par cette fenêtre supérieure était facultatif; les IPL pouvaient également se tenir debout s’ils le souhaitaient.

[167] C’est d’ailleurs ce que la fonctionnaire a affirmé lors de son entrevue avec M. Anderson et Mme Popiwchak et qui est consigné dans leurs notes et dans le rapport d’enquête, comme suit :

[Traduction]

[…]

L’IPL DESJARLAIS a indiqué qu’elle avait déjà effectué des surveillances accrues du risque de suicide. L’IPL DESJARLAIS a expliqué que l’intervenant de première ligne devait s’asseoir à la porte de la cellule de la détenue et observer cette dernière. […]

[…]

L’IPL DESJARLAIS a rapporté que, pendant la période de surveillance accrue dont elle avait la charge, de 03:00 à 07:00, elle s’est assise sur une chaise placée directement en face de la porte de la cellule de la détenue. L’IPL DESJARLAIS a répété que les deux grandes fenêtres de la porte de la cellule servaient à observer la détenue. L’IPL DESJARLAIS a confirmé qu’elle était assise sur une chaise haute jusqu’à ce qu’elle soit remplacée à 7:00.

[…]

 

[168] La preuve a révélé que la fonctionnaire était chargée de la SARS de la détenue A entre 00:00 et 07:15 le 23 janvier. Au cours de trois périodes pendant lesquelles la fonctionnaire avait la charge de la SARS, celle-ci n’a pas assuré une observation directe et constante de la détenue A : de 00:00:56 à 00:08:54, de 02:19:54 à 02:29:03, et de 03:05:45 à 07:15:46.

[169] Entre 00:00:56 et 00:08:54, la fonctionnaire semblait être chargée de la SARS de la détenue A, car Mme Scott, qui avait auparavant assuré la SARS, quitte la rangée à 00:00:56. Entre 00:00:56 et 00:01:16, la fonctionnaire n’observe pas la détenue A. À 00:06:43, Mme Scott revient dans la rangée avec un matelas. La fonctionnaire est toujours assise sur la chaise haute à la porte de la cellule no 182 lorsque Mme Scott entre dans la rangée, et peu après, à 00:06:55, elle se détourne de la détenue A et regarde Mme Scott jusqu’à 00:07:07, moment où elle descend de la chaise, en ne regardant toujours pas la cellule, et se tient debout. Elle semble regarder Mme Scott, puis les deux semblent engagées dans une discussion. Ce n’est qu’à 00:07:21 que la fonctionnaire tourne à nouveau son attention vers la détenue A. À 00:08:24, alors que Mme Scott quitte la rangée puis y revient, la fonctionnaire détourne à nouveau son attention de la cellule et de la détenue A pour se concentrer sur Mme Scott. Elle regarde Mme Scott, lui parle ou fait les deux, mais elle ne porte pas son attention là où elle devrait la porter. À 00:08:54, la vidéo de la rangée montre la fonctionnaire sortir de la rangée et Mme Scott, dos à la cellule no 182, se diriger vers le mur du fond de la rangée et le matelas.

[170] Il convient de faire remarquer que Mme Scott n’observe pas la détenue A lorsque la fonctionnaire sort de la rangée. Mme Scott n’observe pas la détenue A avant 00:10:01. Bien que la fonctionnaire ait pu quitter la rangée au moment où elle l’a fait, et que Mme Scott était alors manifestement responsable de la SARS de la détenue A, il est clair que, lorsque la fonctionnaire a interrompu son observation de la détenue A, elle savait très bien que Mme Scott n’était pas en mesure de prendre la relève, car cette dernière ne se trouvait pas près de la cellule et était occupée à manipuler le matelas près du mur du fond de la rangée. La fonctionnaire aurait dû continuer d’effectuer la SARS de la détenue A jusqu’à ce que Mme Scott soit en mesure de la relayer. Les faits révèlent clairement que, lorsque la fonctionnaire est partie, Mme Scott n’observait pas la détenue A et qu’elle n’était pas prête à le faire.

