Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé est psychologue – il a présenté un grief concernant la suspension sans traitement de cinq jours qui lui avait été imposée – dans le cadre d’un examen des courriels que le fonctionnaire s’estimant lésé avait envoyés à ses collègues de travail, une enquête en milieu de travail a révélé qu’une situation de harcèlement avait eu lieu – l’employeur a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé avait enfreint la Directive du commissaire 060 – Code de discipline en commettant un harcèlement personnel, en étant abusif et en ne protégeant pas adéquatement les documents – la Commission n’a constaté aucune faute de conduite liée au harcèlement, à l’abus ou au défaut de protéger les documents – la Commission a conclu que quatre des courriels contestés soutenaient les conclusions de faute de conduite pour des communications discourtoises, en violation de la Directive du commissaire 060 – Code de discipline – cependant, le retard de l’employeur à imposer une mesure disciplinaire pour deux des courriels a constitué une tolérance d’une partie de la faute de conduite – la Commission a réduit la mesure disciplinaire à une suspension de quatre jours pour des communications discourtoises – lorsqu’elle a réduit la mesure disciplinaire, la Commission a tenu compte de la forme moins grave de faute de conduite et des réprimandes antérieures du fonctionnaire s’estimant lésé et de l’absence de remords à l’égard d’une communication.

Grief accueilli.

Contenu de la décision

Date: 20230220

Dossier: 566-02-09828

 

Référence: 2023 CRTESPF 20

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail dans

le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

ENTRE

 

Paul Ivanoff

 

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(Service correctionnel du Canada)

 

employeur

Répertorié

Ivanoff c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Edith Bramwell, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Tony Micallef-Jones et Kim Veller, avocats

Pour l’employeur : Adam C. Feldman, avocat

 

 

Affaire entendue par vidéoconférence

du 8 au 10 et le 30 novembre et les 1er et 2 décembre 2021.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Grief individuel devant la Commission

[1] Le 6 décembre 2012, le Dr Paul Ivanoff, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), psychologue à l’Établissement Fenbrook (l’« établissement ») situé à Gravenhurst, en Ontario, a été suspendu sans solde par son employeur, le Service correctionnel du Canada (l’« employeur »), à la suite d’une enquête indépendante portant sur une plainte de harcèlement déposée par Marta Mirecki (alors Marta Mirecki‑DeRoode), infirmière en santé mentale en établissement, aux Établissements de Beaver Creek et Fenbrook. L’enquête (l’« enquête de Quintet ») a abouti à un rapport daté du 30 juillet 2012 (le « rapport de Quintet »), dans lequel sont formulées deux conclusions de harcèlement. Le directeur de l’établissement a accepté les conclusions du rapport de Quintet et a imposé une suspension de cinq jours au fonctionnaire pour les quatre motifs suivants :

[Traduction]

[…]

[…] Je suis parvenu à la conclusion que vous avez enfreint les Règles de conduite professionnelle et la Directive du commissaire (DC) – 060 – Code de discipline du Service correctionnel du Canada. En particulier, vous avez enfreint les dispositions suivantes :

· 6g) omet de respecter ou d’appliquer une loi, un règlement, une directive du commissaire, un ordre permanent ou une autre directive quelconque ayant trait à ses fonctions;

· 10b) par ses paroles ou ses actes, est injurieux ou offensant envers d’autres employés pendant qu’il est de service ou dans des circonstances reliées à son travail;

· 10e) commet un acte de harcèlement, sexuel ou autre, ou de discrimination à l’endroit d’un autre employé;

· 18a) omet de garder en lieu sûr les documents, rapports, directives, manuels, guides ou autres renseignements du SCC […].

[…]

 

[2] La suspension de cinq jours a fait l’objet d’un grief déposé le 28 décembre 2012. Le 4 juin 2014, le fonctionnaire a renvoyé son grief à l’arbitrage, conformément à l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; LRTFP). Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013 ch. 40, art. 365) a été promulguée (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, qui a remplacé la Commission des relations de travail dans la fonction publique et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires contenues dans les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le Plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont également entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l’article 393 de la Loi no 2 sur le Plan d’action économique de 2013, une instance engagée au titre de la LRTFP avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la LRTFP, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le Plan d’action économique de 2013.

[3] Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et le titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et de la LRTFP pour qu’ils deviennent respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral.

[4] Pour les motifs qui suivent, le grief est accueilli en partie.

II. Résumé de la preuve

A. Aperçu

[5] La première conclusion de harcèlement formulée dans le rapport de Quintet est la suivante :

[Traduction]

[…]

L’allégation selon laquelle le Dr Ivanoff a harcelé Mme Mirecki‑DeRoode en lui adressant des courriels surlignés en gras et en rouge, empreints de sarcasme et offensants, et en lui donnant des directives inappropriées, est donc fondée. Si plusieurs des courriels déposés en preuve ne constituaient pas des actes de harcèlement, ceux datés du 8 avril 2011, (annexe B-5), du 16 mai 2011 (annexe B-9), du 27 mai 2011, (annexe C-1), du 30 mai 2011 (annexe B-11) et du 22 novembre 2011 (annexe B-13) en constituaient.

[…]

 

[6] La deuxième conclusion de harcèlement formulée dans le rapport de Quintet était fondée sur un seul courriel du 9 décembre 2011, jugé [traduction] « […] offensant, voire potentiellement dangereux pour Mme Mirecki-DeRoode ».

[7] Chacun des six courriels en cause (les « courriels contestés ») est reproduit intégralement plus loin dans la présente décision et y est mentionné comme suit :

• le courriel envoyé le 8 avril 2011 à Mme Mirecki, avec copie au Dr Joel Ginsburg (le « 1er courriel »);

• le courriel envoyé le 16 mai 2011, à Mme Mirecki et au Dr Ginsburg (le « 2e courriel »);

• le courriel envoyé le 30 mai 2011 au Dr Ginsburg, à Susan Groody, et à Heather Smith, avec copie à Louise Packer (le « 3e courriel »);

• le courriel envoyé le 30 mai 2011 à Mme Mirecki, avec copie à Joan McLeod (le « 4e courriel »);

• le courriel envoyé le 22 novembre 2011 à Mme Mirecki (le « 5e courriel »);

• le courriel envoyé le 9 décembre 2011 à Mme Groody, avec copie à trois autres personnes (le « 6e courriel »).

 

[8] La plupart des éléments de preuve documentaire à ma disposition étaient contenus dans un recueil conjoint de documents, lequel comprenait la Politique sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail du gouvernement du Canada, en vigueur au moment des événements qui ont donné lieu au grief (la « Politique »), et la Directive du commissaire 060 – Code de discipline de l’employeur.

[9] La définition suivante figure dans la Politique :

[…]

Harcèlement […]

se définit comme tout comportement inopportun et injurieux, d’une personne envers une ou d’autres personnes en milieu de travail, et dont l’auteur savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu’un tel comportement pouvait offenser ou causer préjudice. Il comprend tout acte, propos ou exhibition qui diminue, rabaisse, humilie ou embarrasse une personne, ou tout acte d’intimidation ou de menace. Il comprend également le harcèlement au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[10] Les parties ont présenté un énoncé conjoint des faits qui confirme que le fonctionnaire avait envoyé certains courriels, notamment les courriels contestés.

[11] Avant l’audience, l’agent négociateur a formulé une objection à l’égard du contenu des pages 248 à 250, 265 et 271 et 272 du recueil conjoint de documents soumis, au motif qu’il était assujetti au privilège des communications liées à un grief. L’employeur a admis l’objection concernant les pages 265, 271 et 272. L’agent négociateur s’est également opposé à la présentation des documents d’archives sur les mesures disciplinaires antérieures au motif que ces documents pouvaient être découverts avant l’audience et que leur divulgation la veille de l’audience était préjudiciable.

[12] L’employeur a fait remarquer que les pages 248 à 250 du recueil conjoint de documents portent sur une période antérieure au grief. Étant donné qu’il n’a pas été question de règlement dans le procès-verbal de l’audience disciplinaire, ce privilège ne peut être invoqué non plus. Sur le deuxième point, l’employeur a fait remarquer que les documents communiqués au représentant du fonctionnaire avant l’audience étaient les seuls documents encore disponibles portant sur des réprimandes antérieures, qui sont mentionnées dans le dossier à de nombreuses reprises, dans des circonstances dans lesquelles le grief remonte à 2012.

[13] J’ai accepté de recevoir en preuve les documents d’archives relatifs aux mesures disciplinaires antérieures, car ils sont pertinents et traitent de questions bien connues des parties. Les pages 248 à 250 du recueil conjoint de documents, qui sont antérieures au grief et ne sont donc pas assujetties au privilège, ont également été reçues en preuve.

[14] Les événements visés par le grief se sont produits entre le 8 avril 2011 (date du premier courriel contesté), et le 6 décembre 2012 (date de la mesure disciplinaire). Quatre témoins ont témoigné pour l’employeur : le Dr Ginsburg, qui a été, jusqu’en novembre 2011, chef du Service de psychologie (le « Service »), Christopher Rowntree, qui était, lors des événements en cause, membre du Service puis chef intérimaire de celui-ci, et Scott Tempest, qui était, lors des événements en cause, directeur de l’établissement. Mme Mirecki a également témoigné pour l’employeur.

[15] Le Dr Ginsburg et M. Rowntree ont commencé à travailler à l’établissement en tant que psychologues en 2002. Le Dr Ginsburg était le psychologue principal de l’établissement depuis 2007. M. Rowntree a accepté une série de postes intérimaires en tant que chef du Service de 2010 à 2012. Il est devenu psychologue en chef par intérim après la démission du Dr Ginsburg en 2011 et a occupé ce poste jusqu’en février 2012.

[16] Le fonctionnaire a témoigné en son propre nom. Il a terminé sa formation officielle, dans le cadre de laquelle il a notamment obtenu une maîtrise et un doctorat lorsqu’il vivait encore en Russie, pour entreprendre ensuite un travail clinique aux États-Unis. Au moment où la mesure disciplinaire a été imposée, il travaillait pour l’employeur depuis environ 11 ans, exclusivement à l’établissement.

[17] Dans l’ensemble, la preuve a permis de constater la mauvaise gestion du changement organisationnel au cours des événements visés par le grief et la profonde inefficacité du processus de résolution des conflits en milieu de travail à ce moment-là et au cours des années précédentes. Tous les témoins ont fait état d’une atmosphère de conflits interpersonnels et professionnels très marqués avant que les événements visés par le grief ne se produisent.

[18] À cette époque, l’établissement comptait quatre unités de détenus d’environ 100 résidents chacune. Le Service était composé du Dr Ginsburg, du fonctionnaire, de son épouse et collègue, la Dre Helen Kolobow, de Mme Mirecki, de M. Rowntree et de plusieurs contractuels. Le fonctionnaire a commencé à travailler avec Mme Mirecki en 2009, principalement dans les unités Edgewood (« E ») ou Granite (« G ») de l’établissement.

[19] Mme Mirecki et le fonctionnaire avaient à interagir essentiellement dans deux contextes : lors des réunions interdisciplinaires de l’équipe de santé mentale que le fonctionnaire présidait parfois (présidence partagée avec le Dr Ginsburg), et en ce qui concerne les [traduction] « renvois » évoqués par tous les témoins (les renvois des demandes de médicaments aux médecins et aux psychiatres). Ils interagissaient également lors des réunions du Service.

[20] Le Dr Ginsburg et M. Rowntree ont tous deux fait état de relations de travail très positives avec Mme Mirecki. En revanche, dans leurs témoignages, ainsi que dans plusieurs des courriels annexés au rapport de Quintet, il est fait état de conflits permanents entre le Dr Ginsburg et M. Rowntree et le fonctionnaire. En particulier, le Dr Ginsburg et M. Rowntree ont tous deux témoigné que le fonctionnaire avait tendance, à cette époque, à donner des conseils non sollicités sur divers sujets.

[21] Le rapport de Quintet indique que le Dr Ginsburg a qualifié le fonctionnaire d’injurieux, d’argumentatif, de présomptueux et de condescendant. Le Dr Ginsburg a indiqué que le fonctionnaire, dans son comportement général à son égard, dégradait et ne respectait pas son autorité de chef du Service. Le rapport de Quintet indique que le Dr Ginsburg estimait que le fonctionnaire l’intimidait depuis l’année 2005 au moins. M. Rowntree a reconnu ne pas avoir réussi à avancer dans la résolution des conflits de longue date au sein du Service après être devenu son chef par intérim à la fin de 2011.

[22] M. Tempest est devenu le directeur de l’établissement en juin 2008. Au moment des événements qui ont donné lieu au grief, il avait lu de nombreux courriels du fonctionnaire, dont le ton allait de la politesse et du professionnalisme au zèle et à l’insubordination. À son avis, les communications écrites du fonctionnaire étaient souvent grossières et acerbes, et les compétences professionnelles remarquables du fonctionnaire étaient souvent assombries par son comportement regrettable. M. Tempest ne partageait pas les mêmes préoccupations au sujet du Dr Ginsburg ou de M. Rowntree. Il ne les considérait pas comme les instigateurs des conflits au sein du Service.

[23] Mme Mirecki est une infirmière autorisée. Elle a commencé à travailler aux établissements Fenbrook et de Beaver Creek en 2009 et est devenue membre du Service au début de l’année 2010. Dans le cadre de ses fonctions, elle avait à s’occuper du triage des dossiers de santé mentale (c’est-à-dire qu’elle faisait avancer les dossiers des détenus en vue de leur traitement et de leur diagnostic par un psychiatre) et effectuait des consultations portant notamment sur les symptômes, les effets secondaires et les médicaments. Elle formait également les agents à la vigilance en matière de santé mentale. Même si elle ne pouvait pas administrer de médicaments, elle pouvait y avoir accès dans des situations très particulières.

[24] En 2009, Mme Mirecki est devenue la première titulaire du poste nouvellement créé d’infirmière en santé mentale au sein de l’établissement. Au début, de nombreux employés étaient déconcertés par ce nouveau poste. Selon Mme Mirecki, le fonctionnaire, en particulier, se demandait quelle serait la place de ce poste au sein du Service. Dans son témoignage, il a reconnu que les termes de sa relation professionnelle avec Mme Mirecki lui paraissaient flous. En tant que nouvelle membre de l’équipe, Mme Mirecki a vu dans le fonctionnaire un psychologue respecté et éloquent. Elle a fait de son mieux pour bien travailler avec lui.

[25] Le premier souvenir de Mme Mirecki concernant le fonctionnaire remonte à 2009. Lors d’une réunion, il l’avait alors pressée de fournir des renseignements qu’elle n’avait pas. Après cette rencontre, au cours de laquelle elle s’est sentie mise au défi et dépassée, elle a eu une crise de panique. Elle a discuté de l’incident avec sa superviseure de l’époque, Susan Groody, chef des Services de santé de l’Établissement Fenbrook, qui lui a conseillé [traduction] « de se reprendre et de repartir de l’avant ». Mme Mirecki en a déduit que c’était à elle de trouver un moyen de s’entendre avec les autres employés du Service, dont le fonctionnaire.

[26] Mme Mirecki a continué à considérer ses interactions avec le fonctionnaire comme difficiles après avoir rejoint le Service. Elle trouvait parfois son ton abrupt. Ses communications écrites et orales laissaient souvent entendre ou indiquaient qu’elle ne comprenait pas bien ses fonctions. Il lui semblait qu’il essayait souvent de se servir d’elle pour communiquer avec les psychiatres.

[27] À mesure que ces difficultés interpersonnelles se sont aggravées, Mme Mirecki a demandé conseil au Dr Ginsburg, qui a parfois fait office de tampon entre elle et le fonctionnaire. Elle a également fait part à David Ling, alors directeur par intérim, de ses conflits avec le fonctionnaire. M. Ling lui a conseillé de faire savoir clairement au fonctionnaire que ses courriels étaient offensants ou irrespectueux chaque fois qu’elle en recevrait de tels. Par la suite, Mme Mirecki a constaté qu’il était même difficile de dire bonjour au fonctionnaire. Il était sec et ne lui rendait pas toujours la politesse.

[28] En avril ou mai 2011, Mme Mirecki a entamé une discussion avec le fonctionnaire à la porte de son bureau. Elle était perturbée par les commentaires souvent critiques du fonctionnaire. Elle s’est excusée auprès de lui pour ce qu’il percevait comme ses erreurs et a fait ce qu’elle a pu pour apaiser le conflit. Cela n’a pas permis d’améliorer leur relation de travail.

[29] En mai 2011, une enquête disciplinaire (l’« enquête de Packer ») portant sur certains des courriels du fonctionnaire a été ouverte par Louise Packer, directrice adjointe de l’Établissement Fenbrook, à la suite de plaintes sur son comportement déposées par le Dr Ginsburg et Mme Mirecki. Mme Packer a interrogé le fonctionnaire et d’autres personnes dans le cadre de cette enquête. Le fonctionnaire a assisté à son entrevue avec son délégué syndical. Parallèlement à l’enquête de Packer, un processus de médiation en milieu de travail a été envisagé à titre provisoire. Le fonctionnaire s’est retiré de ce processus lorsqu’il a pris connaissance des plaintes déposées par le Dr Ginsburg et Mme Mirecki. L’enquête de Packer a été interrompue avant que le rapport disciplinaire qui en a résulté (le « rapport de Packer », dont des extraits sont annexés au rapport de Quintet) ne soit communiqué au fonctionnaire. L’enquête de Packer n’a donné lieu à aucune mesure disciplinaire. En fin de compte, le rapport de Quintet a conclu que l’un des courriels examinés dans le cadre de l’enquête de Packer (2e courriel) constituait du harcèlement.

[30] Le 1er juin 2011, Mme Mirecki a envoyé un courriel au fonctionnaire pour lui faire part de son profond mécontentement à l’égard de son style de communication, qu’elle trouvait offensant, gênant et intimidant. Elle a fait un résumé du préjudice que cela lui causait. Elle a notamment évoqué ses sarcasmes, ses mises en forme et sa façon de distribuer les courriels. Elle a également dit espérer que des méthodes informelles de résolution des conflits pourraient améliorer le ton des communications au sein du Service. Elle a fait remarquer qu’à l’époque, elle n’avait pas connaissance d’une plainte formelle déposée en son nom et toujours en vigueur.

[31] Le Dr Ginsburg a déclaré que, en fin de compte, le fonctionnaire l’avait [traduction] « épuisé ». Son sentiment de futilité et d’impuissance transparaît dans un courriel du 21 juin 2011 dans lequel il déclare qu’il ne peut être responsable d’assurer un milieu de travail exempt de harcèlement parce que, malgré tous ses efforts, il ne peut pas maîtriser le comportement du fonctionnaire. Le Dr Ginsburg a témoigné que, même s’il avait pu essayer d’avoir des discussions informelles avec le fonctionnaire au sujet des courriels contestés, à son avis, cela aurait été [traduction] « une catastrophe ».

[32] Le 15 août 2011, Mme Mirecki a engagé une conversation avec le fonctionnaire, et ils ont fait une promenade ensemble. Elle lui a fait part de son mécontentement quant à l’utilisation de polices de caractères rouges dans ses courriels. Il lui a demandé s’il pouvait utiliser du vert à la place, et elle a répondu que cette solution serait bonne. Selon le souvenir du fonctionnaire, qui ne correspond pas à celui de Mme Mirecki, il s’est excusé auprès d’elle à ce moment-là et à d’autres moments également, lorsque des préoccupations similaires ont été portées à son attention.

[33] En septembre 2011, Joan McLeod, médiatrice de conflits à l’administration régionale, a organisé une médiation de cinq jours (la « médiation de McLeod ») pour tenter de résoudre les conflits au sein du Service. Le rapport de Quintet indique que M. Rowntree a décrit la médiation de McLeod comme une [traduction] « fosse aux serpents », le fonctionnaire et d’autres personnes formant un clan qui critiquait sans relâche le Dr Ginsburg. M. Rowntree a également décrit l’ensemble du groupe comme se comportant [traduction] « […] comme des chiens fous prêts au carnage ».

