Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Une plainte a été déposée en vertu de l’art. 133 du CCT dans laquelle le plaignant a allégué une violation de l’art. 147 sous forme de menace de prise d’une mesure disciplinaire contre lui pour avoir exercé ses fonctions de membre du comité de santé et de sécurité au travail – le plaignant a appris que la direction prévoyait lancer un nouveau programme dans les locaux de CORCAN et qu’elle avait pris des dispositions pour que les détenus nettoient les locaux à une certaine date – le plaignant estimait qu’on l’avertissait d’une situation potentiellement dangereuse – il a demandé à l’agent de programmes chargé du nouveau programme s’il pouvait visiter la zone avec l’agent et une représentante syndicale – le plaignant a souligné les dangers et a dit qu’il était tout à fait erroné de faire nettoyer la zone par les détenus – à la suite de la visite et pendant une séance d’information avant les quarts, la direction a indiqué que le CCT prévoit que les préoccupations en matière de sécurité doivent être communiquées à la direction et qu’il y avait un risque de paraître intimidant lorsque l’on discute vivement avec un autre employé de refus de travail possibles en raison de préoccupations en matière de sécurité – le plaignant a réagi – il était contrarié et a demandé si l’annonce relative à la sécurité le concernait particulièrement – il a allégué que l’acte de l’employeur au cours de la séance d’information consistant à déclarer publiquement que les préoccupations en matière de sécurité ne devraient pas être communiquées aux autres employés, mais plutôt la direction, constituait une menace de mesure disciplinaire et contrevenait à l’art. 147 du CCT – la Commission a appliqué le critère énoncé dans White c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2022 CRTESPF 52, et a conclu que le plaignant avait agi pour observer le CCT – toutefois, la Commission a conclu que les deux autres éléments du critère énoncé dans White n’avaient pas été satisfaits – le plaignant n’a pas fait l’objet d’une mesure disciplinaire pour ne pas avoir suivi la procédure de l’employeur; il n’a pas non plus été menacé – en fin de compte, l’employeur a modifié son plan et d’autres personnes ont effectué le nettoyage.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date : 20230126

Dossier : 560‑02‑38733

 

Référence : 2023 CRTESPF 8

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Code canadien du travail

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Tim Sterkenburg

plaignant

 

et

 

Conseil du Trésor

(Service correctionnel du Canada)

 

défendeur

Répertorié

Sterkenburg c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant une plainte visée à l’article 133 du Code canadien du travail

Devant : Marie‑Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Corinne Blanchette, Syndicat des agents correctionnels du Canada – Union of Canadian Correctional Officers – CSN

Pour le défendeur : Adam Feldman, avocat

Audience tenue par vidéoconférence

du 7 au 9 septembre 2022.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Plainte devant la Commission

[1] Il s’agit d’une plainte déposée en vertu de l’article 133 du Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L‑2; « CCT »), alléguant une violation de l’article 147, c’est‑à‑dire une menace de prendre une mesure disciplinaire contre un employé pour l’exercice de ses fonctions de membre du comité de santé et de sécurité au travail (SST).

[2] En 2018, au moment des événements en litige, Tim Sterkenburg (le « plaignant ») travaillait au pénitencier de l’Établissement de Kent à Agassiz, en Colombie‑Britannique, à titre d’agent correctionnel classifié au groupe et au niveau CX‑02. Son employeur légal est le Conseil du Trésor, mais aux fins de la présente décision, l’employeur est réputé être le Service correctionnel du Canada (l’« employeur » ou le « défendeur »), auquel le Conseil du Trésor a délégué des pouvoirs en matière de gestion des ressources humaines. Le plaignant fait partie d’une unité de négociation représentée par l’Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – Confédération des syndicats nationaux (UCCO‑SACC‑CSN).

[3] Le plaignant est intervenu dans une situation potentiellement dangereuse et je conclus qu’il a eu raison de le faire. Je conclus également que l’employeur aurait pu mieux gérer la situation. Toutefois, je ne peux pas conclure que l’employeur a enfreint l’article 147 du CCT et, par conséquent, je rejette la plainte.

II. Résumé de la preuve

[4] Le plaignant a témoigné et il a cité deux témoins à témoigner, à savoir Ashley Hepworth, une représentante syndicale, et John Randle, à l’époque le vice‑président régional de l’UCCO‑SACC‑CSN.

[5] L’employeur a cité quatre témoins à témoigner, soit Tysha Owens, directrice adjointe; Suzanne Sly, une gestionnaire des programmes; Terri Marshall, une gestionnaire correctionnelle; et Marie Cossette, à l’époque directrice de l’Établissement de Kent.

