Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a présenté plusieurs plaintes en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique alléguant que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans l’application du principe du mérite fondé sur les références dans le cadre d’un processus annoncé pour des postes de conseiller financier de niveau FI-03 – certaines compétences devaient être évaluées au moyen des références – le courriel d’invitation à l’entrevue en anglais ne spécifiait pas le nombre de répondants à fournir, celui en français indiquait deux répondants sans préciser leurs fonctions et le formulaire à compléter quant à la liste des références indiquait trois superviseurs – le plaignant s’est conformé aux directives contenues dans le formulaire de l’intimé et a fourni les coordonnées de deux anciens superviseurs ainsi que son superviseur immédiat – le plaignant a échoué à l’évaluation des références et a été le seul candidat éliminé du processus à cette étape – la Commission a déterminé que le nombre de répondants variait d’un candidat à l’autre et que certains candidats avaient des collègues comme répondants – la Commission a conclu que le processus d’évaluation des références était arbitraire et constituait de la mauvaise foi – la Commission a déclaré que l’intimé avait commis un abus de pouvoir dans l’évaluation des références du plaignant.

Plaintes accueillies.

Le plaignant a présenté une plainte en vertu des alinéas 77(1)a) et b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique alléguant que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans l’application du principe du mérite et dans le choix du processus non annoncé pour un poste de conseiller financier de niveau FI-03 – la Commission a notamment conclu que l’utilisation d’un processus non annoncé par l’intimé était raisonnable étant donné que le processus annoncé n’avait pas fourni de candidat qualifié et intéressé par le poste vacant – la Commission a conclu que la relation professionnelle entre la gestionnaire responsable du processus et la personne nommée n’équivalait pas à du favoritisme personnel ni à de la partialité – la Commission a conclu que la nomination respectait le principe du mérite.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date: 20230127

Dossiers: 771-02-39058, 39086 à 39089, 39272, 39273, 39313, 39686

 

Référence: 2023 CRTESPF 9

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur l’emploi dans la

fonction publique

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

Claude Huard

plaignant

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(Bureau de l’infrastructure du Canada)

 

intimé

et

AUTRES PARTIES

Répertorié

Huard c. Administrateur général (Bureau de l’infrastructure du Canada)

Affaire concernant une plainte d’abus de pouvoir aux termes des alinéas 77(1)a) et b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Devant : Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Nicolas Brunette-D’Souza et Stéphanie Rochon Perras, avocats

Pour l’intimé : Noémie Fillion, avocate

Pour la Commission de la fonction publique : Louise Bard, analyste

Affaire entendue par vidéoconférence,

les 23 et 24 mars et du 1er au 3 novembre 2022.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Plaintes devant la Commission

[1] Claude Huard (le « plaignant ») a déposé plusieurs plaintes en vertu de l’article 77 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; LEFP) devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), alléguant qu’il y avait eu abus de pouvoir dans deux processus de sélection, l’un annoncé, le processus 2018-INFC-CS-IA-2076, l’autre non annoncé, le processus 2018-INFCS-CS-INA-2177.

[2] Les deux processus étaient liés du fait que, dans le cadre du processus non annoncé, la gestionnaire déléguée au sein du Bureau de l’infrastructure du Canada (« Infrastructure Canada ») (l’administrateur général étant l’intimé) a nommé une personne à l’un des postes qu’on avait prévu doter au moyen du processus annoncé. Les postes à doter étaient des postes de conseiller financier, de niveau FI-03.

[3] Je suis donc saisie de deux plaintes. Dans le cadre du processus annoncé, plusieurs nominations ont été faites, toutes contestées par le plaignant. Le dossier principal porte le numéro 771-02-39058; la décision sur le dossier principal s’applique aussi aux dossiers 771-02-39086, 771-02-39087, 771-02-39088, 771-02-39272, 771-02-39273, 771-02-39313 et 771-02-39686. Pour ce qui est du processus non annoncé, le dossier de plainte porte le numéro 771-02-39089.

[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus qu’il y eu abus de pouvoir dans le processus annoncé, mais non dans le processus non annoncé.

II. Résumé de la preuve

[5] Les deux processus se sont tenus en 2018. Depuis, le plaignant a été promu à un poste de niveau FI-04 dans un autre ministère. Cependant, il considère l’abus de pouvoir dans les processus visés par les plaintes comme suffisamment grave pour mériter de poursuivre l’affaire, même s’il est maintenant dans un poste de niveau supérieur.

[6] Le plaignant occupait un poste de niveau FI-02 au ministère de l’Emploi et du Développement social lorsqu’il a été nommé à Infrastructure Canada en mars 2018 dans un poste intérimaire de niveau FI-03 pour une durée de quatre mois moins un jour. Il travaillait dans une équipe d’évaluation de projets sous la direction d’Hélène Payette. L’équipe comprenait une employée de niveau FI-03, avec qui il travaillait de près, Mary Ann Barros. Elle remplaçait pendant un an Fen Liu, une employée en congé de maternité jusqu’en février 2019.

[7] Le plaignant et Mme Barros avaient une bonne relation. Elle lui a beaucoup parlé de son souci de ne pas trouver un poste permanent dans la fonction publique. Il lui donnait des conseils sur différents postes auxquels elle pouvait poser sa candidature.

[8] À la fin mars 2018, on a annoncé un processus de sélection pour des postes de conseiller financier de niveau FI-03 au sein d’Infrastructure Canada. Mme Payette était responsable du processus de sélection, la gestionnaire déléguée pour l’embauche étant sa supérieure hiérarchique, Nicole Thomas, directrice de la section des finances à Infrastructure Canada. Il s’agissait de doter plusieurs postes FI-03, dont un poste vacant au sein de l’équipe de Mme Payette. Le plaignant a posé sa candidature. Il a passé la présélection ainsi que l’entrevue.

[9] Certaines compétences devaient être évaluées au moyen de références. Les deux versions du courriel d’invitation à l’entrevue différaient à ce sujet. En anglais, aucun nombre n’était spécifié. En français, on parlait de deux répondants. Dans les deux cas, on faisait référence à un document. Dans ce document, bilingue, on demandait le nom de trois répondants, le superviseur immédiat et deux anciens superviseurs.

[10] Le plaignant a donné trois noms : Stéphane Guénette, André Michel Couture et Mme Payette. M. Guénette avait déjà donné des références dans le passé qui avaient été favorables au plaignant. Il n’avait travaillé que pendant 9 mois avec M. Couture; quant à Mme Payette, il s’inquiétait un peu du fait qu’elle ne l’avait supervisé, selon son calcul, que pendant 10 semaines. Toutefois, il croyait être obligé de se conformer à la demande selon le formulaire.

[11] Or, le plaignant a échoué en raison de ses références. Selon l’évaluateur, Roch Langlois, un autre gestionnaire dans la Direction des finances, les trois répondants avaient fourni des références qui ne lui donnaient pas la note de passage.

