Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a présenté une plainte portant sur le fait que son agent négociateur avait manqué à son devoir de représentation équitable – l’agent négociateur a allégué que la plainte était hors délai – la Commission a conclu que le plaignant était au courant des évènements à l’origine de sa plainte en ce qui a trait à son premier grief neuf mois avant l’expiration du délai prévu par la loi pour présenter une plainte – cette partie de la plainte était hors délai – la Commission a conclu que la partie de la plainte relative au traitement de son deuxième grief avait été présentée dans les délais, étant donné que son allégation formulée dans cette partie de la plainte au sujet d’une entente de suspension au deuxième palier et du traitement de ses griefs d’une manière opportune avait été soulevée dans les 90 jours précédant la présentation de la plainte – le plaignant a allégué que l’agent négociateur avait agi d’une manière arbitraire et avait fait preuve de mauvaise foi, ce que l’agent négociateur a nié – l’agent négociateur et l’employeur avaient une entente voulant que tous les griefs soient suspendus au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs jusqu’à ce qu’une date d’audience soit fixée – selon le plaignant, cela lui a causé un déni de justice – la Commission a conclu qu’il n’y avait rien d’arbitraire dans la façon dont le deuxième grief avait été traité – l’agent négociateur n’a pas omis de se pencher sur la question et n’a pas agi de manière superficielle – il n’y avait aucune preuve de mauvaise foi, d’hostilité ou d’animosité envers le plaignant, ou de collusion entre l’agent négociateur et l’employeur – la Commission a conclu qu’il n’y avait rien de répréhensible dans le défaut de fournir au fonctionnaire s’estiment lésé une copie de l’entente de suspension au deuxième palier – le plaignant a aussi allégué qu’il s’était senti contraint d’entamer une médiation avec l’employeur – aucun élément de preuve n’a été produit à l’appui de cette allégation – la Commission a émis un avertissement au sujet des ententes de suspension au deuxième palier, puisqu’il peut y avoir un risque réel et sérieux que certains griefs soit indûment retardés.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date : 20230222

Dossier : 561-02-890

 

Référence : 2023 CRTESPF 21

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

enTRE

 

Matt Daigneault

plaignant

 

et

 

Union of canadian correctional officers – syndicat des agents correctionnels du canada – csn (UCCO-SACC-CSN)

 

défendeur

Répertorié

Daigneault c. Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (UCCO-SACC-CSN)

Affaire concernant une plainte présentée en vertu de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Caroline Engmann, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Lui‑même

Pour le défendeur : Franco Fiori, avocat

Affaire entendue par vidéoconférence

du 21 au 23 mars 2022.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Plainte devant la Commission

[1] Le 21 décembre 2017, Matt Daigneault (le « plaignant ») a présenté une plainte contre son agent négociateur, soit l’Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (l’« agent négociateur » ou le « syndicat »), dans laquelle il affirmait que le syndicat avait manqué à son devoir de représentation équitable, contrevenant à l’article 187 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »).

[2] Le plaignant a formulé deux allégations selon lesquelles l’agent négociateur avait agi de manière arbitraire à l’égard de chacun des deux griefs qu’il avait déposés, l’un le 19 septembre 2016 (« grief 58019 »), et l’autre le 25 septembre 2017 (« grief 61347 »). L’agent négociateur a nié avoir agi de manière arbitraire lorsqu’il a traité les griefs présentés par le plaignant. Il a aussi affirmé que la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») n’a pas compétence sur la plainte parce qu’elle est hors délai.

[3] Pendant toute la période pertinente, le plaignant travaillait comme agent correctionnel à l’Établissement de Warkworth (EW ou l’« Établissement ») en Ontario. Il a entamé sa déclaration préliminaire en citant l’adage bien connu selon lequel [traduction] « justice différée est justice refusée ». Selon le plaignant, c’est ce qui constitue l’objet de sa plainte. Il était préoccupé par les retards dans le traitement des griefs dans le cadre de la procédure interne de règlement des griefs. L’agent négociateur et le Service correctionnel du Canada (l’« employeur ») avaient conclu une entente à l’Établissement selon laquelle tous les griefs au deuxième palier de la procédure interne de règlement des griefs étaient mis en suspens jusqu’à ce que les audiences soient mises au rôle (l’« entente de suspension des griefs au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs »). Selon le plaignant, cette entente a entraîné l’expiration du délai de présentation de certains griefs ou des délais indus dans leur renvoi à l’arbitrage et, par conséquent, un déni de justice envers lui et d’autres fonctionnaires s’estimant lésés.

[4] Aussi vrai que puisse être l’adage, malheureusement, j’estime qu’il ne s’applique pas au présent cas. La preuve a clairement démontré la frustration du plaignant face à l’agent négociateur et à l’employeur à l’Établissement. Le plaignant estimait que l’exécutif régional de l’agent négociateur était de mèche avec la direction locale, ce qui a mené à certaines décisions de gestion qui étaient préjudiciables à la santé et la sécurité des agents correctionnels. L’entente de suspension des griefs au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs le préoccupait plus particulièrement. Selon le plaignant, de telles ententes entraînent l’expiration des délais de présentation des griefs et le rejet des griefs pour cause d’abandon.

[5] Compte tenu des éléments de preuve présentés, je conclus que la plainte relative au grief 58019 est hors délai, tandis que celle qui concerne le grief 61347 a été présentée en temps opportun. La preuve a aussi démontré que l’agent négociateur avait traité et fait progresser les deux griefs adéquatement, et que ses échanges avec le plaignant au sujet du traitement des deux griefs n’étaient ni arbitraires ni de mauvaise foi. Par conséquent, je rejette la plainte.

[6] Les griefs qui sont à l’origine de la présente plainte portent sur le harcèlement, et normalement, ils ne pourraient pas être renvoyés à l’arbitrage. Cependant, cela ne veut pas dire qu’ils ne devraient pas être traités en temps opportun.

[7] Je comprends les préoccupations du plaignant au sujet des délais dans le traitement des griefs à l’interne, surtout ceux qui ne sont pas susceptibles d’être renvoyés à l’arbitrage. Pour les fonctionnaires s’estimant lésés qui se trouvent dans la même situation que le plaignant, la seule façon qu’il soit mis fin au harcèlement allégué serait le traitement rapide de leurs griefs, ce qui donnerait éventuellement lieu à une demande de contrôle judiciaire dans le cas des griefs rejetés en vertu de la politique de l’employeur sur le harcèlement. La suspension de tels griefs au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs sans faire d’enquête risquerait d’engendrer la dégradation d’une situation insoutenable et d’entraîner des graves conséquences pour les fonctionnaires s’estimant lésés.

[8] J’ai été avisée à l’audience que les interactions actuelles entre l’agent négociateur et le plaignant sont cordiales. Cela me rassure et j’encourage les parties à maintenir ce nouvel esprit de collaboration.

II. Résumé de la preuve

A. Pour le plaignant

[9] Le plaignant a témoigné pour son propre compte et il a cité Robert Essex et Tyler McMurray à témoigner.

[10] Pendant toute la période pertinente, M. Essex était le président de la section locale du syndicat à l’Établissement et il occupait ce poste depuis environ huit ans et demi. Au niveau de la section locale, certains avaient le sentiment que l’exécutif régional du syndicat ne défendait pas toujours les intérêts de la section locale, et cela à un point tel que les membres étaient généralement d’avis que l’exécutif régional minait les efforts de la section locale du syndicat. En raison du manque de soutien de la part de l’exécutif régional, plusieurs agents correctionnels ont pris congé pour cause de trouble de stress post-traumatique (TSPT). Le nombre élevé d’agents en congé pour TSPT était la conséquence directe des mauvaises décisions de la direction en matière de santé et sécurité des agents et d’activités des détenus. Les décisions de la direction étaient enclines à rendre le travail des agents plus dangereux qu’il n’aurait dû l’être, et le manque de soutien ou les mesures insuffisantes de la part de l’exécutif régional et national de l’agent négociateur contribuaient à exacerber la situation à l’Établissement.

[11] Les préoccupations du plaignant ont été portées à l’attention de l’employeur, à la suite de quoi une évaluation du milieu de travail a été menée à l’Établissement. Dans son rôle de président de la section locale du syndicat, M. Essex a appuyé le plaignant, et il a tout fait pour faire valoir ses préoccupations.

[12] En raison des problèmes de harcèlement qu’il a soulevés, le plaignant est devenu une cible et il a eu des relations tendues avec certains gestionnaires de l’Établissement.

[13] M. Essex a témoigné qu’on lui avait demandé de convaincre le plaignant de retirer ses griefs. Il a confirmé en contre‑interrogatoire que les représentants de la direction régionale du syndicat le lui avaient demandé.

