Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a allégué que la défenderesse avait manqué à son devoir de représentation équitable en agissant de manière arbitraire – il avait communiqué avec la défenderesse pour lui faire part de ses préoccupations concernant un processus de dotation externe dans le cadre duquel des employés nommés pour une période déterminée sont devenus des employés nommés pour une période indéterminée – la défenderesse a déterminé deux autres questions à examiner avec lui, soit les modifications à son statut de contrat de temps plein à temps partiel et son droit aux prestations d’invalidité pendant qu’il était en congé – la défenderesse a conseillé au plaignant d’en appeler du refus d’accorder des prestations auprès de l’assureur tiers – le plaignant a demandé à la défenderesse de déposer deux griefs, l’un concernant son statut de contrat et l’autre concernant le processus de dotation, ce qu’elle a refusé de faire – il a présenté la plainte, en alléguant que la défenderesse n’avait pas tenu compte de l’urgence de sa demande d’aide et qu’elle n’avait pas porté attention aux détails de son cas – la Commission a conclu que la défenderesse n’avait aucun devoir de représentation équitable de représenter le plaignant dans le cadre de ses plaintes concernant la dotation et les prestations d’invalidité – ces deux questions débordaient du champ d’application de la convention collective pertinente et de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) – la Commission a conclu que s’il existait un devoir de représentation concernant la question relative au contrat, la défenderesse n’y a pas manqué – la défenderesse a examiné le cas du plaignant sérieusement et a pris des mesures pour l’aider à régler ses questions – elle a fait un suivi auprès de l’employeur à l’égard de ses contrats et a demandé des renseignements sur le processus de permanence – les représentants de la défenderesse ont expliqué les raisons pour lesquelles ils ne souscrivaient pas au dépôt des griefs.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date : 20230103

Dossier : 561-02-38837

 

Référence : 2023 CRTESPF 1

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

enTRE

 

Dorin Horac

plaignant

 

et

 

Alliance DE LA FONCTION PUBLIQUE DU Canada

 

défenderesse

Répertorié

Horac c. Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire concernant une plainte présentée en vertu de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Lui-même

Pour la défenderesse : Zachary Rodgers, avocat

Affaire entendue par vidéoconférence

du 2 au 4 août et les 20 et 21 septembre 2022.

(Traduction de la CRTESPF


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Plainte devant la Commission

[1] Dorin Horac (le « plaignant ») a déposé une plainte en vertu de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »), alléguant une contravention à l’article 187 de la Loi, qui interdit à un agent négociateur ainsi qu’à ses représentants d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité de négociation qu’ils représentent.

[2] Le plaignant allègue que les représentants de l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC ou la « défenderesse ») n’ont pas tenu compte de l’urgence de sa situation lorsqu’il a demandé de l’aide pour régler diverses questions avec Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, son employeur (IRCC ou l’« employeur »). La défenderesse est d’avis qu’elle a aidé le plaignant, et que, ce faisant, elle est allée au‑delà de ses obligations.

[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus que le plaignant n’a pas établi que la défenderesse a manqué à son devoir de représentation équitable, selon la définition énoncée dans la Loi à l’article 187. Par conséquent, la plainte est rejetée.

II. Résumé de la preuve

[4] Le plaignant travaillait au centre d’appels d’IRCC à Montréal, au Québec. Il a commencé à y travailler comme employé occasionnel en 2013, puis il est devenu un employé nommé pour une période déterminée en 2014, avec des renouvellements de contrat. En 2014 et en 2017, il a été en congé pour des raisons médicales. Il est retourné au travail en 2017 suivant un horaire de retour au travail progressif.

[5] Au début de janvier 2018, le plaignant a communiqué avec Genadi Voinerchuk, un représentant syndical du Syndicat de l’Emploi et de l’Immigration du Canada (SEIC), un élément de l’AFPC, au sujet d’un processus de dotation mené au centre d’appels. Ce processus a permis à divers fonctionnaires qui avaient un contrat pour une période déterminée de devenir des employés nommés pour une période indéterminée (le « processus de permanence »). Le 10 janvier 2018, M. Voinerchuk a renvoyé la question à Fabienne Jean-François, alors vice-présidente nationale de la région du Québec du SEIC. Mme Jean-François était la responsable de la section locale à laquelle le plaignant appartenait, puisque l’AFPC l’avait mise sous tutelle.

[6] Le lendemain, Mme Jean-François a communiqué avec le plaignant par courriel, afin de déterminer à quel moment il serait disponible pour discuter de ses questions.

[7] Le plaignant a répondu un jour plus tard, en indiquant sa disponibilité et le fait qu’il revenait au travail progressivement.

[8] Deux mois plus tard, soit le 14 mars 2018, le plaignant a de nouveau écrit à Mme Jean‑François. Il lui a fourni de plus amples renseignements au sujet du processus de permanence. Au cours de l’automne 2017, il avait écrit à son superviseur au sujet du processus, parce qu’il croyait que celui‑ci n’avait pas été parfaitement équitable ni objectif. Le plaignant a joint ses échanges de courriels avec son superviseur à son courriel adressé à Mme Jean‑François. Celle‑ci a répondu le même jour, en lui offrant une conversation téléphonique le dimanche suivant, soit le 18 mars 2018.

[9] Pendant l’appel téléphonique, Mme Jean-François a soulevé la question des contrats du plaignant et celle de savoir s’il s’agissait de contrats à temps plein ou à temps partiel, ce qui pouvait avoir une incidence sur son droit aux prestations d’invalidité de la Sun Life. Sa demande de prestations avait été refusée. Le plaignant a témoigné qu’il avait eu de la difficulté à comprendre ce qui était dit pendant la conversation téléphonique, parce que la ligne téléphonique semblait être défectueuse. Le 21 mars 2018, il a envoyé un courriel à Mme Jean‑François afin de lui demander des directives claires sur la façon de s’adresser à l’employeur au sujet du processus de permanence et des contrats à horaire réduit (qui reflétaient l’horaire de retour au travail).

