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Dossier de la Commission : 590-02-44770

 

DANS L’AFFAIRE D’UNE COMMISSION DE L’INTÉRÊT PUBLIC

EN VERTU DE LA LOI SUR LES RELATIONS DE TRAVAIL DANS LE SECTEUR PUBLIC FÉDÉRAL

et une demande d’établissement d’une commission de l’intérêt public

entre l’Alliance de la Fonction publique du Canada et le Conseil du Trésor,

en lien avec le groupe Enseignement et bibliothéconomie

 

Devant : Jesse Kugler, président

J. D. Sharp, personne désignée de l’employeur

Bob Kingston, personne désignée de l’agent négociateur

 

Pour l’agent négociateur :

Erin Sirett, négociatrice

Sarah Allen, agente de recherche

 

Pour l’employeur :

Luc Presseau

Michael Gager – analyste

Yanan Wang – analyste

Gregory Enright – analyste

 

Audiences tenues par Zoom le 21 novembre et les 12 et 13 décembre 2022.

(Traduction de la CRTESPF)

 

Contexte

  1. Le présent document est un rapport de la Commission de l’intérêt public (la « Commission ») établie en vertu de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, L.C. 2003, ch. 22, art. 2 (la « Loi ») concernant le renouvellement de la convention collective entre l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) et le Conseil du Trésor pour l’unité appelée groupe Enseignement et bibliothéconomie (EB).

 

  1. L’AFPC est l’agent négociateur exclusif des fonctionnaires de l’unité EB suivante :

 

« Le groupe Enseignement et bibliothéconomie comprend les postes qui sont principalement liés à l’instruction de personnes de différents groupes d’âge dans le cadre de programmes scolaires ou parascolaires; à l’application d’une connaissance approfondie des techniques d’enseignement à l’éducation et à l’orientation d’étudiantes et d’étudiants dans des écoles; et à l’éducation, à la formation et à l’orientation de jeunes et d’adultes dans le cadre de programmes parascolaires; à la réalisation de recherches et à la prestation de conseils au sujet de l’enseignement; et à l’application d’une connaissance approfondie de la bibliothéconomie et de la science de l’information à la gestion et à la prestation de services de bibliothèque et de services d’information connexes. »

 

  1. Au 31 mars 2021, l’unité de négociation EB couvrait 1 113 employés répartis dans les catégories suivantes :

 

  • Éducation (ED)852

  • Bibliothéconomie (LS)226

  • Soutien de l’enseignement (EU)35

 

  1. La classification Éducation (ED) est principalement liée à l’éducation et à l’orientation d’étudiantes et d’étudiants dans des écoles et de jeunes et d’adultes dans le cadre de programmes parascolaires, à la réalisation de recherches d’enseignement et à la prestation de conseils au sujet de l’enseignement. Ce groupe est divisé en plusieurs sous-groupes, à savoir :

 

  • Enseignement des langues (ED-LAT) – lié à l’enseignement d’une langue officielle ou étrangère aux membres de la fonction publique, ou à la surveillance de l’enseignement;

 

  • Enseignement élémentaire et secondaire (ED-EDS) – lié à l’enseignement et à la prestation de conseils aux élèves dans les écoles, ou à l’enseignement et à la prestation de conseils à des jeunes et à des adultes, et comprend la supervision de ce travail;

 

  • Services d’éducation (ED-EDS) – prévoir, mettre sur pied, diriger ou évaluer les programmes d’éducation; faire des recherches en éducation; donner des conseils.

 

  1. La classification Enseignement et bibliothéconomie (LS) comprend les postes qui sont principalement liés à l’application de la bibliothéconomie et de la science de l’information à la gestion et à la prestation de services de bibliothèque et de services d’information connexes.

 

  1. La classification Soutien de l’enseignement (EU) comprend les postes qui sont liés à l’instruction de personnes de différents groupes d’âge dans le cadre de programmes scolaires ou parascolaires. Les titulaires peuvent contribuer à former les élèves à un niveau inférieur à celui des enseignants (p. ex., les aides-enseignants), agir à titre d’aides-enseignants d’une langue seconde ou offrir des programmes d’éducation physique.

 

La structure de la négociation collective et l’historique des négociations

 

  1. Bien que plusieurs agents négociateurs représentent les employés de l’administration publique centrale (APC), l’AFPC est le plus important, représentant environ 128 987 des 234 713 employés de l’APC en mars 2021.

 

  1. Les employés de l’APC représentés par l’AFPC se répartissent en cinq unités de négociation : i) Services des programmes et de l’administration (PA) (96 698 employés); ii) Services techniques (TC) (10 892 employés); iii) Services de l’exploitation (SV) (10 464 employés); iv) Services frontaliers (FB) (9 805 employés); et v) Enseignement et bibliothéconomie (EB) (1 128 employés). Le groupe EB est de loin le plus petit en taille.

