Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les parties négociaient collectivement lorsque l’agent négociateur a déclaré une impasse – il a demandé qu’un conseil d’arbitrage soit nommé – l’employeur s’est plaint du fait que l’agent négociateur n’a pas respecté son obligation de négocier collectivement de bonne foi et a demandé à la Commission d’ordonner à l’agent négociateur de reprendre la négociation collective – la Commission a conclu qu’à la lumière du délai prévu par la loi, la plainte avait été présentée dans les délais prescrits en ce qui concerne les événements survenus dans les 90 jours précédant sa présentation – toutefois, la Commission a déterminé qu’elle pouvait tenir compte de l’ensemble du contexte de la négociation collective entre les parties pour décider si l’agent négociateur avait négocié collectivement de mauvaise foi dans les 90 jours précédant la présentation de la plainte – la Commission a conclu que, malgré le contexte difficile de la négociation collective entre les parties, l’agent négociateur avait rencontré l’employeur et avait négocié collectivement – de plus, la Commission a conclu que, lorsque l’agent négociateur avait estimé que les parties étaient dans une impasse, il avait demandé la médiation à la Commission et avait assisté à des séances de médiation avec l’employeur – enfin, la Commission a conclu que l’employeur n’avait fourni aucune preuve claire et convaincante que l’agent négociateur n’avait pas l’intention réelle de conclure une convention collective ou qu’il espérait détruire sa relation de négociation collective avec l’employeur.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date: 20230119

Dossier: 561-02-44672

 

Référence: 2023 CRTESPF 7

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail dans

le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

enTRE

 

CONSEIL DU TRÉSOR

plaignant

 

et

 

Guilde de la Marine Marchande du Canada

 

défenderesse

Répertorié

Conseil du Trésor c. Guilde de la marine marchande du Canada

Affaire concernant une plainte présentée en vertu de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : John G. Jaworski, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Karl Chemsi et Kieran Dyer, avocats

Pour la défenderesse : Samantha Lamb, avocate

Affaire entendue par vidéoconférence

les 29, 30 et 31 août et le 2 septembre 2022.

(Traduction de la CRTESPF


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Plainte devant la Commission

[1] Le Conseil du Trésor (l’« employeur » ou CT) est un ministère du gouvernement fédéral, et selon la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi ») il est l’employeur des fonctionnaires fédéraux dans le cas des ministères fédéraux énumérés à l’annexe I de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. (1985), ch. F-11) ou d’autres sections de l’administration publique fédérale énumérées à l’annexe IV de cette loi.

[2] La Guilde de la marine marchande du Canada (la « défenderesse » ou la « Guilde ») est une organisation syndicale au sens de la Loi et l’agent négociateur de l’unité de négociation du groupe Officiers et officières de navire (SO).

[3] Le 5 mai 2022, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») a reçu une plainte présentée par l’employeur contre la défenderesse en vertu de l’article 190 de la Loi. Le 20 mai 2022, la défenderesse a déposé sa réponse à la plainte. Le 7 juin 2022, l’employeur a déposé une réplique à cette réponse.

[4] À la section 4 du formulaire de plainte, il était indiqué que la Guilde ne s’était pas acquittée de ses obligations en vertu de l’article 106 de la Loi, qui impose aux employeurs et aux agents négociateurs l’obligation de négocier collectivement de bonne foi et de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective. Il était indiqué que la Guilde avait plutôt :

· présenté des propositions que le CT n’aurait jamais pu accepter, dont certaines qui ont été rejetées à toutes les rondes de négociation collective, y compris à l’arbitrage;

· omis de justifier intégralement sa position de négociation;

· omis de répondre ou de présenter des contre-offres à l’offre globale que le CT avait présentée;

· omis de rétorquer aux objections du CT à ses propositions;

· rejeté les listes de questions possibles présentées par le CT aux fins de discussion à la séance de négociation d’octobre 2021 et monopolisé la plus grande partie de la séance aux fins d’une question;

· refusé de discuter d’autres questions lors de la séance de négociation d’octobre 2021, parce que le CT n’avait pas pu obtenir l’approbation à l’égard de la question précise dont la Guilde souhaitait discuter;

· mis fin arbitrairement à la séance de négociation d’octobre 2021 et à la séance de médiation tenue en mars 2022;

· refusé d’entamer des négociations en mars 2021, malgré l’avis de négocier qu’elle avait signifié en décembre 2020; au lieu de cela, des propositions ont été échangées sept mois et demi après la signification de l’avis;

· omis de se mettre à la disposition du CT aux fins de la médiation avant mars 2022, six mois après s’être retirée des négociations;

· demandé prématurément, le 3 mai 2022, l’arbitrage de la convention collective.

 

[5] La section 5 du formulaire de plainte indiquait que la date à laquelle l’employeur a eu connaissance de l’action, de l’omission ou de la situation ayant donné lieu à la plainte était le 6 mars 2022.

[6] À titre de mesure corrective, l’employeur a demandé à la Commission d’instruire la plainte de toute urgence, d’émettre une déclaration selon laquelle la Guilde n’avait pas négocié de bonne foi et d’ordonner à la Guilde de retourner à la table de négociation pour négocier de bonne foi.

[7] Dans sa réponse à la plainte, la Guilde a nié avoir contrevenu à l’article 106 de la Loi et elle a déclaré s’être efforcée de négocier de bonne foi et avoir pris au sérieux tous les aspects du processus de négociation. La Guilde a aussi soutenu que la plainte est hors délai, puisque pratiquement tous les faits précis qui y sont énoncés ont eu lieu plus de 90 jours avant son dépôt. La Guilde a demandé que la plainte soit rejetée.

II. Résumé de la preuve

[8] Pendant toute la période pertinente, Guillaume Hébert travaillait pour le CT en tant que négociateur. Entre autres fonctions et responsabilités, il devait participer aux négociations collectives avec les équipes de négociation désignées par divers agents négociateurs. Ces négociations pouvaient ou devaient mener à la conclusion de conventions collectives entre le CT et les divers agents négociateurs qui représentaient les fonctionnaires fédéraux au sens de la Loi.

[9] Pendant toute la période pertinente, Nathalie Rodrigue travaillait pour le CT en tant qu’analyste ou analyste principale. Ses fonctions et responsabilités englobaient toutes les facettes du travail lié aux négociations collectives, y compris, mais sans s’y limiter, la participation à l’élaboration de stratégies et de propositions, la consultation de divers ministères, la réalisation de recherches et d’analyses, ainsi que la participation aux séances de négociation. Mme Rodrigue a déclaré que, dans le cadre de ses fonctions, elle prenait des notes pendant les séances de négociation, et que ces notes servaient à faire le point (pour le personnel principal du CT) sur l’état des négociations.

[10] Pendant toute la période pertinente, Ted Leindecker travaillait pour le CT en tant que négociateur. Entre autres fonctions et responsabilités, il devait participer aux négociations collectives avec les équipes de négociation désignées par divers agents négociateurs. Ces négociations pouvaient ou devaient mener à la conclusion de conventions collectives entre le CT et les divers agents négociateurs qui représentaient les fonctionnaires fédéraux au sens de la Loi.

[11] Pendant toute la période pertinente, Anik Rozon était connue en tant qu’analyste auprès du CT. Mme Rozon n’a pas témoigné. Certains documents produits par ses soins ont été déposés en preuve, sur consentement.

[12] La Guilde représente les capitaines, officiers de pont, pilotes, mécaniciens et autres officiers qui font partie des unités de négociation de l’industrie navale, dont l’une est le groupe SO. Il est ressorti de la preuve que le groupe SO comprend entre 1 000 et 1 200 membres qui travaillent principalement pour le ministère des Pêches et des Océans (MPO) ou le ministère de la Défense nationale (MDN). La Guilde a été accréditée à titre d’agent négociateur pour le groupe SO le 10 décembre 1968 (Guilde de la marine marchande du Canada c. Conseil du Trésor, dossier de la Commission 143‑02‑43 (19681210)), et la description de l’unité de négociation a été modifiée le 31 mai 1999 (Guilde de la marine marchande du Canada c. Conseil du Trésor, dossier de la Commission 142‑02‑333 (19990531)). En fait, la dernière convention collective conclue entre les parties, qui a été signée le 15 novembre 2018, a expiré le 31 mars 2018, soit environ sept mois et demi avant sa signature (la « convention collective de 2018 »).

[13] Pendant toute la période pertinente, Tom Spindler travaillait pour la Guilde en tant que secrétaire-trésorier de sa division de l’Est, qui, géographiquement, comprend la région est du Canada qui s’étend du Manitoba à Terre‑Neuve inclusivement. M. Spindler travaille auprès de la Guilde depuis 2005. Il a déclaré que la division de l’Est représente 58 unités de négociation, dont l’une est le groupe SO. Il a ajouté qu’il occupe le poste de dirigeant principal des finances et de chef de l’administration des opérations quotidiennes de la division. Ses responsabilités s’étendaient aux activités de quatre bureaux de district et aux activités quotidiennes de sept agents des relations du travail et trois membres du personnel administratif. Dans le cadre de ses fonctions et responsabilités, M. Spindler participait aux équipes de négociation composées des différentes unités de négociation représentées par la Guilde, dont l’une était le groupe SO dont il était l’un des trois coprésidents et le principal négociateur.

