Décisions de la CRTESPF

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Date: 20230406

Dossiers: 566-02-10259 à 10261

et 568-02-00329 à 00331

 

Référence: 2023 CRTESPF 34

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Jean-Claude Bastien

fonctionnaire s’estimant lésé et demandeur

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(Agence des services frontaliers du Canada)

 

employeur et défendeur

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(Agence des services frontaliers du Canada)

 

défendeur

 

Répertorié

Bastien c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada) et Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant des demandes visant la prorogation d’un délai visée à l’alinéa 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral et des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

Devant : Amélie Lavictoire, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé et demandeur : Marie-Pier Dupont, avocate

Pour l’employeur et défendeur : Noémie Fillion, avocate

 

Affaire entendue par vidéoconférence,

du 21 au 23 juin 2022.


MOTIFS DE DÉCISION

[1] En novembre 2014, le fonctionnaire s’estimant lésé, Jean-Claude Bastien (le « fonctionnaire »), a renvoyé des griefs à l’arbitrage en vertu des alinéas 209(1)a) et b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2), aujourd’hui la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2). Ces griefs portaient sur la décision de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’« Agence ») de le suspendre sans solde pour une durée de 150 heures et de convertir des congés de maladie qu’il avait pris en congés non autorisés et non payés.

[2] Le fonctionnaire a également déposé une demande de prorogation de délai, ses griefs ayant été présentés au dernier palier du processus de règlement des griefs au-delà du délai prescrit.

[3] Les faits de cette affaire remontent à 2011. Il n’est pas contesté que le fonctionnaire a demandé un congé de maladie d’une durée de neuf jours en lien avec des traitements dentaires qu’il prévoyait subir lors d’un séjour à Santiago de Cuba, Cuba. Le congé de maladie était planifié des mois à l’avance. En réponse aux demandes répétées de sa gestionnaire, le fonctionnaire a soumis un billet médical indiquant qu’il serait inapte au travail du 18 au 28 juillet 2011. Il n’est également pas contesté qu’en fin de compte, le fonctionnaire n’a pas subi les traitements dentaires qu’il prévoyait subir. Il n’a eu qu’un seul rendez-vous dentaire d’une durée de deux heures et n’a pas été inapte au travail. À son retour au travail, le fonctionnaire n’a pas modifié sa demande de congé de maladie et il n’a pas informé sa gestionnaire qu’il n’avait pas été inapte au travail. Une mesure disciplinaire lui a été imposée, soit une suspension sans solde d’une durée de 150 heures. L’Agence lui a également imposé une mesure administrative, soit la conversion du congé de maladie de neuf jours en congé non autorisé, non payé.

[4] Le fonctionnaire a contesté la mesure disciplinaire qui lui a été imposée. Il a également allégué que la mesure disciplinaire et la décision de l’Agence de convertir ses congés de maladie en congés non payés constituaient des mesures de discrimination basée sur le handicap.

[5] Lors de l’audience, le fonctionnaire a retiré toute allégation voulant que sa suspension et la conversion de ses congés de maladie constituaient des mesures de discrimination basées sur le handicap (les dossiers 566-02-10260 et 566-02-10261). Pour cette raison, les présents motifs traiteront uniquement de la demande de prorogation et de la contestation de la décision de l’Agence de suspendre le fonctionnaire sans solde (le dossier 566-02-10259), à savoir s’il y a eu inconduite et si oui, si la mesure disciplinaire imposée était excessive dans les circonstances.

[6] Pour les motifs qui suivent, j’ai accueilli la demande de prorogation de délai lors de l’audience et j’accueille le grief relatif à la suspension sans solde en partie. J’estime que la durée de la suspension imposée par l’Agence était excessive à la lumière de l’ensemble des circonstances.

I. Demande de prorogation de délai

[7] L’employeur légal, le Conseil du Trésor du Canada (l’« employeur »), a soulevé une objection préliminaire en raison du fait que le fonctionnaire n’avait pas présenté ses griefs au palier final du processus de règlement des griefs dans les délais prescrits. Le fonctionnaire a déposé une demande de prorogation de délai relativement à chacun de ses griefs (les dossiers 568-02-00329 à 00331), conformément à l’art. 61 du Règlement sur les relations de travail dans la fonction publique, DORS/2005-79, tel que le Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, DORS/2005-79 (le « Règlement ») était connu à l’époque.

[8] Lors de la première journée d’audience, j’ai entendu la preuve et les plaidoiries des parties relativement à la demande de prorogation de délai. Le fonctionnaire a présenté une preuve par affidavit et l’employeur l’a contre-interrogé. Après avoir entendu les arguments des parties, j’ai accordé la demande de prorogation de délai, avec motifs à suivre. Les voici.

[9] Le fonctionnaire devait présenter son grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs dans les 10 jours suivant la date à laquelle la décision de l’employeur au troisième palier lui a été communiquée (clause 18.06 de la convention collective entre l’employeur et l’Alliance de la Fonction publique du Canada pour le groupe Services frontaliers qui est venue à échéance le 20 juin 2014). Il a transmis ses griefs au palier final 32 jours ouvrables après le délai de 10 jours prévu à la convention collective. L’employeur a rejeté les griefs au dernier palier au motif qu’ils étaient hors délai.

[10] La Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») peut, par souci d’équité et à la demande d’une partie, proroger un délai prévu par la procédure de règlement des griefs énoncée dans la convention collective (al. 61b) du Règlement). Les cinq critères suivants doivent guider l’analyse de demandes de prorogation de délai par la Commission (voir Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1) :

1) Existe-t-il des raisons claires, logiques et convaincantes pour expliquer le délai?

2) Quelle est la durée du délai?

3) L’employé qui a déposé le grief a-t-il fait preuve de diligence raisonnable?

4) Qui subit le pire préjudice, l’employeur si on accorde la prorogation, ou l’employé si on ne l’accorde pas?