[10] Le 18 avril 2018, le plaignant a de nouveau envoyé un courriel à Mme Jean‑François. La première ligne indique ce qui suit : [traduction] « N’ayant pas encore reçu votre réponse à mon courriel ni au message que j’ai laissé dans votre boîte vocale, j’ai décidé de présenter mes demandes à mon superviseur, seulement après qu’il m’a assuré qu’il les transmettrait aux bonnes personnes. »

[11] Le 22 avril 2018, le plaignant a demandé à rencontrer Mme Jean‑François, afin de discuter de son cas en détail. Le 29 avril, dans un courriel intitulé [traduction] « Suivi de notre conversation téléphonique » et adressé à M. Voinerchuk, la Sun Life est mentionnée pour la première fois. Le courriel est ainsi rédigé :

[Traduction]

[…]

Bonjour,

Je donne suite à notre conversation téléphonique concernant les deux questions que j’avais :

- Le syndicat paiera‑t‑il les honoraires de mon avocat ou me fournira‑t‑il une aide juridique sans frais si j’ai besoin de contester devant le tribunal le refus de la Sun Life de verser des prestations d’invalidité (pour le moment, ils n’ont pris aucune décision concernant mon appel)?

- Quel est le délai dont je dispose pour contester le refus de la Sun Life devant le tribunal?

Merci.

[…]

 

[12] M. Voinerchuk a répondu le 2 mai 2018. En ce qui concerne la première question, il a fourni les numéros de téléphone permettant de joindre, au sein de l’AFPC, les spécialistes en matière de refus de la Sun Life et de la Great-West Life de verser des prestations. Pour ce qui est de la deuxième question, M. Voinerchuk a dit qu’il n’était pas certain, mais il a promis de donner une réponse définitive dans les deux jours suivants.

[13] Le 4 mai 2018, le plaignant a de nouveau envoyé un courriel à Mme Jean‑François, afin de demander une rencontre pour discuter de son cas. Il a mentionné qu’il avait rencontré un avocat spécialisé en relations de travail.

[14] Le 15 mai 2018, l’avocat a communiqué avec Mme Jean‑François. Celle-ci a témoigné que le plaignant avait menacé de déposer une plainte contre la défenderesse si elle refusait de le rencontrer. Elle a immédiatement envoyé un courriel au plaignant, et une rencontre a été fixée au lendemain. Le plaignant, M. Voinerchuk et Mme Jean‑François y ont assisté.

[15] Le plaignant a enregistré la réunion, à l’insu des deux autres participants. Bien qu’elle ait signifié sa désapprobation à l’égard des enregistrements secrets, la défenderesse ne s’est cependant pas opposée à la présentation de l’enregistrement en preuve, et elle a même payé sa transcription.

[16] Je ne prends pas à la légère l’enregistrement de conversations sans le consentement explicite de toutes les personnes concernées, et si la défenderesse s’y était opposée, je n’aurais probablement pas admis cet élément de preuve. Cependant, compte tenu de l’approbation tacite de la défenderesse, la transcription a été admise en preuve. Elle s’est révélée très utile, puisqu’elle a fourni des renseignements objectifs qui complétaient les souvenirs partiels des participants (après quatre ans) et qu’elle contrebalançait la partialité inhérente d’une personne lorsqu’elle envisage des questions de son point de vue. Je ne doute pas que la grande majorité des témoins qui jurent de dire la vérité le fassent de leur mieux. Néanmoins, le temps écoulé et les intérêts de la personne imprègnent invariablement les souvenirs.

[17] Mon résumé de la rencontre est principalement tiré de la transcription.

[18] Tout d’abord, M. Voinerchuk et le plaignant ont commencé à discuter du cas de celui-ci; Mme Jean‑François n’était pas encore arrivée. Le plaignant a affirmé qu’il avait d’abord communiqué avec le SEIC en raison du processus de permanence, mais que pendant sa discussion avec Mme Jean‑François, il avait réalisé que ses contrats à temps partiel posaient un problème, parce qu’ils empêchaient le versement de prestations d’invalidité complémentaires par la Sun Life.

[19] M. Voinerchuk et le plaignant ont parlé du motif justifiant l’horaire de travail réduit de ce dernier. Le plaignant a affirmé que la cause en était une apnée du sommeil grave, qui le fatiguait et nuisait à sa concentration.

[20] Mme Jean‑François est arrivée au moment où le plaignant expliquait à M. Voinerchuk la nature de ses difficultés avec la Sun Life. Mme Jean‑François l’a interrompu en disant : « Est-ce que ça vous dérange si j’arrête cette conversation? Ok, je veux juste qu’on revienne à, qu’on revienne à l’objet de cette réunion. » Le plaignant a immédiatement répliqué en disant, en anglais : [traduction] « Oh, vous êtes qui? »

[21] Mme Jean‑François s’est présentée, puis elle a commencé à parler des rôles respectifs des représentants syndicaux (comme M. Voinerchuk) et des vice-présidents nationaux (VPN) (comme elle‑même). Selon son explication, le représentant syndical aide au niveau local et accompagne les membres dans leurs griefs et leurs plaintes. Le rôle des VPN est plus politique. Mme Jean‑François peut accompagner les membres dans leurs griefs et leurs plaintes, à leur demande, mais cela est exceptionnel. Cependant, étant donné que la section locale du lieu de travail du plaignant était sous tutelle, en qualité de VPN, Mme Jean‑François était de facto déléguée syndicale.

[22] À ce moment‑là, le plaignant semblait profondément confus, selon la transcription et comme il l’a réitéré dans son témoignage. Il ne comprenait pas le rôle de Mme Jean‑François. Celle‑ci a simplement répondu qu’elle‑même et M. Voinerchuk étaient là pour l’aider.

[23] Mme Jean‑François a ensuite résumé les échanges qu’ils avaient eus. Le plaignant a d’abord communiqué avec le syndicat en raison du processus de permanence. Ensuite, dans une conversation qu’elle a eue avec lui, Mme Jean‑François a souligné que ses contrats devraient être à temps plein, la Sun Life couvrant la période au cours de laquelle il ne pouvait pas travailler pour des raisons médicales.

[24] Mme Jean‑François a posé plusieurs questions afin de comprendre la situation relative à l’emploi du plaignant : à quel moment il était devenu un employé nommé pour une période déterminée, et s’il détenait des copies de ses contrats successifs. Le plaignant n’en était pas certain; il a répondu que parfois, ses contrats étaient renouvelés par un simple courriel.

