Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé est un employé de l’Agence du revenu du Canada (l’« employeur ») et a travaillé à titre de vérificateur de l’impôt international à Winnipeg, au Manitoba – il est tombé malade et a pris un congé de maladie prolongé pendant une longue période – il a entamé un programme de retour au travail alors qu’il continuait à se rétablir et à suivre des traitements, avec des mesures d’adaptation, mais pas en tant que vérificateur de l’impôt international – le fonctionnaire s’estimant lésé a allégué que l’employeur n’avait pas pris de mesure d’adaptation à son égard et qu’il avait été victime de discrimination en raison de son handicap – il a établi une preuve prima facie de discrimination – il avait un handicap, qui est une caractéristique protégée contre la discrimination en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6) – il a subi un effet préjudiciable dans son emploi étant donné qu’à son retour du congé de maladie, il n’a pas repris ses fonctions de vérificateur de l’impôt international – son handicap a été un facteur dans cet effet préjudiciable – l’employeur a démontré qu’il avait une exigence professionnelle justifiée en ce sens qu’un vérificateur de l’impôt international est tenu de se rendre sur les lieux d’activité de l’entité faisant l’objet de la vérification – le travail en matière de fiscalité internationale était effectué presque exclusivement à Calgary, en Alberta, ce qui exigeait des déplacements depuis Winnipeg et de longues heures de travail – ces exigences étaient clairement nécessaires pour atteindre les objectifs du poste – bien que l’employeur ait tenté de prendre des mesures d’adaptation pour le fonctionnaire s’estimant lésé en reconfigurant le travail du vérificateur de l’impôt international, il n’était pas possible de le faire sans que l’employeur ne subisse une contrainte excessive, en raison des restrictions médicales du fonctionnaire s’estimant lésé – l’employeur s’est efforcé d’étudier plusieurs possibilités et de comparer les éléments de tous les postes, afin de trouver le meilleur compromis possible – un autre poste a été trouvé et offert au fonctionnaire s’estimant lésé, qu’il a accepté – le poste consistait en un travail intéressant au même groupe et au même niveau à Winnipeg – le fonctionnaire s’estimant lésé a fait l’objet de mesures d’adaptation.

Grief rejeté.

Contenu de la décision

Date: 20230215

Dossier: 566-34-13906

 

Référence: 2023 CRTESPF 18

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail dans

le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

ENTRE

 

CLAYTON REECE

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

employeur

Répertorié

Reece c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

 

Devant : James R. Knopp, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Dave E. Lewis, agent des relations de travail

Pour l’employeur : Elizabeth Matheson, avocate, Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada

Affaire entendue par vidéoconférence,

les 29 et 30 mars et du 17 au 21 octobre 2022.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Introduction et contexte du grief

[1] Clayton Reece, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire ») est un employé de l’Agence du revenu du Canada (ARC ou l’« employeur »). Du 4 décembre 2003 au 5 février 2016, il a travaillé comme vérificateur de l’impôt international et a occupé un poste au groupe et au niveau AU-03 au bureau des services fiscaux (région des Prairies) de l’ARC, à Winnipeg, au Manitoba. Il a travaillé à l’ARC de 2016 jusqu’au dernier jour de l’audience, et il continue d’y travailler, mais au sein du programme des Renseignements d’entreprise et de l’assurance de la qualité (REAQ), où il occupe toujours un poste au groupe et au niveau AU-03.

[2] Le travail d’un vérificateur de l’impôt international est rigoureux et exigeant, et le fonctionnaire faisait bien son travail. Il recevait des évaluations du rendement favorables et a même occupé un poste au groupe et au niveau AU-04. Malheureusement, il est tombé malade en 2010. Sa maladie était d’une telle gravité qu’il a été mis en congé médical prolongé pendant une longue période. Il a entamé un programme de retour au travail à la fin de l’année 2012 tout en étant encore en convalescence et en suivant un traitement.

[3] Lors du retour au travail du fonctionnaire, la médecin de ce dernier communiquait avec l’employeur pour discuter des mesures d’adaptation nécessaires, qui évoluaient en fonction de l’état de santé du fonctionnaire. Les mesures d’adaptation de base étaient les suivantes : une semaine de travail de 20 heures comprenant quatre jours de 5 heures, la possibilité de recourir au télétravail et le moins de déplacements possible.

[4] Le fonctionnaire souhaitait vivement retrouver ses anciennes fonctions de vérificateur de l’impôt international. Étant donné que ce travail impliquait de fréquents déplacements et de longues heures de travail, l’employeur n’a pas pu réintégrer le fonctionnaire à son poste en raison des mesures d’adaptation imposées par la médecin de ce dernier. L’employeur a pu lui proposer quelques dossiers dans lesquels figuraient des éléments que l’on retrouve dans les tâches de vérification de l’impôt international.

[5] Une note de la médecin de juin 2014 a ouvert la possibilité d’un retour partiel du fonctionnaire à ses anciennes fonctions, dans la mesure où elle permettait à celui-ci d’effectuer des déplacements limités. Des efforts ont été entrepris pour lui attribuer un dossier de vérification de l’impôt international, mais aucun dossier convenable n’a été trouvé, de sorte qu’il a continué à travailler sur les dossiers dont il était chargé.

[6] La médecin, dans une note subséquente du 13 octobre 2015, a imposé des restrictions qui écartaient toute possibilité de retour du fonctionnaire à ses anciennes fonctions de vérificateur de l’impôt international. Il a continué à travailler sur les dossiers dont il était chargé tout au long de l’automne 2015, période à laquelle la direction cherchait activement un autre poste à lui offrir.

[7] Le 5 février 2016, l’employeur a affecté le fonctionnaire à un poste au groupe et au niveau AU-3, dans le cadre duquel il était chargé des renseignements d’entreprise et de l’assurance de la qualité (REAQ) de la vérification de l’impôt. Il a occupé ce poste depuis lors.

[8] Le fonctionnaire a allégué que l’employeur avait violé l’article 42 de la convention collective qui a expiré le 21 décembre 2014. Le fonctionnaire a allégué que l’employeur n’avait pas pris les mesures d’adaptation nécessaires à son égard. Il a prétendu qu’il était victime de discrimination en raison de sa déficience. Il a déposé un grief à cet effet le 4 août 2016. Un avis a été transmis à la Commission canadienne des droits de la personne le 15 mars 2015.

[9] L’affaire a été renvoyée à l’arbitrage devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») et a fait l’objet d’une audience au moyen de la plateforme de vidéoconférence Zoom. La Commission se trouvait à Ottawa, en Ontario, tout comme l’avocat de l’employeur. Le représentant du fonctionnaire se trouvait à Toronto, en Ontario. Le fonctionnaire se trouvait, comme tous les témoins, à Winnipeg.

[10] Pour les motifs qui suivent, le grief est rejeté. L’employeur a fait preuve de diligence en respectant les mesures d’adaptation imposées par la médecin du fonctionnaire et lui a trouvé un travail sérieux dans le même groupe et au même niveau dans son bureau des services fiscaux de Winnipeg. Le fonctionnaire a bénéficié de toutes les mesures d’adaptation nécessaires.

II. Les témoignages et la preuve documentaire

[11] Le fonctionnaire a été en congé de maladie prolongé du 1er avril 2011 au 15 octobre 2012. La Dre Nadine Lecuyer, la médecin du fonctionnaire, a émis l’idée d’un plan de retour progressif au travail dans une lettre du 23 août 2012, qui se lit en partie comme suit :

[Traduction]

[…]

J’ai examiné la description de travail ci-jointe et discuté des tâches de travail avec M. Reece. À l’heure actuelle, M. Reece est incapable d’accomplir bon nombre des tâches que requiert son poste […] M. Reece ne serait pas en mesure d’accomplir ces tâches en temps voulu ou de manière efficace. Il ne pourrait être un représentant efficace de l’Agence du revenu du Canada ou du ministère de la Justice. Il éprouverait également de la difficulté à gérer les exigences liées à la présentation d’un témoignage devant un tribunal.

Le plan de retour progressif au travail proposé par Banyan ne convient pas à la situation de M. Reece et je crois qu’il devrait être abandonné dans la mesure où M. Reece continue de suivre un traitement actif pour sa maladie.

M. Reece pense qu’il pourrait accomplir d’autres tâches pour tenter de réintégrer le milieu de travail d’une manière ou d’une autre. Plus précisément, il rapporte qu’avant d’être en congé de maladie, il était chargé de préparer des dispenses en matière de vente de biens. Il a expliqué qu’il s’agissait d’une tâche plus facile à gérer, car l’enquête sur un dossier et sa gestion peuvent se faire en quelques jours ou quelques semaines, plutôt qu’en plusieurs années comme c’est le cas pour les vérifications de l’impôt international. Il a indiqué que son employeur l’avait beaucoup aidé à comprendre ses besoins. Je suis convaincue que M. Reece pourrait travailler avec le directeur de son service de vérification (David Wiwierski) pour trouver des projets et des dossiers de moindre envergure, comme les dispenses en matière de vente de biens, qui lui permettraient de travailler de manière productive. Au début, il pourrait avoir besoin d’une supervision pour vérifier s’il commet des erreurs de vérification. Si ce type de mesure d’adaptation est possible, M. Reece pourrait alors commencer à travailler 4 heures par jour, 5 jours par semaine (maximum). Cette mesure d’adaptation restera en vigueur pendant une période d’au moins trois mois, après quoi l’aptitude au travail de M. Reece sera réévaluée.

[…]

 

[12] Le fonctionnaire est retourné au travail en octobre 2012, en respectant les restrictions imposées par la Dre Lecuyer. Il a déclaré avoir été chargé d’examiner les dossiers qu’un fonctionnaire ayant pris sa retraite avait laissés. Il a également émis des certificats de conformité relatifs à des ventes de biens par des non-résidents.

[13] Le 4 janvier 2013, la Dre Lecuyer a fait le point sur la situation du fonctionnaire dans une lettre adressée à l’employeur, qui se lit en partie comme suit :

[Traduction]

[…]

À l’heure actuelle, je crois que M. Reece est prêt à reprendre à temps plein son ancien emploi. Bien qu’il ressente toujours de la fatigue, M. Reece a indiqué que son emploi habituel lui offre la possibilité de travailler à domicile une partie de la semaine si nécessaire.

M. Reece travaille actuellement 20 heures par semaine. Il rencontrera son superviseur/gestionnaire pour déterminer la meilleure façon d’augmenter ses heures et ses responsabilités afin de retrouver ses fonctions habituelles d’ici le 1er février 2013.