[14] M. Essex estimait que la coordonnatrice des griefs au syndicat, soit Karrie Ann Lake (aussi connue sous le nom de Karrie Ruttan), avait fait tout ce qu’il fallait lorsqu’elle s’était occupée des griefs du plaignant. M. Essex a nié que l’entente de suspension des griefs au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs ait été un complot de la direction visant à laisser expirer les délais de présentation des griefs, et il ne voyait rien de répréhensible dans la façon dont Mme Lake s’était occupée des griefs.

[15] En sa qualité de président de la section locale, M. Essex a aussi fait tout ce qu’il pouvait pour le compte du plaignant. Ce dernier avait été dirigeant syndical et coordonnateur des griefs à l’ancien Pénitencier de Kingston, en Ontario. À son arrivée à l’EW, il s’est présenté à trois reprises contre Mme Lake pour le poste de coordonnateur des griefs, sans succès.

[16] M. McMurray a fait ses débuts comme délégué syndical, est devenu vice‑président de la section locale, puis a agi à titre de président de la section locale du syndicat. Actuellement, il ne fait pas partie de l’agent négociateur puisqu’il occupe un poste de gestionnaire par intérim à l’Établissement. Il a témoigné qu’il n’avait aucunement participé au traitement des griefs du plaignant.

[17] En contre-interrogatoire, il a été demandé à M. McMurray d’évaluer le rendement de Mme Lake en qualité de coordonnatrice des griefs de la section locale et sa gestion des griefs du plaignant. M. McMurray a déclaré que même s’il ne pouvait pas formuler des observations précises au sujet des griefs du plaignant, d’après sa connaissance du travail de Mme Lake, il était certain que celle‑ci s’était acquittée de ses fonctions avec professionnalisme et compétence. Il la connaissait comme une professionnelle très sérieuse dont le rendement était [traduction] « de premier ordre ».

[18] Le plaignant a témoigné qu’il avait été coordonnateur des griefs au Pénitencier de Kingston et qu’il avait une connaissance et une expérience de première main du fait que la direction suspendait souvent les griefs. Dans le passé, il avait déjà conclu avec l’employeur des ententes de suspension des griefs au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs, mais sur la base de griefs individuels, et non de façon générale pour l’ensemble des griefs. L’employeur souhaitait toujours suspendre des griefs et, selon l’expérience de coordonnateur des griefs du plaignant, son insistance à faire avancer les griefs dans la procédure de règlement des griefs soulevait une certaine colère auprès de la direction. Il ne connaissait pas bien l’entente de suspension générale au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs qui s’appliquait à l’ensemble des griefs. Le plaignant comprenait grosso modo que la suspension d’un grief avait pour but d’offrir aux parties la possibilité de mener des enquêtes et le temps nécessaire pour ce faire, et en principe, cette approche ne lui posait pas de problème. Sa principale préoccupation concernait la suspension automatique et généralisée des griefs sans égard à leur objet.

[19] À son arrivée à l’EW en 2011, le plaignant n’était plus coordonnateur des griefs et il n’était pas un membre de l’exécutif de la section locale du syndicat. Il a témoigné que l’EW est coupé de la région de Kingston. La période sur laquelle s’échelonnent ses demandes remonte à 10 ans. Il ne se souvient pas d’avoir reçu des invitations à une audience de grief. Il a témoigné que Robert Finucan, président régional pour l’agent négociateur, lui avait demandé une fois de dresser la liste de toutes ses questions aux fins d’une rencontre, ce qu’il a fait. Il n’a pas eu de nouvelles après cela.

[20] La plupart des griefs du plaignant portent sur le harcèlement. Le plaignant dépose un grief chaque fois que la direction le harcèle. Il a déposé en preuve une liste de tous ses griefs. Deux d’entre eux sont au cœur de sa plainte : le grief 58019 (déposé en septembre 2016), et le grief 61347 (déposé en septembre 2017). Sa représentante syndicale l’a encouragé à soumettre ces griefs à la médiation avec l’employeur, mais il n’était pas intéressé à le faire.

[21] En contre-interrogatoire, il a été demandé au plaignant d’expliquer pourquoi il lui avait fallu huit mois, soit du 24 mars, date à laquelle il avait menacé de déposer une plainte au Conseil canadien des relations industrielles (CCRI), à décembre 2017 pour présenter cette plainte. Le plaignant n’a pas été en mesure d’éclaircir la question du délai.

[22] La preuve a démontré qu’en mars 2018, l’agent négociateur avait renvoyé deux griefs de harcèlement à l’arbitrage, y compris le grief 61347.

B. Pour l’agent négociateur

[23] L’agent négociateur a cité Mme Lake et M. Finucan à témoigner. Un résumé du témoignage de Sheryl Ferguson a aussi été présenté; à l’époque pertinente, Mme Ferguson était conseillère syndicale pour la région de l’Ontario.

[24] Mme Lake a témoigné qu’elle est agente correctionnelle à temps plein à l’EW. Elle est devenue coordonnatrice des griefs de la section locale en décembre 2009. Le plaignant avait décidé de ne pas communiquer oralement avec elle, il se contentait plutôt de glisser des documents à son intention dans une boîte aux lettres. Ils se sont affrontés aux élections de la section locale du syndicat, en 2015 et 2018, pour le poste de coordonnateur des griefs, et Mme Lake l’a emporté les deux fois. Celle‑ci a confirmé que le plaignant a une liste de griefs qui ont été traités à l’interne. Certains de ses griefs ont été accueillis, tandis que l’employeur en a rejeté d’autres. Mme Lake n’a jamais refusé de déposer un grief pour le compte du plaignant.

[25] Mme Lake s’est heurtée à des difficultés lorsqu’elle a reçu des mandats du plaignant pour traiter ses griefs. Il ne fournissait pas toujours les renseignements nécessaires à cette fin. Mme Lake a expliqué qu’au niveau de la section locale, elle ne pouvait pas retirer un grief; toute décision de cet ordre devait être traitée aux niveaux régional et national de l’agent négociateur. Mme Lake n’a jamais retiré un grief personnellement.

[26] Une entente de suspension des griefs au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs, signée le 19 septembre 2016, a été déposée en preuve. Elle s’appliquait à tous les griefs déposés le 19 septembre 2016 ou après cette date. Essentiellement, les parties avaient convenu que tous les griefs existants et éventuellement présentés au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs seraient suspendus jusqu’à ce qu’ils puissent être entendus à la prochaine réunion régulière du comité des griefs. En vertu de cette entente, l’une ou l’autre partie pouvait présenter un préavis écrit demandant de réactiver un grief. Enfin, l’une ou l’autre partie pouvait résilier l’entente sur présentation d’un préavis écrit.

[27] Mme Lake a expliqué que l’entente de suspension générale au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs revêtait de l’importance dans le contexte de leur milieu de travail, parce que les agents correctionnels travaillent par quarts, et que dans ce contexte, une entente selon laquelle un grief au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs sera mis en suspens permet de s’assurer que les délais n’expireront pas et que l’employeur ne considérera pas les griefs comme ayant été abandonnés. Selon Mme Lake, de telles ententes existent au niveau de la section locale dans la plupart des établissements de l’employeur.

[28] Les griefs de harcèlement du plaignant ont été mis en suspens au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs jusqu’à ce qu’une décision ait été rendue au sujet des plaintes de harcèlement correspondantes. Quant aux griefs qui font l’objet de la présente plainte, dès que le plaignant eut retiré les plaintes de harcèlement correspondantes, les griefs ont été réactivés et traités. L’agent négociateur ne l’a jamais laissé tomber, il a plutôt continué à le représenter.

[29] Mme Lake s’est sentie humiliée par le plaignant lorsqu’il a envoyé un courriel l’accusant de [traduction] « collaborer avec la direction en vue d’ignorer les griefs ».

[30] En ce qui concerne le grief 58019, Mme Lake a expliqué au plaignant en mars 2017 que le délai n’avait pas expiré et que le grief avait été mis en suspens en attendant l’issue de l’enquête sur le harcèlement. Mme Lake lui a aussi mentionné que l’employeur attendait qu’il présente de plus amples renseignements. Mme Lake a ensuite indiqué que si le dossier de harcèlement était fermé, elle pourrait réactiver le grief et l’acheminer au palier suivant de la procédure de règlement des griefs. Le plaignant a apparemment été insatisfait de l’explication de Mme Lake, et il a avisé celle‑ci qu’il déposerait une plainte contre l’agent négociateur auprès du CCRI.