[25] Mme Jean‑François et le plaignant ont discuté du passage de 30 à 37,5 heures qui s’effectuait dans le cas de tous les employés nommés pour une période déterminée. Ils ont discuté du fait qu’il n’était pas clair si le plaignant était considéré comme un employé à temps plein ou à temps partiel, ce qui constituait un renseignement qu’ils devaient obtenir auprès de l’employeur.

[26] Mme Jean‑François et le plaignant ont discuté de la note du médecin qui a donné lieu à une réduction des heures de travail. Mme Jean‑François a affirmé qu’ils avaient besoin d’une copie de la note du médecin. Le plaignant a dit qu’il ne l’avait pas, puisqu’il avait remis l’original à l’employeur. Mme Jean‑François et M. Voinerchuk semblaient tous deux d’avis qu’il serait facile d’obtenir une copie de la note, qui devait se trouver dans le dossier du plaignant à la clinique médicale. Le plaignant semblait en douter, mais il a dit qu’il s’efforcerait de l’obtenir. Mme Jean-François a expliqué l’importance de la note du médecin pour comprendre les mesures prises par l’employeur, qui avaient consisté à modifier le contrat.

[27] Le plaignant a ensuite parlé d’un deuxième médecin, qui le traitait pour une autre maladie et qui avait ordonné son retour progressif au travail à la suite d’un congé. Mme Jean‑François a insisté sur la nécessité d’obtenir une seule note du médecin, afin de ne pas déconcerter l’employeur et d’assurer la clarté du message visant à communiquer les besoins d’adaptation du plaignant, tout en évitant de compromettre son statut à temps plein (afin d’assurer son droit aux prestations de la Sun Life).

[28] Une longue discussion s’est ensuivie au sujet de la différence entre les limites prescrites par un médecin et le retour progressif au travail prescrit par l’autre. M. Voinerchuk et Mme Jean-François se sont efforcés de comprendre les explications plutôt confuses du plaignant, Mme Jean‑François ayant pris l’initiative des questions. Le but, comme la conversation l’a démontré, était de confirmer le statut d’employé à temps plein du plaignant malgré son horaire de travail réduit à des fins d’adaptation et, par conséquent, son droit aux prestations de la Sun Life.

[29] Le plaignant a pris deux périodes de congé, une en 2014 (qui a pris fin en janvier 2015) et l’autre en 2017. Il a demandé des prestations d’assurance-emploi et les a obtenues en 2015. Il a demandé des prestations de la Sun Life en 2017, lesquelles lui ont été refusées. Il n’en a pas demandé en 2015, parce qu’il ne disposait pas des renseignements appropriés. Ces renseignements ont été fournis de manière fragmentaire et ils présentaient des contradictions.

[30] La conversation a porté sur la Sun Life et la difficulté d’obtenir des réponses. Toutefois, sur les conseils de M. Voinerchuk, le plaignant est parvenu à porter sa demande de réexamen du refus à un niveau supérieur. La situation avec la Sun Life était également mêlante. Le plaignant avait compris que sa demande de prestations d’invalidité avait été refusée en raison d’une erreur de terminologie. Ce point a été discuté de façon approfondie.

[31] La question de savoir si le plaignant avait reçu un formulaire concernant la Sun Life en 2015 a aussi a été longuement discutée. Mme Jean‑François a affirmé qu’il pourrait être impossible de donner suite à l’affaire, mais que, dans tous les cas, il fallait obtenir plus de renseignements. Elle et M. Voinerchuk doutaient qu’il fût possible de remédier à la situation de 2015, à savoir que le plaignant n’avait pas demandé et, par conséquent, n’avait pas reçu de prestations de la Sun Life, compte tenu du temps qui s’était écoulé.

[32] La conversation a porté sur de nombreuses questions connexes, notamment le processus de permanence. Le plaignant craignait que ses droits ne soient pas entièrement respectés. M. Voinerchuk et Mme Jean‑François se sont efforcés de répondre à ses questions de leur mieux et de réfléchir à différentes voies de solutions, y compris des discussions informelles avec l’employeur.

[33] M. Voinerchuk et Mme Jean-François ont expliqué qu’en raison du fait que le processus de permanence était un processus externe, qui avait eu lieu au cours de l’automne 2016, il serait difficile de le contester en déposant une plainte. Il n’existait aucun processus de plainte applicable à un processus externe, et le délai d’un an applicable au dépôt d’une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne était échu. Le plaignant a insisté sur le fait qu’il n’en avait entendu parler qu’au début de 2017.

[34] Mme Jean‑François et M. Voinerchuk ont convenu lors de la rencontre d’aider le plaignant à régler sa situation. Ils ont aussi partagé les tâches. Mme Jean-François devait s’efforcer d’obtenir de plus amples renseignements sur le processus de permanence, ainsi que sur le déroulement de l’évaluation et les critères qui y étaient utilisés. Le plaignant devait obtenir ses notes des médecins. M. Voinerchuk devait transmettre au plaignant des renseignements extraits de la convention collective au sujet des congés, obtenir de plus amples renseignements au sujet de la Sun Life, et se renseigner pour savoir si l’AFPC allait payer les honoraires des avocats, afin d’aller devant le tribunal pour contester les décisions de la Sun Life. Le plaignant a demandé à M. Voinerchuk et à Mme Jean-François de s’engager à répondre à ses courriels dans un délai de cinq jours ouvrables; ils ont accepté.

[35] Comme il était impatient d’obtenir des résultats, le plaignant a pris l’initiative de demander les contrats auprès de son superviseur. Il y a eu des échanges avec Mme Jean-François au sujet de cette question. En fin de compte, le plaignant a obtenu des renseignements sur l’évaluation du processus de permanence en présentant une demande d’accès à l’information.

[36] Le réexamen du dossier 2017 du plaignant par la Sun Life a porté fruit. Le 25 mai 2018, le plaignant a informé son superviseur et Mme Jean‑François que sa demande avait été acceptée.

[37] La situation relative aux contrats n’avait toujours pas été entièrement réglée. Le 2 juin 2018, le plaignant a envoyé un courriel à Mme Jean‑François, demandant à la rencontrer. Celle‑ci a offert de l’appeler, mais il préférait une rencontre en personne, compte tenu de la piètre qualité du son lors de l’appel avec elle au mois de mars précédent.