[171] À 02:19:54, la fonctionnaire entre dans la rangée et Mme Scott en sort. La fonctionnaire tient manifestement ce qui ressemble à un livre dans sa main gauche. Elle place la chaise blanche à quelques mètres de la porte de la cellule no 182. Cependant, au lieu de l’orienter de façon à ce que le devant de la chaise fasse face à la cellule, elle l’oriente à 90 degrés vers la droite de la cellule (lorsqu’elle fait face à la cellule), vers la porte la rangée. C’est étrange. La fonctionnaire tourne ensuite le dos à la caméra de la rangée.

[172] La vidéo de la rangée montre clairement que la fonctionnaire entre dans la rangée avec un livre à la main. Avant de déplacer la chaise blanche face à la cellule, elle saisit ce que l’on découvrira plus tard comme étant du papier hygiénique sur la chaise blanche et le place sur un rebord adjacent à la fenêtre du PCUI. Elle ne se déplace pas jusqu’à la table de la rangée ou jusqu’au matelas où Mme Scott était assise pour récupérer le dossier contenant les informations concernant la détenue A. Elle tient uniquement dans ses mains le livre. Après un examen attentif de la vidéo, il apparaît clairement que le livre est ouvert et se trouve à la gauche de la fonctionnaire, qui est assise. Je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, étant donné que la fonctionnaire tenait le livre à la main et que celui-ci était visible à sa gauche pendant qu’elle était assise sur la chaise blanche, dos à la caméra, à plusieurs reprises au cours de cette période d’environ 10 minutes, jusqu’à ce que Mme Scott revienne et s’installe à nouveau contre le mur du fond, la fonctionnaire n’assure pas une observation directe et constante de la détenue A.

[173] La fonctionnaire n’a pas nié catégoriquement avoir lu un livre pendant qu’elle était assise sur la chaise blanche, entre 02:19:54 et 02:29:03; c’est ce qui a été déduit de ses propos. Bien qu’elle ait admis dans son témoignage qu’elle avait apporté un livre dans la rangée, son témoignage à ce sujet a permis de déduire que ce livre était destiné aux détenues, car la bibliothèque de l’établissement se trouve immédiatement à l’extérieur de l’unité d’isolement et que les détenues ne pouvaient pas y avoir accès. J’estime que le témoignage de la fonctionnaire sur la question du livre n’est tout simplement pas crédible et qu’il ne résiste pas au critère de crédibilité énoncé dans Faryna v. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354, dans laquelle la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Si la conclusion du juge de première instance en matière de crédibilité doit dépendre uniquement de la personne qui, selon lui, a fait preuve de la meilleure apparence de sincérité à la barre des témoins, la conclusion devient alors purement arbitraire et la justice dépend alors des meilleurs acteurs à la barre des témoins. À bien y réfléchir, il devient presque évident que l’apparence de sincérité n’est qu’un des éléments qui contribuent à déterminer la crédibilité de la déposition d’un témoin. Les possibilités de connaissance, les pouvoirs d’observation, de jugement et de mémoire, la capacité de décrire clairement ce qu’il a vu et entendu, ainsi que d’autres facteurs, concourent à établir ce qu’on appelle la crédibilité […] Un témoin peut, par son comportement, donner au juge de première instance une impression très défavorable de sa sincérité, et pourtant les circonstances de l’affaire peuvent amener de façon décisive à conclure qu’il dit réellement la vérité. Je ne parle pas des cas relativement peu fréquents où un témoin est pris en flagrant délit de mensonge.

La crédibilité des témoins ayant un intérêt dans l’affaire, en particulier dans les cas de conflit de preuves, ne peut pas être évaluée uniquement en fonction du critère consistant à savoir si l’attitude personnelle du témoin particulier a fini de convaincre que celui-ci disait la vérité. Le critère doit consister à soumettre de façon raisonnable sa version des faits à un examen de cohérence par rapport aux vraisemblances dégagées des circonstances de l’espèce. En résumé, le véritable critère permettant d’établir la véracité de la version d’un témoin dans un tel cas doit être la conformité avec la prépondérance des probabilités qu’une personne raisonnable et informée reconnaîtrait facilement comme raisonnables dans le lieu et les circonstances en question. [...]