[…]

 

[14] À la suite de la recommandation de la médecin, l’employeur et le fonctionnaire, conjointement avec un représentant de la Sun Life, son assureur, ont convenu d’augmenter graduellement le nombre d’heures de travail quotidien du fonctionnaire. Ils ont prévu de le faire graduellement chaque semaine au cours du mois de janvier 2013, dans le but de permettre au fonctionnaire de travailler à temps plein à la mi-février 2013.

[15] Le 3 avril 2013, David Wery, alors superviseur du fonctionnaire, a élaboré un plan de communication et un plan d’adaptation personnalisé dans lesquels il a consigné ses discussions avec le fonctionnaire au sujet de la charge de travail de ce dernier.

[16] Les dossiers dont le fonctionnaire avait la charge contenaient des renseignements sensibles, notamment des renseignements personnels et privés sur les contribuables et leurs activités financières. Le recours au télétravail exigeait des conditions strictes en matière de sécurité, notamment une ligne téléphonique sécurisée, un ordinateur avec un accès à distance sécurisé, une salle de travail pouvant être fermée à clé et un classeur pouvant être fermé à clé.

[17] L’employeur a fait appel à des experts techniques et en sécurité pour s’assurer que ces mesures de sécurité étaient respectées. Le fonctionnaire a témoigné qu’il avait l’impression que le dispositif de télétravail n’était pas correctement organisé. Bruce Bergman, le gestionnaire par intérim de la division dans laquelle le fonctionnaire travaillait, a convenu que le dispositif de télétravail avait été mis en place petit à petit plutôt que d’un seul coup, parce qu’il fallait commander une partie de l’équipement spécialisé et inspecter le lieu de travail [c.-à-d. la résidence du fonctionnaire] une fois l’installation terminée.

[18] Le fonctionnaire et M. Wery, ainsi que M. Bergman, ont tous témoigné que l’entente de télétravail était quelque peu informelle au départ. Le fonctionnaire a qualifié le télétravail de ponctuel, ce qui ne l’a pas satisfait. Selon M. Bergman, tout était véritablement prêt pour que le fonctionnaire puisse recourir au télétravail à la fin du mois de mars 2013.

[19] Le fonctionnaire se rendait encore régulièrement au bureau, habituellement une fois par semaine, pour assister à des réunions et pour effectuer une partie de son travail. M. Bergman a témoigné qu’une structure hiérarchique relativement complexe avait été mise en place dès le retour au travail du fonctionnaire après son congé de maladie. À ce moment-là, et avant de travailler avec M. Wery, le fonctionnaire se voyait confier ses tâches par Mme White, une autre chef d’équipe, mais il ne relevait pas d’elle. En réalité, il relevait de plusieurs personnes différentes, que ce soit pour des raisons administratives ou opérationnelles. M. Bergman a témoigné avoir mis de l’ordre dans cette situation le 6 mars 2013; le fonctionnaire relèverait désormais d’un seul chef d’équipe, lequel, à son tour, relèverait de M. Bergman.

[20] Du mois de janvier au 22 avril 2013, M. Wery était le chef d’équipe du fonctionnaire, dont ce dernier relevait. En l’absence de M. Wery, Karran Bayney (qui n’a pas témoigné à l’audience) a pris la relève en tant que chef d’équipe par intérim. Le 22 avril 2013, M. Wery a été affecté à un autre service de l’ARC et n’était plus en contact avec le fonctionnaire. Kim Anderson est devenue la chef d’équipe du fonctionnaire peu de temps après et l’est restée jusqu’au départ du fonctionnaire dans une autre division de l’ARC au début du mois de février 2016.

[21] Mme Anderson a témoigné qu’elle rencontrait le fonctionnaire toutes les deux semaines, habituellement le mardi, et qu’elle examinait alors sa charge de travail et le travail qu’il avait accompli. Elle exposait ensuite les prochaines étapes à suivre pour chaque dossier.

[22] Le fonctionnaire a souhaité revenir à son emploi de vérificateur de l’impôt international et n’était pas heureux de sa situation du moment, qu’il a qualifiée de non structurée. Il a versé à la preuve des courriels du 28 février 2013 qui en témoignent. Dave Wiwierski, un responsable du service de vérification (qui n’a pas témoigné à l’audience) a écrit en partie ce qui suit : [traduction] « En ce qui concerne la charge de travail, mon impression est que l’International a du mal à trouver du travail pour les gens maintenant. » Le même jour, M. Bergman a écrit en partie ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[] Clayton souhaiterait travailler sur des dossiers de vérification de l’impôt international. Karran [Bayney, chef d’équipe par intérim] hésite sur ce point, car il n’y a actuellement pas beaucoup de travail disponible dans ce secteur. De plus, Karran ne sait pas où en est Clayton en ce qui concerne le travail qui peut lui être confié.

[…]

 

[23] Le retour progressif au travail en janvier 2013 ne s’est pas bien passé. Le fonctionnaire a ressenti une fatigue importante et, le 12 avril 2013, sa médecin a rédigé une lettre de mise à jour sur les mesures d’adaptation nécessaires :

[Traduction]

[…]

Actuellement, M. Reece a tenté de reprendre le travail à temps plein. Malheureusement, cela s’est avéré impossible […]

À l’heure actuelle, je pense que M. Reece est capable de travailler en toute sécurité seulement 20 heures par semaine dans le cadre de son emploi actuel et qu’il doit effectuer la majeure partie de son travail à domicile. M. Reece sera disponible pour assister à des réunions sur le lieu de travail une fois par semaine et ira chercher des documents de travail ce même jour. Nous réévaluerons son aptitude au travail dans trois mois.

Je ne prévois pas que M. Reece soit en mesure de reprendre son travail à temps plein. Si vous avez besoin de renseignements supplémentaires pendant la transition, n’hésitez pas à me contacter.

[…]

 

[24] Le 23 avril 2013, M. Bergman a rédigé une lettre détaillée à l’intention de la Dre Lecuyer, dans laquelle il demandait des précisions sur les contraintes et les restrictions liées au travail auxquelles était soumis le fonctionnaire. Dans cette lettre, M. Bergman résumait les tâches essentielles d’un vérificateur de l’impôt international AU-03 (le poste actuel du fonctionnaire). M. Bergman a posé une série de questions à la Dre Lecuyer, qui y a répondu par une lettre manuscrite (le texte qui n’est pas en italique dans la citation suivante), qu’elle a signée et datée du 4 juin 2013. Les questions de M. Bergman et les réponses de la Dre Lecuyer sont les suivantes :

[Traduction]

[…]

Vous avez indiqué qu’à l’heure actuelle, M. Reece n’est capable de travailler en toute sécurité que 20 heures par semaine dans le cadre de son emploi actuel. Veuillez indiquer le nombre d’heures maximum pendant lesquelles il est capable de travailler chaque jour et s’il ne doit pas travailler à certains moments de la journée. En outre, est-il nécessaire que M. Reece prenne des périodes de repos au cours de la journée et pendant combien de temps? Veuillez noter que nos heures d’ouverture sont les suivantes : du lundi au vendredi, de 7 h à 18 h.

M. Reece peut travailler un maximum de 20 heures par semaine. Il peut avoir besoin de périodes de repos. J’aimerais qu’il ait la possibilité de travailler 8 heures par jour (2 une semaine, 3 la semaine suivante) ou 4 heures par jour (5 jours par semaine). Les heures de la journée seront déterminées en fonction du moment où il a le plus d’énergie (sans doute le matin).

Votre lettre suggère également que M. Reece devrait effectuer la majeure partie de son travail à domicile (télétravail). Veuillez fournir des détails sur les raisons médicales qui obligent M. Reece à travailler à domicile. Ces contraintes sont-elles permanentes ou temporaires?

[Dans la réponse, le mot « temporaire » est entouré.] Actuellement, le stress lié aux allers-retours entre le domicile et le lieu de travail pendant les heures de pointe du matin et du soir, ainsi que le temps perdu pendant ces déplacements augmentent le niveau de stress de M. Reece. En restant chez lui, il retrouverait une heure et demie à deux heures de temps libre pour se reposer et se soigner.

Dans le cadre d’une entente de télétravail, il est toujours nécessaire de respecter les heures de travail, c’est-à-dire les heures de début et de fin, les pauses et les périodes de repas. L’employé est-il en mesure de satisfaire à ces exigences ou des mesures d’adaptation sont-elles nécessaires? En outre, cet employé est-il capable de travailler de manière autonome et d’être motivé en étant en télétravail?

Le client est capable de respecter les exigences d’une entente de télétravail standard. Il est capable de travailler de manière indépendante et d’être motivé.

Existe-t-il des raisons pour lesquelles le client est limité dans ses déplacements ou dans l’utilisation d’un véhicule à moteur? Ces difficultés sont-elles permanentes ou temporaires?

[Le mot « temporaire » est entouré.] M. Reece devrait limiter ses déplacements autant que possible. Pour les réunions auxquelles il doit assister au travail ou lorsqu’il doit se rendre au bureau pour prendre ou déposer des documents, ces déplacements ne doivent pas avoir lieu pendant les heures de pointe du matin ou du soir, c’est-à-dire qu’il faut éviter les déplacements de 8 h à 9 h 30 et de 16 h 30 à 18 h.

Quelles sont la fréquence et la durée des réunions auxquelles cet employé pourrait assister sur le lieu d’activité du contribuable? Ces contraintes sont-elles permanentes ou temporaires?

[Le mot « temporaire » est entouré.] Ce client peut assister à des réunions une à deux fois par semaine sur le lieu de travail, à condition qu’il n’ait pas à se déplacer pendant les heures de pointe du matin ou du soir. La durée maximale de la réunion est de 4 heures.

M. Reece peut être tenu de se rendre sur son lieu de travail pendant des périodes prolongées pour bénéficier d’un encadrement ou d’une formation formelle. Des déplacements à l’extérieur de la région de Winnipeg peuvent être nécessaires pour suivre une formation. Existe-t-il des contraintes en ce qui concerne les déplacements sur le lieu de travail ou à un autre endroit pour assister aux séances de formation? Ces contraintes sont-elles permanentes ou temporaires?

[Le mot « temporaire » est entouré.] Si M. Reece doit se rendre sur le lieu de travail pour suivre une formation, je recommanderais qu’il y reste au maximum 6 heures par jour, afin qu’il puisse utiliser les 2 heures restantes pour gérer ses déplacements afin d’éviter l’épuisement.