[38] Le 4 juin, le plaignant a de nouveau envoyé un courriel à Mme Jean‑François, pour lui demander de transférer son dossier à quelqu’un d’autre, étant donné qu’elle n’avait pas organisé la rencontre demandée et qu’elle lui avait dit qu’elle était très occupée. Le plaignant a proposé que M. Voinerchuk soit entièrement responsable de son dossier. Il a demandé une réponse dans les deux jours suivants.

[39] Le 6 juin, Mme Jean‑François a répondu au courriel en demandant des éclaircissements au sujet du statut contractuel. Elle a expliqué de nouveau qu’il était important que les contrats soient à temps plein, même si le plaignant travaillait moins d’heures par semaine, de façon à ce qu’éventuellement, il puisse retourner à un horaire à temps plein une fois que son médecin le permettrait. Le même jour, Mme Jean‑François a offert une rencontre en personne le 15 juin.

[40] Il convient de citer le courriel que le plaignant a envoyé en réponse à Mme Jean‑François, parce qu’il résume l’essentiel de sa plainte dont je suis saisie :

[Traduction]

[…]

Bonjour Fabienne,

J’espérais une date plus rapprochée pour la rencontre, en raison du stress que cette situation me cause. Veuillez faire tous les efforts nécessaires pour obtenir de la direction des renseignements complets sur mon cas, car j’ai communiqué avec le syndicat depuis le 9 janvier et je ne dispose toujours pas des renseignements nécessaires à mon cas.

[…]

 

[41] Les principaux renseignements qui manquaient encore concernaient le processus de permanence, comme Mme Jean‑François l’a mentionné comme suit, dans son courriel du 6 juin : [traduction] « La seule question en suspens dans votre dossier est celle de l’exercice de dotation mené par la direction pour sélectionner les employés qui obtiendraient la permanence. Je n’ai pas vu de réponse de la direction à votre demande. Je ferai un suivi. »

[42] La réponse favorable et rétroactive de la Sun Life a entraîné des difficultés liées au système de paie, et le 11 juin, le plaignant a communiqué avec Mme Jean‑François afin d’obtenir de l’aide pour régler la situation. Celle‑ci a répondu le même jour en disant que les problèmes de paie devaient d’abord être débattus avec son superviseur, qui avait accepté de modifier le statut contractuel et qui pouvait aider à régler le problème avec la section de la rémunération.

[43] Le plaignant a aussi enregistré la rencontre du 15 juin avec Mme Jean‑François et, encore une fois, la transcription a été produite en preuve à l’audience.

[44] Manifestement, la rencontre a été inconfortable. Mme Jean‑François a tenté de l’annuler une demi‑heure avant le début, parce qu’elle n’avait toujours pas reçu de mise à jour de la direction. Le plaignant était plutôt irrité que la rencontre pût être annulée à si court préavis.

[45] Le plaignant était contrarié par le rythme des événements. Mme Jean-François a expliqué ses démarches. À un moment donné, elle a dit au plaignant que le ton qu’il utilisait était irrespectueux. Le plaignant a protesté, mais Mme Jean-François a insisté sur le fait qu’il ne pouvait pas contester sa perception.

[46] Le plaignant a demandé à Mme Jean‑François si une autre personne pouvait assister à la rencontre; elle a dit : [traduction] « Non ».

[47] Mme Jean-François a témoigné que le plaignant lui semblait avoir des préjugés à son égard parce qu’elle est une femme noire. Ce témoignage a visiblement bouleversé le plaignant. Je ne lui attribue aucun préjugé raciste ou sexiste. Le fait est que leur communication n’était pas idéale; ils auraient tous deux gagné à écouter l’autre davantage. Le plaignant aurait compris que Mme Jean‑François était bien consciente de ses problèmes de contrat et qu’elle s’efforçait de l’aider, et celle‑ci aurait répondu aux questions du plaignant de façon plus patiente.

[48] Mme Jean‑François a affirmé qu’elle effectuerait un suivi auprès de la direction à l’égard des contrats, afin de se renseigner sur le processus de permanence. La conversation a pris fin alors que le plaignant parlait de litige et de représentation et que Mme Jean‑François disait qu’il n’était pas nécessaire d’envisager un litige ou le recours à des avocats. Elle a déclaré ce qui suit : [traduction] « Nous avons toutes sortes d’outils et de ressources que nous pouvons fournir. »

[49] Le lundi suivant, Mme Jean‑François a envoyé un courriel pour dire qu’elle avait fait un suivi auprès de la direction, comme il avait été convenu. Les courriels subséquents ont montré qu’elle continuait ses démarches (contrats et permanence) auprès de la direction.

[50] Le 27 juin, le plaignant a écrit à Mme Jean‑François et à M. Voinerchuk. Il a déclaré qu’il n’avait pas reçu de réponse à un courriel du 19 juin (dans lequel il transmettait un courriel reçu en avril 2015 qui indiquait qu’il n’avait pas droit aux prestations de la Sun Life), malgré l’engagement à répondre dans un délai de cinq jours ouvrables. Il a demandé si le syndicat le représenterait dans deux griefs : l’un concernant les contrats et leurs répercussions financières, l’autre concernant le processus de permanence. Le même jour, Mme Jean‑François a répondu ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Comme le 25 juin est un jour férié, un délai de cinq jours ouvrables me conduit à aujourd’hui, le 27 juin.

Pour ce qui est des griefs, en ce qui a trait aux questions d’assurance, Genadi est la personne qui vous guidera, comme il a été mentionné pendant nos rencontres de mai et du 8 juin. Comme Genadi est présentement en vacances, il répondra dès son retour si vous êtes d’accord. Veuillez donner votre avis.

En ce qui concerne la dotation, j’ai eu des échanges de courriels avec Mme Turmel pendant la semaine du 18 juin. J’ai aussi eu une conversation téléphonique avec Amélie. Je rencontre Mme Turmel vendredi pour voir à différentes questions, notamment votre dossier. J’espère obtenir une mise à jour à ce moment‑là. Nous ferons le point à la suite de cette rencontre, si vous êtes d’accord. Veuillez donner votre avis.

