Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a déposé une plainte contre la défenderesse, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC), dans laquelle elle allègue qu’elle avait eu recours à une pratique déloyale de travail, notamment en manquant à son devoir de représentation équitable lorsqu’elle a refusé de contester la Politique sur la vaccination contre la COVID-19 applicable à l’administration publique centrale, y compris à la Gendarmerie royale du Canada (la « Politique ») que le Conseil du Trésor avait adoptée – la plaignante a ensuite allégué que la défenderesse avait manqué à son devoir de représentation équitable lorsqu’elle a refusé de la représenter dans ses efforts de contestation de l’application de la Politique et de déposer un grief en son nom après que son employeur ait refusé sa demande d’exemption de l’application de la Politique pour des motifs de croyance religieuse – la défenderesse a soulevé deux objections préliminaires, dont la première soutenait que la plainte devait être rejetée parce qu’elle était hors délai et la deuxième soutenait qu’elle devrait être rejetée de façon préliminaire et sans que soit tenue une audience parce que la plainte n’était pas une cause défendable – l’AFPC avait indiqué à l’origine qu’elle déposerait un grief au nom de la plaignante, mais elle avait annulé cette décision après avoir consulté un avocat – par conséquent, elle a été placée en congé non payé et de ce fait elle a pris sa retraite de la fonction publique fédérale – elle a tenté d’annuler sa retraite, mais l’AFPC a refusé de la représenter – la Commission a maintenu l’objection de l’AFPC, car elle a conclu que la plainte avait été déposée au-delà du délai statutaire de 90 jours – les tentatives du plaignant pour que l’AFPC reconsidère sa décision n’ont pas fait recommencer le délai de 90 jours - la Commission n’avait pas le pouvoir de modifier le délai – par conséquent, il n’était pas nécessaire que la Commission décide si la plainte établissait une cause défendable.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date: 20230210

Dossier: 561-02-44725

 

Référence: 2023 CRTESPF 14

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail dans

le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

ENTRE

 

ARLENE VAXVICK

plaignante

 

et

 

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

 

défenderesse

Répertorié

Vaxvick c. Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Amélie Lavictoire, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante : Elle-même

Pour la défenderesse : Morgan Rowe, avocate

Décision rendue sur la base d’arguments écrits,

déposés les 17, 26 et 31 août 2022.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Plainte devant la Commission

[1] Le 11 mai 2022, Arlen Vaxvick (la « plaignante ») a présenté une plainte auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») contre son agent négociateur, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (« AFPC » ou la « défenderesse »). Dans sa plainte, la plaignante a allégué que la défenderesse avait eu recours à une pratique déloyale de travail, notamment en manquant à son devoir de représentation équitable lorsqu’elle a refusé de contester la Politique sur la vaccination contre la COVID-19 applicable à l’administration publique centrale, y compris à la Gendarmerie royale du Canada (la « Politique »), adoptée par le Conseil du Trésor. La plaignante a par la suite allégué que la défenderesse avait manqué à son devoir lorsqu’elle a refusé de représenter la plaignante dans ses démarches visant à contester l’application de la Politique et de déposer un grief en son nom par suite du refus par son employeur de sa demande d’exemption de l’application de la Politique pour des motifs de croyance religieuse.

[2] La défenderesse a soulevé deux objections préliminaires. Dans la première, elle soutient que la plainte doit être rejetée parce que celle-ci a été déposée hors délai. Selon la défenderesse, la plainte a été présentée à la Commission après le délai obligatoire de 90 jours prévu pour le dépôt de plaintes dans lesquelles il est allégué qu’un agent négociateur a manqué à son devoir de représentation équitable (paragraphe 190(2) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). La défenderesse fait valoir que la plainte a été présentée plus de 90 jours après la date à laquelle la plaignante a été informée de la décision de l’AFPC de ne pas la représenter.

[3] La défenderesse a soulevé une deuxième objection préliminaire, en soutenant que la plainte devrait être rejetée de façon préliminaire et sans que soit tenue une audience parce que la plainte n’établit pas une cause défendable à savoir que la défenderesse a manqué à son devoir.

