Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant, un agent des Services à l’étranger qui a été licencié parce qu’il n’avait pas satisfait aux exigences du cours de son poste, a allégué que son syndicat, soit l’Association professionnelle des agents du service extérieur (le « syndicat »), avait manqué à son devoir de représentation équitable – après que l’employeur a rejeté le grief du plaignant au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs, le syndicat a retiré sa représentation – le plaignant a allégué qu’il avait appris plus tard que la procédure de règlement des griefs compte trois paliers et il a donc déposé sa plainte – le syndicat a déposé une requête en rejet de la plainte aux motifs qu’elle était hors délai et qu’elle ne révélait pas un manquement prima facie au devoir de représentation équitable du syndicat – le plaignant a soutenu que le délai de 90 jours pour déposer une plainte n’a commencé à s’écouler qu’après qu’il a pris connaissance du fait qu’il avait accès à un troisième palier de la procédure de règlement des griefs – la Commission a conclu que la plainte était hors délai parce que le plaignant savait ou aurait dû savoir qu’il avait le droit de poursuivre son grief au troisième palier – il aurait dû déposer sa plainte auprès de la Commission dans les 90 jours suivant la date à laquelle le syndicat l’a informé qu’il retirait sa représentation – la Commission s’est fondée sur la réponse de l’employeur au grief au deuxième palier, sur un courriel provenant du syndicat et sur la convention collective – la Commission a également conclu qu’il n’existait aucune cause défendable selon laquelle le syndicat avait agi de manière arbitraire ou de mauvaise foi ou d’une manière discriminatoire – le syndicat n’a pas induit le plaignant en erreur, de sorte qu’il croyait que la procédure de règlement des griefs ne comptait que deux paliers – la Commission a déclaré que la décision du syndicat de retirer sa représentation était conforme à la jurisprudence acceptée portant sur la discrimination fondée sur la situation de famille.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date: 20230113

Dossier: 561-02-45141

 

Référence: 2023 CRTESPF 3

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail dans

le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

enTRE

 

David Drouin

plaignant

 

et

 

Association professionnelle des agents du service extérieur

 

défenderesse

Répertorié

Drouin c. Association professionnelle des agents du service extérieur

Affaire concernant une plainte présentée en vertu de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Augustus Richardson, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Se représente lui‑même

Pour la défenderesse : Bertrand Myre, directeur général, Association professionnelle des agents du service extérieur

Décision rendue sur la base d’arguments écrits.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

TRADUCTION DE LA CRTESPF

I. Introduction

[1] Le 6 juillet 2022, David Drouin, le plaignant, a présenté une plainte à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») en vertu de l’al. 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi ») en alléguant que son syndicat, l’Association professionnelle des agents du service extérieur (APASE ou le « syndicat »), avait manqué à son devoir de représentation équitable envers lui.

[2] Le syndicat a contesté les allégations et il a affirmé que la plainte devait être rejetée pour les motifs suivants :

1. elle avait été présentée hors délai;

2. quoi qu’il en soit, elle ne démontre pas à première vue qu’il y a eu manquement au devoir de représentation équitable de la part du syndicat.

 

[3] Après avoir examiné avec soin les arguments du plaignant et les documents sur lesquels il s’est fondé, ainsi que ceux du syndicat, je suis convaincu de ce qui suit :

1. la plainte est hors délai;

2. même si elle avait été présentée dans le délai prescrit, elle ne constitue pas une cause défendable.

 

[4] Les faits et motifs à l’appui de la présente décision sont énoncés dans les paragraphes qui suivent.

II. Les faits

[5] En mars 2020, le plaignant s’est vu offrir un poste d’agent des Services à l’étranger qui était assujetti à une période de stage de 36 mois, et il l’a accepté. Il s’agissait aussi d’un poste bilingue impératif, qui exigeait d’avoir achevé avec succès un cours d’une durée de cinq semaines sur la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (L.C. 2001, ch. 27; « LIPR »). Si le plaignant n’achevait pas le cours, il devait être exclu du programme de perfectionnement du service extérieur (PPSE) et être immédiatement renvoyé en cours de stage ou licencié pour rendement insuffisant.

[6] À cette époque, le plaignant était marié. Sa conjointe (qui travaillait aussi pour le gouvernement fédéral) et lui avaient deux enfants, âgés de trois ans et de six mois, respectivement.

[7] Le plaignant a entamé le cours sur la LIPR, qui comprenait trois examens pour lesquels il fallait obtenir une note finale moyenne de 75 %. Le plaignant a fait les trois.

[8] Le 4 novembre 2020, Sylvain de Cotret, directeur adjoint, Gestion de l’effectif, a avisé le plaignant que sa note finale moyenne était de 73,15 % et que, par conséquent, il n’avait pas satisfait aux exigences du cours et était licencié. Dans la lettre de licenciement, le plaignant était avisé qu’il avait le droit de déposer un grief.

III. Le syndicat s’en mêle

[9] Le 4 novembre, le plaignant a envoyé un courriel à Marc Leclaire, conseiller en relations de travail auprès de l’APASE, pour demander l’aide du syndicat. Le plaignant contestait son licenciement pour les motifs suivants :

[Traduction]

[…]

Je suis bouleversé par cette tournure des événements, d’autant plus que je n’ai pas eu la possibilité de revoir mon examen et de relever mes erreurs. De plus, c’était la première fois que le cours se donnait à moitié en ligne et à moitié en personne pour cause de pandémie. Cette année, la formation a été offerte en partie en ligne et en partie en personne par suite de la COVID, ce qui a été très difficile et loin d’être idéal. Cependant, mes enseignants et mes camarades de classe peuvent attester que j’ai été un étudiant très actif et engagé, qui dirigeait des groupes d’étude et aidait les autres.

J’ai besoin d’obtenir l’aide de l’APASE pour contester cette situation, puisque le fait d’être congédié pour moins de deux points de pourcentage est inéquitable, injuste et déraisonnable. Le fait qu’on ne tienne pas compte du contexte entourant la COVID et de la formation à la fois virtuelle et en classe, qui était loin d’être idéale, pose un problème.

[…]

 

[10] Je souligne que le courriel ne fait pas mention de problèmes découlant des responsabilités familiales.

[11] M. Leclaire a répondu au plaignant le même jour, en indiquant qu’il l’appellerait le lendemain, une fois qu’il disposerait de plus amples renseignements.

[12] M. Leclaire et le plaignant se sont parlé le 4 novembre. Le plaignant a envoyé un courriel à M. Leclaire plus tard ce jour‑là, et il a écrit en ces termes les souvenirs qu’il avait de la discussion :

[Traduction]

[…]

Je vous remercie d’avoir pris le temps de discuter de ce problème avec moi. Je suivrai vos conseils, à savoir :

1) Communiquer avec IRCC, puis demander de voir mon examen et d’obtenir la feuille de notation.

2) Demander s’il y a des possibilités d’être muté à un autre poste qui ne relève pas de FS, afin de tirer avantage des compétences et des outils que j’ai acquis.

Je comprends qu’à votre avis, un grief ne sera pas accueilli, en raison du fait que moins de 5 % des cas de licenciement sont tranchés en faveur du fonctionnaire. Cependant, je n’ai pas le sentiment d’avoir mérité ma note et mes résultats d’examen antérieurs démontrent un niveau élevé de compréhension. Je ne comprends pas comment cela aurait pu changer si soudainement.