[34] Après que le Dr Ginsburg a perdu ses moyens pendant la médiation de McLeod et n’est pas retourné au travail, Mme Mirecki a cessé de croire que les conflits au sein du Service pourraient être résolus de façon informelle. Le Dr Ginsburg a témoigné que son conflit avec le fonctionnaire était la principale raison de sa démission de l’établissement. Dans sa lettre de démission, il a évoqué les disputes qui avaient cours avec le fonctionnaire, le Dr Kolobow et le Dr Gil Ansah (un contractuel du Service). Après la médiation de McLeod, il a semblé à Mme Mirecki que le contenu des courriels du fonctionnaire s’était encore plus dégradé. Elle a choisi de déposer une plainte pour harcèlement après avoir reçu le 6e courriel parce qu’à son avis, personne ne pouvait lire le 6e courriel sans comprendre qu’il était inacceptable; elle savait que le 6e courriel [traduction] « engendrerait des suites ». À ce moment-là, le conflit a eu des répercussions importantes sur sa santé mentale et physique.

[35] La personne qui l’a aidée à déposer la plainte de harcèlement a retenu les courriels du fonctionnaire dans lesquels le harcèlement semblait le plus évident parmi ceux que Mme Mirecki a fournis. Il a été expliqué à Mme Mirecki que, pour que la plainte de harcèlement aboutisse, le harcèlement devait être prouvé [traduction] « hors de tout doute raisonnable ». Le 10 janvier 2012, Mme Mirecki a déposé sa plainte de harcèlement. L’enquête sur la plainte de harcèlement de Mme Mirecki est résumée dans le rapport de Quintet.

[36] Au moment de l’enquête de Quintet, le fonctionnaire a déclaré qu’il considérait les allégations de Mme Mirecki sans fondement et de mauvaise foi et qu’il croyait que le Dr Ginsburg se servait de Mme Mirecki pour faire connaître ses frustrations.

[37] À l’époque de l’envoi du 6e courriel et de l’enquête subséquente de Quintet, M. Rowntree a envisagé de déposer une plainte de harcèlement contre le fonctionnaire en invoquant, en partie, des courriels offensants. La plainte n’a jamais été déposée.

[38] Au cours des événements qui ont entraîné la mesure disciplinaire, Mme Mirecki a témoigné s’être sentie rabaissée, dépréciée et humiliée par le fonctionnaire. Les commentaires de ce dernier étaient troublants et injustifiés. Mme Mirecki a tenté à plusieurs reprises de lui demander d’arrêter, notamment par des courriels faisant explicitement état de son mécontentement (comme ceux du 1er juin et du 28 novembre 2011), avant de déposer sa plainte de harcèlement. Le fonctionnaire a été interrogé en contre-interrogatoire pour savoir s’il avait fait fi de la souffrance de Mme Mirecki pendant cette période. Il a répondu qu’il ne s’était pas rendu compte qu’elle souffrait ou que, si elle souffrait, ce n’était pas à cause de lui. Il a également dit qu’il s’était depuis excusé pour tout préjudice qu’il aurait pu causer.

[39] Au fur et à mesure que le processus de plainte de harcèlement se déroulait et que la situation se détériorait, Mme Mirecki était de plus en plus accablée et stressée. Elle a témoigné qu’en fin de compte, elle regrettait d’avoir porté plainte. Après avoir beaucoup réfléchi, elle en est venue à croire que le comportement du fonctionnaire à son égard pendant les événements ayant donné lieu à la mesure disciplinaire n’était pas spécialement dirigé contre elle. Elle a témoigné qu’avec le temps, elle avait fini par comprendre que les tensions au sein du Service étaient dues au changement et à l’incertitude qui touchaient un groupe déjà en conflit.

[40] Mme Mirecki a témoigné que sa relation avec le fonctionnaire et sa femme s’était alors améliorée, et qu’elle trouvait pénible de retracer les événements à l’origine du grief. Elle avait des doutes quant à savoir si la suspension de cinq jours avait eu un effet positif sur le fonctionnaire dans les années qui ont suivi la mesure disciplinaire. Elle craignait que le processus d’audience de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») ne nuise à sa relation de travail avec le fonctionnaire.

[41] Le fonctionnaire ne considérait pas, et ne considère toujours pas, qu’il a fait ou fait preuve d’insubordination, mais plutôt qu’il suit attentivement les directives de son superviseur. Lorsqu’il constatait des éléments problématiques, il les dénonçait, conformément à son obligation envers les patients et à ses devoirs en vertu de sa licence professionnelle. Selon lui, une critique fondée sur le plan professionnel n’est pas de l’insubordination. Il regrette maintenant le style et le ton de certains des courriels contestés, mais les remarques qu’il a faites étaient, à son avis, toujours nécessaires sur le plan professionnel. Ses communications étaient liées au travail et orientées vers un objectif. Il n’a jamais blâmé Mme Mirecki pour les conflits au sein du Service. Il n’a jamais eu l’intention d’abaisser ou de déprécier qui que ce soit.

[42] Le fonctionnaire a admis que, dans les six courriels contestés, il n’a pas abordé Mme Mirecki pour entamer une discussion informelle avant de lui écrire ou d’écrire à son propos. Il a reconnu qu’elle lui avait demandé à plusieurs reprises de ne pas envoyer de courriels désagréables.

B. Mesures disciplinaires antérieures et évaluations du rendement

[43] Compte tenu du temps écoulé, il n’est pas surprenant que les témoins se souviennent vaguement, au mieux, des mesures disciplinaires antérieures. Les documents d’archives présentés en preuve ont confirmé que le fonctionnaire avait fait l’objet de mesures disciplinaires par voie de réprimande écrite à deux occasions, une fois pour un incident de faute de conduite survenu le 19 octobre 2010, pour [traduction] « recours persistant à des communications négatives avec/au superviseur et un collègue, engendrant un environnement de travail négatif », et une autre fois pour un incident survenu le 19 juin 2012, pour des motifs non précisés portant la mention [traduction] « abus, menaces ou agressions ». Les dossiers indiquent que les deux réprimandes écrites ont été purgées des dossiers de l’employeur en 2016, et qu’elles n’ont pas été produites en preuve devant moi.

[44] Le Dr Ginsburg était le gestionnaire dont le nom figurait dans le document contenant les données d’archives relatives à l’incident du 19 octobre 2010. Bien que son souvenir des réprimandes écrites était vague, il était convaincu qu’il n’aurait pas émis une réprimande écrite sans motif. Il se souvenait clairement que le fonctionnaire avait été [traduction] « abasourdi » par la réprimande qu’il avait reçue et que celle-ci n’avait eu aucune incidence sur son comportement. La gestionnaire dont le nom figurait dans le document contenant les données archivées relatives à l’incident du 19 juin 2012 était Lisa Ling, qui n’a pas témoigné.

[45] Le fonctionnaire a reconnu en contre-interrogatoire qu’il avait déjà reçu des réprimandes écrites et que son style de communication problématique avait été évoqué dans ses évaluations du rendement. Son rapport d’évaluation du rendement (« RER ») pour la période se terminant le 31 octobre 2012 fait état de la nécessité persistante d’améliorer ses communications électroniques, écrites et verbales de façon à ce qu’elles expriment systématiquement le respect des autres. Le RER indique également que l’objectif de respecter les personnes en limitant la diffusion des communications aux personnes qui doivent impérativement en prendre connaissance n’a pas été respecté. Le RER du fonctionnaire pour la période se terminant le 21 octobre 2011 a indiqué que les communications avec les collègues devaient être améliorées par rapport à celles dont faisait état le RER précédent. Ce RER faisait aussi état de communications verbales et électroniques déplacées, dont certaines étaient partagées avec des personnes qui n’avaient pas besoin d’en connaître le contenu. Le RER pour la période se terminant en 2010 a indiqué que le fonctionnaire n’avait pas toujours assumé la responsabilité du style, du contenu et de la distribution de ses communications électroniques. Il n’était pas d’accord avec certains éléments de tous ces RER lorsqu’ils ont été produits.

[46] Dans son témoignage, M. Rowntree a évoqué une situation dans laquelle le fonctionnaire l’avait critiqué, à son avis injustement, après avoir assumé certaines des responsabilités de M. Rowntree en son absence. M. Rowntree a témoigné que le fonctionnaire avait partagé avec le détenu des commentaires à son sujet qui étaient embarrassants, qui dépréciaient son travail et qui étaient trompeurs et inexacts. Un courriel de 2010 annexé au rapport de Quintet relate cet incident. M. Rowntree l’a décrit comme un [traduction] « combat futile » entre deux psychologues. Il a également rappelé que le fonctionnaire n’avait montré que peu ou pas de remords lors d’une réunion d’une heure destinée à discuter de ces commentaires critiques. Selon le souvenir de M. Rowntree, lorsque les préoccupations ont été exposées lors de la réunion, le fonctionnaire n’a pas été hostile, mais il n’a pas reconnu que ses commentaires étaient déplacés. M. Rowntree a décrit cette expérience comme étant tout à fait semblable aux expériences vécues par Mme Mirecki à la suite de la réception du 6e courriel.

[47] Le Dr Ginsburg a confirmé en contre-interrogatoire que le fonctionnaire n’avait pas été conseillé, sanctionné ou réprimandé en raison de l’un ou l’autre des courriels contestés lorsqu’ils ont été envoyés.

C. L’entrevue disciplinaire

[48] M. Tempest estimait avoir eu une bonne conversation avec le fonctionnaire lors de l’entrevue disciplinaire du 1er novembre 2012, mais la réaction du fonctionnaire lors de l’entrevue avait démontré la nécessité d’apporter une correction supplémentaire. La déclaration du fonctionnaire selon laquelle il ne se souciait pas de la réaction des autres employés a figuré dans la décision disciplinaire finale. M. Tempest a été surpris par le manque d’empathie du fonctionnaire, étant donné qu’il est psychologue. M. Tempest pensait que les gens seraient choqués de constater que tant de conflits se produisaient au sein du Service et parmi des personnes expertes en empathie, en émotions et en comportement humain.

[49] Le fonctionnaire a témoigné qu’il était prêt à accepter une forme de sanction pour son style de communication lors de l’entrevue disciplinaire. Il n’avait pas voulu être impoli ou inconvenant, même si, au moment de l’entrevue, il en était venu à comprendre comment les autres pouvaient percevoir son comportement de cette façon. Il a reconnu que l’une des raisons pour lesquelles il ne voulait pas qualifier son comportement de harcèlement était les répercussions sur sa licence de psychologue professionnel.

[50] Dans son témoignage, le fonctionnaire a replacé dans son contexte la remarque selon laquelle il ne se souciait pas des réactions des autres. Il a témoigné qu’il se souciait d’abord et avant tout de ses patients et des politiques relatives à leurs soins et à leur sécurité, ce qui explique pourquoi il a donné des exemples de violations. Au moment de l’entrevue disciplinaire, sa position initiale à l’égard de la mauvaise foi et de la plainte de harcèlement de Mme Mirecki avait changé; il a reconnu qu’il l’avait peut-être blessée. Il a continué à croire que le Dr Ginsburg n’avait pas fait grand-chose pour apaiser les nombreuses tensions au sein du Service.

[51] Autant que le fonctionnaire s’en souvienne, lors de l’entrevue disciplinaire, celui-ci a déclaré que les tâches figurant dans sa description de travail étaient sa priorité. Par exemple, lorsqu’il a constaté qu’un détenu atteint de troubles mentaux vivait pendant neuf jours dans des conditions misérables, cette situation est devenue sa priorité professionnelle. Ce que les autres pensaient de son intervention était secondaire. Le fonctionnaire a témoigné que, selon lui, certaines personnes sont portées sur les relations et d’autres sur le travail. Lui se concentre sur le travail.

D. Les courriels contestés

1. 1er courriel – 8 avril 2011

[52] Le 1er courriel se lit comme suit :

[Traduction]

 

De : Ivanoff Paul (ONT)

Envoyé : Le vendredi 8 avril 2011, à 14 h 59

À : Mirecki-DeRoode Marta (ONT)

Cc : Ginsburg Joel (ONT)

Objet : La plainte de Marta

 

Bonjour Marta,

 

Voici un élément surprenant qui vient s’ajouter à notre discussion d’hier :

 

J’ai appris avec peine aujourd’hui, par notre superviseur, le Dr Joel Ginsburg, PS4, que vous vous êtes récemment plainte de moi à propos de mon courriel daté du 10 mars 2011 à 10 h 35 (copié ci-dessous) dans lequel je partageais mon opinion clinique et donnais une recommandation sans vous consulter.

Le Dr Joel Ginsburg m’a informé que vous êtes en colère après moi et que vous attendez de moi que je vous consulte à l’avenir avant de donner mes recommandations sur les cas de détenus avec lesquels vous avez/aviez des contacts cliniques.

En tant que superviseur, le Dr Ginsburg soutient votre plainte et considère ma démarche comme étant mauvaise.

Même si le Dr Ginsburg n’était pas disposé à émettre une note de service pour l’ESMF qui obligerait les psychologues autorisés à consulter les infirmières autorisées avant de partager des opinions/recommandations cliniques, il a donné cet ordre et je dois donc y obéir (au moins pendant le traitement de mon grief subséquent).

Par conséquent, pour me conformer à l’ordre du Dr Ginsburg, veuillez me fournir chaque semaine une liste des détenus avec lesquels vous êtes (ou prévoyez d’être) en contact clinique.

 

Je vous remercie.

Paul

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[53] Mme Mirecki et le Dr Ginsburg ont indiqué que le fonctionnaire avait couramment recours aux caractères gras, rouges et en italique ([traduction] « sans vous consulter » (en rouge), [traduction] « […] psychologues pour consulter des infirmières autorisées […] » et [traduction] « […] au moins pendant le traitement de mon grief subséquent […] »). Le témoignage du Dr Ginsburg a confirmé qu’il s’attendait effectivement à ce que le fonctionnaire consulte Mme Mirecki, comme indiqué dans le 1er courriel.

[54] Dans leurs témoignages, Mme Mirecki et le Dr Ginsburg ont exprimé des critiques quant au ton global du 1er courriel. Le Dr Ginsburg a jugé inopportuns l’allusion à un éventuel grief et les mots [traduction] « appris avec peine ». Il a interprété le commentaire selon lequel il n’était pas disposé à publier une note de service sur ses attentes comme un affront à son pouvoir de gestion, une critique également exprimée par Mme Mirecki. En contre-interrogatoire, le Dr Ginsburg n’a pas pu se rappeler s’il avait discuté de la situation avec le fonctionnaire.

[55] Mme Mirecki a témoigné que les mots [traduction] « appris avec peine » étaient empreints de sarcasme. Contrairement au Dr Ginsburg, qui avait indiqué qu’il s’attendait à ce que le fonctionnaire consulte Mme Mirecki, celle-ci a déclaré que personne n’était tenu de la consulter. À son avis, le 1er courriel contenait des [traduction] « chevauchements » trompeurs. Selon elle, le but réel du 1er courriel était de la mettre au défi, ainsi que le Dr Ginsburg, et, en fait, de [traduction] « lancer les hostilités ». Dans son témoignage, elle a indiqué qu’elle ressentait toujours une forte émotion à la lecture des mots « […] il a donné cet ordre et je dois donc y obéir […], même neuf ans après.

[56] Le fonctionnaire a témoigné avoir éprouvé de la peine, comme l’indique le 1er courriel, parce que Mme Mirecki aurait dû s’adresser à lui directement, et non pas se plaindre à un superviseur. Il a indiqué que son utilisation du mot [traduction] « peine » n’était pas une forme de sarcasme. Pour suivre les instructions du Dr Ginsburg, il devait consulter la liste des clients de Mme Mirecki. Il a été surpris qu’elle ait trouvé cette demande menaçante. Selon le fonctionnaire, le 1er courriel avait deux objectifs. Le premier était de demander des renseignements à Mme Mirecki. Le second était de dire au Dr Ginsburg que, même s’il n’était pas d’accord avec l’ordre donné par ce dernier, il s’y conformerait, comme il se doit, pendant le traitement de son grief.

[57] De l’avis du fonctionnaire, les instructions du Dr Ginsburg ont violé de nombreux règlements. En vertu de sa licence professionnelle, le fonctionnaire ne pouvait être tenu de consulter une infirmière avant de formuler une recommandation. À son avis, c’est la raison pour laquelle le Dr Ginsburg n’avait pas voulu émettre une note de service, confirmant par écrit cette instruction inopportune. Les passages en gras, en rouge et en italique du 1er courriel visaient à attirer l’attention sur ce point, et les mots [traduction] « sans vous consulter » ont été écrits en rouge parce qu’ils constituaient la substance même de l’instruction du Dr Ginsburg. Un grief déposé à cet égard a été rejeté au premier palier et a ensuite été abandonné ou retiré.

[58] En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a témoigné que le sarcasme exprimé dans le 1er courriel visait le Dr Ginsburg. Bien que Mme Mirecki ait affirmé que personne n’avait à la consulter, le Dr Ginsburg avait indiqué le contraire. Le fonctionnaire ne considère pas avoir été critique à l’égard de Mme Mirecki dans le 1er courriel. Il était obligé de suivre les instructions de son superviseur et a donc exigé la liste des détenus avec lesquels Mme Mirecki était en contact clinique.

2. 2e courriel – le 16 mai 2011

[59] Le 2e courriel se lit comme suit :

[Traduction]

 

De : Ivanoff Paul (ONT)

Envoyé : Le lundi 16 mai 2011 à 10 h 45

À : Mirecki-DeRoode Marta (ONT); Ginsburg Joel (ONT)

Objet : « travail d’équipe » [« tem work » dans l’original] […] OBJET : [caviardé]

 

Marta :

Votre réticence à répondre à ma demande de renseignements (ci‑dessous) – semble être un autre exemple de notre « travail d’équipe » [« tem work » dans l’original] défaillant […]

Dr Ginsburg, chef de la psychologie :

Pour votre information et au cas où des mesures doivent être prises :

Il m’a été révélé vendredi, lorsque j’ai assuré le service en l’absence de Chris, que [caviardé], depuis son retour à l’ESMF, est resté simplement assis dans la cellule d’observation pendant 9 jours sans aucune intervention :

- Il ne recevait pas de pharmacothérapie de la part des services de santé;

- Il ne recevait pas de psychothérapie de la part du service de psychiatrie (les « contrôles » quotidiens de 5 minutes effectués par le psychologue qui lui a été assigné ne constituent pas une thérapie).

9 jours de « surveillance accrue du risque de suicide » dans une cellule d’observation et sans aucun traitement – cela ne me semble pas être une « bonne pratique ».

 

Merci.

Dr Ivanoff, PS-3

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[60] Le 2e courriel s’inscrit dans une série de courriels envoyés à partir du 13 mai 2011, date à laquelle le fonctionnaire a interrogé Mme Mirecki sur l’état du traitement médicamenteux d’un détenu. Mme Mirecki, bien qu’elle ait assisté à une réunion à l’Établissement de Beaver Creek ce jour-là, était alors en congé de maladie, ce que ne savait pas le fonctionnaire.

[61] Le fonctionnaire a témoigné que le 2e courriel portait sur un patient de M. Rowntree placé en cellule d’observation, ou [traduction] d’« obs ». Une cellule d’observation mesure 12 pieds de long et 12 pieds de large, et on y trouve seulement un matelas à même le sol et une toilette. Le détenu était placé sous surveillance accrue du risque de suicide. Il portait uniquement une jaquette en tissu indéchirable et recevait des aliments à manger avec les doigts, servis sans ustensiles à travers une ouverture. Il n’avait pas le droit aux livres, à la radio ou à la télévision, ni de faire de l’exercice ou de prendre une douche. Un agent correctionnel observait le détenu directement depuis une fenêtre interne 24 heures par jour.

[62] Le fonctionnaire a été profondément troublé de constater que le détenu était dans cet état depuis neuf jours, qu’il n’était pas rasé, qu’il ne prenait pas de médicaments et qu’il n’avait reçu aucune visite de traitement psychiatrique. Le fonctionnaire a témoigné qu’un séjour de cette durée dans une cellule d’observation était très inhabituel. Les personnes souffrant de problèmes de santé mentale complexes étaient généralement envoyées au centre régional de traitement. La référence à la [traduction] « bonne pratique » contenue dans le 2e courriel s’adressait à M. Rowntree.

