Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le demandeur avait déposé un grief contestant la décision de son employeur de refuser de le rémunérer pour ses heures supplémentaires – son agent négociateur a omis de le transmettre au dernier palier de la procédure de règlement des griefs individuels dans le délai prévu dans sa convention collective – l’employeur a rejeté le grief à ce palier au motif qu’il était hors délai et s’est opposé à son renvoi à l’arbitrage – le demandeur a demandé à la Commission de proroger le délai pour transmettre son grief au dernier palier – la Commission a appliqué les critères établis dans Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, et a accordé la prorogation par souci d’équité – la Commission a conclu que 1) le défaut de respecter le délai n’était attribuable qu’à l’agent négociateur du demandeur, 2) le délai n’avait été dépassé que de six jours ouvrables, ce qui n’avait pas empêché l’employeur de trancher le grief sur le fond, 3) le demandeur lui-même avait fait preuve de diligence tant à l’égard du dépôt que dans la poursuite de son grief, 4) l’injustice d’empêcher le demandeur de poursuivre son grief à l’arbitrage l’emportait sur tout préjudice causé à l’employeur, qui aurait à défendre sa décision de ne pas rémunérer le demandeur pour ses heures supplémentaires, et 5) le grief soulevait une question légitime au sujet du droit du demandeur à une rémunération pour ses heures supplémentaires en vertu de sa convention collective – la Commission a ordonné qu’une audience soit fixée pour entendre le grief sur le fond.

Demande accueillie.
Objection rejetée.
Audience à fixer pour entendre le grief.

Contenu de la décision

Date : 20230223

Dossier : 568-02-46174

XR : 566-02-45595

 

Référence : 2023 CRTESPF 22

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

ENTRE

 

Kendell Slusarchuk

demandeur

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(Service correctionnel du Canada)

 

défendeur

Répertorié

Slusarchuk c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant une demande visant la prorogation d’un délai visée à l’alinéa 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Audrey Lizotte, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le demandeur : Sean Kelly, Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN

Pour le défendeur : John Mendonça, Secrétariat du Conseil du Trésor

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les 6, 20, et 27 octobre et le 16 décembre 2022.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Demande devant la Commission

[1] Kendell Slusarchuk (le « demandeur ») est un agent correctionnel et maître-chien détecteur au Service correctionnel du Canada qui, aux fins de la présente décision, sera désigné comme le défendeur.

[2] Le demandeur est membre de l’unité de négociation du groupe des agents correctionnels, représentée par l’Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (UCCO-SACC-CSN) (l’« agent négociateur »).

[3] À l’hiver 2022, le demandeur a suivi une formation de cinq semaines à Rigaud, au Québec, au cours de laquelle il était responsable des soins de son chien partenaire. Le demandeur devait assumer cette responsabilité en dehors des heures de formation habituelles. Le 18 mai 2022, il a déposé un grief pour obtenir le versement d’une rémunération pour les heures supplémentaires effectuées pendant cette période en vertu de la clause 21.12 de la convention collective de l’unité de négociation du groupe des agents correctionnels (expirée le 5 mai 2022; la « convention collective »).

[4] Le défendeur, dans sa décision au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, a rejeté le grief au motif qu’il était hors délai, le grief ayant été présenté à ce palier hors du délai prévu par la convention collective.

[5] Le 31 août 2022, l’agent négociateur a renvoyé le grief du demandeur à l’arbitrage. Le greffe du Secrétariat de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») a fourni au défendeur une copie de l’avis de renvoi à l’arbitrage le 23 septembre 2022.

[6] Le 6 octobre 2022, soit avant la date limite prévue à l’article 95 du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005-79; le « Règlement »), le défendeur a soulevé une objection quant au renvoi du grief à l’arbitrage au motif que la présentation du grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs individuels était hors délai.

[7] Le 20 octobre 2022, l’agent négociateur a répondu, au nom du demandeur, à l’objection du défendeur. Il a déclaré qu’il était le seul responsable du retard et que celui-ci ne devrait pas être reproché au demandeur. L’agent négociateur a demandé à la Commission d’accorder une prorogation du délai en vertu de l’alinéa 61b) du Règlement pour la présentation du grief du demandeur au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.

