Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a allégué que l’Association des juristes de Justice (AJJ) avait manqué à son devoir de représentation équitable lorsqu’elle a refusé de la représenter dans deux griefs, l’un concernant la politique sur la vaccination contre la COVID-19 du Conseil du Trésor et l’autre pour avoir été placée en congé sans solde en raison de la mise en œuvre de la politique – l’AJJ s’est opposée à la plainte en faisant valoir qu’elle était hors délai – la Commission a conclu que la plainte avait été déposée en temps opportun en ce qui concerne la demande de représentation dans le grief portant sur son placement en congé sans solde, qui était toujours en suspens et distinct du grief antérieur contestant la politique sur la COVID-19 – toutefois, la plaignante n’a présenté aucune cause défendable selon laquelle la décision de l’AJJ de ne pas la représenter dans ses griefs était arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi – l’AJJ n’a pas agi de manière arbitraire et a plutôt fondé sa décision selon un examen éclairé de la politique, de la pandémie et des répercussions sur la santé et la sécurité de ses membres – de plus, l’AJJ n’a pas agi de manière discriminatoire puisqu’elle a traité la plaignante comme tous les autres membres qui demandaient une représentation à l’égard de la même question et aucune affirmation n’a été faite selon laquelle la décision de la défenderesse était entachée par quelque motif illicite que ce soit – enfin, l’AJJ n’a pas agi de mauvaise foi parce que ses communications avec la plaignante étaient polies et franches, sans preuve de malveillance ou d’hostilité personnelle.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date : 20230215

Dossier : 561-02-44946

 

Référence : 2023 CRTESPF 16

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail dans

le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

enTRE

 

Anca Corneau

plaignante

 

et

 

Association DES JURISTES DE Justice

 

défenderesse

Répertorié

Corneau c. Association des juristes de Justice

Affaire concernant une plainte déposée en vertu de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : David Orfald, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante : Elle-même

Pour la défenderesse : Christopher Rootham, avocat

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les
8 et 28 juin, le 13 juillet et le 23 novembre 2022.


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Plainte devant la Commission

[1] Le 8 juin 2022, Anca Corneau (la « plaignante ») a déposé une plainte pour pratique déloyale de travail auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») contre son agent négociateur, l’Association des juristes de Justice (la « défenderesse » ou AJJ). La plaignante est une employée du Conseil du Trésor (l’« employeur ») qui travaille au ministère de la Justice. En tant qu’employée faisant partie de l’unité de négociation du groupe Praticiens du droit (LP), elle est représentée par l’AJJ.

[2] La plaignante a allégué que la défenderesse avait manqué à son devoir de représentation équitable, en contravention de l’article 187 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). Plus particulièrement, la plaignante a affirmé que l’AJJ avait refusé de la représenter dans un grief relatif à la « Politique sur la vaccination contre la COVID‑19 applicable à l’administration publique centrale, y compris à la Gendarmerie royale du Canada » du Conseil du Trésor (la « politique sur la COVID-19 »). La plaignante a déposé une plainte alléguant que la décision de la défenderesse de ne pas la représenter était arbitraire, discriminatoire et de mauvaise foi.

[3] Le 28 juin 2022, la défenderesse a soulevé une objection préliminaire au sujet de la plainte, en soutenant qu’elle était hors délai puisqu’elle n’avait pas été déposée au cours de la période obligatoire de 90 jours prévue au paragraphe 190(2) de la Loi pour le dépôt de telles plaintes. La défenderesse a également nié que sa décision de ne pas représenter la plaignante ait été arbitraire, discriminatoire ou prise de mauvaise foi.

[4] Le 13 juillet 2022, la plaignante a répondu aux arguments de l’AJJ. Elle a fourni des précisions supplémentaires sur la plainte. Elle a soutenu qu’elle l’avait déposée conformément aux délais prévus dans la Loi et elle a fourni des renseignements et des arguments supplémentaires concernant ses allégations selon lesquelles l’AJJ avait manqué à son devoir de représentation équitable.

[5] Conformément à l’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365), la Commission peut trancher toute affaire dont elle est saisie sans tenir d’audience.

[6] Dans le présent cas, la Commission a décidé d’inviter les parties à présenter des arguments écrits supplémentaires au sujet du délai de présentation de la plainte et de la question de savoir si la plaignante avait établi une cause défendable selon laquelle la défenderesse avait contrevenu à l’article 187 de la Loi. Dans son invitation, la Commission a aussi demandé aux parties de présenter des arguments concernant trois décisions qu’elle a rendues récemment, qui portaient sur le devoir de représentation équitable et la politique sur la COVID‑19 : Musolino c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2022 CRTESPF 46, Fortin c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2022 CRTESPF 67, et Tohidy c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2022 CRTESPF 69.

[7] Les deux parties ont présenté leurs arguments supplémentaires le 23 novembre 2022.

[8] Après avoir examiné la plainte, les répliques initiales et les arguments écrits, je suis convaincu de pouvoir rendre une décision sur la présente plainte sans tenir d’audience.

[9] Dans la présente décision, je commence par énoncer les dispositions législatives qui régissent la plainte, ainsi que les critères juridiques permettant de déterminer si une plainte est présentée en temps opportun et si une cause défendable a été établie. Je résume ensuite les faits présentés ou confirmés par la plaignante. Enfin, je me penche sur les arguments des parties et j’applique les critères juridiques aux faits en cause.

[10] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la plaignante a déposé une plainte en temps opportun. Cependant, je conclus qu’elle n’a pas établi une cause défendable selon laquelle l’AJJ aurait contrevenu à l’article 187 de la Loi, et je rejette la plainte.

[11] Le 3 février 2023, Christopher Rootham, avocat de la défenderesse dans la présente affaire, a été nommé commissaire à temps plein à la Commission à compter du 3 avril 2023. Aucune discussion n’a eu lieu entre la présente formation de la Commission et M. Rootham au sujet de la présente affaire.

II. Dispositions législatives

[12] Les dispositions législatives qui prévoient le dépôt d’une plainte alléguant un manquement au devoir de représentation équitable d’un agent négociateur sont énoncées au paragraphe 190(1) de la Loi. Le délai de 90 jours prévu pour le dépôt d’une telle plainte est énoncé au paragraphe 190(2). Ces dispositions sont ainsi rédigées :

190 (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

190 (1) The Board must examine and inquire into any complaint made to it that

[…]

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

(g) the employer, an employee organization or any person has committed an unfair labour practice within the meaning of section 185.

(2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

(2) Subject to subsections (3) and (4), a complaint under subsection (1) must be made to the Board not later than 90 days after the date on which the complainant knew, or in the Board’s opinion ought to have known, of the action or circumstances giving rise to the complaint.

 

[13] Parmi les pratiques déloyales de travail énumérées à l’article 185 de la Loi, il y a celle prévue à l’article 187, qui impose le devoir de représentation équitable aux agents négociateurs en énonçant l’interdiction suivante :

Représentation inéquitable par l’agent négociateur

Unfair representation by bargaining agent

187 Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

187 No employee organization that is certified as the bargaining agent for a bargaining unit, and none of its officers and representatives, shall act in a manner that is arbitrary or discriminatory or that is in bad faith in the representation of any employee in the bargaining unit.

 

[14] En ce qui concerne l’objection relative au respect des délais qui a été soulevée par l’AJJ, il est bien établi que le libellé du paragraphe 190(2) est obligatoire et que la Commission n’a pas le pouvoir discrétionnaire de prolonger le délai de 90 jours; voir Myles c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2017 CRTESPF 31, au paragraphe 42; Castonguay c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CRTFP 78, au paragraphe 55; et Paquette c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2018 CRTESPF 20, au paragraphe 36.

[15] Le seul pouvoir discrétionnaire de la Commission lorsqu’il s’agit d’interpréter le délai de 90 jours prévu au paragraphe 190(2) consiste à déterminer le moment où le plaignant a eu, ou aurait dû avoir, connaissance des mesures ou des circonstances ayant donné lieu à la plainte; voir Esam c. Alliance de la Fonction publique du Canada (Syndicat des employées et employés nationaux), 2014 CRTFP 90, au paragraphe 33; Éthier c. Service correctionnel du Canada et Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN, 2010 CRTFP 7, au paragraphe 18; et Tohidy, au paragraphe 45.

[16] J’examinerai plus loin dans la présente décision la question de savoir si la plainte a été déposée dans les 90 jours qui ont suivi la date à laquelle la plaignante a eu, ou aurait dû avoir, connaissance des circonstances ayant donné lieu à la plainte.

III. L’utilisation d’une analyse de la cause défendable dans les plaintes relatives au devoir de représentation équitable

[17] Lorsqu’elle a rendu des décisions sur des plaintes relatives au devoir de représentation équitable, la Commission a souvent appliqué une analyse de la cause défendable; voir, par exemple, Burns c. Section locale no 2182 d’Unifor, 2020 CRTESPF 119, aux paragraphes 82 à 84; Abi-Mansour c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2022 CRTESPF 48, aux paragraphes 48 et 49; Musolino, au paragraphe 36; et Fortin, au paragraphe 26. Lorsqu’elle applique une analyse de la cause défendable, la Commission doit considérer tous les faits allégués par le plaignant comme vrais, puis déterminer si ce dernier a établi une cause défendable selon laquelle il a eu violation de la Loi (voir aussi Hughes c. ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences, 2012 CRTFP 2, au par. 86).

