Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les plaignants ont déposé des plaintes en vertu de l’alinéa 77(1)b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13), alléguant que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans le choix d’un processus de nomination non annoncé pour doter un poste WP-04 – les plaignants, qui étaient unilingues anglais, ont allégué que l’intimé avait modifié le profil linguistique du poste pour les empêcher d’être pris en considération – l’un des plaignants a également allégué qu’il était inapproprié pour le gestionnaire d’embauche de tenir compte de la préférence de la personne nommée pour le lieu de travail – l’intimé a nié avoir abusé de son pouvoir – la Commission a conclu que les plaignants n’avaient pas démontré que le processus avait été entaché par quelque chose d’inapproprié – le choix entre un processus de nomination annoncé et un processus de nomination non annoncé n’était pas inapproprié en soi – la modification du profil linguistique relevait également du pouvoir de l’intimé d’établir les qualifications requises pour un poste – la preuve a montré que le profil linguistique bilingue répondait à un besoin organisationnel prévu – la preuve a également montré que le lieu de travail préféré de la personne nommée n’était qu’une des raisons parmi plusieurs raisons citées dans la justification du gestionnaire d’embauche, qui incluait le rendement et la capacité linguistique de la personne nommée et les besoins futurs de l’organisation – par conséquent, la Commission a conclu qu’il n’y avait pas eu d’abus de pouvoir dans le choix du processus.

Plaintes rejetées.

Contenu de la décision

Date : 20221228

Dossiers : 771-02-39416 et 39460

 

Référence : 2022 CRTESPF 106

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur l’emploi dans

la fonction publique

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations de

travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

Entre

Timothy Hay et Tara Harrison

plaignants

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(Service correctionnel du Canada)

 

intimé

et

AUTRES PARTIES

Répertorié

Hay et Harrison c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant des plaintes d’abus de pouvoir déposées aux termes de l’alinéa 77(1)b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Devant : Joanne B. Archibald, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour les plaignants : Frank Janz

Pour l’intimé : Marie-France Boyer

Pour la Commission de la fonction publique : Alain Jutras

Affaire entendue par vidéoconférence

les 31 août et 1er septembre 2022.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Introduction

[1] Les plaignants, Timothy Hay et Tara Harrison, ont déposé des plaintes auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») aux termes de l’alinéa 77(1)b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; la « LEFP »). Ils ont allégué que l’intimé, soit l’administrateur général du Service correctionnel du Canada (SCC), avait abusé de son pouvoir dans le choix d’une nomination non annoncée afin de pourvoir le poste d’agent de libération conditionnelle (ALC), classifié au groupe et au niveau WP-04, à Saint John, au Nouveau-Brunswick (le « poste d’ALC »). Le processus portait le numéro 2018-PEN-INA-ATL-143756 (le « processus de nomination »).

[2] L’intimé a nié avoir abusé de son pouvoir dans le cadre du processus de nomination.

[3] La Commission de la fonction publique n’a pas assisté à l’audience et elle a présenté des arguments écrits concernant ses politiques et lignes directrices applicables. Elle ne s’est pas prononcée sur le bien-fondé des plaintes.

[4] Pour les motifs énoncés ci-après, les plaintes sont rejetées.

II. Résumé de la preuve

[5] Selon les documents fournis à l’audience, Nicole Smith, la gestionnaire d’embauche du bureau de libération conditionnelle de l’intimé à Saint John (la « gestionnaire d’embauche »), a envisagé de nommer Frederic Roy (la « personne nommée ») à un poste d’ALC en anglais seulement dans ce bureau en avril 2018. À l’époque, il travaillait en tant qu’ALC bilingue à l’Établissement de Springhill du SCC (« Springhill ») à Springhill, en Nouvelle-Écosse. Il vivait à Saint John et préférait y trouver un poste. Les commentaires écrits de la gestionnaire d’embauche indiquent qu’elle prévoyait de le nommer à un poste bilingue lorsque l’ALC bilingue actuel serait muté à un poste à l’extérieur de la région.

