Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a déposé une plainte soutenant que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans l’évaluation de sa candidature – à l’étape de l’entrevue, elle n’a pas obtenu la note de passage pour le critère « création d’une vision et d’une stratégie » – selon la plaignante, sa présentation écrite aurait dû être prise en considération lors de l’entrevue puisque le comité de sélection y avait accès pendant l’entrevue et que les éléments nécessaires se trouvaient dans sa présentation écrite – la Commission a noté que la capacité de créer une vision et une stratégie était évaluée dans le cadre de l’entrevue, tel qu’il est établi dans le Guide de notation et le plan d’évaluation – tous les candidats ont été évalués pour ce critère lors de l’entrevue – le comité de sélection n’avait aucune obligation de tenir compte de la présentation écrite dans le cadre de l’entrevue, puisqu’elle avait déjà été évaluée – la Commission a déterminé que l’intimé n’avait pas abusé de son pouvoir en ne tenant pas compte de la présentation écrite de la plaignante durant l’entrevue.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date: 20230303

Dossier: 771-02-41707

 

Référence: 2023 CRTESPF 24

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur l’emploi dans la

fonction publique

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Sophie Langlois

plaignante

 

et

 

Administrateur général

(ministère de l’emploi et du développement social)

 

intimé

et

AUTRES PARTIES

Répertorié

Langlois c. Administrateur général (ministère de l’Emploi et du Développement social)

Affaire concernant une plainte d’abus de pouvoir aux termes de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Devant : Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante : Francis Chaput, Syndicat de l’emploi et de l’immigration du Canada

Pour l’intimé : Patrick Turcot, avocat

Pour la Commission de la fonction publique : Louise Bard, analyste

Affaire entendue par vidéoconférence,

le 23 janvier 2023.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Plainte devant la Commission

[1] Sophie Langlois (la « plaignante ») a déposé une plainte auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») contre l’administrateur général du ministère de l’Emploi et du Développement social (l’« intimé »). La plaignante soutient qu’il y a eu abus de pouvoir dans le traitement de sa candidature au poste de gestionnaire (PM-06) dans le cadre du processus de nomination annoncé 2018-CSD-IA-NHQ-19329.

[2] Pour les motifs qui suivent, la plainte est rejetée. La plaignante n’a pas établi qu’il y avait eu abus de pouvoir dans le traitement de sa candidature.

II. Résumé de la preuve

[3] La plaignante était candidate dans un processus de nomination pour le poste de gestionnaire. Elle a passé l’étape de la présélection. Elle devait ensuite passer un examen écrit à distance (examen à domicile) qui consistait à préparer un projet rédigé sur PowerPoint et une note de breffage au sujet du projet. Elle a réussi cette étape et elle a été invitée à une entrevue.

[4] La plaignante a témoigné que lorsqu’elle s’est présentée à l’entrevue, on l’a placée dans une pièce et on lui a remis un document dont elle devait prendre connaissance. Elle avait 45 minutes pour lire le document et préparer des notes pour l’entrevue.

[5] Le document précisait les critères de mérite qui seraient évalués au cours de l’entrevue, soit les suivants :

· Créer une vision et une stratégie

· Mobiliser les personnes

· Obtenir des résultats

· Collaborer avec les partenaires et les intervenants

· Capacité de communiquer efficacement de vive voix

 

[6] Le document donnait également des précisions sur le déroulement de l’entrevue, et indiquait qu’elle était divisée en deux parties distinctes : un exercice de présentation, au cours duquel le candidat devait présenter le projet déjà préparé. Le candidat avait une copie du projet, les membres du jury en auraient également une copie. Il était permis de s’y reporter pour la présentation.

[7] Les modalités de la présentation orale étaient présentées comme suit :

[…]

Dans le cadre de l’exercice à faire à la maison, vous avez élaboré une présentation PowerPoint qui vous permet de faire part de votre vision et votre stratégie visant l’élaboration et la mise en œuvre d’une initiative novatrice liée au travail lors du Forum sur l’innovation en milieu de travail de 2019.