[63] Dans leurs témoignages, le Dr Ginsburg et Mme Mirecki ont tous deux déclaré que l’utilisation du terme [traduction] « réticence » était injuste. Le fonctionnaire aurait pu directement parler avec Mme Mirecki, au lieu d’envoyer un courriel, pour résoudre le problème. On ne lui avait pas demandé son avis sur ce détenu. Mme Mirecki a trouvé que les commentaires du fonctionnaire sur la situation étaient inexacts et excessifs. L’expression sarcastique « tem [sic] work » [travail d’équipe] a été qualifiée par elle de [traduction] « petite pique ».

[64] En ce qui concerne le mot [traduction] « réticence », le fonctionnaire a témoigné que le centre régional de traitement avait indiqué que le détenu s’était fait prescrire du lithium. Le service des soins de santé avait hésité à exécuter l’ordonnance en raison de difficultés techniques. Le fonctionnaire a estimé que Mme Mirecki évitait de s’impliquer dans un conflit potentiel entre le Centre régional de traitement et le service des soins de santé.

[65] L’extrait du rapport de Packer annexé au rapport de Quintet contient des informations contradictoires à cet égard. Le rapport de Packer indique que, lorsque le fonctionnaire a été interrogé, il n’aurait pas dû indiquer que Mme Mirecki avait menti lorsqu’elle a dit que l’ordonnance ne figurait pas au dossier, car la feuille d’ordonnance qui figurait au dossier de l’établissement était effectivement vierge. L’extrait du rapport de Packer indique également que des courriels de John Eastabrook du centre régional de traitement indiquaient que le détenu disposait d’une ordonnance pour trois médicaments. Mme Mirecki était en copie de ces courriels.

[66] Le fonctionnaire était sérieusement préoccupé par le fait qu’un détenu était resté dans une cellule d’observation, sans intervention, pendant neuf jours. Le fonctionnaire n’a pas considéré que son observation selon laquelle le détenu était resté neuf jours sans intervention était trompeuse. À son avis, rien de ce qui a été fait auprès du détenu ne pouvait véritablement être qualifié d’intervention. Par intervention, on entend un traitement, des médicaments et une thérapie, et non les brèves visites d’un agent de libération conditionnelle ou d’une infirmière. Les brèves visites que lui et M. Rowntree ont rendues au détenu pendant ces neuf jours, communiquant généralement par le biais de l’ouverture destinée à la distribution de nourriture, étaient uniquement destinées à l’évaluer. Ces visites ne pouvaient pas être qualifiées d’interventions ou de traitements.

[67] Le fonctionnaire a estimé que le terme [traduction] « réticence » traduisait exactement sa perception de la conduite de Mme Mirecki au cours de cette période. Elle n’avait pas répondu à ses demandes répétées de renseignements sur l’état des médicaments administrés au détenu pendant trois jours (du 13 au 16 mai 2011). Pendant cette période, le détenu était dans la petite cellule, à même le sol, sans pouvoir faire d’exercice ou avoir une hygiène normale, et une odeur nauséabonde se dégageait.

3. 3e courriel – le 30 mai 2011

[68] Le 3e courriel comprenait une pièce jointe. Le courriel se lit comme suit :

[Traduction]

 

De : Ivanoff Paul (ONT)

Envoyé : Le lundi 30 mai 2011 à 13 h 55

À : Ginsburg Joel (ONT); Groody Sue (ONT); Smith Heather (ONT)

Cc : Packer Louise (ONT)

Objet : NOTE Objet : RESM à Fenbrook

 

Bonjour,

Veuillez trouver ci-joint une note concernant la RESM à Fenbrook.

Merci de votre attention.

 

Dr Ivanoff

Psychologue

Président de la ½ des réunions de l’ESM à l’ESMF

 

[69] La pièce jointe se lit comme suit :

[Traduction]

OBJET : représentation du service des soins de santé à la RESM

À l’attention de la direction de l’ESMF et en cas de mesures à prendre (psychologie/soins de santé/intervention) concernant la conduite de l’équipe de santé mentale (DC 850) :

Au cours de la réunion de l’équipe de santé mentale du 26 mai 2011 à l’unité G, Marta Mirecki-DeRoode, membre de l’équipe et infirmière psychiatrique des services de santé mentale de l’établissement (SSME), a fait preuve de réticence à l’égard de deux renvois de l’équipe de santé mentale :

1. Mme Mirecki-DeRoode a refusé d’accepter un nouveau renvoi de la part d’un agent de libération conditionnelle pour évaluer un patient du service des soins de santé dont les médicaments psychotropes avaient été récemment modifiés et qui avait récemment informé cet agent de libération conditionnelle de l’augmentation de ses symptômes psychiatriques.

Explication fournie :

[Traduction] « Je n’ai pas le temps pour lui […] »

2. Mme Mirecki-DeRoode n’a pas donné suite au renvoi décidé lors de la précédente réunion de l’équipe de santé mentale à l’unité G (2011-04-07) afin d’évaluer le comportement d’un patient du service des soins de santé sous traitement psychotrope.

Explication fournie :

[Traduction] « Je n’ai pas fait son évaluation – j’ai seulement eu une discussion avec lui […] »

Une telle attitude professionnelle de l’infirmière psychiatrique des SSME, Marta Mirecki-DeRoode, semble constituer :

a) une violation de la DC 850 – Services de santé mentale

b) une violation de la description de travail de l’infirmière psychiatrique des SSME (du moins de la manière dont elle a été initialement expliquée à l’équipe interdisciplinaire de santé mentale de l’ESMF)

c) une violation des règles de conduite communes attendues lors des réunions interdisciplinaires de l’équipe de santé mentale.

 

Merci de votre attention et des mesures qui seront prises, le cas échéant.

 

Dr Paul Ivanoff, C. Psych

Président de la réunion de l’équipe de santé mentale

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[70] Le 3e courriel n’a pas été envoyé à Mme Mirecki. Le Dr Ginsburg a confirmé dans son témoignage que la pièce jointe avait été envoyée à toute la hiérarchie de Mme Mirecki (y compris à la directrice adjointe, Mme Packer) ainsi qu’à la personne chargée de superviser les agents de libération conditionnelle et au chef des soins de santé, malgré le fait que Mme Mirecki était autorisée à exercer de façon autonome. Le Dr Ginsburg a confirmé dans son témoignage qu’il estimait que Mme Mirecki avait le pouvoir discrétionnaire de décider des renvois à traiter et qu’elle pouvait le consulter, si nécessaire, une approche également reprise dans le rapport de Quintet.

[71] De l’avis du Dr Ginsburg, le fait que le fonctionnaire se soit présenté comme le [traduction] « président de la ½ des réunions de l’équipe de santé mentale de l’ESMF » traduisait du sarcasme et de la colère. Le Dr Ginsburg a admis qu’il ne se souvenait pas d’avoir pris des mesures disciplinaires contre le fonctionnaire pour ce courriel ou d’en avoir discuté avec lui.

[72] Le fonctionnaire a témoigné que ce message avait pour but d’alerter l’administration de l’établissement d’une situation intenable. Le niveau de participation de Mme Mirecki, en tant que représentante du service des soins de santé à ces réunions interdisciplinaires, posait problème. Elle n’était pas préparée à la première réunion et n’avait pas été en mesure de répondre aux questions concernant les détenus. Le fonctionnaire avait déjà dit au Dr Ginsburg que Mme Mirecki ne savait pas qu’elle devait assister à la réunion en apportant les renseignements nécessaires sur les détenus, dans une tentative informelle de résoudre le problème. Le fonctionnaire a trouvé préoccupant qu’elle n’assiste pas aux réunions en raison de conflits d’horaire. En tant que président occasionnel, le fonctionnaire s’est senti obligé de veiller au bon déroulement des réunions. Il voulait obtenir des conseils et une orientation à cet égard.

[73] Trois services prenaient part aux réunions de l’équipe de santé mentale. La note de service était adressée aux trois chefs de service et à Mme Packer, directrice adjointe par intérim, de qui relevait le Dr Ginsburg. Une copie de la note de service a également été envoyée à Mme Smith, la superviseure des agents de libération conditionnelle, car le fonctionnaire était au courant des plaintes des agents de libération conditionnelle concernant les renvois aux Services de santé. Il tenait à ce que Mme Smith sache qu’il essayait de résoudre ces problèmes. Dans la ligne d’objet, il a indiqué [traduction] « attention et éventuelles mesures à prendre » afin de reconnaître qu’il ne pouvait dicter à la direction les mesures à prendre.

[74] Interrogée sur la question de savoir si, en tant que professionnelle autorisée, elle pouvait refuser d’effectuer un renvoi, Mme Mirecki a répondu que, bien que cela puisse être conforme à la lettre de la loi, elle n’a jamais refusé un renvoi. Il lui est arrivé de retarder ou de différer des renvois. Elle a ajouté que la direction a pu penser qu’elle était autonome et qu’elle pouvait donc choisir les renvois à accepter, mais ce n’était pas le cas. Les règlements l’empêchaient de refuser d’en effectuer un.

[75] Mme Mirecki a témoigné que le président de l’équipe de santé mentale était en réalité le Dr Ginsburg. Même si le fonctionnaire présidait parfois des réunions, cela ne faisait pas de lui un membre de la direction. Elle a estimé que sa signature était empreinte de sarcasme et de colère. Elle considérait les commentaires à son sujet comme excessifs. Son rôle n’était pas de la diriger. La déclaration selon laquelle elle n’avait [traduction] « pas le temps » pour un patient a été sortie de son contexte. Mme Mirecki n’avait pas eu l’occasion d’aborder ces questions avant l’envoi du 3e courriel à la direction. Elle a considéré cela comme indiscret et comme une remise en cause de son autorisation professionnelle.

[76] Le fonctionnaire a également déclaré qu’il ne pensait pas que Mme Mirecki aurait pu refuser un renvoi. D’après ce qu’il comprenait, les renvois devaient être traités dans les cinq jours. C’était le travail de Mme Mirecki de faire en sorte que les renvois qu’elle recevait soient traités. Il a souligné le sérieux et l’importance de tous les renvois et s’est dit expressément en désaccord avec la conclusion du rapport de Quintet à cet égard.

[77] Le fonctionnaire était d’avis qu’il n’aurait pas pu faire preuve d’une plus grande discrétion dans les circonstances. Que ces préoccupations aient été exprimées dans une note de service ou lors d’une réunion, le même niveau de confidentialité s’imposait. À ce moment-là, la question avait déjà été discutée de nombreuses fois. Sa licence professionnelle exige qu’il traite de telles violations dès qu’elles se présentent. Le fonctionnaire a confirmé en contre-interrogatoire qu’il n’avait pas fait part de ses préoccupations à Mme Mirecki à l’avance.

4. 4e courriel – le 30 mai 2011

[78] Le 4e courriel, envoyé le même jour que le 3e courriel, se lit comme suit, et comporte des notes manuscrites inscrites dans la marge par Mme Mirecki : [traduction] « Je trouve ceci menaçant » (répété deux fois), et [traduction] « Ce courriel comporte des passages surlignés en rouge » [le passage en évidence l’est dans l’original] :

[Traduction]

 

De : Ivanoff Paul (ONT)

Envoyé : Le lundi 30 mai 2011 à 18 h 22

À : Mirecki-DeRoode Marta (ONT)

Cc : McLeod Joan (ONT)

Objet : OBJET : La plainte de Marta

 

Bonjour Marta,

Je suis tout à fait d’accord avec vous pour dire que la situation au Service de psychologie de Fenbrook est intenable. Tout comme vous, je ne veux plus travailler dans un environnement où je fais l’objet d’un harcèlement permanent.

J’ai essayé de résoudre ce problème avec l’aide de Joan McLeod (Médiation, Administration) – pour établir une communication en vue d’une résolution informelle.

 

Malheureusement, la semaine dernière, la direction de l’ESMF a choisi d’interrompre la voie de la médiation et de prendre des mesures officielles.

Ainsi, ce jeudi à 13 h, je suis invité à assister à une [traduction] « réunion disciplinaire » pour répondre à votre plainte officielle et à celle de Chris concernant ma [traduction] « conduite non professionnelle ».

Vous avez décidé de passer aux actes [traduction] « officiels ».

la direction de l’ESMF l’approuve,

qu’il en soit donc ainsi […]

Déjà vu :

Cette convocation à ma [traduction] « réunion disciplinaire » a été fixée immédiatement après que j’ai porté à l’attention de Joel de nouveaux exemples de [traduction] « mauvaises pratiques » en cours dans notre Service de psychologie (y compris son propre retard de 4 mois dans l’évaluation des nouveaux arrivants présentant des antécédents de suicide).

Coup classique.

Félicitations à Joel.

Maintenant il vous utilise aussi […]

Sincèrement.

Paul

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[79] Mme Mirecki a témoigné qu’elle avait perçu de nombreux passages du courriel comme étant menaçants, notamment ceux qui étaient surlignés et empreints de sarcasme. À son avis, il était injuste que le fonctionnaire lui dise qu’il faisait l’objet d’une mesure disciplinaire. Elle a estimé que la déclaration [traduction] « qu’il en soit donc ainsi » laissait entendre qu’il y aurait des [traduction] « conséquences » pour elle.

[80] Le fonctionnaire a témoigné que le courriel avait pour but d’informer Mme Mirecki qu’il refusait la médiation parce qu’une mesure disciplinaire avait été prise. Il ne pouvait pas participer à une médiation alors qu’une enquête disciplinaire officielle était en cours. Il a appris l’existence des plaintes officielles qui ont été abandonnées lorsqu’il a pris part à l’enquête de Packer.

[81] Le fonctionnaire a nié toute intention de harceler Mme Mirecki au moyen du 4e courriel. À cette époque, il pensait qu’il était victime de harcèlement. Il estimait que le traitement que lui réservait le Dr Ginsburg était discriminatoire, et il ne voulait plus se trouver dans un tel environnement. Mme Mirecki a déposé une plainte sans suite, qui a donné lieu à l’enquête de Packer, dans le but d’empêcher le fonctionnaire de l’intimider davantage et, plus précisément, de l’empêcher de dire qu’elle ne faisait pas son travail correctement. Lorsqu’elle a déposé sa plainte, le processus de médiation alors envisagé avait été interrompu parce que des personnes avaient refusé d’y participer.

5. 5e courriel – le 22 novembre 2011

[82] Le 5e courriel se lit comme suit :

[Traduction]

 

À : Ivanoff Paul (ONT)

Envoyé : Le mardi 22 novembre 2011 à 17 h

À : Mirecki-DeRoode Marta (ONT)

Objet : Consentement signé [traduction] « en blanc »

 

Bonjour Marta,

M. [caviardé] m’a fait part de son inquiétude et m’a demandé de vous transmettre sa demande :

Il semble que vous soyez en possession de deux [traduction] « formulaires de consentement des SSME » différents de sa part :

– Le premier, un [traduction] « formulaire vierge » qu’il a signé, comme vous le lui avez demandé;

– Le second, qu’il a signé après que vous n’avez pas pu retrouver le premier […]

 

Je comprends effectivement son malaise :

c’est une grave violation professionnelle

d’encourager un client à signer un papier vierge avec la promesse d’en remplir le contenu plus tard […]

Pourtant, M. [caviardé] n’a pas l’intention de se plaindre officiellement. Au contraire, il souhaite simplement que l’original du premier [traduction] « Consentement pour ??? » qu’il a signé en blanc lui soit rendu.

(afin d’éviter lors de sa libération prochaine toute nouvelle sur les éventuels [traduction] « traitements » auxquels il a [traduction] « consenti » […])

Merci.

Paul

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

[83] Les deux formulaires de consentement en question figurent en annexe du rapport de Quintet. Ils contiennent quatre cases à cocher. Après la case intitulée [traduction] « Intervention thérapeutique individuelle (préciser) », une note manuscrite légère indique [traduction] « Évaluation/triage ». Une mention semble être rédigée à côté de la même case sur le deuxième formulaire, mais elle n’est pas lisible. Le fonctionnaire n’avait pas personnellement examiné les formulaires lorsqu’il a fait part de la préoccupation du détenu. Lors du contre-interrogatoire, le fonctionnaire a reconnu que ces deux documents n’étaient pas des feuilles vierges et que certaines parties avaient été remplies, et notamment que les signatures des témoins et du détenu avaient été apposées. Le fonctionnaire a dit qu’il enverrait de nouveau ce courriel, si la situation devait se reproduire.

[84] M. Rowntree a témoigné en disant que le consentement en question portait sur la communication de renseignements. Bien que le consentement soit important, un examen verbal d’un formulaire, suivi d’un consentement verbal, est acceptable. Il n’est pas nécessaire que le consentement soit écrit. M. Rowntree a ajouté que la façon la plus appropriée de discuter des inquiétudes exprimées dans le courriel aurait consisté en une conversation en tête-à-tête.

[85] Mme Mirecki a témoigné qu’il serait inexact d’affirmer que le fait de faire signer un formulaire vierge à un patient constitue une violation professionnelle. Elle a considéré que les commentaires du fonctionnaire étaient une interprétation exagérée d’un détail technique et que toute possibilité que ses actes aient été considérés comme une violation professionnelle était très peu vraisemblable. Elle n’aurait jamais rempli le contenu d’un formulaire de consentement de façon rétroactive. La norme professionnelle consiste à s’assurer que les patients comprennent ce à quoi ils ont consenti et sachent que leur consentement peut être retiré. Des craintes ont été exprimées quant au litige avec les détenus, ce qui pouvait s’avérer délicat. En abordant ce sujet avec un patient, une limite a été franchie.

[86] Le fonctionnaire a fait part de sa préoccupation initiale uniquement à Mme Mirecki, afin qu’elle renvoie le formulaire de consentement contesté au client. Le détenu, que son erreur avait rendu nerveux, était venu le voir. Les personnes présentes dans la rangée se moquaient du détenu parce qu’il avait signé un formulaire vierge. Le détenu s’inquiétait de ce qui serait inscrit au-dessus de sa signature, notamment parce qu’il était sur le point d’être libéré. Le détenu avait déjà essayé de négocier le renvoi du formulaire avec Mme Mirecki, en vain.

[87] Le fonctionnaire a indiqué au détenu qu’il communiquerait avec Mme Mirecki. Il nourrissait de réelles préoccupations professionnelles en ce qui concerne les formulaires de consentement vierges. Il a reconnu que le consentement verbal est possible, mais a fait remarquer que cela n’était pas pertinent dans la présente affaire, étant donné le recours à un formulaire de consentement écrit. Le soulignement dans le courriel avait pour but d’attirer l’attention sur des questions importantes. Les caractères gras, en italique et les points d’interrogation pour le titre du formulaire de consentement ont été utilisés parce qu’il ne savait pas exactement quel type de consentement avait été fourni. Il a témoigné que le courriel n’avait pas été conçu comme une réprimande. Il souhaitait que Mme Mirecki renvoie le formulaire au détenu et qu’on lui rappelle les règlements qu’elle devait suivre. Elle lui a répondu six jours plus tard et a mis sa réponse en copie à plusieurs personnes. Dans son témoignage, le fonctionnaire a indiqué qu’il avait été [traduction] « peiné » de lire les mots [traduction] « non professionnelle » dans le courriel de réponse de Mme Mirecki. Cet emploi du mot [traduction] « peiné », dénué de tout sarcasme, mérite d’être souligné, étant donné que son emploi par le fonctionnaire constituait un point litigieux en ce qui concerne le 1er courriel.

[88] Le fonctionnaire a indiqué que, s’il le fallait, il enverrait de nouveau ce courriel. Il a insisté sur le fait qu’il est obligé de s’exprimer s’il nourrit des préoccupations professionnelles. Il pense toujours qu’il est contraire au règlement d’avoir fait signer un tel formulaire de consentement.

6. 6e courriel – le 9 décembre 2011

[89] Le 6e courriel se lit comme suit, et il comporte des notes manuscrites inscrites dans la marge par une personne dont on ne connaît pas l’identité :

[Traduction]

 

De : Ivanoff Paul (ONT)

Envoyé : Le vendredi 9 décembre 2011 à 11 h 12

À : Groody Sue (ONT)

Cc : Morrison Lesley (ONT); Marcelli Gina (ONT); Cooper Greg (ONT)

Objet : [caviardé]

Importance : Élevée

 

Bonjour Sue,

Les agents de l’unité E signalent le comportement troublant de M. [caviardé] qui attend depuis plusieurs semaines de recevoir du service des soins de santé les médicaments qui lui ont été prescrits.

Les agents sont inquiets.