[14] Pendant toute la période pertinente, Joy Thompson et Bernard Talbot travaillaient pour la Guilde. Aucun détail précis ne m’a été présenté concernant leur emploi; il m’a seulement été dit que parallèlement à M. Spindler ils agissent à titre de coprésidents de l’équipe de négociation de la Guilde.

[15] La partie 1 de la Loi traite des relations de travail, et la section 6 de la partie 1, soit l’article 103, expose les deux modes de règlement des différends entre lesquels un agent négociateur peut choisir si les négociations collectives échouent — la conciliation et la grève, ou l’arbitrage. En ce qui concerne l’unité de négociation que le groupe SO constitue, la Guilde a choisi l’arbitrage.

[16] Le 8 décembre 2020, M. Spindler a transmis par voie électronique à Sandra Hassan, sous-ministre adjointe à la rémunération et aux relations de travail au CT, l’« avis de négocier » de la Guilde (l’« avis de négocier ») concernant la convention collective de 2018 du groupe SO. Le 11 décembre 2020, Daniel Cyr, directeur principal par intérim, Rémunération et gestion des négociations collectives au bureau du dirigeant principal des ressources humaines du CT, a répondu par écrit à M. Spindler pour accuser réception de l’avis de négocier.

[17] M. Hébert a été affecté comme négociateur du CT aux fins des négociations avec la Guilde. En décembre et au début de janvier 2021, MM. Hébert et Spindler ont échangé des courriels au sujet des questions préliminaires liées aux négociations, par exemple, afin de déterminer quels seraient les représentants de chacune des parties et l’éventail des dates auxquelles les parties seraient disponibles.

[18] Le 15 janvier 2021, une téléconférence a eu lieu entre M. Hébert et Mme Rodrigue, au nom du CT, et MM. Spindler et Talbot et Mme Thompson, les trois coprésidents de l’équipe de négociation de la Guilde. Mme Rodrigue a pris des notes de la rencontre, qui ont été déposées en preuve. Pendant la téléconférence, la Guilde a précisé que son équipe de négociation compterait environ 11 personnes, dont les 3 coprésidents, les autres étant choisis parmi ses membres. Les parties ont initialement évoqué la possibilité d’entamer les négociations en mars. Après l’appel, Mme Rodrigue a transmis par courriel à M. Hébert un résumé de la rencontre du 15 janvier 2021.

[19] M. Spindler a témoigné que l’équipe de négociation de la Guilde (l’« équipe de la Guilde ») était composée de 10 personnes, dont les 3 employés à temps plein de la Guilde, à savoir lui, M. Talbot et Mme Thompson et 7 membres de l’unité de négociation qui représentaient les différents [traduction] « régimes de travail » que l’on retrouve dans le groupe SO. Ces sept membres étaient souvent appelés [traduction] « le comité » dans les documents et les éléments de preuve (le « comité de la Guilde »). Les détails précisant qui étaient les membres du comité de la Guilde ne m’ont pas été communiqués.

[20] Parfois, dans les documents de l’employeur ainsi que par les témoins qu’il a cités, le terme « Guilde » était simplement utilisé de façon générale sans préciser à qui exactement il était fait allusion au sein de l’organisation; il ressortait cependant clairement qu’il s’agissait de l’équipe de la Guilde ou de l’un de ses membres.

[21] Je renverrai à l’équipe de négociation du CT sous l’appellation d’équipe du CT.

[22] Il est ressorti de la preuve qu’au moment où la Guilde a signifié l’avis de négocier et où les discussions sur l’établissement du calendrier des séances de négociation ont eu lieu, en tant qu’employeur des fonctionnaires faisant partie de la fonction publique centrale (qui compte nettement plus de 200 000 fonctionnaires) le CT avait déjà conclu des conventions collectives connexes à la séance de négociation de 2018, et ce, avec l’ensemble des unités à l’exception de trois petits groupes, dont l’un était le groupe SO.

[23] Le 5 février 2021, M. Hébert a transmis à M. Spindler une ébauche du protocole de négociation, pour examen et commentaire. Dans ce courriel, M. Hébert proposait aussi de tenir une séance de négociation préliminaire pendant la semaine du 22 mars 2021. Le 26 février 2021, M. Hébert a envoyé un courriel à l’équipe des coprésidents de la Guilde, afin de s’enquérir du courriel du 5 février 2021 et de l’ébauche du protocole, puisqu’il n’avait pas eu de nouvelles de M. Spindler ni de tout autre membre de l’équipe de la Guilde.

[24] Ce n’est que le 3 mai 2021 que M. Spindler a répondu à M. Hébert par courrier électronique. MM. Spindler et Hébert ont échangé des courriels ce jour‑là ainsi que les 4 et 5 mai 2021. Les parties ont discuté de la première séance de négociation possible. Diverses dates ont fait l’objet de discussions entre juin et septembre 2021. Au cours de ces échanges, M. Hébert a indiqué à M. Spindler qu’il y avait autre chose dont il souhaitait discuter. Cette discussion, qui a eu lieu par téléphone, portait sur la question de savoir si la Guilde pouvait être intéressée à conclure un « accord tendanciel », au lieu de participer à des négociations habituelles.

[25] En contre‑interrogatoire, M. Hébert a confirmé que même s’il n’avait pas eu de nouvelles de l’équipe de la Guilde à la suite des courriels des 5 et 26 février 2021, il n’avait pas envoyé d’autres courriels; il n’a pas téléphoné à M. Spindler ni à qui que ce soit d’autre dans l’équipe de la Guilde.

[26] M. Hébert a expliqué aux fins de l’audience en quoi consistait un accord tendanciel. Il a dit que le groupe SO était l’une des deux seules unités de négociation de l’administration publique centrale (l’une de trois si l’on tient compte des organismes distincts) qui avaient participé à la négociation d’une convention collective en 2018 et qui n’étaient pas parvenues à une entente avec le CT, et qu’à ce moment‑là, les autres groupes commençaient à participer à la ronde de négociation suivante. M. Hébert a affirmé que, compte tenu de ces circonstances, l’équipe du CT avait une assez bonne idée de ce que tous les autres groupes et les agents négociateurs avaient accepté. Cette discussion s’est aussi poursuivie dans un échange de courriels entre MM. Hébert et Spindler, le 14 mai 2021. M. Hébert a affirmé qu’on lui avait dit que l’équipe de la Guilde n’avait pas de mandat pour cela, mais qu’il devait soulever de nouveau la question au début des séances de négociation. L’échange de courriels en date du 14 mai 2021 a aussi permis de confirmer que les premières dates des négociations étaient fixées du 14 au 16 juillet 2021.

[27] Il convient de souligner qu’en raison de la pandémie de COVID-19 qui a commencé au début de l’année 2020, toutes les rencontres qui ont eu lieu entre les parties et auxquelles je fais renvoi dans la présente décision ont été virtuelles, et non tenues en personne. De plus, parfois, les heures auxquelles les membres de l’équipe de la Guilde envoyaient des courriels pouvaient être décalées d’une heure, puisque ceux‑ci menaient parfois leurs activités à partir d’un bureau de la côte Est.

[28] MM. Hébert, Leindecker et Spindler et Mme Rodrigue ont assisté à la première ronde de négociation, en juillet 2021, quoique M. Hébert ait affirmé que M. Leindecker n’avait été là que deux jours sur trois. Mme Rodrigue a aussi pris des notes des rencontres. Elle a affirmé que ses notes étaient très précises même si elles ne sont pas rédigées mot pour mot, ce que la Guilde n’a pas semblé contester. Il est ressorti de la preuve que le premier jour a été plutôt court, ayant débuté vers 13 h et pris fin peu après 15 h. L’équipe de la Guilde a fait une présentation à celle du CT, et lors de la rencontre elle a passé en revue ses [traduction] « Propositions visant à modifier la convention collective entre le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada et la Guilde de la marine marchande du Canada », qui contenaient 72 pages. Une copie a été déposée en preuve.

[29] Dans un courriel du 14 juillet 2021, à 15 h 52, Mme Rodrigue a nommé à M. Spindler les personnes qui formaient l’équipe du CT et qui assisteraient aux négociations, puis elle a transmis une copie des [traduction] « Propositions non pécuniaires pour le groupe Officiers et officières de navire (SO) », qui étaient présentées par le CT. Une copie de ces propositions a été déposée en preuve.