[…]

 

[13] M. Leclaire a répondu le même jour. Il a affirmé que les deux mesures étaient bonnes. Il a aussi suggéré qu’un observateur assiste à toutes les rencontres. Il a ajouté ce qui suit (au sujet des mesures à prendre éventuellement) : [traduction] « […] pour démontrer qu’il n’était ni approprié ni juste de mettre fin à votre stage, et que cela n’aurait pas dû se produire, je peux transmettre une liste de décisions rendues par la commission des relations de travail, ce qui vous donnerait une idée de ce à quoi nous nous attaquons. Dites‑moi si cela vous intéresse. »

IV. L’allégation de discrimination fondée sur la situation de famille

[14] Le plaignant a d’abord suggéré que sa situation de famille ait pu nuire aux résultats qu’il a obtenus pour le cours sur la LIPR (au moins dans les documents dont je suis saisi) le 6 novembre 2020. Cela est ressorti d’un courriel qu’il a envoyé à M. Leclaire et à Paul Raven (aussi conseiller en relations de travail pour le syndicat) au sujet d’une ébauche de lettre qu’il avait proposé d’envoyer au directeur général (DG) Pemi Gill.

[15] Dans cette ébauche, le plaignant expliquait que sa note moyenne globale était inférieure de 2 % à la note de passage exigée. Il a poursuivi en disant que même s’il comprenait qu’il fallait satisfaire à certaines normes établies en fonction de l’examen, il était d’avis que ses résultats avaient été [traduction] « […] lésés par sa situation de famille et qu’il s’agissait d’un cas de discrimination involontaire ». Il a poursuivi en illustrant les effets préjudiciables par les exemples qui suivent :

[Traduction]

[…]

· Le 5 octobre, la garderie de mon fils était fermée en raison de la covid-19. Le 6 octobre, j’ai parlé au gestionnaire de la Gestion de l’effectif qui organisait la formation, et j’ai été avisé que je ne pouvais pas manquer des jours de cours; il était indiqué qu’ils ignoraient quand il y aurait une autre formation sur la LIPR. Le gestionnaire a dit que si je n’achevais pas la formation, je serais exclu du programme. Cette information m’a effrayé et m’a causé beaucoup de stress dans ma vie de famille, parce que je devais désormais jongler avec les formations exigées et mes responsabilités à la maison, en raison de la fermeture de la garderie de mon fils.

· En raison de la covid-19, la formation s’est donnée (pour la toute première fois) sous forme hybride, en personne et en classe. Je devais passer 6,5 heures par jour en ligne, plusieurs jours par semaine. Mon fils était à la maison, et pendant les pauses et au dîner, je devais m’occuper de lui afin de soulager ma conjointe de la pression liée à la garde de l’enfant. Cependant, il y a eu des moments où j’ai dû suivre la formation alors que mon fils ou ma fille se trouvait dans la pièce. Beaucoup de formateurs m’ont vu réconforter mes enfants pendant que je tentais de suivre la formation exigée. Les jours où j’assistais physiquement à la formation, je passais mes soirées à m’occuper de mes enfants, afin que ma conjointe puisse rattraper le retard à son travail et être dégagée des responsabilités familiales.

· Dans un courriel communiqué à tous les participants à la formation, le 18 septembre, il était indiqué que nos heures de formation iraient de 8 h 30 à 16 h, et que nous devions prendre 30 minutes pour récapituler et étudier en soirée. J’ai trouvé du temps pour étudier et j’ai organisé plusieurs séances d’étude avec mes collègues. Toutefois, j’étais le seul participant qui avait des enfants. Un bon nombre de mes camarades de classe ont passé plus de 15 heures à préparer l’examen final au cours des derniers jours. Ils ont pu le faire parce qu’ils n’avaient pas les mêmes responsabilités familiales que moi. On nous a dit au début du cours qu’il y avait très peu de temps à consacrer à l’étude en dehors des cours. Cependant, les mesures prises par mes collègues démontrent qu’elles étaient essentielles à leur réussite, ce que je n’ai pas pu faire en raison de ma situation de famille.

[…]

 

[16] Le plaignant a conclu sa description par l’observation suivante :

[Traduction]

[…]

À mon avis, ce ne sont que quelques-unes des façons dont j’ai été victime de discrimination involontaire en raison de ma situation de famille. D’autres cas témoignent de ce traitement qui remonte à l’époque où j’étais stagiaire débutant. En surface, des règles qui paraissent neutres à première vue ne sont pas toujours équitables lorsqu’elles sont mises en œuvre. Les règles strictes, sans possibilité d’adaptation à la situation personnelle de chacun, sont souvent à l’origine de la discrimination involontaire, comme dans le cas présent.

[…]

 

[17] M. Raven a répondu en premier, le même jour. Il a recommandé au plaignant d’attendre de parler à M. Leclaire avant d’envoyer quoi que ce soit. Le plaignant en a convenu.

A. La chaîne de courriels du 9 novembre

[18] Le 9 novembre 2020, M. Leclaire a répondu au plaignant comme suit :

[Traduction]

[…]

Tout d’abord, à titre d’information seulement, je n’étais pas au courant des problèmes que vous soulevez dans la lettre. Si vous avez effectivement précisé votre situation de famille particulière et que vous avez demandé une mesure d’adaptation à cet égard, en ce cas, il se peut que vous ayez été victime de discrimination et d’abus de pouvoir. L’employeur doit prendre des mesures d’adaptation raisonnables lorsque des problèmes sont soulevés et que des mesures d’adaptation sont demandées. Cela dit, si l’employeur ou le DG refuse tout examen de votre situation, en ce cas vous devez présenter un grief ou une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP), ou les deux.

Ensuite, je supprimerais tous les termes suggérant que la discrimination était involontaire, car cela affaiblirait la teneur de votre plainte. Ou il y a discrimination ou il n’y en a pas. Il reviendra à d’autres personnes de décider si elle a été involontaire.

En dernier lieu, gardez à l’esprit que vous avez un délai (25 jours ouvrables) pour présenter un grief relatif à l’affaire. Vous avez jusqu’à un an pour présenter une plainte à la CCDP.

 

[19] Le plaignant a répondu à M. Leclaire le même jour, en indiquant en partie ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Je vous remercie d’avoir répondu à ma lettre et à mon courriel. Je reconnais que vous n’étiez pas au courant des problèmes que j’ai soulevés dans ma lettre. Je n’ai pas mis l’accent sur l’essentiel du problème éprouvé avec IRCC, à savoir la discrimination, mais en songeant à la situation, j’ai réalisé qu’elle constituait un véritable cas de discrimination attribuable à la situation de famille et à l’abus de pouvoir. Notre conversation a porté sur l’iniquité de l’examen, et non sur la façon dont j’ai toujours été désavantagé en comparaison des autres employés.

[…]

 

[20] Le plaignant a aussi posé une série de questions, dont les suivantes :

[Traduction]

[…]

5) Je crois comprendre que le syndicat s’occupera du grief. Cependant, le syndicat m’aidera‑t‑il aussi à déposer une plainte relative aux droits de la personne auprès du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario?

6) Dois‑je retenir les services d’un avocat de l’extérieur dans cette affaire? Dans l’affirmative, le syndicat peut‑il recommander des avocats spécialisés en relations de travail qui possèdent de l’expérience en matière de discrimination basée sur la situation de famille?

[…]

 

[21] Ce même jour (le 9 novembre), M. Leclaire a répondu au courriel du plaignant et plus particulièrement aux deux questions ci‑dessus :

[Traduction]

[…]

5. Nous pouvons offrir un appui dans le cadre de la présentation de la plainte.

6. La sollicitation de conseils juridiques et des services d’un avocat de l’extérieur est une affaire personnelle. Si vous présentez un grief et une plainte, il y a de fortes chances que la CCDP mette la plainte de côté jusqu’au moment où la procédure de règlement des griefs sera parvenue à son terme. Si, au terme de la procédure, vous n’êtes pas satisfait, vous pouvez alors leur demander de réexaminer votre plainte. Vous disposerez d’un certain temps pour réfléchir à la question de savoir si vous souhaitez vous adresser à un fournisseur externe de services juridiques.