[12] La note de passage pour les quatre questions était de 6 sur 10. Les questions mesuraient les aptitudes suivantes : 1) faire preuve d’intégrité et de respect; 2) travailler efficacement avec les autres; 3) faire preuve d’initiative et être orienté vers l’action; 4) réflexion approfondie. Dans le cas de M. Guénette, les notes attribuées par M. Langlois étaient les suivantes : question 1) : 4; question 2) : 5; question 3) : 6; question 4) : 1.

[13] Le plaignant a convoqué M. Guénette à l’audience comme témoin. M. Guénette était le superviseur direct du plaignant de 2015 à février 2018. Il a d’ailleurs fourni des références pour le plaignant lorsque celui-ci a obtenu son poste intérimaire de niveau FI-03 à Infrastructure Canada. Il aussi fourni des références par la suite pour d’autres processus, qui ont toujours été favorables au plaignant.

[14] M. Langlois avait communiqué par téléphone avec M. Guénette pour obtenir des références. Confronté aux notes de M. Langlois prises lors de leur entretien téléphonique, M. Guénette a reconnu que M. Langlois avait bien noté ses réponses. Toutefois, selon lui, l’accent était mis sur le négatif plutôt que sur le positif. Il n’était pas du tout d’accord avec les notes attribuées.

[15] Pour la quatrième question, M. Guénette a témoigné que les notes ne reflétaient pas sa façon de s’exprimer, ni ses idées. En gros, la question portait sur la capacité de prendre des décisions en l’absence de son superviseur. D’après les notes, le plaignant avait des difficultés en ce sens. D’après M. Guénette, il avait plutôt dit que le plaignant était capable de s’outiller pour composer avec la situation. Il était complètement en désaccord avec la note attribuée.

[16] M. Langlois a témoigné à l’audience. Il a expliqué qu’il avait jugé les réponses des répondants au meilleur de ses habiletés. Au cours de ses 31 ans comme conseiller financier (progressant de postes FI-01 à FI-04), il avait eu nombre d’occasions de participer à des processus de dotation et en avait dirigé plusieurs.

[17] Il ne voyait aucune raison de remettre en question ses évaluations, établies selon ce qu’il avait reçu en entrevue avec les répondants. Il a notamment souligné que le plaignant avait échoué à la quatrième question (capacité de décision) selon les trois répondants.

[18] En contre-interrogatoire, M. Langlois a concédé que le manque de détails fournis par les répondants avait contribué aux faibles notes du plaignant.

[19] M. Langlois avait lui-même été répondant pour d’autres candidats. Il connaissait la grille d’analyse, donc il savait ce qui était attendu comme réponses aux questions posées aux répondants. Par contre, a-t-il dit, il n’évaluait pas les références de ces candidats. De fait, le seul candidat dont il avait évalué les références était le plaignant.

[20] Le plaignant a appris le 30 juillet 2018 qu’il avait échoué au processus de sélection. En même temps, la nomination intérimaire d’une durée de quatre mois moins un jour prenait fin, de sorte qu’il se retrouvait maintenant dans un poste de niveau FI-02 (même si, selon lui, ses tâches ne changeaient pas).

[21] M. Guénette a témoigné qu’il avait été très surpris d’apprendre du plaignant que celui-ci avait échoué en raison de ses références. Il lui semblait que, pour chacune des questions, le plaignant se méritait au moins la note de passage, sinon plus. Il a correspondu vers la fin août 2018 avec Mme Thomas, directrice de la section des finances et la gestionnaire déléguée pour l’embauche des FI-03, afin de préciser davantage ses réponses et expliquer pourquoi, selon lui, le plaignant méritait la note de passage pour chaque question.

[22] Mme Thomas a témoigné que finalement, malgré les commentaires de M. Guénette, elle n’avait pas changé les notes du plaignant. Sa conversation avec M. Guénette, selon son témoignage, lui avait confirmé ce qu’avait noté M. Langlois pour la question 4, soit la réticence du plaignant à prendre certaines décisions. Elle n’avait pu contacter M. Couture, alors en vacances, mais un examen attentif de tout le dossier lui avait confirmé que le plaignant n’avait pas toutes les qualités requises pour le poste FI-03. Elle a communiqué au plaignant la confirmation de son échec le 30 août 2018.

[23] Les références de tous les candidats, sauf le plaignant, ont été évaluées par Mme Payette. Le plaignant est le seul dont les références ont été évaluées par M. Langlois. On a donné comme raison au plaignant que puisque Mme Payette avait fourni des références à son sujet, elle ne pouvait aussi évaluer les références.

[24] Le plaignant a déposé des éléments de preuve que certains candidats, par la suite nommés à un poste FI-03, n’avaient que deux répondants; dans un cas, un des candidats retenus avait échoué à l’évaluation des références d’un de ses répondants. Mme Thomas a témoigné que chaque cas était un cas d’espèce; il pouvait y avoir des circonstances particulières qui avaient mené aux décisions prises par le comité de sélection.

[25] En même temps que ces événements se produisaient (juillet et août 2018), Mme Payette a fait des démarches pour, selon ce qu’elle dit elle-même dans ses courriels avec Mme Thomas, garder Mme Barros dans sa section. Elle a donc procédé à un processus non annoncé qui a donné lieu à la nomination de Mme Barros de façon indéterminée dans l’un des postes FI-03 qui devaient être dotés dans le cadre du processus annoncé.

[26] Mme Payette a témoigné à l’audience. Elle a été très franche : elle connaissait Mme Barros parce qu’elles avaient travaillé ensemble à la Monnaie royale canadienne. Elle avait pressenti Mme Barros en décembre 2017 pour qu’elle vienne travailler dans sa section en février 2018 pour remplacer Mme Liu, et elle voulait garder Mme Barros comme employée.

[27] Mme Barros n’avait pas posé sa candidature dans le processus annoncé parce qu’elle ne satisfaisait pas aux exigences linguistiques du poste. Tous les postes FI-03 étaient des postes bilingues; Mme Barros n’avait pas un niveau de français suffisant pour obtenir la cote BBB, la cote minimale pour ce poste.

[28] Cet obstacle a été écarté dans le cadre du processus non annoncé. Mme Payette a obtenu l’approbation de Mme Thomas pour transformer le poste qui serait attribué à Mme Barros en un poste unilingue anglais. Mme Thomas a témoigné qu’il était difficile de combler tous les postes FI-03 en raison de l’exigence de bilinguisme. Or, selon elle, cette exigence était importante pour toutes les sections, mais non pour tous les postes. Autrement dit, il était important de garder des postes bilingues, mais tous ne devaient pas l’être. La sous-ministre adjointe a entériné le changement de cote linguistique pour le poste qu’on allait attribuer à Mme Barros.