[6] Un autre document montre l’approbation, le 15 octobre 2018, d’un changement au poste d’ALC, passant d’un profil linguistique anglais à bilingue (CCC/CCC). La justification indiquait que le changement de profil linguistique offrait [traduction] « […] une certaine souplesse lorsqu’il est question de la langue de choix de nos clients qui sont supervisés au bureau de libération conditionnelle de Saint John et des résidents au niveau CCC en l’absence d’un agent de libération conditionnelle bilingue ».

[7] Le 15 novembre 2018, l’intimé a affiché une « notification de nomination ou de proposition de nomination » pour annoncer la nomination pour une période indéterminée de la personne nommée au poste d‘ALC et fournir des renseignements sur le processus de recours.

[8] Les 22 et 30 novembre 2018, les plaignants ont déposé leur plainte devant la Commission. Ils alléguaient que le profil linguistique du poste d’ALC, auparavant en anglais seulement, avait été modifié pour exclure leur candidature. Plus tôt dans le processus de plainte, les plaignants avaient soulevé de nombreuses autres allégations, notamment la partialité et l’administration inappropriée d’une priorité. Cependant, au cours de l’audience, ces allégations n’ont pas été présentées; l’audience a donc uniquement porté sur l’argument concernant le profil linguistique choisi pour cette nomination non annoncée.

[9] Les parties s’entendent sur le fait que les deux plaignants sont unilingues anglophones.

[10] M. Hay a témoigné qu’il a rejoint le SCC en 2016. En 2017, il a accepté une nomination pour une période indéterminée à Regina, en Saskatchewan. Pour des raisons personnelles, il a choisi de retourner à Saint John en 2018.

[11] M. Hay a déclaré qu’en mars 2018, il a envoyé un courriel à la gestionnaire d’embauche au sujet d’un poste à Saint John à son retour de Regina. Il a renouvelé la conversation en septembre 2018 et a appris qu’il y aurait un poste vacant, mais qu’il serait pourvu à l’échelle locale.

[12] En octobre 2018, M. Hay est arrivé à Saint John depuis Regina sans avoir de poste à occuper. Il a ensuite obtenu un droit de priorité pour réinstallation du conjoint ou de la conjointe, comme le prévoit l’article 9 du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique (DORS/2005-334).

[13] M. Hay s’est souvenu qu’au cours de la période où il avait un droit de priorité, on avait communiqué avec lui au sujet d’un poste d’évaluateur médical à l’Île‑du‑Prince‑Édouard et d’un poste d’ALC à Springhill. Même s’il préférait travailler à Saint John, il a accepté le poste à Springhill et a recommencé à travailler en février 2019.

[14] M. Hay savait que les postes unilingues anglais ne se présentaient pas très souvent et qu’ils étaient plus susceptibles de se trouver à Springhill qu’à Saint John lorsqu’ils se présentaient. Il a témoigné qu’il estimait que le profil linguistique du poste d’ALC avait été modifié à bilingue afin d’éviter de l’employer à Saint John. À son avis, l’exigence d’un service bilingue ne justifiait pas un poste d’ALC bilingue.

[15] M. Hay a témoigné qu’il a communiqué avec la gestionnaire d’embauche lorsqu’il a appris la nomination de la personne nommée au bureau de libération conditionnelle de Saint John. Elle lui a dit que cette nomination faisait partie d’un plan de relève en ce qui concerne le besoin de l’intimé en capacité bilingue.

[16] Mme Harrison a témoigné qu’elle a commencé son emploi auprès de l’intimé à Springhill en 2007 à titre d’agente correctionnelle. Elle a occupé le poste d’ALC par intérim une première fois en 2011 et a continué d’accepter des nominations intérimaires chaque fois qu’elles étaient offertes. Elle était également dans un bassin de candidats qualifiés pour un poste unilingue anglais d’ALC.