Ces problèmes ne se règlent pas rapidement. La procédure de règlement des griefs au sein du Ministère peut être relativement rapide, mais si vous n’obtenez pas satisfaction, il y a un délai d’attente assez long avant d’être entendu par un tiers (Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public). Si vous attendez une pareille décision, vous serez sans emploi pendant quelques années, ce que vous devez garder à l’esprit si vous vous lancez dans ce genre de chose.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[22] Le plaignant a répondu à M. Leclaire. Il a reconnu que ces cas peuvent prendre des années à se régler. Cependant, il souhaitait aller de l’avant. Il a ajouté qu’il avait revu l’ébauche de sa lettre au DG Gill, qui était rédigée comme suit :

[Traduction]

[…]

Je vous écris parce que IRCC m’a licencié inopinément la semaine dernière. Je suis agent du PPSE et je suivais une formation.

Le processus que les agents du PPSE doivent suivre, comme vous le savez sans doute, consiste à achever la formation exigée comme le veut le Ministère. Dans le cadre du cours sur la LIPR, on m’a dit que ma note finale était de 73,5 % et que la note de passage était fixée à 75 %. Subséquemment, j’ai été licencié le 4 novembre.

Je comprends que le Ministère fixe des normes d’examen et de formation et qu’il incombe aux fonctionnaires d’y satisfaire. Cependant, je suis d’avis que dans le présent cas mon licenciement découle d’un véritable cas de discrimination basée sur la situation de famille.

Ce que je demande, c’est un moyen de faire réexaminer mes résultats, compte tenu du fait que j’ai des préoccupations légitimes au sujet des mesures d’adaptation, au vu de l’administration de ces examens dans mon cas. Concrètement, je sollicite votre aide pour aborder ces préoccupations afin d’en arriver à un résultat plus équitable.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

B. Décembre 2020 – la procédure de règlement des griefs

[23] Le 3 décembre 2020, M. Drouin a déposé un grief visant à faire annuler le licenciement. Comme mesure de redressement, le plaignant a demandé une ordonnance selon laquelle il doit être réintégré dans le programme de formation du Service extérieur à compter du 4 novembre 2020, être indemnisé pour le salaire et les avantages sociaux perdus par suite du licenciement, avoir la possibilité de passer de nouveau les examens liés à la formation, et faire l’objet d’une réparation complète et intégrale.

[24] Vers cette date, M. Leclaire a rédigé une déclaration au nom du plaignant afin de l’utiliser dans le cadre de la procédure de règlement des griefs.

[25] Le document, qui prête à confusion, s’intitule [traduction] « Grief pour licenciement, présenté par David Drouin le 3 décembre 2020; audience du grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, le 2 février 2021 ». Le titre témoigne de la double nature des droits du plaignant en vertu de la convention collective (entre le Conseil du Trésor et l’APASE pour le groupe Service extérieur, qui a expiré le 30 juin 2022 (la « convention collective »)). La clause 11.11 prévoyait qu’en règle générale, tous les griefs passaient par trois paliers. À titre exceptionnel, la clause 11.12 prévoyait que les griefs mettant en cause un licenciement allaient directement au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Comme le plaignant avait allégué la discrimination basée sur la situation de famille, le Conseil du Trésor (l’« employeur ») et le syndicat ont déterminé que le grief devait suivre la procédure de règlement des griefs à trois paliers.

[26] L’allégation de discrimination basée sur la situation de famille était énoncée dans le document. En voici l’essentiel :

[Traduction]

[…]

De plus, même si les personnes‑ressources du Ministère semblent indiquer que le plaignant s’est vu offrir une mesure d’adaptation, M. Drouin le conteste. Ces personnes peuvent l’avoir fait, mais elles ne lui ont jamais signifié clairement qu’elles l’avaient fait. Celui‑ci est d’avis qu’il n’a jamais bénéficié de mesures d’adaptation raisonnables et qu’il semble que rien ne puisse confirmer que ces possibilités lui aient été offertes.

Avant d’entreprendre le programme de formation menant aux examens, M. Drouin avait souligné à plusieurs reprises les problèmes auxquels sa conjointe et lui s’étaient heurtés afin de s’assurer qu’il puisse assister aux séances de formation. Pendant que les séances de formation étaient en cours, il a demandé des mesures d’adaptation, notamment la possibilité de partir un peu plus tôt lors de certains cours et, éventuellement, de prolonger sa participation au programme, parce que la Covid-19 exacerbait les besoins liés à la garde d’enfants. Certaines mesures d’adaptation auraient pu atténuer ces difficultés et lui offrir la souplesse nécessaire pour voir aux questions familiales et avoir une réelle possibilité de répondre aux besoins découlant de la présence aux cours et de l’étude.

Ces demandes ont été accueillies par des refus et des avertissements indiquant que non seulement les arrangements étaient inchangeables, mais que le défaut de répondre aux exigences entraînerait son renvoi du Programme. Cela n’a fait qu’augmenter la pression qui pesait sur M. Drouin et réduire pour lui les possibilités d’achever le programme de formation et de réussir aux examens finaux.

Aucun des autres participants au programme n’était soumis aux mêmes pressions familiales et parentales, et toute mesure d’adaptation aurait été de courte durée et réservée à M. Drouin. Ses responsabilités familiales constituent le motif pour lequel il n’a pas pu se plier entièrement aux exigences rigoureuses du programme, et elles ont eu pour résultat qu’il n’était pas bien préparé pour les examens.

En fin de compte, l’échec de M. Drouin à l’examen final découle directement de ses responsabilités familiales, qui l’ont empêché d’étudier et de maîtriser la matière, ce qui, en définitive, l’a empêché d’obtenir les notes de passage exigées. Nous sommes par conséquent d’avis que la décision de licencier M. Drouin est discriminatoire, et qu’elle contrevient aux droits de la personne élémentaires qui doivent faire l’objet de mesures d’adaptation pour des raisons liées à la situation de famille, comme le prévoient l’article 43 de la convention collective du groupe FS et la Loi canadienne sur les droits de la personne (partie 1, paragraphe 3(1)).

[…]

 

[27] Une audience du grief a été tenue le 10 décembre 2020. Comme je l’ai déjà mentionné, le plaignant a été avisé qu’en raison du problème lié au licenciement en cours de stage, il s’agirait d’une audience au premier palier de la procédure de règlement des griefs.

[28] Après la rencontre, le plaignant a envoyé le 10 décembre à M. Leclaire un courriel auquel il a joint deux documents, dont l’un énumérait [traduction] « […] TOUTES les allégations de discrimination [du plaignant] et les mesures qui avaient été prises […] » entre le moment où il s’était porté candidat pour le poste et celui où M. de Cotret avait entendu son allégation. Le deuxième document faisait état des allégations que le plaignant [traduction] « […] avait présentées à M. Leclaire lorsqu’ils avaient eu leur conversation à la fin de novembre ». (Ces deux documents Microsoft Word, qui s’intitulent, respectivement, [traduction] « Incidents de discrimination à IRCC – Situation de famille » et [traduction] « Conversation avec M. De Cotret », ne sont pas joints aux documents que le plaignant a soumis à la Commission.)

C. L’audience du grief au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs

[29] L’audience du grief au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs a été tenue le 2 février 2021.