5) Quelles sont les chances de succès du grief?

 

[11] Ces critères ne sont pas exhaustifs et ils doivent être appliqués avec souplesse (voir Fortier c. ministère de la Défense nationale, 2021 CRTESPF 41, au par. 30). L’importance à accorder à chacun des critères peut varier selon les circonstances, dans une perspective d’équité (voir Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228 c. Conseil du Trésor, 2013 CRTFP 144).

[12] Les deux parties ont insisté sur l’importance du premier critère énoncé dans Schenkman, soit l’existence d’une raison claire, logique et convaincante pour le délai. Je suis d’accord avec elles qu’il s’agit du critère devant se voir accorder le plus d’importance dans les circonstances de cette affaire.

[13] Le fonctionnaire a une formation en droit et occupait un poste d’agent d’audience. Il connaissait l’importance de respecter les délais dans le cadre de procédures judiciaires et administratives. Il avait également été représentant syndical. Il savait qu’un grief devait être transmis au palier final dans les 10 jours suivants une réponse de l’employeur au troisième palier. Toutefois, une connaissance du droit et de l’importance de respecter des délais prescrits ne font pas en sorte qu’il soit impossible pour une personne de démontrer l’existence d’une raison claire, logique et convaincante pour un délai.

[14] Le fonctionnaire était le seul proche aidant de sa grand-mère de 95 ans. Il habitait seul avec elle depuis plusieurs années. À partir de 2009, l’autonomie de cette dernière s’est mise à diminuer grandement et les soins dont elle avait besoin ont graduellement augmenté. En 2011, la période à laquelle remontent les faits à l’origine des griefs, elle souffrait de démence et avait besoin de soutien constant. Les soins à domicile dont elle bénéficiait étaient peu fréquents et de courte durée. Lorsqu’il n’était pas au travail, le fonctionnaire était chez lui à s’occuper d’elle. Il devait l’aider dans toutes ses activités quotidiennes. Il était seul à coordonner ses soins médicaux, préparer ses repas, lui donner ses médicaments, veiller à ses besoins en matière d’hygiène personnelle, l’habiller, assurer son transport et faire ses courses. Il a décrit les soins prodigués à sa grand-mère comme une responsabilité qui s’étendait 24 heures par jour, 7 jours par semaine. Même lorsqu’il était au travail, les soins de sa grand-mère étaient à son esprit et nécessitaient fréquemment son intervention par téléphone.

[15] En 2011 et 2012, le fonctionnaire éprouvait de grandes difficultés à obtenir des soins professionnels à domicile pour les besoins croissants de sa grand-mère. Au moment où il a reçu la réponse de l’employeur au troisième palier de la procédure de règlement des griefs, il a fait valoir qu’il était dans un état d’épuisement physique et psychologique.

[16] En 2012 et peu avant d’avoir reçu la réponse au troisième palier, les efforts du fonctionnaire en vue d’obtenir des soins professionnels à domicile ont porté des fruits. Bien que ces soins supplémentaires aient éventuellement contribué à réduire sa charge de proche aidant, dans l’immédiat, l’accès à de nouveaux soins et services avait entraîné une augmentation de la charge mentale et physique qui pesait sur lui. De nombreuses tâches et démarches supplémentaires se sont ajoutées, soit pour coordonner les nouveaux soins à domicile, soit pour aménager sa résidence de façon à répondre aux exigences réglementaires devant être respectées afin de pouvoir bénéficier des services. Il a décrit la charge mentale et physique qui pesait sur lui pendant la période en question comme étant insupportable, une charge qui s’ajoutait à sa charge de travail comme agent d’audience auprès de l’Agence. Il éprouvait de grandes difficultés à concilier ses obligations comme proche aidant et ses obligations professionnelles. Son témoignage à cet égard a été corroboré par une demande de mesures d’adaptation qu’il aurait présentée à l’Agence à l’époque. L’Agence n’aurait pas accordé la demande de mesures d’adaptation, mais aurait informellement autorisé la prise de certaines mesures.

[17] Le fonctionnaire a témoigné que cet épuisement généralisé avait fait en sorte que le délai pour présenter ses griefs au dernier palier ne lui aurait pas passé par l’esprit.

[18] L’employeur n’a pas tenté de contredire le témoignage du fonctionnaire, faisant plutôt valoir que prodiguer des soins à un membre de la famille à titre de proche aidant ne constituait pas une raison claire, logique et convaincante pour expliquer le retard. De nombreux fonctionnaires doivent s’acquitter de leurs obligations professionnelles tout en gérant des obligations personnelles importantes. Selon l’employeur, le fonctionnaire assurait les soins de sa grand-mère depuis plusieurs années et aucun événement soudain ou hors de l’ordinaire n’est survenu pendant la période en question.

[19] Cette affaire n’est pas la première dans laquelle une partie invoque la conciliation travail-famille ou une charge mentale et physique à titre de raisons claires, logiques et convaincantes pour un délai. Des demandes de prorogation ont été rejetées dans les affaires Grouchy c. Administrateur général (ministère des Pêches et des Océans), 2009 CRTFP 92, Popov c. Agence spatiale canadienne, 2018 CRTESPF 49 et Rouleau c. Personnel des fonds non publics, Forces canadiennes, 2002 CRTFP 51, citées par l’employeur. Toutefois, les affaires Grouchy, Popov et Rouleau peuvent être distinguées des faits de la présente affaire. Dans ces trois affaires, la Commission avait exprimé des préoccupations relativement à d’autres critères énoncés dans Schenkman, notamment, la diligence raisonnable et la durée du délai, ou, encore, par rapport à la preuve présentée à l’appui des prétentions des fonctionnaires. Tel que cela sera discuté plus loin dans les motifs, aucune préoccupation de ce genre n’existe dans la présente affaire.

