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Dossier de la Commission : 590‑34‑45519

 

Affaire concernant une Commission de l’intérêt public établie en vertu de

la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Entre :

L’Agence du revenu du Canada

et

L’Alliance de la Fonction publique du Canada

 

 

 

 

 

Devant : William Kaplan, président

Tony Boettger, personne désignée par l’ARC

Joe Herbert, personne désignée par l’Alliance

 

 

Comparutions

 

Pour l’AFPC : Morgan Gay

négociateur, AFPC

 

 

Pour l’Agence du revenu du Canada : Marc Bellavance

négociateur, ARC

 

 

 

 

Les questions ont fait l’objet d’une audience tenue à l’aide de Zoom le 27 janvier 2023.

 

(Traduction de la CRTESPF)


 

Rapport de la Commission de l’intérêt public

Introduction

[1] Le présent document est le rapport de la Commission de l’intérêt public (CIP) établie en vertu de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (LRTSPF) concernant le renouvellement de la convention collective conclue entre l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« Alliance ») et l’Agence du revenu du Canada (l’« employeur »). Plus de 35 000 employés sont représentés dans l’unité de négociation. En raison de la pandémie de la COVID, plus de 95 % de ces employés font du télétravail (seulement 8 % des employés en faisaient à la période avant la COVID).

[2] Il est juste de dire que l’histoire récente de la relation de négociation collective entre ces parties a été conflictuelle et que cette ronde a aussi été improductive. Cette négociation a commencé le 11 janvier 2022 par une réunion et un échange de propositions. Par la suite, les parties ne se sont rencontrées que 17 fois – mais en personne pendant seulement 18 heures – et elles ne sont parvenues à une entente qu’à l’égard de quatre petites questions, laissant près de 200 questions non résolues. Évidemment, nous recommandons que ces quatre éléments fassent partie de toute convention collective subséquente.

[3] Du point de vue de l’Alliance, l’employeur a toujours démontré, par le contenu de ses propositions et son approche générale de la négociation, qu’il n’avait aucun intérêt à traiter de façon significative les principales questions soulevées par le syndicat; il n’a pas non plus indiqué qu’il était disposé à écarter ses positions, y compris ses diverses concessions et, par conséquent, des demandes inacceptables. Du point de vue de l’employeur, l’Alliance a refusé de se présenter à la table avec la volonté de négocier – sauf selon ses propres modalités et en vue de ses propres demandes – et s’est livrée à des négociations de surface. Le 1er septembre 2022, l’Alliance a déclaré une impasse et a demandé l’établissement d’une CIP (même si elle a invité la présidente de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique à exercer son pouvoir discrétionnaire et à ne pas en nommer une ici et ailleurs). L’employeur s’est opposé au moment de la nomination de cette CIP, demandant plutôt que les parties soient invitées à reprendre leur négociation collective. La présidente a rejeté cette demande, estimant que les parties se trouvaient dans une impasse et nommant cette CIP, mais ordonnant également une médiation en décembre 2022. Cette médiation n’a jamais commencé pour des raisons bien connues des parties et discutées dans les mémoires et à l’audience. La seule mesure qui a découlé de la supposée médiation a été le dépôt par l’employeur d’une plainte de pratique déloyale de travail.

 

Contexte législatif

[4] Nous commençons par notre mandat : « La commission de l’intérêt public s’efforce, dans les meilleurs délais, d’aider les parties au différend à conclure ou à réviser la convention collective. » Notre travail est également guidé par les facteurs énumérés à l’article 175. Ces facteurs sont les suivants :

  • a) la nécessité d’attirer au sein de la fonction publique des personnes ayant les compétences voulues et de les y maintenir afin de répondre aux besoins des Canadiens;

  • b) la nécessité d’offrir au sein de la fonction publique une rémunération et d’autres conditions d’emploi comparables à celles des personnes qui occupent des postes analogues dans les secteurs privé et public, notamment les différences d’ordre géographique, industriel et autre qu’elle juge importantes;

  • c) la nécessité de maintenir des rapports convenables, quant à la rémunération et aux autres conditions d’emploi, entre les divers échelons au sein d’une même profession et entre les diverses professions au sein de la fonction publique;

  • d) la nécessité d’établir une rémunération et d’autres conditions d’emploi justes et raisonnables compte tenu des qualifications requises, du travail accompli, de la responsabilité assumée et de la nature des services rendus;

  • e) l’état de l’économie canadienne et la situation fiscale du gouvernement du Canada.