[31] En contre‑interrogatoire, Mme Lake a confirmé qu’elle n’avait jamais retiré un grief au nom du plaignant. Elle avait été déçue lorsque l’employeur avait rejeté le grief qu’il avait présenté. Elle a confirmé qu’un nombre assez important d’agents correctionnels étaient en congé pour TSPT.

[32] M. Finucan est le président régional de l’agent négociateur en Ontario. Il est agent correctionnel depuis 35 ans et président régional depuis les neuf dernières années. Il a toujours été actif au sein de l’agent négociateur en qualité de membre fondateur. Il n’a jamais tenté de devenir gestionnaire correctionnel. En qualité de président de la région de l’Ontario, il rencontre régulièrement le sous‑commissaire régional. Il siège aussi à plusieurs comités nationaux. Dans la région de l’Ontario, il y a 10 pénitenciers où travaillent environ 1 200 membres de l’agent négociateur.

[33] M. Finucan a expliqué qu’un grief ne peut pas être retiré au niveau de la section locale sans l’autorisation des bureaux régional et national. Au cours des neuf années qu’il a passées en qualité de président régional, cela ne s’est produit que trois ou quatre fois. L’agent négociateur n’a retiré aucun des griefs du plaignant de façon unilatérale.

[34] M. Finucan a eu beaucoup d’échanges avec le plaignant, et il savait que celui‑ci n’entretenait pas de bonnes relations avec certains membres de l’équipe de direction de l’Établissement. Le plaignant a l’impression que la direction cherche à le piéger. Selon M. Finucan, en comparaison des autres membres, le plaignant a déposé plus de griefs que la moyenne.

[35] M. Finucan a reconnu que beaucoup d’agents correctionnels étaient en congé pour TSPT, mais que contrairement à l’avis du plaignant, cela n’était pas lié à l’existence d’ententes de suspension des griefs au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs ou à leur application.

[36] Mme Ferguson a présenté un résumé de son témoignage. Dans son rôle de conseillère syndicale, elle menait ses activités à titre de partie neutre. S’il y avait eu des raisons de croire que Mme Lake laissait intentionnellement expirer les délais de présentation des griefs, la conseillère syndicale aurait immédiatement été appelée à remédier à la situation, mais cela n’est jamais arrivé pendant le mandat de Mme Ferguson en Ontario.

[37] Mme Ferguson connaissait le plaignant et avait collaboré avec lui sur divers dossiers dans le passé. Elle était d’avis que le syndicat avait toujours soutenu le plaignant dans le traitement de ses griefs. Elle savait aussi qu’il éprouvait de plus en plus de frustration à l’égard du processus, qu’il avait déjà qualifié de [traduction] « tribunal bidon », et qu’il s’était plaint de faire l’objet d’un traitement inéquitable.

[38] Selon Mme Ferguson, Mme Lake travaillait d’arrache-pied et s’efforçait de défendre les intérêts des membres dans leurs griefs et leurs plaintes. Souvent, il était également difficile d’obtenir les documents du plaignant ou même sa signature sur des formulaires de transmission. Il déposait les éléments nécessaires à la toute dernière minute.

III. Résumé de l’argumentation

[39] Le plaignant a invoqué les décisions suivantes : Edmunds c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2015 CRTEFP 28; Lemoire c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 45; St-Laurent c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 4; et Weinstein c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2021 CRTESPF 100.

[40] Le plaignant croit que Mme Lake était de connivence avec la direction afin de laisser expirer les délais de présentation de ses griefs. Il s’est senti contraint d’entamer une médiation avec l’employeur. L’agent négociateur a agi de manière arbitraire afin de retarder le traitement de ses griefs. Selon son expérience de coordonnateur des griefs, il était au courant des délais et de la façon de présenter des documents. Par conséquent, il n’y avait pour lui aucune raison de ne pas fournir les documents dans les délais prévus. Il s’enquérait continuellement de ses griefs.

[41] Le plaignant a renvoyé à Edmunds, au paragraphe 20, et il a soutenu qu’il était évident que la représentante syndicale avait commis une erreur dans ce cas (la représentante était Mme Ferguson). Le plaignant a aussi renvoyé à St-Laurent pour faire valoir que les erreurs du syndicat pouvaient mener au rejet des griefs.

[42] Le plaignant n’a pas fait renvoi aux deux autres décisions qu’il a présentées.

[43] J’ai demandé au plaignant de préciser le fondement de son allégation, à savoir s’il s’appuyait sur le caractère arbitraire, la mauvaise foi, ou les deux, et d’aborder le critère juridique applicable.

[44] Le plaignant a soutenu que selon les éléments de preuve, il croyait avoir satisfait au critère sur les deux fondements. Il s’est dit surpris d’avoir finalement pu se faire entendre par le tribunal au sujet de la plainte contre le syndicat. Il s’était enquis du statut de ses griefs à de nombreuses reprises et il n’avait reçu aucune mise à jour. Par conséquent, il avait dû prendre des mesures extrêmes, notamment en présentant une demande d’accès à l’information auprès de l’employeur, pour recevoir des renseignements. L’employeur a refusé de traiter directement avec lui parce qu’il avait une représentante syndicale, quoiqu’il n’ait reçu aucune mise à jour de la part de cette personne. Larry Ringler, directeur de l’établissement, ne lui a jamais fourni de copie de l’entente de suspension des griefs au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs. Le plaignant a toujours posé uniquement les deux questions suivantes : 1) celle de savoir s’il pouvait recevoir une copie de l’entente, et 2) celle de savoir si les délais de présentation ses griefs avaient expiré. Il n’a pas pu obtenir de réponses claires à ces questions de la part de sa représentante syndicale.

[45] L’agent négociateur a invoqué les décisions suivantes : Abeysuriya c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2015 CRTEFP 26; Bergeron c. Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN, 2021 CRTESPF 71; Leach c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2020 CRTESPF 101; Martel c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2008 CRTFP 19; Cuming c. Butcher, 2008 CRTFP 76; Shutiak c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 29; Psyllias c. Meunier-McKay et Syndicat de l’emploi et de l’immigration du Canada, 2009 CRTFP 67; Myles c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2017 CRTESPF 30; Noël c. Société d’énergie de la Baie James, 2001 CSC 39; Presseault, 2001 CCRI 138 (CanLII); McRaeJackson, 2004 CCRI 290 (CanLII); Renaud c. Association canadienne des employés professionnels, 2010 CRTFP 118; Jean-Pierre c. Arcand, 2012 CRTFP 23; Burchill c. Le procureur général du Canada, [1981] 1 CF 109 (C.A.); Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon et autre, [1984] 1 RCS 509; Chen c. Ouellet, 2014 CRTFP 56; Daigneault c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTEFP 38; Lafrance c. Conseil du Trésor (Statistique Canada), 2006 CRTFP 56; Lemoire; McWilliams c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 58; Negi c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2021 CRTESPF 98; Pannu c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2020 CRTESPF 4; et Sidhu c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 76.

[46] En ce qui concerne le respect des délais, l’application du paragraphe 190(2) de la Loi est obligatoire : la Commission n’a pas compétence si le délai de 90 jours n’est pas respecté. Dans le présent cas, la plainte est hors délai et doit être rejetée sur ce fondement. Pour ce qui est de la partie de la plainte qui porte sur le grief 58019, le plaignant a pris connaissance du fondement de la plainte en mars 2017, et il est vrai qu’il a indiqué à ce moment‑là qu’il déposerait une plainte auprès du CCRI. Même si l’on devait accepter la réponse du plaignant à la question 5 du Formulaire 16, à savoir qu’il a eu connaissance des faits ayant donné lieu à la plainte le 4 septembre 2017, sa plainte demeure hors délai, puisqu’il l’a déposée le 21 décembre 2017.

[47] La deuxième partie de la plainte, qui porte sur le grief 61347, est aussi hors délai. Essentiellement, la plainte repose sur le fait que le plaignant croyait que ses griefs étaient suspendus et que l’agent négociateur avait laissé expirer les délais de présentation. Le plaignant a eu cette conviction en mars 2017; par conséquent, rien n’a changé entre cette date et le 21 décembre 2017, lorsqu’il a finalement déposé la plainte auprès de la Commission. Quoi qu’il en soit, la preuve démontre que ce grief a été renvoyé à l’arbitrage. Par conséquent, cette partie de la plainte est théorique.

[48] L’agent négociateur a soutenu à titre subsidiaire que le plaignant ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait, soit d’établir que l’agent négociateur avait agi de manière arbitraire ou de mauvaise foi envers lui lorsqu’il avait traité ses griefs.