[17] Mme Harrison a affirmé que la nomination pour une période indéterminée de la personne nommée à un poste bilingue l’a bouleversée. Elle a déclaré que le poste d’ALC était auparavant unilingue anglais et qu’elle l’avait occupé par le passé de façon intérimaire. La gestionnaire d’embauche lui a également dit que la personne nommée préférait travailler à Saint John. Mme Harrison a compris que le changement de profil linguistique était entre autres justifié par le droit d’un employé d’être supervisé dans la langue de son choix, mais que le poste d’ALC n’était pas un poste de supervision, ce qui n’avait donc aucun sens pour elle. Quelqu’un a dit à Mme Harrison qu’il n’y avait que deux délinquants francophones à Saint John.

[18] Lorsque M. Hay a par la suite accepté le poste d’ALC pour une période indéterminée à Springhill, Mme Harrison a déterminé qu’elle n’avait d’autre option que d’accepter un poste pour une période indéterminée à Kentville, en Nouvelle-Écosse.

[19] L’intimé n’a fait entendre aucun témoin.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour les plaignants

[20] M. Hay a fait valoir que l’intimé a abusé de son pouvoir dans le choix d’un processus de nomination non annoncé en changeant le profil linguistique du poste d’ALC plusieurs semaines après qu’il a eu connaissance de son droit de priorité pour réinstallation du conjoint ou de la conjointe. Cet acte a exclu sa candidature en raison de sa compétence en matière de langues officielles, qui est l’anglais seulement. Il aurait facilement pu occuper un poste unilingue anglais, mais il n’a pas été pris en considération du tout.

[21] Mme Harrison a soutenu que l’intimé a tenu compte du lieu de travail de choix de la personne nommée dans sa sélection pour le poste d’ALC, ce qui constituait une justification inappropriée pour la nomination.

B. Pour l’intimé

[22] L’intimé a soutenu que l’article 33 de la LEFP lui donnait le plein pouvoir discrétionnaire de choisir un processus de nomination annoncé ou non annoncé et qu’il n’y avait pas de préférence pour l’un par rapport à l’autre.

[23] L’intimé a un vaste pouvoir discrétionnaire d’établir les qualifications nécessaires à un poste, y compris le profil linguistique.

[24] En outre, les plaignants n’ont présenté aucun élément de preuve concret et seulement leur perception d’une injustice, ce qui ne répondait pas au critère pour établir le bien-fondé de leurs allégations.

IV. Motifs

[25] Les plaignants étaient intéressés par un poste d’ALC pour une période indéterminée au bureau de libération conditionnelle de Saint John. Lorsqu’ils ont été informés de la nomination de la personne nommée au poste d’ALC, ils ont été déçus, ce qui est compréhensible. Ils ont reconnu qu’ils ne possédaient pas le profil linguistique du poste d’ALC auquel il a été nommé, et ils ont remis en question la nomination. Cette situation les a amenés à déposer des plaintes concernant le choix d’un processus de nomination non annoncé.

[26] L’alinéa 77(1)b) de la LEFP prévoit ce qui suit :

77 (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement de la Commission des relations de travail et de l’emploi, présenter à celle-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

77 (1) When the Commission has made or proposed an appointment in an internal appointment process, a person in the area of recourse referred to in subsection (2) may — in the manner and within the period provided by the Board’s regulations — make a complaint to the Board that he or she was not appointed or proposed for appointment by reason of

[…]

b) abus de pouvoir de la part de la Commission du fait qu’elle a choisi un processus de nomination interne annoncé ou non annoncé, selon le cas;

[…]

(b) an abuse of authority by the Commission in choosing between an advertised and a non-advertised internal appointment process ….

 

[27] Il incombait aux plaignants de prouver qu’il y a eu abus de pouvoir dans le présent cas. (Voir Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8.) Le paragraphe 2(4) de la LEFP prévoit que l’abus de pouvoir comprend la mauvaise foi et le favoritisme personnel.