[29] Parce que Mme Payette connaissait bien les antécédents professionnels de Mme Barros, pour avoir travaillé avec elle dans le passé, Mme Thomas l’a chargée de faire la justification de la nomination par voie de processus non annoncé. Elle a notamment rempli un document qui énonçait les critères de mérite; pour chaque critère, elle donnait des exemples de la manière dont Mme Barros satisfaisait au critère.

[30] Mme Payette a également passé en revue les références de la personne nommée, qui avaient été remises par écrit par les répondants. Les mêmes quatre questions étaient posées que dans le cas du processus annoncé. Toutefois, dans son évaluation des références, Mme Payette n’a pas attribué de note à chaque question. Il n’y a qu’une évaluation globale de réussite.

[31] Interrogée à ce sujet à l’audience, Mme Payette a répondu qu’elle avait lu les références, mais comme rien ne lui avait sauté aux yeux qui indiquerait un problème, (« je cherchais les red flags » a-t-elle dit), elle était satisfaite que Mme Barros convenait au poste.

[32] Le plaignant a témoigné que Mme Payette et Mme Barros étaient très proches – elles sortaient fréquemment pour un café ou une marche. Mme Payette a dit qu’elle appréciait Mme Barros sur un plan professionnel, mais qu’elles ne se fréquentaient pas en dehors du travail, et qu’elles ne sortaient pas si fréquemment ensemble pendant les heures de bureau.

[33] Je termine ce résumé sur la structure des équipes qui relevaient de Mme Thomas et dans lesquelles se trouvaient les postes de Mme Barros et du plaignant.

[34] Les parties ont déposé en preuve l’organigramme du secteur qui relevait de Mme Thomas. D’après l’organigramme, cinq gestionnaires d’équipe relevaient de Mme Thomas. Celle-ci a témoigné que les équipes dirigées par Donald Wong et Mme Payette faisaient un travail semblable, et à terme, l’intention était de les combiner.

[35] Sous le poste de Mme Payette se trouvent quatre postes, deux FI-02 et deux FI-03. Le plaignant occupait un poste FI-02, transformé de façon intérimaire en poste FI-03 de mars à juillet 2018. Un des postes FI-03 était occupé par Mme Liu, remplacée pendant son congé de maternité par Mme Barros.

[36] L’autre poste FI-03 était vacant. D’après le plaignant, c’est le poste qu’on aurait dû lui attribuer et que Mme Payette voulait attribuer à Mme Barros. Selon Mme Thomas, c’est effectivement le poste qui aurait été attribué au plaignant s’il avait réussi le processus annoncé. Il n’a pas été comblé par Mme Barros, mais par quelqu’un de l’extérieur de la section, par voie de mutation à niveau (un processus de dotation qui ne peut faire l’objet d’une plainte en vertu de la LEFP). La mutation s’est faite en septembre 2018.

[37] En fait, le poste attribué à Mme Barros (après sa transformation de poste bilingue en poste unilingue) était l’un de deux postes FI-03 vacants sous M. Wong. Malgré le fait qu’elle se trouvait dans l’équipe de M. Wong pour les fins de l’organigramme, la preuve révèle que Mme Barros a continué de travailler dans l’équipe de Mme Payette jusqu’au retour de Mme Liu. Par la suite, Mme Payette a pris sa retraite, et les deux équipes ont été combinées.

III. Résumé de l’argumentation

[38] La Commission de la fonction publique (CFP), qui est toujours partie aux plaintes en vertu de l’article 77 de la LEFP, a déposé une plaidoirie sur la notion générale d’abus de pouvoir ainsi que sur le processus de nomination. Elle souligne qu’en vertu de sa Politique de nomination, les nominations doivent respecter les principes de mérite et de transparence prévus par la LEFP. Le défaut de se conformer aux exigences de cette politique pourrait constituer un abus de pouvoir.

[39] La CFP ne se prononce pas sur le bien-fondé de la plainte, faute d’avoir entendu la preuve présentée à l’audience. Elle donne les paramètres de la compétence de la Commission.

[40] Dans leurs plaidoiries, les parties ont invoqué diverses décisions du Tribunal de la dotation (prédécesseur de la Commission), de la Commission et des cours fédérales. Je reviendrai à la jurisprudence qui me semble pertinente à la décision dans mon analyse.

A. Pour le plaignant

1. Plaintes 771-02-39058, 771-02-39086, 771-02-39087, 771-02-39088, 771-02-39272, 771-02-39273, 771-02-39313 et 771-02-39686

[41] Le plaignant allègue un abus de pouvoir en ce sens que l’intimé a fait preuve de mauvaise foi et de favoritisme et a commis des erreurs procédurales graves qui entachent le processus de sélection. Le plaignant aborde l’abus de pouvoir en formulant trois questions en litige.

a. Y a-t-il eu abus de pouvoir dans l’évaluation et la validation des références du plaignant?

[42] La prise de références était marquée par l’ambiguïté. Les courriels français et anglais ne disaient pas la même chose, et sans donner avis à tous les candidats, l’intimé a accepté diverses variations dans les références – certains n’en ont donné que deux, certains ont même donné un ancien collègue comme référence. Le plaignant a donné de bonne foi les trois références demandées, selon sa compréhension, mais a été sévèrement désavantagé de ce fait. Il n’avait pas travaillé longtemps ni avec Mme Payette, ni avec M. Couture, dont la supervision remontait à un certain temps.

[43] La prise de références était aussi incohérente. Dans un cas, on a tenu compte uniquement des réponses d’un répondant. Dans un autre cas, malgré un échec pour les références d’un répondant, le candidat a réussi.

[44] Mme Thomas n’a fait aucun effort pour véritablement vérifier les références une fois que le plaignant avait manifesté ses préoccupations. Malgré l’avis de M. Guénette, elle n’a pas changé la note que M. Langlois avait attribuée. Elle n’a fait aucun effort pour communiquer avec M. Couture, malgré la disponibilité de celui-ci à son retour de vacances.

[45] Il n’y avait aucun mécanisme prévu pour assurer la cohérence dans la validation des références, et notamment, aucune consultation entre les deux évaluateurs, M. Langlois et Mme Payette, pour s’assurer que leur évaluation était semblable. La grille d’analyse ne prévoyait aucune échelle de pointage; le pointage était laissé à la discrétion de l’évaluateur.

[46] Le plaignant souligne que Mme Payette avait évalué ses références (fournies par M. Guénette et M. Couture) avant de lui accorder un poste intérimaire de FI-03. Son échec subséquent est d’autant plus surprenant. Il manquait trop de renseignements pour une prise de décision valable. M. Langlois semble avoir mal compris, et donc mal évalué, les réponses fournies. Le témoignage de M. Guénette le confirme.

b. Y a-t-il eu abus de pouvoir dans l’évaluation et la validation des références des autres candidats?