[20] J’estime que l’affaire Coleman-Kamphuis c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2012 CRTFP 56, est davantage pertinente à la présente affaire que la jurisprudence citée par l’employeur. Dans Coleman-Kamphuis, la Commission a conclu que la maladie grave de la demanderesse pendant une période où celle-ci ne bénéficiait d’aucun soutien et devait s’occuper seule de ses deux enfants constituait une raison claire, logique et convaincante pour un retard de plusieurs mois. Au par. 45, la Commission a indiqué ce qui suit :

[45] […] Il s’agissait là d’épreuves difficiles, de circonstances indépendantes de sa volonté et sur lesquelles elle n’avait aucune emprise. À mon avis, ces événements expliquent pourquoi elle n’était pas en mesure de respecter les délais impartis pour présenter son grief. Bien que j’aie dûment noté que sa situation ne l’avait pas empêchée de déposer une plainte auprès de la CCDP, je persiste à croire que sa situation était exceptionnelle et que, cela étant, elle traversait à l’époque une période particulièrement éprouvante de sa vie au point qu’elle n’était pas en mesure de réfléchir posément à tous les recours dont elle pouvait se prévaloir et se conformer aux diverses exigences à cet égard.

 

[21] Bien que les faits de la présente affaire diffèrent de ceux dans Coleman-Kamphuis, dans les deux cas, les fonctionnaires vivaient des épreuves difficiles hors de leur contrôle. Tous deux n’étaient pas en mesure de réfléchir posément aux démarches devant être prises pour protéger leurs droits. Dans le présent cas, le fonctionnaire a décrit, de façon claire et convaincante, la charge mentale et physique qui pesait sur lui. Le délai à respecter ne lui est pas venu à l’esprit. Il ne s’agit pas d’un simple oubli, par insouciance ou inattention. Il vivait une période particulièrement éprouvante. Je suis persuadée qu’il n’était pas en mesure de réfléchir posément quant aux démarches qu’il devait prendre pour assurer le respect de ses droits dans le cadre de processus de règlement des griefs, et ce, malgré sa connaissance des délais à respecter. À cet égard, j’estime que les connaissances et les expériences professionnelles du fonctionnaire appuient, plutôt que minent, son argument selon lequel il existait une raison claire, logique et convaincante pour le délai. À mon avis, le fait qu’il connaissait les délais et l’importance de les respecter illustre à quel point il était dépassé par les événements dans sa vie personnelle. Je suis d’avis que la charge mentale et physique importante que vivait le fonctionnaire pendant la période en question et en lien avec son rôle de proche aidant constituait une raison claire, logique et convaincante pour le délai.

[22] Mes observations relativement aux quatre autres critères énoncés dans Schenkman sont les suivantes.

[23] Le délai est de 43 jours, dont 32 jours ouvrables. Il s’agit d’un délai important, mais pas tellement significatif qu’il puisse en découler – de ce fait même - un préjudice pour l’employeur. Le fonctionnaire a transmis ses griefs au dernier palier dès qu’il a réalisé qu’il avait manqué le délai. Il a fait preuve de diligence raisonnable. Au moment où j’ai entendu la preuve à ce sujet, il m’était impossible de prédire l’issue du grief, n’ayant pas entendu de preuve sur le fond de l’affaire. À première vue, le grief ne me semblait pas être frivole ou vexatoire.

[24] L’employeur a fait valoir que le fonctionnaire ne subirait aucun préjudice si la demande de prorogation était rejetée. La mesure disciplinaire en question a été effacée de son dossier en raison du temps écoulé. Il est vrai que la suspension ne figure plus au dossier du fonctionnaire. Toutefois, il est faux de prétendre que le fonctionnaire ne subirait aucun préjudice si la demande était rejetée. Une suspension sans solde d’une durée de 150 heures lui a été imposée, ce qui équivaut à 20 jours sans rémunération. Si la demande était rejetée, il serait privé de la possibilité de contester la mesure. Il est également important de rappeler que la suspension a été imposée en lien avec des allégations relativement à l’utilisation frauduleuse de congés de maladie, ce qui entraîne un enjeu lié à la réputation du fonctionnaire qu’il cherche à défendre. De plus, le délai s’est produit entre le troisième palier et le palier final. Depuis le renvoi tardif au dernier palier, l’employeur sait que le fonctionnaire cherche toujours à contester la mesure disciplinaire qui lui a été imposée. Il n’y a aucun élément de surprise pouvant créer un préjudice quelconque pour l’employeur. Un examen de l’équilibre entre l’injustice causée au fonctionnaire et le préjudice que subirait l’employeur si la prorogation était accordée m’a porté à conclure qu’une injustice pourrait être causée au fonctionnaire si la demande de prorogation était rejetée.

[25] Une analyse des critères énoncés dans Schenkman qui tenait compte de la preuve présentée par les parties et l’ensemble des circonstances m’a amenée à conclure que la prorogation du délai devait être accordée.

II. Objections relativement à la preuve

[26] Des décisions interlocutoires ont également été rendues en début d’audience relativement à des objections préliminaires relativement à la preuve.

[27] Le fonctionnaire a soulevé une objection quant à l’admissibilité d’éléments de preuve découlant de communications téléphoniques et échanges de courriels entre une dentiste cubaine et la gestionnaire du fonctionnaire. L’employeur n’a pas insisté davantage quant à l’admissibilité d’une transcription de communications téléphoniques entre la dentiste et la gestionnaire, par personne interposée pouvant s’exprimer en espagnol. L’employeur a reconnu que toute transcription de tels appels constituait du double ouï-dire. Ainsi, il n’a pas été nécessaire pour moi de trancher l’objection quant à la transcription. Toutefois, j’ai rejeté l’objection du fonctionnaire relativement à l’admissibilité d’éléments de preuve obtenus par l’Agence par le biais d’échanges de courriels entre la gestionnaire du fonctionnaire et la dentiste cubaine dont le nom figurait sur le billet médical que le fonctionnaire avait fait parvenir à sa gestionnaire.