[…]

 

[174] Lors de sa seconde entrevue avec M. Anderson et Mme Popiwchak, la fonctionnaire savait qu’elle faisait l’objet d’une enquête, tout comme Mme Scott. Des questions précises lui ont été posées sur le fait d’avoir emporté avec elle un livre ou des documents de lecture. La réponse que la fonctionnaire a donnée au cours de cette seconde entrevue, dont je connais la teneur grâce aux notes de Mme Popiwchak et à l’enregistrement audio, indique qu’elle a, grosso modo, nié avoir apporté un livre avec elle; cependant, elle a indiqué qu’un livre aurait pu se trouver sur le bureau (en supposant qu’elle voulait parler de la table de la rangée). Pourtant, dans le témoignage qu’elle a présenté devant moi, quelque deux ans et demi plus tard, elle a affirmé qu’elle avait bien un livre avec elle, mais a laissé entendre qu’il était sans doute destiné aux détenues, précisant qu’en isolement, les détenues ne peuvent pas sortir pour se procurer un livre et que la bibliothèque de l’établissement se trouve immédiatement à l’extérieur de l’unité d’isolement.

[175] Aucun de ces propos n’a de sens. On voit la fonctionnaire entrer dans la rangée à 02:19:54 avec un livre à la main. La feuille de contrôle n’était pas dans sa main et n’a pas été échangée entre elle et Mme Scott lorsque cette dernière a quitté la rangée. Elle a gardé le livre avec elle, et on le voit sur son côté gauche lorsqu’elle est assise, dos à la caméra; sa chaise est dirigée vers la porte de la rangée. De plus, on la voit avec le livre à la main à 02:56:10 avant de poser le livre sur la chaise blanche, juste avant de quitter la rangée avec M. Robinson quelques secondes plus tard.

[176] La fonctionnaire était en service la première partie du quart d’une durée de douze heures et 45 minutes du 22 au 23 janvier à l’entrée principale, et elle et Mme Marghella ont toutes deux témoigné à ce sujet. Elle a déclaré que la première partie du quart de travail consistait à surveiller l’entrée et les personnes qui sortaient. Je ne trouve pas plausible que, pour une raison quelconque, à 02:19:54, lorsque les détenues de l’unité d’isolement dormaient, la fonctionnaire ait pu aller chercher un livre pour une détenue et l’apporter avec elle à ce moment-là. Outre la déclaration de la fonctionnaire dans son témoignage principal, aucune autre indication ni aucun autre document ne fait état d’une demande de livre pour l’une ou l’autre des détenues de l’unité d’isolement.

[177] Ce n’est pas la première fois que la fonctionnaire modifie sa version des événements en ce qui concerne le livre. La façon dont la fonctionnaire a décrit les événements au cours de l’enquête, à savoir qu’elle a effectué la SARS de la détenue A à la porte de la cellule en regardant par la fenêtre supérieure, n’était pas conforme à la vérité. Elle l’a confirmé lors des deux entrevues; cependant, lors de la seconde entrevue, lorsqu’on lui a demandé si elle avait déplacé les chaises, elle a affirmé qu’elle ne s’en souvenait pas. Il convient de noter que les enquêteurs avaient visionné la vidéo de la rangée et savaient que la fonctionnaire avait en fait passé son temps, pendant la majeure partie de la SARS, assise sur une chaise de bureau appuyée contre le mur du fond et non pas placée directement en face de la porte de la cellule.

[178] Enfin, nous nous intéressons à la période comprise entre 03:05:45 et 07:15:46 pendant laquelle la fonctionnaire était responsable de la SARS de la détenue A. C’est pendant cette période que la fonctionnaire a remplacé Mme Scott. Il est clair, d’après la vidéo, que, pendant certaines périodes comprises entre 03:05:45 et 07:15:46, au cours desquelles la fonctionnaire était censée être responsable de la SARS de la détenue A, celle-ci n’assurait pas une observation directe et constante de la détenue A. Je ne vais pas à nouveau évoquer la preuve relative aux périodes pendant lesquelles la fonctionnaire n’assurait pas une observation directe et constante de la détenue A, car elle a déjà été exposée en détail dans la partie de la présente décision consacrée à la preuve et elle est fondée sur les images parfaitement visibles de la vidéo de la rangée.