[…]

 

[51] Le 5 juillet, M. Voinerchuk a demandé plus de précisions concernant les préoccupations relatives à la Sun Life. Le plaignant a répondu qu’il ne s’agissait pas de la Sun Life, mais des conseils qu’il avait reçus d’une conseillère en rémunération en 2015. Il a aussi demandé à nouveau si la défenderesse le représenterait à l’égard des modifications de ses contrats et de leurs répercussions financières.

[52] M. Voinerchuk et Mme Jean‑François n’ont pas consenti au dépôt de griefs. L’employeur et la Sun Life étaient en voie de régler la situation de 2017 liée à la Sun Life. Il n’existait aucun recours à l’égard de la situation de 2015. Le délai était écoulé. Quant au processus de permanence, comme il s’agissait d’un processus externe, il était impossible de déposer une plainte et il ne s’agissait pas d’une question qui pouvait faire l’objet d’un grief. À la rencontre du 15 juin, Mme Jean‑François a affirmé la même chose qu’à celle du 16 mai, à savoir qu’il était possible de faire pression sur l’employeur pour remédier à la situation et qu’elle y travaillait.

[53] Mme Jean‑François a admis qu’elle n’a pas répondu au courriel concernant la question qui portait expressément sur les conseils fournis par une conseillère en rémunération en 2015, qui étaient inexacts de l’avis du plaignant.

[54] Dans ses notes sur ces incidents, qui ont été rédigées au moment du dépôt de la plainte, Mme Jean‑François a consigné les conversations qu’elle avait eues avec la direction au sujet du processus de permanence, du statut contractuel et de la rémunération. La situation liée à la paie se compliquait en raison des problèmes généraux découlant du système de paie Phénix.

[55] Le 13 juillet 2018, le plaignant a envoyé le courriel qui suit à M. Voinerchuk et à Mme Jean-François : [traduction] « Je souhaiterais obtenir une mise à jour de l’état de mes demandes, car cette situation devient inacceptable après avoir passé autant de mois à attendre le règlement de mon cas. »

[56] Le plaignant a déposé sa plainte contre la défenderesse le 18 juillet 2018.

[57] Après le dépôt de sa plainte, le plaignant a croisé Mme Jean‑François à une réunion syndicale qui a eu lieu à la mi‑août 2018. Mme Jean‑François a dit qu’elle avait des renseignements pour lui, mais il n’a pas donné suite.

[58] Des courriels attestent que Mme Jean‑François a poursuivi ses discussions avec l’employeur concernant le processus de permanence, à l’égard duquel il y avait très peu de renseignements. Après le dépôt de sa plainte, le plaignant a aussi déposé un grief auprès de l’employeur. En fin de compte, il a obtenu un poste pour une durée indéterminée.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le plaignant

[59] Le plaignant soutient que les représentants de la défenderesse n’ont pas été attentifs à ses besoins. Il était atteint d’une incapacité qui affectait sa mémoire et sa concentration, il était très stressé en raison de sa situation financière, et ils lui créaient un stress supplémentaire en omettant de lui répondre dans les plus brefs délais. Il a communiqué avec le SEIC en janvier 2018, mais il a dû attendre jusqu’en mai 2018 avant d’obtenir une rencontre avec les représentants de la défenderesse, et cette rencontre n’a eu lieu qu’en raison du fait que l’avocat dont il avait retenu les services avait fait pression sur le SEIC.

[60] Les courriels du plaignant n’ont pas fait l’objet d’une réponse diligente, et les réponses présentées étaient floues. En résumé, la défenderesse n’a pas porté attention aux détails de son cas.

[61] Les représentants de la défenderesse n’ont pas du tout aidé le plaignant à atténuer le stress psychologique et financier intense qu’il subissait à l’époque.

[62] L’aide fournie a été minime. Les numéros de téléphone que M. Voinerchuk a fournis pour communiquer avec l’AFPC au sujet de la Sun Life ne fonctionnaient pas. Mme Jean‑François a évoqué son rôle politique, mais elle n’a pas expliqué comment elle pouvait appuyer les dossiers individuels. Elle a continué à promettre [traduction] « d’aller plus haut », mais elle a seulement différé le cas.

[63] Il semble que les représentants n’aient pas tenu compte de l’incapacité du plaignant, qui affectait sa concentration et sa mémoire. Les questions que les représentants ont posées lors de la rencontre du 16 mai ont démontré qu’ils présumaient simplement que le plaignant était en pleine possession de ses moyens, même si Mme Jean‑François avait pris note du problème de mémoire.

[64] Tout ce processus a duré quatre ans avant de faire l’objet d’une décision de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), ce qui a entraîné des conséquences désastreuses sur le plan mental, physique et financier.

[65] Si la plainte est accueillie, et si la Commission conclut que la défenderesse a agi de manière arbitraire et négligente, le plaignant demande une indemnisation pour la souffrance qu’il a endurée, ainsi que le remboursement des honoraires de son avocat.

B. Pour la défenderesse

[66] La défenderesse soutient que le plaignant ne s’est pas acquitté du fardeau consistant à démontrer qu’elle avait agi de manière arbitraire en matière de représentation. La plainte n’a jamais soulevé les questions de la discrimination ou de la mauvaise foi et, par conséquent, ces motifs ne sont pas en cause.

[67] Le plaignant a éprouvé plusieurs difficultés auprès de l’employeur, mais la plainte vise la défenderesse et sa réceptivité. Le stress occasionné par le processus de permanence, ou par le refus de la demande de prestations de la part de la Sun Life, ne peut pas être imputé à la défenderesse.

[68] La plainte a été déposée en vertu de l’article 190 de la Loi, la disposition qui s’applique aux plaintes de pratiques déloyales de travail, y compris le défaut d’agir de manière équitable en matière de représentation selon l’article 187 qui est allégué en l’espèce. L’article 190 prévoit qu’une plainte doit être déposée dans les 90 jours suivant la mesure qui y a donné lieu. Par conséquent, dans le présent cas, la plainte remonte à 90 jours avant la date de son dépôt, soit le 18 juillet 2018. La Commission ne devrait tenir compte que des mesures prises par la défenderesse à compter du 19 avril 2018.