A. L’argumentation des parties

[18] Les deux parties ont convenu que la Commission devait utiliser l’analyse de la cause défendable avec prudence pour rejeter une plainte.

[19] La plaignante a soutenu que le seuil à atteindre pour établir une cause défendable est bas. Pour étayer ce principe, elle a cité l’extrait qui suit de la décision que la Commission des relations de travail de l’Ontario (CRTO) a rendue dans Akwasi Agyeman v. SEIU Healthcare, 2021 CanLII 27347 (CRTO, « Agyeman ») (dans ce cas, la CRTO utilise le terme « preuve prima facie » plutôt que celui de « cause défendable ») :

[Traduction]

[]

13. La CRTO a conclu à maintes reprises que le seuil à franchir pour établir une preuve prima facie n’est pas particulièrement élevé. À l’inverse, le seuil à atteindre est élevé pour une partie qui sollicite le rejet d’une demande pour défaut d’établir une preuve prima facie. Dans J. Paiva Foods Ltd., [1985] OLRB Rep. May 690, la CRTO a conclu ce qui suit à la page 691 :

Le pouvoir discrétionnaire de la CRTO de rejeter une plainte au motif qu’elle ne révèle pas une preuve prima facie ne doit être exercé que dans les cas les plus évidents, c’est-à‑dire, lorsque la CRTO est convaincue qu’il n’existe aucune possibilité raisonnable de pouvoir établir qu’il y a eu violation de la Loi sur les relations de travail de l’Ontario sur le fondement des faits allégués.

[…]

 

[20] La défenderesse a estimé que la Commission devait se pencher sur la question de savoir si la plaignante avait présenté une cause défendable selon laquelle sa plainte avait été déposée en temps opportun, et si l’AJJ avait agi de manière arbitraire, discriminatoire, ou de mauvaise foi.

[21] La défenderesse a indiqué que dans Sganos c. Association canadienne des agents financiers, 2022 CRTESPF 30, la Commission a fait une analogie entre le cadre d’analyse de la cause défendable et le cadre appliqué par les tribunaux dans les actions civiles à l’égard des requêtes préliminaires en radiation des actes de procédure. L’AJJ a soutenu qu’en pareil cas, les faits allégués doivent être considérés comme vrais sauf s’ils ne peuvent manifestement pas être prouvés. Il incombe à la plaignante de démontrer clairement les faits sur lesquels elle fonde sa demande, et si la Commission a quelque doute que ce soit sur ce que les faits révèlent, elle doit opter pour une conclusion de cause défendable et entendre l’affaire (voir Sganos, aux par. 81 à 84).

[22] La défenderesse a fait remarquer que la Commission avait récemment appliqué l’analyse de la cause défendable pour rejeter trois plaintes relatives au devoir de représentation équitable qui mettaient en cause la politique sur la COVID-19; voir Musolino, Fortin et Tohidy. La défenderesse a soutenu que la Commission avait erré dans ces cas lorsqu’elle avait examiné les faits allégués par les agents négociateurs. Elle a déclaré que dans Musolino, par exemple (au par. 37), la Commission s’est fondée sur le fait que l’agent négociateur avait demandé un avis juridique auprès de plusieurs sources afin de démontrer qu’il n’avait pas agi de manière arbitraire. Dans Tohidy (au par. 36), la Commission s’est fondée sur la chronologie des mesures que l’agent négociateur avait prises et elle a tenu compte de ces facteurs pour prendre sa décision. L’AJJ a affirmé que l’analyse doit se fonder uniquement sur l’argumentation de la plaignante (voir aussi Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 RCS 959, à la p. 986).

[23] La défenderesse a reconnu que ses arguments concernant la norme de la cause défendable n’appuient pas sa cause, puisque la Commission ne devrait pas se fonder sur les faits présentés dans sa réplique à la plainte, qui a été déposée le 28 juin 2022. Selon cette approche, par exemple, la défenderesse a affirmé que la Commission ne devrait pas tenir compte du document de l’AJJ intitulé [traduction] « Foire aux questions », qui a été publié au sujet de la politique sur la COVID-19. La défenderesse a soutenu que la Commission devrait se limiter à l’examen des allégations faites dans la plainte et dans la réponse de la plaignante du 13 juillet 2022, ce qui comprend les sept pièces jointes (annexes A à G) à ces arguments.

[24] Malgré ces mises en garde, l’AJJ a adopté la position voulant que la Commission puisse appliquer l’analyse d’une cause défendable et l’utiliser pour rejeter la présente plainte comme étant hors délai, ou, à titre subsidiaire, pour défaut d’établir une cause défendable selon laquelle la défenderesse a agi de manière arbitraire, discriminatoire, ou de mauvaise foi. L’AJJ a aussi reconnu, même si la Commission conclut que la plaignante a établi une cause défendable, que la Commission n’est pas obligée de tenir une audience. D’autres solutions s’offrent à la Commission pour régler un différend factuel, par exemple, au moyen d’arguments écrits.

B. Analyse

[25] Je conviens que lorsque la Commission procède à l’analyse d’une cause défendable à l’égard d’une plainte, elle doit faire preuve de prudence, et qu’en cas de doute, elle doit préserver le droit de faire examiner les plaintes dans le cadre d’une procédure (voir Hughes, au par. 105, et Quadrini c. Agence du revenu du Canada, 2008 CRTFP 37, au par. 33).

[26] Cependant, je crois que l’AJJ surestime la contrainte qui empêche la Commission de renvoyer aux faits allégués par la défenderesse. Dans une plainte telle que la présente, l’échange de précisions à la suite du dépôt d’une plainte fait essentiellement partie du processus de réception. Cet échange, qui constitue un élément bien établi de la pratique de la Commission depuis de nombreuses années, aide celle‑ci à comprendre les questions qui ont donné lieu à la plainte. Cela peut aider la Commission à régler les plaintes le plus rapidement possible.

[27] Dans le cadre de cet échange, la défenderesse est invitée à présenter sa version des faits, et la plaignante, à répondre à ces affirmations. Comme c’était le cas en l’espèce, les parties fournissent souvent des documents à l’appui de leur version des faits. Dans le cadre de cet échange, la Commission peut être convaincue que certains faits ne sont pas contestés. Cela est d’autant plus vrai si les faits sont mentionnés par les deux parties ou s’ils sont corroborés dans des documents non contestés par les parties.

[28] Dans le présent cas, la plaignante a non seulement mentionné l’existence du document de foire aux questions de la défenderesse, mais elle l’a également cité dans son argumentation sur les actes de l’AJJ.

[29] Si les faits sont contestés, ou si la Commission les met en doute, cette dernière doit se fonder uniquement sur les faits allégués par la plaignante pour déterminer si une cause défendable a été établie.

[30] Pour déterminer si un plaignant a établi une cause défendable dans une plainte relative au devoir de représentation équitable, la Commission doit examiner les principes sous‑jacents au devoir. En 1984, dans Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon, [1984] 1 R.C.S. 509, la Cour suprême du Canada a énoncé les cinq principes sous‑jacents au devoir de représentation équitable d’un syndicat. Bien que le deuxième principe requière des modifications, compte tenu du cadre applicable à un grief individuel prévu par la Loi, la Commission a utilisé les quatre autres principes à maintes reprises pour définir la portée du devoir de représentation équitable en vertu de la Loi :

[…]

1. Le pouvoir exclusif reconnu à un syndicat d’agir à titre de porte-parole des employés faisant partie d’une unité de négociation comporte en contrepartie l’obligation de la part du syndicat d’une juste représentation de tous les salariés compris dans l’unité.

2. Lorsque, comme en l’espèce et comme c’est généralement le cas, le droit de porter un grief à l’arbitrage est réservé au syndicat, le salarié n’a pas un droit absolu à l’arbitrage et le syndicat jouit d’une discrétion appréciable.

3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part.

4. La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.

5. La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.

[…]

 

[31] J’estime également que dans McRaeJackson c. Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCACanada), 2004 CCRI 290, le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) a fourni des directives utiles pour évaluer les plaintes relatives au devoir de représentation équitable. L’article 37 du Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L-2; le « Code »), une disposition très similaire à l’article 187 de la Loi, prévoit le devoir de représentation équitable qui incombe aux syndicats agréés en vertu du Code. Au paragraphe 54 de McRaeJackson, le CCRI a résumé les principes en ces termes :

[54] En définitive, si le syndicat s’est penché sur la plainte de l’employé, s’il a recueilli les renseignements pertinents avant de prendre sa décision, s’il a tenté de régler le problème et s’il s’est prévalu raisonnablement de son pouvoir discrétionnaire de ne pas présenter un grief ou de ne pas le porter à l’arbitrage, conformément aux critères décrits dans les pages qui précèdent, et s’il a informé l’employé des raisons de sa décision, ce dernier n’a guère de raisons de porter plainte.

