Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a été licencié de son poste CX après avoir plaidé coupable à des infractions liées aux armes – il était amateur d’armes à feu; il appartenait à un club de tir et avait été instructeur d’armes à feu pour l’employeur – au départ, le fonctionnaire s’estimant lésé a été accusé de 14 infractions liées à la possession et à l’entreposage inapproprié d’armes – il a plaidé coupable à 2 des accusations et a été déclaré non coupable aux 12 autres – on lui a accordé une libération conditionnelle – au début de l’audience, le fonctionnaire s’estimant lésé a demandé que la décision fasse l’objet d’une anonymisation parce que l’article 6.1 de la Loi sur le casier judiciaire (L.R.C. (1985), ch. C-47) prévoit que son dossier de libération conditionnelle sera scellé trois ans après sa condamnation – l’arbitre de grief a jugé que sa demande était prématurée, car cette loi ne s’appliquait pas encore à lui, mais qu’il pouvait présenter la demande une fois qu’elle s’appliquerait – le fonctionnaire s’estimant lésé a commandé deux filtres à carburant ou pièges à solvant sur Internet, croyant qu’ils contribueraient à faire baisser la consommation d’essence de sa voiture – les articles étaient en fait illégaux au Canada, car ils pouvaient être transformés en silencieux en y perçant des trous – dans des circonstances normales, l’Agence des services frontaliers du Canada procéderait simplement à une saisie administrative, et aucune autre mesure ne serait prise, mais l’employeur a informé la Gendarmerie royale du Canada (GRC) que le fonctionnaire avait reçu une suspension de 7 jours pour avoir harcelé une collègue – le fonctionnaire a contesté cette mesure disciplinaire, mais le grief était toujours en instance – par conséquent, la GRC a décidé de procéder à une livraison contrôlée – après que la résidence du fonctionnaire s’estimant lésé ait été fouillée, il a été arrêté et inculpé puisque, entre autres, la GRC a trouvé un fusil de chasse à canon tronqué, un silencieux artisanal et une caisse de munitions déverrouillée – le fonctionnaire s’estimant lésé a plaidé coupable à la possession du fusil de chasse et du silencieux artisanal – initialement, l’employeur l’avait suspendu après le dépôt des accusations – il l’a ensuite réaffecté à des fonctions administratives dans un autre établissement avant que le fonctionnaire s’estimant lésé ne prenne un congé de maladie pour le reste de la période précédant la date de son procès – après avoir plaidé coupable et avoir été reconnu coupable, l'employeur a mis fin à son emploi – le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné qu’il avait acheté le fusil de chasse à canon tronqué alors qu’il était adolescent, par curiosité, et qu’on lui avait dit qu’il était inutilisable – il avait oublié qu’il le possédait – les essais de l’arme ont montré que même si certaines pièces manquaient, l’arme était néanmoins en état de tirer – le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné qu’au début, il n’avait aucune idée d’où venait le silencieux artisanal et qu’il n’a réalisé que des mois après les événements en cause que c’était pour son fils, qui possédait une arme à air comprimé, et que c’était en fait légal – l’employeur a jugé que les explications du fonctionnaire s’estimant lésé n’étaient pas crédibles et qu’elles contrevenaient au Code de discipline et aux Règles de conduite professionnelle de l’employeur, ainsi qu’au Code de valeurs et d’éthique du secteur public – comme le lien de confiance avait été rompu, l’employeur a mis fin à l’emploi du fonctionnaire s’estimant lésé – le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté des éléments de preuve concernant deux autres agents correctionnels qui avaient été reconnus coupables d’infractions criminelles (l’un concernait la possession d’un silencieux et d’un chargeur à grande capacité, ainsi que l’entreposage inapproprié d’armes à feu, et l’autre, une agression causant des lésions corporelles), mais qui n’avaient pas été licenciés – l’arbitre de grief a soutenu que le fonctionnaire s’estimant lésé avait enfreint le Code de discipline lorsqu’il avait plaidé coupable à deux infractions criminelles, mais que l’employeur n’avait jamais mentionné les dispositions de ce code qu’il avait enfreintes et que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas enfreint les Règles de conduite professionnelle en ce qu’il avait informé l’employeur des accusations portées contre lui – l’arbitre de grief a conclu que la probabilité de récidive était faible – le fonctionnaire a coopéré pleinement à l’enquête – bien que l’employeur ne l’ait pas jugé crédible, l’arbitre de grief a indiqué qu’elle avait conclu le contraire – l’arbitre de grief a reproché à l’employeur d’avoir demandé que le rapport final du comité disciplinaire soit présenté avant que le fonctionnaire s’estimant lésé ne comparaisse devant le tribunal, où les accusations ont finalement été tranchées – il a plutôt fondé sa conclusion sur les accusations portées contre le fonctionnaire s’estimant lésé et non sur leur jugement final – l’arbitre de grief a conclu que le lien de confiance n’avait pas été rompu et que le fonctionnaire s’estimant lésé ne constituait pas un danger, et a fait remarquer que l’employeur avait continué de l’employer alors qu’il attendait son audience devant le tribunal – l’arbitre de grief a conclu que le licenciement n’était pas justifié puisque les infractions et ses fonctions n’avaient aucun lien, que l’employeur n’avait pas été discrédité et que le fonctionnaire n’avait rien fait pour rompre le lien de confiance – l’arbitre de grief a conclu que le cas de l’agent correctionnel n’ayant pas été licencié était déterminant, malgré des faits similaires – l’arbitre de grief a ordonné la réintégration du fonctionnaire s’estimant lésé et le licenciement a été remplacé par une suspension de 20 jours, compte tenu de ses antécédents disciplinaires.

Grief accueilli.

(La version intégrale de la décision sera publiée lorsqu’elle sera disponible dans les deux langues officielles.)

Contenu de la décision

Date: 20230209

Dossier: 566-02-43760

 

Référence: 2023 CRTESPF 12

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Ian Guillemette

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(Service correctionnel du Canada)

 

défendeur

Répertorié

Guillemette c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Charlie Arsenault-Jacques, avocate

Pour le défendeur : Alexandre Toso, avocat

Affaire entendue par vidéoconférence,

du 18 au 21 juillet et les 24 et 25 novembre 2022.

(Arguments écrits déposés les 16 et 23 décembre 2022.)


MOTIFS DE DÉCISION

I. Demande d’anonymisation

[1] La présente décision porte sur un grief contestant un licenciement. À la fin de l’audience, Ian Guillemette, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire ») a demandé l’anonymisation de son dossier à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») ainsi qu’un intitulé de cause ne comportant que ses initiales. J’ai demandé aux parties de me présenter leurs arguments par écrit.

A. Arguments

1. Pour le fonctionnaire

[2] Le fonctionnaire a reçu une absolution conditionnelle après avoir plaidé coupable à deux chefs d’accusation. Il a été licencié en raison de ce plaidoyer de culpabilité. Son dossier judiciaire est donc au cœur même de la décision que doit rendre la Commission sur son grief contestant son licenciement.

[3] Or, la Loi sur le casier judiciaire (L.R.C. (1985), ch. C-47; LCJ) prévoit, à l’article 6.1, que trois ans après le prononcé d’une sentence d’absolution conditionnelle, il est interdit de communiquer l’existence de la sentence sauf dans des situations précisées par la LCJ. En outre, la personne qui fait l’objet de cette sentence peut alors présenter une Demande de non-communication de renseignements contenus aux registres et relevés informatisés en matière criminelle, de sorte que toute information relative à l’absolution ou les accusations portées devient inaccessible au public.

[4] Le fonctionnaire a reçu une sentence d’absolution conditionnelle le 11 juin 2021, après avoir plaidé coupable à deux chefs d’accusation. Il a l’intention de présenter une demande de non-communication de renseignements une fois la période de trois ans écoulée. Afin de préserver la protection que lui offre la LCJ, le fonctionnaire demande l’anonymisation de tous les documents de la Commission relatifs au dossier de grief 566-02-43760 qui pourraient permettre de l’identifier.

[5] Plus précisément, le fonctionnaire demande ce qui suit :

1) Mettre un intitulé de cause avec ses initiales seulement;

2) supprimer des dossiers de la Commission toute information permettant de l’identifier (nom, adresse courriel et résidentielle, numéro de téléphone);

3) mettre sous scellés certains documents déposés à l’audience (relatifs à l’enquête policière, les conditions de l’absolution et les certificats du fonctionnaire) qui ne peuvent être caviardés.

 

[6] Le fonctionnaire reconnaît l’importance de la transparence des débats judiciaires, maintes fois affirmée par la jurisprudence et reprise dans la politique de la Commission (Politique sur la transparence et la protection de la vie privée). Toutefois, il peut y avoir des circonstances où la dérogation à ce principe serait indiquée, selon le critère élaboré par la Cour suprême du Canada et reformulé récemment dans l’arrêt Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25 comme suit au par. 38 :

1) la publicité des débats judiciaires pose un risque sérieux pour un intérêt public important;

2) l’ordonnance sollicitée est nécessaire pour écarter ce risque sérieux pour l’intérêt mis en évidence, car d’autres mesures raisonnables ne permettront pas d’écarter ce risque; et

3) du point de vue de la proportionnalité, les avantages de l’ordonnance l’emportent sur ses effets négatifs.

 

[7] La LCJ permet d’effacer du domaine public les accusations et le prononcé de sentence dans le cas d’une absolution. La Cour fédérale (dans E.S. c. Canada (Procureur général), 2017 CF 1127) et la Commission (dans N.L. c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2022 CRTESPF 82) ont jugé que, compte tenu des objectifs de réhabilitation et de réinsertion sociale visés par le mécanisme de non-communication de l’article 6.1 de la LCJ, il était préférable d’accorder l’anonymat à des demandeurs engagés dans des démarches relatives à l’emploi.

[8] Ce même raisonnement devrait s’appliquer ici. La réhabilitation que permet la LCJ est un intérêt public important. Le fonctionnaire cite comme suit la conclusion de la Commission dans N.L., au par. 71 :

[71] Dévoiler l’identité du fonctionnaire en lien avec sa condamnation et les accusations qui ont mené à cette condamnation, ou rendre ces renseignements accessibles au public, serait contraire aux intérêts que cherche à protéger [la LCJ] […]

 

[9] Tout comme dans N.L., la condamnation et les accusations sont au cœur du grief du fonctionnaire sur lequel porte la présente décision. On ne peut faire la lumière sur l’ensemble de faits sans parler de la sentence judiciaire. Par conséquent, l’anonymisation est le seul moyen de préserver la protection offerte par la LCJ.

[10] La demande est limitée. La décision sera publique. Les documents resteront accessibles par le public, en caviardant ce qui pourrait permettre d’identifier le fonctionnaire.