[5] Il suffit de dire que l’Alliance était d’avis – exprimé dans ses arguments et à l’audience – que ces critères appuyaient manifestement ses propositions de négociation, tandis que l’employeur considérait les choses différemment. Ce qui a été particulièrement remarquable était leur point de vue complètement divergent sur l’état de l’économie canadienne et la situation financière du gouvernement du Canada.

[6] L’Alliance a affirmé que l’économie était résiliente et robuste, que le fardeau de la dette fédérale était gérable, que la reprise était en cours et que ses propositions étaient nécessaires et appropriées pour compenser une perte de pouvoir d’achat grave découlant de l’augmentation démontrable du coût de la vie. L’Alliance a également insisté sur le fait que ses demandes économiques étaient justifiées par l’application normative du principe de la répétition et que cela signifiait suivre les règlements du secteur public qui permettaient de répondre de plus en plus et de manière significative à l’inflation.

[7] L’employeur avait une évaluation tout à fait contraire de la situation économique, soulignant les vents contraires économiques provoqués par la pandémie de la COVID, l’inflation et la guerre en Ukraine, pour ne mentionner que trois facteurs, ainsi que la possibilité réelle d’une récession. Selon les calculs de l’employeur, les demandes économiques de l’Alliance se chiffrent à 1,2 milliard de dollars, soit 52,8 % de l’assiette salariale du groupe de l’unité de négociation. De l’avis de l’employeur, les comparateurs de négociation collective de l’Alliance n’étaient pas pertinents (et certains de ceux sur lesquels s’appuyait l’Alliance, comme la Colombie‑Britannique, étaient, à son avis, des valeurs aberrantes inapplicables). L’application appropriée des comparateurs pertinents – examinée par l’employeur dans ses arguments et à l’audience – a permis d’étayer son salaire proposé et d’autres résultats économiques.

Discussion

[8] Habituellement, les CIP abordent leur tâche en formulant des recommandations extrêmement précises ou, parfois, plus générales, sur les propositions que les deux parties ont présentées. Elles le font parce qu’en faisant appel à leur expertise pour formuler des commentaires relatifs aux propositions en suspens, elles peuvent, au moyen de recommandations, donner des conseils aux parties sur les possibilités de règlement. Du point de vue de l’Alliance, ses principales priorités dans cette ronde de négociation collective étaient claires : de façon très générale, elles relèvent de la catégorie des droits inscrits dans la convention collective pour la poursuite du télétravail, l’amélioration de la sécurité de l’emploi et des mesures de protection en matière de sous‑traitance, d’importantes augmentations salariales et d’autres augmentations économiques atténuent l’inflation, ainsi que des rajustements réels au marché fondés sur les salaires perçus par des professions semblables, ainsi que des dispositions sur l’équilibre travail‑vie personnelle pour établir des droits et des attentes clairs.