 

[32] Dans Noël c. Société d’énergie de la Baie James, 2001 CSC 39, au paragraphe 50, la Cour suprême du Canada a écrit ce qui suit au sujet du comportement arbitraire de la part des syndicats :

50. Se reliant étroitement, les concepts d’arbitraire et de négligence grave définissent la qualité de la représentation syndicale. L’élément de l’arbitraire signifie que, même sans intention de nuire, le syndicat ne saurait traiter la plainte d’un salarié de façon superficielle ou inattentive. Il doit faire enquête au sujet de celle-ci, examiner les faits pertinents ou obtenir les consultations indispensables, le cas échéant […] On devrait aussi tenir compte des ressources de l’association, ainsi que des intérêts de l’ensemble de l’unité de négociation. L’association jouit donc d’une discrétion importante quant à la forme et à l’intensité des démarches qu’elle entreprendra dans un cas particulier […]

 

[33] Dans Sganos, la Commission a souligné que le désaccord d’un plaignant avec les décisions d’un syndicat en matière de représentation ne constitue pas une infraction à l’article 187. Au paragraphe 102, la Commission a indiqué ce qui suit :

[102] La jurisprudence de la Commission a clairement établi que l’insatisfaction d’un plaignant ou son désaccord quant à la qualité ou la nature de la représentation offerte par le syndicat ne constitue pas la norme que l’on doit utiliser au moment d’évaluer si l’article 187 a été enfreint. Le seul fait qu’un plaignant ne souscrive pas à la stratégie ou à la décision du représentant syndical à l’égard du traitement d’un grief ne constitue pas une infraction à l’article 187 […]

 

[34] Pour déterminer si une cause défendable a été établie, il ne suffit pas d’accepter les allégations d’un plaignant comme étant vraies. Comme cela arrive souvent, la plaignante dans le présent cas mentionne certains faits puis allègue (ou soutient) que certaines actions ou inactions de la part de la défenderesse ont été arbitraires, discriminatoires ou commises de mauvaise foi. Le fait que la plaignante fasse valoir que l’AJJ a agi de manière arbitraire ou discriminatoire, ou qu’elle a fait preuve de mauvaise foi, ne signifie pas qu’il existe une cause défendable. La question à trancher pour la Commission est celle de savoir si les faits présentés ou confirmés par la plaignante atteignent le degré d’une plainte qui a une chance raisonnable de succès. Autrement dit, comme l’a formulé la CRTO dans Agyeman, un cas peut être rejeté pour absence de cause défendable s’il n’a aucune possibilité raisonnable de succès.

IV. La plainte

[35] Il est important de commencer par examiner le contenu de la plainte. La plaignante a déclaré que ce qui suit constituait l’affaire ayant donné lieu la plainte :

[Traduction]

[…]

[…] L’AJJ a refusé de me représenter dans les griefs que j’ai déposés contre les décisions déraisonnables, injustifiées et arbitraires de l’employeur de rendre obligatoire la vaccination contre la COVID‑19, de demander mon statut vaccinal et de me suspendre sans salaire indéfiniment alors que je travaillais à distance. L’AJJ n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de bonne foi, objectivement et honnêtement. L’AJJ a fourni des modèles de réponses qui ne renfermaient aucune explication objective ou raisonnable pour avoir refusé de me représenter. La décision de ne pas me représenter dans mon grief contestant ma suspension, que l’AJJ a prise le 10 mars 2022, est totalement déraisonnable et arbitraire.

L’AJJ a aussi manqué à son devoir de représentation équitable en omettant de prendre des mesures et/ou de nous communiquer des renseignements, à moi et à d’autres membres, lorsque l’employeur a omis de revoir sa Politique sur la vaccination contre la COVID-19 au cours de la période de six mois prévue par la Politique, et lorsque l’employeur a omis de mettre fin à ma suspension compte tenu de la situation en évolution qui entourait la pandémie de COVID-19. Le défaut persistant de l’AJJ d’agir et de défendre ses membres a facilité les efforts de l’employeur visant à enfreindre mes droits juridiques et constitutionnels.

[…]

 

[36] Dans sa plainte, la plaignante a affirmé qu’elle avait pris les mesures suivantes pour régler la question avec la défenderesse :

[Traduction]

[…]

Malgré plusieurs tentatives, l’AJJ n’a pas vraiment répondu à mes questions légitimes. Il est devenu évident pour moi le 10 mars 2022 qu’en raison du fait que l’AJJ appuyait aveuglément la Politique, elle n’avait pas vraiment l’intention de répondre à mes questions et préoccupations. L’AJJ a concentré ses efforts sur la conformité des membres à la Politique déraisonnable, arbitraire, discriminatoire, disciplinaire et punitive de l’employeur, plutôt que sur son devoir de protéger les droits légaux et constitutionnels de ses membres. Cela est démontré aussi par son inaction à la suite du défaut de l’employeur de revoir la Politique le 6 avril 2022 au plus tard, ainsi que la situation en évolution qui entourait la pandémie de COVID‑19.

[…]

 

[37] La plaignante a demandé les mesures correctives suivantes :

[Traduction]

[…]

Une déclaration selon laquelle l’AJJ a manqué à son devoir de représentation équitable.

Une ordonnance de réparation intégrale, y compris des dommages et une indemnisation pour toute perte de salaire et d’avantage, rétroactivement au 15 novembre 2021.

Une ordonnance exigeant que l’AJJ dépose un grief par suite du défaut de l’employeur de revoir sa Politique sur la vaccination contre la COVID-19 au cours de la période de six mois, comme la Politique l’exigeait.

Toute autre ordonnance jugée pertinente dans les circonstances.

[…]

 

V. Résumé des faits

[38] Le résumé des faits qui suit comprend ceux que la plaignante a présentés ou confirmés dans sa plainte, ses arguments écrits en date du 13 juillet 2022 (y compris les sept annexes), ou ses arguments finaux en date du 23 novembre 2022. Plusieurs de ces faits sont aussi confirmés dans le résumé des faits de la défenderesse.

[39] La politique sur la COVID-19 a été publiée le 6 octobre 2021. Cette politique exigeait de remplir le formulaire d’attestation de vaccination contre la COVID-19 avant le 29 octobre 2021, et elle prévoyait que les employés qui refusaient d’attester qu’ils avaient été vaccinés pouvaient être placés en congé sans solde.

[40] Le 13 octobre 2021, la plaignante a discuté de la procédure de règlement des griefs avec Kate Terroux, conseillère juridique de la défenderesse. La plaignante a déclaré avoir parlé avec Mme Terroux de la possibilité de déposer deux griefs, l’un pour contester la politique, et l’autre pour contester sa suspension probable, ainsi que des délais s’y appliquant. La plaignante a affirmé que la conversation avec Mme Terroux avait confirmé sa compréhension selon laquelle si elle souhaitait contester la politique sur la COVID-19, elle devait présenter le grief à son gestionnaire le 12 novembre 2021 au plus tard.

[41] Le 3 novembre 2021, par courriel, la plaignante a demandé d’être représentée par l’AJJ dans le cadre d’un grief contestant la politique sur la COVID-19. Dans sa demande, la plaignante affirmait qu’elle voulait que l’employeur cesse immédiatement d’appliquer la politique d’une manière obligatoire, et qu’il mette fin aux pressions qu’il exerçait sur elle afin qu’elle révèle son statut vaccinal. À titre de motifs justifiant le grief, la plaignante a prétendu que la politique enfreignait la Charte canadienne des droits et libertés (Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11; la « Charte ») ainsi que son droit à la vie privée, et que la politique était déraisonnable, contraire à l’éthique, trop générale et punitive.

[42] Le 11 novembre 2021, la plaignante a envoyé un autre courriel à Mme Terroux afin de lui demander de la tenir au courant de sa demande de représentation. Comme elle n’avait toujours pas eu de nouvelles au 12 novembre 2021, la plaignante a déposé un grief contestant la politique sur la COVID-19 auprès de son gestionnaire.

[43] Le 15 novembre 2021, la plaignante a reçu par courriel la réponse de l’AJJ à sa demande de représentation. L’AJJ affirmait qu’elle avait examiné la demande de la plaignante, et qu’à la suite d’un examen minutieux elle avait déterminé que cette demande était incompatible avec la résolution de son conseil d’administration sur la politique de vaccination obligatoire. En faisant renvoi au document de foire aux questions de l’AJJ concernant la politique, le courriel de Mme Terroux indiquait que l’AJJ soutenait la vaccination la plus large possible des Canadiennes et des Canadiens, et qu’elle n’était pas convaincue que la politique enfreignait la Charte. Le courriel indiquait aussi que l’AJJ n’était pas d’avis que la politique enfreignait la convention collective pertinente, y compris sa disposition relative aux droits de la direction, et que l’AJJ soutiendrait les membres qui demanderaient des mesures d’adaptation pour des motifs d’ordre médical et religieux.