J’espère que vous pourrez leur rendre la vie un peu plus facile…

Je crois savoir que M. [caviardé] a récemment gagné son grief à cet égard et que les Services de soins de santé ont reçu l’ordre de recommencer à lui fournir les médicaments prescrits (du moins, c’est ce que m’a appris M. [caviardé] vendredi dernier).

Il y a 3 semaines, le 17 novembre 2011, j’ai fait part à Marta Mirecki De Roode, infirmière aux SSME, de mon évaluation de M. [caviardé] et, par conséquent, j’ai transmis mon dossier [traduction] « pour une éventuelle sédation par voie médicamenteuse » :

Extrait du procès-verbal de la RESM du 17-11-2011 dans l’unité G :

[Traduction] « Antécédent de tentative de suicide. Auto‑renvoi comme [traduction] “urgence” pour [traduction] “évaluation pour dépression et médicaments TDAH”. Évalué le 31-10-2011 (psychologue Dr Ivanoff). Pas de risque élevé de suicide, mais menace de faire une tentative si les médicaments désirés ne sont pas fournis. Considéré comme émotionnellement instable en raison d’un passé prolongé de toxicomanie avec une manifestation actuelle de symptômes de sevrage, accompagné d’un niveau de fonctionnement intellectuel inférieur à la moyenne. Renvoi au service des soins de santé pour une éventuelle sédation par la voie médicamenteuse. AR »

Aujourd’hui, j’ai appris par les agents concernés de l’unité E que

a) M. [caviardé] semble très instable;

b) l’infirmière Mirecki De Roode a refusé de répondre à cette demande d’administration de médicaments.

Est-il possible que M. [caviardé] se voie enfin prescrire quelque chose pour sa sédation? Ses deux précédentes tentatives de suicide (1998 et 2002) et ses propos actuels sur le sujet semblent inquiétants.

Merci de votre attention.

Paul

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[90] Le Dr Ginsburg a fait remarquer que le refus de donner suite à une demande de médicaments, tel que cela est expliqué dans le courriel, pouvait susciter des réactions émotionnelles, voire violentes, de la part d’un détenu. Il a témoigné que l’aspect le plus problématique de ce courriel était qu’il était adressé en copie à un détenu. M. Rowntree a témoigné que le courriel n’est pas un moyen de communication adapté à ce genre de messages. Il a fait remarquer que [traduction] « refusé » est un mot qui peut être très provocateur pour un détenu et qu’il aurait pu miner la crédibilité de Mme Mirecki. Mme Mirecki n’ayant pas été mise en copie du courriel, le détenu a eu connaissance d’informations qu’elle-même ignorait, ce qui aurait pu mettre sa sécurité en péril.

[91] M. Tempest a témoigné que l’envoi du 6e courriel ne constituait pas une méthode convenable pour traiter la demande d’un détenu. Ces demandes sont mieux traitées en communiquant directement avec l’employé concerné, comme le coordonnateur des griefs. Parfois, le zèle manifesté par le fonctionnaire dans la prise en charge des patients a amené ce dernier à prendre les déclarations des détenus pour argent comptant. Les déclarations des détenus doivent être vérifiées. La norme organisationnelle ne consistait pas à faire part des désaccords entre employés aux détenus. Dans un établissement comme celui de Fenbrook, où il y a peu de barrières internes ou de contrôle des déplacements, un tel courriel peut susciter des inquiétudes quant à la sécurité des employés.

[92] Mme Mirecki a témoigné que le fait d’apposer sur un tel courriel la mention [traduction] « copie au délinquant » constituait une [traduction] « violation du code de sécurité ». Il enfreignait une règle non écrite de l’établissement et était susceptible d’entraîner un préjudice. Le seul équipement fourni pour sa protection et sa communication en cas d’urgence était un outil électronique que l’on appelait, avec un humour sinistre, l’appareil de [traduction] « l’heure de la mort ». Elle n’a pas refusé de traiter ce problème. L’expression [traduction] « enfin prescrire » donnait l’impression qu’elle se dérobait à son travail, mais la demande du fonctionnaire dépassait le cadre de ses fonctions.

[93] Mme Mirecki s’est occupée uniquement des détenus les plus gravement malades, qui pouvaient se montrer violents, avoir des délires et être dangereux. Elle avait des doutes, mais elle pensait que le détenu en question pouvait être un délinquant dangereux et atteint de psychose. Un courriel comme celui-ci pouvait donner à un détenu un motif de plainte ou de litige. Le détenu souhaitait obtenir un type de médicament souvent consommé de manière abusive et qui est prisé au sein de l’établissement. Du point de vue de Mme Mirecki, le détenu était émotionnellement instable et toxicomane, et avait un niveau de fonctionnement mental inférieur à la moyenne. Il aurait pu l’attaquer. Les patients ne sont pas attachés lorsqu’ils la rencontrent, et ils se déplacent dans l’établissement avec un certain degré de liberté.

[94] Le fonctionnaire a voulu que le 6e courriel fasse office de rappel aux Services de santé concernant la situation non résolue du détenu. Il voulait calmer le détenu. La seule personne qui pouvait régler le problème était Mme Groody, il fallait donc la mettre en copie. Le fonctionnaire a rédigé le courriel pour donner suite aux préoccupations des détenus et des agents correctionnels. Son principal objectif en l’envoyant était de donner suite à la demande de médicaments et de sédation pour le détenu. La sédation possible, qui apparaît en italique et entre guillemets, était le titre d’un courriel qu’il avait envoyé trois semaines auparavant. Le passage en italique et entre guillemets fait référence à ce courriel antérieur.

[95] Le fonctionnaire a transmis le 6e courriel au détenu pour qu’il comprenne que ses préoccupations étaient prises en compte. Il peut être pénible pour un détenu de croire qu’on ne tient pas compte d’un renvoi. Le détenu savait déjà que Mme Mirecki n’avait pas répondu à sa demande de médicaments, de sorte que le 6e courriel ne contenait aucune nouvelle information. Selon le fonctionnaire, aucun danger prévisible n’aurait pu découler de l’envoi du 6e courriel. De toute manière, le détenu aurait pu demander à accéder à son dossier médical et recevoir l’information de façon indépendante. Selon les règles professionnelles, toute communication concernant un client doit être documentée dans le dossier de ce dernier. Même si le fonctionnaire avait simplement parlé au chef des Services de santé par téléphone, il aurait quand même dû consigner cet appel dans son dossier.

[96] Le fonctionnaire a témoigné que le détenu n’avait pas le statut de délinquant dangereux et qu’il n’avait pas été transféré au Centre régional de traitement. Les agents correctionnels étaient réellement préoccupés par l’instabilité du client, mais ces préoccupations concernaient le détenu lui-même et non la sécurité de Mme Mirecki ou d’autres personnes.

[97] Le fonctionnaire s’est senti obligé de rédiger le 6e courriel parce que les agents correctionnels et le client étaient perturbés par la situation. Il ne s’est pas demandé si Mme Mirecki serait troublée par le courriel avant de l’envoyer, bien qu’il ait admis qu’il savait qu’elle ne l’apprécierait probablement pas. Il a reconnu en contre-interrogatoire que les détenus mentent parfois.

[98] Le fonctionnaire a indiqué n’avoir aucun remords à l’égard de ce courriel et avoir eu raison de l’envoyer. Il l’enverrait encore aujourd’hui. C’était une obligation professionnelle.

[99] Le fonctionnaire n’est pas d’accord avec l’évaluation de la situation par Mme Groody, telle que présentée dans le rapport de Quintet. Il a déclaré estimer que le 6e courriel produit des résultats concluants, bien qu’il ne soit pas certain que le détenu ait finalement reçu ses médicaments. Le fonctionnaire a fait son évaluation et a déposé un renvoi. Il n’a pas préconisé un médicament particulier. Il ne se souvient même pas si le client a demandé un médicament particulier. Si tel était le cas, il aurait dit au client de s’adresser aux Services de santé. Trois semaines après le renvoi, aucune suite n’avait été donnée à la demande. Il a dû envoyer un rappel.

III. Résumé de l’argumentation

A. L’employeur

[100] Il s’agit d’un cas où des mesures disciplinaires ont été prises progressivement. Comme l’ont confirmé les trois gestionnaires qui ont témoigné, l’employeur a dû augmenter la sévérité des mesures disciplinaires, car les mesures formelles et informelles précédentes avaient eu peu d’effet sur le comportement du fonctionnaire. L’employeur lui a d’abord accordé le bénéfice du doute, en commençant par une réprimande écrite en 2010, en espérant qu’elle puisse lui faire changer de comportement. Le Dr Ginsburg et M. Ling ont tous deux tenté de désamorcer la situation, et des situations problématiques ont été consignées dans des RER du fonctionnaire. Il serait inexact de dire que la direction n’a rien fait au sujet du conflit en cours ou de la conduite problématique du fonctionnaire avant ou pendant les événements qui ont mené à l’imposition des mesures disciplinaires.

[101] Mme Mirecki a décidé de ne pas poursuivre sa plainte de harcèlement en mai 2011. L’inaction de l’employeur à la suite du rapport de Packer ne traduisait pas une forme de passivité ou de tolérance. Il s’agissait d’une acceptation des moyens informels de résolution des conflits. Ces moyens informels ont en fait été efficaces pendant l’été 2011, lorsque l’enquête de Packer a été abandonnée au profit de la médiation de McLeod. Une période de calme relatif s’est écoulée entre le 4e courriel (daté du 30 mai 2011) et le 5e courriel (daté du 22 novembre 2011). La direction pensait pouvoir encadrer le fonctionnaire et attendait de lui qu’il soit plus respectueux dans ses communications. Toutefois, le 22 novembre 2011, le fonctionnaire est retombé dans ses vieilles habitudes de communications par courriel brutales et déplacées.

[102] Le fonctionnaire n’avait aucune idée des répercussions de son comportement. Un certain nombre de ses courriels démontrent une compréhension ténue des faits. Il a condamné des collègues sans fonder ses préoccupations sur la réalité et a diffusé ses remarques en mettant plusieurs personnes en copie. Il n’a pas eu la courtoisie de discuter de ces questions sensibles en privé. Dans son témoignage, il a déclaré à plusieurs reprises qu’il enverrait de nouveau les courriels litigieux si des événements similaires se produisaient. Mme Mirecki le désigne comme la cause de sa détresse dans son courriel du 1er juin 2011. Le fonctionnaire est resté insensible au fait qu’il a causé cette détresse et cette souffrance. Il a fait preuve d’un manque d’empathie frappant dans sa conduite.

[103] Le fonctionnaire n’a montré aucun véritable remords lors de l’entrevue disciplinaire ou de l’audience devant la Commission. Son absence de remords a été un élément important de la justification de la suspension disciplinaire de cinq jours. Ses excuses se sont limitées à des déclarations dans lesquelles il regrettait que Mme Mirecki ait trouvé ses communications dérangeantes, ce qui revenait à dire qu’elle était trop sensible et déraisonnable. Il ne s’agissait pas de véritables excuses. Il a fait preuve de négligence ou a volontairement ignoré les répercussions de ses remarques.

[104] La distinction proposée par le fonctionnaire entre les personnes portées sur les relations et celles portées sur le travail est indéfendable. Un milieu de travail ne peut fonctionner lorsque les gens ne sont pas respectueux dans leurs relations professionnelles. Le fonctionnaire a été informé que ses commentaires étaient malvenus, mais il a persisté dans son comportement. Il a admis qu’il savait que certains de ses courriels pouvaient être dérangeants et malvenus.

[105] L’incident le plus saisissant est le 6e courriel, qui a été communiqué à un détenu. M. Rowntree avait vécu une situation similaire avec le fonctionnaire. Un courriel de Mme Groody démontre des différences importantes dans la compréhension du contexte dans lequel ce courriel est survenu, comme l’indique le rapport de Quintet. Le détenu avait vendu le médicament qu’il avait demandé et s’en était vanté. Le fonctionnaire a prétendu que la situation avait été résolue de manière satisfaisante, mais la réalité était bien différente. Néanmoins, il a défendu sa démarche et a indiqué qu’il n’avait pas eu l’intention de harceler qui que ce soit.

[106] L’employeur a invoqué Lemay c. Canada (Procureur général), 2019 CF 608 à l’appui de la proposition selon laquelle l’absence d’intention de harceler ne permet pas de conclure qu’il y a eu ou non du harcèlement. Cela est conforme à la définition du terme « harcèlement » contenue dans la Politique. L’employeur a également fait valoir que l’intention n’est pas pertinente pour déterminer s’il y a eu harcèlement.

[107] Les courriels contestés contenaient des commentaires déplacés, sarcastiques ou malvenus. Le fonctionnaire a trop souvent empêché Mme Mirecki de discuter des allégations qu’il avait soulevées dans ses courriels pour lui accorder le bénéfice du doute. Il a délibérément infligé un préjudice à sa réputation professionnelle. Rien ne l’aurait empêché de rencontrer Mme Mirecki en personne pour discuter des différends évoqués dans les courriels contestés avant de recourir à des communications écrites. Il n’a pas contacté Mme Mirecki avant d’envoyer l’un des six courriels contestés. Il aurait dû le faire; c’est une exigence du Code canadien d’éthique pour les psychologues, selon l’extrait annexé au rapport de Quintet. Lorsqu’il a rédigé les courriels contestés, le fonctionnaire ne possédait pas les éléments de contexte que la consultation informelle de Mme Mirecki aurait pu lui apporter.

[108] Le fonctionnaire a exagéré l’état de la situation rapportée dans le 2e courriel. Lui et M. Rowntree ont vu le détenu sept jours sur neuf. De plus, Mme Mirecki et un agent de libération conditionnelle lui ont également rendu visite. Le fonctionnaire a offert au détenu une séance de psychothérapie. Il est faux de laisser entendre que neuf jours se sont écoulés sans intervention. Il a accusé Mme Mirecki d’être responsable de la situation du détenu, mais son opinion n’a pas été sollicitée et n’était pas souhaitée. Son style de communication était déplacé, et le contenu du 2e courriel était inexact et trompeur.

[109] Le comportement du fonctionnaire n’a fait l’objet d’aucune tolérance et il n’a pas pu être convaincu d’un sentiment de sécurité erroné par la conduite de l’employeur. La direction suivait la situation de près. Il est facile, après coup, de suggérer d’autres façons dont l’employeur aurait pu réagir à la faute de conduite du fonctionnaire, mais l’employeur ne pouvait pas savoir à ce moment-là qu’aucune amélioration ne se produirait. L’approche de l’employeur était raisonnable et mesurée dans les circonstances.

[110] Les six courriels témoignent d’un comportement agressif et injurieux. Les faits dans le présent cas ne constituent pas un simple épisode momentané de chamaillerie ou de mauvais jugement, mais sont bien plus graves. Les courriels envoyés par le fonctionnaire ont d’abord constitué du harcèlement, puis un véritable danger pour la sécurité physique. Tous ceux qui ont témoigné à l’audience devant la Commission et dans le cadre de l’enquête de Quintet ont affirmé qu’il était inacceptable de communiquer des informations à un détenu tel que cela a été fait dans le 6e courriel. Le 6e courriel à lui seul aurait pu mériter une suspension de plus de cinq jours. Il a porté atteinte à la sécurité physique et à la réputation de Mme Mirecki. Dans un environnement de travail où la norme veut que les employés s’entraident, une telle démarche a été un coup de poignard dans le dos.

[111] Le fonctionnaire n’a même pas voulu reconnaître qu’une femme est plus vulnérable qu’un homme. Mme Mirecki n’a pas la carrure d’un boxeur, et elle a craint pour sa vie. La blague sur l’appareil de « l’heure de la mort » a entraîné un mécanisme d’adaptation. Dix ans plus tard, le fonctionnaire a continué à défendre sa décision d’envoyer le 6e courriel.

[112] Dans le présent cas, la faute de conduite était continue et il existait un risque élevé de récidive. La conduite du fonctionnaire a eu pour effet de polluer le milieu de travail. Le Dr Ginsburg a témoigné qu’il avait démissionné à cause de la conduite du fonctionnaire. Il préférait se retrouver au chômage plutôt que de travailler avec lui. Aucun des facteurs énumérés dans DHL Express (Canada) Ltd. v. C.A.W. Canada, Local 4215, 2010 CarswellNat 6237, ne plaide en faveur de l’atténuation dans le présent cas. L’absence de remords du fonctionnaire milite contre la modification de la mesure disciplinaire qui lui a été imposée. Il a contesté la crédibilité de son superviseur et n’a pas reconnu les répercussions de ses actes. Lorsqu’on lui a demandé d’expliquer pourquoi il avait affirmé que les allégations formulées contre lui étaient de mauvaise foi, il s’en est pris à son superviseur et a presque laissé entendre qu’il y avait eu un complot contre lui.

[113] Les faits ne permettent pas de conclure à un retard dans la prise de mesures disciplinaires par l’employeur. Selon le raisonnement énoncé dans Bell Technical Solutions v. CEP (Facebook Postings), 2012 CarswellOnt 11432, les délais ne sont pas rigides. L’employeur a respecté la Politique, qui exigeait de suivre toutes les étapes nécessaires. Le fonctionnaire a contesté chaque volet de l’enquête de Quintet, ce qui a retardé le processus. Un retard dû à des raisons valables ne constitue pas une tolérance.

[114] En ce qui concerne le caractère discriminatoire de la mesure disciplinaire, l’employeur a fait valoir que la conduite du fonctionnaire, y compris ses copies conformes de courriels adressés à d’autres employés, différait grandement de celle de toute autre personne dans le milieu de travail. La sanction imposée était fondée sur sa conduite sensiblement différente. La lettre disciplinaire invoquait l’alinéa 18a) de la Directive du commissaire 060 – Code de discipline parce que le fonctionnaire avait mis en copie de ses courriels des personnes qui n’avaient pas à les recevoir.

[115] La lettre disciplinaire était une réponse mesurée à une situation intenable. Lors de l’entrevue disciplinaire, le directeur a donné au fonctionnaire la possibilité de faire part de son point de vue et l’a même laissé se calmer pendant une heure lorsqu’il s’est enflammé. Le fait que la relation de travail entre Mme Mirecki et le fonctionnaire ait fini par s’améliorer démontre le caractère raisonnable de la mesure disciplinaire, qui a permis au fonctionnaire d’améliorer sa conduite. Il avait adopté un comportement de harcèlement pendant une si longue période qu’il y était devenu insensible et avait fini par croire qu’il ne s’agissait pas de harcèlement.

[116] Dans les circonstances, la suspension de cinq jours était raisonnable. L’employeur dispose d’un large pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne les sanctions. Lorsqu’il a été amené à assumer son comportement, plutôt que de présenter des excuses sincères, le fonctionnaire a plaidé pour une qualification plus commode sur le plan professionnel que celle de « harcèlement » et a ignoré le tort qu’il avait causé. En fait, il s’agissait là du principal problème. Il a prétendu avoir respecté les règles professionnelles, mais il est possible de le faire sans polluer le milieu de travail en se servant du clavier comme d’une gâchette. Diminuer la sanction enverrait un mauvais message et reviendrait à cautionner le comportement du fonctionnaire.

[117] À l’appui de ses arguments, l’employeur a également invoqué Invista (Canada) Co. v. C.U.P.E., Local 28-0, 2006 CarswellOnt 6828; Loyer c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionnel), 2004 CRTFP 16; Sasktel v. Unifor, Local 2S, 2019 CarswellNat 5124; Toronto Transit Commission v. ATU, Local 113, 2013 CarswellOnt 18432; et, dans Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 5e édition, paragraphe 7:32, « Aggressive and Abusive Behaviour », paragraphe 7:7, « Disciplinary Procedures—Timeliness », paragraphe 7:72, « Rehabilitative Potential », et le paragraphe 7:9, « Disciplinary Procedures—Non-Compliance ».

B. Pour l’agent négociateur

[118] Dans les faits du présent cas, il n’y a pas eu de harcèlement, au sens de la Politique et de la jurisprudence. Il incombait à l’employeur de prouver que chacun des cinq premiers courriels contestés constituait du harcèlement et que la succession de ces courriels en constituait également. Il fallait à la fois que les cinq incidents individuels de harcèlement et la succession des cinq courriels, ainsi que le sixième courriel pris isolément, justifient la sanction disciplinaire de cinq jours. S’il est établi que l’un des courriels contestés ne constitue pas du harcèlement, une sanction réduite est indiquée. Il est loisible à la Commission de conclure qu’une faute de conduite autre que le harcèlement a été commise. À titre subsidiaire, si la Commission conclut que la sanction est maintenue, elle n’aurait pas dû être imposée pour cause de harcèlement. Dans un autre ordre d’idées, le fonctionnaire a soutenu que toute sanction fondée sur une conclusion de harcèlement devrait être annulée pour cause de tolérance.