[9] Pour sa part, l’employeur a demandé un petit nombre de modifications à la convention collective afin d’intégrer les progrès technologiques et diverses modifications visant à moderniser le libellé, à obtenir une souplesse et à améliorer les activités et le service. L’employeur s’est dit étonné des objections de l’Alliance à certaines de ses propositions, étant donné leur nature normative de bon sens, sans parler de leur nécessité démontrée. En ce qui concerne les propositions de l’Alliance, l’objectif principal de l’employeur était de procéder à une véritable négociation collective – sans restriction – de toutes les questions en litige, une fois que le syndicat avait trié son nombre excessif de propositions et s’était concentré sur des priorités réelles, et non sur des demandes d’ambitions diverses – qu’il a indiquées dans son mémoire et à l’audience – ou sur diverses propositions indéfendables (dont un certain nombre qui a été soulevé et rejeté à plusieurs reprises lors des rondes précédentes). L’employeur a fait remarquer que si une véritable négociation avait eu lieu, un véritable dialogue sur les avantages et les inconvénients de toutes les propositions en suspens aurait pu avoir lieu – y compris, par exemple, une discussion solide sur le travail à domicile qui aurait équilibré les besoins des employés, de l’employeur et du contribuable. Malheureusement, du point de vue de la direction, cela ne s’était pas encore produit. En fait, l’employeur a proposé que cette CIP utilise sa deuxième date prévue – l’audience ayant été conclue à la première date – pour déterminer si elle pourrait aider les parties à se concentrer sur les priorités au cours de la médiation.

[10] Toutefois, les deux parties ont été catégoriques sur le fait qu’elles ne cherchaient pas réellement à obtenir nos conseils sur les nombreuses questions particulières en suspens. Après tout, il y en a plus de 200 en jeu. Comme nous venons de le souligner, l’employeur a plutôt demandé une recommandation selon laquelle les parties reprennent la négociation, après avoir réduit et peaufiné leurs propositions pour tenir compte des priorités réelles, tandis que l’Alliance n’a cherché ni plus ni moins que la publication rapide de notre rapport, même sous forme de résumé, afin que la négociation puisse reprendre dans un contexte post‑CIP.

[11] Il est tout à fait clair qu’avec la négociation limitée qui a eu lieu, les parties ne sont pas plus près de conclure une convention collective qu’elles ne l’étaient lorsque ce processus a commencé il y a plus d’un an. Il est également clair qu’aucune des deux parties n’a signalé à l’autre quoi que ce soit qui l’amènerait à croire que de nouvelles négociations – à l’heure actuelle – seraient fructueuses. Il y aura un retour à la table des négociations, mais le moment doit être opportun. En fait, lorsque, à la fin de l’audience, l’employeur a proposé que la CIP convoque une séance de médiation (à une deuxième date prévue à la mi‑février), l’Alliance a exprimé l’avis – compte tenu de la trajectoire de la négociation jusqu’à présent et des positions adoptées par l’employeur tout au long du processus – que cela ne serait pas utile. La Commission a examiné cette demande après l’audience qui a eu lieu le 27 janvier 2023 et a conclu que la médiation ne serait pas productive pour le moment (et les parties en ont été dûment informées).

[12] Notre tâche, conformément au mandat prévu par la loi, consiste à aider les parties à conclure ou à réviser la convention collective. À un moment donné, le moment sera opportun. Entre‑temps, il est évident pour nous que tant que le mandat de négociation ne sera ni raffiné ni rétabli – par les deux parties – ou qu’un résultat ne soit obtenu ailleurs dans la fonction publique, par exemple à la table des enjeux communs dans l’administration publique centrale, l’impasse actuelle persistera. (À cet égard, au moins en partie, toute entente conclue par ces parties est soumise à l’approbation du Conseil du Trésor.) En d’autres termes, nous sommes d’avis que lorsque les deux parties auront déterminé leurs véritables priorités et auront des mandats clairs, une entente négociée sera possible, car cela préparera le terrain permettant aux parties de traiter de manière significative la liste des questions en litige (qui, espérons‑le, sera considérablement réduite).

[13] Néanmoins, après avoir examiné attentivement toutes les propositions en suspens, il nous apparaît évident qu’il existe de nombreux domaines de compromis possibles. Toutefois, il faut d’abord sortir de l’impasse – soit par une décision des parties de procéder à une réévaluation, soit par l’exercice d’une certaine pression dans le système. Une fois l’un ou l’autre des événements survenu, les propositions fondées de l’Alliance et de l’employeur peuvent être ciblées, puis négociées, soit directement, soit par médiation.