À ce stade, on vous demande de présenter votre exposé aux membres du Comité de sélection. Pour les besoins de la présentation, considérez que vous avez maintenant été invité(e) à faire une présentation au comité de sélection, qui est chargé de déterminer qui sera invité à faire une présentation à l’atelier intitulé « Présentation par les pairs : Initiatives en milieu de travail pour un avenir meilleur ». À ce titre :

Veuillez noter qu’un document de votre présentation a été préparé pour vous et pour chacun des membres du comité de sélection afin que vous puissiez vous y reporter, et que votre présentation ne sera pas projetée sur un écran.

Vous aurez quinze (15) minutes pour faire votre présentation PowerPoint. Il vous incombe de gérer votre temps tout au long de cette période. À ce titre, votre présentation devrait viser à définir l’avenir et à tracer les grandes lignes d’un plan, si votre initiative est retenue en vue d’être mise en œuvre. Assurez-vous de communiquer le contexte en tenant compte de diverses considérations d’ordre économique, social et politique. Saisissez l’occasion d’élaborer à partir de vos idées et de vos perspectives proposées, afin de créer une vision convaincante et d’obtenir l’appui des membres.

[…]

[Mise en évidence dans l’original]

 

[8] Après la présentation orale, les membres du comité d’entrevue poseraient deux questions de suivi, puis une autre question distincte non liée à l’exercice de présentation.

[9] Enfin, le document précisait que le critère « Créer une vision et une stratégie » serait uniquement évalué sur la base de la présentation orale, et non à partir des questions subséquentes.

[10] La plaignante a témoigné qu’elle s’était surtout concentrée sur les critères « Obtenir des résultats » et « Mobiliser les gens » dans sa préparation.

[11] La plaignante a échoué à l’entrevue, plus précisément pour le critère « Créer une vision et une stratégie ». La note de passage pour la présentation orale était de 3 (sur 5), et la plaignante a obtenu 2.

[12] L’entrevue s’est déroulée devant un comité composé de trois évaluatrices, dont Anne-Marie Valin, qui a témoigné à l’audience.

[13] Selon la plaignante, le comité n’a pas tenu compte du contenu de sa présentation écrite. En effet, elle a échoué parce qu’elle n’avait pas mentionné certains éléments de son projet à l’entrevue. Or, plusieurs de ces éléments se trouvaient dans sa présentation écrite.

[14] Lorsqu’elle a appris qu’elle avait échoué à l’entrevue, elle a demandé une discussion informelle. Elle a rencontré Mme Valin, qui lui a expliqué qu’il y avait des lacunes dans sa présentation orale, par exemple, elle avait omis de prévoir un projet pilote. La plaignante était sidérée – elle avait inclus un projet pilote dans son projet écrit, dont le comité avait copie. Elle ne comprenait pas pourquoi le comité n’en tenait pas compte.

[15] Mme Valin lui a expliqué que l’évaluation portait uniquement sur la présentation orale, et que, par conséquent, on ne tenait pas compte de l’écrit. Mme Valin a par la suite confirmé cette compréhension auprès de la coordonnatrice du processus de nomination, et elle a fait part de cet échange à la plaignante.

[16] À l’audience, Mme Valin était prête à reconnaître que les éléments recherchés se trouvaient dans la présentation écrite. En fait, dans ses notes d’entrevue, elle indique que la plaignante échoue à la première question parce qu’elle a omis trop d’éléments, et ajoute que bon nombre de détails inclus dans la présentation écrite auraient pu renforcer la présentation orale.

[17] Mme Valin a expliqué que l’évaluation était la même pour tous les candidats – on voulait que les candidats communiquent oralement leur projet, de façon à « créer une vision ». Elle a fait le commentaire que l’entrevue était probablement un outil imparfait, puisqu’un candidat par ailleurs compétent pouvait échouer, faute d’être en forme ce jour-là ou faute de donner assez de détails. Ce qu’il fallait retenir, selon elle, c’est que tous les candidats avaient été évalués pour cette question uniquement sur la base de leur présentation orale. Il aurait été injuste d’inclure la présentation écrite de la plaignante dans l’évaluation, puisque cela n’avait pas été fait pour les autres candidats.