[6] Dans l’ensemble, les témoignages n’étaient pas vraiment contradictoires, mais plutôt influencés par les points de vue respectifs des employés et de la direction. Je dois dire que j’ai trouvé le témoignage de Mme Marshall le plus convaincant. Son souvenir était très clair et, même si elle avait été citée à témoigner par l’employeur, elle a dit beaucoup de bien au sujet du plaignant.

[7] Afin de faciliter la compréhension, je relaterai les événements en ordre chronologique.

A. Nettoyage des locaux de CORCAN

[8] L’Établissement de Kent est un établissement à sécurité maximale. Sa population carcérale comprend des délinquants très dangereux et violents. Le plaignant a témoigné qu’en 2018, lorsque les événements visés par la présente plainte ont eu lieu, le moral des employés était faible. Alors qu’auparavant, les employés avaient de bonnes relations avec la direction et que le comité mixte de SST fonctionnait bien, en 2018, les lignes de communication entre les employés et la direction étaient défaillantes. Les agressions commises par des détenus étaient à la hausse, de sorte que les agents correctionnels se sentaient en danger. Pourtant, la direction semblait plus intéressée par des tactiques d’intimidation contre les employés, les accusant de harcèlement, plutôt que d’écouter leurs préoccupations.

[9] En 1999, lorsque le plaignant a commencé à travailler à l’Établissement de Kent, il y avait un programme d’emploi pour les détenus appelé CORCAN; le programme permettait de produire du mobilier et d’employer des détenus.

[10] Le programme avait cessé de fonctionner à l’Établissement de Kent, et les locaux qui lui avaient été affectés servaient de salle de stockage et, selon le plaignant, de [traduction] « parc à ferraille ». Selon lui, ils étaient remplis de débris, y compris de vieux morceaux de l’équipement de fabrication de mobilier.

[11] Le plaignant travaillait depuis longtemps avec des délinquants violents; il estimait qu’il les connaissait bien. Selon lui, les délinquants dangereux peuvent être imprévisibles parce qu’ils ne suivent pas les règles normales. Par désespoir ou coercition de la part d’un autre détenu, un détenu sur le point d’être libéré peut encore compromettre son statut en s’en prenant violemment aux agents correctionnels ou à d’autres détenus.

[12] À titre d’agent correctionnel, le plaignant fait partie de l’unité de négociation représentée par l’UCCO‑SACC‑CSN. D’autres employés, comme les employés chargés des programmes d’activités des détenus, font partie d’une unité de négociation représentée par l’Alliance de la Fonction publique du Canada, qui comprend plusieurs éléments représentant les différents ministères et organismes fédéraux. Au SCC, l’élément est le Syndicat des employés de la sécurité et de la justice (SESJ).

[13] Le 31 mai 2018, le plaignant a appris d’un représentant du SESJ que la direction prévoyait lancer un nouveau programme dans les locaux de CORCAN et qu’elle avait pris des dispositions pour que les détenus nettoient les locaux le 4 juin 2018. Il est ressorti des éléments de preuve présentés à l’audience qu’une note de service avait été envoyée à tous les employés le 31 mai, mais le plaignant ne se souvenait pas de l’avoir lue ce jour‑là, mais plutôt le lendemain.

[14] Le plaignant était depuis longtemps un membre actif du comité de SST et avait souvent reçu des avis de ses collègues concernant des situations qui justifiaient l’attention du comité de SST. Dans son esprit, il s’agissait de ce genre d’événement : on l’avertissait d’une situation potentiellement très dangereuse.

[15] Le plaignant a communiqué avec l’agent de programmes chargé du nouveau programme, soit Jessie Blain, et lui a demandé s’il pouvait visiter la zone. Selon le plaignant, M. Blain avait accepté sans hésiter. M. Blain avait déjà été un agent correctionnel et avait travaillé avec le plaignant, qui estimait qu’il y avait entre eux une bonne relation respectueuse.

[16] Le plaignant a demandé à Mme Hepworth de l’accompagner pour rencontrer M. Blain, afin qu’un témoin soit présent. Ils ont visité la zone et le plaignant a constaté toutes sortes de débris que les détenus pouvaient facilement transformer en armes dangereuses. Il a signalé les dangers à M. Blain et a dit qu’il était tout à fait inacceptable de faire nettoyer la zone par les détenus – il était tout simplement trop dangereux pour les détenus et les agents correctionnels qui superviseraient l’exercice, tant pendant le nettoyage que par la suite, si des articles étaient pris pour une utilisation future comme armes.