[179] Il est clair et évident qu’au cours de ces périodes, la fonctionnaire n’a pas assuré une observation directe et constante de la détenue A, qui faisait l’objet d’une SARS. La fonctionnaire a donc clairement et directement enfreint la DC 843, Gestion des comportements d’automutilation et suicidaires chez les détenus, et a donc enfreint la première norme du Code, « Responsabilité dans l’exécution des tâches », en omettant de prendre des mesures ou en négligeant son devoir d’agent de la paix, et en omettant de se conformer aux lois, aux DC, aux ordres permanents ou à toute autre directive pertinente, ou de les appliquer, dans le cadre de ses fonctions.

ii. Lorsque la fonctionnaire était assise contre le mur du fond

[180] L’autre allégation relative au défaut de la fonctionnaire d’assurer une observation directe et constante de la détenue A porte sur le fait qu’elle était assise sur la chaise de bureau no 2, qui était placée contre le mur du fond, plus ou moins en face de la cellule no 182, bien qu’à environ 12 pieds de la porte de la cellule.

[181] De nombreux paramètres influencent la façon dont une personne peut voir et ce qu’elle peut voir. L’un de ces paramètres est la position de la personne par rapport à ce qu’elle regarde. La position dans laquelle elle se trouve détermine sa perspective. Le New World Dictionary of the American Language propose la définition suivante du terme « perspective » :

[Traduction]

1. L’art de représenter des objets ou une scène de telle manière, par ex. par des lignes convergentes (perspective linéaire), qu’ils apparaissent à l’œil en fonction de la distance relative ou de la profondeur 2. a) l’apparence des objets ou des scènes déterminée par leur distance et leur position relatives b) l’effet de la distance et de la position relatives 3. La relation de proportion entre les parties d’un tout considérée d’un point de vue en particulier ou à un moment donné […]

 

[182] Chaque jour, lorsque nous regardons ou observons avec nos yeux, le concept de perspective est omniprésent; il est constamment mobilisé. Le fait de se tenir à l’entrée d’une porte, entre deux pièces ou dans un couloir près d’une pièce, en est un bon exemple. Lorsque l’on se tient à l’entrée d’une porte, la tête orientée perpendiculairement aux murs de chaque côté, les yeux offrent une vue à 180 degrés, même si l’on regarde vers l’avant. Si l’on maintient cette position et que l’on tourne légèrement la tête vers la gauche, on ne voit plus qu’une partie de ce que l’on voyait sur la droite. Si l’on recule ne serait-ce que d’un pas de la position dans laquelle on se trouvait auparavant, on remarque que, selon l’étendue de la pièce de part et d’autre, des parties importantes de ce que l’on pouvait voir auparavant ne sont plus visibles car elles sont masquées par les côtés de la porte. Si l’entrée de la porte à laquelle l’on se tient est située plus d’un côté de la pièce que de l’autre, la partie de la pièce que l’on ne peut plus voir de chaque côté changera. Chaque fois que l’on recule d’un pas vers l’extérieur de la pièce, tout en continuant à regarder à travers la porte, sans modifier la hauteur ou la position de son corps, la partie de la pièce que l’on peut voir diminue.

[183] Ceci est vrai pour toute ouverture sur le côté de laquelle on se tient et à travers laquelle on regarde pour voir ce qui se trouve de l’autre côté. Par exemple, si l’on se tient devant une fenêtre pratiquée dans la partie supérieure d’une porte (ce qui est le cas dans la présente affaire) et que l’on approche son visage de la fenêtre, voire qu’on la touche (comme dans l’exemple précédent concernant la porte et la pièce), on peut voir largement à presque 180 degrés d’un côté à l’autre. En outre, toujours en regardant à presque 180 degrés, si l’on regarde vers le bas, on peut voir presque, mais pas tout à fait, jusqu’au point où la limite inférieure de la porte rencontre le sol, le trottoir ou le passage immédiatement à l’extérieur et à proximité de la porte. Cependant, dès que l’on bouge d’une façon ou d’une autre, selon l’emplacement de ses yeux, la perspective est modifiée, et ce que l’on peut voir de l’autre côté de la fenêtre change.