[8] La présente décision ne porte que sur l’objection soulevée par le défendeur à l’égard du renvoi du grief à l’arbitrage au motif que la présentation dudit grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs individuels était hors délai et sur la demande de prorogation du délai qui s’en est suivie. Les parties ne contestent pas le fait que le grief du demandeur a été présenté à ce palier hors du délai prévu par la convention collective. Si la demande est accueillie, le grief portant le numéro de dossier 566-02-45595 sera mis au rôle pour que soit tenue une audience sur le fond à une date ultérieure. Si elle est rejetée, l’objection sera accueillie et la fermeture du dossier de grief de la Commission sera ordonnée.

II. Les dates pertinentes

[9] Le demandeur a présenté son grief à l’agent négociateur le 18 mai 2022. Il a été présenté par l’agent négociateur au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs individuels le 19 mai 2022. Le défendeur a rendu sa décision au deuxième palier le 31 mai 2022. La date limite pour transmettre le grief au dernier palier était le 15 juin 2022, mais l’agent négociateur ne l’a transmis que le 23 juin 2022, soit six jours ouvrables après la date limite. Le défendeur a rendu sa décision au dernier palier le 26 juillet 2022, rejetant le grief au motif qu’il avait été présenté hors délai à ce palier. Le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 31 août 2022.

III. L’argumentation des parties

[10] Les parties conviennent que la Commission doit généralement tenir compte des cinq critères énoncés dans Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, lorsqu’elle se prononce sur une demande de prorogation du délai. Ces critères sont les suivants (tirés du par. 75 de Schenkman) :

· le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;

· la durée du retard;

· la diligence raisonnable du fonctionnaire s’estimant lésé;

· l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur si la prorogation est accordée;

· les chances de succès du grief.

 

A. Raisons claires, logiques et convaincantes pour justifier le retard

[11] L’agent négociateur affirme que le retard dans la présentation du grief du demandeur au dernier palier de la procédure de règlement des griefs individuels lui est entièrement imputable. Plus précisément, il a admis que le retard était dû à une combinaison d’incapacité, d’absence et de négligence de l’un de ses agents de griefs. Il a indiqué qu’à l’époque pertinente, l’agent de griefs était débordé par ses fonctions, était en voie de démissionner de son poste et s’est surtout absenté du travail entre le 31 mai et le 28 juin 2022. C’est pourquoi il a omis de présenter le grief au dernier palier à temps.

[12] L’agent négociateur reconnaît que le syndicat en cause est un syndicat de premier ordre, disposant de ressources importantes. Toutefois, il affirme qu’il n’est pas à l’abri des erreurs, des absences ou de la négligence de ses représentants individuels, qui entraînent, sur un grand volume de griefs, des retards dans quelques-uns d’entre eux. Il fait valoir qu’il s’agit là de raisons claires, logiques et convaincantes qui justifient la prorogation du délai.

[13] L’agent négociateur invoque Grekou c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2020 CRTESPF 94. Au paragraphe 21, la Commission a formulé les déclarations suivantes en se référant à deux décisions antérieures rendues sur des demandes de prorogation du délai :

[21] Dans Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228 c. Conseil du Trésor, 2013 CRTFP 144 et D’Alessandro c. Conseil du Trésor (ministère de la Justice), 2019 CRTESPF 79, le grief portait sur l’interprétation ou l’application de la convention collective, de sorte que l’appui du syndicat était essentiel pour déposer ces griefs. Dans les deux cas, on a jugé que le retard était entièrement imputable au syndicat, et qu’il serait injuste pour les fonctionnaires en cause dans ces dossiers de faire les frais du manque de diligence du syndicat.

 

[14] Le défendeur dit comprendre la position de l’agent négociateur selon laquelle, quelles que soient les ressources disponibles, des erreurs, des absences et des négligences peuvent toujours survenir et causer des retards. Il soutient toutefois que les arguments de l’agent négociateur ne constituent pas des raisons claires, logiques et convaincantes pour justifier le retard. Il fait valoir que la présentation d’un grief au palier supérieur de la procédure de règlement des griefs individuels ne nécessite pas beaucoup de temps et que, puisque l’agent négociateur admet que le syndicat dispose de ressources suffisantes, il aurait dû mettre en place des mesures pour surmonter les difficultés en question et faire en sorte que les griefs ne s’en trouvent pas touchés.