[30] Le 26 février 2021, M. Drouin a reçu la réponse de l’employeur à son grief au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs, qui indiquait en partie ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Lorsque j’ai examiné les allégations que vous avez présentées, je me suis penché sur la preuve et les témoignages des parties concernées dans votre situation. En fonction des éléments de preuve disponibles, j’ai déterminé que même si vous avez soulevé des préoccupations à l’égard de votre situation de famille, vous n’avez pas établi que vous aviez besoin d’une mesure d’adaptation pour remplir l’obligation légale de vous occuper de vos enfants, et vous n’avez pas non plus donné suite à vos demandes de mesures d’adaptation après avoir initialement fait mention de ces difficultés. Je constate aussi que selon votre propre témoignage, vous n’avez pas soulevé de préoccupations à l’égard de votre capacité à comprendre la matière ou à vous préparer à vos examens, par suite de quoi il a été impossible de prendre une mesure d’adaptation à l’égard de cet élément, si ce besoin se faisait effectivement sentir.

D’après les éléments de preuve qui sont à ma disposition, je conclus aussi qu’à aucun moment on ne vous a donné raison de croire que votre emploi serait compromis si vous vous révéliez incapable de satisfaire aux exigences d’assiduité du programme en raison de votre situation de famille, ou si vous demandiez une mesure d’adaptation. Même si je reconnais que la situation découlant de la pandémie a ajouté une certaine incertitude, j’estime que vous avez examiné diverses possibilités avec l’équipe de formation, pour le cas où votre situation de famille vous empêcherait de respecter les obligations en matière d’assiduité qui s’appliquaient à la séance de formation d’octobre 2020 et où, par conséquent, vous auriez dû reporter votre formation à une date ultérieure. En fonction de ces discussions et de votre dossier de présences ultérieur, qui démontre que vous avez pu assister à toutes les séances, la direction a conclu que vous aviez prévu la situation liée à la garde de vos enfants de façon à pouvoir poursuivre la formation en octobre 2020.

[…]

 

[31] Par conséquent, le grief a été rejeté. À ce moment‑là, l’employeur a aussi souligné ce qui suit dans la dernière phrase de la lettre : [traduction] « Veuillez noter que si la décision ne vous donne pas satisfaction, vous pouvez porter votre grief au palier suivant de la procédure de règlement des griefs dans les dix (10) jours suivant la réception de la présente réponse. »

[32] Je m’arrête pour signaler que, le 26 février 2021, on disait à M. Drouin qu’il existait un [traduction] « palier suivant » après le deuxième palier de la procédure de règlement des griefs et qu’il pouvait y accéder dans un délai de 10 jours. (En excluant les jours ouvrables, cela serait tombé le 12 mars 2021.)

D. Le 3 mars 2021, le syndicat retire sa représentation

[33] Le 3 mars 2021, M. Leclaire a envoyé à M. Drouin le courriel qui suit :

[Traduction]

[…]

Comme nous en avons discuté, le présent message a pour but de signifier officiellement que l’APASE a déterminé que vous n’aviez pas, à notre avis, une cause suffisamment solide pour répondre aux critères établis par la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (CRTESPF) dans les cas de discrimination, et qu’il ne serait avantageux ni pour nos membres ni pour l’application de notre convention collective de continuer à appuyer le grief. De plus, les temps d’attente actuels qui s’appliquent aux décisions d’arbitrage (cinq ans ou plus et cela va en augmentant) auraient pour effet de rendre théorique une bonne partie de ce que vous tentez d’obtenir.

En outre, comme nous en avons aussi discuté, si vous souhaitez poursuivre la question, bien que nous n’appuyions pas l’utilisation continue et l’interprétation de notre convention collective, vous pouvez présenter une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne. Comme nous n’avons pas compétence sur les plaintes déposées directement à la CCDP, il vous est loisible de le faire et de retenir les services d’un conseiller juridique indépendant, si vous le jugez nécessaire.

En dernier lieu, j’ai joint des extraits de décisions rendues par la CRTESPF dans des affaires de griefs alléguant la discrimination, afin que vous puissiez mieux comprendre comment nous en sommes arrivés à notre point de vue. Même si ces situations ne sont pas en tous points analogues à la vôtre, elles éclairent néanmoins le niveau de preuve auquel un plaignant doit satisfaire pour atteindre le seuil de la discrimination prima facie et ce que le défendeur ou l’employeur doit faire dans les cas d’adaptation.

[…]

 

[34] Le plaignant a ensuite présenté une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP), le 27 octobre 2021. (Le plaignant n’a pas expliqué pourquoi il avait attendu près de huit mois pour suivre la suggestion du syndicat, soit de présenter une plainte à la CCDP.)

E. La réponse de la CCDP à la plainte relative aux droits de la personne

[35] Le 15 mars 2022, la CCDP a accepté la plainte présentée par le plaignant, qu’elle a transmise à l’employeur. Le 14 avril 2022, l’employeur a répondu en faisant remarquer que le plaignant n’avait pas épuisé la procédure de règlement des griefs dont il disposait, ce qui faisait obstacle à sa plainte déposée auprès de la CCDP. Le 14 avril, le plaignant a ensuite envoyé à M. Leclaire le courriel qui suit :

[Traduction]

[…]

Suivant vos conseils, j’ai présenté une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne. La procédure est en cours, mais j’ai reçu récemment une réponse d’IRCC.

Ils font valoir que j’avais accès à un grief au troisième palier de la procédure de règlement des griefs, et qu’après cela, j’aurais pu m’adresser à la Commission des relations de travail. J’ai l’impression que j’avais uniquement le droit de déposer un grief jusqu’au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs, parce que j’étais stagiaire. En ce qui concerne la Commission des relations de travail, vous expliquiez dans votre courriel du 3 mars que l’APASE était d’avis que je n’avais pas une cause suffisamment solide pour aller jusqu’à la Commission des relations de travail et que l’APASE n’appuierait plus mon grief.

Pouvez‑vous confirmer ces deux faits, s’il vous plaît?

Merci! J’espère que vous allez bien. Je comprends que l’APASE ne me représente plus, mais si vous ou l’APASE pouvez m’offrir un soutien quelconque aux fins de ma plainte relative aux droits de la personne, ce serait grandement apprécié.

[…]

 

[36] Le 20 avril 2022, M. Leclaire a répondu au courriel que le plaignant avait envoyé le 14 avril, comme suit :

[Traduction]

[…]

Je serai clair. Oui, vous auriez pu porter votre grief au troisième et dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Cependant, le grief relevait de notre convention collective et nous avons retiré notre appui après le deuxième palier de la procédure de règlement des griefs, parce que nous ne voyions aucune voie à suivre dans votre cas. Nous avons aussi indiqué que nous ne laisserions pas qui que ce soit d’autre représenter nos intérêts en vertu de notre convention collective. Cela ne vous laissait donc pas d’autre choix que de vous adresser seul à la CCDP.

En ce qui concerne l’accès à la Commission des relations de travail, il est vrai que vous auriez pu vous y adresser, mais seulement avec notre appui. Comme nous l’avons retiré, vous n’avez pas accès à la Commission. Encore là, votre seul recours passe par la CCDP.

[…]

 

[37] Le 21 avril, le plaignant a répondu comme suit :

[Traduction]

Merci pour votre courriel. Il aidera certainement à démontrer à la CCDP que j’ai épuisé toutes les voies pour régler cette affaire, sans qu’il y ait eu faute de ma part.

Cependant, je tiens aussi à être clair. Lorsque j’ai entamé la procédure de règlement des griefs, vous m’avez avisé que j’avais accès uniquement à deux paliers de la procédure de règlement des griefs. Il est vexant de découvrir un an plus tard que j’avais accès à un troisième palier de la procédure de règlement des griefs et que l’APASE a décidé de ne pas poursuivre le grief.

J’ai envoyé une copie à Mme Kim Coles parce que je suis mécontent de la façon dont vous vous êtes occupé de mon cas, et que ma récente découverte m’incite à me demander si vous étiez vraiment déterminé à chercher une solution.