[30] Il est ressorti de la preuve que, le 15 juillet 2021, les parties se sont rencontrées à 14 h 15 et que leur rencontre a pris fin juste après 16 h. Selon le témoignage de M. Hébert, les deux parties ont passé la majeure partie de la rencontre de cette journée‑là avec leur propre équipe. Le courriel d’information que Mme Rodrigue a envoyé à M. Cyr indiquait qu’au moment où les parties s’étaient rencontrées, certains avaient posé des questions sur les propositions, et que la Guilde avait convenu d’apporter les modifications mineures d’ordre administratif que l’équipe du CT avait proposées. Dans la note, Mme Rodrigue indiquait aussi ce qui suit : [traduction] « Les parties procéderont à la signature de ces documents. »

[31] Il est ressorti de la preuve que, le 16 juillet 2021, les parties se sont rencontrées à 12 h 10, et que leur rencontre a pris fin environ une heure plus tard. Elles se sont ensuite rencontrées de nouveau vers 14 h, et la rencontre a pris fin avant 15 h. Dans son témoignage devant moi, M. Hébert a affirmé que la journée avait été une petite journée et que les parties l’avaient passée en caucus avec leur propre équipe en bonne partie. Il a affirmé que certains avaient posé des questions, qu’à son avis la rencontre s’était bien déroulée et que l’équipe de la Guilde avait accepté d’autres propositions du CT. Les notes de Mme Rodrigue indiquent que l’entente conclue par l’équipe de la Guilde concernait les propositions d’ordre administratif. Ces notes indiquent aussi, ce dont M. Hébert a témoigné, que les parties envisageaient de se rencontrer de nouveau et de poursuivre leurs discussions en septembre 2021. Les notes indiquaient aussi ce qui suit : [traduction] : « La Guilde s’est dite déçue que l’employeur n’ait pas pu accepter une seule des propositions qu’elle a faites au cours de cette première séance de négociation. »

[32] Une série de courriels échangés entre MM. Hébert et Spindler du 15 au 20 juillet 2021 a été déposée en preuve; certains des derniers courriels de la chaîne, qui portent sur l’approbation effective des propositions d’ordre administratif du CT par les parties, sont aussi adressés à Mme Rodrigue.

[33] M. Hébert a témoigné que rien d’autre n’avait été réalisé en juillet, et qu’après avoir obtenu ces approbations, il avait remis le dossier à M. Leindecker, puisque celui‑ci participait aux négociations avec d’autres agents négociateurs pour d’autres groupes.

[34] Un long échange de courriels, qui débute le 4 août 2021 et prend fin le 1er octobre 2021, qui incluait parfois MM. Hébert, Spindler et Leindecker et parfois Mmes Rodrigue, Thompson et Rozon ainsi que M. Talbot, a été déposé en preuve. Le premier courriel de la chaîne a été envoyé par M. Spindler à M. Hébert. Ce courriel indiquait que l’auteur effectuait le suivi de la proposition de se rencontrer de nouveau en septembre afin de reprendre les négociations, et que l’équipe de la Guilde était [traduction] « prête, disposée et disponible pour une rencontre ». M. Hébert a répondu le même jour, en indiquant à M. Spindler qu’il croyait comprendre que M. Leindecker avait l’intention de communiquer avec lui au cours de cette semaine‑là, pour discuter des dates possibles. Effectivement, le courriel suivant de la chaîne a été envoyé par M. Leindecker à M. Spindler. Pour donner suite, M. Leindecker y indiquait que les membres de l’équipe du CT ne seraient pas tous disponibles en septembre, puis il laissait entendre que la semaine du 4 octobre serait pour eux la date la plus rapprochée et la meilleure pour la reprise des négociations.

[35] À une date incertaine, les parties ont convenu de tenir leur deuxième ronde de négociations les 4, 5 et 6 octobre 2021. Le 8 septembre 2021, la tenue d’une rencontre par téléconférence (la « rencontre du 8 septembre ») entre M. Leindecker et Mme Rodrigue du côté de l’équipe du CT, et MM. Spindler et Talbot et Mme Thompson du côté de la Guilde, a été fixée afin de discuter de la séance de négociation prévue pour octobre 2021. Le 8 septembre 2021, M. Leindecker a envoyé un courriel à M. Spindler, dans lequel il dressait la liste des questions ou sujets possibles qu’il proposait aux fins de la ronde de négociations, du 4 au 6 octobre.

[36] Mme Rodrigue a pris des notes de la rencontre du 8 septembre, dont une copie été déposée en preuve. L’une des questions soulevées pendant la discussion était celle de la [traduction] « convention de transition ». Le 15 août 2021, la Chambre des communes a été dissoute et les brefs relatifs aux élections ont été publiés par le gouverneur général. Le 20 septembre 2021, les élections ont eu lieu. Le 26 octobre 2021, le nouveau gouvernement a été assermenté par le gouverneur général. Il est ressorti de la preuve qu’une fois que des élections sont déclenchées et pendant la période qui précède l’assermentation d’un nouveau gouvernement, le gouvernement mène ses activités en vertu de ce qu’on appelle communément la « convention de transition ». Cela s’entend au sens où les fonctions quotidiennes habituelles du gouvernement sont maintenues, mais beaucoup de choses, y compris la conclusion d’une convention collective, sont bloquées. En bref, comme M. Leindecker en a témoigné, l’équipe du CT ne pouvait pas conclure d’entente à la table de négociation et elle devait attendre jusqu’après l’assermentation du nouveau gouvernement pour confirmer son mandat aux fins des négociations.

[37] Selon les notes de la rencontre du 8 septembre et les témoignages devant moi, pendant la téléconférence, M. Leindecker a confirmé que la convention de transition était en place et que le mandat de l’employeur était figé dans le temps. Les notes sur ce sujet indiquent ce qui suit :

[Traduction]

[…]

TED : […] NOUS SOMMES ACTUELLEMENT FIGÉS DANS LE TEMPS POUR CE QUI EST DU MANDAT. CELA NE VEUT PAS DIRE QUE NOUS NE POUVONS PAS ALLER À LA TABLE. NOUS POUVONS PARLER DES PRINCIPES.

SUR LES PLANS JURIDIQUE ET TECHNIQUE, LE GOUVERNEMENT N’A AUCUN DROIT PRÉSENTEMENT, CE QUI VEUT DIRE QU’AUCUN ORGANISME NE PEUT VRAIMENT PRENDRE DES DÉCISIONS EN CE MOMENT.

MÊME APRÈS QUE LES ÉLECTIONS SERONT PASSÉES, LA CONVENTION DE TRANSITION SERA MAINTENUE JUSQU’À CE QU’UN NOUVEAU PREMIER MINISTRE SOIT NOMMÉ. ET À CE MOMENT‑LÀ, NOUS DEVRONS OBTENIR LA RÉAFFIRMATION DE NOS MANDATS. EN 2019 – LES ÉLECTIONS ONT EU LIEU EN OCTOBRE, L’ASSERMENTATION EN NOVEMBRE.

[…]

TOM : DERNIÈRE RONDE, MANDAT GELÉ EN JUILLET. ER NE POUVAIT MÊME PAS ACCEPTER DES PROPOSITIONS D’ORDRE ADMINISTRATIF. CELA A ÉTÉ SURPRENANT POUR CERTAINS.

[…]

 

[38] Il est ressorti de la preuve que l’équipe de la Guilde ne s’est pas engagée à discuter de la liste des points proposés par l’employeur à la rencontre du 8 septembre. Cependant, au cours de ces discussions, il a été mentionné qu’un article précis portant sur le [traduction] « Protocole d’entente (PE) entre le Conseil du Trésor du Canada et la Guilde de la marine marchande du Canada concernant la mise en œuvre de la convention collective » (l’« article sur le PE »), qui traite des questions ayant fait surface depuis la mise en œuvre du système de paye Phénix par l’employeur et l’expérience des difficultés qui en découlent, présentait un grand intérêt pour l’équipe de la Guilde. Les parties ont discuté de la possibilité qu’un spécialiste de Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC) (anciennement connu sous le nom de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC)) puisse donner un aperçu de l’article sur le PE. M. Leindecker a de nouveau soulevé ce sujet auprès de M. Spindler dans un courriel, le 29 septembre 2021, en indiquant qu’un représentant de SPAC qui connaissait bien l’article sur le PE était disponible pour la séance de négociation fixée du 4 au 6 octobre 2021, et qu’il pouvait faire une présentation et répondre aux questions.

[39] Le 29 septembre 2021, M. Spindler a répondu à M. Leindecker, en indiquant qu’il discuterait de cette question avec le comité de la Guilde le 4 octobre 2021. M. Spindler demandait aussi à M. Leindecker de lui laisser savoir s’il s’agissait d’une présentation que son équipe serait disposée à recevoir, le 5 ou le 6 octobre. Le vendredi 1er octobre 2021, dans un échange de courriels, MM. Leindecker et Spindler ont convenu de discuter le lundi 4 octobre 2021, vers midi, HAE.