[47] Les candidats n’ont pas été évalués de façon semblable à l’étape des références. Le plaignant s’est conformé aux directives de fournir les références de son superviseur immédiat et des deux superviseurs antérieurs, mais les autres candidats n’ont pas tous respecté cette directive. La preuve montre que certains n’avaient que deux références, d’autres les références de collègues. Enfin, un des candidats a réussi malgré un échec pour l’évaluation des références fournies par un de ses deux répondants.

[48] Tous ces faits représentent plus que de simples erreurs ou omissions. Le traitement est tellement différent qu’il devient arbitraire au point de constituer un abus de pouvoir.

c. Y a-t-il eu abus de pouvoir de la part de l’intimé envers certains candidats et a-t-il fait preuve de favoritisme personnel ou partialité envers ceux-ci?

[49] Le plaignant soutient qu’il y avait partialité dans la façon dont il a été traité par Mme Thomas. Selon lui, elle ne voulait pas remettre en question son échec, afin de favoriser la candidature de Mme Barros dans le cadre du processus non annoncé.

2. Plainte 771-02-39089

[50] La thèse du plaignant, et la raison pour laquelle ces deux plaintes ont été entendues ensemble, c’est que selon lui, on l’a fait échouer au processus annoncé de façon à faire place à Mme Barros, nommée par un processus non annoncé.

[51] Le plaignant énonce deux questions en litige, précisées dans ce qui suit.

a. Y a-t-il eu abus de pouvoir dans le choix d’un processus de nomination non annoncé?

[52] Le choix du processus non annoncé dans ce cas était en soi abusif. Il permettait de contourner l’exigence linguistique dans le processus annoncé, et visait expressément à nommer Mme Barros.

[53] Mme Thomas a tenté de justifier le processus non annoncé en disant que les candidats du processus annoncé n’avaient pas un atout important pour le poste. Or, il s’avère que 7 des 12 candidats avaient effectivement l’atout en question. Il n’y avait donc pas lieu de recourir à un processus non annoncé alors que le processus annoncé pourrait fournir des candidats qualifiés.

[54] Bref, la nomination de Mme Barros par un processus non annoncé était prédéterminée, et donne l’apparence d’avoir résulté de la partialité de Mme Payette.

b. Y a-t-il eu abus de pouvoir dans l’application du mérite, incluant en raison de favoritisme personnel et de partialité?

[55] Le plaignant conteste que la qualification essentielle de l’expérience à fournir des conseils oralement et par écrit à la haute gestion ait vraiment été évaluée pour Mme Barros. Il n’y a rien dans son curriculum vitæ qui indique une telle expérience.

[56] Selon le plaignant, l’amitié entre Mme Barros et Mme Payette aurait dû empêcher celle-ci d’évaluer les qualifications de Mme Barros, par crainte de partialité. Puisque Mme Barros allait se trouver dans l’équipe de M. Wong, du moins structurellement, et puisque celui-ci n’avait aucun parti pris, il aurait été logique de lui laisser le soin d’évaluer Mme Barros dans le cadre du processus non annoncé.

B. Pour l’intimé

[57] Dans leur ensemble, les faits ne démontrent pas qu’il y ait eu abus de pouvoir dans les deux processus, et le plaignant ne l’a pas établi. Selon la jurisprudence, l’abus de pouvoir signifie une faute grave, qu’on ne trouve pas dans le cas présent.

1. Plaintes 771-02-39058, 771-02-39086, 771-02-39087, 771-02-39088, 771-02-39272, 771-02-39273, 771-02-39313 et 771-02-39686

[58] D’après l’intimé, pour le processus annoncé, les questions qui se posent sont les suivantes : le comité de sélection a-t-il abusé de son pouvoir dans l’évaluation des références? A-t-il fait preuve de partialité? Y a-t-il eu favoritisme personnel dans le processus annoncé?

a. Évaluation des références

[59] La Commission n’a pas pour mandat de refaire l’évaluation des candidats. Sa compétence se limite à déterminer si l’évaluation s’est faite de façon raisonnable. Il n’y a pas d’obligations quant à la répartition des tâches au sein du comité de sélection. Deux personnes évaluaient les références, M. Langlois et Mme Payette, mais elles procédaient à la même évaluation, avec la même grille d’analyse. Le désaccord d’un plaignant quant aux notes ne signifie pas qu’il y ait eu abus de pouvoir.

[60] M. Langlois a témoigné de son raisonnement dans son évaluation des références du plaignant. Il est évident qu’il prenait cette tâche au sérieux. L’opinion de M. Guénette quant à la note attribuée n’est pas pertinente; il n’était pas membre du comité de sélection, ni informé des critères appliqués. Il est normal que les répondants aient un parti pris pour les personnes pour qui ils donnent des références, d’où l’importance d’une vérification ultérieure, objective.

[61] Le plaignant reproche à l’intimé une certaine incohérence dans la prise de références. Mme Thomas a expliqué que diverses situations donnaient lieu à diverses solutions. Tous les candidats ont eu des références de leur superviseur actuel. Il pouvait y avoir des variations pour les autres répondants, mais l’objectif était toujours le même : pouvoir évaluer le candidat. S’il y a eu des erreurs, elles ne constituent pas pour autant un abus de pouvoir.

b. Partialité

[62] Il n’y a rien dans les actions du comité de sélection qui indique la partialité. Le plaignant n’a pas eu le poste, mais ce n’était pas pour favoriser Mme Barros, puisque le poste qu’il aurait occupé est resté vacant.

c. Favoritisme personnel

[63] Le même argument s’applique à l’allégation de favoritisme personnel. En outre, il n’y a ici aucune indication du favoritisme personnel tel qu’il est défini par la jurisprudence.

2. Plainte 771-02-39089

[64] Selon l’intimé, les questions en litige pour ce qui est du processus non annoncé sont les suivantes : y a-t-il eu abus de pouvoir dans le choix du processus? Y a-t-il eu favoritisme personnel, partialité ou mauvaise foi dans la nomination de Mme Barros?

a. Abus de pouvoir dans le choix d’un processus non annoncé

[65] La LEFP prévoit le pouvoir discrétionnaire de l’administrateur général de choisir le type de processus, annoncé ou non annoncé. La jurisprudence confirme la discrétion de l’employeur de combler un poste, pourvu que le critère de mérite soit respecté.

[66] Mme Barros a été nommée en bonne et due forme. Ses qualifications ont été évaluées, la gestionnaire déléguée a justifié le choix d’un processus non annoncé, et la notification de la nomination a été affichée.

[67] La justification du processus indique qu’il n’y avait aucun candidat à la fois qualifié et intéressé par le poste, la charge de travail augmentait, et Mme Barros était qualifiée. La seule autre personne qui aurait été qualifiée à partir du processus annoncé était le plaignant, mais il avait échoué. La dotation de deux postes vacants dans les équipes de M. Wong et Mme Payette s’est faite par mutation, et non à partir des candidats au processus annoncé, qui soit n’étaient pas intéressés soit n’étaient pas disponibles.

b. Favoritisme personnel, partialité ou mauvaise foi

[68] Il n’y a rien dans la preuve qui appuie ces allégations. La nomination était fondée sur le mérite. La LEFP accorde une large discrétion pour l’évaluation des qualifications essentielles, et la connaissance personnelle est une méthode acceptée.