[11] Le fonctionnaire concède que son casier judiciaire n’est pas encore suspendu, puisque cette suspension a lieu trois ans après le prononcé de l’absolution conditionnelle selon l’article 6.1 de la LCJ. Dans le cas de N.L., l’absolution était inconditionnelle, de sorte que la suspension opérait après un an, et déjà au moment où la Commission a été saisie de la demande d’anonymisation. Si la Commission estime que les conséquences de la LCJ doivent attendre que la suspension soit en vigueur, le fonctionnaire demande que l’anonymisation se fasse dès le troisième anniversaire de l’absolution, soit le 11 juin 2024.

2. Pour l’employeur

[12] L’employeur s’oppose à la demande d’anonymisation parce qu’elle est contraire au principe de la transparence des débats judiciaires. En outre, la situation ne correspond pas aux trois éléments du critère énoncé par la Cour suprême : il n’y a pas de risque sérieux pour un intérêt public important; il existe d’autres moyens moins attentatoires à la publicité des débats judiciaires; le fonctionnaire n’a pas établi que les effets bénéfiques de l’ordonnance l’emportaient sur ses effets préjudiciables.

[13] On ne peut minimiser l’importance du caractère public des procédures judiciaires et quasi judiciaires. Il s’agit d’un principe fondamental de notre système de justice.

[14] L’employeur est d’accord que le critère en trois volets élaboré dans Sherman doit s’appliquer ici. Or, selon lui, le fonctionnaire ne satisfait aux exigences d’aucun de ces volets.

[15] Il n’y a aucun risque pour un intérêt public important. Il ne suffit pas de procurer un avantage personnel pour justifier une demande d’anonymisation. Le fonctionnaire n’a démontré aucun risque d’intérêt public du fait de la publication de son nom. Son employeur actuel, ainsi que son ancien employeur, sont au courant de l’existence de son casier judiciaire.

[16] Selon l’employeur, il n’y a pas lieu d’appliquer les conséquences de la suspension du casier judiciaire par anticipation. Puisque la période de trois ans n’est pas encore écoulée, le fonctionnaire n’a pas droit au bénéfice de la protection contre la divulgation des renseignements judiciaires. Il cite à cet égard l’arrêt de la Cour suprême du Canada Montréal (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse), 2008 CSC 48, et notamment le paragraphe 18, qui se lit comme suit :

[18] Par ailleurs, comme la protection contre la divulgation des informations qu’accorde la LCJ aux personnes absoutes conditionnellement ne prend effet qu’à compter de l’expiration d’un délai de trois ans, il n’y a pas lieu de conclure que les personnes absoutes en vertu du par. 730(1). C. cr. bénéficient des effets de la réhabilitation dès le moment de l’ordonnance d’absolution.

 

[17] Selon l’employeur, l’article 6.1 de la LCJ n’a aucune incidence sur la Commission et ses travaux, puisque la Commission n’est ni un ministère ni un organisme fédéral tel qu’il est défini dans la loi.

[18] Selon la pratique habituelle de la Commission, les renseignements personnels du fonctionnaire peuvent être caviardés. L’anonymisation n’est pas nécessaire, et contraire au principe de transparence.

[19] Enfin, le fonctionnaire n’a pas démontré que les avantages de l’anonymisation l’emportaient sur l’effet négatif d’une ordonnance de confidentialité.

B. Décision sur la demande d’anonymisation

[20] L’ordonnance de confidentialité est accordée selon le critère élaboré par la Cour suprême du Canada dans une série d’arrêts dont le plus récent est Sherman. Les deux parties ont appliqué cet arrêt (avec des conclusions différentes), donc je ne reviendrai pas sur le critère.

[21] Avant d’appliquer ce critère aux faits du présent cas, il convient de réitérer, comme le fait à maintes reprises la Cour suprême dans Sherman, l’importance du principe de la transparence des débats judiciaires et quasi judiciaires que confirme la Politique sur la transparence et la protection de la vie privée de la Commission. De façon générale, les audiences sont publiques et les décisions portent le nom de la personne qui réclame ses droits devant la Commission.

[22] L’ordonnance de confidentialité, quelle que soit la forme qu’elle prenne, est une exception à cette règle importante. Il faut donc l’accorder avec modération et rigueur.

[23] Les parties m’ont présenté deux décisions récentes de la Commission qui portent sur une requête en anonymisation : N.L. et une décision encore non publiée.

[24] Comme nous le verrons dans la décision sur le grief qui suit, les circonstances entourant la requête en anonymisation dans N.L. s’apparentent à celles du grief dont je suis saisie. Dans les deux cas, un fonctionnaire plaide coupable à une infraction criminelle qui est directement liée au motif de licenciement qui fait l’objet d’un grief renvoyé à l’arbitrage devant la Commission.

[25] La seconde décision fait présentement l’objet d’une demande de contrôle judiciaire devant la Cour d’appel fédérale. La demanderesse a demandé qu’elle ne soit pas diffusée entre-temps, demande que la Commission a accordée. Dans cette décision, la requête en anonymisation, fondée sur la protection de la dignité et de la vie privée, a été refusée, essentiellement parce que des moyens moins attentatoires au principe de la transparence des débats judiciaires pouvaient servir pour protéger les intérêts de vie privée de la demanderesse.

[26] Les faits dans la présente affaire sont plus semblables à la situation dans N.L. Dans cette décision, la Commission s’est prononcée sur l’interaction entre la LCJ et la procédure devant la Commission dans le cadre d’une audience de grief.

[27] La LCJ prévoit la non-divulgation de l’information relative à une absolution prononcée par une cour de justice. Dans le cas d’une absolution inconditionnelle, la personne qui a reçu l’absolution peut faire une demande de non-communication des renseignements relatifs aux accusations portées et à l’absolution prononcée après un an; dans le cas d’une absolution conditionnelle, la période d’attente est de trois ans.

[28] La non-divulgation lie les organismes fédéraux. La Commission, dans N.L., a jugé qu’il n’était pas nécessaire de décider si la LCJ liait la Commission légalement. Il s’agit plutôt de constater que la LCJ a pour objectif de minimiser les conséquences du casier judiciaire en offrant une mesure de protection. La divulgation de l’identité du fonctionnaire serait contraire à l’intention des dispositions pertinentes de la LCJ.

[29] Il s’agit donc d’un intérêt public important qu’il convient de protéger, dans la mesure où il s’agit de respecter le régime légal qui s’applique aux modalités relatives au casier judiciaire dans le cas d’une absolution. Je ne vois pas comment je pourrais m’écarter des conclusions de la Commission dans N.L. à savoir que la confidentialité assurée par la LCJ constitue un intérêt public important, parce qu’au-delà des intérêts d’un particulier, elle favorise de façon générale la réhabilitation et la réinsertion sociale.

[30] Il y a toutefois une distinction importante. Dans le cas de N.L., l’absolution était inconditionnelle, et le délai était donc d’un an, et l’effet de l’article 6.1 de la LCJ opérait déjà. Dans le cas présent, parce que l’absolution est conditionnelle, la suspension du casier judiciaire prend effet après trois ans.

[31] L’employeur soutient que cela signifie que, pour le moment, le fonctionnaire ne peut bénéficier de l’anonymisation qui serait la suite logique de la demande de non‑communication des renseignements liés à l’absolution. En fait, le fonctionnaire est prêt à concéder sur ce point, et demande que l’anonymisation, si elle n’est pas accordée immédiatement, soit accordée après le 11 juin 2024 (trois ans après le prononcé de l’absolution conditionnelle).

[32] La Cour suprême dans Montréal (Ville) déclare que les avantages de la réhabilitation n’opèrent pas avant la fin de la sentence conditionnelle. Dans ce dossier, il s’agissait de déterminer l’effet d’un pardon (accordé automatiquement par l’effet d’une sentence d’absolution, vu l’absence de condamnation) sur la protection contre la discrimination en vertu des lois sur les droits de la personne. Puisque le pardon n’opère qu’après trois ans dans le cas d’une absolution conditionnelle, on ne pouvait soutenir qu’il était accordé avant cette période.

[33] De la même façon, l’article 6.1(1) de la LCJ ne s’applique pas encore au fonctionnaire, puisque la période prévue en cas d’absolution conditionnelle n’est pas encore écoulée. Par conséquent, l’intérêt public important de respecter les modalités d’une loi d’ordre public n’existe pas encore.

[34] Toutefois, suivant le raisonnement de N.L., il s’appliquera une fois que la période de trois ans sera achevée. À ce moment-là, la décision pourra être anonymisée.

[35] Le fonctionnaire a également demandé la mise sous scellés de documents qui ne peuvent être caviardés et qui pourraient l’identifier. Ces documents ne sont pas essentiels pour la compréhension de la décision sur le grief. Par contre, pour respecter l’esprit de l’anonymisation du dossier, j’estime qu’ils devront être mis sous scellés si le fonctionnaire en fait la demande, une fois le délai prévu à l’article 6.1(1) de la LCJ écoulé.

[36] La demande d’anonymisation, de caviardage et de mise sous scellés est fondée, mais prématurée. Le fonctionnaire pourra la présenter à la Commission une fois le délai de trois ans écoulé.

II. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[37] Le 15 novembre 2021, le fonctionnaire a renvoyé à l’arbitrage devant la Commission un grief qui contestait son congédiement pour motif disciplinaire en date du 5 août 2021.

[38] Le fonctionnaire travaillait comme agent correctionnel, au groupe et au niveau CX-02, au Service correctionnel du Canada (SCC). Bien que le Conseil du Trésor du Canada soit l’employeur légal, pour les fins de la présente décision, le SCC est désigné comme employeur, puisque le Conseil du Trésor lui a délégué ses pouvoirs de gestion des ressources humaines.

[39] Le fonctionnaire a été accusé de 14 chefs d’accusation relatifs à l’entreposage d’armes à feu et de munitions, et à la possession de dispositifs et d’une arme prohibés. Finalement, le fonctionnaire a plaidé coupable à la possession d’un dispositif et de l’arme prohibés. Il a été acquitté de tous les autres chefs d’accusation, et a reçu une absolution conditionnelle pour les deux chefs pour lesquels il avait plaidé coupable.

[40] Le fonctionnaire a été congédié par la suite, pour avoir enfreint le Code de discipline et le Code de valeurs et d’éthique du secteur public.

[41] Dans un cas de congédiement disciplinaire, l’employeur doit établir qu’il avait un motif valable de licencier le fonctionnaire. Après avoir entendu la preuve, je conclus que l’employeur n’avait pas de motif valable. Par conséquent, pour les motifs qui suivent, j’accueille le grief du fonctionnaire et j’ordonne sa réintégration, avec une suspension de 20 jours.