[40] M. Leindecker a témoigné qu’à l’arrivée de l’équipe du CT pour négocier, le 4 octobre, M. Spindler l’avait avisé que l’équipe de la Guilde souhaitait recevoir la présentation traitant de l’article sur le PE. M. Leindecker a ajouté qu’il lui avait demandé s’il avait aussi des questions, lesquelles ont été transmises par M. Spindler le 4 octobre, en fin de matinée, dans un courriel adressé à M. Leindecker. Une copie du rapport de fin de journée transmis par M. Cyr a été déposée en preuve. Selon M. Leindecker, l’analyste (Mme Rodrigue ou Mme Rozon) devait l’avoir préparé et lui devait le réviser. Le rapport indiquait que chacune des équipes s’était réunie en caucus pendant la matinée et que la présentation de SPAC sur le PE avait eu lieu en après‑midi, à la suite de quoi les équipes étaient retournées en caucus. M. Leindecker a affirmé que l’équipe de la Guilde avait posé de bonnes questions, qu’elle avait noté l’information et qu’elle lui avait indiqué qu’elle en discuterait. M. Leindecker s’attendait à recevoir une contre‑proposition sur le PE le lendemain.

[41] Le 5 octobre 2021, l’équipe de la Guilde a présenté à celle du CT une contre‑proposition sur les dispositions du PE. M. Leindecker a affirmé que son équipe l’avait acceptée, qu’elle l’avait examinée attentivement et en avait discuté, puis qu’elle était revenue auprès de la Guilde afin de poser des questions et d’en discuter. L’employeur a répondu à la contre‑proposition de l’équipe de la Guilde. En bref, M. Leindecker a affirmé que l’employeur avait dit [traduction] « Non » à la plupart des points qui y étaient soulevés, mais qu’il avait expliqué pourquoi. Il a mentionné le fait que la Guilde recherchait des modifications similaires à celles qui se retrouvaient dans d’autres conventions collectives. Il a ajouté qu’il est difficile de rétorquer à des modifications éventuelles lorsque toutes les autres conventions collectives ont le même libellé. Il a dit qu’il n’avait rien reçu de l’équipe de la Guilde, et il a déclaré qu’à son avis, lorsqu’on présente une justification, il est raisonnable de s’attendre à recevoir quelque chose en retour et qu’il ne pouvait pas négocier avec lui‑même. En bref, M. Leindecker a affirmé qu’il s’agissait d’une demande déraisonnable, étant donné que toutes les autres conventions collectives avaient ce libellé. Il a dit qu’il ne pouvait pas apporter des modifications ardues.

[42] M. Leindecker a dit qu’après cela, les parties avaient passé le reste de la journée en caucus avec leur équipe respective. Il a ajouté que l’équipe de la Guilde avait exprimé sa frustration à l’équipe du CT et qu’elle avait le sentiment que les parties étaient dans une impasse. Il a affirmé qu’on lui avait dit que l’équipe de la Guilde acheminerait la question à la Commission afin de faciliter sa position. Il a dit qu’il avait offert de poursuivre les négociations, mais que la Guilde n’était pas intéressée. Le 5 octobre, à 18 h 46, M. Cyr a communiqué par courriel au sous‑ministre une note d’information sur la séance de la journée. Les parties pertinentes de ce courriel pour la présente décision indiquent ce qui suit :

[Traduction]

[…]

· Les parties ont passé une partie de la matinée en caucus et elles se sont rencontrées à 11 h 30, lorsque la Guilde a déposé, comme prévu, une contre‑proposition sur le protocole d’entente (PE) concernant la mise en œuvre de la convention collective. La Guilde a aussi accepté en principe l’une des propositions de l’employeur (portant sur le langage épicène). L’employeur a ensuite répondu à la proposition de l’agent négociateur à l’égard d’un nouvel article, qui exigerait que l’employeur agisse de façon raisonnable, équitable et de bonne foi dans le cadre de l’administration de la convention collective. L’employeur a confirmé qu’il n’était pas disposé à admettre le nouveau libellé proposé. […]

[…]

· Les parties sont retournées en caucus jusqu’à ce que le négociateur de l’agent négociateur ait appelé le négociateur de l’employeur pour signaler que la Guilde avait l’intention de déclarer une impasse des négociations. Le négociateur de l’agent négociateur a fait part de son espoir que cela forcerait le gouvernement à accélérer le processus de négociation.

· Le négociateur de l’employeur a répondu en réitérant comment le processus de négociation était touché par la convention de transition et en indiquant que l’on pouvait s’attendre à recevoir prochainement des instructions à jour. Le négociateur a néanmoins conclu en disant que l’employeur respecterait la décision de la Guilde.

[…]

 

[43] Une copie de l’échange de courriels qui a eu lieu le 6 octobre 2021 entre MM. Leindecker et Spindler, avec copie à M. Talbot et à Mme Thompson à certains moments, a été déposée en preuve. Les parties pertinentes de cet échange sont celles qui suivent :

[Traduction]

[M. Leindecker à M. Spindler, à 9 h 32]

[…]

Hier soir, j’ai informé mes dirigeants du résultat de nos discussions au cours des deux derniers jours et de la position que vous envisagez.

Nous sommes quand même disposés à retourner à la table afin de poursuivre nos négociations sur toutes les questions en suspens des parties et nous sommes disponibles pour cela. Bien qu’il ne s’agisse peut‑être pas du moment opportun pour approuver des modifications, cela n’empêche pas les parties de poursuivre leurs discussions […]

[…]

[M. Spindler à M. Leindecker, à 18 h 39]

Bonsoir Ted, et merci de ton offre de retourner à la table afin de poursuivre les discussions. Notre comité s’est de nouveau réuni en caucus aujourd’hui et nous pouvons signaler que sa position n’a pas changé. Les membres du comité ont réaffirmé le mandat qu’ils ont confié à Bernard et à moi hier, qui est de procéder en vertu des dispositions prévues par le Code et de déposer une demande visant à obtenir l’aide d’un conciliateur du gouvernement fédéral pour amener l’employeur à participer à des négociations significatives […]

[…]

[M. Leindecker à M. Spindler, à 20 h 11]

[…]

Alors si je comprends bien, vous demanderez à la Commission d’intervenir (en vertu de la Loi) et d’affecter un « médiateur » (p. ex., Tom Clairmont?) afin de ramener les parties à la table et de les aider à parvenir à un règlement?

[…]

[M. Spindler à M. Leindecker, à 19 h 33]

Bonjour Ted, j’apprécie la correction apportée à la terminologie qui s’applique au processus et aux personnes (cela fait déjà un certain temps que je n’ai pas rencontré Tom), et oui, votre compréhension est juste.

[…]

[M. Leindecker à M. Spindler, à 20 h 50]

Bonjour Tom, il ne s’agit pas du tout d’une correction! Comme vous, cela fait longtemps que je n’ai pas discuté de cela et le processus n’est plus nécessairement clair pour moi. Je tenais seulement à m’assurer que j’avais compris, alors merci d’avoir clarifié – la médiation peut être une bonne chose.

[…]

 

[44] Le 23 novembre 2021, au nom de la Guilde, Mme Thompson a écrit à la présidente de la Commission et elle a demandé l’aide d’un médiateur en vertu de l’article 108 de la Loi. Le 6 décembre 2021, les Services de médiation et de règlement des différends (SMRD) de la Commission, qui s’occupent de la médiation pour celle‑ci, ont envoyé aux parties par voie électronique une lettre qui confirmait la nomination à leur intention, le 2 décembre 2021, d’une équipe composée de deux médiateurs. La lettre avisait aussi les parties que les médiateurs communiqueraient avec elles afin de fixer une séance de médiation.

[45] Un courriel que M. Leindecker a envoyé à M. Cyr le 8 décembre 2021, à 16 h 19, a été déposé en preuve. Sa partie pertinente indique ce qui suit :

[Traduction]

Bonsoir Dan, êtes‑vous en discussion […]

Je viens de parler avec Tom Clairmont. Il a communiqué avec Joy Thompson (Guilde) et elle lui a dit qu’ils ne seraient pas prêts à participer à une séance de médiation avant le début de mars 2022!!!

Comme nous n’avons vraiment pas beaucoup de choix, Tom et moi avons fixé la période du 1er au 3 mars 2022. […]

[…]

 

[46] Dans son témoignage, M. Leindecker a déclaré que lorsqu’il avait entendu la Guilde dire que les parties se trouvaient dans une impasse, il avait pensé que celle‑ci prendrait des mesures immédiatement, mais qu’elle n’avait pas déposé de demande de médiation auprès de la Commission avant le 23 novembre 2021. M. Leindecker a aussi témoigné que son mandat avait été rétabli après la nomination d’un nouveau ministre.

[47] M. Spindler a témoigné que toute l’équipe de la Guilde avait assisté à la séance de médiation.