[28] Selon le fonctionnaire, cette preuve ne satisfaisait pas aux critères de fiabilité et de nécessité, car il s’agissait de ouï-dire et une preuve obtenue sans son consentement et à son insu. L’employeur aurait pu assigner la dentiste cubaine à comparaître, mais il a choisi de ne pas le faire.

[29] L’alinéa 20e) de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) autorise la Commission à accepter des éléments de preuve, qu’ils soient admissibles ou non en justice. À première vue, les échanges de courriels entre la gestionnaire du fonctionnaire et la dentiste cubaine étaient pertinents aux questions en litige et s’inscrivaient dans le cadre d’une démarche visant à évaluer la durée de l’inaptitude au travail du fonctionnaire. Cette preuve a été jugée admissible comme preuve du contexte ayant mené l’employeur à imposer la mesure disciplinaire. Il me revient – comme arbitre – de décider, au regard de l’ensemble de la preuve, s’il y a lieu pour moi de m’appuyer sur ces éléments de preuve pour trancher les questions en litige et de décider du poids à leur accorder.

III. Résumé de la preuve

[30] En 2011, le fonctionnaire occupait un poste d’agent d’audience (FB-05) à Montréal. Il représentait le ministre responsable de l’Agence devant la section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut du réfugié. Son superviseur immédiat était Anne-Marie Signori (la « gestionnaire »), qui était alors chef des opérations – audiences, dans le secteur de l’exécution de la loi, région du Québec. La gestionnaire et le fonctionnaire étaient d’anciens collègues de travail. Leur relation était généralement positive. Toutefois, selon le fonctionnaire, ses seuls et uniques problèmes disciplinaires sont survenus alors que Mme Signori était sa gestionnaire, soit pendant une période d’approximativement six mois en 2011-2012, la période à laquelle remontent les griefs.

[31] Le fonctionnaire bénéficiait d’un programme offrant des périodes de répit d’une durée d’une semaine à de proches aidants. Ce programme lui permettait de voyager à Cuba pour des périodes de repos. Lors d’un tel voyage, il a constaté à quel point les traitements dentaires étaient beaucoup moins dispendieux à Cuba qu’au Canada. Le fonctionnaire avait besoin de traitements dentaires importants. Il avait récemment consulté une clinique dentaire à Montréal et de nombreux traitements dentaires lui avaient été recommandés. Au Canada, ces traitements pourraient s’élever à plus de 10 000 $. À Cuba, le montant total serait bien moindre. Pour épargner de l’argent, il a décidé de subir les traitements dentaires dont il avait besoin lors de son prochain voyage à Santiago de Cuba.

[32] Dans le cadre de la planification des audiences, les agents d’audience devaient soumettre leurs demandes de congés plusieurs mois à l’avance. En fin 2010, le fonctionnaire a informé son gestionnaire par intérim de son intention de subir des traitements dentaires à Cuba à la fin juillet 2011. Il prévoyait être absent pour deux semaines. Selon le fonctionnaire, le gestionnaire par intérim n’a pas exprimé de préoccupations à ce sujet. Il semblerait que le gestionnaire par intérim n’a pas communiqué ces renseignements à Mme Signori à son retour en poste en début 2011.

[33] À la fin février 2011, la gestionnaire a demandé à ses employés, dont le fonctionnaire, de soumettre leurs demandes de congés pour la période de juin à septembre 2011. Le 31 mars 2011, le fonctionnaire a écrit à la gestionnaire, lui rappelant qu’il serait absent pendant les deux dernières semaines de juillet pour raison de maladie. La gestionnaire a répondu, indiquant ne pas se souvenir d’avoir été informée du congé de maladie. Elle a demandé plus de précisions.

[34] Les précisions qu’elle a initialement reçues sont les suivantes : le fonctionnaire prévoyait être absent du 18 au 29 juillet 2011; il allait subir des traitements dentaires à Cuba; sa demande pour un congé de maladie visait neuf jours de la période pendant laquelle il serait absent, les autres jours étant des jours de fin de semaine et une journée que le fonctionnaire n’avait pas à travailler en raison du fait qu’il bénéficiait d’un horaire de travail comprimé.

[35] La gestionnaire a témoigné qu'elle était surprise qu’un employé puisse connaître – des mois à l’avance - la période exacte de son inaptitude au travail. Elle a également été surprise qu’une inaptitude de 9 jours puisse découler de traitements dentaires. Elle a indiqué avoir rarement vu une demande de congé de maladie de plus d’un ou deux jours lorsque la demande était liée à des traitements dentaires. Lors de son témoignage, elle a également reconnu que le fait que les traitements dentaires allaient avoir lieu à Cuba, pendant la saison estivale, l’avait également portée à s’interroger au sujet de la demande de congé de maladie. Comme gestionnaire responsable de la planification des audiences et de la coordination des congés annuels de ses employés, elle voulait s’assurer que la demande était légitime avant de l’approuver.

[36] À l’audience, la gestionnaire a reconnu que le fonctionnaire s’était vu accorder des congés semblables à deux reprises en 2010, par d’autres gestionnaires. Dans les deux cas, les gestionnaires ont approuvé des demandes de congé de maladie pour des traitements subis à l’étranger et ont accepté que le fonctionnaire présente un billet médical précisant la durée de son inaptitude au travail à son retour au travail.

[37] La gestionnaire a provisoirement approuvé le congé pour les fins de la planification de la saison estivale, mais a demandé de recevoir, à l’avance, un billet médical indiquant le motif de l’absence et la durée de l’inaptitude au travail. Elle n’avait pas l’habitude de demander des billets médicaux à l’avance. Toutefois, dans les circonstances, elle voulait prendre des démarches pour valider la demande à l’avance pour éviter du commérage de la part des employés du fait que le fonctionnaire pourrait se voir autoriser un congé de maladie pendant la période estivale et pour une période pendant laquelle il serait à Cuba.