III. Résumé de la preuve

[42] Les parties ont déposé au début de l’audience un énoncé conjoint des faits, que je reproduis ci-dessous :

1. Au moment des faits ayant mené au grief, Ian Guillemette (ci-après, le « fonctionnaire ») était un agent correctionnel II (CX-02) nommé pour une période indéterminée au Service correctionnel du Canada (ci-après « le SCC »). La convention collective applicable au groupe CX est jointe à l’onglet 1 du cahier de documents. La lettre d’offre du fonctionnaire au niveau CX-02 est jointe à l’onglet 2 du cahier de documents.

2. En vertu de cette lettre d’offre, le fonctionnaire doit respecter le Code de valeurs et d’éthique du secteur public. Toujours en vertu de cette lettre d’offre, le fonctionnaire doit continuer de se conformer au Code de discipline, ainsi qu’aux Règles de conduite professionnelle. Le Code de valeurs et d’éthique du secteur public est joint à l’onglet 3 du cahier de documents. La Directive du Commissaire 060 - Code de discipline, comprenant les Règles de conduite professionnelle, est jointe à l’onglet 4 du cahier de documents.

3. La description de travail d’agent correctionnel II est jointe à l’onglet 5 du cahier de documents. À titre d’agent correctionnel II, le fonctionnaire a qualité d’agent de la paix.

4. En septembre 2019, le fonctionnaire était affecté à l’établissement à sécurité moyenne La Macaza.

5. Le 23 septembre 2019, le fonctionnaire passe une commande sur le site d’achats en ligne wish.com qui contient notamment les articles suivants : [l’énoncé reproduit l’annonce et l’image de pièges à solvant; le fonctionnaire en aurait commandé deux. Ces pièges à solvant comprennent un tube métallique, des déflecteurs qui s’insèrent dans le tube et des embouts.]

6. Le 9 octobre 2019, un employé de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) intercepte un colis adressé au fonctionnaire en provenance de la Chine.

7. La Gendarmerie royale du Canada (GRC) effectue une livraison contrôlée à la résidence du fonctionnaire le 30 octobre 2019. Le fonctionnaire est arrêté et 31 pièces à conviction sont saisies tel que décrit dans le « Rapport sur les pièces à conviction » joint à l’onglet 6 du cahier de documents.

8. M. Patrick Généreux, directeur par intérim de l’établissement La Macaza, suspend le fonctionnaire avec solde entre le 31 octobre 2019 et le 6 novembre 2019 tel que décrit dans la lettre jointe à l’onglet 7 du cahier de documents.

9. M. Guy Poudrier, directeur de l’établissement La Macaza, suspend le fonctionnaire sans solde à compter du 7 novembre 2019 pour une période indéterminée, tel que décrit dans la lettre jointe à l’onglet 8 du cahier de documents.

10. Le 13 novembre 2019, M. Guy Poudrier émet un mandat d’enquête disciplinaire et un ordre de convocation. Le mandat d’enquête est joint à l’onglet 9 du cahier de documents. L’ordre de convocation et la preuve de transmission au fonctionnaire sont joints à l’onglet 10 du cahier de documents.

11. M. Guy Poudrier maintient la suspension sans solde du fonctionnaire et en informe le fonctionnaire par lettres datées du 2 décembre 2019, du 20 décembre 2019, du 31 janvier 2020, et du 21 février 2020. Les lettres sont jointes à l’onglet 11 du cahier de documents.

12. Vers le 19 décembre 2019, les enquêteurs mandatés par M. Guy Poudrier, Mme Marie-Ève Charest et M. Sylvain Gagnon (ci-après « les enquêteurs »), rencontrent le fonctionnaire. Une copie du formulaire « Droits, privilèges et mises en garde » signé lors de cette rencontre par le fonctionnaire est jointe à l’onglet 12 du cahier de documents.

13. Le 13 mars 2020, M. Guy Poudrier met fin à la suspension sans solde en cours d’enquête du fonctionnaire. Le fonctionnaire est affecté à des tâches administratives à l’établissement minimum Archambault à Ste-Anne-des-Plaines à compter du 16 mars 2020.

14. Vers le 22 juillet 2020, le fonctionnaire est inculpé de 14 chefs d’accusation. La sommation détaillant les 14 chefs d’accusation est jointe à l’onglet 13 du cahier de documents.

15. Le fonctionnaire est absent du travail pour des raisons médicales entre le 24 juillet 2020 et le 31 mars 2021. Le fonctionnaire fournit des billets médicaux, lesquels sont joint [sic] à l’onglet 14 du cahier de documents.

16. En septembre 2020, le fonctionnaire comparaît devant la Cour du Québec relativement aux accusations. La cause est successivement reportée à novembre 2020, janvier 2021, mars 2021, mai 2021 et finalement, juin 2021.

17. En mars 2021, le médecin traitant du fonctionnaire autorise son retour au travail à compter du 30 mars 2021. Le fonctionnaire envoie un courriel à l’appui de son retour au travail à Colette Rochon, gestionnaire correctionnelle horaires et déploiement à l’établissement La Macaza. Ce courriel est joint à l’onglet 15 du cahier de documents.

18. M. Guy Poudrier transmet au fonctionnaire une lettre datée du 27 avril 2021 et une copie du rapport d’enquête préliminaire. Dans cette lettre, M. Guy Poudrier demande au fonctionnaire de fournir ses commentaires d’ici le 7 mai 2021. La lettre et le rapport d’enquête préliminaire sont joints à l’onglet 16 du cahier de documents.

19. Vers le 6 mai 2021, le fonctionnaire transmet ses commentaires à l’égard du rapport d’enquête préliminaire à M. Guy Poudrier par courriel avec une pièce jointe. Le courriel et les commentaires sont joints à l’onglet 17 du cahier de documents.

20. Le 7 mai 2021, M. Guy Poudrier transmet le courriel du 6 mai 2021 du fonctionnaire et sa pièce jointe aux enquêteurs. Le courriel est joint à l’onglet 17 du cahier de documents.

21. Le fonctionnaire envoie par la poste un document intitulé « Éléments de preuve » à M. Guy Poudrier qui le reçoit le 7 mai 2021. Le document « Éléments de preuve » est joint à l’onglet 18 du cahier de documents.

22. Le 11 juin 2021, le fonctionnaire plaide coupable à deux chefs d’accusation. Le fonctionnaire est acquitté des 12 chefs d’accusation restants. Le juge Lépine absout conditionnellement le fonctionnaire en vertu de l’article 730 du Code criminel. Les conditions de l’absolution sont une période de probation de 18 mois, 100 heures de travaux communautaires et le paiement d’une somme de 500 $ à un organisme de charité, soit Centraide. Les notes sténographiques concernant l’audience du 11 juin 2021 devant la Cour du Québec sont jointes à l’onglet 19 du cahier de documents. Le plumitif est joint à l’onglet 20 du cahier de documents. Le procès-verbal informatisé est joint à l’onglet 21 du cahier de documents.

23. Le 15 juin 2021, les enquêteurs transmettent une note de service à M. Poudrier dans laquelle ils répondent aux commentaires du fonctionnaire datés du 6 mai 2021 concernant la version préliminaire du rapport d’enquête. Les enquêteurs joignent à cette note de service la version finale du rapport d’enquête. La note de service est jointe à l’onglet 22 du cahier de documents. La version finale du rapport d’enquête est jointe à l’onglet 23 du cahier de documents.

24. Le 16 juin 2021, M. Guy Poudrier convoque le fonctionnaire à une audition disciplinaire en date du 23 juin 2021. La convocation à l’audition disciplinaire est jointe à l’onglet 24 du cahier de documents.

25. Lors de l’audition disciplinaire du 23 juin 2021, le fonctionnaire est présent, ainsi que Mme Lucie Godin, présidente de la section locale de La Macaza pour UCCO-SACC-CSN, Denis Bélanger, directeur-adjoint aux services et à la gestion par intérim et Christine Tremblay, directrice-adjointe aux opérations. Le fonctionnaire fait la lecture d’un document intitulé « Déposition ». Le document intitulé « Déposition » est joint à l’onglet 25 du cahier de documents.

26. Le 2 août 2021, M. Guy Poudrier convoque le fonctionnaire à une audition disciplinaire prévue le 5 août 2021. L’avis de convocation est joint à l’onglet 26 du cahier de documents.

27. Le 5 août 2021, lors de l’audition disciplinaire, M. Guy Poudrier congédie le fonctionnaire et lui remet la lettre de congédiement. La lettre de congédiement est jointe à l’onglet 27 du cahier de documents.

[…]

[Mise en évidence dans l’original]

 

[43] L’énoncé conjoint des faits se termine sur le dépôt du grief, son rejet au palier final de la procédure de règlement des griefs et son renvoi à l’arbitrage devant la Commission.

[44] L’employeur a cité à témoigner les personnes suivantes : Martin Labrecque, enquêteur à la Gendarmerie royale du Canada (GRC); Sébastien Breton, également enquêteur à la GRC; Sylvie Delisle, alors membre de l’équipe de soutien en application de la loi sur les armes à feu (ENSALA); Guy Poudrier, directeur de l’établissement de La Macaza; Marie-Ève Charest, sous-directrice du Centre fédéral de formation (SCC), qui faisait partie du comité d’enquête sur l’inconduite alléguée du fonctionnaire.

[45] Le fonctionnaire a témoigné et a convoqué comme témoins Justin Kelsch, agent correctionnel et président de la section syndicale locale à l’établissement de Stony Mountain, au Manitoba, et Yan Garneau, agent correctionnel et président de la section syndicale locale à l’établissement de Donnaconna au Québec.

[46] Il n’est pas nécessaire de revenir sur les faits déjà énoncés. Ce qui suit est un résumé chronologique de la preuve. Dans l’ensemble, les témoignages n’étaient pas contradictoires. Là où il y a des divergences, je les souligne et les résous (si nécessaire, ces divergences n’ont pas toujours une incidence sur les conclusions finales) selon ce qui me paraît le plus probable.

[47] Avant de résumer les événements qui aboutissent au congédiement, quelques mots au sujet du fonctionnaire.

[48] Il est entré au SCC en 2007 comme agent correctionnel de niveau CX-01. En 2019, au moment des événements, il était au niveau CX-02.