[48] La séance de médiation devait se tenir virtuellement, du 1er au 3 mars 2022. Une copie des notes que Mme Rozon a prises le premier jour de la séance de médiation a été déposée en preuve. Ces notes ont été revues avec Mme Rodrigue, qui a affirmé qu’elles reflétaient ce qui s’était passé ce jour‑là selon ses souvenirs. Les parties ont rencontré Tom Clairmont, le médiateur de la Commission, à 11 h 35. Ces notes témoignaient de l’échange qui suit :

[Traduction]

[…]

Tom [Clairmont] – Avez‑vous des idées au sujet de la façon dont nous pourrions entamer la discussion?

Guilde – Nous travaillons à une liste de propositions non pécuniaires – 5 ou 6 points dont nous aimerions discuter avec l’employeur. Nous aimerions savoir ce que l’employeur a en tête au sujet de ces propositions.

Tom – Que proposez‑vous?

Guilde – Oui, une partie de notre ensemble de propositions. Nous souhaitons commencer par celles‑là et voir où cela nous mènera.

Ted – Oui, de notre côté, nous serions prêts à mettre l’offre globale sur la table. Un bon nombre de propositions visent de simples modifications d’ordre administratif, à savoir, une entente de principe à l’égard de quatre ou cinq propositions concernant le genre neutre – nous pourrions libérer cela et déposer l’ensemble des propositions. L’ensemble complet pour votre examen. Cela peut contenir des points que vous envisagez de présenter. N’eût été des élections, c’est l’approche que nous souhaitions envisager. Il n’en tient qu’à vous.

Tom – Avez-vous une contre‑offre prête à être communiquée?

Ted – Oui, mais nous aimerions d’abord nous débarrasser des modifications d’ordre administratif, et ensuite déposer l’offre globale. Cela pourrait comprendre les mêmes points. Sinon, vous pouvez revenir nous présenter les points manquants.

[…]

 

[49] Pendant son témoignage, on a montré à M. Spindler une copie des notes de la séance de médiation du 1er mars 2022 que Mme Rozon avait prises, et il a déclaré que, selon ses souvenirs, les notes semblaient rendre compte précisément de ce qui s’était passé pendant la rencontre.

[50] Une copie de la note d’information que l’employeur avait envoyée au sous‑ministre après la première journée de médiation, le 1er mars 2022 à 17 h 49, a été déposée en preuve. On a montré la note à Mme Rodrigue, et elle a affirmé que selon ses souvenirs il s’agissait d’un résumé fidèle. La partie pertinente de cette note indiquait ce qui suit :

[Traduction]

[…]

· L’employeur a brièvement rencontré le médiateur à 11 h 30 afin de réitérer ses objectifs pour la séance de médiation. La Guilde s’est jointe à la séance peu de temps après et elle a fait part de son intention de déposer une liste de propositions non pécuniaires (cinq ou six) pour lancer les discussions. À son tour, l’employeur a exprimé de nouveau son objectif d’aborder les modifications d’ordre administratif en suspens et de déposer une offre globale, ce qui pourrait comprendre des propositions envisagées par la Guilde. La Guilde a semblé réceptive, mais elle a demandé une période supplémentaire en caucus pour examiner l’approche proposée par l’employeur.

· Les parties se sont réunies en caucus, puis elles ont repris la séance à 15 h. À ce moment‑là, le médiateur a demandé des justifications à l’égard de certaines propositions de l’employeur, afin d’effectuer le même exercice avec la Guilde.

· Peu de temps après, il y a eu une discussion entre les négociateurs et le médiateur seulement. Au cours de cette période, la Guilde a présenté les modifications à apporter aux dispositions dont elle souhaitait l’examen en échange des modifications d’ordre administratif proposées par l’employeur. Cela comprenait, par exemple, des modifications que l’employeur est disposé à envisager à l’égard de la clause du congé pour décès et qui s’harmonisent avec celles qui ont été négociées dans d’autres conventions collectives. Cependant, l’acceptation de ces modifications se ferait en lieu et place d’autres modifications que l’employeur a ajoutées sous l’offre globale concernant le congé pour décès. Cela dit, l’employeur n’est pas disposé à accepter certaines des modifications suggérées à l’égard des heures supplémentaires, des heures de travail et des congés de maladie payés.

· Il convient de souligner que l’employeur n’a pas eu l’occasion de déposer son offre globale aujourd’hui.

[…]

 

[51] M. Spindler a déclaré qu’après que l’équipe de la Guilde eut rencontré les médiateurs et l’équipe de l’employeur, elle s’est retirée dans sa propre salle de caucus et elle a discuté de sa position et des cinq ou six points qu’elle souhaitait présenter à l’employeur aux fins de discussion. M. Spindler a affirmé que l’équipe de la Guilde avait signifié clairement aux médiateurs qu’elle souhaitait entendre la réponse de l’employeur, à savoir oui, non ou même peut‑être. Le 1er mars 2022 à 14 h 22, M. Talbot a transmis au médiateur ou aux médiateurs, par voie électronique, une copie des six points proposés par la Guilde; le médiateur ou les médiateurs l’ont transmise par voie électronique à M. Leindecker le même jour, à 15 h 55.

[52] En ce qui concerne l’avis que l’employeur a fourni au début de la séance de médiation, selon lequel il présenterait un ensemble complet de propositions, M. Spindler a affirmé que le comité de la Guilde avait été heureux d’entendre que cela viendrait et qu’il était optimiste. M. Spindler a dit que le 1er mars 2022, en fin de journée, l’équipe de la Guilde n’avait pas eu de nouvelles de l’équipe du CT au sujet de ses six points.

[53] M. Spindler a témoigné que le deuxième jour de la séance de médiation (le 2 mars 2022) avait débuté à 12 h, heure de l’Atlantique. Ce jour‑là, à 13 h 15, M. Leindecker a transmis aux médiateurs l’offre globale de l’employeur. Une copie de l’offre globale (ou ensemble complet de propositions) a été déposée en preuve. M. Spindler a déclaré que, dès réception de l’offre globale, la première réaction du comité de la Guilde après l’avoir examinée avait été la déception. Cependant, il a affirmé qu’à la suite de cet examen, l’équipe avait passé l’offre en revue point par point. M. Spindler a dit qu’en fin de compte, les membres de l’équipe étaient déçus au point d’en être découragés.

[54] M. Spindler a dit qu’après que le comité de la Guilde eut passé en revue l’offre globale, l’équipe de la Guilde a débattu la question de savoir si elle pouvait présenter une contre‑proposition à l’employeur. Il a ajouté que lui‑même, M. Talbot et Mme Thompson avaient demandé au comité de la Guilde s’il souhaitait présenter une contre‑proposition et que celui‑ci avait répondu : [traduction] « Non. » Le comité avait le sentiment que les positions des parties étaient trop éloignées. M. Spindler a dit que les membres du comité s’étaient aussi demandé s’ils pouvaient accepter la contre‑offre de l’employeur à titre d’entente provisoire, en vue de la présenter aux membres pour ratification. À nouveau, la réponse a été : [traduction] « Non. » M. Spindler a ajouté que même s’il était tard, le comité a convenu d’ajourner pour la journée, de revenir sur la question le lendemain matin et de voir si la perspective serait différente en matinée.

[55] M. Spindler a dit que le comité s’était réuni en caucus le lendemain matin (3 mars 2022) et que la situation n’avait pas évolué pour les membres du comité. La présentation d’une contre-proposition ne suscitait aucun intérêt, car ils avaient le sentiment que les positions des parties étaient trop éloignées. M. Spindler a dit que lorsque le comité avait rencontré le médiateur ou les médiateurs de nouveau, il leur en avait fait part. M. Spindler a ajouté que le comité avait dit au médiateur ou aux médiateurs qu’il avait le sentiment que l’employeur ne l’avait pas entendu. Le médiateur ou les médiateurs ont transmis le message à la partie patronale. Lorsque l’avocate de la Guilde a demandé à M. Spindler si la partie patronale avait demandé au comité d’attendre et de parler de l’offre, M. Spindler a répondu que non.

III. Résumé de l’argumentation

[56] L’employeur m’a renvoyé à Boshra c. Association canadienne des employés professionnels, 2009 CRTFP 100; British Columbia Teachers’ Federation v. British Columbia, 2015 BCCA 184; Association des pilotes fédéraux du Canada c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 52; Association des pilotes fédéraux du Canada c. Ministère des Transports, 2018 CRTESPF 91; C.A.S.A.W. c. Royal Oak Mines Inc., [1996] 1 R.C.S. 369; S.C.F.P. c. Ibéria, Lignes aériennes d’Espagne (1990), décision no 796 du CCRT (« Ibéria, Lignes aériennes d’Espagne »); Commission scolaire municipale de Digby c. S.C.F.P., section locale 1185, [1983] 2 R.C.S. 311; Association professionnelle des agents du Service extérieur c. Conseil du Trésor, 2013 CRTFP 110; Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2008 CRTFP 78; Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2009 CRTFP 102; Alliance de la Fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor), dossier de la CRTFP 148-2-16 (19770630), [1977] C.R.T.F.P.C n16 (QL); David J. Corry, Collective Bargaining and Agreement, chapitre 8, « Duty to Bargain » (Obligation de négocier).