[15] Le défendeur invoque Parker c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2022 CRTESPF 57, qui insiste sur l’exigence de fournir une justification expliquant clairement le retard, comme suit :

[41] Le défaut de justifier le retard par des raisons claires, logiques et convaincantes « est d’une importance primordiale » (voir Martin c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2021 CRTESPF 62, au paragraphe 33). Les raisons formulées pour justifier le retard servent effectivement d’ancrage sur lequel se fonder pour évaluer les quatre autres critères.

 

B. Durée du retard

[16] L’agent négociateur fait valoir que, compte tenu du léger retard (six jours ouvrables) dans la présentation du grief du demandeur au dernier palier de la procédure de règlement des griefs individuels, il est raisonnable, dans les circonstances, d’accorder la demande de prorogation du délai. Il fait valoir qu’en procédant ainsi, la raison d’être des délais serait quand même respectée.

[17] L’agent négociateur invoque Riche c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2009 CRTFP 157, dans laquelle le président du prédécesseur de la Commission a indiqué ce qui suit :

34 […] La raison d’être d’un tel délai consiste à faire en sorte que l’employeur ne soit pas constamment susceptible de se défendre contre des griefs contestant des mesures prises depuis longtemps et que le syndicat ne doive pas présenter ces griefs et les faire valoir. Cela dit, le Règlement donne à la Commission le pouvoir discrétionnaire de proroger ce délai par souci d’équité […]

 

[18] Je fais remarquer, non sans intérêt, que le défendeur n’a formulé aucun argument sur la durée du retard.

C. Diligence du demandeur

[19] L’agent négociateur affirme que le demandeur lui a transmis son grief dans les délais et qu’il a coopéré avec lui avec diligence tout au long de la procédure de règlement des griefs.

[20] L’agent négociateur invoque Barbe c. Service correctionnel du Canada, 2022 CRTESPF 42. Au paragraphe 50, la Commission a indiqué ce qui suit : « […] si le fonctionnaire n’est pas en faute, s’il a informé avec diligence son syndicat et contribué au dépôt de son grief, je ne vois pas comment en toute équité il devrait ensuite subir les conséquences des erreurs commises par l’agent négociateur. »

[21] L’agent négociateur affirme que, comme dans Barbe, le demandeur n’est pas en faute. Il a informé l’agent négociateur avec diligence et a contribué au dépôt de son grief et à son avancement à chaque palier de la procédure de règlement des griefs individuels, notamment en répondant à l’agent de griefs le 12 juin 2022 ou vers cette date. Il soutient que le demandeur ne devrait pas avoir à subir les conséquences des erreurs qu’il a commises.

[22] Le défendeur fait valoir qu’il n’a pas été informé de la diligence dont le demandeur a fait preuve dans la poursuite de son grief.

D. L’équilibre entre l’injustice causée au demandeur et le préjudice que subit le défendeur

[23] L’agent négociateur affirme que l’injustice que causerait au demandeur la non-prorogation du délai serait infiniment plus grande que le préjudice, s’il existe, que le défendeur pourrait subir en cas de prorogation. Il fait valoir que la procédure de règlement des griefs individuels est la seule procédure à laquelle le demandeur peut recourir pour faire valoir ses droits en vertu de la convention collective. À ce titre, le refus de proroger le délai signifierait pour lui la fin de ses possibilités de recours.

[24] En ce qui concerne le préjudice que subirait le défendeur, l’agent négociateur affirme qu’il est inexistant et s’appuie sur le fait que le défendeur connaît la teneur de ce différend particulier puisque plusieurs autres griefs ont été déposés au sujet de la même question. Il exhorte la Commission à conclure, comme elle l’a fait dans D’Alessandro c. Conseil du Trésor (ministère de la Justice), 2019 CRTESPF 79, au paragraphe 27, que « […] l’employeur a toujours été au courant de l’existence et de la nature du différend […] ».

[25] Le défendeur affirme que le demandeur ne subirait aucune injustice si son grief était jugé hors délai puisque, en réalité, il a été indemnisé pour le temps passé avec son chien partenaire en vertu d’une autre clause de la convention collective (clause 43.01a)).

E. Chances de succès du grief

[26] L’agent négociateur affirme que pour bien évaluer les chances de succès du grief, la Commission devrait en examiner le bien-fondé. Puisque cela ne peut être fait à ce stade, la question est de savoir si le grief n’a aucune chance de succès (voir Schenkman, par. 83). Selon l’agent négociateur, la Commission ne peut pas conclure que le grief n’a aucune chance de succès.