[69] Mme Barros était déjà au niveau FI-03 lorsqu’elle est arrivée dans la section des finances. Elle avait les qualifications essentielles, et les mécanismes du processus annoncé ne s’appliquent pas à un processus non annoncé. Il n’était donc pas nécessaire pour Mme Payette d’évaluer les références de la même façon que dans le processus annoncé.

[70] L’évaluation des critères de mérite s’est faite avant la nomination, et Mme Barros satisfaisait à tous les critères. Il n’y a rien qui indique du favoritisme personnel. Les critères n’ont pas été modifiés pour la favoriser. La seule qualification modifiée, la cote linguistique, l’a été par nécessité du service. Depuis longtemps il était difficile de trouver les candidats qualifiés et également bilingues. La sous-ministre adjointe, qui ne connaissait pas personnellement Mme Barros, a approuvé le changement afin de faciliter le recrutement de personnel.

[71] Bref, les plaintes devraient être rejetées.

IV. Analyse

[72] Il convient de débuter la présente analyse avec le texte législatif qui ouvre un recours contre un processus de dotation interne. L’article 77 de la LEFP se lit comme suit :

(1) Lorsque la Commission [CFP] a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement de la Commission des relations de travail et de l’emploi, présenter à celle-ci une plainte selon laquelle elle na pas été nommée ou fait lobjet dune proposition de nomination pour lune ou lautre des raisons suivantes :

(1) When the Commission [PSC] has made or proposed an appointment in an internal appointment process, a person in the area of recourse referred to in subsection (2) may — in the manner and within the period provided by the Board’s regulations — make a complaint to the Board that he or she was not appointed or proposed for appointment by reason of

 

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);

(a) an abuse of authority by the Commission or the deputy head in the exercise of its or his or her authority under subsection 30(2);

b) abus de pouvoir de la part de la Commission du fait qu’elle a choisi un processus de nomination interne annoncé ou non annoncé, selon le cas;

(b) an abuse of authority by the Commission in choosing between an advertised and a non-advertised internal appointment process; or

c) omission de la part de la Commission d’évaluer le plaignant dans la langue officielle de son choix, en contravention du paragraphe 37(1).

c) the failure of the Commission to assess the complainant in the official language of his or her choice as required by subsection 37(1).

[…]

 

[73] Les plaintes concernant le processus annoncé (771-02-39058 et autres) se fondent sur l’alinéa a) : le plaignant allègue qu’il y a eu abus de pouvoir dans l’évaluation du mérite fondée sur les références : d’une part, son évaluation était inadéquate, d’autre part, d’autres candidats ont été évalués de façon différente, de sorte qu’il n’est pas certain qu’ils satisfassent aux critères de mérite.

[74] La plainte concernant le processus non annoncé (771-02-39089) se fonde sur les alinéas a) et b). Selon les allégations, les critères de mérite n’ont pas été évalués correctement pour Mme Barros, et l’utilisation d’un processus non annoncé était en soi un abus de pouvoir.

[75] Je dois faire un commentaire ici sur l’échange de documents qui a eu lieu dans le cadre des deux plaintes. Le plaignant a démontré à ma satisfaction que l’intimé a manqué de transparence dans sa divulgation. Ce n’est que quelques jours avant la deuxième partie de l’audience, en novembre 2022, que le plaignant a eu tous les détails sur la nomination de Mme Barros.

[76] Ce manque de transparence ne peut faire l’objet des présentes plaintes. Les plaintes portent sur la non-nomination pour des raisons d’abus de pouvoir; elles ne portent pas sur les actions subséquentes de l’intimé. Cela dit, il me semble qu’un plus grand degré de transparence, dès l’étape d’échange de documents (2018) aurait été de loin préférable, et aurait peut-être permis d’éviter de poursuivre la plainte sur le processus non annoncé.

[77] Avant de déterminer s’il y a eu abus de pouvoir dans les deux processus en cause, il convient de cerner la notion d’abus de pouvoir.

[78] La notion d’abus de pouvoir n’est pas définie dans la LEFP, si ce n’est une précision au paragraphe 2(4) qui se lit comme suit :

Il est entendu que, pour l’application de la présente loi, on entend notamment par abus de pouvoir la mauvaise foi et le favoritisme personnel.

For greater certainty, a reference in this Act to abuse of authority shall be construed as including bad faith and personal favouritism.

[Mise en évidence dans l’original]

 

[79] La Commission, ainsi que son prédécesseur, le Tribunal de la dotation de la fonction publique, ont conclu de cette précision que l’abus de pouvoir était une faute grave, et non une simple erreur ou omission. Il faut que la faute soit si grave qu’elle ne peut faire partie de la discrétion accordée au gestionnaire délégué (voir Agnew c. Sous-ministre des Pêches et des Océans, 2018 CRTESPF 2, au par. 95).

[80] Il n’est pas nécessaire de prouver l’intention pour que la Commission conclue à l’abus de pouvoir (voir Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8, au par. 74 et Ross c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2017 CRTEFP 48, au par. 16).

A. Plaintes 771-02-39058, 39086, 39087, 39088, 39272, 39273, 39313 et 39686

1. Question en litige : y a-t-il eu abus de pouvoir dans l’évaluation des références?

[81] Il est clair que le plaignant a échoué au processus en raison de l’évaluation des références. Il s’agit de savoir si cette évaluation constituait un abus de pouvoir.

[82] Je conclus qu’il n’y avait ni partialité ou ni favoritisme personnel dans l’évaluation faite par l’intimé. Je n’ai pas noté d’animosité ou de parti pris chez M. Langlois ou chez Mme Thomas, comme cela était le cas dans l’affaire Rizqy c. Sous-ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 CRTESPF 12.

[83] Par contre, le processus de prise de références paraît tellement arbitraire qu’on arrive au seuil de la mauvaise foi, et je conclus qu’il y a eu abus de pouvoir dans l’évaluation des références.

[84] Le nombre de répondants variaient d’un candidat à l’autre. Le plaignant s’est conformé aux directives du formulaire, soit deux anciens superviseurs et le superviseur actuel, contrairement à d’autres candidats qui n’offraient que deux répondants, et parfois des collègues de travail.

[85] M. Langlois a reproché au plaignant le fait que ses répondants n’avaient pas offert beaucoup de détails, ce qui lui a valu d’échouer à plusieurs questions. On peut se demander qui on évalue dans un tel cas : le candidat ou le répondant?