[69] La défenderesse souligne que le plaignant a soulevé deux questions auprès d’elle : une question de dotation et celle du supplément de rémunération versé par la Sun Life dans les cas d’incapacité. Ces deux questions débordaient du champ d’application de la convention collective et de la Loi. Par conséquent, selon la défenderesse, il ne lui incombait pas d’y représenter le plaignant. Malgré ce fait, les représentants de la défenderesse sont intervenus, et ils ont tenté d’aider le plaignant.

[70] Les représentants de la défenderesse ont expliqué pourquoi celle‑ci ne souhaitait pas appuyer un grief, mais ont laissé entendre qu’il était peut-être possible de négocier avec l’employeur. La stratégie a clairement été exposée pendant les deux rencontres que le plaignant a enregistrées. Cependant, celui‑ci a semblé ignorer ou mal interpréter les conversations.

[71] Au moment du dépôt de la plainte, Mme Jean‑François débattait encore de la situation du plaignant avec l’employeur. Ce dernier a pris son temps, ce qui a occasionné un retard. Les deux questions, soit celle de la dotation et celle de l’assurance‑invalidité, étaient complexes et il n’était pas possible de les régler instantanément. Les événements ne se sont pas déroulés au rythme que le plaignant aurait souhaité; cela ne veut pas dire que la défenderesse n’a pas agi pour son compte.

IV. Motifs

[72] Le plaignant fait valoir que la défenderesse a manqué à son devoir de représentation équitable en contrevenant à l’article 187 de la Loi, qui est ainsi rédigé :

187 Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

187 No employee organization that is certified as the bargaining agent for a bargaining unit, and none of its officers and representatives, shall act in a manner that is arbitrary or discriminatory or that is in bad faith in the representation of any employee in the bargaining unit.

[73] Dans ses interprétations de l’article 187 de la Loi, la Commission a régulièrement appliqué les principes qui ont été énoncés pour la première fois dans Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon, [1984] 1 RCS 509, pour définir le devoir de représentation. Ces principes sont les suivants :

[…]

1. Le pouvoir exclusif reconnu à un syndicat d’agir à titre de porte-parole des employés faisant partie d’une unité de négociation comporte en contrepartie l’obligation de la part du syndicat d’une juste représentation de tous les salariés compris dans l’unité.

2. Lorsque, comme en l’espèce et comme c’est généralement le cas, le droit de porter un grief à l’arbitrage est réservé au syndicat, le salarié n’a pas un droit absolu à l’arbitrage et le syndicat jouit d’une discrétion appréciable.

3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part.

4. La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.

5. La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.

[…]

 

[74] Je suis d’avis que le cinquième principe énoncé dans cette citation s’applique plus particulièrement au présent cas. Un agent négociateur a le devoir d’examiner un cas sérieusement et d’analyser les questions en profondeur.

[75] Dans Ménard c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 95, qui puise dans les décisions rendues par la Cour suprême du Canada et la Cour d’appel fédérale, la Commission (telle qu’elle était alors) a défini plus précisément, en ces termes, ce qu’on entend par le concept d’arbitraire en matière de représentation :

[…]

[22] Sur le terme arbitraire, la Cour suprême du Canada, dans Noël c. Société d’énergie de la Baie James, 2001 CSC 39, écrit au paragraphe 50 :

Se reliant étroitement, les concepts d’arbitraire et de négligence grave définissent la qualité de la représentation syndicale. L’élément de l’arbitraire signifie que, même sans intention de nuire, le syndicat ne saurait traiter la plainte d’un salarié de façon superficielle ou inattentive. Il doit faire enquête au sujet de celle-ci, examiner les faits pertinents ou obtenir les consultations indispensables, le cas échéant, mais le salarié n’a cependant pas droit à l’enquête la plus poussée.

[…]

[23] Dans International Longshore and Wharehouse Union, Ship and Dock Foremen, section locale 514 c. Empire International Stevedores Ltd. et al., [2000] A.C.F. no 1929 (C.A.) (QL), la Cour d’appel fédérale, sur la question du caractère arbitraire d’une décision, écrit que, pour faire la preuve d’un manquement au devoir de représentation équitable, « […] le plaignant doit convaincre le Conseil que les investigations faites par le syndicat au sujet du grief étaient sommaires et superficielles ».

[…]

 

[76] Comme la Commission l’a déclaré dans Paquette c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2018 CRTESPF 20, au paragraphe 38 : « L’article 187 ne vise pas nécessairement les déceptions, les désaccords et les attentes non satisfaites d’une personne. » La Commission a poussé plus loin sa réflexion dans ce même paragraphe : « […] l’objet de l’article 187 n’est pas de servir de redressement aux plaignants qui invoquent le manquement au devoir de représentation dès qu’ils ne sont pas satisfaits d’une décision ou d’un geste de l’organisation syndicale. Il vise la dénonciation de gestes répréhensibles sérieux. »

[77] Le plaignant a cité Manella c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2022 CRTESPF 7, et Cowman c. Conseil du Trésor (ministère des Transports), 2021 CRTESPF 36.

[78] Dans Manella, la Commission a conclu que l’agent négociateur avait agi de manière arbitraire en omettant de prendre au sérieux la situation du fonctionnaire. La Commission a formulé en ces termes sa principale conclusion :

[…]

[69] Malheureusement, je suis arrivée à la conclusion que le syndicat a manqué à son devoir en agissant de manière arbitraire dans la représentation du plaignant. Lorsque le plaignant a fait part de ses préoccupations au syndicat, celui-ci n’a pas étudié le cas en profondeur ni pris en compte l’importance de ces préoccupations pour le plaignant et le reste des CT concernés. Sa représentation n’était qu’apparente. Il s’est contenté d’être à la disposition des membres pour en discuter, et il n’a pris aucune mesure.

[…]

 

[79] Dans le présent cas, j’estime que la défenderesse a pris le cas du plaignant au sérieux et qu’elle a analysé les questions pertinentes de manière approfondie. M. Voinerchuk a demandé des renseignements au sujet de la Sun Life et il a conseillé au plaignant d’en appeler du refus d’accorder les prestations. Mme Jean‑François a effectué un suivi auprès de la direction à plusieurs reprises, au sujet de la question des contrats et du processus de permanence. Enfin, lors des deux rencontres avec le plaignant qui ont été enregistrées, M. Voinerchuk (lors de la première rencontre) et Mme Jean‑François (lors des deux rencontres) ont examiné les questions avec le plaignant et ils ont cherché à les comprendre.