Existe-t-il d’autres contraintes ou restrictions médicales liées aux fonctions de M. Reece et aux capacités physiques et non physiques de l’emploi et du lieu de travail? Dans l’affirmative, quelles recommandations suggéreriez-vous pour permettre à M. Reece de répondre en toute sécurité aux attentes de son poste?

s.o.

J’espère que la plupart des contraintes indiquées ci-dessus seront temporaires. Mais j’aimerais que ces restrictions soient en place pendant un minimum de 4 mois avant de réévaluer l’aptitude au travail.

[…]

 

[25] Mme Anderson a témoigné que les semaines de travail du fonctionnaire étaient de 20 heures et qu’il se présentait tous les deux mardis pour assister à des réunions sur sa charge de travail et pour faire le point sur son travail et établir les prochaines étapes. Les réunions étaient planifiées de manière à éviter les heures de pointe à Winnipeg.

[26] Dans un rapport sur l’évolution de la situation adressé à M. Bergman en date du 17 octobre 2013, Mme Anderson a fait part de l’observation suivante :

[Traduction]

[…]

J’ai également suggéré à Clayton qu’il fallait maintenant examiner la charge de travail (c’est-à-dire les dossiers de Calgary) et déterminer si l’International est ce qui convient le mieux à ses besoins. Il a accepté et a dit qu’il comprenait qu’un autre secteur pourrait peut-être mieux lui convenir.

[…]

 

[27] Mme Anderson a expliqué pourquoi elle avait fait référence à Calgary, en Alberta, dans le contexte de la vérification de l’impôt international. Les exercices de centralisation et de régionalisation à l’échelle nationale à l’ARC ont eu des répercussions importantes pour le fonctionnaire, qui souhaitait poursuivre son travail de vérificateur de l’impôt international. Ces vérifications se déroulaient désormais presque exclusivement à Calgary, ce qui impliquait de fréquents déplacements depuis Winnipeg. Le travail était effectué par une équipe de vérificateurs sur une période d’une semaine, et leurs journées de travail pouvaient être longues. Compte tenu des restrictions médicales en vigueur, Mme Anderson et M. Bergman ont tous deux témoigné que les vérifications de l’impôt international étaient difficiles, voire impossibles, à effectuer pour le fonctionnaire.

[28] Tout au long de l’automne et de l’hiver 2013 ainsi qu’au printemps 2014, le fonctionnaire a continué à travailler sur ses dossiers à Winnipeg, principalement au moyen du télétravail, tout en se rendant au bureau toutes les deux semaines pour rencontrer Mme Anderson.

[29] Mme Anderson et M. Bergman ont témoigné du désir de la direction de transférer le fonctionnaire de la vérification de l’impôt international à un autre secteur de l’ARC, dans le bureau des services fiscaux de Winnipeg. Ils étaient également préoccupés par le fait de ne pas avoir reçu de mises à jour récentes de la médecin du fonctionnaire sur les contraintes et restrictions médicales, et ont donc tenu des réunions avec le fonctionnaire à cet égard, dont l’une a eu lieu le 23 juin 2014. Les notes prises par Mme Anderson au sujet de cette réunion se lisent en partie comme suit :

[Traduction]

[…]

Cette réunion a eu lieu pour discuter du transfert potentiel de Clayton vers un autre secteur de l’ARC et pour discuter de l’ébauche de la lettre et du formulaire de consentement de sa médecin.

Nous avons expliqué à Clayton qu’en raison de changements dans la charge de travail en matière de vérification de l’impôt international, nous envisageons un transfert potentiel vers un autre secteur de l’ARC. Clayton a déclaré à plusieurs reprises qu’il ne comprenait pas pourquoi nous envisagions un transfert hors de la région. Il a demandé que ces raisons soient consignées par écrit. Voici les motifs de ce transfert potentiel :

– La charge de travail au niveau de l’International a été régionalisée, la grande majorité des vérifications étant situées à Calgary. Notre charge de travail consiste en très peu de vérifications locales.

– La charge de travail implique la vérification de contribuables dans la région de Calgary et nécessite des déplacements dans cette région pendant environ une semaine chaque fois.

– Nous sommes tenus de procéder à des vérifications en équipe. L’équipe est composée du gestionnaire de dossiers des grandes entreprises, des vérificateurs des dossiers importants, du vérificateur de la PFA [planification fiscale agressive] et du vérificateur du secteur international.

[…]

– Clayton travaille 20 heures par semaine (journées de 4 à 5 heures, le mercredi étant son jour de congé). Cela ne lui permet pas de se rendre à Calgary et de travailler sur des vérifications importantes. Les contribuables font souvent venir des représentants pour rencontrer les vérificateurs. Les vérificateurs travaillent des journées entières et se rendent ensemble chez le contribuable. Si une voiture est nécessaire, le protocole prévoit une voiture de location pour le groupe.

– La charge de travail locale que nous avons est composée de quelques dossiers pour les postes au groupe et au niveau AU-04. Clayton occupe un poste au groupe et au niveau AU-03 et nous avons des vérificateurs au groupe et au niveau AU-04 travaillant dans la vérification de l’impôt international qui doivent s’occuper de ces dossiers.

– Nous n’avons plus de charge de travail de catégorie T2062, de renvois de non-résidents, de vérifications autogénérées ou de renvois de PME. Cela contribue également au manque de travail local disponible pour Clayton.

[…]

 

[30] Lors de la réunion du 23 juin 2014, M. Bergman et Mme Anderson ont expliqué pourquoi ils voulaient obtenir une lettre mise à jour de la part de la Dre Lecuyer. Les raisons de cette demande figurent dans les notes de réunion et se lisent comme suit :

[Traduction]

[…]

Nous avons expliqué à Clayton que nous pensions qu’il était nécessaire de recevoir une mise à jour de la lettre de la médecin afin de savoir si les restrictions avaient changé, par exemple, le fait de travailler 20 heures par semaine, de limiter les heures de réunion, de ne pas conduire pour se rendre au travail et en revenir aux heures de pointe, etc. avant de décider si Clayton devait rester à l’International ou être muté dans un autre secteur.

Clayton n’est pas d’accord avec nous, car il estime qu’il n’est pas nécessaire d’envoyer une lettre à sa médecin. Nous lui avons expliqué que la lettre originale datait d’un an et que la médecin avait déclaré que les restrictions pouvaient être temporaires, mais aussi permanentes. Clayton a dit qu’il parlerait à sa médecin et qu’il nous fournirait l’information verbalement. Nous avons déclaré que ce n’était pas la voie que nous allions suivre. Nous voulions que la médecin nous fournisse des informations médicales à jour afin de disposer de tous les renseignements nécessaires pour déterminer le meilleur lieu de travail pour Clayton, que ce soit à l’International ou dans un autre secteur. Nous n’avons pas pu parvenir à un consensus sur ce point et nous avons donc pris acte de notre désaccord.

[…]

 

[31] Une ébauche de la lettre que M. Bergman souhaitait envoyer à la Dre Lecuyer, datée du 16 juin 2014, a été versée en preuve. La lettre n’a pas été envoyée parce que le fonctionnaire s’y est opposé. Ce dernier, Mme Anderson et M. Bergman ont tous indiqué dans leur témoignage les éléments de la lettre avec lesquels le fonctionnaire était en désaccord. Le dialogue s’est poursuivi et, finalement, tous se sont entendus sur la teneur de la demande d’informations médicales mises à jour à envoyer. La lettre du 21 août 2014 a été envoyée à la Dre Carla Silver et se lit en partie comme suit :

[Traduction]

[…]

La présente lettre vise à vous fournir une mise à jour, à vous informer des changements possibles à venir dans les tâches assignées à Clayton Reece et à vous demander votre avis sur la façon dont l’Agence du revenu du Canada (ARC) peut continuer à fournir des mesures d’adaptation à M. Reece sur son lieu de travail.

Selon les conseils de la Dre N. Lecuyer, M. Reece travaille 20 heures par semaine, 5 heures par jour, à l’exception du mercredi et des fins de semaine. Cet horaire a été relativement efficace, malgré quelques modifications occasionnelles et des absences minimes. Il travaille principalement à domicile et se rend au bureau une ou deux fois par mois. […]

Au cours des 12 derniers mois, M. Reece s’est vu confier des dossiers de vérification du secteur international semblables à ceux qu’il traitait avant le début de sa maladie. Cependant, la direction ne peut pas attribuer à M. Reece d’autres dossiers de vérification du secteur international, car ils nécessitent tous des déplacements à l’extérieur de Winnipeg, et la flexibilité de son horaire est limitée. Par conséquent, la direction a discuté avec M. Reece d’une réaffectation proposée à un autre poste, celui de vérificateur des dossiers de base. Ce changement nécessiterait une formation sur les systèmes informatiques utilisés et pour se préparer à ce travail. À cette fin, la direction prévoit que M. Reece devra venir au bureau régulièrement pendant au moins deux à trois mois ou jusqu’à ce que le chef d’équipe détermine qu’il est capable de travailler de façon plus indépendante dans ce nouveau rôle.

Les vérificateurs internationaux de groupe et de niveau AU-03 et les vérificateurs des dossiers de base de groupe et de niveau AU-03 doivent être en mesure de communiquer par téléphone et en personne avec les contribuables et leurs représentants, les comptables, les avocats, etc. Dans de nombreux cas, les conversations sont techniques, litigieuses et impliquent fréquemment de fortes divergences d’opinion. Le vérificateur doit parfois se rendre et travailler sur le lieu d’activité du contribuable et effectuer le contrôle dans des espaces inadéquats ou dans des bureaux ouverts où des perturbations sont possibles. Les contraintes de temps et la pression exercée pour terminer le travail de vérification dans une période limitée subsistent dans ce type de travail. Des déplacements peuvent être nécessaires dans le cadre de la vérification des dossiers de base, mais ils sont généralement effectués à l’intérieur de la province, alors qu’ils sont effectués à l’extérieur de la province dans le cadre de la vérification du secteur international.

Les fonctions du poste actuel de Clayton (vérificateur du secteur international) sont détaillées dans notre lettre du 23 avril 2013 envoyée à la Dre N. Lecuyer. Les fonctions d’un vérificateur de dossiers de base sont les suivantes (une description de travail détaillée est incluse) […]

[…]

 

[32] Dans sa lettre, M. Bergman a ensuite décrit en détail les fonctions et les exigences de travail d’un vérificateur des dossiers de base au groupe et au niveau AU‑03.