[119] Selon l’agent négociateur, le fait de considérer les courriels contestés de façon neutre ne permet pas de conclure au harcèlement. Il a concédé que Mme Mirecki avait été offensée par les courriels contestés. Cependant, le critère du harcèlement exige plus que ses sentiments subjectifs. La Commission doit examiner si la conduite qui a motivé la mesure disciplinaire était inappropriée et dirigée contre elle en tant que personne. Bien qu’un courriel ait pu être critique à l’égard du travail de Mme Mirecki, cela ne signifie pas qu’il était inapproprié. Si l’employeur s’est appuyé sur les conclusions du rapport de Quintet qui sont en fin de compte jugées non fondées, la sanction disciplinaire de cinq jours ne peut être maintenue.

[120] Le présent cas ne porte pas sur les conflits interpersonnels et professionnels du Dr Ginsburg ou de M. Rowntree avec le fonctionnaire. Leurs longs témoignages sur les répercussions que ces conflits ont eues sur eux étaient préjudiciables et manquaient de valeur probante et de pertinence. De nombreux conflits sévissaient au sein de l’établissement au moment des événements qui ont donné lieu au grief. En définitive, Mme Mirecki est la seule plaignante dans la présente affaire.

[121] La définition du « harcèlement » comporte un élément objectif, ainsi qu’un élément subjectif. Le fonctionnaire a concédé l’élément subjectif, mais le critère ne se limite pas à ce dernier. Le sentiment subjectif de menace qu’a éprouvé Mme Mirecki à la lecture du 1er courriel découlait en grande partie de la mention d’un grief en instance, ce qui ne constituait pas une menace objective. Les griefs sont déposés contre la direction. Dans le 1er courriel, le message du fonctionnaire se voulait un signal à l’intention d’un gestionnaire. Les passages du courriel que Mme Mirecki a trouvés menaçants ne lui étaient pas adressés. Le 1er courriel ne constituait pas objectivement du harcèlement.

[122] Le rapport de Quintet a conclu que le 2e courriel constituait du harcèlement parce que son contenu était inapproprié et qu’il s’adressait à Mme Mirecki. Le 2e courriel comporte deux volets. Le rapport considère que le volet [traduction] « Marta », dans lequel les mots [traduction] « réticence » et « tem [sic] work » [travail d’équipe] sont employés, constitue du harcèlement. Cependant, dans le rapport de Quintet, il n’a pas été déterminé que le reste du courriel, adressé expressément au Dr Ginsburg et faisant référence au patient de M. Rowntree, constituait du harcèlement. Par conséquent, la question de savoir si le détenu avait été dans une cellule d’observation pendant neuf jours sans intervention n’est pas pertinente, et ce volet du courriel doit être ignoré. Le volet du courriel jugé comme constituant du harcèlement ne comporte que le mot [traduction] « réticence » et l’expression « tem [sic] work » [travail d’équipe]. Le fonctionnaire a exprimé des remords pour le ton qu’il a employé dans le 2e courriel et admet qu’il aurait pu mieux choisir ses mots.

[123] À cet égard, la définition mentionnée dans Joss c. Conseil du Trésor (Agriculture et Agroalimentaire Canada), 2001 CRTFP 27, s’applique. Le terme « harcèlement » devrait être utilisé avec sérieux et non pas banalisé ou dévalorisé en l’utilisant comme étiquette « […] applicable à des actes mesquins ou à des propos ridicules, lorsque le préjudice est éphémère, selon toutes les normes objectives ». Mme Mirecki elle-même a qualifié les mots « tem [sic] work » [travail d’équipe] de [traduction] « petite pique ». L’utilisation du mot [traduction] « réticence » dans le 2e courriel, survenue après un délai de trois jours pendant lequel le fonctionnaire était désemparé par la situation d’un détenu, n’est pas assez déraisonnable pour constituer du harcèlement.

[124] En ce qui concerne le 3e courriel, l’agent négociateur a fait valoir que la preuve du fonctionnaire contredisait les arguments de l’employeur. Il a témoigné qu’il avait abordé le Dr Ginsburg au sujet de la conduite problématique de Mme Mirecki lors de réunions qu’il présidait. Il a rédigé le courriel après que ces démarches se sont avérées infructueuses.

[125] Bien que le rapport de Quintet indique que les commentaires formulés dans le 3e courriel auraient dû être transmis de manière confidentielle, le témoignage du fonctionnaire et les courriels présentés en preuve démontrent que ce dernier avait déjà tenté de résoudre ce problème de façon plus informelle. Il avait observé un comportement problématique lors de réunions qu’il avait présidées. Il n’a pas essayé d’agir en tant que superviseur de Mme Mirecki; de toute évidence, il était conscient qu’il devait demander à d’autres personnes de se pencher sur cette situation et qu’il ne pouvait pas agir lui-même. La note de service jointe au 3e courriel est un exposé factuel des préoccupations. Aucune attaque personnelle ne s’y trouve. Le courriel ne représente pas une conduite inappropriée objective ou un harcèlement.

[126] Rien ne prouve que le 4e courriel ait été une tentative de harcèlement, d’intimidation ou de menace. Le fonctionnaire était prêt à tenter une résolution informelle du conflit, mais il ne se sentait pas capable de poursuivre cette démarche une fois le processus officiel engagé. La crainte subjective de Mme Mirecki à l’égard des commentaires du fonctionnaire dans le 4e courriel ne permet pas de conclure à de la maltraitance ou du harcèlement.

[127] Le 5e courriel soulève une préoccupation de bonne foi en milieu de travail. Le fonctionnaire ne menace jamais de signaler l’utilisation inappropriée du formulaire de consentement. Le courriel a été envoyé uniquement à Mme Mirecki. Elle a mis plusieurs personnes en copie de sa réponse. M. Rowntree a ensuite mis en copie de nombreuses personnes dans sa réponse à Mme Mirecki. La pratique consistant à mettre en copie des personnes qui n’avaient pas besoin de connaître le contenu des courriels n’était pas rare dans ce milieu de travail à l’époque pertinente.

[128] Le 6e courriel est examiné isolément et a été jugé harcelant parce qu’il a été transmis à un détenu. Pour constituer du harcèlement, il suffit qu’un seul incident soit grave. On ne peut pas soutenir que le contenu et la liste de distribution du 6e courriel constituaient du harcèlement; le rapport de Quintet n’en a pas conclu davantage. L’employeur a demandé à la Commission de s’appuyer sur le comportement attendu des détenus et des personnes ayant des troubles de santé mentale. Ce courriel ne présentait aucune menace ou danger avéré, ni rien qui aurait pu susciter des préoccupations raisonnables en matière de sécurité. Le détenu n’était pas un délinquant dangereux et n’a pas été transféré au Centre régional de traitement. Il était instable et suicidaire. Tout ce que l’on sait, c’est qu’il représentait un danger pour lui‑même. Aucune preuve n’a été faite d’un quelconque danger pour d’autres personnes, au-delà de simples affirmations. Bien que ce que le fonctionnaire a fait puisse constituer une faute de conduite, le 6e courriel ne constituait pas du harcèlement.

[129] En ce qui concerne la question de la tolérance, il existe une hypothèse de longue date selon laquelle les arbitres jugent également la conduite de l’employeur lorsqu’ils examinent une accusation de harcèlement. La conduite de l’employeur tout au long de la présente affaire a également été jugée. La direction était bien consciente du conflit, du comportement du fonctionnaire et de la détresse de Mme Mirecki, mais elle a choisi de ne pas réagir pendant une longue période. Si le harcèlement est établi, la sanction devrait être annulée ou réduite sur la base des principes régissant la tolérance.

[130] La tolérance dans la présente affaire comporte deux éléments : le retard dans l’imposition de la mesure disciplinaire et la négligence de l’employeur. Les longs retards créent des problèmes de tolérance. Dans le présent cas, l’employeur n’a pas agi en temps opportun. La date du premier courriel est le 8 avril 2011. L’entrevue disciplinaire a eu lieu 20 mois plus tard. L’employeur avait la responsabilité d’agir. Au lieu de cela, il a attendu qu’une plainte de harcèlement soit déposée. Ce n’est pas une raison acceptable pour expliquer le retard, et aucune autre justification valable n’a été fournie.

[131] Si la direction était convaincue de l’existence de harcèlement, comme c’était clairement le cas, elle devait s’attaquer au harcèlement, qu’une plainte ait déjà été déposée ou non. Attendre 20 mois était inacceptable. L’idée que la direction espérait encore pouvoir recadrer le fonctionnaire, comme l’a soutenu l’employeur, est très crédible, compte tenu des témoignages. Mme Mirecki a supplié la direction de l’aider à ce moment-là, mais n’a rien reçu.

[132] La direction était parfaitement au courant des communications et des interactions du fonctionnaire pendant la période comprise entre l’envoi du premier et du dernier courriel, comme l’ont prouvé les gestionnaires qui ont témoigné. Ils n’ont pas prêté attention aux communications qu’ils ont décrites à l’audience comme étant déplacées et harcelantes pendant un temps considérable. Aucune mesure disciplinaire n’a été imposée en temps opportun et aucun suivi n’a été effectué relativement aux cinq premiers courriels, malgré les sanctions disciplinaires déjà inscrites au dossier du fonctionnaire. Si chaque courriel pouvait être considéré comme un acte de harcèlement à part entière, le fonctionnaire aurait dû faire l’objet d’une mesure disciplinaire après l’envoi du premier courriel survenu en avril 2011. Le fait que la direction n’ait pas agi à ce moment-là indique qu’elle ne pensait pas que le comportement constituait du harcèlement ou, si elle le pensait, qu’elle était insensible à la situation de Mme Mirecki.

[133] Lorsqu’on a demandé à M. Tempest de préciser ce qu’il adviendrait si le harcèlement n’était pas combattu, il a répondu que le risque était de voir le harcèlement s’aggraver. Les personnes concernées pourraient ne pas se sentir entendues. Les milieux de travail pourraient se détériorer. La santé mentale pourrait en souffrir. Et pourtant, bien que consciente du potentiel de ces effets néfastes, la direction a choisi de ne rien faire après l’enquête de Packer.

[134] Le préjudice causé au fonctionnaire par le retard peut être expliqué par le fait qu’il n’a pas eu de comportement répréhensible après l’imposition de la mesure disciplinaire. Selon la logique de l’employeur, si celui-ci avait imposé une mesure disciplinaire après l’examen du 2e courriel dans le cadre de l’enquête de Packer, il n’aurait pas été nécessaire de prendre d’autres mesures; les autres courriels n’auraient jamais été envoyés.

[135] L’enquête de Packer est très problématique à cet égard. Le fonctionnaire a envoyé le 2e courriel, puis Mme Packer l’a interrogé. Il savait qu’il pouvait faire l’objet de mesures disciplinaires, mais rien ne s’est produit. Il n’a même pas su qu’un rapport avait été produit. Une enquête sans suite donne inévitablement un faux sentiment de sécurité. Vingt mois plus tard, l’employeur l’a sanctionné pour le même courriel pour lequel une enquête avait déjà été menée plus d’un an auparavant. L’enquête de Packer a conduit à tolérer tous les courriels qui l’ont suivie.

[136] Il ressort clairement de la lettre disciplinaire que la seule circonstance atténuante prise en compte était l’ancienneté du fonctionnaire. Si d’autres circonstances atténuantes n’ont pas été prises en compte, alors la sanction de cinq jours était trop sévère. Les autres circonstances atténuantes présentes étaient la tolérance, le retard dans l’imposition de la mesure disciplinaire et le caractère discriminatoire de la mesure disciplinaire.

[137] En ce qui concerne le caractère discriminatoire de la mesure disciplinaire, il est bien établi que des faits similaires doivent être traités de façon similaire. Bien qu’en théorie, les lacunes professionnelles ne devaient pas être diffusées, le fait de mettre en copie des personnes qui n’avaient pas besoin de connaître des problèmes professionnels était une pratique endémique dans le milieu de travail à cette époque.

[138] Mme Mirecki a mis de nombreuses personnes en copie de ses courriels. Les conclusions de harcèlement étaient fondées en partie sur le fait que des courriels critiques à son égard étaient envoyés en copie à plusieurs personnes. Mais toutes les personnes travaillant à l’établissement avaient recours à cette pratique courante, y compris Mme Mirecki. Seul le fonctionnaire a été sanctionné pour cela. Il s’agit d’une circonstance atténuante. Il était injuste de le suspendre pendant cinq jours en partie pour avoir mis en copie des personnes alors que d’autres personnes n’ont pas été réprimandées pour le même comportement.

[139] À l’appui de ses arguments, l’agent négociateur a également cité Wm. Scott & Company Ltd. v. Canada Food and Allied Workers Union, Local P-162, [1977] 1 Can. L.R.B.R. 1 (« Wm. Scott »); Chopra c. Canada (Procureur général), 2014 CF 246; Valderrama c. Administrateur général (ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement), 2019 CRTESPF 115; Turner c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2006 CRTFP 58; Lloyd c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 115; Lloyd c. Agence du revenu du Canada, 2017 CRTESPF 22; Ontario (Ministry of Natural Resources) v. O.P.S.E.U. (2005), 143 L.A.C. (4e) 14; Canadian Labour Arbitration, paragraphes 7:7, 7:67, 7:68 et 7:70.

IV. Motifs

[140] Le critère qui a été appliqué de façon constante dans les affaires disciplinaires devant la Commission a été établi dans Wm. Scott. Lorsque j’applique ce critère, les questions auxquelles je dois répondre sont les suivantes :

1) La faute de conduite sur laquelle la mesure disciplinaire est fondée s’est-elle produite?

2) La mesure disciplinaire imposée était-elle excessive?

3) Si la mesure disciplinaire était excessive, quelle aurait été la sanction adéquate?

 

[141] Dans un grief lié à une mesure disciplinaire faisant l’objet d’un renvoi en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2), l’employeur doit démontrer que les motifs justifiant la mesure disciplinaire existaient, tel qu’il est indiqué dans la lettre disciplinaire.

1. La faute de conduite sur laquelle la mesure disciplinaire est fondée s’est-elle produite?

[142] La lettre disciplinaire indique ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Dans le rapport d’enquête réalisé par Quintet, deux conclusions de harcèlement à votre encontre ont été formulées. Le rapport indique que le fait d’avoir envoyé des courriels sarcastiques et humiliants à votre collègue et d’avoir transmis à un détenu la copie d’un courriel interne qui la dépeignait à tort comme refusant de traiter une demande de médicaments répond à la définition du harcèlement […]

[…]

 

[143] La lettre disciplinaire faisait état de quatre violations de la Directive du commissaire (DC) 060 – Code de discipline, comme suit :

[Traduction]

[…]

· 6g) omet de respecter ou d’appliquer une loi, un règlement, une directive du commissaire, un ordre permanent ou une autre directive quelconque ayant trait à ses fonctions;

· 10b) par ses paroles ou ses actes, est injurieux ou offensant envers d’autres employés pendant qu’il est de service ou dans des circonstances reliées à son travail;

· 10e) commet un acte de harcèlement, sexuel ou autre, ou de discrimination à l’endroit d’un autre employé;

· 18a) omet de garder en lieu sûr les documents, rapports, directives, manuels, guides ou autres renseignements du SCC […].

[…]

 

A. Les courriels contestés constituent-ils une faute de conduite?
i. 1er courriel

[144] Dans le rapport de Quintet, il a été déterminé que le 1er courriel avait pour seul but de faire connaître le mécontentement du fonctionnaire en raison du fait que Mme Mirecki s’était plainte au Dr Ginsburg. Dans le cadre d’une interprétation fondée sur le sens ordinaire du contenu du courriel, une telle conclusion n’est pas justifiée, et ce, même lorsque cette interprétation est mise en contexte par les témoignages entendus à l’audience.

[145] J’estime que l’explication du fonctionnaire selon laquelle le courriel avait pour but de demander à Mme Mirecki des renseignements sur les dossiers qu’elle traitait (comme on lui avait demandé de le faire) et d’indiquer son désaccord avec les instructions du Dr Ginsburg (et sa réticence à s’y conformer) est une explication nettement plus vraisemblable que la conclusion tirée dans le rapport de Quintet. Même si le Dr Ginsburg a simplement été mis en copie du 1er courriel, celui-ci porte essentiellement sur l’instruction qu’il a donnée au fonctionnaire de consulter Mme Mirecki avant de faire une recommandation clinique. Le 1er courriel n’est pas, à sa face même, une expression de mécontentement à l’égard de Mme Mirecki et de sa plainte, et il ne peut donc pas être considéré comme du harcèlement pour cette raison. L’expression du mécontentement et la critique implicite sont dirigées contre le Dr Ginsburg.

[146] On a insisté sur l’emploi des mots [traduction] « avec peine » par le fonctionnaire. Je ne trouve pas cet argument convaincant. Telle qu’elle est employée dans le courriel, encore une fois selon une interprétation fondée sur le sens ordinaire, cette expression est l’équivalent de l’expression [traduction] « avec regret » ou du mot [traduction] « malheureusement ». S’il est possible de déceler un ton narquois dans cette expression, il est également possible, et à mon avis plus raisonnable, de la lire de façon plus neutre, comme une déclaration selon laquelle le fonctionnaire regrette qu’une plainte ait été déposée. Sa déclaration selon laquelle il a appris la décision de son gestionnaire [traduction] « avec peine », [traduction] « avec regret » ou [traduction] « malheureusement » ne peut raisonnablement être considérée comme du harcèlement envers Mme Mirecki.

[147] Quant à l’allusion au grief envisagé, le fonctionnaire n’a pas semblé menacer le Dr Ginsburg ou Mme Mirecki d’un quelconque préjudice ou d’une issue négative en raison du dépôt ou de l’issue de son grief. Le seul objectif du grief en instance qui peut être dégagé à la lecture du 1er courriel est l’annulation de l’instruction du Dr Ginsburg. Malgré la nature critique de certaines parties du 1er courriel, l’allusion à un grief en cours ne démontre aucune motivation ni aucun objectif malveillant perceptible.

[148] Le fonctionnaire, comme tous les employés de la fonction publique fédérale, a un droit protégé par la loi de déposer un grief à l’égard de certaines situations liées à ses conditions d’emploi. Je ne doute pas que Mme Mirecki était sincère lorsqu’elle a déclaré que les mots [traduction] « Je dois obéir », conjugués à l’allusion à un grief en instance, lui ont paru menaçants et que ces mots résonnent encore pour elle sur le plan émotif. Il n’est pas clair comment le fonctionnaire aurait pu raisonnablement prévoir cette réaction. L’expression [traduction] « obéir maintenant, se plaindre ensuite » est bien établie dans les milieux de travail syndiqués. En l’absence d’une preuve d’intention malveillante ou de mauvaise foi, une déclaration selon laquelle un employé a l’intention d’obéir aux directives d’un superviseur, mais de s’en plaindre plus tard, ne constitue pas du harcèlement.

[149] La liste de distribution de ce courriel n’a rien d’inapproprié. Le fait de mettre le Dr Ginsburg en copie conforme était justifié, étant donné qu’il était directement concerné.

[150] En bref, bien que le courriel ait été adressé à Mme Mirecki, son contenu semble viser en premier lieu le Dr Ginsburg, qui était en copie. Le sarcasme que le fonctionnaire a reconnu se trouve dans le passage indiquant que le Dr Ginsburg n’était pas disposé à publier une note de service pour l’établissement obligeant les psychologues à consulter des infirmières autorisées avant de partager des opinions et des recommandations cliniques. À mon avis, cet affront à l’autorité de gestion du Dr Ginsburg, qui a pris la forme de passages mis en caractères rouges, n’est pas tant une remarque sarcastique qu’une critique à peine voilée du superviseur du fonctionnaire. Bien que cela ait pu être déplacé, il ne s’agissait pas de harcèlement à l’égard de Mme Mirecki.