[17] Selon le plaignant, le ton était cordial tout au long de la visite. Il estimait qu’il s’acquittait de son devoir de membre du comité de SST, conformément à l’alinéa 126(1)c) du CCT, qui est rédigé comme suit :

126 (1) L’employé au travail est tenu :

126 (1) While at work, every employee shall

[…]

[…]

c) de prendre les mesures nécessaires pour assurer sa propre santé et sa propre sécurité, ainsi que celles de ses compagnons de travail et de quiconque risque de subir les conséquences de ses actes ou omissions;

(c) take all reasonable and necessary precautions to ensure the health and safety of the employee, the other employees and any person likely to be affected by the employee’s acts or omissions;

 

[18] Le plaignant a reconnu que M. Blain avait peut-être été sidéré, car il n’avait pas envisagé toutes les répercussions possibles. En fin de compte, il a convenu qu’il devrait discuter avec la direction et trouver une autre solution pour le nettoyage.

[19] Le plaignant pensait que l’affaire était réglée. Selon lui, il s’agissait là d’un autre cas où il exprimait son opinion sur une situation dangereuse et conseillait ses pairs. Il arrivait souvent que des agents correctionnels le consultent sur des situations où un refus de travail était envisagé en raison d’une violence possible. Selon lui, cette situation n’était pas différente, et il a estimé que le fait de discuter avec la personne directement concernée, soit l’agent des programmes, constituerait le moyen le plus efficace de faire entendre et comprendre clairement les préoccupations.

[20] Mme Hepworth a témoigné à l’audience. Le plaignant lui a demandé de l’accompagner puisqu’elle était une représentante syndicale. Elle a témoigné que la visite de la zone de CORCAN avait été très minutieuse et très instructive. Selon elle, il s’agissait d’une zone très dangereuse en raison de la quantité de débris et de la grande superficie de la zone.

[21] Mme Hepworth a témoigné que M. Blain avait compris le danger possible lorsqu’on le lui a expliqué et qu’il avait semblé accepter les renseignements. Elle n’a pas estimé inhabituel que le plaignant lui demande de l’accompagner – au contraire, selon la pratique habituelle, une inspection était toujours effectuée avec un autre membre du comité de SST ou du syndicat. Elle a déclaré que le plaignant avait été calme, amical et professionnel tout au long de la réunion.

[22] Mme Hepworth a également témoigné du climat malsain qui régnait au milieu de travail à l’époque. Les agents correctionnels estimaient que la direction ne tenait pas compte de leurs préoccupations en matière de santé et de sécurité, malgré l’augmentation des agressions violentes commises par les détenus.

B. Séance d’information avant les quarts

[23] Le lendemain, soit le 1er juin 2018, la séance d’information avant les quarts habituelle a été tenue. Chaque quart de travail commence par une séance d’information donnée par un gestionnaire intermédiaire, qui transmet les renseignements pour la journée (visites, sorties, incidents, etc.).

[24] Cette séance d’information différait sur un point. À la fin de la séance, Mme Marshall, qui donnait la séance d’information, a ajouté un élément d’information que la haute direction lui avait demandé de transmettre : les employés ne devaient pas avertir les autres employés de situations potentiellement dangereuses, mais devaient plutôt en discuter avec la direction.

[25] Quatre témoins à l’audience ont témoigné au sujet de la réunion. Même si je n’ai aucun doute que chaque témoin a dit la vérité, je crois que la position et les intérêts de chacun ont influé sur son témoignage. J’ai estimé que Mme Marshall était la témoin la plus convaincante à cet égard. Elle se souvenait très clairement de la réunion.

[26] Une chose qui m’a frappée au sujet du témoignage de Mme Marshall a été l’anecdote non sollicitée qu’elle a racontée au sujet du plaignant.

[27] Mme Marshall est une gestionnaire correctionnelle. Elle a été citée à témoigner par l’employeur. Selon le témoignage du plaignant, je conclus qu’elle est très respectée par les agents correctionnels. Au début de son interrogatoire principal, elle a été interrogée au sujet de ses antécédents professionnels. Elle avait travaillé à l’Établissement de Kent, était partie pendant une certaine période et y était revenue en 2017. À ce moment‑là de son témoignage, elle a raconté l’histoire suivante.