[33] Comme il l’avait fait dans la lettre précédente, M. Bergman a posé plusieurs questions à la médecin, en lui laissant des espaces pour fournir ses réponses (les commentaires de la médecin ne sont pas en italique dans les citations suivantes). Les questions posées dans la lettre du 21 août 2014 à la Dre Silver, ainsi que les réponses manuscrites que la Dre Silver a fournies le 26 août 2014, sont les suivantes :

[Traduction]

[…]

1. Veuillez préciser les restrictions et contraintes relatives aux heures de travail et aux périodes de repos, en indiquant le nombre maximum d’heures de travail par jour et par semaine qui conviennent à M. Reece. Veuillez noter que nos heures d’ouverture sont du lundi au vendredi, de 7 h à 18 h.

Les restrictions en vigueur pour M. Reece devraient être maintenues pendant son séjour à Winnipeg, c’est-à-dire qu’il devrait travailler 20 heures par semaine et recourir autant que possible au télétravail.

2. Les recommandations médicales précédentes suggéraient que M. Reece devrait effectuer la majeure partie de son travail à domicile (télétravail). Comme il est indiqué ci-dessus, il se peut que M. Reece doive se rendre au bureau à des fins de formation. Veuillez fournir des détails sur les restrictions et contraintes liées à l’état de santé de M. Reece qui pourraient avoir une incidence sur sa capacité à se rendre au bureau. Ces restrictions sont-elles de nature permanente ou temporaire?

La fatigue et le manque de résistance dus à son état et au traitement qu’il subit constituent ses principales difficultés. Ces difficultés sont probablement permanentes, mais peuvent fluctuer (parfois plus graves, parfois moins graves). Il devrait être en mesure de participer aux séances de formation en général.

3. Quelles sont la fréquence et la durée des réunions auxquelles M. Reece serait en mesure d’assister sur le lieu d’activité du contribuable? Ces contraintes sont-elles permanentes ou temporaires?

En fonction de la gravité de son état à ce moment-là, tant que sa réunion dure [moins de] 8 heures et que la semaine de travail globale est toujours [d’environ] 20 heures, il ne devrait pas être soumis à plus de restrictions que tout autre employé.

4. Des déplacements à l’extérieur de la région de Winnipeg peuvent être nécessaires à l’occasion pour rencontrer des clients ou assister à des formations. Cela pourrait se traduire par la tenue de réunions pendant une semaine complète avec plusieurs parties, pendant de longues heures ([environ] 8 heures par jour) et selon un horaire rigide. Y a-t-il des restrictions en ce qui concerne les déplacements à l’extérieur de la province par avion ou par véhicule motorisé? Si cela n’a pas déjà été abordé ci-dessus, veuillez également formuler des observations sur la durée de la semaine de travail. Le cas échéant, ces restrictions sont-elles permanentes ou temporaires?

Tant que la fréquence des déplacements est [inférieure ou égale à] 1 semaine par mois et qu’il est possible de prévoir une période de récupération la semaine suivante (moins d’heures ou plus de télétravail), une semaine de travail occasionnellement plus chargée devrait être supportable.

5. Compte tenu des observations de M. Reece sur sa capacité de concentration, y a-t-il des restrictions en ce qui concerne le respect des délais et des contraintes de temps? Ces restrictions sont-elles permanentes ou temporaires?

Seulement les mêmes qui s’imposent à tout autre employé, pour autant que la charge de travail tienne compte de sa santé globale.

6. Existe-t-il d’autres restrictions ou contraintes médicales liées aux fonctions du poste de M. Reece et aux capacités physiques et non physiques requises par le poste et le lieu de travail? Dans l’affirmative, quelles recommandations suggéreriez-vous pour permettre à M. Reece de répondre en toute sécurité aux attentes de son poste?

Aucun changement depuis la dernière évaluation.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[34] M. Bergman et Mme Anderson ont témoigné que le ton plus positif de la dernière note du médecin les avait rassurés. Lors d’une réunion le 29 septembre 2014 avec le fonctionnaire, Mme Anderson a accepté d’examiner les vérifications à venir à Calgary en vue d’en trouver une susceptible d’être attribuée au fonctionnaire.

[35] Mme Anderson a notamment dû constater l’absence de vérifications locales (c.‑à-d. basées à Winnipeg) de nature internationale. M. Bergman et Mme Anderson ont tous deux témoigné certaines des implications de la restructuration et de la régionalisation de ce travail par l’ARC. Dans ce qu’ils ont décrit comme une approche [traduction] « fondée sur le risque » en ce qui a trait à la priorisation de la vérification des dossiers internationaux, les dossiers [traduction] « à risque élevé » correspondaient aux dossiers les plus susceptibles de donner lieu à un recouvrement d’impôt, lesquels étaient presque exclusivement situés à Calgary.

[36] Mme Anderson a déclaré qu’il lui était difficile de trouver des dossiers convenables en vérification fiscale internationale pour le fonctionnaire, compte tenu de sa semaine de travail de 20 heures et de la nécessité de recourir le plus possible au télétravail. Elle a témoigné que ces restrictions rendaient impossible l’affectation du fonctionnaire aux vérifications de l’équipe à grande échelle à Calgary. Elle a fini par trouver un dossier devant faire l’objet d’une vérification à Calgary qui, selon elle, pouvait être une possibilité, mais lorsqu’elle a discuté des détails du dossier avec le fonctionnaire, ce dernier a fini par dire qu’il ne lui convenait pas.

[37] Mme Anderson a témoigné avoir étudié la possibilité de réorganiser une partie du travail en vérification fiscale internationale. Étant donné l’absence de dossiers internationaux à vérification unique, elle a envisagé la possibilité de retirer une partie d’un dossier nécessitant une vérification approfondie et de demander au fonctionnaire de travailler dessus, mais elle n’a pas été en mesure de trouver un dossier qui permettait d’adopter cette solution. Elle a également évoqué d’autres tâches que les vérificateurs de l’impôt international effectuent en guise de travaux de [traduction] « remplissage » effectués entre les grandes vérifications. Par le passé, ce travail concernait ce qu’elle appelait des [traduction] « dispositions », mais ce travail avait également fait l’objet d’un exercice de régionalisation et était effectué à Edmonton, en Alberta, exclusivement et à des postes de groupe et de niveau inférieurs aux postes de groupe et de niveau AU-03, auxquels appartient le fonctionnaire.

[38] Le fonctionnaire a continué à assumer sa charge de travail courante et à travailler pendant 20 heures par semaine dans les mêmes circonstances qu’auparavant, conformément aux recommandations les plus récentes de la Dre Silver.

[39] Puis, le 13 octobre 2015, la Dre Lecuyer a fourni une note médicale de mise à jour, qui se lit en partie comme suit :

[Traduction]

[…]

M. Reece m’a rencontrée aujourd’hui pour discuter des problèmes liés au travail qu’il éprouve en termes de fatigue et de résistance.

[…]

Comme je l’avais noté lors de la première tentative de retour au travail de M. Reece en 2012, il ne pourra répondre aux attentes que si des mesures d’adaptation adéquates sont mises en place et que des attentes de rendement mesurables et objectives qui tiennent compte de ses difficultés sont fixées. Les capacités fonctionnelles et l’aptitude au travail de M. Reece n’ont pas évolué depuis 2012.

Parfois, certaines sous-tâches de moindre importance dans le cadre de vérifications plus importantes peuvent être prises en charge par M. Reece. Cependant, l’exécution efficace de vérifications de dossiers importants, sur de plus longues périodes, exige des capacités soutenues qu’il ne possède pas actuellement. Compte tenu de la nature de la charge de travail actuelle, il ne sera pas en mesure d’atteindre les objectifs fixés pour un vérificateur de l’impôt international au cours d’une année. Des mesures d’adaptation seront nécessaires pour qu’il puisse poursuivre sa carrière à l’ARC.

M. Reece souhaite continuer à travailler à un poste ou à un autre. Je ne pense pas qu’il soit capable de travailler efficacement sur des vérifications importantes, que ce soit sur des dossiers internationaux ou non. M. Reece a indiqué que le travail qu’il effectue à l’occasion (examen des demandes de certificat d’observation plus complexes pour les dispenses et les dispositions impliquant des non-résidents) est supportable en raison des délais plus courts, de la plus grande coopération des contribuables et du besoin généralement réduit d’effectuer une tâche pendant des heures au cours de la semaine de travail; il note également que des indicateurs de rendement objectifs peuvent être plus facilement définis pour ce type de travail.

Je suis consciente que les dispenses et les dispositions impliquant des non-résidents n’ont généralement constitué qu’une partie de la charge de travail en matière de vérification de l’impôt international, mais je recommande à l’Agence d’envisager de « regrouper » ces tâches, à l’échelle régionale ou nationale, si nécessaire, afin de permettre à M. Reece de s’en acquitter exclusivement. Je pense que cette forme de travail est plus adaptée aux capacités actuelles de M. Reece et constituerait une bonne première mesure d’adaptation. Je recommande à l’Agence d’envisager une telle mesure d’adaptation pour M. Reece, pour le moment. Si l’ARC est en mesure de convenir de mesures d’adaptation, je pense que M. Reece continuera d’être un employé productif et responsable.

 

[…]

 

[40] Selon M. Bergman et Mme Anderson, la réception de cette note médicale a considérablement modifié les possibilités en matière de mesures d’adaptation, car elle précisait que le fonctionnaire n’était pas en mesure d’effectuer des vérifications de dossiers importants, qu’il s’agisse de la vérification de l’impôt international ou d’autres tâches encore. Ils ont affirmé que le fait que la Dre Lecuyer ait déclaré que les [traduction] « […] capacités fonctionnelles et l’aptitude au travail du fonctionnaire n’ont pas évolué depuis 2012 » a été un élément d’une grande importance pour eux.

[41] Amanda Van Solkema était, à l’époque, directrice adjointe de la vérification. En ce qui concerne la structure hiérarchique, Mme Anderson, en tant que chef d’équipe, relevait de M. Bergman, le directeur de la vérification par intérim. M. Bergman rendait compte à Mme Van Solkema, qui a été mise au courant de la note médicale du 13 octobre 2015. Elle a rencontré M. Bergman, Mme Anderson et des représentants des unités des ressources humaines et des relations de travail de l’ARC pour discuter de la situation du fonctionnaire.