[27] Le défendeur, quant à lui, affirme que le grief n’a aucune chance de succès. S’il convient que, normalement, ce critère doit faire l’objet d’un examen plus approfondi par la Commission lors d’une audience sur le fond, il estime que les éléments d’information sont suffisants pour refuser la demande sur la base de ce critère puisque le demandeur a effectivement été indemnisé pour le temps qu’il a passé avec son chien partenaire.

IV. Analyse et motifs

[28] La présente demande a été déposée en vertu de l’alinéa 61b) du Règlement, qui prévoit que, par souci d’équité et sur demande d’une partie, la Commission peut accorder une prorogation du délai pour déposer un grief ou le présenter à un palier précis de la procédure de règlement des griefs individuels.

[29] La question à trancher est donc celle de savoir si, par souci d’équité, la Commission doit exercer son pouvoir discrétionnaire d’accorder la prorogation du délai sollicitée par le demandeur pour présenter son grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs individuels.

[30] Comme l’ont fait remarquer les parties, lorsqu’elle décide si une demande de prorogation du délai doit être accordée, la Commission se fonde habituellement sur les cinq critères établis dans Schenkman. Pour ce faire, les circonstances de chaque cas ont une incidence sur l’importance et le poids à accorder à chacun de ces critères.

[31] Pour expliquer le retard, il a été indiqué qu’il était uniquement attribuable à l’agent négociateur. Plus précisément, l’agent négociateur a fait valoir que le retard était dû au fait que l’un de ses agents de griefs était débordé, absent du travail et sur le point de démissionner de son poste.

[32] Le défendeur a fait valoir que cela ne constituait pas une raison claire, logique et convaincante pour justifier le retard, car les agents négociateurs, comme dans le cas présent, devraient disposer de mesures pour faire face à ce type de situation.

[33] Bien que je sois d’accord avec le défendeur pour dire que des mesures de protection sont nécessaires, je comprends aussi que, même en mettant en place les meilleurs mécanismes possibles, une erreur humaine peut se produire. Cela devrait-il toutefois signifier que toutes les erreurs humaines constituent une raison convaincante pour justifier le non-respect d’un délai? Je ne le crois pas. Les délais doivent être respectés et les parties doivent les prendre au sérieux.

[34] Toutefois, compte tenu de la responsabilité de l’agent négociateur de veiller à ce que des mesures de protection soient mises en place pour éviter ce type de situation, je conclus que l’explication fournie ne répond qu’à la limite inférieure du seuil fixé quant à la nécessité de fournir des raisons claires, logiques et convaincantes pour justifier le retard. En d’autres termes, le fait de satisfaire à ce premier des cinq critères énoncés dans Schenkman ne constituerait pas, en soi, une raison suffisante pour accorder la prorogation de délai sollicitée par le demandeur.

[35] Néanmoins, je considère que les autres critères énoncés dans Schenkman sont remplis de manière beaucoup plus convaincante.

[36] Le retard a été très court, puisqu’il n’a été que de six jours ouvrables. L’agent négociateur a fait valoir que, compte tenu de cette brièveté, le défendeur n’a pas subi un quelconque préjudice en ce qui concerne sa capacité de rendre une décision quant au grief du demandeur au dernier palier de la procédure de règlement des griefs individuels. Je partage cet avis.

[37] Pour parvenir à cette conclusion, j’accorde une grande importance à deux facteurs. Premièrement, le retard en question n’est pas intervenu dans le cadre de la présentation du grief au premier palier de la procédure de règlement des griefs individuels, mais de sa présentation au dernier palier. Ainsi, le défendeur a eu la possibilité d’examiner les éléments du grief au moment de sa présentation initiale, lorsqu’ils étaient encore tout récents et n’avaient pas encore subi les effets du temps. Deuxièmement, le défendeur avait déjà rendu une décision sur le fond du grief au deuxième palier le 31 mai 2022.

[38] En ce qui concerne le troisième critère énoncé dans Schenkman, l’agent négociateur a affirmé que le demandeur avait fait preuve de diligence dans la présentation de son grief et qu’il avait collaboré avec lui en temps opportun tout au long de la procédure de règlement des griefs individuels.