Je comprends qu’un syndicat n’arbitre pas ou ne plaide pas tous les cas, mais j’aurais présumé qu’un minimum d’effort et une réelle tentative de régler les griefs à l’interne pouvaient être consentis à tous les fonctionnaires qui déposent une plainte. Dans mon esprit, cela suppose d’épuiser la procédure de règlement des griefs à l’interne, qui est relativement peu dispendieuse.

[…]

 

[38] Le 22 avril 2022, Kim Coles, directrice générale de l’APASE, a répondu au courriel de M. Drouin comme suit :

[Traduction]

[…]

Je vous remercie d’avoir porté vos préoccupations à mon attention. À l’APASE, nous rencontrons toutes les semaines l’équipe des conseillers en relations de travail pour discuter de la représentation connexe aux dossiers des membres. Lors de cette rencontre, nous examinons la situation et nous discutons des recours officiels et informels qui s’offrent à nous aux fins d’un éventuel règlement. Le bien‑fondé d’un cas est le facteur déterminant pour décider si nous poursuivrons ou non un recours officiel. Le renvoi d’un cas à l’arbitrage est un processus très long, et il faut compter en moyenne cinq ou six ans avant qu’une décision finale ne soit rendue, en raison du volume énorme de cas que les autres ministères enregistrent dans le système à la fonction publique fédérale. À ce titre, nous devons traiter uniquement les cas solidement fondés qui ont été mal interprétés par l’employeur, afin de nous assurer que nos ressources en temps et en argent sont utilisées efficacement.

Dans votre cas, il a été établi que le bien‑fondé du cas n’était pas suffisant aux fins d’un règlement au dernier palier de la procédure de règlement des griefs à l’arbitrage, mais qu’un grief serait déposé pour tâter le terrain, afin de voir si le Ministère renverserait ou non la décision qu’il avait rendue aux deux premiers paliers de la procédure de règlement des griefs. Malheureusement, cela ne s’est pas produit. Même si je comprends que cette décision vous contrarie, nous vous souhaitons la meilleure des chances dans votre recherche des possibilités qui s’offrent à vous à la CCDP.

[…]

 

[39] Le 25 avril 2022, M. Drouin a envoyé à Mme Coles, avec copie à M. Leclaire, le courriel qui suit :

[Traduction]

[]

Je comprends que les cas ne sont pas tous acheminés à la Commission des relations de travail. Nous sommes tous aux prises avec des ressources limitées.

Ma préoccupation tient au fait que M. Leclaire m’a avisé que j’avais seulement droit à deux paliers de la procédure de règlement des griefs parce que j’étais stagiaire. Je n’ai découvert que j’avais accès au troisième palier de la procédure de règlement des griefs qu’au moment où j’ai été avisé au moyen du formulaire de réponse à ma plainte relative aux droits de la personne, qui a été rempli par IRCC.

Il semble s’agir seulement d’une occasion manquée, parce que je présume que l’employeur est plus susceptible de renverser sa décision au troisième plutôt qu’au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs. Mais je suppose que vous êtes des experts en la matière.

Je suis impatient d’acheminer mon cas à la CCDP. À cet égard, j’espérais que l’APASE puisse m’informer des résultats de l’enquête sur mon cas et me fournir les notes des entrevues que vous avez menées auprès de spécialistes externes au sujet de la discrimination basée sur la situation de famille.

[…]

 

[40] Le 26 avril 2022, M. Leclaire a répondu comme suit :

[Traduction]

[…]

Nous avons pris note de votre point de vue et de vos préoccupations et nous les comprenons. Nous regrettons qu’il puisse y avoir eu un malentendu.

En ce qui concerne les notes et les spécialistes externes qui auraient été consultés, il n’y a rien à communiquer. Vos propres mots et déclarations ainsi que les renseignements fournis par l’employeur, parallèlement au niveau de preuve exigé dans les cas comme ceux‑là, ont suffi pour nous convaincre que le cas avait peu de chances de succès.

Nous reconnaissons votre déception à l’égard de notre décision, et nous avons pris des mesures pour vous libérer, afin que vous puissiez poursuivre l’affaire par vous‑mêmes. Nous vous souhaitons bonne chance.

[…]

 

[41] Le 6 juillet 2022, le plaignant a déposé auprès de la Commission, par courriel, sa plainte contre le syndicat en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi, en date du 29 juin 2022. Il a allégué qu’il avait pris connaissance du manquement allégué le 14 avril 2022. Comme mesure de redressement, le plaignant a demandé une ordonnance exigeant que le syndicat appuie sa plainte déposée à la Commission ou à la CCDP en payant les honoraires d’un avocat spécialisé en droit du travail, d’être indemnisé pour préjudice moral, et de se voir rembourser le salaire qu’il a perdu par suite de son licenciement.

F. Les arguments du syndicat en réponse à la plainte

[42] Les arguments et exposés des faits du syndicat se trouvent dans les deux documents suivants :

1. sa réponse initiale en date du 19 août 2022;

2. [traduction] « La réplique de l’APASE à la réponse du plaignant », qui a été présentée le 14 septembre 2022.

 

[43] Le syndicat a initialement répondu au grief en indiquant que celui‑ci était hors délai. Selon le paragraphe 190(2) de la Loi, les plaintes doivent être présentées dans les 90 jours « […] qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu ». À titre subsidiaire, le syndicat a soutenu que même si le plaignant avait eu connaissance du problème le 14 avril 2022, il avait quand même dépassé le délai de 90 jours lorsqu’il a présenté sa plainte, le 6 juillet 2022; voir Crête c. Ouellet, 2013 CRTFP 96, au par. 33.

[44] Dans sa réplique plus détaillée en date du 14 septembre 2022, le syndicat a réitéré son objection selon laquelle la plainte était hors délai. Il a ajouté à cette objection une demande visant à rejeter la plainte sur le fond. Il a soutenu que les plaintes relatives au devoir de représentation équitable doivent énoncer des faits permettant d’établir la prise de mesures arbitraires, discriminatoires, ou de mauvaise foi; voir McRaeJackson c. Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCACanada), 2004 CCRI 290, aux paragraphes 13 et 50. Le syndicat a affirmé que le fardeau incombait au plaignant, que les faits qu’il avait allégués n’établissaient rien de plus que son désaccord avec la décision du syndicat de cesser de le représenter, et qu’il ne s’agissait pas d’un motif de plainte; voir Bergeron c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2019 CRTESPF 48, aux paragraphes 89 à 91; Sganos c. Association canadienne des agents financiers, 2022 CRTESPF 30, aux paragraphes 82 and 97. Le syndicat a affirmé que pour établir une cause défendable, il fallait aller au‑delà des allégations fondées sur des spéculations ou des suppositions.

[45] Par conséquent, le syndicat a demandé une ordonnance de rejet sommaire de la plainte.

G. Les arguments du plaignant

[46] Les allégations, exposés des faits et arguments du plaignant se trouvent dans divers documents, dont les plus importants sont les suivants :

1. [Traduction] « Drouin – Exposé détaillé – Devoir de représentation équitable – APASE », transmis à la Commission le 6 juillet 2022.

2. [Traduction] « Drouin – Position sur la réplique de la défenderesse en date du 19 août 2022 – Devoir de représentation équitable – APASE », sans date, mais déposé auprès de la Commission en réponse à la réplique du syndicat le 19 août 2022.

3. Un énoncé de sept pages sans date et sans titre que le plaignant a apparemment rédigé peu de temps après l’audience du grief au premier ou deuxième palier de la procédure de règlement des griefs.