[4] Conformément à l’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365), la Commission peut régler toute affaire dont elle est saisie sans tenir d’audience. Dans la présente affaire, les parties ont été informées que la Commission envisageait de rendre une décision concernant les objections formulées par la défenderesse en se fondant sur des arguments écrits. Elles ont eu la possibilité de déposer des arguments écrits supplémentaires. Les deux parties l’ont saisie et ont déposé des arguments approfondis.

[5] J’ai examiné la plainte et les arguments avec soin et je suis convaincue que je peux rendre une décision quant à l’objection de la défenderesse ayant trait au respect du délai sur la base des arguments écrits déposés par les parties.

[6] Je conclus que la plainte est hors délai et qu’elle devrait être rejetée. Par conséquent, il n’est pas nécessaire que je décide si la plainte établit une cause défendable. Je sais que cette décision ne donnera pas satisfaction à la plaignante. Cependant, le délai de dépôt est un délai obligatoire et les plaignants sont tenus de le respecter. Aucune disposition de la Loi ne permet à la Commission de le proroger.

II. Résumé des circonstances ayant donné lieu à la plainte

[7] La plaignante a été employée par le Conseil du Trésor, son employeur au sens de la loi, de 2009 à 2022. Elle a travaillé en tant qu’agente principale de programme par intérim au sein de Services aux Autochtones Canada. Aux fins de la présente décision, Services aux Autochtones Canada sera désigné comme l’employeur de la plaignante.

[8] La plaignante était membre de l’AFPC, l’agent négociateur accrédité de son unité de négociation. Le Syndicat des employées et employés nationaux (« SEN ») est l’élément de l’AFPC chargé de fournir à la plaignante une aide directe et d’assurer sa représentation.

[9] Le 6 octobre 2021, le Conseil du Trésor a adopté la Politique. De façon générale, la Politique exigeait que les employés de l’administration publique centrale soumettent une attestation de leur statut vaccinal avant une date précise, à moins qu’ils ne bénéficient de mesures d’adaptation en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6). Les employés qui refusaient d’être complètement vaccinés ou de divulguer leur statut vaccinal étaient invités à ne pas se présenter au travail et étaient mis en congé administratif non payé tant qu’ils n’étaient pas vaccinés ou qu’ils refusaient de divulguer leur statut vaccinal. En tant qu’employée de l’administration publique centrale, la Politique s’appliquait à la plaignante. L’application de la Politique a été suspendue en juin 2022.

[10] Le 6 octobre 2021 également, après l’annonce de la Politique, la plaignante a rencontré des représentants du SEN pour étudier les options qui s’offraient à elle. Lors de cette rencontre, elle a suggéré que l’AFPC dépose un grief de principe pour contester la Politique. Deux jours plus tard, elle a reçu la confirmation écrite que l’AFPC ne déposerait pas de grief de principe. La correspondance contenait des explications détaillées. La décision de l’AFPC y était expliquée, ainsi que l’intention de celle-ci de déposer un grief pour toute mesure punitive prise par l’employeur contre un membre de l’AFPC. Elle informait également la plaignante que les représentants du SEN cherchaient à obtenir des renseignements supplémentaires en son nom au sujet des exemptions prévues par la Politique.

[11] Le 14 octobre 2021, la plaignante a demandé à son employeur d’être exemptée de l’application de la Politique, en invoquant ses croyances religieuses.

[12] Le 13 janvier 2022, la plaignante a été informée que son employeur avait refusé sa demande d’exemption. Elle a fait appel de cette décision à l’interne, mais son employeur a finalement confirmé sa décision de refuser sa demande.