[42] Mme Van Solkema a témoigné qu’elle était convaincue que les plus récentes recommandations en matière de mesures d’adaptation formulées par la médecin rendaient impossible pour le fonctionnaire de continuer à travailler comme vérificateur de l’impôt international. Elle a commencé à chercher au sein de l’ARC un poste convenable pour le fonctionnaire. Elle n’a étudié que les possibilités dans le groupe et le niveau auxquels il se trouvait à l’époque, soit AU-03, au bureau des services fiscaux de Winnipeg.

[43] Le 23 novembre 2015, Mme Van Solkema a rencontré le fonctionnaire. Elle estimait que le meilleur poste possible pour lui était un poste de même groupe et de même niveau, AU-03, dans le cadre duquel il était chargé des REAQ et agissait en tant que réviseur de la qualité des vérifications. Elle a témoigné lui avoir expliqué, lors de la réunion, qu’il n’était plus possible de travailler sur les dispenses et les dispositions impliquant des non-résidents en raison de changements législatifs et de restructuration, ce qui signifiait qu’il ne pouvait pas faire ce travail dans le cadre du poste qu’il occupait.

[44] Mme Van Solkema a témoigné que le fonctionnaire avait accepté cette possibilité, mais il avait demandé à être informé par écrit de la proposition de poste au sein du programme des REAQ, de la raison pour laquelle il ne serait pas possible de travailler sur les dispenses et les dispositions impliquant des non-résidents, et de la garantie que les évaluations du rendement et les plans d’action alors en vigueur cesseraient de l’être dans son nouveau poste. Le fonctionnaire souhaitait repartir sur de nouvelles bases.

[45] Mme Van Solkema a communiqué les offres, explications et garanties écrites demandées par le fonctionnaire.

[46] Dans un courriel du 15 janvier 2016, le fonctionnaire, assisté d’un représentant de l’agent négociateur, a demandé une explication des exigences professionnelles justifiées (EPJ) se rapportant à son poste d’attache actuel en vérification de l’impôt international et de la façon dont il pourrait bénéficier de mesures d’adaptation dans ce poste. Ils ont également demandé à Mme Van Solkema d’expliquer les raisons pour lesquelles elle ne lui permettait pas de rester dans son poste d’alors.

[47] Mme Van Solkema a procédé à un examen plus approfondi de tous les postes de groupe et de niveau AU-03 auxquels le fonctionnaire pouvait être raisonnablement muté au sein du bureau des services fiscaux de Winnipeg. Elle a préparé une feuille de calcul résumant, pour chaque poste, les tâches essentielles, les critères et les limites pertinents, ainsi que la mesure dans laquelle les mesures d’adaptation énoncées par la Dre Lecuyer le 13 octobre 2015 pouvaient être respectées.

[48] Mme Van Solkema, le fonctionnaire et son représentant se sont rencontrés le 20 janvier 2016 pour discuter de l’analyse plus approfondie qu’elle avait effectuée. Elle a fourni une copie de la feuille de calcul qu’elle avait préparée au sujet des postes AU‑03 possibles et a expliqué ses conclusions. Elle a réitéré que le poste au sein du programme des REAQ était la seule option viable et que le fonctionnaire y serait muté.

[49] Le fonctionnaire n’a pas accepté cette solution sans réagir. En acceptant sa mutation au sein du programme des REAQ, il s’est plaint, dans des courriels du 29 janvier 2016 et du 4 février 2016, de ne pas s’être vu offrir de mesure d’adaptation lui permettant de continuer à travailler en vérification de l’impôt international.

[50] Le fonctionnaire a été officiellement muté au programme des REAQ le 6 février 2016 et est resté à son poste depuis lors.

III. Arguments des parties

A. Les arguments du fonctionnaire

[51] Le nœud de l’affaire, selon le fonctionnaire, est l’incapacité de l’employeur à lui proposer une mesure d’adaptation tout en lui permettant de conserver son poste de vérificateur de l’impôt international.

[52] Pour établir une preuve prima facie de discrimination fondée sur le motif illicite de la déficience, le fonctionnaire doit établir que, selon la prépondérance des probabilités, il est atteint d’une déficience, qu’il a subi un effet préjudiciable dans le cadre de son emploi et que sa déficience a été un facteur de cet effet préjudiciable.

[53] La déficience du fonctionnaire n’est pas contestée, a-t-il fait valoir, et l’employeur l’a pleinement reconnue. Il a fait valoir qu’une preuve prima facie a été établie et que le fardeau devrait être désormais porté par l’employeur qui devrait prouver qu’il a pris des mesures d’adaptation au point de subir une contrainte excessive, ce à quoi l’employeur a échoué.

[54] Le fonctionnaire a cité l’arrêt Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970 (« Central Okanagan »). À la page 12 de la décision de la Cour suprême du Canada, le juge Sopinka déclare ce qui suit :

[…] Le critère de minimis établi dans l’arrêt Hardison supprime à toutes fins pratiques l’obligation d’accommodement et semble particulièrement inopportun dans le contexte canadien. Il faut plus que de simples efforts négligeables pour remplir l’obligation d’accommodement. L’utilisation de l’adjectif « excessive » suppose qu’une certaine contrainte est acceptable; seule la contrainte « excessive » répond à ce critère. Les mesures que l’auteur de la discrimination doit prendre pour s’entendre avec le plaignant sont limitées par les expressions « raisonnables » et « sans s’imposer de contrainte excessive ». Il s’agit là non pas de critères indépendants, mais de différentes façons d’exprimer le même concept. Ce qui constitue des mesures raisonnables est une question de fait qui variera selon les circonstances de l’affaire. […]

 

[55] La Cour suprême a apporté des précisions sur la nature et l’étendue de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation dans l’arrêt Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43. Au par. 12, la Cour a indiqué : « Ce qui est véritablement requis ce n’est pas la démonstration de l’impossibilité d’intégrer un employé qui ne respecte pas une norme, mais bien la preuve d’une contrainte excessive qui, elle, peut prendre autant de formes qu’il y a de circonstances. »

[56] La Cour a précisé, au par. 14 : « L’obligation d’accommodement a pour objet d’empêcher que des personnes par ailleurs aptes ne soient injustement exclues, alors que les conditions de travail pourraient être adaptées sans créer de contrainte excessive. »

[57] Le fonctionnaire a également invoqué l’arrêt Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868 dans lequel, au par. 41, la Cour indique : « […] il faut se garder de ne pas accorder suffisamment d’importance à l’accommodement de la personne handicapée. Il est beaucoup trop facile d’invoquer l’augmentation des coûts pour justifier un refus d’accorder un traitement égal aux personnes handicapées. »

[58] Le fonctionnaire a fait valoir que l’employeur ne doit pas se contenter de s’assurer qu’un employé ne peut pas accomplir les tâches essentielles de l’un ou l’autre des emplois disponibles dans le milieu de travail, dans leur forme existante. Au contraire, comme il est énoncé ci-après dans l’arrêt Calgary District Hospital Group v. United Nurses of Alberta, Local 121-R (1994), 41 L.A.C. (4e) 319 à la p. 10 :

[Traduction]

Le Conseil est toutefois d’avis que l’obligation de prendre des mesures d’adaptation ne se limite pas à constater qu’un employé ne peut pas occuper les emplois existants. En jugeant que l’employée s’estimant lésée ne pouvait pas retourner au travail à l’hôpital, l’employeur semble s’être demandé si celui-ci était capable d’accomplir les tâches telles qu’elles se présentaient alors (c.-à-d. les tâches existantes). Après avoir déterminé que l’employée s’estimant lésée n’était pas capable d’occuper un poste d’infirmière tel qu’il existait à ce moment-là (une conclusion à laquelle le Conseil ne trouve rien à redire), l’employeur a estimé qu’il avait fait le nécessaire et qu’il n’y avait plus rien à faire. L’employeur a estimé qu’il s’était acquitté de son obligation de tenter de prendre des mesures d’adaptation pour l’employée s’estimant lésée. Si celle-ci ne pouvait pas retourner au travail, elle avait droit aux avantages sociaux prévus par son contrat jusqu’à leur expiration.

En toute déférence, le Conseil rejette la conclusion selon laquelle l’employeur a rempli son obligation de prendre des mesures d’adaptation pour l’employée s’estimant lésée. L’obligation de prendre des mesures d’adaptation ne se limite pas à vérifier si un employé peut effectuer un travail existant; elle consiste à vérifier si des modifications peuvent être apportées aux emplois existants pour permettre à l’employé d’effectuer un travail. Ayant déterminé que l’employée s’estimant lésée ne pouvait occuper aucun emploi existant, l’employeur était tenu de se demander si, et de quelle manière, les emplois existants d’infirmière auraient pu être adaptés ou modifiés – sans causer de contrainte excessive à l’hôpital – afin de permettre à l’employée s’estimant lésée de retourner au travail malgré ses difficultés. […]

 

[59] Le fonctionnaire a fait valoir que l’employeur n’avait pas ou peu réfléchi à la façon dont il aurait pu réintégrer son poste de vérificateur de l’impôt international. L’employeur a simplement étudié les restrictions imposées par la note médicale, a constaté qu’elles ne lui permettaient pas de continuer à travailler comme vérificateur de l’impôt international, et a arrêté sa réflexion à ce moment-là. Il n’a pas cherché à savoir si le poste de vérificateur de l’impôt international existant aurait pu être adapté ou modifié pour permettre au fonctionnaire de continuer à l’occuper.

[60] Le fonctionnaire a ajouté qu’outre des éléments de fond, l’obligation de prendre des mesures d’adaptation comporte aussi des aspects procéduraux. Le fait qu’il y ait un processus ainsi qu’une issue a été examiné dans la décision Ontario Public Service Employees Union v. Ontario (Human Rights Commission), [2005] O.G.S.B.A. No. 30 (QL) au par. 94. La Commission de règlement des griefs de l’Ontario a décrit les quatre étapes du processus :

[Traduction]

[…] La jurisprudence a établi que les employeurs sont tenus d’entreprendre un processus en quatre étapes en ce qui concerne les efforts déployés en matière de mesures d’adaptation. Premièrement, il s’agit de déterminer si l’employée souffrant d’une déficience peut effectuer son travail tel qu’il existe. Si cela n’est pas possible, l’employeur doit alors évaluer si le poste existant de l’employée peut faire l’objet de modifications de manière à être adapté à elle. Si cela n’est toujours pas possible, l’employeur doit alors déterminer si un autre emploi sur le lieu de travail est adapté. Enfin, si l’employée souffrant d’une déficience ne peut pas accomplir les tâches et responsabilités essentielles d’un autre poste existant, il convient de déterminer si cet autre poste peut faire l’objet de modifications. À chacune de ces étapes, les efforts de l’employeur doivent être sérieux et non superficiels.