[44] Le même jour, soit le 15 novembre 2021, la plaignante a été placée en congé sans solde pour une période indéterminée en vertu de la politique sur la COVID-19.

[45] Le 26 novembre 2021, la plaignante a transmis à Mme Terroux une demande de réexamen de la décision que l’AJJ avait rendue le 15 novembre. La plaignante a posé quatre questions précises au sujet de la décision de ne pas la représenter, notamment les deux suivantes : [traduction] « En quoi est‑il raisonnable d’imposer ces nouvelles conditions d’emploi à des employés qui travaillent à domicile? » [Le passage en évidence l’est dans l’original] et « En quoi un congé non payé involontaire peut‑il ne pas être punitif? » [Le passage en évidence l’est dans l’original].

[46] Le 15 décembre 2021, la plaignante a demandé à Mme Terroux de la mettre au courant de sa demande de réexamen. Dans ce courriel, la plaignante indiquait à l’AJJ que le 15 novembre 2021, elle avait été placée en congé non payé, involontaire et indéterminé pour ne pas avoir divulgué son statut vaccinal, et qu’elle avait l’intention de contester cette mesure parce qu’elle estimait qu’il s’agissait d’une mesure disciplinaire injuste entraînant un licenciement ou une suspension, ainsi qu’une sanction pécuniaire. La plaignante demandait si l’AJJ appuierait ce grief.

[47] Le 16 décembre 2021, Mme Terroux a répondu à la plaignante. Elle a expliqué que les demandes de réexamen présentées en vertu des politiques internes de l’AJJ en matière de représentation exigent une modification importante des faits. Aucun fait n’ayant été présenté, le comité de représentation de l’AJJ avait estimé que la demande de réexamen de la plaignante était irrecevable. Les questions précises de la plaignante ont été admises, et Mme Terroux a indiqué qu’elles pourraient être utiles pour éclairer le document de foire aux questions de l’AJJ concernant la politique sur la COVID-19. La plaignante a été avisée qu’elle pouvait déposer une plainte individuelle auprès de la Commission canadienne des droits de la personne.

[48] Dans son courriel envoyé ce jour‑là, Mme Terroux indiquait aussi ce qui suit : [traduction] « Je suis navrée d’apprendre que vous avez été placée en congé sans solde, vous pouvez toujours présenter une demande de représentation, mais l’AJJ considère que le congé imposé en vertu de la politique de l’employeur est de nature administrative et non disciplinaire. »

[49] Le 24 janvier 2022, la plaignante a écrit à Mme Terroux pour demander d’être représentée par l’AJJ dans le cadre d’un grief rédigé en ces termes : [traduction] « Je dépose un grief contre la décision unilatérale de l’employeur de me placer en congé sans solde ». Dans son argumentation exposant les raisons pour lesquelles l’AJJ devait consentir à la représenter, la plaignante affirmait que l’employeur n’avait pas le pouvoir d’exiger la divulgation de son statut vaccinal, ni de lui imposer un congé sans solde pour avoir omis de le faire. La plaignante indiquait aussi qu’elle travaillait à distance pour l’employeur depuis mars 2020 et qu’aucune de ses tâches n’exigeait qu’elle travaille au bureau. Elle ne présentait aucun risque pour la santé et la sécurité d’autrui en travaillant à domicile sans avoir déclaré son statut vaccinal, et elle affirmait que les actes de l’employeur étaient de nature disciplinaire, coercitive, et qu’ils constituaient des représailles.

[50] La plaignante et Mme Terroux ont eu un autre échange de courriels le 24 janvier 2022. Mme Terroux a demandé à la plaignante des précisions concernant la demande, en indiquant qu’il semblait qu’une demande de réexamen ait déjà été présentée et qu’elle ait fait l’objet d’une réponse. La plaignante a répondu à Mme Terroux, et elle a expliqué que même si les demandes de représentation étaient liées, elles visaient des griefs distincts. Elle a ajouté que la première demande (le 3 novembre) concernait la représentation dans un grief contestant la politique sur la COVID-19. À ce moment‑là, elle n’avait pas encore été placée en congé sans solde et il aurait été prématuré de présenter un grief à ce sujet. La demande de réexamen (le 15 novembre) a été présentée à l’égard de ce premier grief. La plaignante indiquait qu’elle demandait maintenant d’être représentée dans un deuxième grief concernant la décision de l’employeur de la mettre en congé sans solde.

[51] Je souligne qu’au moment où la plaignante a présenté cette demande de représentation le 24 janvier 2022, elle avait déjà déposé un grief individuel contre la décision de l’employeur de la placer en congé sans solde. Selon un courriel joint aux arguments de la plaignante, ce deuxième grief a été présenté à l’employeur le 20 décembre 2021. Il ne ressort pas clairement des arguments de la plaignante que celle‑ci ait divulgué ces renseignements à l’AJJ lorsqu’elle a présenté sa demande de représentation à l’égard de ce deuxième grief.

[52] Le 28 février 2022, la plaignante a envoyé un courriel de suivi à Mme Terroux, afin de demander d’être mise au courant de sa demande de représentation présentée le 24 janvier.

[53] Le 10 mars 2022, Mme Terroux a répondu par écrit à la plaignante. Dans ce courriel, la demande de la plaignante était décrite en ces termes : [traduction] « […] deuxième demande de représentation afin de déposer un grief individuel contestant la décision unilatérale de l’employeur de placer l’employée en congé sans solde […] » Le courriel indiquait que l’AJJ avait [traduction] « […] examiné encore une fois et étudié avec soin la demande […] » et qu’elle avait déterminé que la demande de représentation n’était pas compatible avec la résolution du conseil d’administration de l’AJJ visant la politique sur la COVID-19. Le courriel accusait réception des arguments de la plaignante selon lesquels elle avait travaillé à domicile depuis le début de la pandémie en mars 2020 et ne présentait aucun risque pour la santé et la sécurité dans le milieu de travail. Il était souligné dans le courriel que la politique sur la COVID-19 expliquait les raisons pour lesquelles la politique de vaccination obligatoire s’appliquait à tous les employés. Le courriel expliquait aussi pourquoi l’AJJ soutenait la vaccination la plus large possible des Canadiennes et des Canadiens, y compris les fonctionnaires.

[54] La présente plainte a été déposée à la Commission le 8 juin 2022.

[55] Deux bulletins d’information à l’intention des membres, rédigés par la défenderesse, étaient joints aux arguments de la plaignante. Le premier, daté du 25 novembre 2021, expliquait la position de l’AJJ à l’égard de la politique sur la COVID-19. Le deuxième, daté du 10 juin 2022, faisait le point sur la position de l’AJJ à l’égard de la politique de vaccination, en pressant l’employeur de la revoir dans le délai six mois qui y était prévu.

[56] Dans son résumé des faits, la défenderesse a souligné que la politique sur la COVID-19 avait été annulée à compter du 20 juin 2022. Ce fait est de notoriété publique. La défenderesse a aussi déclaré qu’elle croyait comprendre que la plaignante était effectivement retournée au travail à cette date. Ce fait n’est pas confirmé dans l’argumentation de la plaignante, même si, dans ses arguments, celle‑ci a mentionné que sa période de congé sans solde avait duré sept mois.

VI. Questions à trancher

[57] Les arguments écrits des parties soulèvent les deux questions suivantes, sur lesquelles la Commission doit se pencher :

· La plaignante a‑t‑elle établi une cause défendable selon laquelle la plainte a été présentée en temps opportun (c.-à-d. conformément au par. 190(2) de la Loi)?

· La plaignante a‑t‑elle établi une cause défendable selon laquelle l’AJJ a enfreint l’article 187 de la Loi?

 

VII. La plaignante a‑t‑elle établi une cause défendable selon laquelle la plainte a été présentée en temps opportun?

A. L’argumentation de la défenderesse

[58] La défenderesse a soutenu que la présente plainte n’a pas été présentée au cours de la période de 90 jours prévue au paragraphe 190(2) de la Loi. Elle a affirmé que le 15 novembre 2021, elle avait clairement communiqué sa décision de ne pas représenter la plaignante. Lorsqu’elle a répondu à la première demande de réexamen présentée par la plaignante, le 16 décembre 2021, elle a seulement réitéré sa décision antérieure. La défenderesse a fait valoir qu’il en a été de même de son courriel à la plaignante le 10 mars 2022. La demande de représentation que la plaignante a présentée le 24 janvier 2022 reposait sur les mêmes motifs que sa demande antérieure, à savoir que la politique sur la COVID-19 était déraisonnable parce que la plaignante travaillait à domicile, et qu’elle ne tenait pas compte de la situation personnelle de l’employée. La défenderesse a affirmé que les deux demandes font allusion au fait que les employés qui ne se conforment pas à la politique seront placés en congé sans solde et qualifient cette mesure de [traduction] « disciplinaire » et « punitive ».