[184] Je suis convaincu que, pendant que la fonctionnaire était assise sur la chaise de bureau no 2, appuyée contre le mur du fond de l’unité d’isolement, elle était en mesure d’assurer une observation directe et constante de la détenue A, quoique d’une manière peu ordinaire, en supposant qu’elle regardait par la fenêtre inférieure de la porte de la cellule. Je me fonde sur une simple compréhension mathématique ainsi que sur ma connaissance de la disposition de l’unité d’isolement et des vidéos déposées en preuve. Puisque je suis convaincu que la fonctionnaire aurait eu la capacité d’assurer une observation directe et constante de la détenue A à partir de cette position, l’employeur n’a pas réussi à établir cette allégation d’inconduite.

d. La fonctionnaire n’a pas dénoncé le comportement de Mme Scott, qui s’est allongée ou a dormi sur un matelas alors qu’elle était chargée de la SARS de la détenue A

[185] Comme cela a été exposé plus haut dans la présente décision, Mme Scott a été licenciée de son poste d’IPL pour cause d’inconduite dans le même contexte que la fonctionnaire, à savoir la SARS de la détenue A pendant le même quart de travail (entre 00:00:00 et 00:07:00 le 23 janvier). Il lui a été reproché d’avoir dormi pendant son service.

[186] Aucune preuve concrète ne permet d’affirmer que quelqu’un a vu Mme Scott dormir ou être allongée sur un matelas pendant qu’elle effectuait la SARS de la détenue A.

[187] J’ai visionné les vidéos de la rangée et de la cellule dans leur intégralité. D’après ce que je peux voir sur la vidéo de la rangée, Mme Scott a disposé le matelas en en plaçant la moitié contre le mur du fond et l’autre moitié sur le sol. Elle a placé une couverture sur le matelas, et lorsqu’elle a utilisé le matelas, la vidéo révèle qu’elle était assise, adossée au mur du fond. La vidéo ne montre pas qu’elle était allongée.

[188] Mme Desjarlais et M. Robinson ont témoigné que, lorsqu’ils étaient dans la rangée, Mme Scott était éveillée et alerte. Mme Desjarlais a déclaré que Mme Scott n’était pas allongée sur le matelas, mais qu’elle était assise, adossée au mur du fond.

[189] Aucune autre preuve n’a été présentée, à l’exception de la note anonyme, qui n’est pas signée.

[190] Je suis convaincu que l’employeur n’a pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que Mme Scott était allongée sur le matelas ou qu’elle dormait pendant le service, comme il l’a prétendu, et qu’il n’a donc pas prouvé que la fonctionnaire a omis de dénoncer le comportement de Mme Scott. En conséquence, cette allégation d’inconduite n’est pas fondée.

2. La mesure disciplinaire était-elle excessive dans les circonstances?

[191] Étant donné que l’employeur a établi une partie de l’inconduite alléguée, la prochaine question que je dois trancher est celle de savoir si la mesure disciplinaire était excessive. Pour les motifs qui suivent, je suis convaincu qu’elle ne l’est pas et je refuse de la faire annuler.

[192] Il est difficile de savoir si une analyse a été faite en ce qui concerne la comparaison entre la sévérité de la mesure disciplinaire imposée à la fonctionnaire du fait de ne pas avoir assuré l’observation la détenue A, et la sévérité de la mesure disciplinaire imposée à la fonctionnaire du fait de ne pas avoir effectué correctement les patrouilles de sécurité et de ne pas avoir dénoncé Mme Scott concernant le fait qu’elle dormait pendant qu’elle était de service.