 

[61] Le fonctionnaire a fait valoir que l’employeur n’avait pas examiné sérieusement la recommandation de la Dre Lecuyer d’envisager le regroupement des fonctions à l’échelle nationale.

[62] Le fonctionnaire a invoqué deux décisions à l’appui de la proposition selon laquelle la recommandation d’un médecin doit être sérieusement prise en considération. Dans l’affaire Ottawa (City) v. Civic Institute of Professional Personnel (2009), 185 L.A.C. (4e) 227, au par. 89, le conseil d’arbitrage a conclu ce qui suit :

[Traduction]

[…] que la Ville a manqué à son obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de Mme Ghadaksaz en vertu de la convention collective en ne donnant pas suite à la recommandation formulée par le Dr Kraag dans son rapport daté du 1er février 2006, selon laquelle elle devait être transférée à un autre poste au sein de l’organisation […]

 

[63] Dans Emond c. Conseil du Trésor (Commission des libérations conditionnelles du Canada), 2016 CRTEFP 4, le prédécesseur de la Commission a conclu à un manquement à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation parce que l’employeur n’avait pas envisagé de déplacer la fonctionnaire s’estimant lésée. Dans ce cas, la fonctionnaire s’estimant lésée était incapable, pour des raisons médicales, de travailler à l’emplacement où elle se trouvait, et la Commission a conclu que le déménagement à un autre emplacement à Ottawa aurait pu être envisagé.

[64] Le processus est important, a soutenu le fonctionnaire. Dans Catholic District School Board of Eastern Ontario v. Ontario English Catholic Teachers’ Association, (2008), 176 L.A.C. (4e) 193, à la p. 29, l’arbitre a tranché en faveur de l’employé s’estimant lésé dans ce cas, étant donné que l’employeur de celui-ci n’avait pas démontré [traduction] « […] à tout le moins certains éléments de preuve attestant d’un examen sérieux de la demande de protection fondée sur les droits de la personne ».

[65] Le contexte chaotique et non structuré au sein duquel le fonctionnaire a été plongé lorsqu’il est revenu au travail après une longue période de congé de maladie témoigne, selon lui, du manque d’attention de l’employeur. Relevant de plusieurs personnes, il a été plus ou moins laissé à lui-même. Malgré des demandes répétées d’explication sur la manière dont le fait de lui permettre de rester dans le service de vérification de l’impôt international constituait une contrainte excessive et sur les exigences professionnelles justifiées qui l’empêchaient de rester dans son poste d’attache, il a été ignoré. Selon lui, la description de travail n’était pas une exigence professionnelle justifiée. Enfin, il a fait valoir qu’il est invraisemblable que Mme Van Solkema n’ait pas pu trouver un seul poste au sein de l’ARC, une organisation d’envergure nationale, qui lui aurait permis de demeurer un vérificateur de l’impôt international.

[66] Pour ces motifs, a conclu le fonctionnaire, l’employeur a fait preuve de discrimination à son égard en raison de sa déficience, et les indemnités importantes prévues par la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6; LCDP) devraient lui être accordées.

B. Les arguments de l’employeur

[67] L’employeur a commencé ses arguments par une remarque succincte selon laquelle la véritable question en litige dans le présent cas n’est pas le manquement à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard du fonctionnaire, puisqu’il l’a fait. La question est plutôt le défaut de lui avoir fourni les mesures d’adaptation idéales et recherchées, ce qu’il n’était pas tenu de faire.

[68] L’employé qui demande des mesures d’adaptation peut certes formuler des suggestions et des demandes, mais l’employeur est le mieux placé pour déterminer les meilleures mesures à prendre. Ce principe est renforcé comme suit dans Central Okanagan, aux paragraphes 26 et 27 :

Pour faciliter la recherche d’un compromis, le plaignant doit lui aussi faire sa part. À la recherche d’un compromis raisonnable s’ajoute l’obligation de faciliter la recherche d’un tel compromis. Ainsi, pour déterminer si l’obligation d’accommodement a été remplie, il faut examiner la conduite du plaignant.

Cela ne signifie pas qu’en plus de porter à l’attention de l’employeur les faits relatifs à la discrimination, le plaignant est tenu de proposer une solution. Bien que le plaignant puisse être en mesure de faire des suggestions, l’employeur est celui qui est le mieux placé pour déterminer la façon dont il est possible de composer avec le plaignant sans s’ingérer indûment dans l’exploitation de son entreprise. Lorsque l’employeur fait une proposition qui est raisonnable et qui, si elle était mise en œuvre, remplirait l’obligation d’accommodement, le plaignant est tenu d’en faciliter la mise en œuvre. Si l’omission du plaignant de prendre des mesures raisonnables est à l’origine de l’échec de la proposition, la plainte sera rejetée. L’autre aspect de cette obligation est le devoir d’accepter une mesure d’accommodement raisonnable. C’est cet aspect que le juge McIntyre a mentionné dans l’arrêt O’Malley. Le plaignant ne peut s’attendre à une solution parfaite. S’il y a rejet d’une proposition qui serait raisonnable compte tenu de toutes les circonstances, l’employeur s’est acquitté de son obligation.

 

[69] L’employeur a ajouté que la décision de l’employeur ne doit pas être remise en question, comme il est indiqué dans McMullin c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2021 CRTESPF 55, au par. 90 :

[90] Il se peut fort bien que l’employeur ait pu avoir répondu aux besoins de la fonctionnaire de la manière qu’elle a proposée. Mais la décision d’un employeur ne doit pas être remise en question quant à ce qui correspond le mieux à ses besoins opérationnels en matière d’adaptation. En d’autres termes, la question ne consiste pas à savoir s’il y avait d’autres formes raisonnables d’adaptation que l’employé aurait pu préférer, mais plutôt de savoir si la mesure d’adaptation offerte était raisonnable dans les circonstances. Dans l’affirmative, l’enquête prend fin. L’employé doit l’accepter. Par ailleurs, l’employeur s’est acquitté de son obligation […]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[70] C’est ce qui s’est produit dans le présent cas, a soutenu l’employeur. Les meilleurs efforts ont été faits pour conserver le fonctionnaire dans son poste de vérificateur de l’impôt international, ce qui était la mesure d’adaptation qu’il souhaitait. Toutefois, la régionalisation au sein de l’ARC, ainsi que les restrictions strictes imposées par la médecin du fonctionnaire, ont rendu la chose impossible, de sorte que des efforts considérables ont été déployés pour trouver un poste convenable dans le même groupe et au même niveau. Le fonctionnaire a accepté la mutation au poste se trouvant au sein du programme des REAQ en février 2016.

[71] Lorsque cela se produit, a soutenu l’employeur, il n’est pas nécessaire de tenir compte des EPJ parce que l’employeur s’est déjà acquitté de son obligation de prendre des mesures d’adaptation. Dans McCarthy c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2020 CRTESPF 45 (McCarthy), au par. 98, on peut lire ce qui : « L’employeur a fait de sérieuses tentatives pour trouver un autre travail pour le fonctionnaire, en respectant les paramètres de sa limitation, et en fait, il lui a trouvé un poste en janvier 2016. »

[72] Chaque fois qu’une nouvelle note médicale était présentée, l’employeur a raisonnablement pris des mesures d’adaptation pour le fonctionnaire en fonction de ses besoins. Dans Leclair c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTESPF 97, aux paragraphes 133 et 134, on peut lire ce qui suit :

[133] L’employeur avait l’obligation de trouver une mesure d’adaptation raisonnable. Il connaît ses besoins, son milieu de travail et ses ressources (voir Renaud, à 994-95). Les médecins peuvent suggérer le type de mesure d’adaptation nécessaire, comme le poste de PEES en l’espèce, mais leur rôle ne consiste pas à décider si une mesure d’adaptation peut être prise à l’égard de l’employé ou à ordonner qu’un employé occupe un poste donné à titre de mesure d’adaptation. Le rôle d’un médecin consiste à fournir un avis professionnel et non d’agir à titre de défenseur du patient dans le cadre de la relation employeur-employé. Leur avis ne peut pas contourner les besoins organisationnels du milieu de travail de l’employeur. Le rôle des médecins consiste à déterminer les besoins et les limites de leurs patients et, à la lumière de cette information, l’employeur doit déterminer la meilleure mesure d’adaptation à prendre pour répondre à ces besoins et limites dans le milieu de travail.

[134] Bon nombre d’employés, comme le fonctionnaire, croient que la recherche d’une mesure d’adaptation constitue une carte blanche pour obtenir le poste de leur choix en raison de l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation jusqu’au point de la contrainte excessive à leur égard. Il s’agit d’une conception erronée; les employés n’ont pas droit à la mesure d’adaptation de leur choix. Ils ont droit à des mesures d’adaptation raisonnables qui permettent de répondre à leurs besoins déterminés. En l’espèce, l’employeur s’est efforcé à trouver une mesure d’adaptation raisonnable en fonction des renseignements médicaux qui lui ont été fournis. Le fonctionnaire n’était pas disposé à envisager les options qui lui ont été présentées et il a retardé le processus.

 

[73] La première note médicale, datant du mois de janvier 2013, indiquait que le fonctionnaire était prêt à reprendre son travail à temps plein, mais qu’il aurait peut-être besoin d’une certaine souplesse en ce qui concerne le travail à domicile. L’employeur a suivi ces recommandations; il a augmenté lentement ses heures selon un programme convenu d’un commun accord et a mis en place un dispositif de télétravail. Lorsqu’il a semblé à M. Wery que le fonctionnaire avait de la difficulté à travailler, il a mis en place un plan pour l’aider et lui trouver un travail qu’il était capable d’accomplir pendant les premières phases de son retour au travail.

[74] Lorsque la médecin, dans une deuxième note d’avril 2013, a indiqué qu’il fallait réduire les heures de travail du fonctionnaire à 20 heures par semaine en raison d’une fatigue grandissante, l’employeur a immédiatement fait le nécessaire. Il a également demandé des renseignements supplémentaires à la médecin, ce qui a donné lieu à la production d’une troisième note médicale. Cette note confirmait la nécessité pour le fonctionnaire de travailler 20 heures par semaine, de travailler à domicile autant que possible et, lorsqu’il devait se déplacer, d’éviter les heures de pointe. L’employeur a respecté toutes ces recommandations.