[38] La gestionnaire a demandé un billet médical pour la première fois le 5 avril 2011. De nombreux courriels et conversations ont suivi. Les échanges entre les parties se sont échelonnés d’avril à juillet 2011, jusqu’au dernier jour ouvrable avant le départ du fonctionnaire pour Cuba. Je ne vais pas énumérer les échanges, mais les notes de la gestionnaire contiennent une énumération de sept occasions lors desquelles un billet médical aurait été demandé.

[39] Les thèmes qui ressortent de toutes ces communications sont les suivants : la gestionnaire insistait de recevoir – à l’avance – un billet médical indiquant « clairement » que le fonctionnaire serait inapte au travail du 18 au 28 juillet 2011. Dans des courriels en date du 16 juin 2011 et du 11 juillet 2011, la gestionnaire a répété ses exigences relativement au billet médical, tout en précisant que, si le billet médical était en espagnol, elle voulait recevoir la version originale accompagnée d’une traduction officielle en français ou en anglais, aux frais du fonctionnaire. Elle a informé le fonctionnaire que, si elle n’avait pas reçu le billet le 15 juillet 2011, soit avant son voyage à Cuba, son absence serait considérée comme une absence non autorisée et donc non payée, une absence pouvant donnant lieu à des mesures disciplinaires.

[40] Dans le contexte de conversations et d’échanges de courriels entre eux, le fonctionnaire insistait sur le fait qu’il était « impossible » pour lui d’obtenir le billet médical voulu avant de s’être rendu à Cuba et avoir consulté la dentiste cubaine. Il ne s’était pas rendu à Santiago de Cuba depuis plusieurs mois et il n’avait pas été en mesure de discuter d’un plan de traitement avec la dentiste. Il avait rendez-vous à la clinique dentaire pour des traitements pouvant s’échelonner sur plusieurs jours entre le 18 et le 28 juillet, mais ce n’est qu’une fois sur place qu’il saurait la nature exacte des traitements qu’il subirait et la durée de son inaptitude au travail. Le fonctionnaire s’est engagé, à plusieurs reprises, de fournir un billet médical à son retour de Cuba, insistant sur le fait qu’il s’agissait de la seule façon qu’il puisse fournir un billet médical qui décrirait la raison pour son inaptitude au travail et la durée de l’inaptitude. Dans des circonstances semblables, d’anciens gestionnaires lui avaient permis de fournir son billet médical après la période d’inaptitude au travail. Il demandait à sa gestionnaire de lui permettre de faire ainsi encore une fois.

[41] À l’audience, le fonctionnaire a soutenu qu’il avait informé sa gestionnaire qu’il était très peu probable qu’il aurait véritablement besoin de neuf jours de congé de maladie. Il aurait informé sa gestionnaire que sa demande de congé de maladie pourrait être ajustée à la baisse à son retour et un autre type de congé substitué aux jours de congé de maladie s’étant avérés non nécessaires. La gestionnaire a témoigné ne pas se souvenir de cette discussion. Toutefois, ses notes, rédigées à l’époque, indiquent qu’à la mi-juin 2011, le fonctionnaire lui avait indiqué qu’il ne nécessiterait pas deux semaines de convalescence.

[42] Le 14 juillet 2011, la gestionnaire a consenti à recevoir le billet médical le 18 juillet 2011, soit le premier jour de l’absence du fonctionnaire. Encore, elle a réitéré que le billet médical devait indiquer le motif pour l’absence et que le fonctionnaire serait inapte au travail du 18 au 28 juillet 2011. Les notes de la gestionnaire indiquent que, le lendemain, elle aurait également demandé de recevoir un billet médical complet au retour du fonctionnaire. Ses souvenirs à ce sujet étaient flous. Le fonctionnaire a nié qu’une telle demande ait été formulée.

[43] Le fonctionnaire a dit s’être senti obligé de fournir un billet médical à l’avance, malgré ses réticences en raison de l’incertitude quant aux traitements dentaires qu’il subirait. La gestionnaire indiquait que des mesures disciplinaires pourraient suivre s’il n’obtempérait pas. Il a demandé à une amie à Cuba de prendre les démarches auprès de la dentiste cubaine en vue d’obtenir un billet médical qui contenait les renseignements voulus par la gestionnaire. Le 18 juillet 2011, arrivé à Cuba, il a envoyé le billet médical par télécopieur à sa gestionnaire.

[44] Le billet médical portait le nom d’une clinique dentaire à Santiago de Cuba et la signature de la dentiste. Il contenait une énumération – en français - de trois traitements dentaires (traitement de canal, traitement d’un abcès à la gencive et une radiographie) et précisait également – encore en français – que le fonctionnaire serait inapte au travail du 18 au 28 juillet 2011.

[45] Le fonctionnaire s’est présenté à la clinique dentaire cubaine à trois reprises. Il n’a pas pu voir la dentiste lors des deux premières visites. Lors de la première visite, la clinique était fermée. La dentiste était absente lors de sa deuxième visite. Il a témoigné avoir ainsi compris que les services offerts à la clinique étaient peu fiables. Ce n’est que lors de sa troisième visite qu’il a pu s’entretenir avec la dentiste. Selon lui, des obstacles linguistiques ont contribué à un malentendu quant aux traitements dentaires pouvant être effectués par la dentiste. Elle n’était pas chirurgienne et plusieurs des traitements dentaires recherchés par le fonctionnaire ne pouvaient être effectués que par un chirurgien ou chirurgienne dentaire. Ainsi, le fonctionnaire a subi un seul traitement dentaire d’une durée de deux heures, et ce, le dernier jour de son séjour à Cuba.