 

  1. La négociation collective entre l’AFPC et le Conseil du Trésor pour les unités de négociation PA, TC, SV et EB se déroule à des tables de négociation distinctes, mais en même temps et de manière coordonnée. De plus, comme certaines des questions soulevées par les parties dans les quatre tables de négociation se chevauchent, l’AFPC et le Conseil du Trésor ont raisonnablement convenu que ces questions communes ou se chevauchant devraient être négociées séparément des questions propres à chacune des quatre unités de négociation distinctes (la « Table des questions communes »). Dans le cadre de cette ronde de négociations, la Table des questions communes est menée conjointement avec la table PA.

 

  1. Les parties ont convenu que trente-cinq questions communes constituent des questions à négocier à la Table des questions communes. Comme l’a indiqué le Conseil du Trésor dans ses arguments écrits, les parties [traduction] « ont convenu qu’il était approprié de présenter des observations sur ces dispositions une seule fois, et de le faire au cours du processus de CIP pour le groupe PA ». Les parties ont reconnu à juste titre que cela était nécessaire pour éviter les doubles emplois inutiles et réduire le risque que les commissions de l’intérêt public fassent des recommandations contradictoires sur les questions communes.

 

  1. Les questions désignées par les parties comme relevant exclusivement de la Table des questions communes comprennent plusieurs éléments monétaires importants, y compris la question des augmentations salariales générales qui représentent les éléments financiers les plus coûteux à négocier.

 

  1. La plus récente convention collective EB a expiré le 30 juin 2021. Par lettre datée du 26 février 2021, l’AFPC a avisé le Conseil du Trésor de son souhait de négocier le renouvellement de la convention collective. Par la suite, les parties se sont réunies et ont entamé des négociations collectives à l’égard de l’unité de négociation EB aux dates suivantes :

 

  • les 22 et 23 juin 2021;

  • du 14 au 16 septembre 2021;

  • du 8 au 10 novembre 2021;

  • du 11 au 13 janvier 2022;

  • du 8 au 10 mars 2022;

  • les 11 et 12 mai 2022.

 

  1. En même temps, les parties se sont engagées dans la négociation collective aux autres tables de négociation. Les négociations entre les parties à la Table des questions communes elle-même ont duré environ vingt jours.

 

  1. Malgré cet important investissement de temps, les parties n’ont fait que très peu de progrès. Elles se sont entendues seulement sur une poignée de propositions, dont beaucoup sont à juste titre qualifiées de simples « questions administratives ». Selon les documents dont la Commission est saisie, l’AFPC a encore environ soixante‐quatorze propositions particulières au groupe EB en suspens et deux cent neuf propositions en suspens à la Table des questions communes; alors que le Conseil du Trésor a encore environ trente-cinq propositions particulières au groupe EB en suspens et cinquante-deux propositions en suspens à la Table des questions communes.

 

Le contexte législatif

 

  1. En vertu de l’article 172 de la Loi, la Commission a été créée pour s’efforcer d’aider l’AFPC et le Conseil du Trésor à conclure le renouvellement d’une convention collective à l’égard du groupe EB. La Loi prévoit que la Commission fournira cette aide en présentant un rapport à la présidente exposant « les résultats de son intervention ainsi que ses conclusions et recommandations ». À moins que les parties n’en conviennent, le rapport de la Commission n’est pas exécutoire et sert uniquement à aider les parties à conclure le renouvellement d’une convention collective.

 

  1. L’article 175 de la Loi prescrit les facteurs dont la Commission doit tenir compte dans la conduite de ses séances et l’établissement de son rapport à la présidente. L’article 175 de la Loi dispose ce qui suit :

 

175. Dans la conduite de ses séances et l’établissement de son rapport, la commission de l’intérêt public prend en considération les facteurs qui, à son avis, sont pertinents et notamment :

 

a) la nécessité d’attirer au sein de la fonction publique des personnes ayant les compétences voulues et de les y maintenir afin de répondre aux besoins des Canadiens;

 

b) la nécessité d’offrir au sein de la fonction publique une rémunération et d’autres conditions d’emploi comparables à celles des personnes qui occupent des postes analogues dans les secteurs privé et public, notamment les différences d’ordre géographique, industriel et autre qu’elle juge importantes;

 

c) la nécessité de maintenir des rapports convenables, quant à la rémunération et aux autres conditions d’emploi, entre les divers échelons au sein d’une même profession et entre les diverses professions au sein de la fonction publique;

 

d) la nécessité d’établir une rémunération et d’autres conditions d’emploi justes et raisonnables, compte tenu des qualifications requises, du travail accompli, de la responsabilité assumée et de la nature des services rendus;

 

e) l’état de l’économie canadienne et la situation fiscale de l’État fédéral.