[80] Dans Cowman, la Commission a accordé une prorogation du délai imparti au dépôt d’un grief concernant un licenciement, en dépit d’un retard de quatre ans, notamment en raison des conseils trompeurs que le fonctionnaire avait reçus de son agent négociateur. Les faits de ce cas sont trop dissemblables pour s’appliquer en l’espèce. De plus, la jurisprudence indique clairement qu’il ne me revient pas de décider si les conseils de la défenderesse au sujet des griefs étaient justes. Je dois plutôt déterminer si les conseils ont été fournis après un examen sérieux de la situation du plaignant et de ses questions.

[81] Dans son argumentation, la défenderesse a soulevé le point selon lequel elle n’avait pas l’obligation de représenter le plaignant à l’égard des deux questions qui le préoccupaient : la dotation et les prestations d’invalidité. Je conviens que ces deux questions débordent du champ d’application de la convention collective et de la Loi.

[82] La défenderesse a cité Ouellet c. Union of Canadian Correctional Officers-Syndicat des agents correctionnels du Canada-CSN, 2007 CRTFP 112, à l’appui de la proposition selon laquelle il n’existe aucune obligation de représenter un plaignant dans les affaires de dotation. Dans ce cas, le plaignant souhaitait contester une décision rendue par la Commission de la fonction publique à l’égard de la fabrication de faux dans un processus de dotation. La Commission (telle qu’elle était alors) a conclu que cela ne mettait pas en cause l’employeur ni, par conséquent, le devoir de représentation de l’agent négociateur. La Commission a aussi conclu qu’étant donné que la dotation était régie par la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; la « LEFP ») et non par la Loi, il n’y avait aucun devoir de représentation.

[83] Dans Abeysuriya c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2015 CRTEFP 26, selon le raisonnement suivi dans Brown c. Syndicat des employés du Solliciteur général, 2013 CRTFP 48, la Commission (telle qu’elle était alors) a conclu qu’elle ne pouvait pas se prononcer sur le manquement d’un agent négociateur à son devoir de représentation dans une affaire de dotation, étant donné qu’en vertu de la LEFP elle n’avait pas compétence pour trancher une question de relations de travail.

[84] Dans Mongeon c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2022 CRTESPF 24, le plaignant faisait valoir que l’agent négociateur ne l’avait pas représenté adéquatement dans ses litiges avec les différentes entités qui lui versaient des prestations de retraite pour raisons médicales. La Commission a conclu que les questions d’assurance ne relèvent pas non plus du devoir de représentation de l’agent négociateur et du champ de compétence de la Commission, parce qu’elles débordent du champ d’application de la convention collective et de la Loi. Dans cette décision, la Commission reformule succinctement la conclusion énoncée dans Brown, en ces termes :

[…]

[39] Dans Brown c. Syndicat des employés du Solliciteur général, 2013 CRTFP 48, la formation de la Commission a conclu que le devoir de représentation équitable énoncé à l’article 187 de la Loi n’englobe pas les questions débordant le cadre de la Loi ou d’une convention collective pertinente. Le pouvoir de la Commission découle de la Loi, et il y a des affaires et des différends en matière de relations de travail qui ne relèvent pas de sa compétence. Bien que l’article 187 ne précise pas la portée du devoir de représentation équitable, le fait qu’il figure dans la partie de la Loi intitulée « Relations de travail » conjointement avec le préambule de la Loi indique que le législateur n’avait pas l’intention d’accorder à la Commission une compétence illimitée pour examiner tous les actes des organisations syndicales et des agents négociateurs. La Commission a compétence seulement en matière de questions qui s’inscrivent dans les paramètres de la Loi ou d’une convention collective pertinente, et cela n’inclut pas l’interaction entre les diverses indemnités provinciales résultant d’un accident de la route, les prestations d’invalidité de la Sun Life et le Régime de pensions du Canada.

[…]

 

[85] Je suis d’avis que le champ d’application du devoir de représentation reste à définir. Lorsqu’il survient un différend entre un fonctionnaire et un tiers, tel que la Commission de la fonction publique ou un assureur, je conviens avec l’agent négociateur qu’il n’existe aucun devoir de représentation.

[86] Cependant, lorsque le différend oppose le fonctionnaire et l’employeur, il me semble que dans une situation touchant une unité de négociation, l’agent négociateur peut avoir un certain rôle à jouer en tant qu’intermédiaire. Comme la Commission (telle qu’elle était alors) l’a affirmé dans Ouellet c. St-Georges, 2009 CRTFP 107, au paragraphe 28 : « Le devoir de représentation équitable est la contrepartie du pouvoir exclusif de l’agent négociateur d’agir comme porte‑parole à l’égard des membres de l’unité de négociation. » Dans le présent cas, la question des contrats relevait carrément de l’employeur. Il dirigeait le processus de permanence, qui manquait clairement de transparence. Il était logique pour le plaignant de se tourner vers son agent négociateur afin d’obtenir de l’aide pour naviguer en ces eaux troubles.

[87] Je n’ai pas à trancher la question dans le présent cas, car même si je conclus qu’il existe un devoir de représentation, cela ne mène pas à la conclusion selon laquelle la défenderesse a le devoir de déposer un grief, de présenter une plainte ou de prendre toute autre mesure juridique au nom d’un membre de l’unité de négociation. Son devoir, s’il existe, demeure conforme à la définition établie par la jurisprudence : examiner le cas sérieusement, sans agir de manière discriminatoire ou arbitraire ou de mauvaise foi. Dans le présent cas, j’estime que la défenderesse s’est acquittée de ce devoir.

[88] Je comprends l’état de détresse du plaignant au cours de la période où ces incidents sont survenus, mais je ne peux pas soumettre la défenderesse à la norme de diligence élevée que le plaignant souhaite lui voir imposée. D’un point de vue réaliste, les représentants de l’agent négociateur ont beaucoup de gens et de situations à prendre en charge. J’estime que M. Voinerchuk et Mme Jean‑François ont fait de leur mieux pour répondre au plaignant, mais celui‑ci ne pouvait pas s’attendre à ce qu’ils répondent immédiatement à ses courriels, comme il semblait le souhaiter.