[59] La défenderesse a soutenu que son courriel adressé à la plaignante le 10 mars 2022 réitérait seulement la décision de ne pas la représenter, qui avait déjà été communiquée en novembre et décembre 2021. L’AJJ faisait preuve de courtoisie en répondant à la plaignante en mars 2022, et cette marque de courtoisie n’aurait pas dû créer une nouvelle possibilité de déposer une plainte relative au devoir de représentation équitable; voir Tohidy, au paragraphe 51.

B. L’argumentation de la plaignante

[60] La plaignante a soutenu qu’elle avait présenté deux demandes de représentation distinctes. Celle présentée en novembre 2021 se rattachait à un grief relatif à la politique sur la COVID-19, et celle présentée en janvier 2022 à un grief portant sur son placement en congé sans solde. La plaignante a fait remarquer que dans Tohidy, la Commission a établi une distinction entre les trois griefs différents que le plaignant avait déposés et que la décision ne traitait qu’un seul des trois (voir le par. 19). Ce faisant, la Commission a reconnu qu’il existe une différence entre un grief relatif à la politique et un grief personnel (voir aussi le par. 54).

[61] La plaignante a soutenu que dans la présente plainte, la seule demande de représentation qui est en litige est celle qui a été présentée le 24 janvier 2022, qui porte sur son placement involontaire en congé sans solde. Cette demande n’avait pas été présentée à des fins de réexamen; il s’agissait d’une nouvelle demande de représentation qui s’appliquait à un grief différent. La plaignante a soutenu qu’elle n’avait appris que l’AJJ ne la représenterait pas dans le cadre de ce grief qu’au moment où elle avait reçu le courriel que Mme Terroux avait envoyé le 10 mars 2022. La présente plainte a été déposée le 8 juin 2022, soit au cours de la période de 90 jours précisée dans la Loi.

C. Motifs

[62] Je suis sceptique quant à l’argumentation de la plaignante selon laquelle il existe une distinction importante entre sa demande de représentation par l’AJJ aux fins d’un grief individuel d’ordre général contestant la politique sur la COVID-19 et sa demande de représentation pour avoir été placée en congé sans solde par suite de la mise en œuvre de la politique. Sa première demande, présentée le 3 novembre 2021, faisait allusion à des préoccupations en matière de vie privée découlant de la politique, et elle y contestait l’exigence de remplir une attestation de vaccination dans le cas des employés travaillant à domicile et, surtout, les conséquences de la politique, soit d’être placée en congé sans solde. Cette demande alléguait que la politique sur la COVID-19 contraignait les employés à recevoir un vaccin expérimental en les menaçant d’une mesure disciplinaire s’ils ne le recevaient pas, et que la politique enfreignait la Charte. La demande de réexamen présentée le 26 novembre 2021 soulevait aussi plus particulièrement deux questions au sujet des parties de la politique qui autorisaient l’employeur à placer un employé en congé sans solde.

[63] Ce que la plaignante a décrit comme sa deuxième demande de représentation, qui a été présentée le 24 janvier 2022, reposait essentiellement sur le même motif. La plaignante affirmait que l’employeur n’avait pas le pouvoir d’exiger son statut vaccinal, qu’elle était en mesure d’accomplir toutes ses tâches à domicile, qu’elle ne présentait aucun risque pour la santé et la sécurité des autres employés, et que la décision de l’employeur de la placer en congé sans solde était injustifiée, illogique et non conforme à la convention collective pertinente. Elle affirmait que la décision de l’employeur de la placer en congé sans solde était une mesure disciplinaire déguisée, coercitive et punitive, et qu’elle constituait des représailles.

[64] En outre, le libellé de la plainte elle‑même ne traite pas seulement de la demande de représentation aux fins d’un grief portant sur le placement en congé sans solde, mais aussi de la politique sur la COVID-19 elle‑même. Dans sa plainte, la plaignante déclarait ce qui suit : [traduction] « L’AJJ a refusé de me représenter dans mes griefs contestant les décisions déraisonnables, injustifiées et arbitraires de l’employeur d’imposer la vaccination contre la COVID-19, d’exiger mon statut vaccinal et de me suspendre sans salaire indéfiniment alors que je travaillais à distance » [je mets en évidence]. La plainte faisait état du point de vue de la plaignante selon lequel l’AJJ soutenait [traduction] « aveuglément » l’adoption de la politique par l’employeur, un sentiment qu’elle a aussi exprimé clairement dans sa demande de réexamen présentée le 26 novembre 2021. Entre autres mesures de réparation, la plaignante demandait dans la plainte que la Commission ordonne à l’AJJ de déposer un grief contre l’employeur parce qu’il n’avait pas revu la politique sur la COVID-19 au cours de la période de six mois comme l’exigeait la politique.

[65] Dans sa demande de réexamen datée du 26 novembre 2021, la plaignante affirmait qu’elle considérait la décision de l’AJJ de ne pas la représenter comme étant arbitraire, discriminatoire et prise de mauvaise foi. Ce faisant, elle a renvoyé expressément à la Loi. Cela laisse clairement penser qu’à cette date, la plaignante savait que la défenderesse ne lui accorderait pas la représentation qu’elle sollicitait et qu’elle envisageait de contester cette décision en vertu de la Loi.

[66] Au vu des similitudes importantes entre les deux demandes de représentation et le libellé de la plainte, je ne crois pas qu’il était déraisonnable de la part de l’AJJ de faire valoir que la plainte était hors délai. Sa décision de ne pas représenter la plaignante a clairement été communiquée à celle‑ci le 15 novembre 2021, puis de nouveau le 16 décembre 2021. La plainte a été déposée nettement plus de 90 jours après l’une ou l’autre de ces dates.

[67] Cependant, certaines des communications de l’AJJ à la plaignante établissaient une distinction entre les deux demandes de représentation.

[68] Dans son courriel du 16 décembre 2021, Mme Terroux a écrit ce qui suit à la plaignante : [traduction] « Je suis navrée d’apprendre que vous avez été placée en congé sans solde, vous pouvez toujours présenter une demande de représentation, mais l’AJJ considère que le congé imposé en vertu de la politique de l’employeur est de nature administrative et non disciplinaire. » Cela renforce l’idée que l’AJJ établissait une distinction entre les deux demandes de représentation.

[69] Dans son courriel du 10 mars 2022, Mme Terroux ne décrit pas la décision de l’AJJ comme étant un réexamen; elle précise qu’il s’agissait d’une « deuxième demande de représentation ». Cela renforce également l’idée qu’il était possible d’établir une distinction entre les deux demandes.

[70] Il est également important de souligner qu’en vertu de la Loi, il faut distinguer nettement les griefs de principe (prévus aux art. 220 et 221) et les griefs individuels (prévus aux art. 208 à 214). Les premiers ne peuvent être présentés que par un agent négociateur (ou un employeur), et non par un employé à titre individuel. Mme Corneau n’aurait pas pu présenter un grief de principe à son employeur en vertu de l’article 220, ni renvoyer un tel grief à l’arbitrage en vertu de l’article 221. Elle pouvait déposer un grief individuel portant sur son placement en congé sans solde, ce qu’elle a fait le 20 décembre 2021. Elle a effectivement renvoyé ce grief à l’arbitrage en vertu des dispositions prévues à l’alinéa 209(1)b) de la Loi (dossier de la Commission 566-02-45389), et elle a pu le faire sans l’appui de son agent négociateur.

[71] La plaignante a affirmé qu’elle s’était fondée sur les communications de l’AJJ qui établissaient une distinction entre ses deux demandes de représentation. Elle a soutenu qu’elle n’a eu connaissance du fait que l’AJJ refusait de la représenter dans son grief portant sur le congé sans solde que le 10 mars 2022. La plainte a été déposée le 8 juin 2022, soit exactement 90 jours plus tard. Je conclus donc de ces faits que la plainte a été présentée en temps opportun, mais seulement en ce qui concerne la demande de représentation que la plaignante a présentée aux fins du grief relatif à son placement en congé sans solde.

VIII. La plaignante a‑t‑elle établi une cause défendable selon laquelle l’AJJ a enfreint l’article 187 de la Loi?

A. L’argumentation de la plaignante

[72] La plaignante a soutenu que la défenderesse n’avait pas envisagé sérieusement de la représenter dans le grief contestant son placement en congé sans solde, ou dans ce qu’elle a parfois appelé son [traduction] « grief de suspension ». Elle a affirmé que la défenderesse n’avait pas fait preuve d’une attitude bienveillante. La représentation par la défenderesse n’était qu’apparente et celle‑ci n’a pas vraiment envisagé la possibilité d’appuyer son grief. La défenderesse n’a pas enquêté sur sa situation personnelle, ni effectué une évaluation pertinente et posé un jugement éclairé quant à l’issue possible du grief. Elle n’a pas fourni de motifs valables pour justifier sa décision de ne pas la représenter. À partir de cela, la plaignante a déduit que la défenderesse n’avait pas justifié sa décision de façon raisonnable. Selon la plaignante, le fait que la défenderesse qualifie maintenant le courriel du 10 mars 2022 de [traduction] « lettre de courtoisie » prouve encore que l’AJJ ne s’est pas penchée sur le bien‑fondé de son grief de suspension, ou qu’un pareil examen a été purement superficiel.