[86] L’évaluation extraordinairement négative des références données par M. Guénette est problématique, compte tenu du fait que M. Guénette a témoigné qu’il appuyait la candidature du plaignant. Pourtant, je ne peux le qualifier autrement, Mme Thomas paraissait complètement désintéressée. Elle n’a pas pris de notes de sa conversation avec M. Guénette, et malgré les détails et corrections apportés par celui-ci, n’a rien changé à la note attribuée par M. Langlois. Mme Thomas n’a fait aucun effort de communiquer avec M. Couture, malgré son retour imminent de vacances.

[87] Il y a une injustice fondamentale d’avoir certains répondants jouer le double rôle de répondant et d’évaluateur. On a pris soin de demander à M. Langlois d’évaluer les références du plaignant, pour éviter que Mme Payette ait à évaluer les références qu’elle avait données. Cependant, M. Langlois était également dans une situation conflictuelle : il évaluait les références en fonction d’une grille d’analyse dont il avait pris connaissance avant de lui-même fournir des références pour certains candidats. Autrement dit, il a mieux réussi au test parce qu’il connaissant les réponses, contrairement à M. Couture ou M. Guénette. Encore une fois, je souligne que l’évaluation des qualités essentielles au moyen de références revient souvent à l’évaluation du répondant, et non du candidat.

[88] Enfin, on ne peut qu’être troublé de constater que l’échec aux références entraîne un échec pour le plaignant, mais non pour un autre candidat qui a été nommé au poste. M. Langlois a justifié l’échec du plaignant largement sur la base de la question 4, qui était la capacité de décision. Pourtant, deux des trois répondants (Mme Payette et M. Couture) ont dit franchement qu’ils ne pouvaient évaluer cette capacité. Quant à M. Guénette, il soutient que ses propos ont été mal interprétés. Même s’il a fourni des renseignements additionnels à Mme Thomas, la note n’a pas changé.

[89] Confrontée en contre-interrogatoire au fait que l’échec aux références n’avait pas été fatal pour un candidat, mais l’avait été pour le plaignant, Mme Thomas a répondu que tout était évalué « au cas par cas ». La flexibilité est une bien bonne chose, jusqu’à ce qu’elle pénalise arbitrairement un candidat.

[90] Le principe de mérite n’est pas respecté quand il s’applique de façon aussi incohérente aux différents candidats. Je conclus donc qu’il y a eu abus de pouvoir dans l’évaluation des références. J’ajoute que je trouve déplorable qu’on évalue les qualifications essentielles par le moyen des références, une opinion que j’ai déjà exprimée dans Rizqy.

[91] Les plaintes 771-02-39086, 771-02-39087, 771-02-39088, 771-02-39272, 771-02-39273, 771-02-39313 et 771-02-39686 sont accueillies.

2. Mesures de redressement

[92] Outre une déclaration, le plaignant a demandé la révocation des nominations faites dans le cadre du processus de sélection annoncé. Certes, on peut avoir des doutes sur l’évaluation du mérite lorsqu’on constate qu’un candidat est nommé malgré l’échec à l’étape des références.

[93] La LEFP prévoit ce qui suit :

[…]

81 (1) Si elle juge la plainte fondée, la Commission des relations de travail et de l’emploi peut ordonner à la Commission ou à l’administrateur général de révoquer la nomination ou de ne pas faire la nomination, selon le cas, et de prendre les mesures correctives qu’elle estime indiquées.

81 (1) If the Board finds a complaint under section 77 to be substantiated, the Board may order the Commission or the deputy head to revoke the appointment or not to make the appointment, as the case may be, and to take any corrective action that the Board considers appropriate.

[…]

 

[94] Toutefois, je ne suis pas prête à exercer cette discrétion pour révoquer les nominations faites, et ce, pour plusieurs raisons.

[95] D’abord, le temps écoulé. Ces nominations remontent à 2018. Le fait de révoquer les nominations provoquerait un chamboulement dans la vie des personnes nommées, une conséquence punitive disproportionnée, alors que la faute revient à l’intimé.

[96] Ensuite, l’évaluation de mérite comme telle. L’évaluation des références était défectueuse, mais je ne peux me prononcer sur la qualification des candidats qui ont réussi au processus de sélection. Je n’ai pas de preuve suffisante pour déclarer que ces personnes ne méritaient pas le poste obtenu. Un des candidats n’a pas eu la note de passage avec un de ses répondants, mais je ne peux imposer une conséquence aussi grave alors que je ne connais rien de sa situation à part ce fait.

[97] Enfin, la révocation comme mesure de redressement dans le présent contexte. Elle est prévue par la LEFP, et elle peut avoir un sens si elle est imposée immédiatement. L’administrateur général subit alors les conséquences d’un geste fautif; le processus de sélection auquel il a consacré des énergies est annulé. De plus, la personne qui a porté plainte peut avoir une chance d’obtenir le poste.

[98] Quatre ans plus tard, ce sont les personnes nommées qui seraient sévèrement punies pour l’agissement fautif de l’intimé. Le plaignant a depuis progressé, il occupe maintenant un poste de niveau supérieur à celui pour lequel il avait posé sa candidature en 2018. La révocation n’aurait aucune conséquence pour lui.

[99] Bref, la révocation me paraît injuste et injustifiée. Elle ne solutionne rien et pénalise des personnes dont on ne connaît rien.

[100] Le plaignant a également demandé que je recommande la formation des gestionnaires et que je lui accorde une indemnisation.

[101] Recommander la formation des gestionnaires relève du vœu pieux. Bien sûr, on souhaite que l’intimé corrige ses méthodes afin d’assurer une prise de références plus cohérente et plus juste. Je laisse le soin à l’intimé de prendre les mesures nécessaires à l’avenir.

[102] Quant à l’indemnisation, je ne peux l’accorder. La Commission ne peut décider de la nomination d’un fonctionnaire (art. 82 de la LEFP). En effet, seule la Commission de la fonction publique, ou par délégation l’administrateur général, peut faire une nomination. Le processus de prise de références était défectueux, mais je ne peux savoir si le plaignant aurait été nommé si le processus n’avait pas été défectueux. Malgré le pouvoir de révocation de la Commission pour sanctionner un abus de pouvoir, elle n’a pas le pouvoir de nommer la partie plaignante au poste convoité. Par conséquent, l’indemnisation n’est pas fondée, puisqu’il s’agit d’indemniser une perte somme toute théorique.

B. Plainte 771-02-39089

[103] La thèse du plaignant, selon laquelle on l’a fait échouer au processus annoncé pour permettre la nomination de Mme Barros au moyen d’un processus non annoncé, a des allures de réalité. Les deux processus coïncident dans le temps, on change la cote linguistique d’un poste pour permettre à Mme Barros d’y accéder. Mme Payette, qui a déjà recruté Mme Barros de l’extérieur pour un poste temporaire, est chargée de l’évaluer. Toutefois, malgré ces indicateurs, je ne peux conclure à un abus de pouvoir.