[151] En outre, la preuve dont je dispose ne me permet pas de conclure que le fonctionnaire avait tort dans sa critique. Mme Mirecki a témoigné que, avant d’effectuer un renvoi, personne n’était tenu de lui parler, ce que le témoignage du Dr Ginsburg a directement contredit. Cela illustre le degré de confusion entourant le poste d’infirmière en santé mentale, alors nouvellement créé. Le fonctionnaire a poursuivi en déclarant expressément qu’il suivrait les directives qu’il avait reçues.

[152] Comme l’a souligné à juste titre l’avocat de l’employeur, l’intention n’est pas un élément nécessaire pour établir le harcèlement. Bien que le sarcasme répété ou une seule expression de sarcasme malveillante puisse constituer une maltraitance ou un harcèlement, peu importe si c’était l’effet voulu, je ne pense pas que le sarcasme, la critique ou l’incivilité dont témoigne ce courriel puisse être considéré comme du harcèlement. C’est la conclusion que j’aurais tirée même si j’avais conclu que l’expression [traduction] « avec peine » avait été utilisée de manière sarcastique.

[153] Pour en arriver à cette conclusion, je tiens compte des commentaires de l’arbitre Laing dans British Columbia v. B.C.G.E.U. (1995), 49 L.A.C. (4e) 193, aux pages 242 et 243 :

[Traduction]

Je ne pense pas que la notion de « harcèlement » soit censée s’appliquer à tous les actes irréfléchis en milieu de travail. Le mot harcèlement est grave; il doit être utilisé à bon escient et vigoureusement appliqué quand la situation justifie qu’on l’emploie. Il ne faudrait pas le trivialiser, le banaliser ou le dévaluer en s’en servant comme d’une étiquette applicable à des actes mesquins ou à des propos ridicules, lorsque le préjudice est éphémère, selon toutes les normes objectives […]

 

[154] Par ailleurs, seuls les caractères rouges, les caractères gras et l’italique sont utilisés pour mettre en évidence certains passages. On peut raisonnablement déduire que le fonctionnaire a compris que sa mise en forme, dans le 1er courriel et dans d’autres, était, à tout le moins, inhabituelle. En l’occurrence, on peut dire qu’elle était excessive. Bien que cela ne corresponde pas à une règle de communication professionnelle, ces types de mise en forme ne constituent pas, en soi, dans ce seul courriel, du harcèlement, de la maltraitance ou un manque de courtoisie.

ii. 2e courriel

[155] Dans le rapport de Packer (qui n’a été communiqué au fonctionnaire que longtemps après l’abandon de l’enquête de Packer), il a été déterminé qu’il était déplacé pour le fonctionnaire de reprocher une quelconque réticence à Mme Mirecki et de faire une référence moqueuse à sa faute d’orthographe. Il a également conclu que le fait de mettre plusieurs personnes en copie de cette correspondance aurait raisonnablement pu offenser Mme Mirecki. Le rapport de Quintet a pris en compte les conclusions du rapport de Packer et a conclu que, parce que ces actes étaient déplacés et visaient Mme Mirecki, ils constituaient un harcèlement.

[156] Je n’ai aucun doute quant à la sincérité de la préoccupation professionnelle soulevée par le fonctionnaire dans le 2e courriel. Même après neuf ans, son inquiétude sincère au sujet de la situation était évidente dans son témoignage.

[157] La conclusion du rapport de Quintet concernant la liste de distribution du 2e courriel, qui a été mentionnée comme l’un des motifs pour lesquels le courriel a été jugé comme constituant du harcèlement, est déroutante. Si la série de courriels précédents a été transmise en copie à deux autres employés (M. Eastabrook et M. Rowntree), le fonctionnaire les a retirés de la liste de distribution lorsqu’il a envoyé le 2e courriel. La liste de distribution de ce courriel n’a rien d’inapproprié. Le 2e courriel est uniquement adressé au Dr Ginsburg et à Mme Mirecki, qui sont tous deux directement visés par son contenu.

[158] Seuls ces quelques mots du 2e courriel sont adressés à Mme Mirecki : [traduction] « Votre réticence à répondre à ma demande de renseignements (ci-dessous) – semble être un autre exemple de notre « travail d’équipe » [“tem [sic] work” dans l’original] défaillant […]. Les mots « tem [sic] work » figurent également dans la ligne d’objet du 2e courriel.

[159] Le fait de reproduire la faute d’orthographe de Mme Mirecki, en utilisant des guillemets mis en évidence, est sans ambiguïté une marque de sarcasme ou de moquerie. Il est également incontestablement inutile d’attirer l’attention sur une erreur typographique. Suggérer que ce seul fait constitue de la maltraitance ou du harcèlement reviendrait à banaliser ces mots au point qu’ils n’auraient plus guère de sens. Une seule occurrence isolée de sarcasme de cette nature, bien qu’inappropriée, discourtoise et méritant l’attention d’un superviseur, ne permet pas de conclure que le fonctionnaire s’est livré à de la maltraitance ou du harcèlement dans son courriel.

[160] En ce qui concerne le terme [traduction] « réticence », le témoignage du fonctionnaire indique que celui-ci pensait sincèrement, lorsqu’il a rédigé le courriel, que des motifs cliniques justifiaient de juger la situation du détenu comme étant urgente et inhabituelle. Il avait posé une question à Mme Mirecki par courriel le vendredi 13 mai 2011, à 9 h 51. Il a répété la question peu après, le même jour. Mme Mirecki était absente pendant la majeure partie de cette journée, mais aucun élément de preuve ne m’a permis de démontrer qu’il le savait le vendredi ou le lundi suivant. On peut raisonnablement supposer que sa caractérisation de l’absence de réponse de Mme Mirecki est fondée en partie sur le fait qu’il ignorait qu’elle était absente.

[161] Le 2e courriel a été envoyé à 10 h 45 le lundi 16 mai 2011, ce qui laisse un temps relativement court à un collègue pour en attendre une réponse. Cela dit, bien que l’utilisation du mot [traduction] « réticence » par le fonctionnaire ait pu dénoter une présomption malveillante de sa part, compte tenu de sa compréhension erronée que Mme Mirecki avait été au travail le vendredi, elle n’était pas déraisonnable et offensante au point de pouvoir être qualifiée à juste titre de manque de courtoisie, de maltraitance ou de harcèlement, même lorsqu’elle est considérée conjointement avec l’utilisation discourtoise de l’expression « tem [sic] work » [travail d’équipe].

[162] L’avocat de l’agent négociateur m’a encouragée à ignorer les commentaires faits au Dr Ginsburg dans leur intégralité et a fait valoir que, du simple fait qu’ils étaient expressément adressés au Dr Ginsburg, ils ne pouvaient pas avoir constitué du harcèlement envers Mme Mirecki. Je ne trouve pas cet argument convaincant. Comme pour le 1er courriel, il faut tenir compte de la personne à qui les commentaires du courriel étaient implicitement destinés, indépendamment du destinataire expressément désigné. Les remarques faites au Dr Ginsburg auraient pu, en théorie, être implicitement dirigées contre Mme Mirecki d’une façon qui l’aurait maltraitée ou harcelée. Toutefois, aucun contenu de harcèlement ou de maltraitance implicite à l’égard de Mme Mirecki n’est décelable parmi les remarques du fonctionnaire au Dr Ginsburg dans ce courriel.

[163] La plupart des remarques dans le volet du courriel adressé au Dr Ginsburg consistent en une énumération factuelle des préoccupations soulevées. Rien dans la preuve dont je dispose ne suggère que ces préoccupations n’étaient pas sincères. Bien que l’habitude du fonctionnaire à souligner des passages soit manifeste, le soulignement a été utilisé dans ce courriel aux fins auxquelles il est destiné : faire ressortir une préoccupation centrale et mettre en évidence certains éléments.

[164] Le recours aux guillemets encadrant les termes [traduction] « surveillance accrue du risque de suicide » est particulièrement intéressante. Cet usage ne semble pas sarcastique. Le détenu était effectivement sous surveillance accrue du risque de suicide, et rien dans le courriel ou dans le témoignage ne suggère que le fonctionnaire remettait cela en question ou qu’il considérait le fait que le détenu soit placé sous surveillance accrue du risque de suicide comme inapproprié. Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage qu’il utilise les guillemets pour mettre en évidence des éléments, un peu comme lorsqu’il utilise le soulignement. Le recours aux guillemets dans ce courriel concorde avec ce témoignage.

[165] On peut soutenir que les guillemets encadrant les termes [traduction] « bonne pratique » peuvent être interprétés comme une marque de sarcasme, mais ce commentaire semble s’adresser uniquement au Dr Ginsburg et peut tout aussi bien être interprété comme n’étant pas une marque de sarcasme. Qu’il soit sarcastique ou non, il est indubitablement critique, mais la critique vise le Dr Ginsburg et M. Rowntree, et non Mme Mirecki, et est directement liée aux préoccupations cliniques du fonctionnaire. Les remarques faites au Dr Ginsburg ne font aucunement référence à Mme Mirecki ou à son intervention auprès du détenu. Par conséquent, le volet du 2e courriel destiné au Dr Ginsburg n’est pas pertinent pour déterminer si le courriel constituait un harcèlement envers Mme Mirecki.

iii. 3e courriel

[166] Dans le rapport de Quintet, il a été déterminé que le fonctionnaire n’avait pas le pouvoir de déclarer que Mme Mirecki manquait à ses obligations professionnelles. Il y a également été indiqué que même si elle n’avait pas le pouvoir de refuser un renvoi (une conclusion avec laquelle le rapport n’est pas du tout d’accord), le fonctionnaire aurait dû le signaler en toute confidentialité à elle ou à son superviseur. Pour ces raisons, dans le rapport de Quintet, il a été conclu que toutes les critiques soulevées et partagées avec plusieurs personnes étaient inappropriées et que le fonctionnaire aurait dû savoir que ses remarques étaient nuisibles et allaient offenser. À ce titre, il a été conclu, dans le rapport de Quintet, que ce courriel constituait du harcèlement.

[167] Les déclarations critiques à l’égard d’un autre employé ou susceptibles de porter atteinte à la réputation d’une personne peuvent constituer une composante d’un comportement de harcèlement ou un harcèlement à part entière dans certaines circonstances. Mais on ne peut pas en dire autant de toutes ces déclarations, comme le suggère le rapport de Quintet. La Politique reprend ce principe dans son annexe intitulée « Guide pour déterminer ce qui constitue un harcèlement » (le « Guide »), qui établit trois catégories de comportement, comme suit : « Ce qui en général constitue du harcèlement », « Ce qui peut constituer du harcèlement » et « Ce qui en général ne constitue pas du harcèlement ».

[168] Dans la catégorie « Ce qui peut constituer du harcèlement », les comportements suivants sont mentionnés : « Critique d’un employé en public », et, « Déclarations nuisant à la réputation d’une personne ». Il est clair que le Guide présuppose une analyse contextuelle pour déterminer si ces comportements constituent du harcèlement.

[169] Des raisons de politique importantes justifient que les personnes dont le travail a une incidence sur la santé et la sécurité des autres ne soient pas indûment empêchées de faire part de leurs préoccupations dans le cadre de leurs régimes professionnel et réglementaire. Ces raisons comprennent la santé et la sécurité des personnes (en particulier les personnes vulnérables), la nécessité de protéger les dénonciateurs et la responsabilité publique des personnes régies par les organisations professionnelles. Le fait de soulever des préoccupations professionnelles peut parfois conduire à l’embarras ou même à l’offense pour ceux dont la conduite est ainsi mise en lumière. Si une préoccupation est soulevée de bonne foi et dans un but professionnel sincère, d’une manière proportionnelle à la préoccupation soulevée et qui ne rabaisse ni ne dévalorise la personne impliquée, il est peu vraisemblable que la préoccupation soulevée constitue un harcèlement.

[170] Dans le 3e courriel, le fonctionnaire soulève une préoccupation au sujet de pratiques professionnelles. Il ressort clairement de son témoignage que sa préoccupation était sincère et que sa motivation était d’attirer l’attention sur une situation problématique. Le motif pour lequel il a mis en copie les chefs de service dont les effectifs participaient aux réunions interdisciplinaires de l’équipe de santé mentale était raisonnable; ces services étaient touchés par le problème qu’il avait identifié. Le courriel s’adresse à ceux qui auraient été en mesure de répondre à la préoccupation professionnelle ou dont les effectifs étaient touchés par ce que le fonctionnaire considérait comme une situation intenable. Le ton du courriel est direct mais professionnel.

[171] La liste de distribution du 3e courriel n’a rien d’inapproprié. Le courriel de Mme Mirecki du 28 novembre 2011 fait état de critiques à l’égard du fonctionnaire, et plusieurs personnes ont été mises en copie dudit courriel. Elle a décrit ses préoccupations comme étant [traduction] « de nature clinique ». Cela montre qu’elle comprend que la nécessité de soulever des préoccupations d’ordre clinique peut l’emporter sur certaines autres considérations. Rien ne me permet de croire que la motivation première du fonctionnaire, en envoyant le 3e courriel, était autre que le bien-être des personnes recevant des services de santé.

[172] La mention selon laquelle le fonctionnaire présidait la moitié des réunions de l’équipe de santé mentale était exacte sur le plan des faits et avait un lien direct avec le contenu de la note de service. Compte tenu de cela et du ton du reste de la pièce jointe, je ne suis pas convaincue que l’interprétation de cette phrase comme étant teintée de sarcasme par le Dr Ginsburg était exacte ou raisonnable. Le courriel et la pièce jointe présentent tous deux un ton globalement neutre et n’utilisent pas de langage inapproprié. Les traits de sarcasme évidents dans le 2e courriel sont entièrement absents du 3e courriel. Aucun soulignement n’est apporté et les guillemets ne sont utilisés que pour encadrer les déclarations de Mme Mirecki, ce qui correspond à la finalité des guillemets et est conforme à l’usage courant. Le recours aux caractères gras est limité aux déclarations destinées à être mises en évidence et ne semble pas inapproprié dans le cadre d’une correspondance professionnelle classique. Peu de passages figurent en italique ([traduction] « Réunion de l’équipe de santé mentale » et [traduction] « Services de santé mentale en établissement »), mais encore une fois, cela n’a rien de choquant ni de sarcastique.

[173] À la lumière de ce qui précède, il est impossible de conclure que le 3e courriel est inapproprié, discourtois, injurieux ou harcelant.

iv. 4e courriel

[174] Le 4e courriel est le seul courriel contesté dont le contenu ne se rapporte pas aux détenus ou à des sujets d’ordre clinique. Il y est question de la réaction du fonctionnaire aux plaintes déposées par le Dr Ginsburg et Mme Mirecki, qui ont par la suite été abandonnées. Le fonctionnaire a répondu à un courriel dans lequel il était informé que des plaintes de harcèlement avaient été déposées. Dans le rapport de Quintet, il a été déterminé que le seul objectif du 4e courriel était de dire à Mme Mirecki [traduction] « […] ce qu’elle sait déjà, à savoir qu’elle est en partie responsable de la réunion disciplinaire et de l’allégation qui y a été formulée, et de lui faire savoir que cela ne le dérange pas outre mesure; en d’autres termes, de l’intimider ».

[175] Le raisonnement élaboré dans le rapport de Quintet sur ce point est difficile à suivre. Si le fonctionnaire a affirmé à Mme Mirecki qu’il n’était [traduction] « pas perturbé outre mesure » par le processus disciplinaire déclenché par sa plainte et celle du Dr Ginsburg, comment peut-on en conclure qu’il avait l’intention d’intimider Mme Mirecki? Cette déclaration n’aurait pu avoir un effet négatif sur elle que si nous partons du principe que le motif caché de sa plainte était de contrarier le fonctionnaire. Je ne pense pas que ce soit le cas. L’analyse contenue dans le rapport de Quintet ne concorde pas avec le contenu du courriel, étant donné l’absence totale de toute preuve de mauvaise foi de la part de Mme Mirecki pendant toute la période pertinente.

[176] Dans la première phrase du 4e courriel est reconnu le conflit intenable qui régnait alors au sein de l’établissement, ce dont tous les témoins ont témoigné. Cette phrase ne renferme aucun élément de harcèlement ou inapproprié. La déclaration du fonctionnaire selon laquelle il croyait également être l’objet de harcèlement ne semble pas, à sa face même, être provocatrice ou menaçante. D’après la preuve présentée à l’audience, cette déclaration semble refléter, avec un certain degré de modération et de retenue, son point de vue sincère à ce moment-là.

[177] Le deuxième paragraphe du 4e courriel indique que le fonctionnaire se retire du processus de médiation parce que des plaintes officielles ont été déposées. Il s’agit d’une déclaration directe et raisonnable à sa face même. Bien que j’accepte le témoignage de Mme Mirecki selon lequel elle l’a trouvé menaçant, je ne vois pas comment le fonctionnaire aurait pu raisonnablement prévoir sa réaction. Le seul élément douteux est le mot [traduction] « officiels » souligné, dont on pourrait déduire qu’il traduit un certain degré de colère ou de frustration. Il n’est pas possible de conclure qu’une expression mineure d’un degré modéré de colère ou de frustration, surtout dans le contexte d’un conflit de travail de longue date, constitue, en soi, un cas de harcèlement. En apprenant que des plaintes officielles avaient été déposées au sujet de son comportement non professionnel, le fonctionnaire s’est, sans surprise, retiré d’une médiation volontaire. Le fait de communiquer ce fait, même en exprimant possiblement un trait de sarcasme, de colère ou de frustration, ne constitue pas en soi un cas de harcèlement, même si cette attitude est mal perçue et mal jugée.

[178] L’habitude du fonctionnaire de recourir à une mise en forme excessive sous forme de soulignement, de caractères gras ou rouges et de guillemets se retrouve dans les troisième et quatrième paragraphes du 4e courriel. Comme dans le deuxième paragraphe, je ne vois pas en quoi les guillemets encadrant les mots [traduction] « réunion disciplinaire » et [traduction] « comportement non professionnel » (qui pourraient traduire un sarcasme, bien que cela soit ambigu, étant donné que le fonctionnaire utilise également des guillemets pour mettre en évidence) constituent en soi du harcèlement; de même, les trois occurrences de soulignement ([traduction] « officiels », [traduction] « Vous » et l’expression [traduction] « votre plainte officielle et […] celle de Chris ») ne peuvent être raisonnablement interprétées comme une menace.

[179] Mme Mirecki a expressément déclaré dans son témoignage qu’elle s’est sentie menacée par l’utilisation de l’expression [traduction] « qu’il en soit donc ainsi » par le fonctionnaire. Encore une fois, je ne remets pas en question la sincérité de sa réaction, mais il est difficile de comprendre, à partir de ce courriel, pourquoi ces mots ont pu avoir une telle résonance pour elle. Dans le rapport de Quintet, il a été déterminé que ces mots signifiaient que le fonctionnaire n’était [traduction] « pas préoccupé outre mesure » par les plaintes, et bien que cette conclusion ne soit pas défendable dans le contexte de l’ensemble du courriel, elle témoigne du niveau de résignation à l’égard des circonstances que les mots [traduction] « qu’il en soit donc ainsi » expriment habituellement. Compte tenu de la décision de Mme Mirecki, le fonctionnaire a informé cette dernière de sa propre décision, qui était de se retirer du processus de médiation. On ne m’a jamais laissé suggérer qu’il n’avait pas le droit de prendre cette décision ou qu’il lui était interdit de la communiquer à Mme Mirecki. Ce n’était pas une décision déraisonnable dans les circonstances. Aucune preuve ne m’a été présentée selon laquelle la décision a été prise pour des raisons de mauvaise foi envers Mme Mirecki. Je ne comprends pas comment cette phrase peut objectivement être perçue comme une menace ou comment le fonctionnaire aurait pu raisonnablement prévoir que Mme Mirecki la percevrait comme telle.

[180] Le cinquième paragraphe du 4e courriel expose les hypothèses du fonctionnaire, qui mettent l’accent sur le Dr Ginsburg, quant à la raison pour laquelle une entrevue disciplinaire a été convoquée, et indique que le Dr Ginsburg se sert de Mme Mirecki. Bien que le fonctionnaire ait pu le croire, affirmer qu’une personne est utilisée par un tiers est une insulte à son égard et remet en question à la fois sa capacité d’agir et son jugement. L’expression [traduction] « Félicitations à Joel » est incontestablement sarcastique, et les mots [traduction] « Coup classique » sont critiques et narquois, bien qu’ils semblent viser principalement, indirectement, le Dr Ginsburg plutôt que Mme Mirecki, malgré le fait que cette dernière et Mme McLeod soient les seules destinataires du courriel. Il n’y a rien d’inapproprié dans la liste de distribution du courriel; son contenu est destiné à Mme McLeod et à Mme Mirecki, ses seules destinataires.