 

[47] Dans la réponse de quatre pages qu’il a présentée à la réplique du syndicat le 19 août 2022, le plaignant alléguait que son intervention s’était déroulée de la façon suivante :

[Traduction]

[…] sa tendance à étudier et évaluer les griefs de façon inefficace et à mener les activités syndicales d’une manière non professionnelle. Cela démontre encore qu’ils agissent de façon arbitraire et de mauvaise foi, parce qu’ils sont incapables d’établir des faits lorsque des éléments de preuve sont en leur possession, qu’ils effectuent des calculs élémentaires afin de déterminer le temps écoulé et le respect des délais […]

[…]

 

[48] Le plaignant a allégué que la réponse du syndicat contenait diverses erreurs factuelles, par exemple, quant au nombre d’examens qu’il avait dû passer (trois et non deux) ou au fait qu’il a été licencié en novembre plutôt qu’en octobre 2020. Il a réitéré son allégation selon laquelle M. Leclaire lui avait dit qu’il avait accès à deux paliers de la procédure de règlement des griefs seulement, au lieu de trois, parce qu’il était stagiaire. Il a expliqué qu’il n’avait pas déposé de plainte le 3 mars 2021 parce qu’à ce moment‑là, il [traduction] « […] pensait que M. Leclaire et l’APASE avaient fait tout ce qui était en leur pouvoir pour [l]’aider […] ». Ce n’est que le 14 avril 2022, lorsqu’il a reçu la lettre de la CCDP, qu’il a réalisé qu’il avait eu accès à un troisième palier de la procédure de règlement des griefs. Le plaignant a poursuivi en réitérant les déclarations et les allégations selon lesquelles le syndicat et ses représentants étaient, au mieux, négligents et incompétents, et au pire, qu’ils avaient agi de façon délibérée :

[Traduction]

[…]

La réponse de M. Myre démontre que l’APASE continue à agir de façon arbitraire et de mauvaise foi à l’égard de mon cas. Cette réponse est superficielle et truffée d’inexactitudes flagrantes. De plus, lorsque l’APASE effectue des calculs élémentaires, elle échoue lamentablement. Ultimement, la CRTESPF a exigé que l’APASE réponde dans un délai imparti. Ils n’ont pas respecté ce délai et ils n’ont aucun motif valable pour ne pas l’avoir fait. Il n’y a que deux conclusions que je puisse tirer de la manière d’agir de l’APASE. La première, c’est que l’APASE et ses agents sont totalement inaptes et incapables d’accomplir les tâches les plus simples avec professionnalisme et confiance, et que, par conséquent, ils font arbitrairement preuve de négligence et manquent à leur devoir de diligence raisonnable. Ou bien, selon la deuxième possibilité, l’APASE fait intentionnellement de fausses déclarations, en commettant des « erreurs » afin de renforcer sa position et en négligeant d’accorder à ce processus le respect qu’il mérite.

[…]

 

[49] Le plaignant a conclu en affirmant que le syndicat [traduction] « […] a agi de manière arbitraire, discriminatoire et de mauvaise foi lorsqu’il s’est occupé de son grief ».

[50] De façon générale à l’époque, et pour ce qui est du respect des délais, le plaignant a soutenu que jusqu’au 14 avril 2022 il ignorait — et n’avait aucun motif de soupçonner — que le syndicat avait manqué à ses obligations envers lui. Cela étant, la plainte présentée le 6 juillet 2022 s’inscrivait largement dans le délai de 90 jours.

[51] Quant au bien‑fondé du grief, comme je l’ai déjà mentionné, le plaignant a soutenu que son grief de discrimination basée sur la situation de famille était fondé et que le syndicat aurait dû y donner suite. Le plaignant a allégué que le syndicat ne l’avait pas fait parce qu’il ne possédait aucune expérience de ce genre de revendication, qu’il n’avait demandé ni aide juridique ni avis sur la question, et que, de façon générale, il s’était occupé de son dossier de manière inapte et discriminatoire.

V. Analyse et décision

[52] Je suis saisi de deux questions à l’égard de la requête du syndicat en rejet de la plainte.

[53] Tout d’abord, la plainte était‑elle hors délai?

[54] Ensuite, dans la négative, la plainte doit‑elle être rejetée sommairement?

A. La plainte était‑elle hors délai?

[55] Il est clair qu’une plainte présentée en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi doit être déposée dans les 90 jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance du manquement allégué d’un syndicat au devoir de représentation équitable; voir Crête, aux paragraphes 24 à 26.

[56] Alors, en quoi a consisté la conduite du syndicat qui aurait été arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi selon les allégations du plaignant? Elle se résume à une allégation selon laquelle le syndicat avait le devoir de dire au plaignant qu’il existait un troisième palier de la procédure de règlement des griefs.

[57] Le plaignant a affirmé qu’à diverses reprises, M. Leclaire lui avait dit de vive voix que la procédure de règlement des griefs ne comportait que deux paliers. M. Leclaire a nié cette allégation après la survenance du litige, mais quoi qu’il en soit, je ne suis pas convaincu qu’il soit sûr ou qu’il puisse éventuellement être sûr d’accepter telle quelle l’affirmation du plaignant. Plusieurs motifs m’incitent à tirer cette conclusion.

[58] D’abord et avant tout, la preuve documentaire contemporaine dont je dispose n’appuie pas cette allégation. Le courriel que le syndicat a envoyé au plaignant le 3 mars 2021 n’indique pas que la procédure de règlement des griefs ne comporte que deux paliers. Ce courriel indique plutôt que le syndicat en est arrivé à la décision suivante : [traduction] « […] il ne serait avantageux ni pour nos membres ni pour l’application de notre convention collective de continuer à appuyer le grief » [je mets en évidence]. Les mots en évidence ne signifient pas la fin de la procédure de règlement des griefs. Ils laissent plutôt penser que la procédure demeure en place, mais que le syndicat n’est plus disposé à appuyer le grief.

[59] Il y a ensuite le fait que, dans sa réponse au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs, le 26 février 2021, l’employeur a signifié très clairement au plaignant qu’il pouvait se prévaloir d’un autre palier de la procédure de règlement des griefs, en indiquant ce qui suit : [traduction] « Veuillez noter que si la décision ne vous donne pas satisfaction, vous pouvez porter votre grief au palier suivant de la procédure de règlement des griefs dans les dix (10) jours suivant la réception de la présente réponse. »

[60] En troisième lieu, la déclaration du plaignant, selon laquelle M. Leclaire lui avait dit que la procédure de règlement des griefs ne comportait que deux paliers, a été faite pour la première fois plus d’un an plus tard, et seulement après que le plaignant eut appris que sa plainte relative aux droits de la personne n’aurait pas gain de cause, parce qu’il n’avait pas épuisé les trois paliers de la procédure de règlement des griefs. Autrement dit, les soi-disant souvenirs du plaignant ont été évoqués plus d’un an après les faits, ils ne sont pas étayés par des documents contemporains, et ils ont été exprimés à un moment où le plaignant était bouleversé, après avoir appris que sa plainte relative aux droits de la personne n’avait pas été accueillie.

[61] Enfin, l’insistance du plaignant selon laquelle il ignorait l’existence d’un troisième palier de la procédure de règlement des griefs est démentie par les dispositions de la convention collective, qui indiquent clairement (à la clause 11.11) qu’un grief (autre qu’un grief de licenciement) est traité en trois étapes. (La clause 11.12 indique clairement que les griefs de licenciement constituent une exception et qu’ils ne sont présentés qu’au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.) Sur la foi de sa correspondance et de ses arguments, le plaignant est manifestement une personne très intelligente qui, de plus, a vite fait d’insister fortement sur ses droits. Il n’a offert aucune explication au fait qu’il n’avait pas soulevé la question auprès de M. Leclaire à l’époque.