[13] Entre le moment où son employeur a rejeté une première fois la demande d’exemption et le moment où il l’a définitivement rejetée, la plaignante a contacté les représentants du SEN pour leur demander de l’aider à contester la décision de son employeur de rejeter sa demande d’exemption et de la placer en congé non payé. Les représentants du SEN ont échangé des courriels avec la plaignante afin de recueillir davantage de renseignements sur les faits de sa situation et sur le fondement de sa demande d’exemption. Parmi ces échanges de courriels, deux courriels d’un représentant du SEN faisaient renvoi au dépôt éventuel, par le syndicat, d’un grief au nom de la plaignante une fois qu’elle aurait été mise en congé non payé.

[14] Le 8 février 2022, les représentants du SEN ont communiqué avec la plaignante et l’ont informée des conclusions de l’examen de son dossier par l’équipe de direction régionale de l’AFPC. Ils l’ont informée que l’AFPC ne l’appuierait pas dans sa contestation du refus de l’employeur de sa demande d’exemption et qu’elle ne l’appuierait pas non plus si elle cherchait à contester la décision de l’employeur de la mettre en congé non payé pour ne pas avoir respecté la Politique. Ils ont expliqué qu’ils estimaient que les griefs de la plaignante avaient peu de chances d’aboutir. Ils ont également renvoyé à la jurisprudence de la Cour suprême du Canada au sujet des limites posées à la protection accordée par la Charte à la liberté de religion. De plus, les représentants du SEN ont mentionné l’évaluation de l’AFPC selon laquelle, à la lumière de la jurisprudence et des circonstances telles qu’elles existaient à l’époque, le fait d’être mise en congé non payé serait probablement considéré comme une mesure administrative, et non disciplinaire, et ne pourrait donc pas être renvoyée à l’arbitrage en vertu de la Loi. Bien que les représentants du SEN aient confirmé que l’AFPC ne donnerait pas suite aux griefs au nom de la plaignante, ils ont confirmé qu’ils pourraient la conseiller sur la procédure de grief si elle décidait de les déposer elle-même.

[15] Le 11 février 2022, la plaignante a été mise en congé non payé pour non-respect de la Politique. Le même jour, elle a écrit aux représentants du SEN pour leur demander de présenter un grief sans délai.

[16] Le 14 février 2022, la plaignante a présenté une lettre informant son employeur de sa retraite de la fonction publique fédérale. Le jour suivant, un représentant du SEN a écrit à la plaignante et lui a fourni un lien vers un formulaire de grief individuel ainsi que des conseils généraux quant aux éléments devant généralement figurer dans un grief. Le représentant a renvoyé la plaignante à sa correspondance du 8 février 2022, dans laquelle elle l’informait que l’AFPC ne la représenterait pas et ne lui fournirait pas de soutien dans le cadre de la procédure de règlement des griefs.

[17] Le 18 février 2022, la plaignante a répondu au représentant du SEN. Elle a indiqué les articles de la convention collective sur lesquels elle comptait s’appuyer pour déposer son grief et a demandé au représentant de confirmer par écrit que l’AFPC n’appuierait pas son grief. Elle a reçu cette confirmation écrite le jour même, ainsi qu’un rappel selon lequel elle pouvait présenter un grief par elle-même.

[18] Au mois de juin 2022, et après la suspension de l’application de la Politique, la plaignante a tenté d’annuler sa retraite de la fonction publique fédérale. Elle a de nouveau demandé à la défenderesse de déposer en son nom un grief contestant la décision de l’employeur de la mettre en congé non payé, faisant valoir que la décision de l’employeur de la mettre en congé non payé l’avait forcée à prendre sa retraite. La défenderesse a encore une fois refusé de la représenter.

III. Résumé de l’argumentation

[19] Comme il a été mentionné précédemment, la défenderesse a soulevé deux objections préliminaires. La présente décision ne porte que sur l’objection relative au respect du délai soulevée par la défenderesse. Les arguments des parties sur cette question sont résumés ci-dessous.