 

  1. Les parties ont présenté des observations écrites et orales complètes à la Commission au sujet de l’application de ces facteurs aux questions devant la Commission.

 

Discussion

 

  1. Malheureusement, deux questions fondamentales découlant de la ronde de négociation actuelle ont empêché la Commission de fournir aux parties des recommandations précises sur les conditions d’emploi du renouvellement d’une convention collective. La première question porte sur la bonne foi des négociations à ce jour; la deuxième question porte sur un obstacle structurel qui s’inscrit dans le processus de négociation lui-même.

 

  1. La bonne foi de la négociation collective

 

  1. Les parties ont comparu devant la Commission avec des centaines de propositions en suspens. Elles n’ont fait que peu ou pas de progrès dans leurs efforts de négociation malgré le fait qu’elles y ont consacré environ quinze jours. Une saine relation de négociation collective exige des parties qu’elles s’écoutent, qu’elles s’intéressent aux préoccupations de l’autre et qu’elles fassent preuve de souplesse et de compromis dans la recherche de solutions créatives à la table des négociations. L’absence de progrès réels dans la négociation entre le Conseil du Trésor et l’AFPC signale à la Commission que la relation de négociation collective entre ces deux parties est en difficulté. Ce point de vue a été renforcé lors de l’audience devant la Commission et lors des séances de médiation qui ont suivi. Soit les parties communiquent avec des objectifs distincts, soit les efforts de négociation des parties manquent de bonne foi.

 

  1. Dans le passé, les commissions de l’intérêt public ont présenté des rapports qui contiennent des recommandations précises sur les conditions d’emploi qui devraient être incluses dans une convention collective. Ces types de recommandations précises ont été utiles aux parties pour la conclusion de conventions collectives et le maintien de la stabilité des relations de travail. Toutefois, la formulation de recommandations précises dépend dans une large mesure du fait que les parties elles-mêmes se sont engagées dans des négociations collectives significatives et ont établi une liste restreinte de points prioritaires avant de comparaître devant une commission de l’intérêt public. Les parties ne devraient pas présenter à une commission de l’intérêt public des centaines de propositions en suspens et sans avoir participé à des négociations collectives significatives en s’attendant à recevoir un rapport qui contient des recommandations précises sur les modalités du renouvellement d’une convention collective.

 

  1. Malheureusement, dans le présent cas, étant donné que les parties n’ont pas encore véritablement entamé la négociation collective et n’ont pas cerné leurs questions prioritaires, la Commission n’est pas en mesure de présenter un rapport contenant des recommandations précises sur les modalités et les conditions du renouvellement d’une convention collective.

 

  1. L’obstacle structurel

 

  1. Tel qu’il a déjà été mentionné, les parties ont raisonnablement assigné plusieurs questions importantes qui se chevauchent à la Table des questions communes et ont convenu que ces questions ne seraient abordées que par la Commission de l’intérêt public qui est saisie de la Table des questions communes. Ce processus scindé permet de traiter les questions communes de manière globale et dans un seul forum. Il permet d’éviter les pièges de voir les questions communes abordées dans de multiples forums, y compris la possibilité très réelle que les commissions de l’intérêt public formulent des conclusions et des recommandations contradictoires. Un tel résultat irait à l’encontre de l’objectif législatif ldes commissions de l’intérêt public, qui est de « s’efforce[r], dans les meilleurs délais, d’aider les parties au différend à conclure ou à réviser la convention collective ».

 

  1. Toutefois, la négociation collective ne peut pas se produire dans le vide. Après l’attribution des questions communes à la Table des questions communes, ces questions doivent être abordées dans un forum avant que la table EB puisse négocier correctement sur un grand nombre de questions propres au groupe EB. Comment les parties à la table EB peuvent-elles s’engager dans des négociations collectives significatives sur des propositions financières propres au groupe EB sans connaître les résultats des questions communes à la Table des questions communes, y compris la question des augmentations salariales générales? Il est difficile d’imaginer que ces deux parties bien renseignées le fassent. Cet élément, ainsi que les préoccupations liées à la bonne foi soulevées ci-dessus, peuvent expliquer pourquoi des progrès aussi maigres ont été accomplis à ce jour à la table EB et pourquoi les parties n’ont pas encore défini leurs véritables priorités dans cette ronde de négociation.