[49] Au cours de sa carrière au SCC, le fonctionnaire a effectué différentes tâches en plus de ses fonctions d’agent correctionnel. Pendant plusieurs années, il a été instructeur en maniement des armes à feu et en méthodes défensives et de sécurité. Il a été membre du comité de santé mentale et membre du comité de santé et de sécurité au travail. De 2009 jusqu’au moment de son licenciement, il faisait partie de l’équipe d’agents négociateurs. Cette équipe a pour raison d’être le désamorçage de situations tendues qui pourraient entraîner de sérieuses conséquences pour les détenus et les employés, par exemple, les prises d’otage. Le fonctionnaire a été recruté en 2009 avec deux autres agents correctionnels pour construire cette équipe. La qualification d’agent négociateur doit être renouvelée à chaque année par une certification donnée par le collège du personnel du SCC.

[50] Les agents correctionnels de niveau CX-02, en plus des tâches de surveillance habituelles, sont également chargés d’accompagner six à huit détenus dans leur évolution de réhabilitation. Le fonctionnaire a parlé avec chaleur de cet aspect de son travail. Il croit profondément que les détenus peuvent être aidés à corriger leur trajectoire pour favoriser leur réinsertion sociale. Dans certains cas, il a gardé contact avec des détenus après leur départ de La Macaza pour savoir ce qui leur arrivait.

[51] Finalement, le fonctionnaire est un grand amateur de fusils et de tir. Il ne chasse pas, mais il se pratique régulièrement à un club de tir.

[52] J’ai été frappée par le caractère positif du fonctionnaire. Les heures communautaires imposées dans le cadre de son absolution conditionnelle ont été réalisées au sein d’un organisme communautaire qui offre un soutien (café, repas, vêtements) aux personnes démunies. Il en a parlé avec enthousiasme, soulignant qu’il était content de découvrir qu’une telle ressource existait.

[53] Après son licenciement, il s’est trouvé un autre emploi dans le domaine de la sécurité, chargé d’assurer la sécurité d’un domaine appartenant à des milliardaires. Je retiens de ce fait qu’on lui fait confiance, et qu’il est capable de se relever après un coup dur.

[54] Je dois signaler une ombre à ce tableau. Quelque temps en 2017, ses relations avec une collègue de travail ont mal tourné. Elle a fait une plainte de harcèlement, pour laquelle, après enquête, il a reçu une suspension de sept jours. Il a contesté cette suspension par voie de grief, qui demeure encore non résolu. La plaignante a également fait une plainte au service de police, plainte qui n’a pas eu de suite. On avait saisi les armes à feu du fonctionnaire au moment de la plainte, elles lui ont été immédiatement remises.

[55] Je mentionne la plainte de harcèlement uniquement parce qu’elle fait partie de la trame de l’histoire, notamment parce qu’elle semblait très présente à l’esprit de M. Poudrier. J’ai refusé d’entendre plus de preuve sur cette plainte parce que je ne suis pas saisie du grief qui conteste la suspension.

[56] L’histoire du présent grief commence avec l’achat sur Internet de filtres à carburant. Ces filtres sont au cœur des événements, il convient de bien expliquer de quoi il s’agit.

[57] Le fonctionnaire a témoigné qu’il achète souvent des produits sur un site Web qui s’appelle Wish. En septembre 2019, il parcourait le site, à la recherche d’un quelconque produit qui lui permettrait d’économiser l’essence. Selon son témoignage, le site Wish propose des articles connexes au fur et à mesure des recherches. C’est ainsi qu’il tombe sur un article qui s’appelle fuel trap solvent filter, un filtre à carburant ou piège à solvant, qui lui semble lié à sa recherche pour économiser de l’essence, même si l’article en question ne le spécifie pas.

[58] Il ne sait pas ce qu’est cette pièce, mais il se dit que son fils mécanicien serait peut-être intéressé. Il commande deux filtres à carburant, pour sa voiture et celle de son fils. Ces pièces valent 2 $ chacune.

[59] Selon son témoignage, il ignore qu’en fait, le filtre à carburant est considéré par la GRC comme étant un dispositif interdit. Il suffit d’y percer un trou pour qu’il devienne un silencieux pour une arme de poing. Le fonctionnaire possède des armes de poing (possession restreinte, il a les permis nécessaires) dont une a un bout fileté. On pourrait donc (théoriquement, je n’ai reçu aucune preuve directe) y visser un silencieux.

[60] Sur le site de la GRC, sous la rubrique « Programme canadien des armes à feu », on trouve le passage suivant sous le titre « Filtres à carburant » :

[…]

[…] la GRC a déterminé que plusieurs dispositifs importés en tant que « pièges à solvant » ou « filtres à carburant » sont en fait des modérateurs de son d’armes à feu ou silencieux, en fonction des caractéristiques clés suivantes :

· Tube métallique fileté à l’intérieur de chaque extrémité, dont la résistance mécanique est suffisante pour supporter les forces de décharge et de passage d’une balle.

· Capuchons filetés à attacher sur le tube métallique (avec ou sans âme pré-percée) et pouvant être solidement fixés sur une arme à feu.

· Déflecteurs ou une composante interne, tel qu’un ressort ou un anneau en caoutchouc capable de réduire ou d’étouffer le son de la décharge.

Le paragraphe 84 (1) du Code criminel stipule que tout appareil ou dispositif propre ou destiné à amortir ou à étouffer le son ou la détonation d’une arme à feu est un dispositif prohibé[…]

[…]

 

[61] La description (tube, capuchons et déflecteurs) correspond bien à l’objet commandé par le fonctionnaire, à cela près qu’un silencieux doit être percé pour laisser passer la balle, et l’objet commandé ne l’est pas. Peu importe, le filtre à carburant est considéré comme étant un silencieux, et donc un dispositif prohibé. L’importation et la possession d’un dispositif prohibé constituent des infractions au Code criminel (L.R.C. (1985), ch. C-46).

[62] L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), qui contrôle l’entrée des marchandises au Canada, avise le SCC qu’un colis contenant un filtre à carburant est censé être livré à l’un de leurs employés. M. Poudrier, directeur de l’établissement La Macaza où travaille le fonctionnaire, en est informé.

[63] M. Poudrier a été membre de la GRC pendant 28 ans. En 2015, il est entré au SCC; depuis 2017, il est directeur de l’établissement de La Macaza. Il propose à son supérieur une livraison contrôlée du colis, c’est-à-dire, la livraison est faite par la police plutôt que Postes Canada, et une fois le colis reçu et accepté, on procède à une arrestation et une perquisition des lieux. M. Labrecque a témoigné qu’il était en charge de cet exercice, et qu’il a obtenu les autorisations judiciaires nécessaires.

[64] M. Labrecque témoigne que la décision de l’ASFC avait d’abord été de procéder à une saisie administrative de l’objet (l’ASFC saisit l’objet, en informe le destinataire, aucune autre conséquence), mais la GRC décide plutôt de procéder par livraison contrôlée parce que M. Poudrier a fait le lien avec la plainte de harcèlement, et a signalé à la GRC la plainte déposée à la police. L’importation du silencieux est donc suspecte.

[65] Interrogé sur sa connaissance des filtres à carburant, M. Labrecque indique qu’il s’est fié à Mme Delisle, du programme ENSALA, qui connaît bien les armes à feu. Il ne saurait dire si l’objet saisi pourrait servir de silencieux.

[66] Le colis est livré, le fonctionnaire est arrêté et interrogé au poste de police pendant plusieurs heures. Au cours de son interrogatoire, sur les conseils de son avocat à qui il a parlé, il invoque à plusieurs reprises son droit au silence. Finalement, il est libéré sans conditions. Le fonctionnaire informe immédiatement son superviseur qu’il a été arrêté.

[67] La GRC saisit plusieurs pièces à conviction chez le fonctionnaire. On recommande des chefs d’accusation au procureur de la Couronne. Le procureur finit par déposer 14 chefs d’accusation.

[68] D’après la preuve et le rapport de la perquisition, les armes du fonctionnaire étaient correctement entreposées, avec simple ou double verrou, conformément à la réglementation. Toutefois, il semble qu’un coffre à munitions n’était pas verrouillé.

[69] Le fonctionnaire a témoigné que, selon lui, le coffre était verrouillé, mais avait été déverrouillé par les policiers sur les lieux. Le rapport n’est pas clair. Rien n’est signalé au départ, puis avec l’énumération des pièces, on dit que le coffre est déverrouillé.

[70] Franchement, je trouve les deux témoignages convaincants. Le fonctionnaire, qui prend soin de bien verrouiller ses armes, est sûr d’avoir verrouillé le coffre à munitions. Mme Delisle a témoigné qu’il était déverrouillé. Les photographies prises au moment de la perquisition le montrent déverrouillé.

[71] Le fonctionnaire a témoigné que son fils (adulte) avait également accès aux clés pour déverrouiller les casiers et coffres. Il n’est pas impossible que le coffre à munitions ait été déverrouillé à l’insu du fonctionnaire.

[72] Que le coffre à munitions ait été verrouillé ou déverrouillé, le fait est qu’il a donné lieu à bon nombre d’accusations (une accusation pour chaque arme dont les munitions étaient dans le coffre que les policiers disent déverrouillé).

[73] Lors de la perquisition on a saisi le filtre à carburant. Mme Delisle a témoigné qu’un tel objet ne pouvait servir qu’à être un silencieux. En outre, on a trouvé des petites tasses métalliques (vendues comme « tasses de rangement ») qui ressemblent aux éléments dans le filtre à carburant. Il suffit de les percer pour qu’elles deviennent des déflecteurs ou baffles de silencieux. Les petites tasses n’ont pas de cylindre correspondant. Le fonctionnaire a témoigné qu’il avait acheté ces petits contenants pour ses fils, tous deux forts en mécanique, pour y serrer vis, écrous, etc.

[74] Je note que le fonctionnaire avait commandé deux filtres à carburant en septembre 2019. Le premier arrive en octobre 2019 et déclenche toute la suite d’événements qui mèneront au licenciement du fonctionnaire. Le second traverse la frontière (les deux sont en provenance de Chine) vers juin 2020 et fait l’objet d’une saisie administrative, dont le fonctionnaire est avisé, sans autre conséquence.

[75] On trouve parmi les armes du fonctionnaire deux objets suspects : un fusil de chasse dont le canon a été écourté (arme tronçonnée) et un silencieux noir, qui comporte des pièces semblables à celles du filtre à carburant, mais percées. On trouve aussi une perceuse dans le garage.

[76] Mme Delisle affirme sur place que l’arme tronçonnée est de calibre 12, et donc que les munitions trouvées pourraient être utilisées avec cette arme. Rappelons que les armes à feu tronçonnées sont interdites au Canada.

[77] Une expertise est réalisée par la suite sur les armes du fonctionnaire. Curieusement, aucune expertise n’est faite pour déterminer si le filtre à carburant commandé, à l’origine de toute cette histoire, pourrait être vissé sur une arme de poing, et s’il a une résistance mécanique suffisante pour servir de silencieux.