[20] La plaignante soutient que sa plainte a été déposée auprès de la Commission dans les délais prescrits. L’employeur l’a mise en congé non payé le 11 février 2022, après que sa demande d’exemption pour motifs religieux eut été refusée. La plaignante fait valoir que le délai de dépôt de 90 jours devrait courir à partir du 11 février 2022, et non du 8 février 2022, date à laquelle la défenderesse l’a informée de sa décision de ne pas la représenter. Elle fait valoir que les représentants du SEN avaient, dans leur correspondance avec elle, indiqué à plusieurs reprises la date à laquelle elle avait été mise en congé non payé comme étant la date à partir de laquelle devait courir le délai prescrit dans le cadre du dépôt d’un grief.

[21] La plaignante soutient également que, le 20 juin 2022 ou vers cette date, elle a demandé à la défenderesse de la représenter dans le cadre de ses démarches infructueuses visant à annuler sa retraite anticipée de la fonction publique fédérale. Selon elle, la défenderesse a traité son dossier de manière arbitraire, car elle n’a pas procédé à un examen fondé sur les faits propres à sa situation.

[22] La défenderesse soutient que la plainte est hors délai et qu’elle doit être rejetée. Le délai de dépôt de 90 jours prévu au paragraphe 190(2) de la Loi est obligatoire, et il n’existe aucun pouvoir discrétionnaire de proroger ce délai pour permettre le dépôt tardif d’une plainte (voir Esam c. Alliance de la Fonction publique du Canada (Syndicat des employées et employés nationaux), 2014 CRTFP 90, et Éthier c. Service correctionnel du Canada, 2010 CRTFP 7).

[23] La défenderesse fait valoir que sa décision de refuser de représenter la plaignante dans le cadre de la contestation de l’application de la Politique et du refus par l’employeur de la demande de la plaignante d’être exemptée de l’application de la Politique a été explicitement communiquée à la plaignante au plus tard le 8 février 2022. Par conséquent, conformément au délai prescrit par le paragraphe 190(2) de la Loi, la plainte devait être déposée au plus tard le 8 mai 2022 pour être considérée comme ayant été déposée dans les délais. La plainte a été déposée le 11 mai 2022. Elle n’a pas été déposée dans le délai obligatoire et doit donc être rejetée.

[24] La défenderesse fait valoir que bon nombre des arguments soulevés par la plaignante dans ses arguments écrits ne sont pas pertinents pour la décision de la Commission en ce qui concerne le respect du délai prescrit pour le dépôt de la plainte. Le fait que l’employeur ait par la suite mis la plaignante en congé non payé n’est pas pertinent pour le calcul du délai de dépôt de la plainte. Dans une plainte relative au devoir de représentation équitable, ce sont les actes de l’agent négociateur, et non de l’employeur, qui sont en cause. La plaignante a pris connaissance de la décision de l’agent négociateur au plus tard le 8 février 2022. Le délai a commencé à courir à partir de cette date.

[25] Par ailleurs, le fait que la plaignante a continué de communiquer avec la défenderesse après le 8 février 2022 ne proroge pas le délai prescrit de 90 jours pour déposer une plainte. Ces communications équivalaient à des contestations indirectes et informelles de la décision précédemment prise et communiquée par l’agent négociateur, ainsi qu’à des rappels de la décision que la défenderesse avait déjà communiquée à la plaignante. Le fait qu’une plaignante a continué de correspondre avec la défenderesse ne peut être invoqué pour proroger le délai de dépôt d’une plainte.

[26] Enfin, la défenderesse soutient que la plaignante cherche à contourner la question du délai en s’appuyant sur des allégations qui ne sont pas soulevées dans sa plainte et qui se rapportent à des événements survenus après la date à laquelle elle a déposé sa plainte. Ces allégations ne sont d’aucune aide pour la plaignante. Elles traduisent de nouvelles tentatives de sa part visant à amener l’agent négociateur à reconsidérer sa décision antérieure ou constituent des allégations relatives à un incident distinct et séparé, sans rapport avec sa correspondance antérieure avec l’agent négociateur dans laquelle il était notamment question des démarches de la plaignante visant à annuler sa démission de la fonction publique fédérale. Aucune de ces allégations ne peut être utilisée pour proroger le délai dans lequel la plaignante a su ou aurait dû savoir que la défenderesse refusait de la représenter pour contester l’application de la Politique ou le refus de son employeur de lui accorder une exemption.