[49] L’agent négociateur a soutenu que la version des faits du plaignant n’était tout simplement pas crédible et que celui‑ci avait régulièrement omis de collaborer avec son délégué syndical pendant le traitement de ses griefs. Il n’a pas fourni le moindre élément de preuve à l’appui de l’allégation très grave de collusion avec l’employeur. En citant la décision que la Commission a rendue dans Negi, le défendeur a soutenu que le plaignant pourrait avoir « une conviction très fortement ancrée » selon laquelle les dirigeants du syndicat étaient de connivence avec l’employeur; cependant, cette allégation et cette conviction « manque[nt] de réalisme » (voir Negi, par. 25 et 26).

[50] Le plaignant ne s’est pas acquitté de son fardeau de la preuve. Par conséquent, la plainte doit être rejetée.

IV. Questions à trancher

[51] Je dois trancher les deux questions suivantes : 1) celle de savoir si la plainte a été présentée en temps opportun et 2) celle de savoir si l’agent négociateur a agi de mauvaise foi ou de manière arbitraire lorsqu’il a traité les griefs du plaignant.

V. Motifs

A. L’esprit de la Loi

[52] Les dispositions législatives pertinentes se trouvent aux articles 185 et 187, à l’alinéa 190(1)g) et au paragraphe 190(2) de la Loi, qui sont rédigés en ces termes :

185 Dans la présente section, pratiques déloyales s’entend de tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) et (2), les articles 187 et 188 et le paragraphe 189(1).

185 In this Division, unfair labour practice means anything that is prohibited by subsection 186(1) or (2), section 187 or 188 or subsection 189(1).

[…]

187 Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

187 No employee organization that is certified as the bargaining agent for a bargaining unit, and none of its officers and representatives, shall act in a manner that is arbitrary or discriminatory or that is in bad faith in the representation of any employee in the bargaining unit.

[…]

190 (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

190 (1) The Board must examine and inquire into any complaint made to it that

[…]

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

(g) the employer, an employee organization or any person has committed an unfair labour practice within the meaning of section 185.

(2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

(2) Subject to subsections (3) and (4), a complaint under subsection (1) must be made to the Board not later than 90 days after the date on which the complainant knew, or in the Board’s opinion ought to have known, of the action or circumstances giving rise to the complaint.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[53] L’article 187 englobe ce que l’on appelle généralement le devoir de représentation équitable de l’agent négociateur. C’est l’un des principes fondamentaux qui figurent dans la plupart des lois sur les relations de travail partout au Canada, et c’est le corollaire du droit exclusif accordé à un agent négociateur de représenter tous les employés d’une unité de négociation donnée ou de remplir les fonctions d’agent à leur intention dans les échanges avec l’employeur. Dans Bernard c. Canada (Procureur général), 2014 CSC 13, la Cour suprême du Canada a décrit en ces termes le paysage juridique qui entoure les obligations d’un syndicat en matière de représentation :

[…]

[21] Il est important de bien comprendre le contexte des relations du travail dans lequel s’inscrivent les plaintes en matière de vie privée déposées par Mme Bernard. Le principe du monopole syndical conféré par un vote majoritaire — une assise fondamentale de notre droit du travail — constitue un élément clé de ce contexte.  Le syndicat a le droit exclusif de négocier au nom de tous les employés d’une unité de négociation donnée, y compris ceux assujettis à la formule Rand. Le syndicat est l’agent exclusif de ces employés en ce qui concerne les droits que leur confère la convention collective. Un employé est certes libre de ne pas adhérer au syndicat et de devenir ainsi un employé assujetti à la formule Rand; il ne dispose toutefois d’aucun droit de retrait en ce qui concerne la relation de négociation exclusive ainsi que les obligations de représentation du syndicat.

[22] La nature des obligations de représentation du syndicat constitue un élément important du contexte dans lequel la Commission a rendu sa décision. Le syndicat doit représenter tous les employés de l’unité de négociation avec équité et bonne foi […]

[Je mets en évidence]

 

[54] Dans Gagnon, la Cour suprême du Canada a énoncé les cinq principes suivants, qui sont associés au devoir de représentation équitable d’un syndicat :

1) Le pouvoir exclusif reconnu à un syndicat d’agir à titre de porte-parole des employés faisant partie d’une unité de négociation comporte en contrepartie l’obligation de la part du syndicat d’une juste représentation de tous les salariés compris dans l’unité.

2) Lorsque, comme c’est généralement le cas, le droit de porter un grief à l’arbitrage est réservé au syndicat, le salarié n’a pas un droit absolu à l’arbitrage et le syndicat jouit d’une discrétion appréciable.

3) Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief, tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part.

4) La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.

5) La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et compétente, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.

 

B. Caractère arbitraire

[55] Dans Noël, où elle a défini le concept d’arbitraire dans le contexte du devoir de représentation équitable d’un syndicat, la Cour suprême du Canada a indiqué ce qui suit :

[50] Se reliant étroitement, les concepts d’arbitraire et de négligence grave définissent la qualité de la représentation syndicale. L’élément de l’arbitraire signifie que, même sans intention de nuire, le syndicat ne saurait traiter la plainte d’un salarié de façon superficielle ou inattentive. Il doit faire enquête au sujet de celle-ci, examiner les faits pertinents ou obtenir les consultations indispensables, le cas échéant, mais le salarié n’a cependant pas droit à l’enquête la plus poussée possible. On devrait aussi tenir compte des ressources de l’association, ainsi que des intérêts de l’ensemble de l’unité de négociation. L’association jouit donc d’une discrétion importante quant à la forme et à l’intensité des démarches qu’elle entreprendra dans un cas particulier […]

 

[56] Lors de l’examen de la qualité de la représentation fournie par l’agent négociateur, entre autres facteurs il faut tenir compte des intérêts de l’unité de négociation dans son ensemble et des ressources de l’agent négociateur. Dans Rayonier Canada (B.C.) Ltd. v. International Woodworkers Of America, Local 1-217, [1975] 2 Can. L.R.B.R. 196, la British Columbia Labour Relations Board (BCLRB) a expliqué le concept d’arbitraire dans les cas où le syndicat agit [traduction] « de manière superficielle ». Le syndicat doit envisager le problème de façon raisonnable et parvenir à une décision ou une conclusion réfléchie. Le concept d’arbitraire a été plus amplement commenté dans Judd v. Communications, Energy and Paperworkers’ Union of Canada, Local 2000 (2003), 91 C.L.R.B.R. (2e) 33, où la BCLRB a identifié les trois éléments qui permettent de reconnaître le comportement arbitraire au paragraphe 61, comme suit :

[Traduction]

1) le syndicat doit avoir connaissance des renseignements pertinents;

2) il doit prendre une décision éclairée;

3) il ne doit pas démontrer un « mépris flagrant ou insouciant ».

 

[57] Dans Jakutavicius c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2005 CRTFP 70, un prédécesseur de la Commission a indiqué ce qui suit :

[…]

[133] Le concept d’« arbitraire » est l’un des plus difficiles à définir et semble souvent chevaucher celui de « négligence ». Dans la décision Re City of Winnipeg and Canadian Union of Public Employees, Local 500, 4 L.A.C. (4 e) 102, l’arbitre a résumé d’autres définitions de l’« arbitraire » se trouvant à la fois dans la doctrine et dans la jurisprudence :

[Traduction]

[…]

[] « […] arbitraire »; « […] sans motif »; « […] à sa guise »; « […] pour la forme »; « […] affiche un défaut de se pencher sur la question et de prendre part à un mécanisme décisionnel rationnel » […] ou un défaut « […] d’adopter un point de vue raisonnable face au problème et d’en arriver à un jugement raisonné sur ce qu’il convient de faire après avoir pris en compte les divers éléments conflictuels pertinents ». […]

[…]

 

[58] Dans Presseault, le CCRI a expliqué en ces termes le concept d’arbitraire : « On dit d’un syndicat qu’il a agi de manière arbitraire quand il a pris des décisions qui ne sont ni objectives ni raisonnables, a fait siens d’emblée les arguments de l’employeur ou a omis de déterminer si les questions soulevées par le syndiqué sont fondées en droit ou s’appuient sur des faits […] »

[59] Dans Jean-Pierre c. Arcand, 2012 CRTFP 23, un prédécesseur de la Commission a expliqué que « la barre pour faire la preuve d’une conduite arbitraire […] est placée très haut à dessein », et qu’un plaignant doit présenter une « preuve indépendante » à l’appui de sa plainte. En me fondant sur la jurisprudence, je crois comprendre que pour évaluer l’arbitraire aux fins de l’application de l’article 187 de la Loi, la Commission doit se pencher sur chacune des circonstances particulières, dans le contexte qui lui est propre et pertinent selon les éléments de preuve produits. Voici une liste de questions qui peuvent aider à faire cet exercice :

1) Le traitement que le syndicat a fait du grief ou de la plainte de l’employé était‑il sommaire ou superficiel?