[181] Une interprétation du sens ordinaire du contenu du courriel ne permet pas d’étayer les conclusions contenues dans le rapport de Quintet. Le courriel n’avait pas pour but d’intimider ou de menacer Mme Mirecki et, en tant que tel, il ne constituait pas du harcèlement.

[182] Il reste à savoir si le courriel est par ailleurs discourtois, et s’il constitue un acte de maltraitance ou de harcèlement. Il contient une pique (l’idée que Mme Mirecki est utilisée) et des expressions de frustration (et peut-être de colère) qui se retrouvent dans certains éléments de mise en forme et dans la phrase sarcastique [traduction] « Félicitations à Joel » et les mots narquois [traduction] « Coup familier ». Ces expressions sont inappropriées et discourtoises mais ne constituent pas en elles‑mêmes de la maltraitance ou du harcèlement.

v. 5e courriel

[183] Les témoins de l’employeur ont soutenu que la signature d’un formulaire vierge pouvait s’avérer convenable ou nécessaire, mais il est difficile d’imaginer les circonstances dans lesquelles il pourrait en être ainsi. Aucun élément de preuve qui puisse justifier une telle pratique n’a été présenté devant moi. La Directive du commissaire 803 – Consentement relatif aux évaluations, aux traitements et à la communication de renseignements médicaux (« DC 803 »), qui était annexée au rapport de Quintet, prévoit que « [l]e consentement doit être donné librement, être éclairé et porter expressément sur l’évaluation, le traitement ou la procédure en cause ». Il n’est pas spécifiquement question de la signature d’un formulaire vierge, pas plus que du contenu auquel on consent.

[184] Rien ne prouve qu’il s’agissait d’une pratique courante, ni que des circonstances urgentes ou inhabituelles rendaient cette façon de procéder nécessaire. Les arguments de l’employeur concernant la possibilité hypothétique d’obtenir exclusivement un consentement verbal ne sont pas pertinents, étant donné que le consentement donné était écrit. Mme Mirecki a témoigné qu’elle n’aurait jamais rempli un formulaire de consentement de façon rétroactive. Il faut présumer qu’elle avait l’intention de continuer les démarches en utilisant le formulaire sous sa forme actuelle, avec peu de précisions.

[185] De plus, tant la DC 803 que les témoignages confirment que le consentement peut être retiré. Quelle qu’ait pu être la nature du consentement donné par le détenu en signant les formulaires vierges, le témoignage du fonctionnaire selon lequel le détenu souhaitait retirer son consentement n’a pas été contredit. Le 5e courriel a fait état de la volonté du détenu de retirer son consentement. En soi, cela ne semble en aucune façon inapproprié.

[186] Le fait que le fonctionnaire ait envoyé le 5e courriel était-il par ailleurs un acte de maltraitance ou de harcèlement? Encore une fois, le soulignement, les guillemets et ses autres habitudes de mise en forme excessives et inutiles sont évidents. Cela ne correspond pas à une norme professionnelle de communication, mais les guillemets encadrant les termes [traduction] « formulaires de consentement des SSME » [traduction] « formulaire vierge » et [traduction] « Consentement pour ??? » ne semblent pas sarcastiques (bien que les trois points d’interrogation aient un caractère critique). De même, le soulignement et les caractères gras ne sont pas sarcastiques. Ils sont utilisés dans le but pour lequel ils sont prévus, à savoir attirer l’attention sur un point central. Il n’y a rien d’inapproprié dans la liste de distribution du courriel; il a été envoyé uniquement à Mme Mirecki.

[187] Dans le 5e courriel, le manque de courtoisie tient aux guillemets empreints de sarcasme qui mettent en évidence la faute d’orthographe et le consentement défectueux ([traduction] « […] traitements [“tratments” [sic] dans l’original] auxquels il a consenti […] »). C’est une démarche du même genre que celle adoptée dans le 2e courriel, où l’expression « tem [sic] work » [travail d’équipe] figurait entre guillemets, et que Mme Mirecki a qualifiée de [traduction] « petite pique ». Comme pour le 2e courriel, ce commentaire n’est pas suffisamment offensant pour constituer de la maltraitance ou du harcèlement en soi, mais il s’agit d’une communication discourtoise à sa face même.

[188] Cependant, le 5e courriel ne peut être pris isolément. Au moment où il a été envoyé, le fonctionnaire avait déjà reçu le courriel du 1er juin 2011 de Mme Mirecki, qui indiquait que ses pratiques de communication, notamment ses remarques sarcastiques et la mise en évidence de ses lacunes professionnelles, l’avaient offensée et lui avaient causé du tort. Malgré le fait qu’il savait que son sarcasme pouvait causer du tort et l’offenser, il a envoyé à Mme Mirecki le 5e courriel, avec la remarque sarcastique sans équivoque [traduction] « […] traitements [“tratments” [sic] dans l’original] auxquels il a consenti […] ».

[189] La remarque [traduction] « […] traitements [“tratments” [sic] dans l’original] auxquels il a consenti […] », ainsi que l’expression [traduction] « grave violation professionnelle », constituent-ils du harcèlement ou de la maltraitance en sachant que Mme Mirecki avait déjà indiqué par écrit au fonctionnaire que son sarcasme faisait partie des pratiques qui lui avaient causé du tort? Bien que le courriel de Mme Mirecki du 1er juin 2011 accentue le manque de courtoisie du sarcasme dans le courriel, je ne considère pas qu’une seule remarque sarcastique constitue du harcèlement en soi. Le critère du harcèlement n’est pas entièrement subjectif; il comporte également un élément objectif. Comme il a été indiqué au paragraphe 68 de Joss : « Une conduite importune ne suffit pas en elle-même pour qu’on puisse conclure qu’une plainte de harcèlement est fondée. »

[190] J’ai déjà indiqué que les remarques exprimant des préoccupations professionnelles doivent faire l’objet d’une analyse contextuelle pour déterminer s’il y a eu harcèlement. Dans le cas de ce courriel, j’estime que la préoccupation soulevée était sincère et qu’elle a été exprimée sans mettre d’autres personnes en copie. Dans ces circonstances, le fait de soulever une préoccupation professionnelle ne constitue pas du harcèlement, même en tenant compte du manque de courtoisie.

[191] La remarque [traduction] « […]traitements [“tratments” [sic] dans l’original] auxquels il a consenti […] » est incontestablement impolie. Le fonctionnaire avait déjà clairement indiqué qu’il ne considérait pas le consentement en question comme valide. Les guillemets encadrant le mot [traduction] « consenti » expriment cette préoccupation de manière grossière, sans élégance ni esprit de collaboration. Cette remarque manque singulièrement de courtoisie, mais elle n’est pas suffisamment grave, en soi, pour être qualifiée de harcèlement ou de maltraitance. Le mécontentement compréhensible et raisonnable de Mme Mirecki à l’égard du style et du ton de ce commentaire ne change rien à ce fait objectif.

vi. 6e courriel

[192] On peut facilement concevoir des circonstances dans lesquelles le fait de fournir des informations à un détenu pourrait être un moyen de harceler ou de maltraiter un collègue travaillant au sein d’un établissement correctionnel. Dans le présent cas, aucune preuve convaincante ne me permet d’affirmer qu’il en a été ainsi. Rien ne prouve que le détenu en question avait le statut de délinquant dangereux ou était de toute autre manière dangereux au sein de l’établissement. Les souvenirs de Mme Mirecki sur ce point étaient très vagues. Le Dr Ginsburg, M. Rowntree et M. Tempest ont émis l’hypothèse générale qu’un détenu aurait pu trouver le contenu du 6e courriel provocateur et que le fait de mettre de telles informations entre les mains d’un détenu aurait pu lui causer du tort. Aucune preuve n’a été apportée d’une menace réelle de la part du détenu ou d’une probabilité de préjudice qui ne serait pas fondée sur des hypothèses générales. Aucune mesure n’a jamais été prise pour protéger Mme Mirecki contre toute menace ou tout danger perçu résultant du 6e courriel.

[193] Le souvenir du fonctionnaire au sujet du détenu était précis et n’a été contredit par aucun autre témoignage. Il s’est souvenu que le détenu était instable, qu’il avait des antécédents suicidaires et qu’il représentait un danger pour lui-même. En outre, le détenu savait déjà, simplement en raison du temps écoulé, que son renvoi n’avait pas été suivi d’effet, de sorte que l’information soulignée dans le courriel n’était pas nouvelle. Le fonctionnaire a témoigné que le courriel aurait en fait apaisé les inquiétudes du détenu et l’aurait donc calmé, car il aurait indiqué qu’on avait donné suite à une demande qui n’avait pas reçu de réponse auparavant. Même si le détenu n’avait pas été mis en copie (ce qui, selon le rapport de Quintet, est la seule raison pour laquelle le 6e courriel constitue du harcèlement), le 6e courriel aurait, de toute façon, fait partie du dossier du détenu, auquel il avait le droit d’accéder. Il n’est pas possible, dans ce contexte, d’affirmer que ce courriel était implicitement à ce point menaçant ou dangereux pour Mme Mirecki qu’il constituait du harcèlement ou de la maltraitance.

[194] Le rapport de Packer a fait état d’autres courriels du fonctionnaire découverts dans des dossiers de détenus et qui auraient pu nuire à la réputation professionnelle. Il ressort clairement de la preuve que ce n’était pas la première fois qu’il partageait des informations avec un détenu ou à son sujet, ou qu’il rendait potentiellement accessibles des informations à un détenu d’une manière que l’employeur considérait comme inappropriée. Cela s’était produit dans le cas d’un des clients de M. Rowntree, d’une manière que M. Rowntree a décrite comme très similaire à celle décrite dans le 6e courriel. Je n’ai aucune preuve que cette pratique, même si elle a violé une règle non écrite, ait été qualifiée de pratique de harcèlement ou de maltraitance dans des affaires antérieures.

[195] L’employeur a beaucoup insisté sur le fait que Mme Mirecki est une femme de faible constitution physique et qu’elle serait donc inévitablement moins capable de repousser une menace physique que d’autres personnes. L’avocat de l’agent négociateur s’est vivement opposé à cet argument. Il est bien établi que les femmes, y compris celles qui sont fines, peuvent être particulièrement douées pour bien se défendre. Je n’ai reçu aucune preuve des capacités de Mme Mirecki à cet égard, si ce n’est les spéculations de l’avocat. J’estime que la taille ou le sexe de Mme Mirecki n’est pas pertinent pour déterminer si une menace pesait sur elle, surtout en l’absence de toute preuve concrète d’une telle menace.

[196] La preuve a donné lieu à de nombreuses discussions sur la question de savoir si la demande du détenu visant à obtenir un médicament particulier aurait pu ou dû être accordée. Je n’ai pas accepté en preuve les informations concernant les propriétés du médicament spécifique demandé par le détenu. Il n’a pas été contesté que le fonctionnaire avait demandé un médicament sédatif trois semaines auparavant et que cette demande était restée sans réponse lorsque le 6e courriel a été envoyé. Selon le fonctionnaire, qui était psychologue, le détenu était agité parce qu’il n’avait pas reçu de réponse à sa demande. Bien que l’employeur ait pu soupçonner d’autres motifs pour expliquer l’agitation, rien devant moi ne permettait de contester de manière significative la bonne foi de l’évaluation professionnelle du fonctionnaire. Son courriel ne préconise ni ne demande un médicament particulier. Le 6e courriel indique qu’il avait fait une demande de [traduction] « sédation possible par voie médicamenteuse » trois semaines auparavant et demande de [traduction] « prescrire quelque chose [au détenu] pour sa sédation ». Il y est ensuite indiqué que les deux tentatives de suicide antérieures du détenu, ainsi que les verbalisations actuelles du détenu à ce sujet, sont préoccupantes. Aucun de ces éléments de preuve n’a été contesté.

[197] Dans le rapport de Quintet, il a été déterminé que le 6e courriel constituait du harcèlement uniquement parce qu’il a été transmis à un détenu. Je n’ai donc pas tenu compte de la liste de distribution de ce courriel dans mes motifs.

[198] Le témoignage de plusieurs témoins indiquant que le fait de remettre une copie d’un courriel contenant les informations figurant dans le 6e courriel à un détenu enfreignait une [traduction] « règle non écrite » (selon le rapport de Quintet) et [traduction] « ne se faisait pas » n’a pas non plus été contredit. Sur la base de ces considérations, je conclus que le 6e courriel constitue une violation grave de la courtoisie professionnelle.

B. Analyse – omission de garder des documents en lieu sûr

[199] L’un des motifs invoqués dans la lettre disciplinaire de l’employeur est l’omission de garder les documents en lieu sûr. Ce motif laisse perplexe. On peut supposer que la conservation de documents en lieu sûr consiste à les garder hors de portée des personnes qui n’ont pas la cote de sécurité requise pour les consulter et à respecter les protocoles de confidentialité et de sécurité électronique qui peuvent s’appliquer aux documents en question (voir, par exemple, D’Cunha c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2019 CRTESPF 78, et Petrovic c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2015 CRTESPF 16). On pourrait aussi raisonnablement supposer qu’il s’agit de s’assurer que les documents ne sont pas détruits de façon irréfléchie, éliminés de façon négligente ou entreposés de façon inappropriée.

[200] Il a été question de la conservation de documents en lieu sûr, dans le présent cas, dans le cadre de deux situations : la copie de courriels à des personnes qui n’avaient peut-être pas besoin d’en connaître le contenu et la communication d’un courriel à un détenu.

[201] En ce qui concerne la mise en copie de personnes, le 1er, le 2e, le 4e et le 5e courriels n’ont été transmis qu’aux personnes directement concernées par leur contenu. Le fonctionnaire a justifié la mise en copie de personnes concernant le 3e courriel et cette justification est raisonnable, comme on l’a déjà vu dans la partie consacrée aux motifs de la mise en copie concernant le 3e courriel.

[202] Le 6e courriel contenait des informations auxquelles le détenu avait légalement le droit d’accéder, et qu’il pouvait obtenir grâce à une demande d’accès à l’information. La véritable préoccupation n’était pas que les informations soient révélées à une personne qui n’y avait pas droit. Comme l’a fait remarquer le fonctionnaire, si les informations avaient été communiquées uniquement dans le cadre d’une conversation, il aurait fallu les consigner dans un dossier auquel le détenu aurait eu accès. C’est le manque de courtoisie avec lequel ces informations ont été révélées, à l’insu de Mme Mirecki et avant que les préoccupations n’aient pu être soulevées et traitées au sein du Service, en suivant le processus habituel, qui a posé problème. Encore une fois, le témoignage selon lequel cela a enfreint une règle non écrite de courtoisie professionnelle n’a pas été contredit. Donc, bien que le 6e courriel constitue une faute de conduite, il ne s’agit pas d’une faute de conduite liée à la conservation de documents en lieu sûr. Par conséquent, les faits n’ont pas permis de prouver l’existence d’une faute de conduite liée à la conservation de documents en lieu sûr.

C. La preuve révèle-t-elle une conduite de harcèlement?

[203] Il est bien établi que les motifs énoncés dans une lettre disciplinaire ne peuvent être étendus ou modifiés (bien qu’un employeur puisse retirer certains de ces motifs s’il le souhaite), même si les faits suggèrent qu’ils auraient pu ou dû l’être.

[204] Il est évident que la mesure disciplinaire prise par l’employeur, telle qu’elle est décrite dans la lettre disciplinaire, était fondée sur les conclusions du rapport de Quintet. L’auteur du rapport de Quintet a examiné de nombreux courriels l’un après l’autre et a déterminé s’ils constituaient, individuellement, du harcèlement. Dans le rapport de Quintet, a été conclu que seuls les six courriels contestés, considérés isolément, constituaient en eux-mêmes du harcèlement.

[205] Pour des raisons tout à fait floues, il n’a jamais été question dans le rapport de Quintet de vérifier si les nombreux courriels examinés (tant ceux considérés comme constituant un harcèlement que ceux considérés comme simplement inappropriés) représentaient un modèle de comportement ou une ligne de conduite qui constituait un harcèlement dans son ensemble, dans le cadre d’un continuum.

[206] Des incidents minimes, dont on pourrait dire qu’il s’agit de gouttes d’eau, peuvent être à peine détectés. Des incidents isolés d’incivilité mineure, de sarcasme, de mots mal choisis et de méchanceté imprudente ne constituent généralement pas, en eux-mêmes, un harcèlement, même s’ils peuvent constituer une incivilité ou une inconvenance. Mais une succession régulière de tels incidents, se produisant sans relâche et de manière sporadique sur une période de temps considérable, peut devenir insupportable et causer ainsi le préjudice que les politiques en matière de harcèlement ont pour but de prévenir. Ce principe est bien reconnu dans la jurisprudence, y compris celle invoquée par les parties, qui souligne que le harcèlement se manifeste plus souvent dans une série de comportements que lors d’un incident isolé.

[207] Pour établir l’existence d’un harcèlement sur la base d’une ligne de conduite, il faut que toute la ligne de conduite, ou un comportement qui s’en rapproche, soit mise en évidence. On ne peut prouver l’existence d’une ligne de conduite en faisant état de quelques-uns des pires incidents, en particulier lorsque de nombreux incidents sont, en soi, relativement insignifiants, comme c’est le cas ici.

[208] De même, on ne peut prouver l’existence d’une conduite de harcèlement par la preuve du comportement de l’auteur présumé du harcèlement à l’égard de tiers dans des situations qui dépassent la portée des allégations de harcèlement en cause. Les nombreux éléments de preuve concernant les expériences personnelles du Dr Ginsburg et de M. Rowntree avec le fonctionnaire sont pour la plupart non pertinents parce que la plainte de harcèlement qui a donné lieu à une mesure disciplinaire a été déposée par Mme Mirecki seule.

[209] Le Dr Ginsburg et M. Rowntree ont tous deux été des témoins honnêtes et crédibles. Toutefois, il existe une différence entre la crédibilité et la fiabilité. La fiabilité d’un témoin, même très crédible, peut être compromise par un certain nombre de facteurs différents qui influent sur sa capacité d’observer, d’interpréter, de raconter et de se souvenir (voir, par exemple, Regina v. Morrissey, [1995] 22 O.R. (3e) 514). Les deux témoins entretenaient depuis longtemps des conflits personnels profondément enracinés avec le fonctionnaire, ce qui aurait pu les empêcher de faire une lecture neutre ou objective de ses courriels.

[210] L’animosité du Dr Ginsburg à l’égard du fonctionnaire était évidente dans son témoignage. Bien que M. Rowntree ait été plus mesuré, il est évident que ses interactions avec le fonctionnaire étaient également tendues depuis un certain temps. Dans les deux cas, elles l’étaient bien avant l’arrivée de Mme Mirecki dans le milieu de travail. Leurs interprétations des courriels contestés semblent avoir été nettement influencées par ces conflits préexistants. À cet égard, je note l’insistance du Dr Ginsburg sur le fait que le détenu au centre des préoccupations dans le 2e courriel recevait un [traduction] « traitement » dans le cadre de visites de cinq minutes de lui et du fonctionnaire, qui communiquaient par l’entremise d’une ouverture destinée à la distribution de nourriture. Je relève également l’insistance de M. Rowntree sur le fait que le consentement pourrait hypothétiquement être donné en signant un formulaire vierge. Je souligne en outre la certitude marquée des interprétations négatives qu’ils ont tous deux données dans leur témoignage à des mots et expressions relativement inoffensifs ou ambigus (tels que [traduction] « avec peine ») dans les courriels contestés.

[211] J’ai déjà déterminé que les 1er et 3e courriels ne justifiaient pas l’imposition de mesures disciplinaires. Les 2e, 4e, 5e et 6e courriels, pris ensemble, forment-ils une conduite de harcèlement? Étant donné que les deux avocats ont présenté des arguments à cet égard et que l’avocat de l’agent négociateur semble avoir admis qu’une conduite de harcèlement aurait pu constituer un motif de mesures disciplinaires dans la présente affaire, malgré mes conclusions antérieures selon lesquelles l’employeur n’a pas invoqué une conduite de harcèlement comme motif de mesures disciplinaires, j’examinerai la question de savoir si ces quatre courriels auraient pu constituer une conduite de harcèlement.