[28] Elle a dit qu’en se préparant pour l’audience, elle s’est souvenue soudainement de quelque chose qui était survenu le lendemain soir après son retour à l’Établissement de Kent. Il y a eu un incendie qui a semé la pagaille chez les détenus. Au milieu de ce désordre, elle s’est souvenue avoir vu le plaignant prendre en charge la situation et ordonner calmement aux agents correctionnels de régler la situation de façon aussi rapide, efficace et sécuritaire que possible. Elle s’est dit à ce moment-là [traduction] « Bon retour à l’Établissement de Kent » (où il y a des incendies et où les détenus sont dangereux) et combien elle était reconnaissante d’avoir des collègues comme le plaignant.

[29] Mme Owens a témoigné qu’à titre de directrice adjointe, la directrice (Mme Cossette) lui avait demandé de transmettre un message à Mme Marshall, qui devait donner la séance d’information avant les quarts dans l’après‑midi du 1er juin, afin de rappeler aux agents que les préoccupations en matière de sécurité devraient être soulevées auprès de la direction, et non auprès de collègues. Mme Owens a également témoigné qu’elle avait assisté à la séance d’information. Selon ses souvenirs, il s’agissait d’une séance d’information normale. Mme Marshall a passé en revue les annonces relatives au quart habituelles, puis a ajouté un mot sur la procédure à suivre en cas de préoccupations en matière de sécurité au travail. On lui a demandé si elle se souvenait d’autre chose; elle a dit que rien ne sortait de l’ordinaire et qu’elle n’avait ressenti aucun ton dur ni aucune animosité de la part du groupe.

[30] En contre‑interrogatoire, à la question de savoir s’il était normal que la directrice adjointe assiste à une séance d’information avant les quarts, elle a répondu par la négative; elle y a assisté pour appuyer la gestionnaire correctionnelle si des questions étaient soulevées concernant le message de la direction ce jour‑là.

[31] Le souvenir de Mme Marshall était nettement différent. Elle a dit qu’il s’agissait de la séance d’information la plus pénible qu’elle ait jamais donnée et l’une des situations les plus inconfortables dans lesquelles elle s’est retrouvée avec des agents correctionnels.

[32] La séance d’information s’est déroulée normalement jusqu’à ce qu’elle transmette le message concernant la communication des préoccupations en matière de sécurité à la direction plutôt qu’à des collègues. M. Sterkenburg a réagi immédiatement – le message visait‑il la conversation qu’il avait eue avec M. Blain? De plus, qu’y avait‑il de mal à avertir un collègue, surtout si on fait partie du comité de SST?

[33] Mme Marshall a essayé d’expliquer de son mieux et selon ce qu’elle avait compris du message de la direction. En premier lieu, le CCT prévoit que les préoccupations en matière de sécurité doivent être communiquées à la direction et, en deuxième lieu, il y avait un risque de paraître intimidant lorsque l’on discute vivement avec un autre employé de refus de travail possibles en raison de préoccupations en matière de sécurité. Elle souhaitait que le ton demeure général parce qu’elle ne souhaitait pas distinguer le plaignant ou que les agents correctionnels soient en colère contre M. Blain.

[34] Selon Mme Marshall, les agents correctionnels ont réagi avec véhémence. Ils étaient tous bruyants et fâchés et ont déclaré que l’insinuation d’intimidation contre le plaignant était injustifiée. Selon Mme Marshall, elle a senti la charge de leur colère pendant une vingtaine de minutes. Elle n’estimait pas que la colère était dirigée directement contre elle, mais certainement contre la direction, et elle était la seule à entendre le désaccord des agents.

[35] En contre‑interrogatoire, à la question de savoir si Mme Owens était dans la salle, elle a répondu par la négative. Elle était non seulement en arrière, mais aussi dans un coin, de sorte que Mme Marshall ne l’a pas vue, et Mme Marshall s’est sentie complètement seule. En fait, dans son témoignage, elle a dit ceci : [traduction] « Je me suis sentie à la dérive. »

[36] Mme Marshall a déclaré qu’elle croyait que le personnel avait réagi si violemment en raison d’un profond mécontentement à l’égard de l’ensemble du projet et de la direction.

[37] Selon le plaignant, le ton est demeuré respectueux tout au long de la séance, mais il a demandé si l’annonce relative à la sécurité le concernait particulièrement.

[38] M. Randle était un militant syndical. Il avait été président de la section locale pendant deux mandats et, à l’époque, il était vice‑président régional. Il s’est souvenu d’avoir assisté à la séance d’information et avait trouvé très étrange que la gestionnaire correctionnelle ait parlé de la procédure appropriée applicable aux préoccupations en matière de sécurité. Il lui semblait que les préoccupations en matière de sécurité devaient être communiquées d’abord aux personnes concernées, comme l’indique le CCT.