[75] La quatrième note médicale a apporté une lueur d’espoir, indiquant que le fonctionnaire pouvait peut-être se déplacer à l’extérieur de Winnipeg. M. Bergman et Mme Anderson se sont rencontrés pour fixer les modalités, mais malgré tous leurs efforts, ils n’ont pas réussi à trouver un dossier de vérification de l’impôt international sur lequel le fonctionnaire pouvait travailler. Mme Anderson a témoigné en avoir trouvé un, mais le fonctionnaire a dit qu’il ne lui convenait pas.

[76] La cinquième note médicale, d’octobre 2015, rejetait catégoriquement la possibilité que le fonctionnaire travaille sur des vérifications de dossiers importants, en vérification de l’impôt international ou dans d’autres secteurs. Mme Anderson et M. Bergman ont tous deux témoigné de la charge de travail en vérification de l’impôt international, qui consiste en des vérifications de dossiers importants qui, pour des raisons opérationnelles, ont lieu à Calgary. Cela implique des déplacements et des périodes d’activité intenses, généralement à raison d’une semaine, et ce, pendant une longue période.

[77] Le travail de vérification au sein du programme des REAQ, selon le témoignage de Mme Van Solkema, comportait des tâches qui duraient entre une et huit heures pour un dossier donné. Ce type de travail était préférable, compte tenu de l’observation de la médecin selon laquelle [traduction] « l’exécution efficace de vérifications de dossiers importants, sur de plus longues périodes, exige toutefois des capacités soutenues qu’il ne possède pas actuellement ».

[78] L’employeur a fait remarquer que Mme Van Solkema avait tenu compte des suggestions du fonctionnaire en ce qui concerne les dispenses et les dispositions impliquant des non-résidents. Elle, ainsi que M. Bergman et Mme Anderson, ont clairement indiqué dans leurs témoignages que les employés occupant un poste d’un niveau inférieur à celui du fonctionnaire, lequel occupait un poste au groupe et au niveau AU-03, effectuaient ce travail ailleurs. L’employeur a fait valoir que ses efforts satisfaisaient à la nécessité de rechercher un compromis faisant intervenir plusieurs parties quant aux possibilités de mesures d’adaptation, comme cela est proposé dans Central Okanagan.

[79] En ce qui concerne le reproche de manque de structure ou de formalité formulé par le fonctionnaire, l’employeur a fait référence à Canada (Procureur général) c. Duval, 2019 CAF 290, dans laquelle on peut lire, au par. 25, ce qui suit :

[25] De même, la conclusion de la CRTESPF, selon laquelle la procédure retenue par le SCC pour réintégrer le défendeur constituait en soi un manquement à l’obligation de prendre des mesures d’accommodement, est déraisonnable. Dans l’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 131, [2015] 3 R.C.F. 103 (C.A.F.), notre Cour a conclu qu’il n’existe pas de droit procédural à un accommodement distinct qui impose une procédure particulière que l’employeur doit suivre lorsqu’il cherche à prendre des mesures d’accommodement en faveur d’un employé. Au contraire, dans chaque cas, la question de savoir si l’employeur a ou non établi qu’il a pris des mesures d’accommodement à l’égard d’un plaignant au point de constituer une contrainte excessive est une question de fait.

 

[80] L’employeur a non seulement suivi les recommandations de sa médecin quant aux restrictions, mais il a aussi aidé le fonctionnaire à réussir dans son travail. M. Wery a établi un plan formel pour aider le fonctionnaire sur une période de trois semaines au début de son retour au travail afin qu’il puisse déterminer quelle aide supplémentaire pourrait être nécessaire. Mme Anderson a rencontré régulièrement le fonctionnaire pour planifier son travail et faire le suivi des travaux accomplis. Il s’agissait de plans formels. L’employeur a également demandé des renseignements supplémentaires à la médecin du fonctionnaire.

[81] L’employeur a fait valoir qu’il n’est pas nécessaire qu’une mesure d’adaptation soit parfaite pour être raisonnable. Comme cela est indiqué dans Lavoie c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2019 CRTESPF 1, au par. 179 :

179 L’employeur n’est pas tenu de créer un poste pour accommoder un employé (Kerr-Alich). En l’espèce, l’employeur ne pouvait continuer à employer la fonctionnaire comme assistante dentaire, car elle n’arrivait pas à exécuter ses tâches. L’employeur n’a pas l’obligation de composer un poste sur mesure qui ne correspond ni à ses besoins ni à son budget.

 

[82] Le travail suggéré dans la cinquième note médicale (dispenses et dispositions impliquant des non-résidents) n’avait pas à être effectué par un vérificateur de l’impôt international au groupe et au niveau AU-03. Par conséquent, le regroupement de ces tâches n’aurait pas satisfait aux besoins de l’ARC. Comme cela est indiqué dans Spooner c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 60, au par. 141 :

[141] […] même si l’employeur est tenu de faire des efforts vigoureux pour composer avec les besoins d’un employé, l’obligation qui lui est imposée n’est pas infinie; elle lui permet d’arrêter son choix sur des mesures d’adaptation qui font son affaire aussi bien qu’elles font l’affaire de l’employé. L’employeur a le droit de vouloir que le travail accompli par l’employé représente une contribution utile pour l’entreprise. […]

 

[83] Le fonctionnaire s’est vu confier des tâches qui avaient une utilité tant pour l’employeur que pour l’employé. Le fait que d’autres mesures d’adaptation auraient pu être prises est sans importance. À partir du moment où l’ARC a permis au fonctionnaire de travailler de façon productive, l’obligation de prendre des mesures d’adaptation a été remplie.

[84] Pour ces motifs, a soutenu l’employeur, le grief doit être rejeté.

IV. Décision et motifs

[85] J’ai lu les cas présentés tant par le fonctionnaire que par l’employeur. Dans le cadre du rejet du présent grief, je ne ferai référence qu’à ceux qui appuient mon raisonnement.

[86] Dans son grief, le fonctionnaire a fait référence à la LCDP. Selon l’alinéa 226(2)a) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, la Commission peut, pour instruire toute affaire renvoyée à l’arbitrage, interpréter et appliquer la LCDP. L’article 7 de la LCDP prévoit que constitue un acte discriminatoire, dans le cadre d’un emploi, le fait de défavoriser un employé pour un motif de distinction illicite. Le paragraphe 3(1) de la LCDP prévoit que la déficience est un motif de distinction illicite.

[87] Même si les parties n’ont pas explicitement présenté le cadre analytique, elles y ont fait référence de manière indirecte dans leurs arguments finaux. Dans leurs recueils de jurisprudence, elles mentionnent notamment Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61 et McCarthy. Dans McCarthy, au par. 83, on peut lire ce qui suit :

[83] La jurisprudence en matière de discrimination est bien établie. Une conclusion de discrimination se fait en deux étapes. En premier lieu, la personne qui fait l’allégation de discrimination doit établir une preuve prima facie de discrimination; c’estàdire, la preuve qu’en l’absence d’une réponse de la personne dont on présume qu’elle a fait preuve de discrimination, elle serait suffisante pour permettre de conclure à la discrimination. Une preuve prima facie de discrimination dans le contexte de l’emploi comporte les trois éléments suivants : 1) la personne a une caractéristique protégée contre la discrimination; 2) la personne a subi un effet négatif quant à son emploi; 3) la caractéristique protégée est un facteur (pas nécessairement le seul) de la répercussion négative.

 

[88] La première question que je dois trancher est celle de savoir si le fonctionnaire a établi une preuve prima facie de discrimination. La déficience du fonctionnaire est évidente et n’était pas contestée à l’audience. Il s’agit d’une caractéristique protégée contre la discrimination en vertu de la LCDP. Bien qu’aucune des parties n’ait fait valoir ce point de façon explicite, j’estime qu’il ne fait aucun doute que le fonctionnaire a subi un effet préjudiciable dans son emploi. Lorsqu’il est revenu de son congé de maladie, il n’a pas repris ses fonctions de vérificateur de l’impôt international. L’effet préjudiciable découlant de sa situation constitue le cœur et l’âme du présent cas. Le fonctionnaire souhaitait ardemment retrouver son poste d’attache de vérificateur de l’impôt international et était (et continue peut-être d’être) très mécontent de ne pas pouvoir le faire. La troisième question est de savoir si la caractéristique protégée a constitué un facteur de l’effet préjudiciable, et il est évident que c’est le cas. La seule raison pour laquelle l’employeur n’a pas réintégré le fonctionnaire dans son poste d’attache réside dans le fait que cela était tout simplement impossible en raison des effets continus de sa maladie. Je conclus que le fonctionnaire a établi une preuve prima facie de discrimination.

[89] Il incombe alors à l’employeur de démontrer qu’il avait une EPJ et que le fait de prendre des mesures d’adaptation pour répondre aux besoins du fonctionnaire lui aurait imposé une contrainte excessive, conformément aux critères énoncés dans Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3 (Meiorin), au par. 54.

[90] L’article 15 de la LCDP prévoit ce qui suit :

15 (1) Ne constituent pas des actes discriminatoires :

15 (1) It is not a discriminatory practice if

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées;

[…]

(a) any refusal, exclusion, expulsion, suspension, limitation, specification or preference in relation to any employment is established by an employer to be based on a bona fide occupational requirement

(2) Les faits prévus à l’alinéa (1)a) sont des exigences professionnelles justifiées ou un motif justifiable, au sens de l’alinéa (1)g), s’il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

(2) For any practice mentioned in paragraph (1)(a) to be considered to be based on a bona fide occupational requirement and for any practice mentioned in paragraph (1)(g) to be considered to have a bona fide justification, it must be established that accommodation of the needs of an individual or a class of individuals affected would impose undue hardship on the person who would have to accommodate those needs, considering health, safety and cost.

 

[91] Dans Meiorin, la Cour suprême du Canada a élaboré le critère relatif aux EPJ : 1) l’exigence professionnelle est-elle rationnellement liée à l’exécution du travail? 2) l’exigence a-t-elle été adoptée en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour atteindre les objectifs du poste? 3) l’exigence est-elle raisonnablement nécessaire, en ce sens que la personne ne peut se voir accorder une mesure d’adaptation sans que le défendeur subisse une contrainte excessive?

[92] Les témoins de l’employeur ainsi que le fonctionnaire ont clairement expliqué les exigences du travail d’un vérificateur de l’impôt international. Dans toute forme de vérification, le vérificateur est tenu de se rendre au lieu d’activité de l’entité vérifiée. Dans le présent cas, la nature de l’exercice de classification et de restructuration au sein de l’ARC a fait en sorte que le travail en matière d’impôt international a été effectué presque exclusivement à Calgary, à une distance assez importante du bureau des services fiscaux de Winnipeg.