[46] De retour au travail, le fonctionnaire a remis à sa gestionnaire l’original du billet médical qu’il lui avait envoyé par télécopieur. Il n’a pas modifié sa demande pour un congé de maladie. Il a présenté une feuille de temps signée attestant qu’il était en congé de maladie avec certificat pour neuf jours entre le 18 et le 28 juillet. Il n’a pas communiqué avec sa gestionnaire pour lui fournir une mise à jour relativement aux traitements subis ou la durée de son inaptitude au travail. Selon lui, il avait remis le billet médical que sa gestionnaire avait demandé. Comme elle n’avait pas fait de suivi auprès de lui à son retour, il avait présumé qu’elle était satisfaite du billet médical et que la situation était réglée.

[47] La gestionnaire a dit avoir eu des doutes dès qu’elle avait reçu le billet médical par télécopieur. Il était rédigé en partie en français. Elle a trouvé cela surprenant, même si, à l’audience, elle a reconnu qu’elle avait insisté de recevoir un billet en français ou en anglais, ou une traduction officielle dans l’une ou l’autre de ces langues. Les renseignements inscrits sur le billet n’ont rien fait pour changer sa première réaction voulant qu’un congé de maladie d’une durée de neuf jours constituait un très long congé pour des traitements dentaires.

[48] À l’audience, la gestionnaire ne se souvenait pas d’avoir eu une conversation avec le fonctionnaire au sujet de son billet médical ou sa demande de congé à son retour de Cuba. Ses notes détaillées quant à l’historique de cette affaire n’incluent pas une mention d’une discussion entre les parties au retour du fonctionnaire. Tout semble indiquer que le fonctionnaire et sa gestionnaire n’ont pas discuté du billet médical ou de ce congé de maladie avant novembre 2011, lors de l’audience disciplinaire à laquelle le fonctionnaire avait été convoqué.

[49] Entre septembre et novembre 2011, la gestionnaire a pris des démarches voulant confirmer l’exactitude du billet médical et la durée de l’inaptitude au travail du fonctionnaire. Elle a, en premier lieu, consulté les Relations de travail pour s’informer quant aux démarches pouvant être prises pour valider le billet médical. Elle a également consulté les Relations de travail parce qu’elle savait que l’Agence avait – à deux reprises en 2010 – approuvé des demandes de congé de maladie présentées par le fonctionnaire pour des traitements médicaux à l’étranger. Elle a ensuite communiqué avec la dentiste cubaine. Il n’est pas nécessaire pour moi d’en dire plus quant aux renseignements obtenus par le biais de cette communication étant donné que le fonctionnaire a reconnu – lors d’une audience disciplinaire et encore à l’audience - qu’il n’était pas inapte au travail pour les neuf jours visés par sa demande de congé, qu’il avait subi un seul traitement dentaire d’une durée de deux heures et qu’il n’y avait pas eu de véritable période d’inaptitude au travail pendant la période en question.

[50] Le 15 novembre 2011, soit plus de trois mois après son retour de Cuba, le fonctionnaire a été convoqué à une audience disciplinaire. On lui reprochait, entre autres, d’avoir fait une utilisation frauduleuse de congés de maladie.

[51] Selon la gestionnaire, les réponses du fonctionnaire lors de l’audience disciplinaire étaient imprécises et ne répondaient pas aux questions de l’employeur. Selon elle, le fonctionnaire aurait d’abord refusé de répondre aux questions concernant son inaptitude au travail, les traitements dentaires qu’il aurait subis et les dates de ses rendez-vous chez la dentiste cubaine, pour ensuite – exaspéré – reconnaître que les traitements dentaires qu’il avait prévu subir n’avaient pas tous eu lieu et qu’il n’avait eu qu’un rendez-vous dentaire d’une durée de deux heures lors de son dernier jour à Cuba. Le fonctionnaire n’était pas en mesure de fournir une preuve documentaire confirmant le traitement reçu lors du seul rendez-vous dentaire à avoir eu lieu. Il n’avait ni reçu ni facture ni plan de traitement.

[52] Le 20 janvier 2012, le fonctionnaire a été informé de sa suspension sans solde pour une durée de 150 heures. La lettre de l’employeur à cet égard précise que le fonctionnaire a fait une utilisation frauduleuse de ses congés de maladie payés en ayant prétendu être inapte au travail pour des traitements qu’il n’a pas subis. La lettre précise également que le fonctionnaire a ainsi enfreint les valeurs essentielles du Code de conduite de l’ASFC ainsi que les valeurs liées à l’éthique du Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique en vigueur à l’époque. La même journée, le fonctionnaire a été informé que les neuf jours de congé de maladie avaient été convertis en congés non autorisés et non payés.

[53] Le fonctionnaire a présenté un grief contestant la mesure disciplinaire qui lui avait été imposée et alléguant qu’il s’agissait d’une mesure de discrimination basée sur le handicap. Il a également présenté un grief alléguant que l’imposition de la mesure administrative contre lui, soit la conversion des jours de congé, constituait de la discrimination basée sur le handicap.

[54] Comme il a été indiqué précédemment, lors de l’audience, le fonctionnaire a retiré son grief relatif à la mesure administrative ainsi que l’allégation de discrimination relativement à la mesure disciplinaire qui lui avait été imposée.

IV. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

[55] L’employeur fait valoir que le critère énoncé dans Wm. Scott & Company Ltd. v. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P162, [1977] 1 C.L.R.B.R. 1, au par. 13 et repris dans Basra c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 24, au par. 24) est satisfait dans la présente affaire. Le comportement du fonctionnaire, notamment le fait de présenter une demande de congé de maladie pour des traitements médicaux qu’il n’a pas subis et sachant que la demande était fausse, justifiait l’imposition par l’employeur d’une mesure disciplinaire.