 

FAIT À Toronto, ce 14e jour de février 2023.

 

« William Kaplan »

William Kaplan, président

 

Veuillez voir le message ci‑dessous.

Tony Boettger, personne désignée par l’ARC

 

Veuillez voir le message ci‑dessous.

Joe Herbert, personne désignée par l’AFPC


 

Observations de la personne désignée par l’employeur

Je conviens que les parties doivent revenir à la table des négociations en mettant davantage l’accent sur leurs véritables priorités et des mandats clairs afin de parvenir à un règlement négocié. Au cours de la dernière année, l’employeur a présenté 13 propositions au cours des séances de négociation pour aborder des questions en litige, mais comme il est indiqué dans le rapport, presque aucun progrès n’a été réalisé.

 

L’employeur est toujours confronté à une demande de rémunération non réduite de la part du syndicat de 53 % de son assiette salariale, ce qui coûte plus de 1,2 milliard de dollars, et à plus de 200 autres propositions de l’AFPC ou du Syndicat des employé(e)s de l’impôt (SEI) à la table. Le syndicat continue de fonder sa demande salariale, en plus des préoccupations inflationnistes, en utilisant des comparateurs qui ont été débattus et rejetés trois fois au cours des 10 dernières années.

 

Il n’est pas réaliste de s’attendre à réaliser des progrès dans le cadre de ces négociations selon ces conditions.

 

Lorsque les parties reviendront à la table des négociations, tout projet d’augmentation salariale ou de modification de la rémunération devra nécessairement tenir compte de tous les facteurs pertinents, y compris les comparateurs d’emploi appropriés et l’inflation, si l’on souhaite avoir une chance réaliste de parvenir à une conclusion satisfaisante.


 

ADDENDA

 

Je souscris au rapport rédigé par M. Kaplan, un rapport équilibré qui, comme d’autres rapports de CIP publiés dans le cadre de cette ronde, aurait dû être suffisant sans observations supplémentaires. Plus particulièrement, je rejette les observations ajoutées par la personne désignée par l’ARC aux fins de la Commission, soit M. Boettger, ci‑joint, et je n’ai pas l’intention de laisser ces observations sans réponse. Ces observations n’ajoutent aucune valeur au rapport et ne servent aucun but légitime manifeste. Il est difficile de considérer les observations de la personne désignée par l’ARC comme autre chose qu’un effort de promouvoir un nombre qu’il espère être suffisamment important pour attirer l’attention et susciter une réaction, tout en affirmant que l’ARC n’est pas responsable du résultat du processus de négociation collective auquel elle est partie. Ce n’est évidemment pas le rôle approprié d’un membre d’une commission d’intérêt public ni un ajout approprié au rapport de M. Kaplan.

 

Avant l’audience de la Commission, l’ARC a demandé sans succès à la CRTESPF de reporter les audiences. Lorsque cette démarche a échoué, l’ARC a utilisé l’audience non pas pour favoriser des solutions aux problèmes qui pourraient permettre aux parties de parvenir à un règlement, mais plutôt pour attaquer l’agent négociateur. Attaquer la partie même avec laquelle on doit se réunir dans le cadre des négociations immédiatement après la publication du rapport est rarement une stratégie adoptée par des parties sophistiquées et efficaces dans la négociation collective. Et maintenant, étant donné que le rapport est publié, au moyen d’un ajout inapproprié au rapport de la part de sa personne désignée, l’ARC affirme n’avoir aucune responsabilité relative à situation dans laquelle elle se trouve.

 

Les personnes chevronnées en matière de négociation collective savent que c’est la persévérance et les approches créatives qui permettent de parvenir à des solutions aux problèmes de négociation, et non les absurdités comme essayer de provoquer des lettres aux rédacteurs des journaux. À ce stade, on pourrait avoir l’impression que l’ARC s’intéresse avant tout à identifier la personne à blâmer si la négociation venait à échouer, plutôt que d’essayer de faire réussir cette négociation.

 

Fait le 7 février 2023.

Joe Herbert

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