[73] La plaignante a soutenu que le seul motif que la défenderesse a fourni pour ne pas avoir appuyé son grief a été son soutien de la vaccination la plus large possible des Canadiennes et des Canadiens. La défenderesse a seulement réitéré les motifs de l’employeur pour mettre en œuvre la politique sur la COVID-19. L’employeur a agi de manière arbitraire, déraisonnable et de mauvaise foi, et l’AJJ a seulement réitéré les positions de l’employeur, sans autre examen ou analyse.

[74] En guise de preuve des opinions personnelles de la défenderesse, la plaignante a cité l’extrait suivant d’une déclaration que le président de l’AJJ a adressée à ses membres dans le bulletin de l’automne 2021 :

[Traduction]

[…]

Comme vous le savez, l’AJJ soutient la vaccination la plus large possible des Canadiennes et des Canadiens, y compris les fonctionnaires, afin de s’attaquer à la pandémie de COVID-19 et de veiller à la santé et sécurité en milieu de travail. Personnellement, je pense que les Canadiennes et les Canadiens doivent se rallier à une mission d’envergure nationale qui vise à éradiquer la COVID‑19. Il s’agit d’une situation où nous, en tant que Canadiennes et Canadiens, devons réfléchir à notre devoir de citoyen et à ce que nous pouvons faire pour assurer le bien commun – à savoir la santé et la sécurité de notre pays, de nos collectivités, de nos milieux de travail, de nos écoles, de nos familles et de nos amis.

Dans ce bref message, il m’est impossible d’approfondir ou de conclure éventuellement le débat – juridique et autre – qui entoure les mesures de santé et sécurité telles que la vaccination. Cela dit, l’avantage sur le plan de la santé publique que présente la vaccination la plus large possible des Canadiennes et des Canadiens me semble énorme. Dans ma situation, je crois avoir entendu la plupart des arguments contre la vaccination, et plus particulièrement la vaccination obligatoire. Je suis conscient de tous les intérêts en jeu. Cependant, j’en reviens sans cesse au point suivant : même si elle n’est pas parfaitement efficace, la vaccination neutralisera éventuellement la capacité de la COVID‑19 à nous contaminer, à croître, à muter, à submerger notre système de santé, à restreindre nos modes de vie, à nuire à notre économie et à tuer des gens.

[…]

 

[75] La plaignante a soutenu qu’en réalité, les points de vue personnels de la défenderesse ont eu une incidence sur l’évaluation que cette dernière a faite de son grief. Elle a soutenu que malgré le fait que l’AJJ avait affirmé dans son document de foire aux questions qu’elle [traduction] « […] tiendrait compte des demandes de soutien des griefs individuels portant sur la mise en œuvre déraisonnable, inéquitable et de mauvaise foi de la politique […] », elle a refusé d’appuyer son grief.

[76] En outre, la plaignante a soutenu que lorsque l’AJJ a procédé à son évaluation, elle n’a pas tenu compte de la jurisprudence arbitrale pertinente. À titre d’exemple, dans Watson c. Syndicat canadien de la fonction publique, 2022 CCRI 1002, même si le CCRI a rejeté une plainte relative au devoir de représentation équitable qui contestait la mise en œuvre par Air Canada d’une politique de vaccination obligatoire, les circonstances concernaient la demande d’un grief de principe présentée par une employée dans un contexte où les employés ne pouvaient pas travailler à domicile. La plaignante a soutenu qu’étant donné que son grief portait sur sa situation personnelle et qu’elle pouvait continuer à travailler à domicile, l’AJJ ne devait pas invoquer Watson pour justifier sa décision de ne pas la représenter. De plus, la plaignante a soutenu que l’employeur dans Watson était visé par une ordonnance gouvernementale exigeant d’instaurer une politique de vaccination, alors que ce n’était pas le cas du sien.

[77] La plaignante a soutenu que l’AJJ aurait également dû tenir compte d’un cas traitant expressément d‘employés qui travaillaient à distance, dans lequel un arbitre de différends a conclu que la politique de vaccination obligatoire de l’employeur était déraisonnable; voir Electrical Safety Authority v. Power Workers’ Union, 2022 CanLII 343 (ON LA). Dans ce cas, qui a été tranché par décision arbitrale provisoire en novembre 2021, mais dont la décision a été rendue par écrit le 4 janvier 2022, l’arbitre de différends a conclu qu’il était déraisonnable de placer en congé sans solde des employés qui travaillaient à distance. Il était capricieux et arbitraire de la part de l’AJJ de ne pas expliquer pourquoi elle n’a pas tenu compte de ce cas.

[78] La plaignante a soutenu que les décisions rendues par la Commission dans Fortin et Musolino se distinguent de son cas. Dans ces affaires, les plaignants contestaient la décision de leur agent négociateur de ne pas contester la politique sur la COVID-19 elle‑même, et la Commission n’avait pas à se prononcer sur la décision d’un défendeur de ne pas appuyer un grief contestant l’application de la politique à un seul employé. Dans Musolino, l’agent négociateur avait dit qu’il envisagerait un grief individuel, mais le plaignant avait souhaité déposer un grief de principe. La plaignante a soutenu que dans Fortin, l’agent négociateur avait dit qu’il appuierait une demande de grief personnel, mais la plaignante n’avait pas sollicité cette forme de représentation.

[79] La plaignante a soutenu que la défenderesse avait agi de manière arbitraire et capricieuse en omettant de tenir compte de l’évolution de la pandémie. La plaignante a présenté ce qui suit comme étant un fait : [traduction] « […] les vaccins contre la COVID-19 n’ont pas permis de mettre fin à la transmission du virus et à l’infection virale […] », puis elle a fourni plusieurs références à cet effet. Il était affirmé dans ses demandes de représentation par l’AJJ que les vaccins contre la COVID-19 sont dangereux et expérimentaux. La plaignante a souligné que beaucoup de provinces avaient commencé à retirer les mandats de vaccination en février et mars 2022. Elle a aussi souligné qu’en mars 2022, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC), un autre agent négociateur du secteur public fédéral, avait déposé un grief de principe contestant la politique sur la COVID-19 en vertu de laquelle des membres avaient été mis en congé sans solde par leur employeur. La plaignante a soutenu que contrairement à l’AFPC, qui avait jeté un regard critique sur la politique, l’AJJ avait décidé de ne rien faire.

[80] Enfin, la plaignante a soutenu que la défenderesse avait manqué à son devoir de représentation équitable en faisant renvoi à son document de foire aux questions concernant la politique sur la COVID-19 dans ses réponses à ses demandes de représentation. Dans ce document, la défenderesse affirmait qu’elle appuyait la vaccination la plus large possible des Canadiennes et des Canadiens. La plaignante a soutenu qu’il ne s’agissait pas d’un facteur pertinent à examiner pour décider de ne pas la représenter. Elle a ajouté que ce n’était ni le rôle de l’employeur ni celui de la défenderesse d’améliorer les taux de vaccination dans l’ensemble du Canada, ou de la protéger contre une maladie grave dans des situations sans lien avec son emploi. Elle a soutenu que lorsqu’un agent négociateur est influencé par des opinions ou des sentiments personnels, ou qu’il prend des décisions fondées sur des considérations qui ne sont pas pertinentes à la représentation de ses membres, il manque à son devoir de représentation équitable.

[81] La plaignante a soutenu que pour tous ces motifs, elle avait établi une cause défendable selon laquelle la défenderesse avait agi de manière arbitraire, discriminatoire, ou de mauvaise foi. La plaignante a affirmé qu’elle avait été injustement suspendue sans salaire pendant plus de sept mois, et que la défenderesse n’avait fourni ni le soutien ni la défense auxquels on serait en droit de s’attendre lorsqu’on fait face à une mesure disciplinaire aussi grave.

B. L’argumentation de la défenderesse

[82] La défenderesse a nié que la plaignante ait établi une cause défendable selon laquelle la représentation qu’elle avait offerte avait été arbitraire, de mauvaise foi, ou discriminatoire. Elle a répliqué à chacune de ces allégations.

[83] La défenderesse a fait renvoi à la définition du « comportement arbitraire » que la Cour suprême du Canada a énoncée dans Noël (au par. 50), précité. Le comportement arbitraire est celui qui est superficiel, inattentif ou adopté sans examiner les faits pertinents.

[84] La plaignante a allégué que l’AJJ n’avait ni examiné ni compris sa situation personnelle, mais dans son courriel du 10 mars 2022, l’AJJ a fait expressément renvoi au fait que la plaignante travaillait à domicile et qu’on ne lui avait pas demandé de revenir au travail en personne. L’AJJ a soutenu que cela démontrait qu’elle avait examiné et compris la situation personnelle de la plaignante.