[56] Le fonctionnaire a présenté une demande pour neuf jours de congé de maladie pour des traitements dentaires. Les traitements n’ont pas tous eu lieu. Le fonctionnaire n’a pas été inapte au travail. Il n’en a pas informé sa gestionnaire et n’a pas modifié sa demande de congé à son retour au travail. Le fonctionnaire aurait pu changer sa demande de congé à son retour, mais ne l’a pas fait. Il a maintenu une demande de congé qu’il savait inexacte. Un employé qui prétend être inapte pour des traitements qu’il n’a pas subis est coupable d’une utilisation frauduleuse de congés de maladie payés. Les arbitres montrent très peu d’indulgence à l’égard d’activités frauduleuses (voir Thompson c. Conseil du Trésor (Revenu Canada – Douanes et Accise), dossier de la CRTFP 166-02-27846 (19980402) à la p. 69)

[57] Le témoignage du fonctionnaire selon lequel il a offert à sa gestionnaire de modifier sa demande de congé à son retour ne devrait pas être retenu. Il a mentionné cette offre pour la première fois lors de l’audience. Il n’existe pas de preuve documentaire pouvant appuyer cette prétention. La Commission devrait plutôt privilégier le témoignage de la gestionnaire (voir Faryna v. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354 (BC CA.), à la p. 357) selon lequel une telle offre n’a pas été faite, un témoignage corroboré par les notes que la gestionnaire a prises lors des événements. Même si le passage du temps a fait en sorte que les souvenirs de la gestionnaire à ce sujet étaient peu précis, cela ne devrait pas influencer la crédibilité de son témoignage (voir Livingston c. Canada (Ministre des Affaires étrangères et du Commerce international), 2005 CF 1490, au par. 18).

[58] À l’audience disciplinaire, le fonctionnaire n’a pas immédiatement été honnête et transparent. Ce n’est qu’après plusieurs questions que l’employeur a obtenu les précisions voulues. En plus d’avoir été malhonnête, le fonctionnaire a manqué de jugement et d’intégrité, deux valeurs importantes à son rôle d’agent d’audience. Les agents d’audience doivent être intègres et dignes de confiance. À l’époque, les agents d’audience étaient des agents de la paix. Ils représentent le ministre dans le cadre d’instances pouvant porter sur des enjeux d’honnêteté et d’intégrité, notamment des enjeux relatifs à la présentation de fausses déclarations dans le contexte de l’immigration. Le comportement du fonctionnaire a également enfreint le Code de conduite de l’ASFC ainsi que le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique.

[59] Le fonctionnaire a fait une utilisation frauduleuse de congés de maladie payés. Il s’agit de vol de temps (voir Chatfield c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTEFP 2, au par. 62). Le vol est une des formes d’inconduite les plus graves qu’un employé puisse commettre. Les actions du fonctionnaire étaient incompatibles avec le poste d’agent d’audience qu’il occupait. En tant qu’agent de la paix, il était tenu à une norme d’intégrité plus élevée en raison de sa position de confiance (voir Stokaluk c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2015 CRTEFP 24 et Newman c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2012 CRTFP 88).

[60] Dans la présente affaire, l’employeur cherchait à corriger le comportement du fonctionnaire. Il était d’avis que le lien de confiance pouvait être rétabli. Il voulait envoyer un message au fonctionnaire et à l’ensemble des employés qu’un comportement de ce genre n’est pas acceptable et qu’une contravention au Code de conduite de l’ASFC et au Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique constitue une infraction grave méritant une sanction grave (voir Stewart c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2016 CRTEFP 106, au par. 61).

[61] Des situations semblables ont mené à des mesures disciplinaires allant jusqu’au licenciement (voir Chatfield et Thompson). Dans les circonstances de cette affaire, une suspension sans solde de 150 heures constituait une mesure disciplinaire raisonnable. Le fardeau de démontrer que la mesure disciplinaire imposée était excessive incombe au fonctionnaire. Celui-ci ne s’est pas acquitté de son fardeau.

B. Pour le fonctionnaire

[62] La conduite du fonctionnaire ne justifiait pas l’imposition d’une mesure disciplinaire. Il n’existe aucun fondement factuel pour justifier l’imposition d’une telle mesure.

[63] Le fonctionnaire fait valoir qu’il a été honnête avec l’employeur. Il a expliqué la situation. À plusieurs reprises, il a informé sa gestionnaire qu’il ne pouvait pas attester quant à la durée de son inaptitude au travail avant d’être à Cuba et avoir consulté la dentiste. Il a ainsi tenté d’expliquer à sa gestionnaire pourquoi sa demande n’était pas raisonnable dans les circonstances. La gestionnaire ignorait ses explications et insistait à obtenir un billet médical très précis à l’avance.

[64] Il estime qu’il a fait l’objet d’une mesure disciplinaire pour avoir fait ce que l’employeur avait demandé, soit présenter un billet médical à l’avance. Il n’était pas possible pour lui de prévoir la durée du congé de maladie requis jusqu’à ce qu’il soit à Cuba et qu’il obtienne une confirmation des traitements qui seraient administrés. Il a demandé à sa gestionnaire de faire ce que l’employeur lui avait permis de faire dans le passé, soit présenter un billet médical et une demande de congé de maladie précise après son inaptitude au travail. Elle a refusé. Elle l’a menacé de mesures disciplinaires s’il s’absentait sans avoir présenté le billet médical voulu avant son départ en congé. Malgré la réticence qu’il a clairement exprimée à plusieurs reprises, le fonctionnaire a obtempéré et a présenté le billet médical demandé. Il n’a eu aucune nouvelle de la part de sa gestionnaire pendant plusieurs mois. Il croyait que tout avait été réglé à la satisfaction de l’employeur, jusqu’à ce qu’il soit convoqué à une audience disciplinaire.