IV. Analyse

[27] La Loi fixe une date limite pour le dépôt d’une plainte dans laquelle il est allégué que l’agent négociateur a manqué à son devoir de présentation équitable. Les paragraphes 190(1) et 190(2) de la Loi établissent conjointement un délai de 90 jours pour le dépôt de plaintes de ce type. Ces paragraphes énoncent ce qui suit :

190 (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

[…]

190 (1) The Board must examine and inquire into any complaint made to it that

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

(g) the employer, an employee organization or any person has committed an unfair labour practice within the meaning of section 185.

(2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

(2) Subject to subsections (3) and (4), a complaint under subsection (1) must be made to the Board not later than 90 days after the date on which the complainant knew, or in the Board’s opinion ought to have known, of the action or circumstances giving rise to the complaint.

 

[28] Le libellé susmentionné a un caractère obligatoire. La Commission a déclaré à maintes reprises qu’elle n’a pas le pouvoir légal de proroger le délai de 90 jours (voir Esam, Castonguay c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CRTFP 78, au par. 55; Paquette c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2018 CRTESPF 20; MacDonald c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2022 CRTESPF 96, entre autres). Le fait que la plainte soit déposée quelques jours seulement après le délai prescrit ne change rien. Le seul pouvoir discrétionnaire de la Commission lorsqu’elle interprète le paragraphe 190(2) en ce qui concerne le délai de 90 jours consiste à déterminer le moment où le plaignant a eu ou aurait dû avoir connaissance des circonstances qui ont donné lieu à la plainte (voir Boshra c. Association canadienne des employés professionnels, 2009 CRTFP 100 et Esam, au par. 33, citant England c. Taylor, 2011 CRTFP 129).

[29] Dans une plainte de ce type, ce ne sont généralement que les mesures prises par l’agent négociateur qui sont pertinentes pour déterminer si le délai est respecté. Dans les circonstances du présent cas, les mesures prises par l’employeur, qui a mis la plaignante en congé non payé pour ne pas avoir respecté la Politique et qui a rejeté sa demande d’exemption, ne sont pas pertinentes pour déterminer si la plainte a été déposée dans les délais. Sont pertinentes les mesures prises par l’agent négociateur ou les omissions de celui-ci dans le cadre de la représentation de la plaignante.

[30] Pour déterminer si la plainte a été déposée dans les délais, je dois d’abord déterminer quelle mesure prise par l’agent négociateur est censée constituer un manquement au devoir de représentation équitable.

[31] La plainte est volumineuse. Si l’on tient compte des annexes, elle compte 212 pages. L’objet de la plainte, selon le libellé du document introductif, est la décision de la défenderesse de ne pas déposer un grief de principe contestant la Politique. Toutefois, dans ses arguments écrits, la plaignante explique que l’objet de la plainte est la décision de la défenderesse de ne pas la représenter dans le cadre de ses démarches visant à contester l’application de la Politique à son égard ainsi que le refus par son employeur de sa demande d’exemption.

[32] Si le respect du délai de dépôt de la plainte, tel que formulé dans le document introductif, est évalué par rapport à la date à laquelle la plaignante a eu ou aurait dû avoir connaissance de la décision de la défenderesse de ne pas déposer un grief de principe contestant la Politique, la plainte est clairement hors délai. La plaignante a été informée de cette décision dans un courriel daté du 8 octobre 2021. Sa plainte du 11 mai 2022 a été déposée bien après le délai prescrit de 90 jours.

[33] Par ailleurs, si l’on évalue le respect du délai par rapport à la date à laquelle la plaignante a eu ou aurait dû avoir connaissance du refus de la défenderesse de la représenter en déposant des griefs relatifs à sa situation personnelle, la date pertinente est nettement ultérieure.