[57] L’employeur a soutenu que la Guilde avait agi de mauvaise foi, qu’elle n’avait pas négocié de bonne foi, et il a demandé à la Commission de déclarer que tel est le cas et d’ordonner aux parties de retourner à la table de négociation, où elles poursuivront les négociations.

[58] La Guilde m’a renvoyé à la Loi, à la définition du mot « comprehensive » (global) dans le Cambridge Dictionary et le Merriam-Webster Dictionary, aux décisions arbitrales rendues en 2012 et 2018 à l’égard de l’employeur et de la défenderesse, ainsi qu’à Castonguay c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CRTFP 78; Delice‑Charlemagne c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2021 CRTESPF 143; A.T.U., Local 1374 v. Brewster Transport Co., 1986 CarswellNat 940; George W. Adams, Canadian Labour Law, 2e édition, chapitre 10, « Unfair Labour Practice Proceedings », section VIII, « The Duty to Bargain » (L’obligation de négocier).

[59] La Guilde a soutenu qu’elle n’avait aucunement agi de mauvaise foi et elle a demandé que la plainte soit rejetée. De plus, la Guilde a soutenu que tout acte allégué par l’employeur ayant eu lieu en dehors de la période de 90 jours prévue à l’article 190 de la Loi dépasse le délai au cours duquel l’employeur était autorisé à présenter la plainte, et que, par conséquent, la Commission n’a pas compétence pour la recevoir.

IV. Motifs

[60] Pour les motifs qui suivent, la plainte est rejetée.

[61] La plainte repose sur l’allégation selon laquelle la Guilde ne s’est pas acquittée de ses obligations en vertu de l’article 106 de la Loi, qui se lit comme suit :

106 Une fois l’avis de négociation collective donné, l’agent négociateur et l’employeur doivent sans retard et, en tout état de cause, dans les vingt jours qui suivent ou dans le délai éventuellement convenu par les parties :

106 After the notice to bargain collectively is given, the bargaining agent and the employer must, without delay, and in any case within 20 days after the notice is given unless the parties otherwise agree,

a) se rencontrer et entamer des négociations collectives de bonne foi ou charger leurs représentants autorisés de le faire en leur nom;

(a) meet and commence, or cause authorized representatives on their behalf to meet and commence, to bargain collectively in good faith; and

b) faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective.

(b) make every reasonable effort to enter into a collective agreement.

 

[62] Le paragraphe 190(2) de la Loi dispose que sous réserve des paragraphes (3) et (4), les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les 90 jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

[63] Comme il est énoncé aux paragraphes 55 de Castonguay et 8 de Delice‑Charlemagne, le délai prescrit pour présenter une plainte en vertu du paragraphe 190(2) de la Loi est obligatoire et la Commission n’a pas le pouvoir discrétionnaire de le proroger. Comme la plainte dans la présente affaire a été déposée le 5 mai 2022, les actes qui font l’objet de la plainte doivent avoir eu lieu au cours des 90 jours précédents, ce qui tomberait entre le 4 février et le 5 mai 2022.

[64] L’employeur m’a renvoyé à Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2008 CRTFP 78, où le prédécesseur de la Commission, la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP), a conclu au paragraphe 56 que la preuve admissible dans le contexte d’une plainte de négociation de mauvaise foi peut aller nettement au-delà des faits soulevés au moment de la plainte, l’objectif étant d’examiner le comportement des parties durant la négociation collective. Elle a fait renvoi à la page 170 de la décision rendue dans Ibéria, Lignes aériennes d’Espagne, qui indique ce qui suit :

[…]

Le caractère continu et permanent de l’obligation de négocier de bonne foi autorise donc le Conseil, saisi d’une plainte, à examiner l’ensemble du processus de négociation collective et à recevoir la preuve de tous les faits pertinents à cette négociation quel que soit le moment où les faits se sont produits. Le Conseil a reconnu et a appliqué ces règles de façon constante depuis l’affaire susmentionnée. […]

[…]

 

[65] Les paragraphes 80 à 83 de A.T.U., Local 1374 indiquent ce qui suit au sujet des plaintes de négociation de mauvaise foi :

[Traduction]

80 La question de la négociation de mauvaise foi est malheureusement l’une de celles qui sont régulièrement invoquées devant le Conseil.

81 Il s’agit d’un domaine où il existe une jurisprudence considérable au Conseil et auprès d’autres tribunaux des relations de travail. C’est un domaine où les règles fondamentales que les organes d’arbitrage doivent suivre sont essentiellement établies. La prémisse de base que le Conseil applique pour tenter d’établir une contravention à l’alinéa 148a) se trouve dans la décision rendue dans CKLW Radio Broadcasting Limited (1977),
23 di 51
[…]

[Traduction]

Cet arrière‑plan a défini le contexte dans lequel le Conseil doit administrer les concepts de négociation de bonne foi et d’effort raisonnable et leur donner un sens […] le Conseil ne doit pas juger le caractère raisonnable des positions de négociation, à moins qu’elles ne soient clairement illégales, contraires à la politique publique ou, entre autres choses, révélatrices de la mauvaise foi. En raison du fait que la négociation collective est une affaire de compromis qui est déterminée par l’exercice du pouvoir ou la crainte du pouvoir, le Conseil doit être attentif à ne pas empiéter sur l’équilibre des pouvoirs et à ne pas restreindre l’exercice du pouvoir en imposant des règles obligeant les parties à agir avec courtoisie ou élégance. En même temps, le Conseil doit s’assurer qu’une partie ne cherche pas à saper le droit de l’autre partie à négocier ni à agir de façon à empêcher une discussion exhaustive, éclairée et rationnelle des questions en litige.

[…]

Il ressort clairement de cet extrait que le rôle du Conseil n’est pas d’aider l’une ou l’autre partie à un différend de négociation à parvenir à ses fins, mais plutôt de s’assurer qu’une partie n’a pas l’avantage par rapport à l’autre en usant de tactiques illégales ou illicites à la table de négociation.

82 Dans CKLW Radio Broadcasting Limited, précité, le Conseil a cité et adopté le passage suivant extrait de Canadian Industries Limited, [1976] OLRB Rep. May 199 : […]

[Traduction]

L’obligation de négocier de bonne foi est énoncée en ces termes : [traduction] « […] Elles [les parties] doivent négocier de bonne foi et faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective. » Il n’est pas nécessaire d’élaborer sur la teneur de cette obligation. Le Conseil s’est déjà acquitté de cette tâche dans De Vilbiss (Canada) Ltd. [[1976] 2 Can LRBR 101]. Dans cette décision, le Conseil a indiqué clairement qu’on peut juger de la bonne foi des parties à la façon dont les négociations sont menées, et non d’après le contenu des propositions présentées à la table. Si l’on adoptait cette approche il s’ensuivrait que le Conseil serait appelé à jouer un rôle d’arbitre de différends, à évaluer le bien‑fondé relatif des propositions de négociation des deux parties. Il est raisonnable de présumer, par conséquent, que le législateur ne souhaitait pas que l’obligation de négocier de bonne foi soit définie par le contenu de la négociation.

La négociation de bonne foi doit donc être définie suivant la manière dont les négociations collectives doivent être menées. L’approche adoptée par les parties, dont témoigne leur conduite, gagne en importance, deux facteurs revêtant une importance particulière, à savoir la reconnaissance d’un côté et la qualité de la discussion de l’autre. Comme il a été indiqué dans De Vilbiss (Canada) Ltd., précité :

[Traduction]

Le devoir renforce l’obligation qui incombe à un employeur de reconnaître l’agent négociateur et, au‑delà de cet objectif plutôt élémentaire, on peut affirmer que le devoir vise à favoriser une discussion rationnelle, éclairée, qui atténuera par conséquent la possibilité d’un conflit de travail « inutile ».

La reconnaissance exige de chacune des parties d’aborder la négociation collective avec pour objectif de conclure une convention collective. Cela veut dire que le défaut de conclure une convention collective ne peut pas être motivé par le refus de reconnaître l’autre partie. L’exigence de reconnaître l’autre partie ne veut pas dire, toutefois, qu’une partie peut établir un défaut de négocier de bonne foi en se contentant de démontrer que l’autre partie n’a pas accepté ses conditions. Ce type de preuve, rattaché au contenu des propositions plutôt qu’à la conduite des négociations, ne suffirait pas pour établir un manque de reconnaissance.

On ne juge pas la conduite des négociations uniquement sous l’angle de la reconnaissance mutuelle, mais aussi en fonction de la qualité de la discussion. L’application de ce dernier facteur est un peu plus générale, puisqu’elle s’étend aux cas où les parties ont pour objectif commun de conclure une convention collective, mais où elles ne démontrent pas la volonté de discuter de la façon d’atteindre cet objectif. L’allusion à cet aspect de l’obligation a été faite dans […] Regina ex rel. Hodges v. Dominion Glass Co. Ltd., [1964] 2 O.R. 239, à la p. 247 :

[Traduction]

Il peut y avoir une distinction subtile entre la négociation de bonne foi et tout effort raisonnable pour conclure une convention collective, mais cette nuance est si ténue et si vague qu’elle n’a aucune importance juridique.