[78] D’après l’expertise, l’arme tronçonnée, bien qu’il lui manque plusieurs pièces, peut quand même tirer. Contrairement à ce qu’avait dit Mme Delisle, c’est une arme de calibre 20. Il n’y avait aucune munition de calibre 20 chez le fonctionnaire.

[79] Le fonctionnaire a témoigné qu’il s’était procuré l’arme tronçonnée à un marché aux puces en 1997, quand il avait 17 ans. Le vendeur lui avait dit que l’arme n’était pas opérationnelle. Pour le fonctionnaire, il s’agissait d’une curiosité, un peu comme une arme de pirate. Il l’avait exposé un certain temps, puis s’était dit qu’il tenterait d’enlever les couches de peinture pour qu’on voit le canon original. Finalement, sa femme lui avait donné une réplique d’un fusil ancien, et il avait délaissé son projet de nettoyer l’arme tronçonnée. Il était convaincu que l’arme ne fonctionnait pas, et il n’avait jamais tenté de la tirer.

[80] Le rapport d’expertise indique ce qui suit au sujet de l’arme tronçonnée :

[…]

Cette arme à feu est en condition de tir. Des tirs expérimentaux ont été effectués avec cette arme à feu et elle s’est avérée fonctionnelle. Plusieurs pièces sont manquantes : la tête de culasse, la barrure du verrou, les vis pour fixer la crosse et le groupe détente à la carcasse.

[…]

Cette arme à feu tronçonnée correspond à la définition d’arme à feu prohibée, selon l’article 84(1) du Code criminel du Canada […]

[…]

[Mise en évidence dans l’original]

 

[81] Pour ce qui est du silencieux trouvé dans un de ses coffres, le fonctionnaire n’avait aucune idée de quoi il s’agissait. D’abord interrogé par la police, puis par les enquêteurs, il a répété qu’il ne savait pas d’où venait cette pièce ni pourquoi il en avait possession. Il ne se rappelle pas avoir utilisé un silencieux dans toutes ses séances de tir.

[82] Ce n’est que des mois plus tard, alors que son fils se procurait des pièces pour un fusil à air comprimé, qu’il a compris qu’il s’agissait d’une pièce pour ce type de fusil.

[83] Comme l’indiquait l’énoncé conjoint des faits, M. Poudrier a nommé un comité d’enquête. Le comité résume ainsi les faits sur lesquels il est censé faire enquête :

Le 30 octobre 2019, Ian Guillemette, employé occupant les fonctions d’agent de correction II (AC-II) à l’établissement La Macaza aurai été arrêté pour avoir tenté d’importer de la marchandise illégale au Canada (dispositif silencieux pour arme à feu).

Le 30 octobre 2019, des policiers de la gendarmerie royale du Canada (GRC) ont procédé à la fouille de la résidence de Ian Guillemette et ont procédé à une perquisition.

[…]

 

[84] Le comité a rencontré le fonctionnaire en décembre 2019. Il avait déjà tenu une entrevue avec deux policiers, Mme Delisle et Patrick Thériault, du Service de police de la Ville de Montréal, qui ont affirmé catégoriquement que les filtres à carburant ne pouvaient servir qu’à une seule fin, celle d’être transformés en silencieux simplement en les perçant. Leur diamètre ne permet pas leur installation sur une voiture. Les policiers ont également affirmé que les tasses de rangement étaient en fait des baffles à silencieux.

[85] Le fonctionnaire explique au comité la même chose qu’il a dit à l’audience, soit qu’il avait acheté les filtres à carburant croyant qu’il s’agissait de pièces d’automobile qui pourraient l’aider à économiser de l’essence. Il n’avait aucune idée de la façon dont ces filtres devaient être installés, il se fiait à ses fils plus enclins à la mécanique.

[86] Le fonctionnaire n’a pas de réponse à donner pour expliquer la présence du silencieux noir, si ce n’est de dire qu’il ne se souvient pas de l’avoir acheté. Il explique son achat de l’arme tronçonnée à un marché aux puces.

[87] Dans son rapport, le comité conclut que le fonctionnaire a commandé le filtre à carburant pour en faire un silencieux. La présence sur les lieux d’un silencieux déjà machiné le confirme. En outre, le procureur de la Couronne a décidé de déposer des accusations en ce sens (importation, possession et fabrication d’un silencieux). Le comité indique comme suit que les explications fournies par le fonctionnaire ne l’ont pas convaincu :

[…]

Le témoignage présenté par M. Guillemette n’a pas permis de convaincre le comité que ce dernier achetait des pièces pour s’en servir sur des véhicules. En fonction de la prépondérance des probabilités, il est peu crédible de commander des pièces sans en connaître l’utilité. Il est vrai que les annonces sur Wish peuvent porter à confusion. Toutefois, en sachant qu’un silencieux prêt à l’emploi a aussi été saisi chez lui, il est davantage probable qu’il ait commandé ces pièces afin de fabriquer des silencieux. La saisie de baffles, dont certaines étaient installées, milite également en ce sens.

À la lumière des informations recueillies, le comité conclu que M. Guillemette a importé 2 silencieux, les a eus en sa possession puis a fabriqué un dispositif prohibé, soit le silencieux noir.

[…]

 

[88] Dans son constat des accusations portées, le comité ne fait pas la distinction entre les armes et les munitions. Toutes les armes étaient correctement verrouillées (sauf l’arme tronçonnée). Les accusations ne portent que sur les munitions dans le coffre qui aurait été déverrouillé. Pourtant, le comité reprend le libellé de l’accusation comme si cela concernait l’arme, et énumère toutes les possibles infractions. Ainsi, pour l’entreposage défectueux des munitions du pistolet Smith et Wesson, on lit ce qui suit :

[…]

[…] Selon les accusations déposées, M. Guillemette a contrevenu à la loi sur les armes à feu régissant l’entreposage, la manipulation, le transport, l’expédition, l’exposition, la publicité et la vente postale d’armes à feu à autorisation restreinte concernant cette arme.

[…]

 

[89] Le comité note trois accusations relatives à l’arme tronçonnée, dont celle-ci‑dessus, la possession sans permis, et la possession de « […] munitions facilement accessibles qui pouvaient être utilisées avec celle-ci ». Selon le comité, peu importe l’intention du fonctionnaire, il aurait dû faire les démarches nécessaires pour assurer la légalité de l’arme. Le comité répète qu’il a les munitions nécessaires à cette arme. En contre-interrogatoire, Mme Charest admet qu’elle ne connaît pas le calibre de l’arme tronçonnée, et qu’elle se fie sur ce qu’ont dit les policiers pour affirmer que le fonctionnaire a des munitions qui conviennent à l’arme.

[90] Le comité écarte l’explication du fonctionnaire que ses armes étaient verrouillées correctement, puisque « […] les enquêteurs de même que le [procureur de la Couronne] ont jugé qu’il y a eu des manquements relativement aux armes visées ».

[91] Le comité conclut que le fonctionnaire a contrevenu au Code de discipline, plus précisément l’article 7.d., qui se lit comme suit :

7. Commet une infraction l’employé qui :

[…]

d. commet un acte criminel ou une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité en vertu d’une loi du Canada ou d’un territoire ou d’une province, qui pourrait jeter le discrédit sur le SCC ou avoir un effet préjudiciable sur son rendement au travail.

 

[92] Le comité semble penser que le fonctionnaire a également enfreint les Règles de conduite professionnelle, dont le paragraphe pertinent se lit comme suit :

[…]

Les employés qui commettent des actes criminels ou d’autres violations graves de la loi – en particulier dans le cas de récidives ou d’infractions suffisamment graves pour entraîner l’incarcération – ne présentent pas le genre de comportement considéré comme acceptable au Service, sur les plans tant personnel que professionnel. Par conséquent, tout employé accusé d’une infraction au Code criminel ou à une loi fédérale, provinciale ou territoriale doit en aviser son superviseur avant de reprendre ses fonctions.

 

[93] Le 30 mars 2021, M. Poudrier demande aux enquêteurs de remettre l’ébauche du rapport. Dans son courriel, il écrit notamment ce qui suit :

[…]

[…] Vous pouvez inclure dans le rapport, toute information pertinente de l’enquête de la GRC, le rapport du laboratoire judiciaire si disponible bien entendu, et les accusations criminelles retenues contre M. Guillemette ainsi que les dates de comparution. Ceci devrait être suffisant pour que les RT puisse [sic] commencer à revoir la jurisprudence et offrir ses [sic] recommandations[…]

[…]

 

[94] Je note que M. Poudrier ne semble pas vouloir attendre l’issue de la procédure judiciaire. Je note également qu’il parle d’« accusations criminelles retenues » alors qu’à cette étape, les accusations ont simplement été portées. Aucune n’a encore été retenue.

[95] M. Poudrier a témoigné qu’il ne trouvait rien de crédible dans les explications du fonctionnaire. Selon lui, le fonctionnaire avait importé un silencieux, fabriqué l’autre silencieux trouvé chez lui, et acheté sciemment ou négligemment une arme tronçonnée. D’ailleurs, le fonctionnaire avait plaidé coupable. Du fait de ce plaidoyer, le lien de confiance était irrémédiablement rompu. Le licenciement était la seule conséquence logique.

[96] M. Poudrier, lorsqu’on l’avait d’abord informé de l’achat du filtre à carburant, avait immédiatement fait le lien avec la plainte de harcèlement. Ce lien a perduré dans son esprit. Encore à l’audience, il a dit qu’il ne pouvait écarter ce soupçon.

[97] Selon M. Poudrier, le fonctionnaire n’a pas bien collaboré à l’enquête, il a manqué de transparence, et il avait peu de crédibilité

[98] Le comité d’enquête fait parvenir une première version de son rapport à M. Poudrier le 27 avril 2021. Celui-ci le transmet au fonctionnaire le 29 avril. Le 6 mai 2021, le fonctionnaire fournit ses commentaires, qui sont transmis au comité. Celui-ci ne modifie pas ses conclusions.

[99] Dans ses commentaires, le fonctionnaire signale d’abord le défaut de tenir compte de son intégrité et honnêteté telles qu’elles sont établies dans son milieu de travail. En outre, il connaît bien la réglementation relative aux armes à feu, pour avoir été instructeur et amateur de longue date du tir. Cela ne fait aucun sens à vouloir se procurer un dispositif prohibé, soit le silencieux.

[100] L’objet commandé (d’une valeur de 2$) ne pourrait être utilisé comme silencieux, parce qu’il n’est pas percé. Le perçage doit être fait de façon très précise. Aucune expertise n’a été réalisée pour vérifier si l’objet pourrait effectivement convenir aux fusils que possède le fonctionnaire. Malgré un examen de tous ses appareils électroniques (tablette et téléphone), les policiers n’ont trouvé aucune recherche sur les silencieux.