[34] La plaignante a déposé des copies de courriels qu’elle a échangés avec des représentants du SEN. Ces courriels révèlent qu’elle a été informée de la décision de la défenderesse de ne pas la représenter le 8 février 2022. Cette décision a été exprimée en termes clairs et non ambigus. La plaignante ne prétend pas qu’elle n’a pas compris que la défenderesse avait refusé de la représenter. Bien qu’elle ait continué à demander aux représentants du SEN de déposer un grief en son nom, elle avait compris que l’AFPC ne la représenterait pas.

[35] Dans ses arguments, la plaignante considère que la date du 8 février 2022 n’est pas pertinente. Elle insiste plutôt sur la date du 11 février 2022 et soutient que sa plainte a été déposée dans le délai prescrit, car elle a été déposée dans les 90 jours suivant cette date. La plaignante retient la date du 11 février parce qu’un représentant du SEN avait précédemment indiqué qu’un grief relatif à l’application de la Politique ne pouvait être déposé qu’une fois que la plaignante avait été mise en congé non payé. Cela s’est produit le 11 février 2022. Le fait que la plaignante se soit fondée sur la date du 11 février est une erreur malheureuse de sa part, une erreur qui l’a amenée à calculer le délai pour déposer une plainte en fonction de la mesure prise par son employeur plutôt que de celle prise par l’agent négociateur. Je conclus qu’elle a eu connaissance de la décision de la défenderesse de ne pas la représenter le 8 février 2022.

[36] La plaignante reconnaît que sa plainte a été déposée le 11 mai 2022. Tel qu’il a été mentionné, la Loi exige que les plaintes soient déposées dans les 90 jours suivant le manquement présumé au devoir de représentation équitable. Que le délai de 90 jours soit calculé en fonction de la décision du 8 octobre 2021 de la défenderesse de ne pas déposer de grief de principe ou de sa décision du 8 février 2022 de ne pas représenter la plaignante, la plainte présentée le 11 mai 2022 est hors délai.

[37] Avant de conclure, j’ajouterai que les échanges de la plaignante avec les représentants du SEN entre le 8 et le 18 février 2022 ne sont pas pertinents pour le calcul du délai de 90 jours. Dans ces échanges, les représentants du SEN ont continué à répéter le refus de représentation de la défenderesse exprimé pour la première fois le 8 février. Rien dans ces échanges ne peut être considéré comme constituant une nouvelle décision de la défenderesse ou un engagement de sa part à revoir sa décision. Les échanges ne peuvent avoir pour effet de proroger le délai prescrit au-delà du 8 février 2022. La jurisprudence de la Commission est claire. Le délai pour déposer une plainte ne change pas si un plaignant tente d’amener un agent négociateur à reconsidérer une décision qu’il a déjà prise et communiquée (voir, par exemple, Éthier; Nemish c. King, Walker et Syndicat des employés nationaux (Alliance de la Fonction publique du Canada), 2020 CRTESPF 76; Tohidy c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2022 CRTESPF 69 et MacDonald). Le délai n’a pas recommencé à courir simplement parce que la plaignante a écrit aux représentants du SEN au sujet de la même question ou a soulevé une question distincte avec eux à un moment ultérieur, notamment en ce qui concerne ses démarches visant à annuler sa retraite de la fonction publique fédérale.

[38] La plainte a été présentée à la Commission plus de 90 jours après la date à laquelle la défenderesse a pris sa décision et l’a communiquée à la plaignante. Si elle est évaluée par rapport à la date à laquelle la défenderesse a communiqué sa décision de ne pas déposer de grief de principe, la plainte est hors délai de plusieurs mois. Cependant, si elle est évaluée par rapport à la date à laquelle la défenderesse a communiqué sa décision de ne pas représenter la plaignante, la plainte a été déposée deux jours après le délai prescrit de 90 jours. La loi ne m’autorise pas à proroger ce délai, même si la plainte a été présentée quelques jours seulement après la date limite. La plainte est hors délai et doit être rejetée.

[39] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[40] L’objection relative au respect du délai de dépôt de la plainte est accueillie.

[41] La plainte est rejetée.

Le 10 février 2023.

Traduction de la CRTESPF

Amélie Lavictoire,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

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