[28] Les plaignants ont allégué un abus de pouvoir dans le choix d’un processus de nomination non annoncé. L’article 33 de la LEFP porte sur le choix entre un processus de nomination annoncé et un processus de nomination non annoncé :

33 La Commission peut, en vue d’une nomination, avoir recours à un processus de nomination annoncé ou à un processus de nomination non annoncé.

33 In making an appointment, the Commission may use an advertised or non-advertised appointment process.

 

[29] La Commission et son prédécesseur, le Tribunal de la dotation de la fonction publique, ont également indiqué clairement qu’il n’y a pas de préférence en droit entre une nomination annoncée et une nomination non annoncée. (Voir, par exemple, Jarvo c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2011 TDFP 6, au paragraphe 25.) Pour obtenir gain de cause dans le cadre d’une plainte d’abus de pouvoir dans le choix d’un processus de nomination, des éléments de preuve doivent démontrer que le choix du processus constituait lui-même un abus de pouvoir, c’est-à-dire qu’il était entaché de quelque chose d’inapproprié.

[30] Les éléments de preuve n’établissent pas que l’action de l’intimé de procéder à une nomination non annoncée s’approchait du seuil de l’abus de pouvoir. Les documents présentés montrent plutôt que la personne nommée a été prise en considération pour le poste d’ALC dès avril 2018, lorsque la gestionnaire d’embauche a observé que sa capacité bilingue répondrait à un besoin organisationnel prévu. Les documents montrent également qu’elle l’a ensuite nommé à un poste d’ALC bilingue lorsqu’un tel poste est devenu disponible.

[31] Quant à la question de savoir si le changement au profil linguistique du poste d’ALC constituait un abus de pouvoir dans le choix du processus, les documents d’avril 2018 et d’octobre 2018 établissent l’accent mis par l’intimé sur le renforcement de sa capacité bilingue pour ses clients lorsqu’un ALC bilingue était absent ou après le départ prévu d’un ALC bilingue muté de la région.

[32] L’établissement de la qualification linguistique relevait carrément du pouvoir de l’intimé d’établir les qualifications pour un poste, y compris la compétence en langues officielles, conformément au paragraphe 30(2) de la LEFP. (Voir Vani c. Statisticien en chef du Canada, 2008 TDFP 29, au paragraphe 51.)

[33] Les plaignants ont remis en question la nécessité d’avoir un ALC bilingue et ont indiqué qu’ils avaient entendu dire que le besoin était faible. Toutefois, sans plus, leur impression ne suffit pas à me convaincre que le changement au profil linguistique du poste d’ALC était un prétexte ou qu’il a été fait pour les exclure de l’admissibilité à ce poste. Il faudrait prouver que l’intimé a créé une qualification qui n’était pas fondée sur les besoins de son organisation.

[34] Les plaignants ont également laissé entendre que le choix d’un processus non annoncé était entaché par le souhait de la personne nommée de travailler à Saint John plutôt qu’à Springhill.

[35] Même si le lieu de travail préféré de la personne nommée a été mentionné dans la justification de sa sélection en avril 2018, il s’agit de l’un des nombreux commentaires que la gestionnaire d’embauche a fait au sujet de sa pertinence pour le poste d’ALC, y compris une évaluation du rendement positive, ses capacités linguistiques et les besoins futurs de l’organisation.

[36] Compte tenu de l’ensemble de ces considérations, je n’accepte pas le fait que le lieu de travail de choix déclaré par la personne nommée ait influencé indûment le choix d’un processus non annoncé.

[37] Par conséquent, je conclus que l’intimé n’a pas abusé de son pouvoir dans le choix d’un processus de nomination non annoncé.

[38] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[39] Les plaintes sont rejetées.

Le 28 décembre 2022.

Traduction de la CRTESPF

Joanne B. Archibald,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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