[85] Par ailleurs, la plaignante a affirmé que l’AJJ n’avait pas tenu compte de la jurisprudence pertinente, et elle a fait expressément renvoi à Electrical Safety Authority. La défenderesse a soutenu que dans ce cas, la décision n’avait été rendue qu’en janvier 2022, longtemps après que l’AJJ eut dit pour la première fois à la plaignante qu’elle ne la représenterait pas dans des griefs contestant la politique sur la COVID-19. Même si ce cas unique peut s’avérer utile à la plaignante, il se distingue puisque l’arbitre de différends a exclu seulement les employés qui travaillaient exclusivement à domicile. Dans le cas de la plaignante, l’employeur avait soutenu que les avocats seraient tenus périodiquement de revenir au bureau pour de brèves périodes.

[86] La défenderesse a souligné que la grande majorité des décisions arbitrales ont maintenu le droit des employeurs de mettre en œuvre des politiques de vaccination obligatoire contre la COVID-19, surtout lorsque la conséquence de la non‑vaccination était un congé sans solde plutôt qu’un licenciement (voir, par exemple, Toronto District School Board v. CUPE, Local 4400, 2022 CanLII 22110 (ON LA); Elementary Teachers’ Federation of Ontario v. Ottawa-Carleton District School Board, 2022 CanLII 53799 (ON LA); Toronto Professional Fire Fighters’ Association, I.A.A.F. Local 3888 v. Toronto (City), 2022 CanLII 78809 (ON LA); et Coast Mountain Bus Company v. Unifor, Local 111, 2022 CanLII 94447 (BC LA)). L’AJJ a souligné que cette jurisprudence n’était pas à sa disposition à l’époque où elle a décidé de ne pas contester la politique sur la COVID‑19 (en novembre 2021).

[87] La défenderesse a soutenu que quoi qu’il en soit, dans le présent cas, la Commission ne siège pas en appel de la décision de l’AJJ. Celle‑ci n’est pas tenue de renvoyer à divers cas ni de débattre la légalité d’un grief particulier avec un membre. Dans ses communications avec la plaignante, l’AJJ a dit à celle‑ci qu’elle continuait à évaluer la situation, mais qu’elle était convaincue que l’employeur avait de solides arguments pour maintenir la politique sur la COVID-19. Les communications citées par la plaignante indiquent que l’AJJ a examiné les questions juridiques soulevées dans le présent cas, et que la plaignante n’a rien produit pour corroborer une allégation contraire.

[88] L’AJJ a soutenu que dans son argumentation présentée à la Commission, la plaignante a passé beaucoup de temps à faire valoir que l’employeur avait agi de manière arbitraire, déraisonnable et de mauvaise foi. Le caractère raisonnable des actes de l’employeur n’est pas en cause en l’espèce; voir Musolino, au paragraphe 35, et Bloomfield v. Service Employee International Union, 2022 CanLII 2453 (CRTO), aux paragraphes 18 et 19. Au mieux, la plaignante a soutenu qu’étant donné que l’AJJ est d’accord avec l’employeur, elle doit aussi agir de manière arbitraire. La défenderesse a soutenu que le devoir de représentation équitable n’exige pas d’un agent négociateur qu’il soit en désaccord avec tout ce que fait un employeur. La défenderesse a ajouté que le fait qu’ils aient été en partie d’accord sur cette question ne prouve pas qu’elle ait agi de manière arbitraire.

[89] En ce qui concerne l’allégation de discrimination, la plaignante n’a allégué aucun fait pour étayer une allégation selon laquelle elle aurait été traitée différemment des autres employés représentés par l’AJJ dans des circonstances analogues. À ce titre, la défenderesse a soutenu qu’aucune cause de discrimination défendable n’a été établie.

[90] Quant à l’allégation de mauvaise foi, il incomberait à la plaignante de présenter des faits suffisants pour révéler une certaine forme d’hostilité personnelle envers elle ou « […] un comportement vexatoire, malhonnête, malicieux ou malveillant de la part de la défenderesse » (voir Sganos, au par. 97). La défenderesse a soutenu que la plaignante n’avait allégué aucun fait permettant de conclure que l’AJJ avait agi de mauvaise foi.

[91] Enfin, la défenderesse a souligné que le formulaire de plainte comprenait une allégation selon laquelle l’AJJ avait manqué à son devoir de représentation équitable en omettant de communiquer à ses membres, en avril 2022, que l’employeur n’avait pas revu la politique sur la COVID-19 dans un délai de six mois. Cela ne démontre pas, a soutenu la défenderesse, que l’AJJ ait agi de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi. Quoi qu’il en soit, comme l’a confirmé la plaignante, l’AJJ a abordé cette question dans son communiqué aux membres du 10 juin 2022, ce qui constitue à une mise à jour en temps utile.

[92] En résumé, la défenderesse a soutenu que la plaignante n’avait pas établi une cause défendable selon laquelle la décision de l’AJJ de ne pas la représenter était arbitraire, discriminatoire ou prise de mauvaise foi, et que la Commission devrait rejeter la plainte.

C. Analyse et motifs

[93] Tel que cela a été indiqué, la Commission ne doit rejeter une plainte relative au devoir de représentation équitable au motif que la plaignante n’a pas établi une cause défendable que si elle conclut que la plainte n’a aucune chance raisonnable de succès.

[94] Tel que cela a aussi été indiqué, l’évaluation que fait la Commission du succès possible d’une plainte doit tenir compte des principes sous‑jacents au devoir de représentation équitable d’un syndicat, qui sont définis dans la jurisprudence. Il est conclu dans la jurisprudence citée (Guilde de la marine marchande du Canada, McRaeJackson, Noël et Sganos) qu’un syndicat doit jouir d’un pouvoir discrétionnaire considérable lorsqu’il s’agit de décider s’il doit représenter un membre dans un grief particulier. Une plainte relative au devoir de représentation équitable ne constitue pas un appel d’une décision prise par un syndicat en matière de représentation. La Commission n’a pas pour rôle de décider si la décision du syndicat était la bonne, la meilleure ou la plus équitable. Le rôle de la Commission consiste à déterminer si la prise de décision du syndicat a atteint le niveau de l’arbitraire, de la discrimination ou de la mauvaise foi.

[95] Une plainte relative au devoir de représentation équitable ne doit pas non plus servir de point de référence pour contester une décision ou une politique de l’employeur; voir McRaeJackson, au paragraphe 47, ou Burns, au paragraphe 164. Par conséquent, il ne s’agit pas ici de déterminer si la vaccination contre la COVID-19 est sécuritaire, efficace ou raisonnable, ou si la politique sur la COVID-19 de l’employeur était raisonnable, arbitraire, discriminatoire ou instaurée de mauvaise foi. Par conséquent, je ne me suis pas référé aux diverses sources externes, sans lien avec la jurisprudence, que la plaignante a citées au sujet de la sûreté ou de l’efficacité des vaccins, parce que ces sources ne sont tout simplement pas pertinentes à la question dont je suis saisi. Par ailleurs, il ne s’avère pas non plus nécessaire ou approprié que j’évalue la question de savoir si le grief de la plaignante contre l’employeur a une chance raisonnable de succès. Pour ce motif, j’accorde peu de poids aux nombreux cas cités par la défenderesse dans lesquels les arbitres de grief ou les arbitres de différends ont conclu que les politiques de vaccination obligatoire des employeurs étaient raisonnables. Ces cas ne sont pertinents que dans la mesure où ils permettent de démontrer que la défenderesse, dans le présent cas, s’est penchée sur la demande de représentation de la plaignante.

[96] Je souligne tout cela dès le début de mon analyse, puisqu’il ressort clairement de l’argumentation de la plaignante que celle‑ci était fortement en désaccord avec la politique sur la COVID-19 et qu’elle souhaitait que son agent négociateur la conteste. En outre, la plaignante était fortement en désaccord avec la décision de l’agent négociateur de ne pas contester la politique, et plus particulièrement de ne pas appuyer son grief contestant son placement en congé sans solde par suite de cette politique.

[97] La question est celle de savoir si la décision de la défenderesse a une chance raisonnable d’être jugée arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi.

[98] Pour répondre à cette question, je crois qu’il convient d’examiner l’ensemble des communications de la défenderesse avec la plaignante, depuis le moment où celle‑ci s’est adressée à la défenderesse pour discuter de la possibilité de déposer des griefs contestant la politique sur la COVID-19, en novembre 2021, jusqu’au contenu du courriel du 10 mars 2022, qui a été envoyé en réponse à la deuxième demande de représentation.

[99] Comme je l’ai déjà conclu, le lien entre le désir de la plaignante de contester la politique sur la COVID-19 et son désir d’être représentée par l’AJJ dans son grief portant sur le congé sans solde n’est guère évident. Sa plainte, ses demandes de représentation et les arguments qu’elle a présentés à la Commission indiquent que les formes de représentation demandées étaient très étroitement liées. L’essentiel de l’opposition de la plaignante à la politique indique que celle‑ci s’opposait à la fois à l’exigence de présenter une attestation de vaccination et aux conséquences du refus de présenter une telle attestation (être placée en congé sans solde). Cela est évident dans les deux demandes de représentation présentées à l’AJJ, notamment celle que la plaignante a présentée le 26 novembre 2021, ainsi que dans l’ensemble de sa plainte et de ses arguments.