III. Question en litige

[18] Le fait pour le comité de sélection de ne pas tenir compte de la présentation écrite de la plaignante constitue-t-il un abus de pouvoir?

IV. Résumé de l’argumentation

A. Pour la plaignante

[19] L’abus de pouvoir, comme le précise la décision Tibbs c. sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8, est une question de degré. Dans cette décision, le Tribunal de la dotation de la fonction publique (TDFP), prédécesseur de la Commission, reprend cinq catégories d’abus de pouvoir. Dans le présent cas, la plaignante estime qu’il y a deux types d’abus de pouvoir : le refus d’exercer son pouvoir discrétionnaire en gardant l’esprit ouvert, et la prise de décision sur la base d’éléments insuffisants.

[20] Le comité de sélection a simplement refusé de considérer le point de vue de la plaignante, qui pensait que sa présentation écrite sur PowerPoint serait prise en considération, puisqu’elle et le comité d’entrevue y avaient accès pendant la présentation orale.

[21] De plus, en décidant qu’elle n’avait pas la note de passage alors que les éléments nécessaires se trouvaient dans sa présentation écrite, le comité d’entrevue prenait une décision en l’absence de faits importants.

[22] Selon la plaignante, l’expression « votre présentation PowerPoint » est ambiguë. La plaignante était en droit de s’attendre que sa présentation PowerPoint à l’entrevue était à la fois sa communication orale et le document PowerPoint lui-même.

[23] Dans la décision Bazinet c. Sous-ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 CRTESPF 82, la Commission a conclu qu’il y avait eu abus de pouvoir parce que le comité de sélection n’avait pas tenu compte des contradictions soulevées par Mme Bazinet dans le cadre de la discussion informelle. Il s’était fondé sur des références défectueuses, et donc des renseignements insuffisants, pour prendre sa décision, et avait refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour refaire l’évaluation.

[24] Dans l’affaire Brookfield c. le sous-ministre des Affaires étrangères et du Commerce international, 2011 TDFP 25, le TDFP a jugé qu’il y avait eu abus de pouvoir dans l’évaluation du dossier du plaignant, puisqu’on avait omis d’évaluer son expérience à la lumière du contenu intégral de son dossier.

[25] Dans la décision Agnew c. Sous-ministre des Pêches et Océans, 2018 CRTESPF 2, la Commission a jugé que le manque de clarté des instructions était tel qu’il constituait un abus de pouvoir, puisque cela dépassait la seule erreur administrative. De plus, l’intimé dans cette affaire avait refusé de revoir l’évaluation de la candidature de Mme Agnew, malgré des lacunes graves dans cette évaluation.

[26] Dans la décision Hammond c. Canada (Procureur général), 2009 CF 570, la Cour fédérale du Canada a jugé que l’insuffisance des renseignements relatifs aux références et l’absence d’un examen de la situation par le TDFP rendait déraisonnable sa décision de conclure à l’absence d’abus de pouvoir

B. Pour l’intimé

[27] Selon l’intimé, les instructions étaient claires : les candidats seraient évalués à l’entrevue sur la base de leur présentation orale. La présentation écrite avait déjà été évaluée (et réussie).

[28] L’abus de pouvoir est un acte grave et répréhensible. Dans la décision Portree c. l’administrateur général de Service Canada, 2006 TDFP 14, le TDFP a déclaré que le désaccord d’un candidat avec la note qu’on lui avait attribuée ne pouvait constituer le fondement d’un abus de pouvoir.

[29] Dans la décision Visca c. le sous-ministre de la Justice, 2007 TDFP 24, le TDFP a souligné l’importante discrétion accordée aux gestionnaires dans l’évaluation des critères de mérite à l’art. 36 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; la « LEFP »), pourvu que l’évaluation se fasse de la même façon pour tous les candidats. Le TDFP l’exprime ainsi au par. 53 de la décision : « […] le comité de sélection peut choisir à partir d’un large éventail d’outils et de méthodes d’évaluation ».