[39] En contre‑interrogatoire, l’employeur a insisté sur le fait qu’il n’avait peut‑être pas assisté à la séance d’information, car il était en congé ce jour‑là. M. Randle a déclaré que même s’il était en congé, il pouvait entrer dans l’établissement pour traiter des affaires syndicales. Il était certain qu’il avait assisté à la réunion. Il ne se rappelait pas que les agents correctionnels avaient été agressifs; il se souvenait de discussions entre les agents correctionnels après le départ de Mme Marshall.

[40] Même si Mme Marshall a été la seule témoin à avoir fait état d’une forte réaction à son annonce, je préfère sa version. Elle a été touchée directement et elle est restée remarquablement neutre à l’époque et encore dans son témoignage.

C. Les suites

[41] Mme Cossette a témoigné que le 31 mai 2018, M. Blain est venu la voir; il était visiblement perturbé. Mme Sly, qui était la superviseure de M. Blain, a également témoigné que M. Blain était très perturbé après avoir rencontré le plaignant au sujet du nettoyage des locaux de CORCAN.

[42] Mme Cossette était d’avis que M. Blain s’était senti intimidé par le plaignant et réagissait à la menace d’un refus de travailler si le projet de nettoyage allait de l’avant. Par conséquent, elle a estimé qu’il était important d’envoyer le message à tous les agents correctionnels selon lequel les préoccupations en matière de sécurité ne devraient pas être soulevées auprès des employés, mais plutôt auprès de la direction. Par conséquent, elle a demandé à Mme Owens de fournir à Mme Marshall un message à transmettre lors de la séance d’information quotidienne.

[43] Mme Cossette a déclaré qu’elle ne pouvait rien faire pour M. Blain et qu’il aurait dû déposer une plainte dans le cadre du processus de règlement des plaintes de harcèlement. En contre‑interrogatoire, elle a été interrogée au sujet d’une enquête sur le comportement intimidant d’un autre agent correctionnel qu’elle avait ordonnée. Elle a répondu que les faits étaient entièrement différents; cette enquête concernait un comportement inacceptable de longue date. Dans le cas présent, il s’agissait d’une occurrence unique, qui était liée à une préoccupation valide en matière de sécurité.

[44] Le 2 juin 2018, un membre du comité de SST a envoyé un courriel à Mme Owens, qui était rédigé comme suit :

[Traduction]

[…]

Le recours aux détenus pour nettoyer les locaux de CORCAN crée plusieurs dangers qui nécessitent des mesures d’atténuation. Ce n’est pas une façon normale de recourir aux travailleurs détenus dans cet établissement. Selon le code du travail, vous devez consulter le comité de SST lorsque vous apportez ce type de modification aux activités normales. Je vous informe donc, conformément à mon rôle en tant que membre du comité de SST en milieu de travail, que si vous poursuivez cette mesure sans consultation, vous contreviendriez au code du travail.

[…]

 

[45] Le courriel comportait également une citation des dispositions du CCT (par. 125(1), al. z.05) et z.06)) que l’employeur enfreindrait en ne consultant pas le comité de SST avant que les détenus n’effectuent le nettoyage.

[46] Mme Cossette et Mme Owens ont parlé en bien de ce courriel – il s’agissait de la bonne façon de traiter toute préoccupation en matière de sécurité, en informant directement la direction. Elles n’ont formulé aucun commentaire sur le fait que le courriel semblait mettre en évidence l’omission de la direction de consulter effectivement le comité de SST.

[47] Le 7 juin 2018, M. Blain a envoyé un courriel à la direction, faisant état d’une visite ce jour‑là par la direction, le comité de SST et les représentants syndicaux des locaux de CORCAN et signalant plusieurs préoccupations en matière de sécurité. En fin de compte, la direction a décidé de retenir les services d’entrepreneurs externes pour effectuer le nettoyage.

[48] Des éléments de preuve relatifs aux enquêtes sur les plaintes d’intimidation m’ont été présentés. Je ne tire aucune conclusion de ces éléments de preuve, car ils concernent des personnes et des événements dont je n’étais pas saisie. Toutefois, ils permettent de confirmer qu’à l’époque pertinente, la direction était aux prises avec ce qu’elle considérait comme de graves situations d’intimidation.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le plaignant

[49] Le plaignant allègue que l’acte de l’employeur au cours de la séance d’information du 1er juin 2018 consistant à déclarer publiquement que les préoccupations en matière de sécurité ne devraient pas être communiquées aux autres employés, mais plutôt à la direction, constituait une menace de mesure disciplinaire et qu’il contrevenait à l’article 147 du CCT, qui est rédigé ainsi :