[39] Je considère que le demandeur a agi avec diligence dans les circonstances. En effet, il était raisonnable pour le demandeur de s’attendre, du moins pour une courte période, à ce que son agent négociateur remplisse son rôle et présente son grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs individuels. La confiance qu’il a accordée était raisonnable, étant donné la rapidité avec laquelle son agent négociateur avait présenté son grief au deuxième palier. En effet, il l’avait fait dans la journée suivant la réception initiale du grief du demandeur. Étant donné le court délai de transmission du grief au dernier palier, on ne peut pas reprocher au demandeur de ne pas avoir vérifié que son agent négociateur avait transmis son grief à temps à ce palier.

[40] En ce qui concerne le quatrième critère énoncé dans Schenkman, après avoir examiné les arguments des parties, j’estime que l’injustice que subirait le demandeur si la prorogation de délai était refusée dépasserait de loin le préjudice que subirait le défendeur si une prorogation était accordée. Comme l’agent négociateur l’a indiqué, le grief du demandeur porte sur l’interprétation et l’application de la convention collective et, à ce titre, l’arbitrage est la seule procédure dont dispose le demandeur pour obtenir un règlement de son affaire. Cet élément, combiné à la brièveté du retard en cause et au fait que le défendeur était bien au courant de la teneur du différend et qu’il avait déjà tranché le grief du demandeur sur le fond au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs individuels, m’amène à conclure que le défendeur ne subirait aucun préjudice important si la demande était accueillie.

[41] Le dernier critère énoncé dans Schenkman a trait aux chances de succès du grief. Sur ce point, le défendeur a fait valoir que le grief n’en a aucune puisque le demandeur a déjà été indemnisé pour les heures supplémentaires effectuées en vertu de l’article 43 de la convention collective. Je comprends qu’il s’agit là de la position du défendeur sur le bien-fondé du grief. Toutefois, la question soulevée dans le grief est celle de savoir si le demandeur a droit à la rémunération des heures supplémentaires en vertu de la clause 21.12 malgré les dispositions de l’article 43. Lorsqu’il s’agit de déterminer si un grief a une chance d’être accueilli, il faut nécessairement fixer un seuil très faible, puisque l’affaire n’a pas encore été entendue. Pour cette raison, je conclus que le grief soulève un différend légitime devant être résolu par voie d’arbitrage. On ne peut pas dire qu’il est frivole ou vexatoire.

[42] Après avoir examiné les cinq critères énoncés dans Schenkman, je conclus que la demande de prorogation du délai devrait être accordée. Je suis parvenue à cette conclusion tout en étant consciente qu’une saine gestion des relations de travail repose sur le respect des délais par toutes les parties et que, par conséquent, le pouvoir discrétionnaire accordé à la Commission de proroger les délais doit être exercé de façon exceptionnelle et judicieuse. En effet, le Règlement exige que la Commission ne proroge les délais que « par souci d’équité ».

[43] Pour parvenir à cette décision, j’ai examiné attentivement la jurisprudence invoquée par les parties. J’estime que la décision Barbe est la plus pertinente. Dans Barbe, la Commission a fait remarquer que le pouvoir discrétionnaire accordé à la Commission de proroger les délais repose d’abord et avant tout sur le souci d’équité. Au paragraphe 25, elle indique ce qui suit :

[25] […] il me paraît primordial d’avoir tout d’abord un souci d’équité. Il peut arriver qu’une partie fasse si peu preuve de diligence, ou offre une explication tellement confuse ou illogique, que la Commission ne peut en bonne conscience accorder une prorogation de délai. Les délais existent pour une bonne raison, pour assurer un déroulement aussi efficace que possible des procédures. Il faut donc une bonne raison pour y déroger. Dans certains cas, toutefois, même si un certain doute peut exister quant à la clarté des explications ou à la diligence des parties, le souci d’équité l’emporte.

 

[44] Comme je l’ai indiqué au paragraphe 34 de la présente décision, je suis critique à l’égard de l’explication fournie par l’agent négociateur pour le retard dans la présentation du grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, car de meilleures mesures de protection devraient être en place pour s’assurer que les délais ne sont pas dépassés lorsque les membres du personnel sont absents du travail pendant de longues périodes. Toutefois, la Commission a également fait preuve d’une grande latitude lorsque la cause d’un retard est entièrement attribuable à un agent négociateur et que le fonctionnaire s’estimant lésé a par ailleurs fait preuve de diligence dans ses démarches.