[101] Le fonctionnaire donne aussi l’explication que le silencieux noir trouvé chez lui est en fait un silencieux factice (« fake suppressor ») qui sert aux fusils à air comprimé et qui est légal.

[102] Le rapport n’est pas essentiellement modifié à la suite de ces commentaires. Le comité fait quelques modifications de forme, mais les conclusions demeurent.

[103] Le rapport final a été déposé le 16 juin 2021. M. Poudrier dit avoir fondé sa décision de congédiement sur le rapport.

[104] M. Poudrier et Mme Charest ont tous deux témoigné qu’ils n’avaient pas pris connaissance du procès-verbal de la comparution finale à la Cour du Québec, à laquelle assistait pourtant un représentant de l’établissement de La Macaza. Cette comparution a eu lieu le 11 juin 2021.

[105] Lors de cette comparution, le fonctionnaire a plaidé coupable à deux infractions : possession d’une arme prohibée (arme tronçonnée) et possession d’un dispositif prohibé (silencieux noir). À l’audience devant la Commission, le fonctionnaire a expliqué l’origine de ces deux objets, comme il avait tenté de le faire auprès du comité d’enquête.

[106] Le fonctionnaire a également expliqué pourquoi il avait plaidé coupable. Il n’avait pas les moyens d’un procès criminel, qui lui coûterait des milliers de dollars. Son avocat en était arrivé à une entente – s’il plaidait coupable aux deux chefs, le procureur de la Couronne laisserait tomber les autres chefs et recommanderait une absolution conditionnelle. De fait, il a été acquitté de tous les autres chefs. Le fonctionnaire s’est renseigné, non seulement auprès de son avocat criminaliste, mais également auprès d’un avocat de son syndicat. Celui-ci l’a rassuré qu’il ne risquait pas un congédiement pour un plaidoyer de culpabilité, surtout s’il obtenait une absolution.

[107] Certains passages du procès-verbal de la comparution valent la peine d’être cités.

[108] Le procureur de la Couronne sur les autres chefs d’accusation :

[…]

On se rend compte durant l’enquête qu’au niveau du silencieux qui est importé, le premier, autant la balistique que l’Agence des services frontaliers ne pouvaient pas déterminer s’il s’agissait bel et bien de la définition d’une arme prohibée, ou plutôt d’un dispositif prohibé, et également pour l’entreposage négligent, là, on n’était pas en mesure de déterminer, après enquête puis l’analyse des photos, et caetera, qu’il s’agissait bel et bien d’un entreposage négligent.

Essentiellement, monsieur Guillemette a des permis valides, et les détenait à l’époque pour ces armes-là. Donc, d’où les retraits … pas les retraits, mais plutôt la preuve qui ne peut être faite par le ministère public sur les autres chefs.

[…]

 

[109] Voici ce que dit le juge, après avoir entendu que le fonctionnaire travaille pour le SCC comme agent correctionnel :

[…]

Très bien. Alors vu les circonstances particulières qui ont été expliquées par le ministère public, entre autres, les explications qui sont données par la Défense également, évidemment, vu l’emploi de monsieur et vu là … les informations qu’on me donne à l’effet qu’il n’y a aucun lien entre monsieur et quelque organisation criminelle que ce soit, puisque quand on voit ce genre de dossier là, habituellement, effectivement, un silencieux, ça peut porté à donner l’impression qu’il y a quelque chose en dessous, donc le Tribunal est satisfait des explications qui sont données, et vu l’emploi de monsieur, il en va de son véritable intérêt qu’il n’ait pas de casier judiciaire, donc absolution conditionnelle pour une période de dix-huit (18) mois.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

 

[110] En vertu de l’absolution, le fonctionnaire fait un don à un organisme de charité et doit effectuer 100 heures de travail communautaires dans la période de 18 mois. Aucune autre condition ne lui est imposée.

[111] À l’audience, M. Kelsch et M. Garneau ont témoigné de circonstances où des agents correctionnels avaient été trouvés coupables d’une infraction criminelle et avaient néanmoins conservé leur emploi.

[112] Le cas de H.H., dont a parlé M. Kelsch, est particulièrement frappant pour sa similitude avec la situation du fonctionnaire. H.H. a plaidé coupable à la possession d’un silencieux et de chargeurs à haute capacité ainsi qu’à l’entreposage négligent de ses armes à feu. Des conditions beaucoup plus sévères lui ont été imposées, notamment un couvre-feu et l’interdiction de posséder des armes à feu pendant 10 ans. Pourtant, H.H. n’a pas perdu son emploi d’agent correctionnel, une exception aux conditions étant faite pour le port et l’usage d’armes à feu dans le cadre de son travail. Il s’est mérité comme mesure disciplinaire une suspension de 10 jours sans solde.

[113] M. Garneau a parlé d’un agent correctionnel trouvé coupable de voies de fait avec lésions. Il n’a pas perdu son emploi. Apparemment, le lien de confiance n’était pas rompu.

[114] La lettre de congédiement se fonde sur les conclusions de l’enquête. Les paragraphes justifiant le licenciement se lisent comme suit :

[…]

L’enquête disciplinaire mandatée le 13 novembre 2019, suite à votre arrestation et à une perquisition de votre domicile le 30 octobre 2019 a révélé que vous avez importé deux silencieux, les avez eu en votre possession, puis avez fabriqué un dispositif prohibé, soit le silencieux noir; que vous avez eu des manquements relatifs à la loi sur les armes à feu régissant l’entreposage, la manipulation, le transport, l’expédition, l’exposition, la publicité et la vente postale d’armes à feu que vous possédiez illégalement une arme à feu prohibée, soit un fusil tronçonné. Quatorze chefs d’accusations criminelles ont aussi été déposées contre vous le 22 juillet 2020 et vous avez plaidé coupable à deux d’entre-elles le 11 juin 2021, soit être en possession d’une arme à feu prohibée (fusil tronçonné) et de possession d’un dispositif prohibé propre ou destiné à amortir ou à étouffer le son de la détonation d’une arme à feu, à savoir : un silencieux noir de fabrication artisanale (modifié ou percé). De ce fait, vous êtes coupable d’infractions au Code criminel prévues aux paragraphes 86(2), 86(3)(a)(i), 91(2) et 91(3).

Par vos actions, vous avez contrevenu au Code de discipline (DC 060) et aux Règles de conduite professionnelle du Service correctionnel du Canada ainsi qu’au Code de valeurs et d’éthique du secteur public. Les comportements mentionnés ci-haut sont inadmissibles et entrent directement en contradiction avec la nature même des opérations du Service correctionnel du Canada, sa mission et ses valeurs telles qu’énoncées à la Directive du Commissaire 001, vos fonctions d’agent correctionnel et votre statut d’agent de la paix au sein du gouvernement du Canada.

Avant de rendre la présente décision, j’ai pris en considération les facteurs atténuants et aggravants à votre dossier. Comme facteurs atténuants, j’ai retenu votre dossier de rendement antérieur et la longueur du processus. À titre de facteurs aggravants, j’ai notamment pris en compte la gravité de votre inconduite, la nature de votre inconduite, vos années de service, votre absence de remords et de responsabilisation, votre collaboration mitigée, votre faible crédibilité, votre statut d’agent de la paix ainsi que votre dossier disciplinaire. Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, je considère que le lien de confiance vous liant au Service correctionnel du Canada a été rompu de façon irrémédiable.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

 

[115] Interrogé au sujet de la lettre de congédiement, M. Poudrier maintient tout ce qui y est écrit. Il présume que le fonctionnaire a fabriqué le silencieux, il n’y a pas d’autre explication. Les manquements à la Loi sur les armes à feu (L.C. 1995, ch. 39), quant à l’entreposage, même si le fonctionnaire est acquitté de toutes ces accusations, ont quand même eu lieu selon M. Poudrier, puisque des accusations ont été portées.

[116] Le fonctionnaire a témoigné que le directeur n’avait donné aucune explication pour justifier sa décision, si ce n’est de dire que c’était sa décision définitive et que le lien de confiance était rompu. L’enregistrement de cette partie de la conversation, après la remise de la lettre, lorsque le fonctionnaire demande des explications, a été joué à l’audience. L’enregistrement correspondait au témoignage du fonctionnaire, y compris le départ abrupt du directeur, apparemment las de la discussion.

IV. Résumé de l’argumentation

[117] Les deux parties m’ont présenté de la jurisprudence à l’appui de leurs arguments. Je retiens ce qui est pertinent selon moi pour la décision, et j’y reviens dans mon analyse.

A. Pour l’employeur

[118] L’employeur plaide que les accusations portées ainsi que le plaidoyer de culpabilité suffisent pour affirmer que le comportement du fonctionnaire est incompatible avec les valeurs du SCC et que le lien de confiance est rompu.

[119] Un agent correctionnel travaille à la réhabilitation des détenus. Le fonctionnaire n’offre pas un modèle en refusant sa responsabilité et en prétendant qu’il n’a rien à se reprocher.

[120] L’employeur met en doute la crédibilité du fonctionnaire, et donne comme exemple les explications du fonctionnaire au sujet du silencieux noir. D’abord, il a plaidé coupable à la possession du silencieux. Ensuite, il tente de dire que c’est un silencieux factice qui accompagne le fusil à air comprimé de son fils. Il n’a pas demandé à son fils de témoigner à ce sujet. Enfin, Mme Delisle était claire que le silencieux noir était semblable à l’objet commandé. Elle n’a pas été contre-interrogée sur la possibilité qu’il s’agisse d’un silencieux factice.

[121] Selon l’analyse élaborée dans la décision Wm. Scott & Co. (Re), [1977] 1 Can. LRBR 1, trois questions se posent pour décider un grief qui conteste une mesure disciplinaire : 1) Y a-t-il eu inconduite? 2) La mesure disciplinaire est-elle excessive? 3) Le cas échéant, quelle autre mesure devrait lui être substituée?

[122] Selon l’employeur il y a eu inconduite, puisque le fonctionnaire a plaidé coupable à deux infractions. La mesure disciplinaire n’est pas excessive, puisqu’il y a rupture du lien de confiance.

[123] Le fait d’obtenir une absolution signifie qu’il n’y a pas de condamnation; cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y a pas culpabilité. Le fonctionnaire a plaidé coupable, la cour a accepté son plaidoyer de culpabilité. L’arbitre de travail ne peut remettre en question une déclaration de culpabilité prononcée par une cour criminelle (voir Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63).