[…] L’effort raisonnable et honnête de conclure une convention collective témoigne de la bonne foi, de sorte que si l’un existe, l’autre existe aussi. Ce lien entre les deux a été exprimé dans National Labor Relations Board v. George P. Piling & Son Co. (1941), 119 F. 2(d) 32, à la p. 37 :

[Traduction]

La négociation présuppose que les négociations entre les parties soient menées de bonne foi. Les parties doivent faire preuve de la négociation équitable que demande le service de bonne foi dans leur approche et leur attitude envers les négociations, ainsi que dans leur traitement des sujets ou points particuliers de la négociation. À cette fin, les parties doivent manifester la volonté commune de discuter librement et pleinement de leurs demandes et revendications respectives, et lorsqu’elles s’opposent, de les justifier par un motif.

[…]

L’exigence de tenir une discussion rationnelle impose aux parties l’obligation de communiquer entre elles, de reconnaître qu’une négociation collective adéquate repose sur des communications efficaces. Bien que le défaut de communiquer puisse ne pas sembler être le même genre de faute que le refus de reconnaître l’autre partie, en réalité il a des conséquences très graves pour le processus de négociation collective dans son ensemble. L’interruption des rapports de négociation établis, en raison du refus de s’engager dans une discussion exhaustive avec l’autre partie, est susceptible de favoriser le recours plus fréquent aux sanctions pécuniaires et d’entraîner une plus grande insatisfaction à l’égard du processus de négociation collective. L’obligation de négocier de bonne foi reconnaît l’importance de la négociation collective en tant que structure permettant à un syndicat et un employeur de dialoguer pleinement.

[…]

Le présent Conseil a aussi proposé les principes énoncés ci‑dessous dans CKLW Radio Broadcasting Limited, précité :

[Traduction]

[…] Cela ne veut pas dire que les parties ne peuvent pas, lors de l’exercice de la libre négociation collective, entamer des négociations serrées ou impitoyables.

[…]

[…] Comme aux échecs, en matière de négociation collective, il n’existe aucune règle obligeant l’une ou l’autre partie à avancer en premier. […]

[…]

[…] L’obligation de négocier ne cesse pas en cas d’arrêt de travail, bien qu’il faille évaluer les actes des parties dans ce climat […]

[…]

[…] En l’absence d’un signe de changement au niveau des positions le refus de se rencontrer n’était pas contraire au Code.

[…]

83 […]

[Traduction]

[…] Le terme « négociations de façade » désigne les gestes posés pour la forme, ou le maintien de signes superficiels d’une négociation sans avoir l’intention de conclure une convention collective. Cela constitue un refus subtil mais réel de reconnaître le syndicat. Toutefois, il est important dans le contexte de la libre négociation collective d’établir une distinction entre les « négociations de façade » et les négociations serrées. Les parties à une négociation collective doivent agir dans leur propre intérêt, et ce faisant, elles ont le droit d’adopter des positions fermes qui peuvent s’avérer inacceptables pour l’autre partie […] la simple présentation d’une proposition qui est inacceptable ou même « inacceptable de manière prévisible » ne suffit pas, en soi, pour autoriser le Conseil à conclure aux « négociations de façade ». Le Conseil ne peut tirer une pareille conclusion qu’au vu de l’ensemble de la preuve, y compris, mais sans s’y limiter, l’adoption d’une position ferme à l’égard de certaines questions qui occupent une place centrale dans les négociations. C’est uniquement lorsque la conduite des parties démontre, dans l’ensemble, que l’une d’elles n’a pas l’intention de conclure une convention collective, malgré le fait qu’elle préserve les signes extérieurs de la négociation, qu’il est possible de conclure aux négociations « de façade ».

[…]

À la fin de l’extrait ci‑dessus, le Conseil souligne ce qu’il a dit antérieurement. Il n’est pas possible de trancher la question de savoir si une partie mène des négociations de façade ou des négociations serrées en se fondant sur un ou deux incidents seulement. Cela ne peut être évalué que sur la base d’une bonne compréhension de l’ensemble des faits, des témoignages et des arguments des parties qui sont présentés au Conseil.

 

[66] Au paragraphe 11 d’Alliance de la Fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor), le prédécesseur de la Commission, la Commission des relations de travail dans la fonction publique, a résumé ce qui constituait selon son interprétation les « lignes directrices » de la négociation de bonne foi, qui sont énoncées comme suit par la Commission des relations de travail de l’Ontario :

[…]

a) L’employeur doit reconnaître le syndicat comme l’agent négociateur de ses employés.

b) L’employeur et l’agent négociateur doivent avoir tous deux l’intention de conclure une convention collective, même si les parties sont en désaccord sur le contenu de la convention.

c) L’employeur doit fournir suffisamment de renseignements pour faire en sorte que les discussions soient documentées et rationnelles. La raison sous‑jacente à une telle obligation est exprimée ainsi :

En tant que question générale de politique, si les parties sont sur le point de s’engager dans un conflit économique, leurs divergences doivent être réelles et bien définies.

d) Le processus de la négociation collective doit être considéré comme un tout.

 

[67] Au paragraphe 85 d’Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2009 CRTFP 102, la CRTFP a indiqué ce qui suit :

[85] Comme la Cour suprême l’a signalé dans l’affaire SCFP, une partie proclame rarement qu’elle entend éviter la conclusion d’une entente. Souvent, il faut qu’un conseil ou une commission des relations de travail détermine si une partie pratique une « négociation serrée » ou une « négociation de façade ». Conclure à la pratique d’une « négociation de façade » donnera habituellement lieu à une conclusion selon laquelle il y a eu de la mauvaise foi. Conclure à la pratique d’une « négociation serrée » donnera lieu à une conclusion différente en matière de mauvaise foi. La négociation serrée est « […] l’adoption d’une ligne dure dans l’espoir de pouvoir forcer l’autre partie à accepter les conditions qui lui sont offertes » (SCFP). Une partie pratique la négociation de façade quand « […] elle feint de vouloir conclure une convention alors qu’en réalité elle n’a pas l’intention de signer une convention collective et elle souhaite détruire les rapports de négociation collective » (SCFP). La distinction importante tient à l’intention ou à l’objectif qui sous-tend la négociation. Dans l’affaire Royal Oak Mines Inc., la Cour suprême a approuvé — en la citant — la conclusion énoncée dans Ibéria, Lignes aériennes d’Espagne et selon laquelle la position de négociation de l’employeur était « inflexible et intransigeante au point de mettre en péril l’existence même de la négociation collective » et contrevenait ainsi à l’obligation de négocier de bonne foi. Dans l’affaire SCFP, la Cour suprême a souligné ceci : « La ligne de démarcation entre la négociation serrée et la négociation de façade peut être ténue. » La question à laquelle il faut répondre est la suivante : Est-ce que l’employeur a montré par ses propositions et actions qu’il n’avait pas l’intention de conclure une convention collective?

 

[68] Je souscris à l’argument de l’employeur selon lequel, dans le contexte de la plainte, la Commission peut et doit examiner l’ensemble du processus de négociation, afin de déterminer si les faits qui ont donné lieu à la plainte ont été établis. Toutefois, l’acte réel qui fait l’objet d’un examen doit quand‑même satisfaire à la disposition relative au délai qui est prévue au paragraphe 190(2) de la Loi.

[69] L’article 106 de la Loi prévoit deux critères au sujet de l’obligation de négocier de bonne foi. Selon le premier, les parties doivent se rencontrer et entamer des négociations collectives de bonne foi ou charger leurs représentants autorisés de le faire en leur nom, et selon le deuxième, faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective.

[70] La Guilde a soutenu et je reconnais que la preuve a révélé que les parties se sont rencontrées et qu’elles ont entamé des négociations de bonne foi. Par conséquent, la seule suggestion possible pour l’employeur est d’alléguer que la Guilde n’a pas fait tout effort raisonnable pour conclure une convention collective.

[71] Même si la jurisprudence citée est utile, nous ne pouvons pas perdre de vue le fait que les négociations collectives dans le secteur public fédéral (où le gouvernement fédéral est l’employeur par l’intermédiaire du CT) constituent un phénomène un peu étrange comportant diverses facettes qui le rendent particulier et le différencient des relations de travail et des négociations collectives que nous connaissons dans le secteur privé. Ces négociations collectives mettent en cause un grand nombre d’unités de négociation différentes dans un large éventail de ministères qui représentent plus de 200 000 fonctionnaires. La plupart des agents négociateurs qui représentent ces fonctionnaires, à quelques exceptions près, entretiennent des rapports de longue date avec le même employeur, qui durent dans beaucoup de cas depuis des décennies. Un grand nombre de conventions collectives comportent des clauses dans lesquelles le libellé n’est pas seulement similaire, mais aussi identique.