[193] L’évaluation de la sanction dans les affaires portant sur des mesures disciplinaires dans le secteur public fédéral a été énoncée aux paragraphes 179 et 180 de Brazeau c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2008 CRTFP 62, où l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique a déclaré ce qui suit :

179 Dans la quatrième édition de Canadian Labour Arbitration, Brown et Beatty discutent du rôle de l’arbitre de grief lorsqu’il est appelé à évaluer le caractère équitable d’une sanction particulière :

[Traduction]

[…]

L’objet de leur examen est de confirmer personnellement qu’une sanction est juste et raisonnable compte tenu de toutes les circonstances – à savoir que la sanction est à la mesure de la faute […] (page 7-129)

[…]

Il est désormais reconnu que l’évaluation du caractère raisonnable d’une sanction disciplinaire passe par un examen étendu de nombreuses circonstances concernant l’employé, l’employeur et l’incident même. (page 7-144)

[…]

Sont invariablement pris en compte la nature de l’inconduite, les circonstances personnelles de l’employé, la façon dont l’employeur a géré la situation, ou un ensemble des trois. De plus, le contexte de l’emploi et la situation professionnelle de l’employé sont souvent des facteurs d’importance.

Pour qu’employeurs et employés comprennent mieux leur cadre analytique, les arbitres leur ont fourni des aide mémoire qui énumèrent les facteurs les plus importants qui déterminent le plus souvent la structure de leurs délibérations. Dans une ancienne décision fréquemment citée, un arbitre a résumé comme il suit les facteurs susceptibles de compenser la gravité de l’inconduite, toutes choses étant égales par ailleurs :

D’aucuns ont soutenu, toutefois, que, là où un conseil d’arbitrage est habilité à atténuer la sanction imposée au fonctionnaire s’estimant lésé, il doit prendre en considération les facteurs suivants pour rendre une décision :

1. le dossier du fonctionnaire s’estimant lésé;

2. les longs états de service du fonctionnaire s’estimant lésé;

3. la question de savoir si l’infraction était un cas isolé dans les antécédents de travail du fonctionnaire s’estimant lésé;

4. la provocation;

5. la question de savoir si l’infraction a été commise spontanément et représente un écart de conduite ponctuelle, si elle est due à de fortes impulsions émotives ou si elle était préméditée;

6. la possibilité que la sanction ait causé des difficultés financières particulières au fonctionnaire s’estimant lésé, compte tenu de ses circonstances;

7. des indices qui montrent que les règles de l’organisation n’ont pas été appliquées uniformément, ce qui constitue une forme de discrimination;

8. des circonstances montrant que le fonctionnaire n’avait pas d’intention coupable, par exemple la probabilité qu’il a mal compris la nature ou l’intention d’une directive, ce qui l’a porté à l’enfreindre;

9. la gravité de l’infraction en regard de la politique de l’entreprise et de ses obligations;

10. toutes autres circonstances que le conseil devrait prendre en considération (page 7 153)

[…]

180 Brown et Beatty traitent comme suit du potentiel de réadaptation et de la méthode corrective :

[Traduction]

La question capitale que doivent se poser les arbitres qui recourent à une approche corrective est celle de la capacité du fonctionnaire s’estimant lésé de se conformer à des normes de comportement acceptables à l’avenir. Pour pouvoir répondre à la question, il faut évaluer la capacité et la volonté du fonctionnaire s’estimant lésé de s’amender et de se réadapter pour qu’il soit possible de rétablir une relation d’emploi satisfaisante. En un mot, il incombe à l’arbitre de décider si la personne est « récupérable ». À ce propos, comme l’a signalé un arbitre, l’aide mémoire des facteurs atténuants « ne représente que les circonstances générales de considérations également générales qui déterminent le potentiel qu’a l’employé d’avoir un comportement acceptable à l’avenir », ce qui est le fond même de l’ensemble de l’approche corrective de la discipline.

Lorsqu’ils évaluent la possibilité qu’une relation d’emploi durable soit rétablie, les arbitres accordent énormément de poids aux excuses sincères que l’employé aurait offertes ou à l’authentique remords qu’il aurait exprimé. Il est supposé que les employés dont c’est le cas ont reconnu le caractère inacceptable de leur comportement et seront vraisemblablement capables de répondre aux attentes légitimes de l’employeur.