[104] Il y a trois questions en litige : le processus non annoncé constituait-il un abus de pouvoir? La nomination de Mme Barros est-elle marquée par le favoritisme personnel ou la partialité? La nomination de Mme Barros respectait-elle les critères de mérite du poste?

1. Le processus non annoncé constituait-il un abus de pouvoir?

[105] La LEFP accorde beaucoup de latitude en matière de dotation à la CFP, et par délégation, aux administrateurs généraux.

[106] Ainsi, la LEFP prévoit que l’administrateur général peut procéder à une nomination non annoncée (art. 33), et qu’il n’est pas nécessaire de considérer plus d’une personne pour une nomination, pourvu que cette personne soit qualifiée (par. 30(4)).

[107] Le plaignant a cité la décision Hunter c. Sous-ministre de l’Industrie, 2019 CRTESPF 83, dans laquelle la Commission avait conclu qu’il y avait eu abus de pouvoir dans le choix d’un processus non annoncé. Il y a effectivement certains parallèles entre les deux situations, mais comme le dit la Commission dans Hunter, il se peut que malgré certaines lacunes, on n’atteigne pas le seuil de l’abus de pouvoir.

[108] Il me paraît établi dans la présente situation qu’on a choisi un processus non annoncé afin de nommer Mme Barros. Toutefois, la justification du processus non annoncé me paraît raisonnable. Le processus annoncé n’a pas fourni de candidat ou de candidate intéressé par le poste vacant dans l’équipe de Mme Payette, témoin le fait qu’aucun candidat qualifié du processus annoncé n’a finalement été nommé dans cette équipe (mais se sont placés ailleurs). Mme Barros connaissait déjà les tâches, elle était déjà à niveau, elle n’a pas évincé un bassin existant. Tous ces faits distinguent la situation de celle dans Hunter.

[109] L’intimé a souligné le large pouvoir discrétionnaire accordé aux gestionnaires d’embauche, et a cité notamment la décision Tibbs, dans laquelle on lit le passage suivant au par. 63 :

[63] […] La définition du mérite prévue au paragraphe 30(2) de la LEFP accorde aux gestionnaires un pouvoir discrétionnaire considérable pour choisir la personne qui non seulement répond aux qualifications essentielles mais qui est également la bonne personne pour faire le travail, car elle possède des atouts supplémentaires, ou elle répond à des besoins actuels ou futurs ou à des exigences professionnelles.

 

[110] Le fait de procéder à un processus non annoncé n’est pas en soi abusif. Le processus non annoncé est nécessairement une sélection faite pour une personne. On trouve la personne idéale, et pourvu qu’elle satisfasse aux critères de mérite, il n’y a rien à redire. Les gestionnaires délégués ne sont pas tenus de considérer plus d’un candidat ou candidate. Il y aurait abus de pouvoir dans ce choix s’il était établi qu’il servait expressément à écarter d’autres personnes qualifiées. Ce n’est pas le cas ici.

2. La nomination de Mme Barros est-elle marquée par le favoritisme personnel ou la partialité?

[111] Il est clair que la raison du processus non annoncé est que Mme Payette voulait garder Mme Barros dans son équipe. Toutefois, à mon sens, il ne s’agit pas de favoritisme personnel. Selon la preuve présentée, je conclus qu’il s’agissait d’une relation professionnelle.

[112] Le plaignant soutient qu’il s’agit d’une faveur personnelle, qui s’apparente au favoritisme. En fait, d’après Mme Payette, il s’agissait d’un simple calcul. Elle craignait perdre Mme Barros parce que celle-ci cherchait activement à se trouver un poste permanent dans la fonction publique.

[113] Selon la décision Desalliers c. Administrateur général (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2022 CRTESPF 70, le favoritisme personnel a été défini dans la jurisprudence de la façon suivante :

[…]

[140] Le favoritisme personnel compte parmi les formes les plus graves d’abus de pouvoir (voir Glasgow [c. Sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2008 TDFP 7]). Il est important de préciser que c’est le favoritisme personnel, non pas tout autre type de favoritisme, qui constitue un abus de pouvoir.

[141] Des exemples de favoritisme personnel ayant été reconnus dans la jurisprudence incluent le fait de choisir une personne pour des intérêts personnels indus, à titre de faveur personnelle ou pour obtenir la faveur de quelqu’un (voir Glasgow, au par. 41). La modification d’un énoncé de critères de mérite en fonction du profil d’un candidat et la modification de qualifications essentielles liées à un poste pour assurer la nomination d’un individu sans égard aux exigences du poste sont également des exemples de favoritisme personnel (Ayotte [c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 21]). Nommer une personne qui ne possède pas les qualifications essentielles du poste peut également constituer du favoritisme personnel lorsque la nomination a pour objectif de récompenser la personne nommée (voir Beyak c. le sous-ministre de Ressources naturelles Canada, 2009 TDFP 35, au par. 185 (« Beyak (2009 TDFP 35) »).

[142] Je retiens de cette jurisprudence qu’à ce jour, la Commission et le Tribunal ont conclu à la présence de favoritisme personnel dans des circonstances où des intérêts personnels indus, comme une relation personnelle entre la personne chargée de la sélection et la personne nommée, constituaient le motif de la nomination (voir Glasgow, au par. 41; Drozdowski c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux Canada), 2016 CRTEFP 33). Cette jurisprudence requiert également qu’une nomination ait été effectuée à titre de faveur personnelle ou de récompense ou pour obtenir la faveur de quelqu’un (voir Glasgow, au par. 41 et Beyak (2009 TDFP 35)).

[…]

 

[114] Un lien d’amitié ou une bonne relation professionnelle ne signifie pas pour autant qu’il y a favoritisme personnel. La Commission l’explique comme suit dans Desalliers :

[…]

[146] L’existence d’une relation professionnelle antérieure et une amitié entre la gestionnaire déléguée et la personne nommée ne constituent pas, en soi, une preuve de favoritisme personnel.

[147] Il est possible pour un gestionnaire d’avoir, dans le cours de sa carrière, l’occasion de se lier d’amitié avec d’anciens collègues qui, un jour, pourraient être des candidats intéressants pour une nomination au sein de son équipe. Il m’est impossible d’en arriver à une conclusion selon laquelle toute nomination d’un ami ou ancien collègue constituerait du favoritisme personnel. Une telle nomination peut en être une qui repose sur le mérite si le candidat retenu satisfait à l’ensemble des critères de mérite […]

[…]

 

[115] Ici, comme dans Desalliers, la nomination n’a pas été faite comme faveur personnelle ou récompense pour la personne nommée, ni pour favoriser les intérêts de la gestionnaire. Mme Payette avait trouvé la personne qu’elle considérait idéale d’un point de vue professionnel. Je n’ai constaté aucun autre intérêt.