[72] C’est dans cette veine que nous devons considérer les rapports que ces deux parties entretiennent et le processus dans lequel elles sont engagées. Les parties ne sont pas des étrangers l’une pour l’autre. Bien qu’elles n’aient pas présenté en preuve devant moi de façon exhaustive les antécédents de leurs négociations, j’en ai entendu de brèves allusions. Les parties m’ont aussi renvoyé dans leur argumentation à des décisions arbitrales rendues en 2012 et 2018, dans lesquelles étaient tranchées des questions qui les opposaient au sujet des conventions collectives conclues entre elles au cours des deux rondes de négociation collective précédentes.

[73] La ronde de négociation collective dans laquelle les parties sont engagées et qui a donné lieu à la présente plainte (la ronde de 2018) a commencé non seulement bien après que les autres unités de négociation du secteur public fédéral avaient déjà fini de négocier et conclu des conventions collectives, mais aussi après qu’elles avaient signifié un avis de négocier et entamé les négociations de la ronde suivante (celle de 2022).

[74] Il n’existe aucune période minimale ou maximale que les parties devraient passer à la table de négociation. Le fait que les négociations entre la Guilde et l’employeur aient commencé aussi tard, par rapport à la majorité des autres agents négociateurs et unités de négociation, doit avoir permis à la Guilde de se faire une bonne idée de ce qui s’était passé pour presque toutes les unités de négociation auprès de l’employeur. À vrai dire, dès le début du processus, avant même que les parties aient échangé leurs mémoires initiaux, l’employeur a abordé la Guilde en laissant planer l’idée d’une négociation type. Il s’agissait essentiellement d’une suggestion que l’employeur présentait à la Guilde, selon laquelle elle pourrait peut‑être accepter ce qui était plus ou moins accepté par tous les autres groupes. Comme cela s’est produit avant même que les séances de négociation aient eu lieu, cela donne à penser que l’employeur envisageait une convention collective qui refléterait un peu celles conclues lors des négociations menées antérieurement.

[75] Bien qu’il n’y ait certainement rien de mal à cela, je suis convaincu que cette suggestion faite à l’équipe de la Guilde, à laquelle s’ajoutait le fait que celle‑ci savait ce qui s’était passé pour la majorité des autres unités de négociation, a guidé son processus décisionnel. En bref, l’équipe devait avoir une idée assez précise des gains qu’elle pouvait réaliser ou non dans le cadre du processus, ce qui, par ricochet, a sans doute joué un rôle dans le processus décisionnel. Il est probable que l’équipe de la Guilde ait évalué sa position et les circonstances pour ce qu’elles étaient et qu’elle ait pris des décisions fondées sur sa compréhension réaliste de la situation à l’époque, sachant qu’il était hautement improbable qu’elle puisse réaliser des percées là où tous les autres agents négociateurs avaient échoué avant elle.

[76] En dépit de ce qu’elle savait, l’équipe de la Guilde a rencontré l’employeur et elle a négocié. Les parties se sont rencontrées en juillet et en octobre 2021. Selon le témoignage de M. Spindler, l’équipe de la Guilde a établi que les chances de succès à la table n’étaient pas bonnes et elle n’en a fait aucun mystère. Selon le témoignage de M. Spindler, qui est aussi documenté par l’employeur dans les documents qu’il a déposés à l’audience, l’équipe de la Guilde avait le sentiment que les parties étaient dans une impasse et elle souhaitait que la Commission intervienne. Il est difficile d’être en désaccord avec la Guilde qui en est arrivée à cette conclusion, puisqu’en raison de la convention de transition l’employeur n’était pas à même de conclure une entente. Malgré l’impasse en octobre 2021, l’équipe de la Guilde a accepté la médiation, qui a été prévue du 1er au 3 mars 2022 et à laquelle elle a assisté. Lors de cette séance de médiation, l’équipe de la Guilde a eu le sentiment qu’elle n’allait nulle part après que l’employeur lui eut présenté ce qu’il qualifiait d’offre globale, et elle a mis fin à sa participation.

[77] Il est difficile de blâmer l’équipe de la Guilde pour avoir voulu essentiellement « aller de l’avant », étant donné que les fonctionnaires qu’elle représente avaient déjà pris du retard dans le processus en comparaison des autres fonctionnaires. Au lieu de procéder par voie de requêtes qui avaient peu de chances d’aboutir, selon elle, compte tenu de ce qu’elle savait et des renseignements dont elle disposait, la Guilde s’est engagée à obtenir ce qu’elle souhaitait pour ses membres, c’est‑à‑dire, une convention collective. L’une des caractéristiques de la négociation de mauvaise foi est le refus d’une partie de conclure une convention collective. Il est difficile de voir de la mauvaise foi dans les actes de la Guilde.

[78] L’une des autres caractéristiques de la négociation de mauvaise foi est la notion de négociations de façade. La nature fondamentale des négociations de façade, c’est la simulation envers l’autre partie. Tel est le cas lorsqu’une partie n’est pas intéressée à conclure une convention collective et qu’elle ne fait que prétendre continuer le processus. Comme il est établi dans la jurisprudence, historiquement les négociations de façade ont été utilisées par une partie pour saper l’autre partie. Il ne semble y avoir ni raison ni avantage pour la Guilde de s’engager dans des négociations de façade.

[79] Le témoignage de M. Leindecker et l’argumentation de l’employeur laissaient tous deux entendre que si la Guilde envisageait sérieusement d’aller en arbitrage, elle l’aurait fait beaucoup plus rapidement qu’elle ne l’a fait, à la fois pour déposer une demande de médiation à l’automne 2021 après la fin de la séance de négociation d’octobre, au moment de l’établissement du calendrier de la médiation elle‑même, et après la fin de la médiation au début de mars 2022. Je reconnais que c’est de cette façon que l’employeur a envisagé la situation.

[80] La séance de négociation d’octobre a été fixée du 4 au 6. Elle a pris fin le deuxième jour des négociations. Comme je l’ai déjà mentionné, le 23 novembre 2021, la Guilde a écrit à la présidente de la Commission, afin de demander l’aide d’un médiateur. Il ne s’agit pas d’une conduite donnant à penser que la Guilde avait abandonné la négociation collective d’une nouvelle convention pour l’unité de négociation. Il est ressorti de la preuve que les SMRD de la Commission ont communiqué avec les parties au début de décembre 2021, et que les dates de la médiation ont été fixées du 1er au 3 mars 2022.

[81] M. Spindler a témoigné qu’il était secrétaire-trésorier de la division de l’Est de la Guilde, qui représente, géographiquement, toute la région du Canada qui s’étend vers l’est à partir du Manitoba. Elle comprend 58 unités de négociation, dont l’une est le groupe SO. M. Spindler a affirmé qu’il était chargé de quatre bureaux de district et des activités quotidiennes de sept agents des relations du travail et de trois membres du personnel administratif. On ne m’a pas précisé la nature des responsabilités de M. Talbot et Mme Thompson, et ni l’un ni l’autre n’ont témoigné. De plus, il est ressorti de la preuve que les sept autres membres de l’équipe de négociation de la Guilde étaient des fonctionnaires du CT qui ne travaillaient pas pour la Guilde.

[82] La suggestion à laquelle l’employeur a fait allusion, à savoir que les délais écoulés entre la fin des négociations au début d’octobre 2021 et la demande d’aide à la médiation en novembre 2021, entre le contact par les SMRD de la Commission et la séance de médiation (du début décembre 2021 au 1er mars 2022), et enfin, entre la fin de la médiation et le dépôt de la demande d’arbitrage (le 3 mars 2022 et le 3 mai 2022), laissent penser que la Guilde n’envisage pas sérieusement les négociations et la conclusion d’une convention collective, n’est qu’une conjecture.

[83] La preuve limitée dont je suis saisi laisse penser que la Guilde disposait de ressources limitées et qu’elle représentait un groupe important de fonctionnaires sur une vaste région géographique comptant un grand nombre d’employeurs. Je n’ai entendu aucun témoignage au sujet de la charge de travail et des priorités de la Guilde au cours de ces périodes. Compte tenu des ressources dont elle disposait et de ses responsabilités, il n’est pas impossible ni même improbable que la Guilde ait eu d’autres priorités et activités qui demandaient de l’attention. La position de l’employeur à cet égard était une pure conjecture, qui ne constituait pas une preuve claire, convaincante et logique de la mauvaise foi de la Guilde, selon la prépondérance des probabilités. Je ne suis pas convaincu, comme il est établi dans Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2009 CRTFP 102, que la Guilde n’avait pas vraiment l’intention de conclure une convention collective ni qu’elle espérait détruire ses rapports de négociation collective avec le Conseil du Trésor.

[84] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[85] La plainte est rejetée.

Le 19 janvier 2023.

Traduction de la CRTESPF

 

John G. Jaworski,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

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