2) Le syndicat a‑t‑il été négligent lors de son examen du grief ou de la plainte?

3) Le syndicat a‑t‑il mené une enquête indépendante sur le grief ou la plainte?

4) Le syndicat a‑t‑il vérifié, examiné et évalué les faits pertinents?

5) Le syndicat a‑t‑il demandé des directives et/ou des conseils pertinents?

6) Les mesures prises par le syndicat ont‑elles été raisonnables dans les circonstances?

 

[60] Lorsqu’il s’agit d’évaluer la nature des allégations, la Commission n’a pas pour rôle de porter un jugement ou de trancher l’appel d’une décision rendue par l’agent négociateur et de déterminer si celui‑ci a pris une bonne ou une mauvaise décision dans les circonstances. La Commission doit plutôt évaluer cette décision en fonction des caractéristiques de l’objectivité, de l’honnêteté, de l’authenticité, de l’intégrité, de la compétence et de l’absence de discrimination ou d’hostilité. La Commission a bien exprimé la nature de cet exercice dans Fortin c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2022 CRTESPF 67, où elle a indiqué ce qui suit :

[…]

[32] L’examen à être effectué par la Commission n’a pas pour objectif de savoir si la défenderesse avait raison ou tort lorsqu’elle a décidé de ne pas contester la Politique. L’examen doit porter sur la question à savoir si la défenderesse a pris cette décision sans discrimination et de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du dossier, des enjeux et de ses intérêts ainsi que ceux de ses membres. La Commission doit également examiner la représentation offerte à la plaignante, c’est-à-dire est-ce que la représentation était réelle, faite avec intégrité et compétence et sans hostilité (voir Guilde de la marine marchande du Canada).

[…]

 

C. Mauvaise foi

[61] Dans ce contexte, la mauvaise foi suppose un comportement délibéré et vexatoire de la part de l’agent négociateur, tel qu’une collusion démontrée entre l’employeur et l’agent négociateur. Comme la Cour suprême du Canada l’a souligné dans Noël, au paragraphe 48, une conduite empreinte de mauvaise foi « […] suppose une intention de nuire, un comportement malicieux, frauduleux, malveillant ou hostile […] ».

[62] Dans Princesdomu v. Canadian Union of Public Employees, Local 1000, [1975] O.L.R.B. Rep. 444, la Commission des relations de travail de l’Ontario a expliqué en ces termes les concepts de mauvaise foi et de discrimination :

[Traduction]

[…]

[24] La mauvaise foi et la discrimination ne sont pas alléguées dans les faits de l’espèce, mais leur sens vaut bien un bref examen […] L’interdiction qui vise la mauvaise foi et la discrimination définit ce comportement de manière subjective — à savoir qu’un employé ne devrait pas être victime de la mauvaise volonté ou de l’hostilité des représentants du syndicat […] La mauvaise foi et la discrimination constituent les balises extérieures du principe de la majorité et des mesures officielles, qui empêchent un syndicat de traiter différemment certaines personnes, c’est‑à‑dire, de façon inéquitable. Cet aspect du devoir est particulièrement important lorsqu’il s’agit de décourager la discrimination fondée sur la race, les croyances, la couleur, le sexe, etc., de prévenir que les politiques internes du syndicat ne donnent lieu à diverses formes de comportement odieux, et d’empêcher les formes extrêmes de crises interpersonnelles au sein d’un syndicat. Cela est essentiel dans un système qui repose sur un agent négociateur exclusif. […]

[…]

 

[63] Pour que la Commission puisse conclure à la mauvaise foi, il faut lui présenter une preuve logique et fiable afin de la convaincre que l’agent négociateur a fait preuve d’hostilité personnelle, de malhonnêteté ou de mauvaise volonté envers le plaignant. En l’absence d’éléments de preuve directs, le plaignant doit produire des éléments de preuve suffisants pour permettre au décideur de déduire les éléments de la mauvaise foi (voir Negi, au par. 35).

D. Respect des délais

[64] Il est bien établi en droit que l’interdiction prévue par la loi au paragraphe 190(2) est obligatoire. Si je conclus que les faits à l’origine de la plainte ont eu lieu en dehors de la période de 90 jours, la Commission n’a pas compétence pour enquêter sur l’affaire. J’aborderai l’objection soulevée par l’agent négociateur quant au respect des délais en me reportant aux faits associés aux deux griefs à l’origine de la plainte.

1. Grief 58019

[65] Le grief 58019 a été déposé ou présenté au premier palier de la procédure de règlement des griefs le 20 septembre 2016, et il est ainsi formulé : [traduction] « Je présente un grief contre le harcèlement qui m’a été imposé par Scott Thompson et éventuellement d’autres personnes à l’administration régionale, ainsi que l’influence que ces personnes ont exercée sur les superviseurs et les gestionnaires de l’Établissement de Warkworth ». Mme Lake a transmis le grief à l’employeur le même jour, et elle a expliqué au plaignant qu’étant donné que le grief portait sur le harcèlement et non sur une mesure disciplinaire ou une contravention à la convention collective pertinente, il ne pouvait pas être renvoyé à l’arbitrage. Mme Lake a mentionné que le processus de plainte de harcèlement lui offrirait une voie plus appropriée pour obtenir les mesures correctives souhaitées.

[66] Il semble qu’une plainte de harcèlement parallèle ait été présentée. Le 6 octobre 2016, Johanna Eberle, conseillère en relations de travail par intérim, a envoyé un courriel à Mme Lake et au plaignant afin de leur demander s’ils accepteraient de mettre le grief en suspens jusqu’à ce que le délégataire autorisé ait évalué les allégations de harcèlement. Il ne semble pas y avoir eu de réponse, parce que le 27 octobre 2016, Mme Eberle a de nouveau envoyé un courriel au plaignant et à Mme Lake. Elle indiquait qu’elle n’avait pas reçu de réponse et qu’elle voulait savoir s’ils acceptaient de mettre le grief en suspens. Mme Lake a répondu le 27 octobre 2016, en demandant quelle serait la durée de la période de suspension, et en demandant au plaignant ce qu’il souhaitait au vu de la demande de l’employeur.

[67] Le 28 octobre 2016, Mme Eberle a répondu ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Je crois comprendre que M. Daigneault a été prié de fournir des renseignements supplémentaires à l’égard de sa plainte de harcèlement.
La demande vise à mettre ce grief en suspens à compter de la date à laquelle il a été présenté, jusqu’à ce qu’une lettre de décision soit émise afin d’indiquer si les allégations de harcèlement sont fondées. Veuillez indiquer si vous êtes d’accord.

[…]

 

[68] Il semblerait que le plaignant n’ait pas répondu directement au courriel de Mme Eberle. Cependant, le 13 novembre 2016, il a envoyé un long courriel à Don Head, commissaire du Service correctionnel du Canada, avec copie à Mme Eberle et d’autres personnes, dont la ligne objet indiquait qu’il [traduction] « […] retire sa plainte parce qu’il est constamment pris pour cible par d’autres gestionnaires depuis qu’il a déposé sa plainte ». Il ne semble pas que quiconque au syndicat ait reçu copie de ce courriel.

[69] Le 23 novembre 2016, Mme Eberle a envoyé un courriel à Mme Lake pour confirmer la tenue d’une réunion relative à un grief, pendant laquelle Mme Lake a accepté de mettre le grief 58019 en suspens pendant que le sous-commissaire régional examinait la plainte de harcèlement du plaignant.

[70] Il semble y avoir eu une rupture dans la communication, parce qu’il semble que le plaignant ait communiqué le retrait de sa plainte de harcèlement le 13 novembre 2016, mais on ne voit pas clairement si l’employeur a confirmé ce retrait. Il ressort clairement des documents que le grief 58019 a été mis en suspens.

[71] Dans un courriel que Joel Bruce, conseiller en relations de travail par intérim pour l’employeur, a adressé à Mme Lake et M. Ringler (directeur de l’établissement) le 3 mars 2017, il est mentionné ce qui suit : [traduction] « Daigneault, M. - 58019 – Consulter le SACC au sujet de la mise à jour du statut ».

[72] Le 17 mars 2017, le plaignant a envoyé le courriel suivant à Kaitlynn Colasante (généraliste adjointe aux ressources humaines) :

[Traduction]

[…] Re: Grief 58019, M. Daigneault – Présentation

Kaitlynn,

J’ai trouvé le numéro de ce grief. Pouvez‑vous me dire si mon syndicat l’a retiré? Je dépose actuellement une plainte contre mon syndicat au CCRI pour ne pas avoir donné suite à ce grief.