[212] Les quatre courriels qui constituent une faute de conduite ont été envoyés aux dates suivantes :

1) le 2e courriel, daté du 16 mai 2011 (les mots « tem [sic] work » [travail d’équipe] et les guillemets empreints de sarcasme);

2) le 4e courriel, daté du 30 mai 2011 (la pique à Mme Mirecki, le sarcasme et la colère implicite);

3) le 5e courriel, daté du 22 novembre 2011 (l’expression [traduction] « traitements » [« tratments » [sic] dans l’original] auxquels il a [traduction] « consenti » […] ».

4) le 6e courriel, daté du 9 décembre 2011 (communiqué de manière inappropriée à un détenu).

 

[213] Les deux courriels dont le contenu et le style se ressemblent le plus sont les 2e et 5e courriels, qui répètent de manière désobligeante les fautes de typographie de Mme Mirecki en les mettant entre guillemets de manière exagérée. Ces deux courriels ont été envoyés à plus de six mois d’intervalle, ce qui ne permet pas de conclure à l’existence d’un continuum. Le 4e courriel est différent des 2e et 5e courriels; il contient une expression de colère qui semble principalement dirigée contre le Dr Ginsburg, bien qu’il ne soit pas un destinataire dudit courriel; il contient également une pique adressée à Mme Mirecki, dans laquelle le fonctionnaire lui affirme qu’elle est utilisée. Il convient de souligner qu’il s’agit du seul courriel portant sur le processus de résolution des conflits et non sur des questions professionnelles ou cliniques. Le 6e courriel, communiqué de manière inappropriée à un détenu, se distingue de nouveau des trois autres courriels par la nature de la faute de conduite qu’il renferme.

[214] En suivant la chronologie, on constate deux paires claires de courriels parmi les quatre que nous venons de mentionner : les 2e et 4e courriels, rédigés à 14 jours d’intervalle, et, presque six mois plus tard, les 5e et 6e courriels, rédigés à 17 jours d’intervalle. Il existe peu de similitudes entre ces deux paires de courriels. Les incidents de conduite manquant de courtoisie dans les quatre courriels sont tous des exemples relativement mineurs de sarcasme ou d’incivilité, à l’exception du 6e courriel.

[215] Lorsqu’il est question d’établir l’existence d’une conduite de harcèlement ou d’un modèle de comportement, les incidents qui composent le modèle présentent généralement une certaine similitude quant à leur nature, et ils se produisent généralement à des dates relativement proches les unes des autres. Bien que cela ne signifie pas que les incidents invoqués pour établir une conduite de harcèlement doivent être identiques ou similaires, l’absence de similitude entre certains des incidents dans le présent cas et les intervalles de temps entre les incidents similaires ne permettent pas de conclure à l’existence d’une conduite de harcèlement. Même si le professionnalisme lacunaire constaté dans le 1er courriel (8 avril 2011) est pris en compte dans l’analyse, la conclusion demeure inchangée. Si j’avais été saisie d’un plus grand nombre d’incidents de ce type pour justifier une mesure disciplinaire, ou si les incidents avaient été plus rapprochés dans le temps, ma conclusion aurait pu être différente.

[216] Même en faisant abstraction de la question de la tolérance qui se pose à l’égard de certains de ces courriels, lorsqu’on les considère collectivement, ils ne constituent pas un modèle de comportement ou une ligne de conduite de harcèlement.

D. Résumé de la faute de conduite établie par la preuve

[217] En résumé, voici les éléments des courriels contestés qui traduisent un manque de courtoisie :

• 2e courriel – les mots « tem [sic] work » [travail d’équipe], et les guillemets empreints de sarcasme;

• 4e courriel – la pique adressée à Mme Mirecki, le sarcasme et la colère implicites et la mise en forme excessive;

• 5e courriel – le mot « tratments » [sic] [traitements], les guillemets empreints de sarcasme et la mise en force excessive;

• 6e courriel – la communication d’un courriel à un détenu dans lequel il est fait mention de préoccupations professionnelles.

 

[218] À ce titre, j’estime qu’une partie de la faute de conduite évoquée dans la lettre disciplinaire de l’employeur a pris la forme de ces courriels manquant de courtoisie.

2. Quelle sanction disciplinaire est indiquée?

[219] C’est un principe bien établi que, lorsque les motifs disciplinaires sont restreints, la pertinence de la sanction doit être réexaminée. Ce principe s’applique dans le présent cas. La lettre disciplinaire comprenait les motifs disciplinaires suivants :

[…]

· 10b) par ses paroles ou ses actes, est injurieux ou offensant envers d’autres employés pendant qu’il est de service ou dans des circonstances reliées à son travail;

· 10e) commet un acte de harcèlement, sexuel ou autre, ou de discrimination à l’endroit d’un autre employé […]

[…]

 

[220] Ces motifs sont des exemples d’infractions constituant des violations du paragraphe 9 de la Directive du Commissaire 060 – Code de discipline, qui se lit comme suit :

9. Les relations avec les autres employés doivent favoriser le respect mutuel au sein du Service correctionnel du Canada et améliorer la qualité des services. Les employés sont tenus de contribuer à la création d’un milieu de travail sain, sûr et sécuritaire, exempt de harcèlement et de discrimination.

 

[221] La Directive du commissaire 060 – Code de discipline énonce ce qui suit au paragraphe 3 : « Une liste d’exemples d’infractions est présentée sous chaque règle précise. Ces listes ne sont pas exhaustives. »

[222] Pour déterminer la sanction disciplinaire à imposer au fonctionnaire pour son comportement discourtois contraire à la Directive du commissaire 060 – Code de discipline, il faut tenir compte de la nature de la faute de conduite et des facteurs atténuants pertinents. Le manque de courtoisie est une forme de faute de conduite moins grave que le harcèlement. L’employeur a tenu compte des années de service du fonctionnaire. L’agent négociateur a fait valoir que l’employeur aurait dû tenir compte de ces trois facteurs atténuants supplémentaires : la tolérance, le caractère discriminatoire de la mesure disciplinaire et le retard dans l’application de la mesure disciplinaire. Un autre facteur pertinent est le remords du fonctionnaire (ou, comme l’a soutenu l’employeur, son absence de remords) à l’égard de sa faute de conduite.

[223] Le fonctionnaire a été convoqué à une entrevue visant à établir les faits dans le cadre de l’enquête de Packer sur le 2e courriel. L’employeur a ensuite mis fin à cette enquête. Ainsi que l’a fait remarquer la Cour fédérale dans Chopra, aux paragraphes 195 à 198 :

[195] […] si une longue période s’écoule avant qu’une mesure disciplinaire soit prise, l’employé peut supposer que son comportement a été toléré par l’employeur étant donné qu’aucun avertissement ne lui a été servi et qu’il n’a reçu aucun avis relativement à la prise éventuelle de mesures disciplinaires. Il est injuste de laisser des employés croire que leur comportement a été toléré, pour leur donner un faux sentiment de sécurité en attendant de les punir plus tard […]

[196] Pour décider si une mesure disciplinaire doit être annulée à cause de la longue période écoulée depuis le comportement fautif, les arbitres tiennent compte de trois principaux facteurs. Il s’agit de la durée de la période écoulée, des motifs du retard et des préjudices causés par ce dernier […]

[197] Lorsqu’il y a eu retard à prendre une mesure disciplinaire, l’arbitre doit chercher un équilibre entre l’explication fournie par l’employeur pour le justifier et le préjudice subi par l’auteur du grief afin de trouver une [traduction] « solution juste et équitable compte tenu de ces intérêts divergents » […]

[198] Dans la décision Lawrie Grievance, l’arbitre a poursuivi en soulignant que tout comme l’auteur d’un grief doit faire valoir rapidement les droits que lui confère la convention collective, [traduction] « l’employeur peut quant à lui perdre son droit de prendre des mesures disciplinaires contre un employé relativement à une allégation d’inconduite parce qu’il a tardé à exercer ce droit » […]

 

[224] La seule explication offerte par l’employeur pour justifier le retard dans l’imposition de mesures disciplinaires en raison de l’envoi des 2e, 3e et 4e courriels est que celui-ci demeurait optimiste quant à la possibilité que les démarches informelles ou non disciplinaires auprès du fonctionnaire puissent s’avérer efficaces. Cet argument n’est pas conforme à la preuve. Mme Mirecki avait déclaré dans son courriel du 1er juin 2011 qu’elle faisait l’objet d’un harcèlement continu. Le 21 juin 2011, le Dr Ginsburg avait déclaré par écrit qu’il ne pouvait pas assurer un milieu de travail exempt de harcèlement. Le Dr Ginsburg a témoigné avoir pensé que le fait d’aborder le contenu répréhensible des courriels contestés de manière informelle avec le fonctionnaire aurait été une [traduction] « catastrophe », une déclaration qui ne cadre pas avec l’optimisme de l’employeur. Aucun de ces éléments ne vient donner du crédit à la croyance de l’employeur en la possibilité pour le fonctionnaire de changer de style de communication sans intervention disciplinaire.

[225] Après la médiation de McLeod, à la suite de laquelle le Dr Ginsburg a démissionné, il ne subsistait plus le moindre espoir de voir s’améliorer le style discourtois du fonctionnaire. Environ un mois après la fin de la médiation de McLeod, le fonctionnaire a rédigé le 5e courriel, croyant toujours à tort que le style du 2e courriel (qui remontait alors à plus de six mois et qui avait fait l’objet d’une enquête interrompue) ne justifiait pas l’imposition d’une mesure disciplinaire.

[226] Le retard dans l’imposition de mesures disciplinaires semble avoir été largement dû à la croyance erronée de l’employeur qu’une plainte officielle était nécessaire avant de pouvoir enquêter sur un harcèlement potentiel, une croyance qui plaçait un lourd fardeau sur les épaules des personnes qui pensaient avoir été harcelées. Même Mme Mirecki semblait avoir abandonné l’espoir que la direction prenne des mesures à l’égard des sarcasmes récurrents contenus dans le 5e courriel, en dépit du fait qu’elle avait clairement souligné le tort que ce style de communication lui causait dans son courriel du 1er juin 2011.

[227] Mme Mirecki n’a pas déposé sa plainte de harcèlement avant l’envoi du 6e courriel. Elle savait qu’il [traduction] « engendrerait des suites » parce qu’un détenu y avait été mis en copie. Il semble raisonnable de conclure qu’elle et le fonctionnaire ont tous deux compris que l’employeur ne prendrait aucune mesure à l’égard des [traduction] « piques » et des traits de sarcasme mineurs. Ce sentiment a été renforcé par le fait que l’employeur n’a pas pris de mesures disciplinaires de manière prompte et réfléchie à l’égard du 2e courriel.

[228] Le retard dans la prise de mesures sanctionnant un harcèlement au travail ne peut être justifié par le fait d’avoir attendu qu’un employé dépose une plainte de harcèlement. Le retard a eu pour effet de tolérer le 2e courriel. Il a porté préjudice au fonctionnaire en lui faisant croire à tort que le style du 2e courriel n’entraînerait pas de mesures disciplinaires. C’est ce que révèle le 5e courriel, dans lequel la faute de conduite du 2e courriel est reproduite presque à l’identique (dans les deux courriels, les fautes d’orthographe de Mme Mirecki sont soulignées de façon sarcastique par des guillemets et la mise en forme est excessive de la même façon). Si le fonctionnaire avait fait l’objet de mesures disciplinaires en temps opportun après le 2e courriel, la faute de conduite constatée dans le 5e courriel n’aurait peut-être jamais eu lieu.

[229] Le fait que le fonctionnaire avait déjà reçu, à la date du 5e courriel, une réprimande en 2010 pour [traduction] « recours persistant à des communications négatives avec/au superviseur et un collègue, engendrant un environnement de travail négatif » ne change rien à cette conclusion. Il est incontestable que l’employeur était, à ce moment-là, bien conscient de sa propension à communiquer de manière discourtoise. Les témoignages du Dr Ginsburg, de M. Rowntree et de M. Tempest témoignent tous de cette prise de conscience. C’est une raison de plus pour laquelle une réponse rapide, qu’elle soit informelle ou autre, aurait été opportune lorsque le fonctionnaire a de nouveau fait preuve d’un comportement discourtois.

[230] Je ne pense pas que les mêmes principes de tolérance s’appliquent aux 4e et 6e courriels. La faute de conduite constatée dans ces courriels diffère, par l’expression même du manque de courtoisie, de la faute de conduite constatée dans les 2e et 5e courriels. Les 4e et 6e courriels diffèrent de ce que Mme Mirecki a qualifié de [traduction] « pique » pour une faute d’orthographe. Le 4e courriel contient un affront à la capacité d’agir et au jugement de Mme Mirecki, ainsi qu’un sarcasme et une colère implicites. Le 6e courriel enfreint une règle non écrite en ce qui concerne les pratiques liées à la mise en copie de personnes dans des courriels et aux détenus.

[231] Si la mise en forme excessive constatée dans le 4e et le 6e courriels peut être considérée comme ayant été tolérée compte tenu du fait que l’employeur n’a pas réagi rapidement à une mise en forme similaire constatée dans le 2e courriel, aucun des autres éléments les plus importants du contenu discourtois constaté dans les 4e et 6e courriels ne peut être considéré comme ayant été toléré en raison du fait que l’employeur n’a pas réagi en temps opportun au 2e courriel. Ce défaut d’agir permet de conclure à la tolérance du contenu discourtois du 5e courriel; il n’a pas donné carte blanche au fonctionnaire pour se comporter de la manière discourtoise qu’il jugeait appropriée à partir de ce moment jusqu’à ce qu’une mesure disciplinaire soit enfin imposée.

[232] Bon nombre des arguments de l’agent négociateur concernant le caractère discriminatoire des mesures disciplinaires relatives aux listes de distribution de courriels sont rendus sans objet par mes conclusions. Compte tenu de ces conclusions, les arguments de l’agent négociateur concernant la longue période écoulée avant l’imposition de mesures disciplinaires ne sont pertinents que pour le 4e courriel, daté du 30 mai 2011. Aucune preuve ne m’a été présentée indiquant que ce courriel a été examiné dans l’enquête de Packer. Mme Mirecki a déposé sa plainte le 10 janvier 2012. Bien que la durée de la période écoulée se situe à la limite supérieure des durées possibles, elle n’est pas déraisonnable dans le contexte des faits mentionnés plus haut, qui impliquent un examen des communications du fonctionnaire sur une période d’environ huit mois. Le temps nécessaire à la réalisation de l’enquête n’était pas déraisonnable, compte tenu de la portée des allégations en cause.

[233] Je ne pense pas que le fait que le fonctionnaire ait indiqué qu’il enverrait de nouveau certains des courriels contestés indique qu’il n’éprouve aucun remords quant au ton qu’il a employé dans certains de ces courriels. À l’exception du 4e courriel, tous les courriels contestés ont servi à exprimer des préoccupations d’ordre professionnel. Le fonctionnaire semble, avec le temps, avoir compris que le ton et le style qu’il employait dans ses communications étaient inappropriés. Il regrette son ton et n’apprécie pas le style qu’il retrouve dans certains de ses courriels; il est juste de conclure que s’il devait envoyer de nouveau l’un des courriels contestés, il changerait de ton et de style. Conclure le contraire n’aurait guère de sens.

[234] Il est également évident que les opinions professionnelles et cliniques du fonctionnaire, telles qu’elles sont exprimées dans les courriels contestés, n’ont pas changé. On peut raisonnablement en déduire que c’est la raison pour laquelle il soulèverait de nouveau les mêmes préoccupations, si elles devaient se présenter. S’il est tout aussi évident que ses collègues ne partagent pas toujours ses opinions, le désaccord entre praticiens professionnels n’est pas un manque de courtoisie en soi. Le fait de revenir sur un avis professionnel acquis de bonne foi ne constitue pas une condition pour démontrer l’existence de remords.

[235] Le fonctionnaire n’a pas manifesté de remords à l’égard de la communication du 6e courriel à un détenu.

V. Conclusion

[236] Pour les raisons susmentionnées, au vu de la preuve pertinente dont je dispose, il n’est pas possible de conclure à l’existence de maltraitance ou de harcèlement. Toutefois, les conclusions auxquelles je suis parvenu ne signifient pas que les préoccupations de Mme Mirecki en matière de harcèlement ou les préjudices qu’elle a déclaré avoir subis étaient donc nécessairement déraisonnables ou sans fondement. Mes conclusions auraient pu être différentes si j’avais disposé de l’historique complet des nombreuses communications du fonctionnaire avec Mme Mirecki comme d’un modèle de comportement ou d’une ligne de conduite.

[237] La preuve documentaire et le témoignage font état de certains aspects de la conduite du fonctionnaire à l’égard de Mme Mirecki qui sont très préoccupants. Mme Mirecki a indiqué qu’à un certain moment, le fonctionnaire a cessé de répondre à ses salutations habituelles, comme [traduction] « Bonjour ». Comme le mentionne la jurisprudence soumise par l’employeur, le fait d’adopter à l’égard d’une personne une [traduction] « attitude de mutisme » peut constituer du harcèlement dans certaines circonstances. Dans le rapport de Quintet, on peut lire que Mme Packer a indiqué que Mme Mirecki avait fondu en larmes peu de temps après son entretien avec elle, ce qui était lié au stress causé par le conflit en cours. Ce fait, ainsi que la crise de panique de Mme Mirecki après une interaction avec le fonctionnaire, aurait pu justifier une enquête rapide de la direction pour déterminer dans quelle mesure la conduite du fonctionnaire était la cause du préjudice subi par Mme Mirecki. Au lieu de cela, la preuve non contredite a démontré qu’on a effectivement dit à Mme Mirecki de réfléchir elle-même à la façon de gérer la situation. Bien que ce ne soit pas la question en litige principale dont je suis saisie, si tel a bien été le cas, c’est tout à fait regrettable.

[238] D’autres observations contenues dans les documents actuels portant sur la nécessité de prouver le harcèlement [traduction] « hors de tout doute raisonnable » et sur le fait que l’employeur ne peut intervenir en cas de harcèlement qu’après qu’une plainte a été déposée ne donnent pas une image favorable des mécanismes de réponse au harcèlement et de résolution des conflits en vigueur à l’époque, ni de la façon dont l’employeur comprenait alors ce qui constituait du harcèlement. Il faut espérer qu’avec le temps, la situation a changé.

[239] Les motifs pour lesquels l’employeur a pris des mesures disciplinaires, tels que décrits dans la lettre disciplinaire, se limitaient aux courriels contestés. Aucun d’entre eux, pris individuellement, ne permet de conclure à l’existence de maltraitance, de harcèlement ou à l’omission de garder des documents en lieu sûr. Certains des courriels contestés, comme il a été mentionné précédemment, appuient les conclusions de faute de conduite pour communications offensantes, en violation de la Directive du commissaire 060 – Code de discipline.

[240] En ce qui concerne le 4e courriel, une suspension d’un jour pour communications discourtoises est indiquée. En ce qui concerne le 6e courriel, une suspension de trois jours en raison de la communication d’un courriel à un détenu à l’insu de Mme Mirecki, ce qui constitue une violation des règles de conduite professionnelle reconnues, est indiquée. Ces sanctions tiennent compte des réprimandes antérieures infligées au fonctionnaire et de son absence de remords concernant le 6e courriel.

[241] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[242] La mesure disciplinaire est réduite à une suspension de quatre jours pour cause de communications manquant de courtoisie.

[243] L’employeur doit rembourser au fonctionnaire l’équivalent d’une journée de salaire et les prestations équivalentes, majorées des intérêts, déduction faite des retenues légales et syndicales applicables. Le fonctionnaire percevra des intérêts aux taux d’intérêt préjugement et post-jugement prévus par la Loi sur les Cours fédérales (L.R.C. (1985), ch. F-7).

[244] Je demeurerai saisie de la présente affaire pendant 120 jours à compter de la date de la présente décision, advenant toute question relative au calcul des montants susmentionnés.

Le 20 février 2023.

Traduction de la CRTESPF

Edith Bramwell,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

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