[62] Ces faits m’amènent à conclure qu’en date du 3 mars 2021, le plaignant savait ou aurait dû savoir :

1. qu’il avait le droit de poursuivre son grief au troisième palier de la procédure de règlement des griefs;

2. que le syndicat, pour une raison quelconque, avait nié ce droit ou, à tout le moins, refusé d’appuyer l’exercice de ce droit.

 

[63] Cela étant, je suis convaincu que la plainte est hors délai.

[64] Au cas où j’aurais tort de tirer cette conclusion, je me tourne vers la deuxième question, celle de savoir si la plainte doit être rejetée sommairement sur le fond.

B. La plainte doit‑elle être rejetée sommairement?

[65] Je suis saisi d’une plainte selon laquelle le syndicat a manqué à son devoir de représentation équitable envers le plaignant. Le syndicat a déposé une requête en rejet sommaire de la plainte. Par conséquent, les trois questions suivantes se posent :

1. Que faut‑il pour établir un manquement au devoir de représentation équitable?

2. Comment faut‑il aborder la requête du syndicat?

3. Le plaignant a‑t‑il établi une cause défendable d’un pareil manquement?

 

1. Le devoir de représentation équitable

[66] Tout d’abord, un syndicat doit accomplir son devoir de représentation équitable de bonne foi, objectivement et honnêtement, et seulement après avoir examiné un grief de manière approfondie, tout en tenant compte des intérêts de l’employé, d’un côté, et de ceux de ses membres de l’autre. Il ne doit pas agir de façon arbitraire, discriminatoire, capricieuse ou abusive, ni faire preuve de négligence grave ou d’hostilité envers l’employé; voir Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon, 1984 CanLII 18 (CSC), page 526, et McRaeJackson.

[67] Quel est le sens du mot « arbitraire »? Le Canadian Oxford Dictionary (1998) définit comme suit le mot « arbitrary » (arbitraire) : [traduction] « 1 en fonction de la libre volonté d’une personne, non conforme à un schéma ou un plan; capricieux. 2 établi au hasard. 3 despotique. »

[68] Un syndicat qui mène un grief de manière superficielle, en se contentant de parcourir les requêtes seulement pour sauver les apparences, agit de manière arbitraire; voir Gagnon, à la page 526. La Commission des relations de travail de la Colombie-Britannique a formulé l’observation suivante : [traduction] « […] un syndicat ne doit pas agir arbitrairement ni, de façon négligente, méconnaître les intérêts d’un employé ». Elle a poursuivi en disant ce qui suit : [traduction] « Il doit au contraire se pencher sur les problèmes qui lui sont soumis et réfléchir sur les mesures à prendre après avoir examiné les différents éléments pertinents et opposés. » La Cour suprême du Canada a adopté ces commentaires dans Gagnon, à la page 520, dans le cadre de son examen du devoir de représentation équitable d’un syndicat; voir aussi Canadian Union of Public Employees, Local 3912 v. Nickerson, 2017 NSCA 70, au par. 43. Pourvu qu’un syndicat n’aborde pas un grief de manière superficielle, et pourvu qu’il a recueilli suffisamment de renseignements nécessaires (pas tous) pour en arriver à une décision judicieuse (non parfaite), en ce cas il remplit son devoir de représentation équitable; voir Cadieux c. Syndicat uni du transport, section locale 1415, 2014 CAF 61, aux paragraphes 30 à 33.

[69] En deuxième lieu, ce qui découle du premier élément, l’évaluation de la question de savoir si un syndicat a agi de manière arbitraire ne suppose pas de mettre en œuvre une stratégie d’experts de salon. Cela ne suppose pas de contester les décisions que le syndicat a prises lorsqu’il a traité un grief. En règle générale, la question de savoir si, en rétrospective, le syndicat a eu raison ou tort dans son évaluation du bien‑fondé d’un grief est sans pertinence; voir, par exemple, Vilven c. Association des pilotes d’Air Canada, 2011 CCRI 587, au par. 36. La seule chose qui importe est de savoir si le syndicat a agi de façon raisonnable lorsqu’il a pris ses décisions.

2. Comment faut‑il aborder la requête?

[70] Le plaignant a allégué que le syndicat avait manqué à son devoir de représentation équitable. Le syndicat a demandé une ordonnance de rejet sommaire de la plainte, au motif que celle‑ci n’établissait pas une cause défendable sur le fond. L’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365; la « LCRTESPF ») habilite la Commission à trancher « […] toute affaire ou question dont elle est saisie sans tenir d’audience […] » : Andrews c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2021 CRTESPF 141, au par. 3; confirmé dans Andrews c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2022 CAF 159, au par. 10. Dans le cadre d’une telle requête, il incombe à tout le moins au plaignant de présenter des allégations factuelles qui, si elles sont prouvées, établiraient que le syndicat a manqué à son devoir de représentation équitable : voir Holowaty c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2022 CRTESPF 44, au par. 13.

[71] À vrai dire, selon moi, la compétence de la Commission en vertu de l’article 22 ne se limite pas à décider si une partie a une cause défendable. Cela englobe aussi la possibilité de trancher la requête sur le fond, au moins s’il y a suffisamment d’éléments matériels non contestés pour permettre d’en arriver à une décision appropriée. L’équité procédurale et la justice naturelle n’exigent pas de trancher tous les litiges en procédant à une audience complète avec présentation de preuves orales et contre‑interrogatoire. Les exigences en matière d’équité procédurale peuvent être satisfaites pourvu que les parties aient la possibilité de savoir contre quoi elles doivent se défendre, et de faire valoir leur propre cause : voir, de façon générale, McRaeJackson, aux paragraphes 1, 2, 13 et 50; Sganos, aux paragraphes 71 à 73; International Brotherhood of Electrical Workers, Local 1739 v. International Brotherhood of Electrical Workers, 2007 CanLII 65617 (ON SCDC).

[72] Une pareille approche n’est aucunement inéquitable sur le plan procédural. La Commission reçoit chaque année des centaines, voire des milliers, de griefs variant en importance qui vont des griefs de licenciement, d’un côté, aux litiges sur les indemnités de déplacement, de l’autre. Certains fonctionnaires s’estimant lésés sont représentés par des représentants syndicaux ou des avocats chevronnés, tandis que d’autres se représentent eux‑mêmes. Afin d’éviter que la Commission ne soit dépassée — et de s’occuper rapidement des griefs — il doit incomber aux plaignants d’étayer leurs allégations. Autrement dit, il ne suffit pas d’alléguer des faits (non corroborés) qui, s’ils étaient prouvés, donneraient lieu à une cause défendable. Toute autre conclusion équivaudrait à affirmer que pour obtenir une audience complète de la Commission il suffit de présenter de simples allégations de discrimination, de mauvaise foi ou de conduite arbitraire. Cela serait inéquitable envers les personnes qui ont des motifs de fond pour déposer une plainte, puisque leur droit à un traitement accéléré serait compromis par des plaintes qui s’avéreraient infondées en définitive et qui absorberaient le temps et les ressources de la Commission. Il n’est pas inéquitable non plus de s’attendre à ce que les plaignants (représentés ou non) soient en mesure de fournir de tels éléments de preuve, puisqu’après tout, ils sont les mieux placés pour exposer les éléments de preuve étayant les faits qu’ils chercheraient à démontrer si l’affaire faisait l’objet d’une audience complète.