[45] Sur ce point, Barbe s’appuie sur des décisions antérieures de la Commission dans lesquelles les retards ont été jugés entièrement attribuables aux agents négociateurs et indique ce qui suit :

[…]

[47] Dans l’affaire D’Alessandro, la Commission a conclu que la négligence du syndicat à déposer des griefs en temps voulu constituait une raison claire, logique et convaincante. La Commission écrit ce qui suit au paragraphe 29 : « L’équité exige que M. D’Alessandro soit en mesure de poursuivre ses griefs malgré la négligence de son syndicat. […] »

[48] Il est clair qu’il existe deux courants de pensée à la Commission – soit, on peut tenir rigueur à un fonctionnaire des erreurs de son agent négociateur, soit, on ne doit pas tenir rigueur au fonctionnaire, qui se trouve lésé non seulement par l’action de son employeur mais aussi par l’action de son agent négociateur. La dichotomie est bien expliquée dans Copp, dans les paragraphes suivants :

[…]

[28] La demanderesse m’a renvoyé à Thompson [Thompson c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2007 CRTFP 59]. Mme Thompson a déposé un grief pour contester son licenciement plus de trois mois après l’expiration du délai pour le dépôt d’un grief. Elle a déclaré que le syndicat avait déposé le grief à temps, mais que le grief aurait traîné sur le bureau du représentant du défendeur pendant quatre mois avant d’être traité. Le président n’a pas cru la demanderesse sur ce point et a conclu que le grief n’a pas été présenté dans le délai prescrit. Il a accueilli la demande de prorogation du délai au motif que, même si le syndicat était négligent, ce n’était pas la faute de Mme Thompson. Il a déclaré que l’injustice qui lui serait causée en lui refusant l’accès à l’arbitrage l’emporte sur le préjudice que le défendeur pourrait subir si le grief était entendu. Enfin, il a affirmé que, par souci d’équité, la demanderesse ne devait pas être pénalisée pour l’inaction du syndicat qui a déposé son grief en retard.

[29] Je ne suis pas d’accord avec la décision dans Thompson. Cette décision a été rédigée il y a plus de cinq ans dans un contexte jurisprudentiel qui n’était peut-être pas aussi clair qu’il ne l’est maintenant. Depuis, il a été souvent décidé que les omissions, la négligence ou les erreurs d’un syndicat ne constituent pas des motifs logiques et convaincants justifiant une prorogation du délai. À mon avis, comme je l’ai déclaré dans Callegaro, « […] la demanderesse et son syndicat ne peuvent être considérés comme étant deux entités distinctes […] ». Dans ce contexte, les erreurs du syndicat sont les erreurs de la demanderesse.

[…]

[49] Je ne sais pas quelle aurait été ma décision si les griefs avaient tardé six ans comme dans Martin, ou sept ans et demi comme dans Edwards. Le délai de 20 mois est important, mais il ne cause pas un préjudice indu à l’employeur.

[50] Avec égards, je ne suis pas d’accord avec la décision Copp. Je préfère l’approche dans la décision D’Alessandro : si le fonctionnaire n’est pas en faute, s’il a informé avec diligence son syndicat et contribué au dépôt de son grief, je ne vois pas comment en toute équité il devrait ensuite subir les conséquences des erreurs commises par l’agent négociateur. Je tiens compte de plusieurs facteurs ici : le temps écoulé, qui n’est pas excessif comme dans Martin ou Edwards, le fait qu’il s’agit d’un renvoi à l’arbitrage et non du dépôt du grief (l’employeur est donc informé), le fait que les demandeurs n’auraient pu agir seuls et donc dépendaient de l’action de l’agent négociateur.

[Je mets en évidence]

 

[46] Tous les facteurs mentionnés ci-dessus et sur lesquels la Commission s’est appuyée pour arriver à sa conclusion dans Barbe sont réunis dans le présent cas, à l’exception de la durée du retard qui est beaucoup plus courte en l’espèce – seulement six jours ouvrables. À ce titre, je crois que la même conclusion devrait être tirée. Le souci d’équité commande de toute évidence d’accorder une prorogation du délai.

[47] Pour tous ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[48] La demande de prorogation du délai pour présenter le grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs individuels est accueillie.

[49] L’objection concernant le non-respect du délai de présentation du grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs individuels est rejetée.

[50] Le grief dans le dossier 566-02-45595 sera mis au rôle afin que soit tenue une audience sur le fond en temps opportun.

Le 23 février 2023.

Traduction de la CRTESPF

Audrey Lizotte,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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