[100] Pour que je puisse conclure que les décisions prises par la défenderesse à l’égard de la représentation étaient arbitraires, il faudrait que la plaignante démontre que l’AJJ a essentiellement fait preuve de négligence; voir Noël, au paragraphe 50. Comme la Cour suprême du Canada l’a statué dans ce cas, « […] le syndicat ne saurait traiter la plainte d’un salarié de façon superficielle ou inattentive ».

[101] Les faits présentés par la plaignante me démontrent que la défenderesse n’a pas agi de manière arbitraire. Ses réponses aux demandes de représentation de la plaignante ont été complètes et cohérentes, et elles ont démontré que la défenderesse avait tenu compte de la situation personnelle de la plaignante au moment de rendre sa décision. La défenderesse n’a pas ignoré les questions soulevées par la plaignante dans ses courriels. Mme Terroux a pris le temps d’expliquer, dans son courriel du 16 décembre 2021, que même si l’AJJ envisagerait de représenter la plaignante dans un grief portant sur un congé sans solde, elle considérait la décision de l’employeur comme étant de nature administrative, et non disciplinaire. Dans le courriel qu’elle a envoyé le 10 mars 2022, Mme Terroux mentionnait expressément le fait que la plaignante travaillait à domicile et qu’on ne lui avait pas encore demandé de se rendre au lieu de travail, mais elle expliquait qu’elle comprenait que l’employeur puisse demander aux avocats de se présenter au bureau.

[102] La défenderesse n’a pas non plus fermé la porte à la plaignante, en lui offrant d’autres voies de recours. Dans les courriels du 16 décembre 2021 et du 10 mars 2022, elle a mentionné que la plaignante pouvait déposer une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne, et elle a offert de lui fournir une lettre adressée à la Commission afin de prouver qu’elle refusait d’appuyer son grief, en expliquant ce qui suit : [traduction] « […] il s’agit souvent d’une condition préalable au dépôt d’une plainte à la CCDP ». À plusieurs reprises, l’AJJ a aussi expliqué à la plaignante qu’elle soutiendrait les membres qui demanderaient des mesures d’adaptation pour des motifs d’ordre médical ou religieux. Cependant, la plaignante n’a fourni aucun renseignement indiquant qu’elle avait présenté une telle demande.

[103] Je ne vois rien d’arbitraire dans l’orientation indiquée par la défenderesse, dans ses communications avec la plaignante, dans la position générale et l’approche de l’AJJ à l’égard de la politique sur la COVID-19, de la pandémie dans son ensemble et des préoccupations relatives à la santé et la sécurité associées au milieu de travail et à l’ensemble de la société. Sur le fondement des propres arguments de la plaignante, l’AJJ a clairement communiqué à ses membres sa position sur ces questions, par le truchement de deux bulletins et d’un document de foire aux questions traitant de la politique. Le contenu de ces communications démontre que la défenderesse a examiné la politique, qu’elle a étudié ses options, qu’elle a évalué les répercussions pour ses membres, et qu’elle a pris une décision qu’elle estimait éclairée quant au moment et à la façon de fournir une représentation dans le cadre des plaintes des membres contestant la politique. Je ne vois rien d’arbitraire dans le fait que le syndicat ait utilisé diverses formes de communication de masse pour informer ses membres, y compris la plaignante, de sa position sur la politique; voir Fortin, au paragraphe 47, et Tohidy, au paragraphe 54.

[104] La plaignante était manifestement en désaccord avec les décisions de l’AJJ, mais elle ne m’a pas démontré qu’elle a une cause défendable selon laquelle la position de l’AJJ était arbitraire, négligente, superficielle ou inattentive. Il n’est ni irresponsable ni arbitraire de la part d’un syndicat de prendre, en matière de représentation, des décisions qui préservent un équilibre entre les désirs d’un membre à titre individuel et les questions générales touchant le milieu de travail, d’un côté, et la santé et la sécurité sociales, de l’autre.

[105] Je tiens à souligner que dans le contexte de l’analyse de la cause défendable et de son application dans le présent cas, je n’ai pas admis en tant que faits les allégations de la plaignante selon lesquelles les vaccins contre la COVID-19 sont inefficaces, dangereux et expérimentaux, parce que ces allégations ne sont pas pertinentes à la question dont je suis saisi. La question dont la Commission est saisie est celle de savoir si la décision de la défenderesse de ne pas représenter la plaignante était arbitraire. Ce point a été clairement confirmé par le CCRI dans Watson, au paragraphe 73 (qui, comme je l’ai déjà mentionné, a été citée par la plaignante à l’appui de sa cause) :

[73] Le Conseil reconnaît que la responsabilité ultime de décider de l’interprétation à donner à la convention collective revient au syndicat […] Celui-ci conserve donc, en l’espèce, le pouvoir discrétionnaire de déterminer s’il doit contester ou non le fait que la direction a dûment exercé ses droits en adoptant la politique de vaccination. Le désaccord de la plaignante avec la manière dont le syndicat a interprété la convention collective ne permet pas à lui seul de conclure que le syndicat a manqué au devoir auquel il est tenu.

 

[106] Même l’arbitre de différends dans Electrical Safety Authority, que la plaignante a citée pour démontrer que la politique de vaccination d’un employeur pouvait être jugée déraisonnable, a pris soin de souligner que sa décision ne devait pas être considérée comme une [traduction] « victoire » pour les opposants aux mandats de vaccination. L’arbitre de différends dans ce cas a déclaré ce qui suit, au paragraphe 102 :

[Traduction]

[102] Comme je l’ai indiqué au début, la présente décision ne doit pas être tenue pour une consécration aux yeux de ceux qui choisissent, sans exemption légale, de ne pas se faire vacciner. À mon avis, ces personnes sont malavisées et elles agissent à l’encontre de leurs propres intérêts et de ceux de la société. Ces personnes risquent également de compromettre leur capacité d’assurer leur subsistance. Ces personnes ne doivent pas voir une victoire dans la présente décision.

 

[107] La plaignante a aussi soutenu que la défenderesse aurait dû prendre la même décision qu’un autre agent négociateur du secteur public fédéral (l’AFPC, en mars 2022), soit de déposer un grief de principe pour les employés placés en congé sans solde en vertu de la politique sur la COVID-19. Je ne trouve pas arbitraire le fait que l’AJJ n’ait pas pris la même décision que l’AFPC. Globalement, ses communications avec ses membres ont démontré qu’elle surveillait la pandémie et qu’elle leur communiquait sa position. Les arguments qu’elle a présentés à l’égard de la présente plainte démontrent qu’elle a surveillé étroitement la jurisprudence traitant des politiques de vaccination obligatoire.

[108] En résumé, pour les motifs que j’ai déjà évoqués, je conclus que la plaignante n’a pas établi une cause défendable selon laquelle l’AJJ avait agi de manière arbitraire lorsqu’elle avait pris la décision de ne pas la représenter dans son grief portant sur le congé sans solde.

[109] En ce qui concerne l’allégation selon laquelle la représentation offerte par la défenderesse a été discriminatoire, la plaignante n’a présenté aucun fait indiquant qu’elle avait été traitée différemment des autres membres de l’AJJ. Elle n’a pas non plus prétendu que la décision prise par la défenderesse à l’égard de son grief était entachée par la discrimination fondée sur un motif interdit. À ce titre, je conclus que la plaignante n’a pas établi une cause défendable selon laquelle l’AJJ aurait agi de manière discriminatoire lorsqu’elle a pris la décision de ne pas la représenter dans son grief portant sur le congé sans solde.

[110] Quant à l’allégation selon laquelle les décisions de la défenderesse en matière de représentation ont été prises de mauvaise foi, je conviens avec cette dernière que la plaignante aurait dû être en mesure de démontrer que la défenderesse avait agi par hostilité personnelle envers elle, ou qu’il y avait eu « […] un comportement vexatoire, malhonnête, malicieux ou malveillant de la part de la défenderesse » (voir Sganos, au par, 97). La plaignante n’a rien fait de tel. Toutes les communications échangées par voie électronique entre la défenderesse et la plaignante ont été, à première vue, polies et franches, sans aucune malice. Comme je l’ai déjà mentionné, la défenderesse a proposé des stratégies de rechange en matière de recours et elle a offert d’y apporter son aide dans la mesure du possible. Comme je l’ai aussi déjà mentionné, la plaignante a décidé de déposer par elle‑même auprès de son employeur un grief contestant la décision de celui‑ci de la placer en congé sans solde, ce qui l’a privée de voies de recours dans sa démarche visant à contester la politique sur la COVID-19 de l’employeur et a eu pour effet son placement de facto en congé sans solde.

[111] Comme je conclus que la plaignante n’a pas établi une cause défendable selon laquelle la décision de l’AJJ de ne pas la représenter dans ses griefs était arbitraire, discriminatoire ou prise de mauvaise foi, j’ai décidé de rejeter la présente plainte.

[112] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


IX. Ordonnance

[113] La plainte est rejetée.

Le 15 février 2023.

Traduction de la CRTESPF

 

David Orfald,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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