[124] Dans la décision Millhaven Fibres Ltd. v. Oil, Chemical & Atomic Workers Int’l Union, Local 9-670 (Mattis Grievance), [1967] O.L.A.A. No. 4 (QL), le conseil d’arbitrage de grief énonce cinq critères à évaluer lorsque l’inconduite se produit hors du lieu de travail. Ces critères sont les suivants :

[Traduction]

[…]

1) la conduite de l’employé cause un tort à la réputation ou au produit de la compagnie;

2) le comportement de l’employé le rend incapable d’exécuter ses tâches de façon satisfaisante;

3) le comportement de l’employé entraîne une réticence ou une incapacité de la part des autres employés de travailler avec lui;

4) l’employé est coupable d’une infraction grave au Code criminel, de sorte que son inconduite cause un tort à la réputation générale de la compagnie et de ses employés;

5) l’inconduite entraîne des difficultés pour la compagnie à gérer ses opérations et ses effectifs.

[…]

 

[125] Le principe général, selon le conseil d’arbitrage, est de déterminer dans quelle mesure cette inconduite a une incidence sur les opérations de l’employeur.

[126] L’employeur se fonde sur les critères 1, 2 et 4. Les actes reprochés sont contraires aux valeurs du SCC et lui jettent du discrédit. Il y un lien avec l’emploi, puisqu’il y a contradiction entre la commission d’un acte criminel et le rôle d’agent de la paix.

[127] Essentiellement, l’employeur reprend le raisonnement de la lettre de licenciement pour justifier ce licenciement.

B. Pour le fonctionnaire

[128] Le fonctionnaire reconnaît qu’il a plaidé coupable à deux infractions criminelles, et reconnaît donc qu’il a commis une inconduite. Il accepte qu’une mesure disciplinaire soit imposée, mais estime que le licenciement est excessif.

[129] La lettre de licenciement se fonde sur les conclusions du rapport d’enquête, qui ne sont pas toutes fondées, par exemple, les infractions à la Loi sur les armes à feu. Le fonctionnaire soutient que le coffre à munitions était verrouillé. Surtout, le comité a complètement écarté le fait, confirmé par l’enquête policière, que toutes les armes à feu étaient entreposées conformément à la réglementation.

[130] Pour ce qui est des silencieux qu’il aurait importés, on peut se demander si une pièce qui doit être modifiée constitue effectivement un objet prohibé. Par ailleurs, il n’y a aucune preuve que le fonctionnaire aurait fabriqué le silencieux noir. Enfin, aucune expertise n’a été réalisée pour déterminer si le silencieux noir pouvait être utilisé sur les armes du fonctionnaire.

[131] La sanction est excessive. M. Poudrier a dit que les actions du fonctionnaire étaient incompatibles avec ses fonctions. Pourtant, sa possession de l’arme tronçonnée remontait à bien avant son embauche au SCC. Il est difficile de comprendre pourquoi cela constituerait un obstacle maintenant.

[132] M. Poudrier a parlé de la rupture du lien de confiance. Toutefois, alors que tous les faits étaient déjà connus, le fonctionnaire est revenu au travail (dans d’autres fonctions). On lui faisait confiance dans un travail qui lui donnait des responsabilités financières et l’accès aux dossiers de détenus.

[133] Sa possession de l’arme tronçonnée était fondée sur une croyance sincère mais erronée. Ce n’est pas une excuse, mais une explication. La possession est indéniable, mais il est également vrai que le fonctionnaire n’a jamais pensé utiliser cette arme, qu’il croyait sincèrement inopérante, comme lui avait dit le marchand.

[134] De même, il reconnaît qu’il possédait un silencieux, mais il n’en a aucun souvenir. Il ne l’a vu qu’en photo, après sa saisie. Il ne se dérobe pas à sa responsabilité de possession, mais il essaie d’expliquer les circonstances, et selon lui, l’hypothèse d’un silencieux factice pour fusil à air comprimé est la plus probable. Il faut noter que malgré leurs recherches approfondies sur les appareils électroniques du fonctionnaire, les policiers n’ont trouvé aucune trace d’une recherche menée sur les silencieux ou leur fabrication.

[135] Le fonctionnaire a collaboré à l’enquête de l’employeur; il a répondu à toutes les questions posées par le comité. Le fait qu’il ait rapidement trouvé un emploi dans le domaine de la sécurité, où de par ses fonctions il était souvent en contact avec la police, montre qu’il est digne de confiance.

[136] La preuve non contredite de MM. Kelsch et Garneau montre que la sanction est disproportionnée. H.H. a plaidé coupable à la possession de silencieux et de chargeurs d’armes de haute capacité, des objets prohibés. Pourtant, il n’a reçu que 10 jours de suspension, malgré des conditions d’absolution beaucoup plus sévères que celles imposées au fonctionnaire.

[137] La plaidoirie du fonctionnaire termine sur les mesures demandées.

[138] Le fonctionnaire estime juste qu’on lui impose une suspension de 20 jours, pour ensuite être réintégré avec salaire rétroactif, ainsi que les primes, congés et heures supplémentaire auxquelles il aurait eu droit. Il accepte qu’on déduise de ce montant le revenu de l’emploi qu’il occupe depuis son licenciement.

[139] Il demande que son régime de pension soit rétabli, ainsi que les prestations au Régime de pension du Canada et au Régime des rentes du Québec, et que l’employeur rembourse les frais que l’assurance médicale de l’employeur aurait couverts pendant cette période. Il demande qu’on ajoute au montant versé des intérêts au taux légal de la province de Québec. Il renonce aux dommages moraux et punitifs qu’il avait demandés dans son grief. Le plus important pour lui, c’est de redevenir agent correctionnel.

V. Analyse

[140] Les parties s’accordent sur les deux décisions clés en semblable matière : Wm. Scott et Millhaven Fibres Ltd..

[141] Dans Wm. Scott, l’arbitre établit la démarche à suivre lorsqu’un arbitre de grief est saisi d’un grief contestant une mesure disciplinaire. Trois questions se posent : 1) Y a-t-il eu inconduite? 2) La sanction imposée était-elle proportionnelle à la gravité de l’inconduite? 3) Si elle ne l’était pas, quelle sanction devrait-on y substituer?

[142] Dans Millhaven Fibres Ltd., la question qui se pose est de savoir dans quelle mesure une inconduite commise hors des lieux du travail devrait avoir des conséquences disciplinaires au travail.

[143] Y a-t-il eu inconduite? Cette inconduite est apparemment établie par le rapport du comité d’enquête et entérinée par la lettre de licenciement. Je reprends dans les paragraphes qui suivent les inconduites reprochées au fonctionnaire, avec mes conclusions.

A. L’importation de deux silencieux

[144] D’après le procureur de la Couronne, rien n’a été conclu au sujet des filtres à carburant, à savoir s’ils pouvaient effectivement servir comme silencieux. Aucune expertise n’a été réalisée, ni sur l’objet saisi au domicile du fonctionnaire, ni sur le silencieux noir. On ne sait donc pas si l’objet saisi pouvait effectivement être transformé en silencieux, ni si le silencieux noir pouvait être utilisé sur les armes du fonctionnaire. Le deuxième objet commandé a fait l’objet d’une saisie administrative, sans suite.

[145] En outre, l’explication du fonctionnaire au sujet de l’importation des filtres à carburant me paraît plus plausible que la fabrication d’un silencieux à partir d’un morceau de tôle ou plastique d’une valeur de 2 $.

B. Possession et fabrication du silencieux noir

[146] Le fonctionnaire a plaidé coupable à la possession du silencieux noir, plaidoyer entériné par la cour. Je ne reviendrai pas là-dessus; je ne peux contredire une décision judiciaire (voir S.C.F.P.). Par contre, je note qu’aux termes de l’article 730 du Code criminel, le fonctionnaire est réputé ne pas avoir été condamné.

[147] Pour ce qui est de la fabrication du silencieux, il n’y a absolument aucun élément de preuve pour établir cette affirmation. La simple présence d’une perceuse dans son garage n’établit rien. Je note qu’aucune expertise n’a été faite pour établir un lien entre la perceuse et le silencieux noir, et je note également que l’enquête policière n’a découvert aucune recherche faite par le fonctionnaire sur la fabrication de silencieux.

C. Manquements relatifs à la loi sur les armes à feu régissant l’entreposage, la manipulation, le transport, l’expédition, l’exposition, la publicité et la vente postale d’armes à feu

[148] Rappelons que le seul manquement établi par l’enquête policière est le non-verrouillage des munitions. Rappelons aussi que les policiers sur place ont noté que toutes les armes étaient correctement entreposées, avec simple ou double verrou, conformément à la réglementation. Notons enfin que le procureur de la Couronne a parlé d’absence de preuve.

D. Possession d’une arme à feu prohibée, soit un fusil tronçonné

[149] Le fonctionnaire a plaidé coupable à cette infraction, donc le même raisonnement s’applique ici que dans le cas de possession du silencieux noir.

E. Quatorze chefs d’accusation criminelle déposés

[150] Je ne vois pas la pertinence de ce fait, compte tenu de l’acquittement pour 12 de ces chefs d’accusation, sauf pour étayer la décision de licenciement.

F. Contravention au Code de discipline, aux Règles de conduite professionnelle du Service correctionnel et au Code de valeurs et d’éthique du secteur public

[151] Le rapport d’enquête ne mentionne que le Code de discipline et les Règles de conduite professionnelle. On ne sait donc pas à quoi on fait référence en invoquant le Code de valeurs et d’éthique du secteur public.

[152] La commission d’un acte criminel est une infraction au Code de discipline. Dans la mesure où le fonctionnaire a plaidé coupable à deux infractions criminelles, cette allégation est fondée. Toutefois, le seul passage cité dans les Règles de conduite professionnelle prévoit qu’en cas d’arrestation, l’employé doit avertir son superviseur. C’est ce que le fonctionnaire a fait, dès le jour de son arrestation. Par conséquent, je ne vois en quoi ces règles auraient été enfreintes.

[153] La lettre de licenciement établissait comme facteurs aggravants l’absence de remords et de responsabilisation, la collaboration mitigée et la faible crédibilité du fonctionnaire.

[154] Le fonctionnaire a expliqué l’origine des deux objets pour lesquels il a finalement plaidé coupable de possession. Je n’entends pas contredire le jugement de la cour, mais je comprends l’absence de remords pour l’achat à 17 ans d’un vieux fusil auquel il manque plusieurs pièces et pour la possession d’un objet dont le fonctionnaire ignorait même l’existence. Cela dit, si le remords sert à faire en sorte que la personne ne récidive pas, je pense que la non-récidive est assurée dans le cas présent. L’achat d’un fusil douteux dans un marché aux puces ou de filtres à carburant sur le Web ne se reproduira pas, j’en suis certaine. Tout dispositif silencieux factice sera gardé avec le fusil à air comprimé, loin des armes du fonctionnaire.