V. Analyse

[30] La plaignante allègue que le fait pour le comité de sélection de ne pas tenir compte de sa présentation écrite dans son évaluation constitue un abus de pouvoir.

[31] L’intimé répond qu’il était clair que le critère que la plaignante a échoué devait être évalué dans le cadre d’une présentation orale. Selon l’intimé, la plaignante n’a pas suffisamment élaboré certains points, et donc n’a pas démontré la compétence recherchée.

[32] L’abus de pouvoir n’est pas défini dans la LEFP sauf pour préciser ce que cela inclut : la mauvaise foi et le favoritisme personnel (par. 2(4) de la LEFP). Le TDFP et la Commission en ont déduit que l’abus de pouvoir doit nécessairement, par parallélisme, être un acte grave et répréhensible; une simple erreur ou omission ne constitue pas un abus de pouvoir.

[33] Dans le présent cas, la plaignante allègue que la décision du comité de sélection de ne pas tenir compte des éléments de réponse contenus dans sa présentation écrite est un abus de pouvoir parce que le comité de sélection prend une décision sur la base de renseignements insuffisants, et refuse d’exercer son pouvoir discrétionnaire de tenir compte de tous les renseignements pertinents.

[34] Les décisions citées par la plaignante à l’appui de ses arguments ne trouvent pas application ici. L’évaluation du critère « Créer une vision et une stratégie » se faisait au moyen d’une présentation orale. Il ne s’agissait pas, comme dans Brookfield, de l’étape de présélection où l’ensemble du dossier pouvait servir à mesurer l’expérience, ni de résoudre des contradictions comme pour les références dans Bazinet. Contrairement à Agnew, il n’y avait pas d’ambiguïté ni manque de clarté dans les instructions données aux candidats : on leur demandait de présenter oralement leur projet déjà rédigé sur Powerpoint. Il n’y a pas ici, comme dans Hammond ou Agnew, d’insuffisance de renseignements : il s’agissait plutôt pour le comité de sélection de retenir un outil d’évaluation, l’entrevue orale, pour évaluer un critère, la création d’une vision et d’une stratégie.

[35] Les modalités raisonnables d’une évaluation, appliquées à tous les candidats, ne peuvent constituer un abus de pouvoir.

[36] Il n’était pas abusif de vouloir évaluer la capacité des candidats de communiquer oralement leur projet de façon convaincante. Il n’était donc pas abusif de ne tenir compte à l’entrevue que de la présentation orale; la présentation écrite avait déjà été évaluée.

[37] L’administrateur général (ou son délégué) détermine les modes d’évaluation (art. 36 de la LEFP). Dans ce cas-ci, la capacité de créer une vision était évaluée à l’oral, dans le cadre de l’entrevue, tel qu’établi au Guide de notation et plan d’évaluation. L’affirmation de Mme Valin que tous les candidats avaient été évalués pour ce critère sur la base de leur présentation orale n’a pas été contredite.

[38] Il n’y a pas d’ambiguïté dans le message donné aux candidats : dans les directives données avant l’entrevue, on leur demande de présenter une vision claire et convaincante de leur projet. On précise même que leur capacité de créer une vision ne sera évaluée que par la présentation, et non par des questions de suivi.

[39] La plaignante n’a pas réussi à présenter une vision et stratégie à la satisfaction du comité d’entrevue. Elle ne nie pas que certains éléments pouvaient être manquants. Elle affirme plutôt que le comité de sélection aurait dû tenir compte de sa présentation écrite.

[40] À mon sens, compte tenu des directives données et des conditions appliquées à tous les candidats, le comité de sélection n’avait aucune obligation de tenir compte de l’écrit dans le cadre de l’entrevue, puisqu’il avait déjà été évalué. L’objectif d’une entrevue est d’évaluer la communication orale. Je ne vois rien d’abusif dans le fait de s’en tenir à la communication orale pour évaluer les réponses données à l’entrevue.

[41] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[42] La plainte est rejetée.

Le 3 mars 2023.

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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