147 Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s’il ne s’était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre — ou menacer de prendre — des mesures disciplinaires contre lui parce que :

147 No employer shall dismiss, suspend, lay off or demote an employee, impose a financial or other penalty on an employee, or refuse to pay an employee remuneration in respect of any period that the employee would, but for the exercise of the employee’s rights under this Part, have worked, or take any disciplinary action against or threaten to take any such action against an employee because the employee

a) soit il a témoigné — ou est sur le point de le faire — dans une poursuite intentée ou une enquête tenue sous le régime de la présente partie;

(a) has testified or is about to testify in a proceeding taken or an inquiry held under this Part;

b) soit il a fourni à une personne agissant dans l’exercice de fonctions attribuées par la présente partie un renseignement relatif aux conditions de travail touchant sa santé ou sa sécurité ou celles de ses compagnons de travail;

(b) has provided information to a person engaged in the performance of duties under this Part regarding the conditions of work affecting the health or safety of the employee or of any other employee of the employer; or

c) soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.

(c) has acted in accordance with this Part or has sought the enforcement of any of the provisions of this Part.

 

[50] Dans White c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2022 CRTESPF 52, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») a énoncé les principes pour déterminer si un employeur a contrevenu à l’article 147 du CCT.

[51] M. White était un agent correctionnel à l’Établissement de Kent. À la suite d’une agression à l’arme blanche impliquant des détenus de deux unités, il a refusé d’escorter un détenu d’une unité à l’autre pour qu’il rencontre des avocats, car il estimait que cela créait une situation dangereuse. Les deux unités étaient toujours en confinement et n’avaient pas encore fait l’objet d’une fouille complète afin de trouver des armes. Il a reçu une réprimande verbale pour ne pas avoir suivi les directives et pour avoir informé les avocats de l’agression à l’arme blanche.

[52] La Commission a conclu que les trois critères pertinents avaient été remplis : M. White a agi pour observer le CCT et a fait l’objet d’une mesure disciplinaire, et il y avait un lien entre les deux événements.

[53] Selon le plaignant, le même raisonnement s’applique dans le présent cas. Il a averti M. Blain des préoccupations en matière de sécurité liées au nettoyage des locaux de CORCAN, pour observer le CCT, il a été menacé de mesures disciplinaires lors de la séance d’information, et ces événements étaient directement liés.

[54] L’employeur a eu tort de dire que la procédure appropriée consistait à avertir la direction plutôt qu’un autre employé; cela contredirait l’alinéa 126(1)c) du CCT. De plus, le plaignant était un membre du comité de SST depuis environ 17 ans. Le fait de ne pas pouvoir parler d’un danger rendrait le travail du comité de la SST subordonné à l’employeur, ce qui n’était manifestement pas l’intention du comité mixte de SST prévu par le CCT.

[55] Avant de donner des directives afin que le rappel soit lu à la séance d’information, Mme Cossette n’a jamais communiqué avec le plaignant pour entendre sa version des événements que M. Blain lui avait signalés. Par conséquent, elle ne savait pas que le plaignant avait agi à la demande du SESJ.

[56] Même s’il semble qu’elle avait conclu que M. Blain avait été intimidé, Mme Cossette n’a pas tenté d’enquêter sur la situation; elle a simplement menacé le plaignant de la possibilité d’une conclusion d’intimidation.

[57] En fin de compte, le plan de nettoyage n’a pas été mis en œuvre; cela démontre que la préoccupation du plaignant était raisonnable. Pourtant, il a été menacé d’une conclusion d’intimidation possible.

B. Pour le défendeur

[58] Le plaignant invoque une interprétation erronée de l’alinéa 126(1)c) du CCT, qui exige de prendre « les mesures nécessaires ». Selon l’employeur, cela signifie que le danger doit être imminent, ce qui n’était pas le cas dans la présente affaire. Le 2 juin, le comité de SST a communiqué avec la direction pour régler la situation. Il n’y avait aucun danger immédiat le 31 mai.

[59] L’employeur soutient plutôt que l’alinéa 126(1)g) s’applique; il est rédigé ainsi :

126 (1) L’employé au travail est tenu :

126 (1) While at work, every employee shall

[…]

g) de signaler à son employeur tout objet ou toute circonstance qui, dans un lieu de travail, présente un risque pour sa santé ou sa sécurité ou pour celles de ses compagnons de travail ou des autres personnes à qui l’employeur en permet l’accès;

(g) report to the employer any thing or circumstance in a work place that is likely to be hazardous to the health or safety of the employee, or that of the other employees or other persons granted access to the work place by the employer;

[…]

 

[60] La réaction du plaignant à un simple rappel de la procédure appropriée était déraisonnable; il n’était pas nécessaire de s’emporter.