Merci.

Matt

[Je mets en évidence]

 

[73] Le 20 mars 2017, l’échange qui suit a eu lieu entre le plaignant et M. Bruce :

[De M. Bruce au plaignant :]

[Traduction]

[…]

Aux trois dernières réunions du comité des griefs du SACC, il a été indiqué que le SACC vous avait demandé une mise à jour au sujet de la façon de traiter le dossier. À ce titre, le grief n’est pas retiré, quoiqu’il semblerait inopportun d’aller de l’avant compte tenu du retard important de la progression.

 

[Du plaignant à M. Bruce :]

[Traduction]

[…]

Mon syndicat a été avisé d’aller de l’avant. Il ne l’a pas fait. Il n’a pas non plus présenté cette demande. Je vais déposer la plainte maintenant que je suis au courant de cela.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[74] En mars 2017, l’échange qui suit a eu lieu entre le plaignant et Mme Lake au sujet du grief 58019 :

[Courriel du 23 mars 2017, du plaignant à Mme Lake :]

[Traduction]

Karrie,

A‑t‑on laissé expirer le délai de présentation de ce grief de harcèlement?

[…]

 

[Courriel du 24 mars 2017, de Mme Lake au plaignant :]

[Traduction]

Non, le délai n’a pas expiré! Le grief a été mis en suspens en attendant l’issue de l’enquête sur votre plainte de harcèlement. Je crois comprendre qu’ils attendent que vous leur transmettiez de plus amples renseignements. Si ce dossier a été fermé, je peux réactiver le grief et l’acheminer au palier suivant de la procédure de règlement des griefs.

[…]

 

[Courriel du 27 mars 2017, du plaignant à Mme Lake :]

Bon, vous devriez peut‑être revoir cela avec Joel Bruce, parce qu’il voit cela d’un autre œil.

Je dépose une plainte au CCRI à cet égard.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[75] Il est clair qu’au 27 mars 2017, le plaignant avait connaissance des faits à l’origine de sa plainte concernant le grief 58019. Il a même déclaré qu’il déposerait une plainte contre son agent négociateur. Il n’a présenté la plainte que le 21 décembre 2017. J’estime que cette partie de la plainte est hors délai et qu’elle doit être rejetée.

2. Grief 61347

[76] Le grief 61347 a été déposé et présenté au premier palier de la procédure interne de règlement des griefs le 25 septembre 2017, et il est ainsi rédigé : [traduction] « Je conteste le harcèlement qui m’a été imposé par Tom Rittwage le 11 septembre 2017 ou vers cette date, ainsi que le ciblage antérieur de la part de ce même GC [gestionnaire correctionnel], un comportement qui est réputé ne pas relever de la politique sur le harcèlement selon les deux sous-commissaires régionaux ».

[77] Le grief a été porté au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs le 26 octobre 2017, et il a été instruit à ce palier le 28 novembre 2017. L’employeur a présenté la réponse au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs le 14 décembre 2017, en rejetant le grief. La réponse indiquait en partie ce qui suit :

[Traduction]

[…]

À titre préliminaire, je dois vous aviser que conformément à la politique du Conseil du Trésor, le pouvoir de prendre des décisions concernant des questions liées au harcèlement est réservé au gestionnaire délégué […] Pour la région de l’Ontario, le sous‑commissaire régional (SCR) […] est le gestionnaire délégué qui est chargé de ces affaires […] Par conséquent, votre dossier de grief a été renvoyé au coordonnateur régional de la prévention du harcèlement, qui aidera le SCR à prendre une décision sur le bien‑fondé de votre plainte.

Votre grief n’a pas été entendu au premier palier de la procédure de règlement des griefs dans le délai indiqué dans votre convention collective. Il a donc été mis en suspens jusqu’au moment où votre syndicat pourrait trouver un moment pour rencontrer l’intervenant au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs. Le grief a été entendu au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs le 28 novembre 2017. Les personnes présentes étaient Larry Ringer, directeur de l’établissement, Allison Maxwell, conseillère en relations de travail par intérim, ainsi que Karrie Lake-Ruttan et Lee Fitzgibbon, membres du comité exécutif du SACC. Lors de cette audience, les faits précisés dans votre grief ont fait l’objet d’une discussion, de même que les communications écrites à l’appui que vous aviez fournies en votre absence. Il a été convenu par toutes les parties que toutes les solutions de rechange et autres voies de recours pouvaient être envisagées, y compris en sollicitant l’aide du Bureau de gestion des conflits (BGC), qui peut agir comme médiateur pour dénouer des cas de conflit personnel. Je crois comprendre que vous avez obtenu les coordonnées du BGC, et je vous encourage à donner suite en conséquence. Permettez-moi aussi de vous donner les coordonnées du Programme d’aide aux employés (PAE), au cas où vous sentiriez le besoin de faire appel à ses services. Le numéro de téléphone confidentiel du PAE à composer, vingt‑quatre heures par jour, tous les jours de la semaine, est le 1‑800‑268‑7708.

En l’absence de lettre de décision du SCR concernant le bien‑fondé de votre plainte de harcèlement, il m’est impossible de déterminer s’il y a eu contravention aux dispositions de votre convention collective. Par conséquent, je dois rejeter votre grief à ce stade‑ci, et vous renvoyer au coordonnateur régional de la prévention du harcèlement afin d’obtenir de plus amples directives au sujet du processus décisionnel. Je tiens à réitérer que vos préoccupations ont été prises en compte et que l’employeur souhaite collaborer avec vous par tous les moyens possibles dans le cadre d’un effort conjoint visant à restaurer l’harmonie dans votre milieu de travail.

[…]

 

[78] Le 13 décembre 2017, le grief a été porté au troisième palier de la procédure de règlement des griefs. Il a été confirmé pendant l’audience devant moi que ce grief a été renvoyé à l’arbitrage le 21 mars 2018.

[79] Pour évaluer le caractère opportun de la plainte sur le fondement de ce grief, il est important d’examiner les faits et les interactions qui ont eu lieu au cours de la période de 90 jours précédant le dépôt de la plainte, qui a débuté le 23 septembre 2017.

[80] Les communications par courriel entre les conseillers en ressources humaines de l’employeur, le plaignant et sa représentante syndicale révèlent que le plaignant s’inquiétait au sujet des retards possibles dans le traitement du grief. Il est utile de relater plus en détail ce qui s’est passé.

[81] Comme je l’ai mentionné, le grief a été présenté au premier palier de la procédure de règlement des griefs le 25 septembre 2017. Dans un courriel en date du 26 septembre 2017, le service des relations de travail de l’employeur a avisé Bruce McCallum, gestionnaire correctionnel, que le grief lui avait été assigné afin qu’il présente une réponse au premier palier de la procédure de règlement des griefs. M. McCallum a été informé que la réponse était attendue pour le 10 octobre 2017, conformément aux dispositions de la convention collective pertinente. Le plaignant a reçu copie de ce courriel.

[82] Dans un courriel qu’il a envoyé à l’adjoint aux relations de travail et d’autres personnes le 15 octobre 2017, le plaignant indiquait ce qui suit : [traduction] « Alors, si je comprends bien, les délais applicables aux deux griefs devraient maintenant être reportés au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs. Qu’est-ce qui retarde le processus? »

[83] L’employeur a répondu ce qui suit :

[Traduction]

Bonjour Matt,

Conformément à votre convention collective, veuillez vous reporter aux renseignements ci‑après en ce qui concerne les procédures de règlement des griefs :

20.13 À défaut d’une réponse de l’Employeur dans les quinze (15) jours qui suivent la date de présentation d’un grief, à tous les paliers sauf au dernier, l’auteur du grief peut, dans les dix (10) jours qui suivent, présenter un grief au palier suivant de la procédure de règlement des griefs.

Merci.

Allison

 

[84] Le 18 octobre 2017, le plaignant a répondu ce qui suit :

[Traduction]

Bonjour,

Comme j’ai déjà occupé ce poste, je sais ce qui est indiqué dans le contrat.

La question que je pose est la suivante : CE GRIEF A-T‑IL ÉTÉ PORTÉ AU DEUXIÈME PALIER DE LA PROCÉDURE DE RÈGLEMENT DES GRIEFS?

Et si ce n’est pas le cas, l’employeur considère‑t‑il maintenant ce grief comme étant hors délai?

Merci.