 

[194] La preuve a révélé qu’avant cet incident, la fonctionnaire avait accumulé six années de service sans se voir imposer la moindre mesure disciplinaire. Bien que toute sanction entraînant une perte de revenu entraîne un certain préjudice économique, rien ne prouve que la sanction imposée ait créé un préjudice économique particulier pour la fonctionnaire, compte tenu de sa situation particulière.

[195] En ce qui concerne l’exécution de la patrouille de sécurité, rien n’indique qu’il y a eu provocation ou que ses actions étaient dues à de fortes impulsions émotionnelles. Rien ne prouve non plus que la fonctionnaire ait mal compris la tâche, la responsabilité et les exigences de la patrouille. Je crois qu’avec le temps, l’exécution d’une tâche aussi banale que de surveiller des personnes endormies la nuit a rendu la fonctionnaire indolente et négligente. Bien qu’aucun enregistrement audio n’ait été joint à la vidéo de la rangée, la vidéo montre clairement qu’elle passait davantage de temps à discuter avec sa collègue, Mme Scott, qu’à s’assurer que les détenus qu’elle devait surveiller étaient en sécurité.

[196] En ce qui concerne la SARS de la détenue A, encore une fois, d’après l’ensemble de la preuve, rien n’indique qu’il y a eu provocation; rien ne suggère non plus que ses actions étaient dues à de fortes impulsions émotionnelles ou qu’elle ne comprenait pas la nature et le contenu de sa tâche et de sa responsabilité.

[197] La fonctionnaire paraissait incontestablement comprendre ce qui était exigé d’elle. Lors de l’entrevue d’enquête qui a eu lieu le 16 février 2017, elle a déclaré qu’elle avait déjà effectué des SARS auparavant et qu’il était nécessaire de se tenir à la porte de la cellule et d’observer la détenue. Elle a d’ailleurs indiqué aux enquêteurs que c’est de cette manière qu’elle a effectué la SARS de la détenue A le 23 janvier, c’est-à-dire qu’elle se tenait derrière la fenêtre et regardait vers le bas. La vidéo de la rangée, peu après 00:01:00 le 23 janvier, montre que, pendant que la fonctionnaire attend que Mme Scott prenne la relève, elle effectue la SARS dans cette position.

[198] Bien que plusieurs témoins aient déclaré qu’ils pouvaient observer une détenue se trouvant dans une cellule en se tenant à une certaine distance de la porte de la cellule, et bien que les documents de politique et de formation déposés en preuve ne précisent pas que la SARS doit être effectuée debout ou assis directement devant la porte de la cellule où se trouve la détenue, la preuve accablante, notamment le témoignage de la fonctionnaire elle-même, a démontré que la SARS est censée être effectuée soit en se tenant debout, soit en s’assoyant juste à côté de la porte de la cellule où se trouve la détenue faisant l’objet d’une SARS et en assurant une observation directe de celle-ci en la regardant directement.

[199] Cependant, il apparaît clairement qu’en dépit du fait qu’elle savait comment se comporter durant la SARS et qu’elle avait effectivement adopté le comportement adéquat au début de la journée du 23 janvier, la fonctionnaire a choisi de ne pas continuer à le faire de cette façon durant le reste de la période pendant laquelle elle avait la charge de la SARS. Bien que cela puisse constituer un problème, ce n’est pas vraiment l’objet de la présente affaire. L’affaire porte sur le défaut d’assurer une observation directe et constante de la détenue A, afin de préserver sa santé et sa sécurité.

[200] Bien que, pendant la majeure partie de la période où elle était tenue d’assurer la SARS de la détenue A, la fonctionnaire ait assuré une observation directe et constante de la détenue A, ou que l’employeur n’ait pas réussi à prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la fonctionnaire avait failli dans l’exécution de cette tâche, la fonctionnaire a clairement choisi de ne pas s’acquitter de la tâche qui lui incombait pendant des périodes importantes. Je les ai déjà indiquées et je ne les mentionnerai pas à nouveau.

[201] L’un des critères énoncés dans Brazeau, qui cite Brown et Beatty, est [traduction] « la gravité de l’infraction en regard de la politique de l’entreprise et de ses obligations ». Dans le présent cas, il s’agit du plus important des critères.