[61] L’employeur est d’avis que le plaignant n’a pas agi conformément au CCT et que, par conséquent, l’employeur ne peut pas l’avoir enfreint. On a rappelé au groupe d’agents correctionnels les procédures appropriées. Le plaignant a lui-même fait le lien avec sa situation lorsqu’il a demandé à Mme Marshall si le rappel faisait suite à sa conversation avec M. Blain. À proprement parler, aucune menace n’a été faite contre le plaignant personnellement; le message était formulé en termes généraux.

[62] En fait, Mme Cossette était préoccupée au sujet de M. Blain. Il était manifestement ébranlé après avoir rencontré le plaignant.

[63] Le fait de communiquer avec un collègue en vue d’annuler un projet n’est pas utile en ce qui concerne les relations de travail.

IV. Motifs

A. Analyse

[64] Les deux parties ont invoqué le paragraphe 126(1) du CCT pour étayer leur position; le plaignant soutenait qu’il avait l’obligation d’avertir M. Blain et l’employeur affirmait que l’obligation du plaignant consistait à discuter avec la direction au sujet de tout danger.

[65] Tout au long de son témoignage, le plaignant a allégué que l’employeur n’avait pas pris au sérieux les préoccupations en matière de sécurité soulevées par le comité de SST. Mme Cossette a beaucoup insisté sur l’importance de mettre en œuvre des programmes pour les détenus. Il semblait vraiment exister une déconnexion, ce qui a été confirmé par la plupart des témoins.

[66] Le critère applicable a été reformulé dans White, au paragraphe 73, comme suit :

[…]

1. Le plaignant a‑t‑il observé les dispositions de la partie II du Code ou cherché à en assurer l’application (article 147)?

2. Le défendeur a‑t‑il pris une mesure interdite par l’article 147 du Code à l’égard du plaignant (articles 133 et 147)?

3. Existe‑t‑il un lien direct entre a) les mesures prises contre le plaignant et b) l’observation des dispositions de la partie II du Code ou le fait de chercher à en assurer l’application par le plaignant?

 

[67] Si je tiens compte du critère tel qu’il a été formulé dans White, je conclus que le plaignant a effectivement agi pour observer le CCT, car il se préoccupait réellement d’une situation dangereuse et estimait que la voie la plus directe pour en informer la direction consistait à signaler le danger à la personne directement chargée du programme.

[68] Toutefois, je ne peux pas conclure que les deux autres éléments du critère sont remplis. Le plaignant n’a pas fait l’objet d’une mesure disciplinaire pour ne pas avoir suivi la procédure de l’employeur. Il n’a pas non plus été menacé. L’implication d’intimidation sous‑jacente au rappel a été soulevée d’abord par le plaignant, et non par l’employeur.

[69] La question peut être formulée assez simplement : Le plaignant avait‑il raison de donner une mise en garde contre le danger que les détenus effectuent le nettoyage des locaux de CORCAN? Oui, il avait raison. L’employeur avait‑il raison de déclarer que les préoccupations devraient être communiquées à la direction plutôt qu’à des collègues? La réponse est un oui conditionnel.

[70] Dans le contexte d’un pénitencier à sécurité maximale, je n’estime pas que les règles devraient être rigides. Je comprends la position de la direction; si un changement de plan est nécessaire en raison de préoccupations réelles en matière de sécurité, la direction doit prendre cette décision. Par conséquent, il est tout à fait logique que la direction soit informée de la situation. Cela dit, le plaignant a témoigné au sujet du fait qu’à titre de membre du comité de SST, il a souvent été consulté par ses collègues relativement à des situations dangereuses et a donné des conseils.

[71] La raison pour laquelle je ne peux pas conclure à une contravention de l’article 147 est qu’aucune sanction n’a été imposée au plaignant pour avoir discuté avec M. Blain. Le plaignant, ainsi que les agents correctionnels présents à la séance d’information, ont été informés de la procédure que la direction souhaitait qu’ils suivent.

[72] Le contexte décrit par les deux parties explique en grande partie ce que je ne peux qualifier que de malentendu entre les parties. Il est impossible de savoir si M. Blain a été intimidé, mais il est sûr que sa conversation avec le plaignant a donné lieu à un changement de la façon dont le nettoyage serait effectué.