Matt Daigneault

 

[85] Le 18 octobre 2017, l’employeur a répondu ce qui suit :

[Traduction]

Bonjour Matt,
Ce que je souhaitais communiquer dans les parties mises en évidence de votre convention collective, c’est qu’il incombe au fonctionnaire s’estimant lésé de porter le grief au palier suivant de la
procédure de règlement des griefs s’il le souhaite. Les relations de travail et la direction ne porteront pas le grief à un autre palier sans avoir obtenu un bordereau de transmission signé.
Si vous souhaitez porter le grief au deuxième palier de la
procédure de règlement des griefs, n’hésitez pas à communiquer avec votre représentante syndicale, qui pourra vous aider à présenter ces documents, que nous traiterons en conséquence dès leur réception.
Merci.
Allison

[86] Le 19 octobre 2017, le plaignant a répondu ce qui suit (avec copie à Mme Lake) :

[Traduction]

Bonjour,

Permettez‑moi de reprendre du début.

J’ai remis le bordereau de transmission à ma coordonnatrice des griefs.

A‑t‑elle omis de vous transmettre le bordereau de transmission et le délai de présentation du grief a‑t‑il expiré?

L’employeur considère‑t‑il maintenant ces griefs comme étant abandonnés?

Vous devriez être en mesure de répondre à ces questions.

Merci.

Matt

 

[87] Le plaignant n’a probablement pas reçu de réponse, parce que le 23 octobre 2017, il a envoyé un autre courriel sollicitant une réponse. Le 24 octobre 2017, l’employeur a envoyé le courriel qui suit :

[Traduction]

Karrie,
Pouvez‑vous faire un suivi auprès de Matt au sujet du bordereau de transmission – nous ne l’avons pas de notre côté.
Pour ce qui est de l’abandon du grief, non, il ne serait considéré comme étant abandonné que si vous l’indiquiez par écrit.
Allison

 

[88] Le 24 octobre 2017, le plaignant a rétorqué dans le courriel qui suit :

[Traduction]

Bonjour,

J’ai l’impression de poser la même question. Vous avez affiché moins de 15 jours. Ce délai est maintenant écoulé depuis longtemps.

Alors, si ce grief a fini par être renvoyé à l’arbitrage, l’employeur ne dirait‑il pas que les délais sont expirés? Si ce n’est pas le cas, pourquoi ne le sont‑ils pas?

Matt

 

[89] Le 26 octobre 2017, le grief a été porté au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs. Le plaignant avait demandé qu’il soit porté directement au troisième palier, mais l’employeur a refusé.

[90] Le 2 novembre 2017, Mme Lake a envoyé un courriel au plaignant afin d’expliquer qu’elle s’absentait pour trois semaines, et qu’à son retour, elle était affectée à l’extérieur de l’Établissement, sans accès à ses courriels. Elle a expliqué qu’elle avait demandé et obtenu une prorogation des délais en raison de son absence. Elle a aussi assuré le plaignant qu’après la rencontre au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs, elle porterait le grief au troisième palier.

[91] Le plaignant a demandé une copie de l’entente de suspension des griefs au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs. Le courriel qui suit, en date du 21 novembre 2017, reflète la frustration du plaignant :

[Traduction]

[…]

Les griefs sont soumis à un délai, essentiellement de 15 jours ouvrables, 15 jours ouvrables et 30 jours ouvrables.

Mes délais de présentation de ces griefs sont écoulés. Alors s’il n’y a aucune entente écrite entre Karrie et la conseillère en relations de travail ou en ressources humaines, l’avocat du SCC le soulèvera à l’audience et le grief sera rejeté […]

[…]

Alors j’aimerais essentiellement savoir si mon syndicat a omis de respecter les délais. S’il existe une entente écrite, je souhaiterais en obtenir une copie […]

[…]

 

[92] Le 23 novembre 2017, Mme Lake a répondu ce qui suit :

[Traduction]

[…]

J’ai reçu vos courriels, et le 2 novembre, j’ai répondu à vos préoccupations au sujet des délais et je vous ai assuré que les griefs ne sont pas hors délai. Dans chaque établissement il y a toujours eu une entente avec la direction au sujet de la mise en suspens des griefs. J’ai trouvé cela avantageux pour tous les membres.
Je vous ai demandé de fournir de plus amples renseignements aux fins de la présentation de vos griefs, puisqu’ils allèguent du harcèlement et que cela doit être pris au sérieux. J’aimerais présenter le cas adéquatement au directeur de l’établissement, afin de m’assurer qu’il aura tout en main lorsqu’il répondra à vos griefs. À ce jour, je n’ai rien reçu. Je dois rencontrer M. Ringler concernant le deuxième palier de la procédure de règlement des griefs mardi prochain, le 28, moment où votre grief sera traité.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[93] Le 24 novembre 2017, le plaignant a répondu en fournissant les renseignements demandés à Mme Lake. Dans le même courriel, il a demandé une copie de l’entente relative à la suspension des griefs.

[94] Il semble que le plaignant n’ait pas reçu de copie de l’entente, parce que le 9 décembre 2017, il a envoyé le courriel qui suit à Mme Lake et d’autres personnes :

[Traduction]

Karrie,

Comme vous ne me répondez pas, je présume que mon syndicat collabore avec la direction en vue d’ignorer les incidents et les griefs concernant le superviseur qui a eu encore une autre altercation avec un autre agent correctionnel hier.

Je vais présenter une plainte à la CRTFP contre mon syndicat.

Matt

 

[95] Comme je l’ai mentionné, le grief a été entendu au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs le 28 novembre 2017. Deux représentants syndicaux étaient présents, mais le plaignant n’a pas assisté à la procédure. La réponse au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs a été présentée le 14 décembre 2017, et le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 21 mars 2018.

[96] Selon les éléments de preuve présentés, je conclus que la partie de la plainte qui porte sur le traitement du grief 61347 a été présentée en temps opportun. L’allégation faite dans la plainte au sujet de l’entente de suspension des griefs au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs et la présentation des griefs en temps opportun ont eu lieu dans les 90 jours précédant le dépôt de la plainte.

E. Le bien‑fondé de la plainte

[97] Avant d’analyser le bien‑fondé de la plainte qui porte sur le traitement du grief 61347, j’examinerai les décisions que le plaignant a invoquées.

[98] La première est Edmunds, qui traitait d’un grief portant sur les heures supplémentaires, dans lequel les fonctionnaires s’estimant lésés alléguaient qu’ils s’étaient vu refuser leur part équitable de l’attribution des heures supplémentaires au cours d’une certaine période. Avant l’audience, l’avocate de l’employeur a divulgué la liste des témoins qu’elle proposait à la représentante des fonctionnaires s’estimant lésés, Mme Ferguson. Pendant l’audience et après que les fonctionnaires s’estimant lésés eurent achevé leur argumentation, l’employeur a décidé de ne citer aucun témoin. Par conséquent, la représentante des fonctionnaires s’estimant lésés a présenté une requête en réouverture du cas, afin de citer certains témoins figurant sur la liste de l’employeur. Cette requête a été rejetée. En définitive, le grief a été rejeté au motif que les fonctionnaires s’estimant lésés ne s’étaient pas acquittés de leur fardeau de la preuve.

[99] Je souligne que l’agent négociateur n’a pas demandé le contrôle judiciaire de la décision de l’ancienne Commission. Je ne vois pas pourquoi le plaignant a invoqué cette décision, puisqu’elle est sans pertinence pour les questions soulevées dans sa plainte. Comme le plaignant n’a pas exprimé les motifs pour lesquels il a porté cette décision à mon attention, je ne peux que présumer, à l’aide de certaines de ses observations, qu’il a essentiellement soutenu que les représentants syndicaux commettent des erreurs, et que dans Edmunds, Mme Ferguson était la représentante syndicale. Même si sa position était telle, elle ne serait toujours pas pertinente. Je dois ajouter que je vois d’un mauvais œil cette tentative sournoise de s’attaquer à la compétence de Mme Ferguson.

[100] Je souligne que Mme Ferguson a déposé un résumé de son témoignage et que le plaignant a eu amplement l’occasion de la contre‑interroger. Il aurait pu ou aurait dû interroger Mme Ferguson au sujet d’Edmunds s’il avait l’intention d’utiliser cette décision pour s’attaquer à sa compétence.

[101] Le plaignant a aussi invoqué Lemoire. Les fonctionnaires s’estimant lésés dans ce cas travaillaient à l’EW, et ils ont déposé des griefs portant sur les heures supplémentaires. L’employeur s’est opposé à trois griefs au motif du respect des délais. Dans les trois dossiers, les objections de l’employeur concernant le respect des délais ont été rejetées parce que l’ancienne Commission a conclu que les griefs avaient été présentés en temps opportun. Je souligne que Mme Lake a témoigné pour le compte des fonctionnaires s’estimant lésés dans ce cas, bien qu’il n’y ait aucun résumé du contenu de son témoignage.