[73] Il est aussi relativement facile de s’acquitter de ce fardeau. L’utilisation presque universelle de textes, de courriels et de plateformes de médias sociaux signifie qu’il y a généralement une abondante documentation contemporaine des faits, des incidents, des avis et des déclarations des parties concernées. Ces éléments de preuve démontrent directement ce que les parties ont pensé, dit et fait à l’époque pertinente. Il se peut qu’il ne s’agisse pas d’un témoignage sous serment, mais cela peut être et est souvent accepté par les cours de justice, ainsi que par les tribunaux administratifs. Et si ces éléments de preuve peuvent être utilisés et invoqués lors d’une audience complète, il n’y a aucune raison pour que la Commission ne puisse pas les utiliser dans une requête en rejet sommaire, surtout compte tenu de la compétence de la Commission en vertu de l’alinéa 20e) de la LCRTESPF lorsqu’il s’agit d’accepter des éléments de preuve, qu’ils soient admissibles ou non en justice.

[74] Dans cet esprit, et au moins en ce qui concerne une plainte selon laquelle un syndicat a manqué à son devoir de représentation équitable, la Commission a accepté le processus que le Conseil canadien des relations industrielles a adopté pour traiter ces plaintes. Une fois que le défendeur a contesté le bien‑fondé de la plainte, le fardeau passe au plaignant, qui doit présenter au moins quelques-uns des éléments de preuve factuels sur lesquels il fonde la plainte. Lorsque ces éléments de preuve, s’ils sont acceptés, peuvent étayer les allégations faites, en ce cas il convient de rejeter une requête en rejet de la plainte. Mais en l’absence de tels éléments de preuve — ou si les éléments de preuve produits ne permettent pas d’étayer l’allégation — la plainte doit être rejetée; voir McRaeJackson, aux paragraphes 1, 2, 13 et 50; Sganos, aux paragraphes 71 à 73.

3. Le plaignant a‑t‑il établi une cause défendable?

[75] L’argumentation du plaignant se résumait aux cinq points suivants, à savoir que :

1. le syndicat lui a donné à penser dans le courriel qu’il lui a envoyé le 3 mars 2021 que la procédure de règlement des griefs ne comportait que deux paliers, plutôt que trois;

2. par conséquent, il n’a pas poursuivi le grief au troisième palier de la procédure de règlement des griefs et il a plutôt présenté une plainte auprès de la CCDP;

3. en raison du fait qu’il n’a pas poursuivi son grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, sa plainte à la CCDP n’a pas été accueillie, ce qu’il n’a découvert que le 14 avril 2022;

4. le refus du syndicat de le représenter au-delà du deuxième palier de la procédure de règlement des griefs a été le résultat des recherches ou analyses juridiques insuffisantes et, quoi qu’il en soit, en tant que syndicat il avait envers lui le devoir de poursuivre son grief de licenciement jusqu’à l’achèvement de la procédure;

5. le défaut du syndicat de l’aviser de son droit de poursuivre son grief au troisième palier de la procédure de règlement des griefs a été le résultat, au mieux, de sa grossière incompétence ou négligence et, au pire, de sa discrimination envers lui.

 

[76] Après avoir examiné la correspondance, les déclarations et les arguments que le plaignant a invoqués, je ne suis pas convaincu que celui-ci ait établi une cause défendable.

[77] Tout d’abord, selon l’argument principal du plaignant, à la fois dans son grief de licenciement et dans sa plainte, le syndicat n’a pas analysé correctement son allégation de discrimination basée sur la situation de famille. Cette allégation en soi ne suffit pas. Le syndicat n’était pas tenu d’analyser avec justesse la solidité de l’allégation du plaignant. La seule obligation qui lui incombait était d’analyser la question de manière équitable, raisonnable et soignée. Autrement dit, le syndicat a le droit de se tromper pourvu qu’il satisfait à ces exigences.

[78] Cela dit, la preuve que le plaignant a invoquée laisse penser que l’analyse du syndicat était effectivement correcte en ce qui avait trait à la faiblesse de sa cause. Pour établir une cause prima facie de discrimination basée sur la situation de famille, un requérant doit établir les quatre éléments suivants :

1. qu’il assume l’entretien et la surveillance d’un membre de sa famille;

2. que l’obligation familiale en cause fait jouer sa responsabilité légale envers le membre de sa famille et qu’il ne s’agit pas simplement d’un choix personnel;

3. qu’il a déployé les efforts raisonnables pour s’acquitter de ses obligations familiales en explorant des solutions de rechange raisonnables et qu’aucune de ces solutions n’est raisonnablement réalisable;

4. que les règles attaquées régissant le milieu de travail entravent d’une manière plus que négligeable ou insignifiante sa capacité de s’acquitter de ses obligations familiales; voir Canada (Procureur général) c. Johnstone, 2014 CAF 110; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Seeley, 2014 CAF 111; Flatt c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 250 (permission d’en appeler à la Cour suprême du Canada refusée, [2016] C.S.C.R. n8 (QL)).

 

[79] Toutefois, les exemples que le plaignant a donnés au syndicat en novembre 2020 ne permettaient pas de satisfaire aux deuxième, troisième et quatrième exigences. Rien ne laissait penser qu’il ne s’acquittait pas de ses obligations envers ses enfants en raison des exigences liées aux examens que le cours lui imposait. À vrai dire, d’après son argumentation, le plaignant s’acquittait de ces obligations, mais ce faisant, sa capacité de rendement aux examens s’en trouvait réduite, selon son allégation. Cependant, cela ne constitue pas de la discrimination basée sur la situation de famille.

[80] En deuxième lieu, la correspondance par courriel que le plaignant a invoquée montre clairement que le syndicat a agi équitablement et raisonnablement en matière de représentation. Il a répondu rapidement à la plainte initiale et aux préoccupations du plaignant. Après avoir soulevé la question de la discrimination basée sur la situation de famille, le plaignant a présenté cet argument à l’employeur. Cela fait, l’employeur en est venu aussi à une décision réfléchie, qu’il a expliquée au plaignant, selon laquelle la demande n’était pas suffisamment solide pour qu’il y donne suite pour lui. Le syndicat n’était pas tenu non plus de citer des sources sures, c’est‑à‑dire, de fournir une analyse juridique détaillée pour expliquer ou justifier sa décision, à tout le moins dans un cas comme le présent, où la décision relevait de la jurisprudence reconnue sur la question. Rien de cela n’indique ou n’appuie, même à première vue, une allégation selon laquelle le syndicat aurait manqué à son devoir de représentation équitable.

[81] En troisième lieu, pour ce qui est de l’allégation selon laquelle le syndicat a fait une fausse déclaration sur le droit du plaignant à une audience au troisième palier de la procédure de règlement des griefs, j’ai déjà conclu que le plaignant savait ou aurait dû savoir qu’il existait en fait un troisième palier de la procédure de règlement des griefs, auquel il avait accès. De plus, même si je présumais (sans accepter) que le plaignant a été induit en erreur, sa cause ne satisferait pas aux critères. Comme je l’ai déjà mentionné, un syndicat n’est pas tenu d’avoir raison lorsqu’il présente un avis ou fait une déclaration, pourvu qu’il ne le fait pas de manière arbitraire ou discriminatoire, ou de mauvaise foi. Cette conclusion s’étend à l’interprétation que fait le syndicat des droits dont jouissent les employés en vertu d’une convention collective. Rien n’indique non plus dans la documentation dont je dispose, à part une simple allégation, que le syndicat ait intentionnellement induit le plaignant en erreur ou qu’il ait fait une fausse déclaration sur ses droits en vertu de la convention collective.

VI. Conclusion

[82] Pour tous ces motifs, je suis convaincu de ce qui suit :

1. la plainte a été déposée hors délai;

2. au vu de la preuve, elle n’a pas établi le manquement du syndicat à son devoir de représentation équitable, ni une cause défendable à l’égard d’un pareil manquement.

 

[83] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VII. Ordonnance

[84] La plainte présentée dans le dossier de la CRTESPF 561-02-45141 est rejetée et j’ordonne la fermeture du dossier.

Le 13 janvier 2023.

Traduction de la CRTESPF

 

Augustus Richardson,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

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