[202] La preuve a clairement révélé que la sécurité des personnes, qu’il s’agisse du personnel, des visiteurs, du public ou des détenus, est la tâche primordiale d’un IPL dans un établissement pour femmes et d’un agent correctionnel dans un établissement pour hommes. Elle est mentionnée comme faisant partie du [traduction] « Service à la clientèle » et comme une [traduction] « Activité principale » dans la description de travail de l’IPL; c’est même la première activité mentionnée. Cette obligation est portée à un niveau encore plus élevé lorsque l’IPL est chargé d’assurer la surveillance directe et constante d’un détenu placé sous SARS. Outre le fait de sauver la vie de quelqu’un dans l’exercice de ses fonctions, c’est la tâche la plus importante d’un IPL. La personne faisant l’objet d’une SARS fait partie des personnes les plus vulnérables de notre population. Les personnes chargées de sa sécurité doivent être les plus vigilantes possible. Il n’est pas nécessaire d’être très instruit et d’avoir reçu une formation spéciale dans le domaine des services correctionnels ou en tant qu’agent correctionnel ou intervenant de première ligne pour le savoir; c’est une question de bon sens.

[203] Bien que le défaut de la fonctionnaire d’effectuer une patrouille de sécurité conforme aux règles et procédures applicables n’ait pas le même degré de gravité que son défaut d’assurer une observation directe et constante de la détenue A pendant la SARS, il s’agit d’une obligation et d’une exigence extrêmement importantes du SCC qui, encore une fois, touche directement à la santé et à la sécurité des personnes. La nuit, les détenues placées en isolement sont enfermées dans leur cellule. La seule personne qui peut vérifier leur santé, leur sécurité et leur bien-être est l’IPL (l’agent correctionnel dans un établissement pour hommes) qui effectue la patrouille de sécurité toutes les heures. Chacun de ces détenus de l’unité d’isolement est redevable d’un devoir de diligence de la part de l’IPL qui effectue la patrouille de sécurité, afin de s’assurer qu’ils sont en sécurité et ne sont pas en danger. La façon dont la fonctionnaire a effectué les patrouilles aux premières heures du 23 janvier a démontré un mépris pour la santé et le bien-être de ces personnes.

[204] En outre, la fonctionnaire, au cours de l’audience, n’a pas semblé saisir la gravité de sa conduite et le risque auquel elle a exposé la détenue A, les autres détenues logées dans l’unité d’isolement le matin du 23 janvier, elle-même, ses collègues et le SCC. Au cours du processus disciplinaire, elle n’a manifesté aucune forme de remords ou de compréhension.

[205] En ce qui concerne ces deux tâches, à savoir la SARS de la détenue A et les patrouilles de sécurité, que la fonctionnaire a choisi d’accomplir d’une manière que l’on ne peut qualifier que de désinvolte et de complaisante, j’estime que la gravité de l’inconduite aurait pu justifier une sanction beaucoup plus sévère. Bien que l’employeur n’ait pas réussi à établir, selon la prépondérance des probabilités, que la fonctionnaire n’avait pas assuré une observation directe et constante de la détenue A lorsqu’elle était assise contre le mur du fond de la rangée de l’unité d’isolement et qu’elle n’avait pas signalé que Mme Scott dormait, la gravité des deux types d’incidents pour lesquels j’ai conclu que la fonctionnaire avait fait preuve d’une inconduite est telle que je suis convaincu que la sanction ne devrait pas être modifiée.

[206] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[207] Le grief est rejeté.

[208] J’ordonne la mise sous scellés des pièces E-3, E-6, E-7 et G-6.

[209] Les parties doivent revoir les documents contenus dans leurs dossiers de documents qui ont été soumis à la Commission, et fournir à la Commission, dans les 30 jours suivant la date de la présente décision, des dossiers de documents corrigés et caviardés, en remplacement de ceux qui ont été soumis pour l’audience de la présente affaire.

Le 22 décembre 2022.

Traduction de la CRTESPF

John G. Jaworski,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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