[102] Encore une fois, je ne vois pas pourquoi le plaignant a invoqué cette décision, et même s’il a eu la possibilité de formuler ses motifs pendant l’audience, il a décidé de ne pas le faire. À part l’allusion au fait que Mme Lake a témoigné dans ce cas, cette décision est sans pertinence pour les questions soulevées dans la présente plainte. En fait, même si les griefs ont été rejetés, ils ne l’ont pas été au motif du respect des délais.

[103] La décision que le plaignant a invoquée ensuite est St-Laurent. Mme Ferguson était désignée comme représentante des fonctionnaires s’estimant lésés dans ce cas, avec Marie‑Pier Dupuis‑Langis. L’affaire a été tranchée sur la base d’arguments écrits. Les fonctionnaires s’estimant lésés travaillaient à l’EW ou à l’Établissement de Bath en Ontario. L’agent négociateur a reconnu que les griefs n’avaient pas été renvoyés à l’arbitrage en temps opportun, et il a demandé une prorogation du délai en vertu de l’alinéa 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005‑79). Le renvoi tardif du grief était attribuable à un oubli de la part d’un représentant de l’agent négociateur. L’ancienne Commission a rejeté la demande de prorogation du délai présentée par l’agent négociateur au motif que celui‑ci n’avait pas présenté « […] un motif clair, logique et convaincant […] » pour justifier le renvoi tardif du grief à l’arbitrage.

[104] En dehors du fait que Mme Ferguson a été la coreprésentante des fonctionnaires s’estimant lésés dans ce cas, la seule conclusion que je puisse tirer de l’invocation de cette décision par le plaignant est que l’agent négociateur semblait avoir eu de la difficulté à respecter les délais de présentation des griefs, et que les erreurs du syndicat avaient entraîné le rejet des griefs. Encore une fois, cela n’est pas pertinent au présent cas.

[105] Dans le cas du plaignant, ses griefs ont été mis en suspens au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs, et aucun élément de preuve ne m’a été présenté afin de démontrer que leur transmission à l’interne et leur renvoi à l’arbitrage avaient été hors délai.

[106] La dernière décision que le plaignant a invoquée était Weinstein. Cette décision traitait d’un grief de licenciement, que la Commission a accueilli. Je ne vois pas pourquoi le plaignant a invoqué cette décision et il n’en a pas démontré la pertinence pour sa plainte.

[107] J’examinerai maintenant les faits associés au traitement du grief 61347, afin de déterminer si les actions ou inactions de l’agent négociateur au cours de la période de 90 jours précédant le dépôt de la plainte ont atteint le niveau de l’arbitraire ou de la mauvaise foi, au sens de l’article 187 de la Loi.

[108] Au cours de cette période, Mme Lake a aidé le plaignant à déposer et à présenter un grief qui alléguait ce qui suit : « Je conteste le harcèlement qui m’a été imposé par Tom Rittwage le 11 septembre 2017 ou vers cette date, ainsi que le ciblage antérieur de la part de ce même GC, un comportement qui est réputé ne pas relever de la politique sur le harcèlement selon les deux sous‑commissaires régionaux ».

[109] Le plaignant a signé le grief le 13 septembre 2017. Mme Lake l’a signé le 24 septembre 2017, et l’employeur, le 25 septembre 2017. Le grief n’a pas été entendu au premier palier de la procédure de règlement des griefs, et le 26 octobre 2017, il a été porté au deuxième palier, où il a été mis en suspens jusqu’au 28 novembre 2017, date à laquelle il a été présenté et entendu. Mme Lake et Lee Fitzgibbon l’ont présenté au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs pour le compte du plaignant. Celui‑ci n’a pas assisté à l’audience.

[110] Le plaignant s’est dit préoccupé et frustré par le fait que les délais de présentation du grief avaient expiré. Mme Lake a expliqué qu’elle s’absentait pour trois semaines, et elle a demandé et obtenu une prorogation du délai par l’employeur aux fins de la transmission du grief au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs. Mme Lake a aussi expliqué que le grief avait été mis en suspens au deuxième palier jusqu’à ce que la date de l’audience puisse être fixée.

[111] Le plaignant a demandé une copie de l’entente de suspension des griefs au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs, afin de pouvoir s’assurer que les délais n’étaient effectivement pas écoulés. Selon lui, Mme Lake ne lui en a pas fourni.

[112] Les éléments de preuve documentaire présentés, principalement des chaînes de courriels, étaient plutôt incohérents, mais j’ai pu reconstituer les faits indiqués ci‑après, qui entourent la demande du plaignant visant à obtenir une copie de l’entente de suspension des griefs au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs :

· Le 15 novembre 2017 : le plaignant a envoyé un courriel à Mme Lake, afin de demander la copie.

· Le 21 novembre 2017 : le plaignant a réitéré sa demande.

· Le 21 novembre 2017 : M. Ringler, directeur de l’établissement, a demandé au plaignant de préciser ce qu’il cherchait au sujet de l’entente afin de pouvoir le lui fournir.

· Le 21 novembre 2017 : le plaignant a donné des précisions.

· Le 23 novembre 2017 : Mme Lake a déclaré ceci : [traduction] « Dans chaque établissement il y a toujours eu une entente avec la direction au sujet de la suspension des griefs ».

 

[113] Rien n’indique que l’entente de suspension des griefs au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs ait déjà été fournie au plaignant. À vrai dire, selon son témoignage non contredit, il n’en a jamais reçu copie et il l’a vue pour la première fois lors de la présente procédure.

[114] Je ne vois rien d’arbitraire dans la façon dont Mme Lake s’est occupée du grief 61347, depuis son dépôt au premier palier jusqu’à sa présentation au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs. Dans ce contexte, le terme arbitraire sous‑entend qu’une personne n’accorde pas de réflexion à une question et qu’elle agit seulement de manière superficielle. Rien n’est plus loin de ces concepts que la façon dont Mme Lake a traité le grief du plaignant. Elle a posé un geste responsable en obtenant une prorogation du délai de présentation du grief au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs, alors qu’elle savait qu’elle s’absenterait pour trois semaines. Dans le même ordre d’idées, rien ne prouve l’existence de mauvaise foi, ou encore d’hostilité ou d’animosité envers le plaignant, malgré le ton irrité de ses courriels. J’ai estimé que les réponses que Mme Lake lui avait présentées étaient exprimées de façon mesurée et respectueuse. Le plaignant n’a pas démontré que Mme Lake était de connivence avec l’employeur.

[115] En ce qui concerne la demande du plaignant visant à obtenir une copie de l’entente de suspension des griefs au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs, je conclus que l’omission de lui en fournir une n’était en rien malveillante. Je ne peux qualifier ce qui semble s’être passé que de rupture de communication quant à la personne qui lui en remettrait une copie. Comme je l’ai mentionné, dans le contexte du devoir de représentation équitable, la mauvaise foi suppose un comportement délibéré et vexatoire. Je ne vois rien, dans le comportement de Mme Lake à cet égard, qui ait atteint le niveau de la mauvaise foi.

[116] Le plaignant a aussi allégué qu’il s’était senti contraint d’entamer une médiation avec l’employeur. Il n’a produit aucun élément de preuve à l’appui de cette allégation et Mme Lake n’a pas été questionnée au sujet de cette coercition présumée. Je conclus que cette allégation n’est pas justifiée.

[117] Par conséquent, je rejette la plainte.

[118] Je ferais preuve de négligence si je ne formulais aucune mise en garde au sujet de l’entente de suspension des griefs au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs. Même si cette mesure peut s’avérer pratique sur le plan administratif pour l’agent négociateur et l’employeur, j’estime qu’elle peut entraîner le risque réel et sérieux que certains griefs puissent être retardés indûment au point de passer entre les mailles du filet. J’ai été particulièrement préoccupé par le fait que certains griefs, qui soulèvent des questions de mesures d’adaptation, de santé et sécurité et de discrimination, puissent être suspendus pendant une période telle que tout recours ultérieur puisse être vain.

[119] L’agent négociateur m’a assuré qu’aucun pareil cas n’était actuellement suspendu à l’Établissement. Cela est fort possible, mais l’agent négociateur et l’employeur doivent tous deux faire preuve de vigilance lorsqu’il existe de telles ententes de suspension des griefs, afin d’éviter de susciter les perceptions et les sentiments que le plaignant a exprimés.

[120] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[121] La plainte est rejetée.

Le 22 février 2023.

Traduction de la CRTESPF.

 

Caroline Engmann,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

 

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