 

  1. Il en va de même pour la Commission. Cette dernière ne peut pas présenter un rapport contenant des conclusions et des recommandations précises dans le vide. L’article 175 de la Loi exige, entre autres, que la Commission évalue la rémunération totale et procède à une analyse comparative de la rémunération et des conditions d’emploi dans les secteurs public et privé avant de présenter un rapport contenant des conclusions et des recommandations. Il est difficile, voire impossible, pour la Commission de procéder correctement à cette analyse sans connaître les résultats de la négociation collective libre sur les questions communes ou, à tout le moins, sans disposer des conclusions et recommandations de la Commission de l’intérêt public sur les questions communes. Faire des conclusions et des recommandations en vase clos est incompatible avec l’équilibre des considérations prescrites par l’article 175 de la Loi et n’aiderait pas, à notre avis, les parties à conclure le renouvellement d’une convention collective.

 

  1. L’ordre des négociations collectives et la création de commissions de l’intérêt public devraient tenir compte de cette réalité des relations de travail. La Table des questions communes doit poursuivre le processus de négociation collective avant que chaque table de négociation puisse progresser de façon significative. L’ordre approprié de négociation collective entre l’AFPC et le Conseil du Trésor a été récemment examiné dans le rapport de la Commission de l’intérêt public du 13 janvier 2023 qui présidait le groupe TC (590‐02-44769, 2023 CanLII 1810 (CRTEFP)) :

 

[...]

 

[14] En rédigeant notre rapport, nous devons tenir compte des facteurs a) à e) ainsi que de tout autre facteur que nous considérons pertinent. Nous en sommes arrivés à la conclusion que le moment n’était pas encore propice à des négociations collectives productives.

 

[15] Il est clair que les parties sont loin l’une de l’autre et ont des explications divergentes quant à cette distance. Nous en sommes arrivés à la conclusion qu’il ne serait pas particulièrement utile, dans ce contexte, de se pencher sur la granularité des propositions en suspens du groupe TC. Autrement dit, des recommandations précises sur des propositions particulières ne nous aideraient pas, à notre avis, à remplir notre mandat statutaire d’aider les parties à conclure une convention collective.

 

[16] La première chose qui doit se produire est que les questions communes à la Table traitant des Questions communes doivent être résolues. Jusqu’à ce que ce processus soit terminé, les parties ne peuvent effectivement pas participer à une négociation collective complète. La présidente de la CRTESPF aurait pu refuser de nommer une CIP et aurait pu ordonner aux parties de continuer à négocier. De toute évidence, elle a conclu, comme nous, que les négociations doivent aller de l’avant. Une fois que les questions communes auront été réglées, cela fournira une architecture globale pour le règlement des autres questions à la Table des TC. Jusqu’à ce que cela se produise, les négociations se font dans le vide. La deuxième chose qui doit se produire est que les deux parties doivent cerner leurs priorités afin qu’elles puissent engager des discussions plus étroites et plus ciblées, même dans le contexte actuel où, par nécessité, l’Alliance doit avancer de nombreuses propositions compte tenu de la composition de l’unité de négociation.

 

[...]

 

  1. Nous approuvons et adoptons le raisonnement ci-dessus. Comme dans le cas du groupe TC, les membres de la table EB sont loin l’un de l’autre, ayant des motifs divergents à l’appui de leurs positions respectives. Les compromis et les concessions mutuelles qui caractérisent une saine négociation collective n’ont pas encore été réalisés. Les questions dont est saisie la Table des questions communes doivent être négociées avant que le groupe EB puisse négocier de façon significative. La négociation ne doit pas se produire dans le vide.

 

  1. Comme pour le groupe TC, une fois que cela s’est produit, les parties à la table EB doivent s’efforcer de déterminer leurs priorités afin que la négociation puisse commencer à se concentrer sur les questions qui doivent être abordées pour parvenir au renouvellement d’une convention collective. En attendant, la Commission ne croit pas que la présentation d’un rapport contenant des conclusions et des recommandations précises aiderait les parties à conclure le renouvellement d’une convention collective.

 

Conclusions et recommandations

 

  1. En plus des motifs exposés ci-dessus, la Commission conclut et recommande ce qui suit :

 

  1. Que les points convenus par les parties soient incorporés dans le renouvellement de la convention collective;

 

  1. Que la négociation collective se déroule dans l’ordre et le contexte appropriés pour permettre une négociation collective rationnelle et éclairée;

 

  1. Que les parties définissent leurs véritables priorités et participent par la suite à la négociation collective en vue de renouveler la convention collective.

 

 

 

Le 2 février 2023.

Traduction de la CRTESPF

 

 

 

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Jesse Kugler, président

 

 

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J.D. Sharp, personne désignée du Conseil du Trésor

 

 

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Bob Kingston, personne désignée de l’AFPC

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