[89] Je dois dire que l’une des coïncidences malheureuses dans le présent cas, c’est que les personnalités étaient très mal assorties. D’après leurs témoignages, M. Voinerchuk m’a paru être une personne décontractée, diligente, mais peu pressée, tandis que Mme Jean‑François était du genre tornade. Elle parvenait à concilier beaucoup de points de vue divergents dans sa tête, de façon à concevoir des solutions qui n’étaient pas nécessairement formulées clairement, et elle était déterminée à régler les problèmes en recherchant des solutions novatrices.

[90] Le plaignant, d’un autre côté, avait besoin de recevoir des réponses claires et précises. Manifestement, cela le troublait de se faire dire qu’une réponse pourrait ne pas être simple et directe, ou que les réponses de l’employeur ou de la défenderesse pourraient ne pas être entièrement régies par des règles écrites, mais reposer plutôt sur divers facteurs, certains évidents et d’autres non. Qu’il s’agisse d’un trait de personnalité ou que cela ait été lié à son état de santé, le plaignant avait besoin de recevoir rapidement des réponses précises. Il avait de la difficulté à accepter que les représentants de la défenderesse puissent être incapables de répondre lorsqu’il le souhaitait et en présentant les réponses qu’il voulait entendre.

[91] Le plaignant a souligné à quel point toute cette période avait été douloureuse pour lui. Encore une fois, je ne doute pas que la pression ait pesé lourdement sur lui, surtout compte tenu de ses problèmes de santé.

[92] Cela dit, je signale que les représentants de la défenderesse sont intervenus pour aider le plaignant à régler ses problèmes. Ils l’ont rencontré, se sont efforcés de comprendre précisément la nature de ses problèmes, et ils ont approfondi les questions afin de l’aider à régler la question de la demande à la Sun Life, la situation liée aux contrats et le processus de permanence.

[93] M. Voinerchuk a conseillé au plaignant d’en appeler de la décision de la Sun Life, et en fin de compte, celle‑ci a annulé sa décision et lui a versé des prestations.

[94] Il ressort clairement de la preuve documentaire que Mme Jean‑François a effectué un suivi des contrats auprès de la direction. Elle a aussi approfondi la question du processus de permanence auprès de la direction. En fin de compte, le plaignant a obtenu le poste d’une durée indéterminée qu’il convoitait. J’estime qu’il est probable que les efforts déployés par Mme Jean‑François au nom du plaignant aient pavé la voie, au moins en partie, à la décision de l’employeur d’accueillir le grief du plaignant et de lui offrir un poste d’une durée indéterminée.

[95] Quelle que soit l’influence que la défenderesse ait pu exercer sur l’issue favorable pour le plaignant en définitive, j’estime que la défenderesse a fait ce qu’elle pouvait pour l’aider, qu’elle a pris sa situation au sérieux et qu’elle a envisagé divers moyens de l’aider. Le plaignant a mis fin de façon abrupte à ces efforts en déposant sa plainte.

[96] Le plaignant aurait souhaité que les représentants de la défenderesse soient plus réceptifs à son besoin d’ordre et de clarté. Cependant, le défaut de répondre à ce besoin n’équivaut pas à agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation. Comme je l’ai indiqué, les personnalités étaient mal assorties, ce qui se produit dans les relations humaines. Il m’est impossible de conclure pour ce motif que la défenderesse a manqué à son devoir de représentation équitable.

[97] Le plaignant s’est d’abord adressé au SEIC pour traiter la question du processus de permanence; en définitive, cette question a été réglée en sa faveur.

[98] Au cours des discussions du plaignant avec Mme Jean-François, la question du refus de la Sun Life et celle des contrats à temps plein ont fait surface; les deux ont été réglées en faveur du plaignant.

[99] Il est vrai que les réponses n’ont pas été fournies à la vitesse que le plaignant aurait souhaitée, mais au vu de la preuve, j’estime que la défenderesse a été raisonnablement réceptive. Je suis également d’avis que ses représentants ont joué un rôle positif dans la résolution des questions du plaignant. Je souligne plus particulièrement que la question des contrats à temps partiel ou à temps plein a d’abord été soulevée par Mme Jean‑François pendant sa conversation avec le plaignant en mars 2018. La question que le plaignant avait soulevée initialement lorsqu’il avait demandé le soutien de la défenderesse était celle du processus de permanence.

[100] Le plaignant a témoigné de sa grande détresse sur le plan médical, psychologique et financier au cours de la période où il interagissait avec la défenderesse.

[101] Les représentants de la défenderesse n’ont pas été mis au courant des difficultés financières du plaignant à l’époque. Au dire de celui‑ci, ils auraient dû en présumer. Ils auraient aussi dû être plus sensibles aux conséquences psychologiques de son problème de santé, notamment l’anxiété et le brouillard mental découlant de son état.

[102] Les représentants de la défenderesse auraient pu être plus sensibles aux besoins particuliers du plaignant, surtout son grand besoin d’ordre et de clarté. Cependant, cela ne peut pas constituer la norme en fonction de laquelle il faut évaluer le devoir de représentation équitable de la défenderesse envers les membres de l’unité de négociation. Ce devoir est défini dans la jurisprudence au sens de la prise en compte sérieuse d’une demande, sans agir de façon arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi. Je suis d’avis que la défenderesse s’est acquittée de son devoir tel qu’il est défini.

[103] Les représentants de la défenderesse se sont efforcés de comprendre les questions du plaignant et ils ont assurément pris des mesures pour l’aider à les régler. Le fait qu’ils n’aient pas souscrit au dépôt d’un grief ou d’une plainte n’équivaut pas en soi à agir de manière arbitraire ou négligente en matière de représentation. Ils ont expliqué leur raisonnement au plaignant lors des deux rencontres, et leur position n’était pas déraisonnable.

[104] Je sais que la présente décision sera très décevante pour le plaignant, qui a manifestement investi beaucoup d’efforts dans la présentation de son cas à la Commission. Je ne prends pas à la légère la détresse qu’il a vécue, mais compte tenu des faits, je ne peux pas en tenir rigueur à la défenderesse.

[105] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[106] La plainte est rejetée.

Le 3 janvier 2023.

Traduction de la CRTESPF

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

 

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