[93] J’accepte les témoignages de tous les témoins, y compris celui du fonctionnaire, en ce qui concerne les conditions de travail d’un vérificateur de l’impôt international. Les vérificateurs travaillent dans une équipe d’au moins quatre personnes; ils voyagent ensemble en voiture de Winnipeg à Calgary. Après avoir traversé toute la prairie canadienne, ils travaillent de longues heures chaque jour pendant toute la semaine, puis retournent à Winnipeg. Ils le font au moins une fois par mois jusqu’à ce que la vérification soit terminée, ce qui peut prendre jusqu’à un an ou plus. Ce sont là les exigences professionnelles, et j’estime qu’elles sont rationnellement liées à l’exécution du travail.

[94] Le deuxième volet du critère est également satisfait : ces exigences professionnelles sont clairement nécessaires pour atteindre les objectifs du poste. Ce sont les déplacements et les longues heures de travail en équipe qui permettent de mener à bien les vérifications de l’impôt international.

[95] Je suis en désaccord avec le fonctionnaire lorsqu’il affirme que l’employeur n’a fait aucun effort pour réaménager les tâches d’un vérificateur de l’impôt international en fonction de ses besoins. J’accepte le témoignage de Mme Anderson, qui a témoigné avoir examiné très attentivement cet élément du plan d’adaptation. La limitation des déplacements et la semaine de travail de 20 heures imposées par la médecin constituaient des obstacles considérables. Tout le monde s’accorde à dire qu’une discussion a eu lieu pour trouver un poste de vérificateur de l’impôt international pour le fonctionnaire après la réception de la note de la médecin du 26 août 2014, qui semblait ouvrir quelque peu la porte aux déplacements et à des conditions de travail flexibles. Pouvait-il peut-être travailler de manière intensive pendant une semaine et profiter de la semaine suivante pour récupérer? Cette question est restée sans réponse, du moins jusqu’à la note définitive de la médecin en date du 13 octobre 2015.

[96] Mme Anderson a cherché mais n’a pas pu trouver une vérification convenable pour le fonctionnaire. Elle en a trouvé une qui, selon elle, pouvait convenir, mais le fonctionnaire lui a dit qu’il ne la jugeait pas acceptable.

[97] Le fonctionnaire a fait valoir qu’on ne peut pas simplement [traduction] « brandir une description de travail imprimée » (pour paraphraser le fonctionnaire) et appeler cela une EPJ. Je suis d’accord, mais l’employeur a fait bien plus que cela. La feuille de calcul produite par Mme Van Solkema est peut-être a priori austère, mais Mme Van Solkema a expliqué en détail les efforts qu’elle a déployés pour faire des recherches sur les diverses possibilités et pour comparer et opposer les éléments de tous les postes, dans le but de trouver le meilleur compromis possible. J’estime que la preuve relative à ce troisième volet du critère est concluante en ce sens que l’employeur ne pouvait pas fournir au fonctionnaire la mesure d’adaptation qu’il souhaitait, de sorte que des efforts considérables ont été déployés pour trouver le meilleur moyen possible de l’accommoder. Le fait d’accorder la mesure d’adaptation idéale et souhaitée par le fonctionnaire constituerait une contrainte excessive.

[98] La preuve est on ne peut plus claire : chaque fois qu’une lettre médicale était envoyée, les recommandations qu’elle contenait étaient immédiatement suivies. J’estime que l’employeur a porté une attention scrupuleuse aux recommandations concernant les heures de travail (surtout pendant le retour progressif du fonctionnaire à des fonctions à temps plein), le nombre de jours de travail par semaine, la nécessité de permettre le télétravail et les restrictions des déplacements pendant les heures de pointe pour éviter le stress et permettre au fonctionnaire de répondre à ses besoins médicaux. L’employeur a pris des mesures d’adaptation à tous les égards.

[99] J’estime que l’exigence d’une recherche d’un compromis faisant intervenir plusieurs parties, telle que formulée dans Central Okanagan, a été respectée. Les notes de réunion du 23 juin 2014, comme suit, sont instructives à cet égard :

[Traduction]

[…]

Clayton a également déclaré qu’il pense que les dossiers plus importants qui nécessitent une coopération avec d’autres vérificateurs vont continuer à poser problème car il ne peut pas savoir comment il se sentira chaque jour. La façon dont Clayton se sent peut changer d’un jour à l’autre. Il l’explique par l’analogie suivante : il ne dispose que d’une quantité limitée d’endurance/de bonne santé en réserve et une fois qu’elle est épuisée, elle est épuisée. Il lui faut du temps pour recharger ses batteries. Il peut être capable de se donner à fond pendant une semaine, puis il peut potentiellement être malade/en mauvais état pendant la semaine suivante.

[…]

 

[100] Le fonctionnaire s’est rendu compte assez tôt dans le cadre de son plan de retour au travail qu’il pouvait tout simplement ne pas être prêt à reprendre pleinement ses fonctions de vérificateur de l’impôt international. Au début, du moins, il semble avoir accepté son sort. Toutefois, il n’a pas conservé cette attitude et, vers la fin de son emploi de vérificateur de l’impôt international, il s’est opposé de plus en plus vigoureusement à sa mutation.

[101] Les conclusions de la Commission dans Leclair et Lavoie me semblent tout à fait pertinentes. Les mesures d’adaptation proposées n’ont pas à être parfaites ou faites sur mesure, elles doivent être raisonnables.

[102] Je conclus que compte tenu des restrictions imposées par les Dres Lecuyer et Silver, il était tout simplement impossible pour l’employeur de réintégrer le fonctionnaire dans son poste de vérificateur de l’impôt international. J’accepte les témoignages des témoins de l’employeur sur les aspects de la centralisation et de la régionalisation et sur l’approche fondée sur le risque pour l’attribution des dossiers de vérification de l’impôt international, selon laquelle le travail était effectué presque exclusivement à Calgary. Cet aspect de leur témoignage n’a pas été contesté.

[103] Ce type de tâches est tout à fait incompatible avec les recommandations des médecins, et il n’était pas réaliste de la part du fonctionnaire d’insister pour qu’on le remette dans un tel cadre.

[104] Cela ne veut pas dire que je suis insensible à la frustration que le fonctionnaire a dû ressentir. Il a été fauché en pleine force de l’âge par une maladie débilitante, qui l’a non seulement privé du travail qu’il aimait sincèrement, mais qui a également privé l’ARC d’un vérificateur de l’impôt international qui, au dire de tous, était très compétent.

[105] J’accepte le renvoi de l’employeur à Leclair sur la question du rôle du médecin dans le processus de prise de mesures d’adaptation. Au par. 133, on peut lire ce qui suit :

[133] […] Le rôle d’un médecin consiste à fournir un avis professionnel et non d’agir à titre de défenseur du patient dans le cadre de la relation employeur-employé. Leur avis ne peut pas contourner les besoins organisationnels du milieu de travail de l’employeur. Le rôle des médecins consiste à déterminer les besoins et les limites de leurs patients et, à la lumière de cette information, l’employeur doit déterminer la meilleure mesure d’adaptation à prendre pour répondre à ces besoins et limites dans le milieu de travail.

 

[106] Le fonctionnaire semble ne pas avoir été satisfait de l’explication de l’employeur au sujet des EPJ, et il a demandé à plusieurs reprises en quoi son retour à son poste constituait une contrainte excessive. Comme je l’ai indiqué, je comprends les sentiments de frustration du fonctionnaire, mais il n’incombait pas à l’employeur de démontrer le bien-fondé de sa décision comme le voulait le fonctionnaire ou de la justifier.

[107] Je ne vois pas comment Mme Anderson, Mme Van Solkema ou M. Bergman auraient pu mieux expliquer les choses. La charge de travail d’un vérificateur de l’impôt international a été exposée à maintes reprises. Il s’agissait des exigences professionnelles, et elles étaient justifiées. Trouver un moyen pour le fonctionnaire de conserver le poste qu’il occupait alors aurait été plus qu’une contrainte excessive, cela aurait été carrément impossible. Les limites fonctionnelles du fonctionnaire l’empêchaient de reprendre ses tâches de vérificateur de l’impôt international, et ce, dès le moment où il a cherché à retourner au travail en 2012.

[108] Le 13 octobre 2015, la Dre Lecuyer a écrit que les [traduction] « […] capacités fonctionnelles et l’aptitude au travail [du fonctionnaire] n’ont pas évolué depuis 2012 ». Il est donc très instructif d’examiner exactement ce qu’étaient ces limites fonctionnelles selon elle en 2012 :

[Traduction]

[…]

J’ai examiné la description de travail ci-jointe et discuté des tâches de travail avec M. Reece. À l’heure actuelle, M. Reece est incapable d’accomplir bon nombre des tâches que requiert son poste […]

[…] M. Reece ne serait pas en mesure d’accomplir ces tâches en temps voulu ou de manière efficace. Il ne pourrait être un représentant efficace de l’Agence du revenu du Canada ou du ministère de la Justice. Il éprouverait également des difficultés à gérer les exigences liées à la présentation d’un témoignage devant un tribunal.

[…]

 

[109] Par conséquent, malgré de brefs élans d’optimisme de la part des médecins, les restrictions fonctionnelles constatées le 23 août 2012 n’ont jamais changé. Cet élément est significatif. Selon la Dre Lecuyer, le fonctionnaire n’a jamais été en mesure de reprendre ses fonctions de vérificateur de l’impôt international.

[110] Je conclus que Mme Van Solkema a déployé des efforts considérables pour évaluer les différentes possibilités d’emploi pour le fonctionnaire. Elle a étudié les différents postes au groupe et au niveau AU-03 qui auraient pu lui convenir. Elle a préparé une feuille de calcul pour comparer les points positifs et les points négatifs de chaque poste. Elle a discuté de ses conclusions avec le fonctionnaire et lui a demandé son avis. Elle s’est appuyée sur tous ces éléments ainsi que sur son expérience dans différents postes à l’ARC (notamment en tant que gestionnaire) pour trouver une solution qui répondait le mieux possible aux besoins du fonctionnaire et de l’employeur. Un poste au sein du programme des REAQ a été proposé au fonctionnaire, qui l’a accepté. Il a fait l’objet de mesures d’adaptation.

[111] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance suivante :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[112] Le grief est rejeté.

Le 15 février 2023.

Traduction de la CRTESPF

James R. Knopp,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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