[116] Selon le plaignant, ayant déterminé qu’elle voulait faire embaucher Mme Barros de façon permanente, Mme Payette l’a évaluée de façon à la favoriser. S’il ne s’agit pas de favoritisme, on peut parler de partialité, qui peut constituer un abus de pouvoir comme l’a conclu le Tribunal de la dotation dans la fonction publique (prédécesseur de la Commission) dans la décision Gignac c. le sous-ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 2010 TDFP 10, dans les termes suivants :

[…]

71 Le Tribunal estime pour toutes ces raisons que les personnes chargées de l’évaluation dans un processus de nomination ont le devoir de procéder à une évaluation impartiale et sans crainte raisonnable de partialité. De plus, si le comportement de ces personnes donne lieu à une crainte raisonnable de partialité, le Tribunal pourra considérer qu’il s’agit de mauvaise foi au sens de l’article 2(4) de la LEFP et constitue un abus de pouvoir.

[…]

72 Un critère a été établi par les tribunaux pour établir s’il y a crainte raisonnable de partialité. Il consiste à déterminer si un observateur relativement bien renseigné pourrait raisonnablement percevoir de la partialité chez le décideur. Il ne suffit pas de soupçonner ou de supposer qu’il y a eu partialité, celle-ci doit être réelle, probable ou raisonnablement évidente […]

[…]

 

[117] Dans Desalliers, la Commission a conclu qu’il y avait eu abus de pouvoir dans l’évaluation des critères de mérite en raison de la partialité de la gestionnaire dans l’évaluation de la personne nommée. La gestionnaire dans cette affaire a passé outre le fait qu’il manquait une compétence à la personne nommée. Une personne raisonnable et bien informée y aurait vu de la partialité.

[118] Dans le cas présent, je n’ai aucune preuve que Mme Barros ne satisfaisait pas aux critères de mérite, contrairement à la situation dans Desalliers. Mme Payette s’est fiée à sa connaissance personnelle de Mme Barros, mais cela n’est pas interdit (voir Bérubé-Savoie c. le sous-ministre de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, 2013 TDFP 2, au par. 47).

[119] Je suis aussi d’avis qu’il y a une différence entre un processus annoncé et un processus non annoncé. Dans ce dernier cas, le gestionnaire d’embauche n’a pas à considérer plusieurs candidats; il peut choisir de n’en considérer qu’un seul (voir par. 30(4) de la LEFP). La relation d’amitié entache nécessairement un processus de sélection où tous les candidats devraient au départ être sur un pied d’égalité (voir Myskiw c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2019 CRTESPF 107). Cette considération ne s’applique pas nécessairement au processus non annoncé, pourvu évidemment que les critères de mérite soient respectés.

[120] Le plaignant soutient que par mesure de prudence, il aurait été préférable que M. Wong évalue la candidature de Mme Barros. Effectivement, je suis d’accord qu’il aurait été préférable de demander à M. Wong, sinon d’évaluer, du moins, de valider l’évaluation de Mme Barros. Toutefois, l’omission de le faire n’équivaut pas à un abus de pouvoir. M. Wong ne connaissait pas Mme Barros. Il n’avait jamais travaillé avec elle. Il était compréhensible que Mme Thomas s’en remette à Mme Payette pour l’évaluation.

[121] Le processus n’est pas parfait, mais le choix d’une personne déterminée dans un processus non annoncé étant permissible, je ne pense pas qu’il y a partialité qui constitue un abus de pouvoir. Mme Payette a pris en compte la candidature d’une seule personne, Mme Barros, aux fins de la nomination non annoncée, ce qui est permis par la LEFP. Les raisons étaient professionnelles, et non dépendantes d’une amitié entre elles.

3. La nomination de Mme Barros respectait-elle les critères de mérite du poste?

[122] Le sous-ministre décide des qualités requises, y compris la langue du poste (par. 31(1) de la LEFP).

[123] L’évaluation d’un candidat peut être faite de diverses manières (art. 36 de la LEFP), y compris au moyen de la connaissance personnelle (voir Bérubé-Savoie).

[124] Mme Payette a pris en compte la candidature d’une seule personne, Mme Barros. Cela ne veut pas dire que Mme Barros n’était pas qualifiée. D’après l’évaluation faite, elle satisfaisait aux critères. Les références n’ont pas été faites de façon très rigoureuse, mais il n’y a rien qui indique que Mme Barros n’aurait pas eu la note de passage.

[125] Le plaignant a contesté que Mme Barros avait démontré avoir de l’expérience dans la prestation de conseils, oraux et écrits, à la haute gestion. Or, Mme Payette a témoigné, qu’en fait, Mme Barros avait de l’expérience en ce sens, tant à Infrastructure Canada, où elle faisait le breffage de la directrice adjointe et de la sous-ministre adjointe, que chez son employeur antérieur, où elle donnait de l’information à la haute gestion sur les transactions financières de haut niveau. Je ne vois donc pas le parallèle avec la décision Desalliers, où la Commission a conclu que la candidate nommée n’avait pas une des qualifications requises.

[126] Mme Barros ne satisfaisait pas au critère linguistique dans le cadre du processus annoncé. Ce fait n’est pas applicable au processus non annoncé.

[127] Mme Thomas a expliqué qu’il y avait un manque de conseillers financiers de niveau FI-03, et qu’il était possible de répondre aux besoins du service même en ayant un poste unilingue. La possibilité de modifier le profil linguistique existe, l’intimé s’en est prévalu, je ne peux conclure à un abus de pouvoir.

[128] Je suis satisfaite que Mme Barros avait les qualifications essentielles requises pour le poste, en plus d’un atout recherché par l’intimé.

C. Conclusion

[129] Finalement, je reviens au libellé de l’article 77 de la LEFP, qui offre un recours à la personne qui na pas été nommée raison d’un abus de pouvoir. Le plaignant n’a pas été nommé dans le cadre du processus non annoncé, non pas parce que celui-ci constituait un abus de pouvoir, mais parce qu’il avait échoué au processus annoncé. Le plaignant voudrait qu’on fasse un lien entre les deux – selon lui, on l’a fait échouer pour donner sa place à Mme Barros. Or, l’organigramme, et le témoignage de Mme Thomas, démontrent le contraire. Si le plaignant avait réussi au processus annoncé, il aurait obtenu le poste vacant FI-03 sous Mme Payette – ce poste était bilingue, et il est demeuré bilingue. Ce poste n’a pas été doté par l’un ou l’autre processus. On a fini par le doter au moyen d’une mutation. La plainte 771-02-39089, relative au processus non annoncé, est donc rejetée.

[130] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[131] Les plaintes 771-02-39058, 39086, 39087, 39088, 39272, 39273, 39313 et 39686 sont accueillies.

[132] L’intimé a commis un abus de pouvoir dans l’évaluation des références du plaignant dans le processus annoncé 2018-INFC-CS-IA-2076.

[133] La plainte 771-02-39089 est rejetée.

Le 27 janvier 2023.

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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