[155] Le fonctionnaire a pleinement collaboré à l’enquête. Il a répondu à toutes les questions. Les enquêteurs n’ont pas jugé ses réponses crédibles. C’est leur perception. Ce n’est pas la mienne. Si le reproche de collaboration mitigée a un lien avec l’interrogatoire mené au poste de police, j’estime que cela dépasse les bornes de ce que l’employeur peut exiger d’un employé. Dans un contexte d’enquête criminelle, le droit au silence est garanti par la Constitution.

[156] J’ai trouvé frappant que M. Poudrier demande au comité d’enquête de remettre son rapport avant la comparution finale du fonctionnaire devant la cour qui devait juger les accusations criminelles. Autrement dit, il voulait le rapport avec les accusations et conclusions du comité, et non un compte rendu de la réalité des accusations. Le comité d’enquête a remis le rapport le 16 juin 2021, soit cinq jours après la comparution du fonctionnaire, mais d’après les témoignages de Mme Charest et de M. Poudrier, on ne tient absolument pas compte de ce qui est arrivé en cour, sauf pour noter le plaidoyer de culpabilité pour deux chefs d’accusation.

[157] M. Poudrier, lors de la remise de la lettre de congédiement, a beaucoup insisté sur le fait que le lien de confiance était rompu.

[158] La rupture du lien de confiance est presque toujours invoquée comme point final dans une lettre de congédiement. Le sens en est le suivant : compte tenu des actions commises par l’employé, le lien de confiance est rompu. Autrement dit, il ne s’agit pas de la perception de l’employeur – l’employé doit avoir commis des actions qui, vues impartialement, justifient que l’employeur ne fasse plus confiance à l’employé.

[159] On peut penser à diverses actions telles que mentir, voler, agir de façon contraire aux intérêts de l’employeur, causer un tort grave aux biens, au personnel ou à la clientèle de l’employeur.

[160] Or, il n’y a rien de tel ici. Le fonctionnaire a collaboré à l’enquête, il a répondu aux questions selon ses connaissances, il n’a rien volé, il n’a causé de tort à aucun employé ou détenu. On cherche en vain un motif pour lequel le lien de confiance serait rompu parce qu’on a trouvé deux objets chez lui qui n’ont jamais servi sur les lieux de travail. En fait, selon le témoignage du fonctionnaire, et je le crois, il n’a jamais utilisé ces deux objets. Il n’avait aucune munition pour l’arme tronçonnée, qui est plutôt en mauvais état d’après l’expertise même si elle pouvait tirer de façon expérimentale, et il n’a jamais utilisé de silencieux dans ses pratiques de tir. Aucune expertise n’a été réalisée sur le silencieux noir pour démontrer sa compatibilité avec les armes du fonctionnaire.

[161] Il n’y a aucune indication de danger. Le fonctionnaire a été remis en liberté le jour de son arrestation, sans conditions. Ses permis de possession d’armes à feu ont été suspendus pendant l’enquête, mais il semble évident, d’après le procès-verbal du procès, que le fonctionnaire retrouvera ses armes à feu une fois les formalités de permis complétées.

[162] M. Poudrier a soutenu que le fonctionnaire ne pouvait garder son emploi après avoir plaidé coupable. Il a également parlé du manque de transparence du fonctionnaire.

[163] Le fonctionnaire a collaboré à l’enquête; il a informé son employeur le jour de son arrestation. Il a invoqué son droit au silence lors de l’entrevue avec le service de police, comme son avocat lui avait conseillé. Toutefois, lors de l’enquête, il a répondu à toutes les questions posées et a pleinement collaboré. En outre, l’employeur était au courant de toutes les comparutions, et un représentant de l’employeur a assisté à la comparution finale.

[164] En attendant l’issue du processus d’enquête, l’employeur a continué d’employer le fonctionnaire. Autrement dit, le lien de confiance n’était pas rompu. Il rompt apparemment avec le rapport d’enquête. Or, le rapport d’enquête n’apportait rien de nouveau.

[165] Le rapport d’enquête, comme je l’ai détaillé précédemment, porte largement sur des allégations qui n’ont pas été prouvées. Le point de départ de toute cette affaire, la soi-disant importation d’un silencieux, tourne court : je n’ai reçu aucune preuve d’une expertise sur l’objet en question pour déterminer si, effectivement, il pouvait devenir un silencieux. Je n’ai pas non plus reçu de preuve que le silencieux noir était compatible avec les armes que possédaient le fonctionnaire. Il n’y avait strictement aucune preuve que le fonctionnaire avait fabriqué ce silencieux. Le fonctionnaire a été acquitté de tout manquement à la Loi sur les armes à feu. Il n’y avait aucune munition pour l’arme tronçonnée chez le fonctionnaire.

[166] Le fonctionnaire a fait un calcul en plaidant coupable, et ne s’est pas dédit à l’audience. Il dit mériter 20 jours de suspension pour les erreurs pour lesquelles il a plaidé coupable.

[167] Le fonctionnaire a plaidé coupable à deux infractions criminelles. Un tribunal administratif ne peut contredire une conclusion judiciaire (voir S.C.F.P.). Je conclus donc qu’il y a eu inconduite.

[168] Ayant conclu qu’il y a inconduite, la sanction de licenciement est-elle proportionnée? À mon sens, cette inconduite n’est pas de nature à mériter un congédiement. Elle n’a rien à faire avec le milieu de travail, elle ne jette pas de discrédit sur le SCC (aucun rapport médiatique d’après la preuve), et le fonctionnaire n’a rien fait pour rompre le lien de confiance. L’employeur n’a pas établi en quoi le comportement du fonctionnaire nuirait à la réputation du SCC, ou l’empêcherait de faire ses tâches.

[169] Il est pour moi déterminant qu’une situation judiciaire du même type, celle de H.H., donne lieu à un résultat si différent, d’autant que les conditions imposées par la cour à H.H. étaient beaucoup plus sévères. Les témoignages de MM. Kelsch et Garneau n’ont pas été contredits. Il est possible de continuer à travailler pour le SCC comme agent correctionnel même après avoir été trouvé coupable d’une infraction criminelle. Tout dépend évidemment des faits, du contexte, et de la gravité des infractions.

[170] Pour reprendre les critères de Millhaven Fibres Ltd. invoqués par l’employeur, dans le cas H.H., qui a plaidé coupable à des infractions relatives aux armes à feu, il ne semblait pas y avoir de souci de réputation du SCC ou de problèmes en milieu de travail. Je n’ai reçu aucune preuve contraire au sujet du fonctionnaire.

[171] Je conclus que le licenciement devrait être annulé. Puisque j’ai conclu à l’inconduite, il s’agit de savoir quelle sanction devrait remplacer le licenciement.

[172] Dans le cas de H.H., on a imposé une suspension de 10 jours pour avoir plaidé coupable à des chefs d’accusation semblables. Je n’ai reçu aucune preuve sur le dossier disciplinaire de H.H.

[173] Je sais que le dossier du fonctionnaire comporte une suspension de 7 jours faisant suite à l’enquête sur la plainte de harcèlement. Comme je l’ai dit, cette sanction fait l’objet d’un grief qui n’a pas encore été entendu par la Commission. Je dois donc prendre le dossier du fonctionnaire dans l’état où il est actuellement. J’estime que la proposition du fonctionnaire d’une suspension de 20 jours est raisonnable dans les circonstances.

G. Mesures de redressement

[174] Au cours de l’audience, il a été convenu que la décision ne porterait que sur le congédiement, et non sur les mesures de redressement. Dans l’ordonnance qui suit, selon la décision motivée qui précède, je réintègre le fonctionnaire et lui accorde les avantages conséquents à cette réintégration. Tout salaire gagné dans le cadre d’un autre emploi sera déduit du montant salarial versé.

[175] Le fonctionnaire a demandé que des intérêts au taux légal de la province de Québec soient ajoutés au montant d’indemnisation, comme le permet l’al. 226(2)(c) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2). L’employeur a demandé que les intérêts soient versés sur la somme nette.

[176] Il me semble que le principe des dommages est de compenser pour ce que le fonctionnaire aurait eu n’eut été du licenciement. Il me paraît logique de verser les intérêts sur la somme nette, soit le salaire moins les déductions d’usage, la solution retenue dans Hanna c. Conseil du Trésor (ministère de l’Environnement), 2020 CRTESPF 116.

[177] L’atténuation des dommages s’ajoute par la suite au calcul. L’employeur compense le fonctionnaire pour ce qu’il aurait gagné. La contribution du fonctionnaire en atténuant les dommages prévient un enrichissement sans cause.

[178] Le fonctionnaire avait également demandé dans son grief une compensation monétaire pour les torts subis, ainsi que des dommages punitifs. Il a renoncé à ces mesures de redressement à l’audience. Par conséquent, il ne sera pas nécessaire de poursuivre sur les mesures de redressement. Le licenciement n’étant pas justifié, la mesure de redressement habituelle est ordonnée, soit la réintégration et l’indemnisation. Compte tenu du profil professionnel du fonctionnaire, je n’ai aucun doute qu’il pourra réintégrer avec succès le SCC.

[179] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[180] Le grief est accueilli.

[181] Le fonctionnaire est réintégré dans un poste de niveau CX-02 après une suspension de 20 jours débutant le 5 août 2021.

[182] L’employeur versera au fonctionnaire, dans les 60 jours de la présente décision, le montant dû pour le salaire, les primes et les heures supplémentaires (calculées selon la moyenne d’heures supplémentaires effectuées par des agents correctionnels de niveau CX-02 à l’établissement de La Macaza pendant la période en question), moins les déductions d’usage.

[183] L’employeur versera au fonctionnaire, dans les 60 jours de la présente décision, l’intérêt simple annuel au taux légal de la province de Québec sur la somme calculée au paragraphe précédent.

[184] Le montant net du salaire gagné pendant cette période par le fonctionnaire dans un autre emploi sera déduit du montant versé aux termes des deux paragraphes précédents.

[185] Les crédits de congé du fonctionnaire seront rétablis.

[186] Le régime de pension de l’employeur sera rétabli. L’employeur versera sa part au Régime de pension du Canada et au Régime des rentes du Québec.

[187] Les frais médicaux, dentaires et paramédicaux encourus pendant cette période seront remboursés selon les modalités du régime d’assurance médicale de l’employeur.

[188] Je demeure saisie pour une période de 60 jours pour toute question relative à la mise en œuvre de la présente ordonnance.

Le 9 février 2023.

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.