[73] Je dois noter ici que beaucoup a été dit au sujet de M. Blain tout au long de l’audience, mais que M. Blain n’a pas témoigné. J’ai dit aux parties que je ne tirerais aucune conclusion négative à l’égard de l’une ou de l’autre des parties pour ne pas avoir cité M. Blain à témoigner. Par conséquent, à partir de tous les témoignages, je dois déduire la réaction de M. Blain à l’inspection du plaignant et à ses vives préoccupations.

[74] L’employeur a fait grand état de l’intimidation que M. Blain aurait pu ressentir, mais je n’en ai aucune preuve. Je crois qu’il était perturbé, mais l’employeur défend son propre intérêt en affirmant que le plaignant a causé cette perturbation. Il est plus logique de croire que M. Blain était contrarié parce que son projet pouvait dérailler lorsqu’on lui a fait remarquer à quel point il était dangereux que des détenus procèdent au nettoyage.

[75] Compte tenu strictement des événements du 31 mai et du 1er juin 2018, il est difficile de s’empêcher de penser qu’il s’agit d’une tempête dans un verre d’eau. Le plaignant a mis en garde une personne; il aurait dû en avertir une autre, selon l’employeur, et on lui a rappelé qu’il aurait dû le faire.

[76] Toutefois, en réduisant le problème, on ne tient pas compte de tous les témoignages que j’ai entendus qui constituent le contexte très important de ces événements. J’énumère ici les faits qui, selon moi, étaient vrais au moment des événements en litige :

· un pénitencier à sécurité maximale qui abrite des détenus dangereux, violents et imprévisibles;

· une relation malsaine entre la direction et ses agents correctionnels et un mépris de la part de la direction pour les préoccupations en matière de SST exprimées par le comité;

· une préoccupation vraie et honnête de la part du plaignant selon laquelle le plan visant à faire nettoyer les locaux de CORCAN par les détenus était potentiellement très dangereux;

· le changement de plans par l’employeur peu après que le plaignant ait soulevé le problème;

· l’extrême sensibilité des agents correctionnels à la notion d’être accusés d’intimidation, liée à d’autres situations (dont je n’ai reçu aucun élément de preuve direct).

 

[77] Au lieu de donner un message qui pouvait laisser entendre une vague menace d’une conclusion d’intimidation, la haute direction aurait pu discuter directement avec le comité de SST au sujet du problème en matière de sécurité (on a dû lui rappeler son obligation). La direction avait le droit de déclarer que les employés devaient soulever les problèmes en matière de sécurité auprès d’elle pour changer l’orientation. Il est malheureux que le fait de le soulever au cours d’une séance d’information ait provoqué une réaction suscitée par la sensibilité des agents correctionnels à la possibilité d’accusations de harcèlement et d’intimidation.

[78] Il ressort clairement des témoignages que j’ai entendus, dont celui de Mme Cossette, que la relation entre la direction et le comité de SST, ainsi qu’avec le plaignant, n’était ni positive ni collaborative. En raison de ce contexte, la communication était difficile, pour ne pas dire plus. La direction aurait dû savoir que le fait de laisser entendre vaguement une conclusion d’intimidation irriterait le plaignant.

[79] Mme Cossette a fait grand état du fait qu’elle ne pouvait rien faire à propos du sentiment d’intimidation de M. Blain (selon elle). Il aurait fallu qu’il dépose une plainte pour que des mesures soient prises.

[80] Cette affirmation n’est pas logique et démontre la communication déficiente qui était omniprésente au sein de l’établissement. Mme Cossette aurait pu avoir une discussion avec le plaignant et le comité de SST pour répondre aux préoccupations de M. Blain. Encore une fois, je ne peux pas conclure que l’employeur a contrevenu à l’article 147 du CCT, mais je suis consternée de voir à quel point la situation a été mal gérée et à quel point on a manqué de respect envers le plaignant. Je n’ai aucun doute que sa motivation était sa préoccupation quant à la sécurité des employés et des détenus. Cela aurait dû être noté et respecté.

B. Conclusion

[81] En fin de compte, l’employeur a modifié son plan et d’autres personnes ont effectué le nettoyage. L’employeur n’a imposé aucune sanction contre le plaignant pour ce qu’il considérait comme la mauvaise façon d’exprimer des préoccupations en matière de sécurité. Je conclus qu’il n’a pas menacé d’imposer une mesure disciplinaire, même s’il s’agit de ce que le plaignant avait compris, en grande partie en raison de la perception des employés du mépris manifeste de la direction pour les préoccupations en matière de santé et de l’accent mis sur l’intimidation.

[82] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[83] La plainte est rejetée.

Le 26 janvier 2023.

Traduction de la CRTESPF

Marie‑Claire Perrault,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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