[65] Il ne s’agit pas d’un dossier de vol de temps et l’employeur n’a pas démontré une intention de frauder. Le fonctionnaire n’a jamais prétendu qu’il serait inapte pour neuf jours. Il a informé sa gestionnaire qu’il n’aurait vraisemblablement pas besoin de neuf jours de congé de maladie et qu’il pourrait modifier sa demande de congé à son retour pour refléter le nombre de jours de congé de maladie réellement requis. Le témoignage du fonctionnaire à cet égard était clair, précis et cohérent tandis que le témoignage de la gestionnaire était imprécis et ses souvenirs vagues. Les notes de celles-ci contredisaient son témoignage et confirment que, plus d’un mois avant son congé, le fonctionnaire a informé sa gestionnaire qu’il ne serait pas inapte pour les neuf jours.

[66] La situation ayant donné lieu à la suspension découle d’un manque de communication entre les parties. Le fonctionnaire a présenté un billet médical qui comportait les renseignements demandés par la gestionnaire et il pensait avoir répondu aux demandes de l’employeur.

[67] Si la Commission estime qu’une mesure disciplinaire était justifiée, le fonctionnaire fait valoir qu’une suspension de 150 heures pour un manque de communication est une mesure disciplinaire trop sévère et est une mesure incompatible avec la notion de discipline corrective et progressive (voir Touchette c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2019 CRTESPF 72, au par. 57, citant United Brotherhood of Carpenters and Joiners of America, Local 1072 v. Ontario Store Fixtures Inc., 1993 CarswellOnt 1256).

[68] Selon le fonctionnaire, il existe deux courants jurisprudentiels relativement aux mesures disciplinaires en lien avec l’utilisation de congés de maladie. Le premier courant traite de la mauvaise utilisation de tels congés comme constituant de la fraude justifiant l’imposition de mesures disciplinaires très sévères (voir Chatfield, Thompson et McKenzie c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 26). L’autre courant traite de ces questions comme étant une preuve d’un manque de diligence ou un manque de communication (voir Fontaine c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2002 CRTFP 33). La jurisprudence démontre que des mesures allant d’une réprimande écrite (voir Pronovost c. Agence du revenu du Canada, 2017 CRTEFP 43) à des suspensions de 2 à 10 jours (voir Schwatzenberger c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2011 CRTFP 4 et Twiddy c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences Canada), 2005 CRTFP 37) ont été imposées pour des situations plus complexes et préoccupantes que celle-ci.

[69] Au moment d’imposer la mesure disciplinaire, l’employeur n’a pas identifié les facteurs aggravants et atténuants pris en compte dans le choix de la mesure disciplinaire. Parmi les facteurs aggravants identifiés par la gestionnaire lors de l’audience, on retrouve la préméditation et la nature du rôle qu’occupait le fonctionnaire. Or, selon le fonctionnaire, la Commission ne doit pas retenir ce dernier élément comme étant un facteur aggravant. Un facteur aggravant doit, selon lui, être un facteur qui est externe au manquement qui lui est reproché (voir Touchette, au par. 77). Le rôle qu’occupe un fonctionnaire ne constitue pas un facteur externe et ne devrait donc pas mener à l’imposition d’une sanction plus sévère.

[70] Le fonctionnaire rappelle que la mesure disciplinaire était également accompagnée d’une mesure administrative selon laquelle les 9 jours de congé de maladie en cause ont été transformés en congé non autorisé et non payé. Le fait d’avoir transformé cette absence en congé non autorisé était en soi une mesure disciplinaire dont la Commission devrait tenir compte dans son examen de la question à savoir si une suspension de 150 heures était excessive dans les circonstances. Le fonctionnaire affirme qu’une réprimande écrite devrait être substituée à la suspension.

V. Motifs

[71] Une mesure disciplinaire renvoyée à l’arbitrage doit être examinée de nouveau en fonction de trois questions : existait-il un fondement factuel permettant d’imposer une mesure disciplinaire? Le cas échéant, la mesure disciplinaire imposée – ici, une suspension sans solde de 150 heures – était-elle excessive dans l’ensemble des circonstances de l’affaire? Si la mesure était excessive dans les circonstances, quelle aurait dû être la mesure imposée? (Voir Wm. Scott & Co. au par. 13, et Basra).

[72] L’examen de la première question impose un fardeau à l’employeur de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que le comportement du fonctionnaire justifiait la prise d’une mesure disciplinaire.

[73] Le fonctionnaire a reconnu avoir présenté une demande de congé de maladie d’une durée de neuf jours. Il reconnait également ne pas avoir subi les traitements dentaires prévus et avoir subi un seul traitement dentaire d’une durée approximative de deux heures. Le fonctionnaire n’a pas été inapte au travail pendant la période en question. Il reconnait également ne pas avoir modifié sa demande de congé une fois de retour au Canada. Il n’a pas informé sa gestionnaire qu’il n’avait pas pu recevoir les traitements dentaires qu’il avait prévu recevoir et ne lui a pas offert une mise à jour quant à la durée réelle de son inaptitude au travail. Outre lui remettre l’original du billet médical à son retour au Canada, le fonctionnaire n’a pris aucune démarche pour communiquer avec sa gestionnaire à son retour de congé.

[74] L’argument du fonctionnaire selon lequel il était en droit de présumer que le silence de sa gestionnaire indiquait que tout était en ordre et que la situation était réglée n’est guère convaincant. Il connaissait et comprenait les exigences qu’un employé doit respecter lorsqu’il présente une demande de congé, notamment une demande de congé de maladie. Il savait qu’il était nécessaire pour lui de s’assurer qu’une demande de congé de maladie présentée reflète la réalité. Il comprenait que, pour avoir droit à un congé de maladie, une période d’inaptitude devait avoir découlé d’une condition médicale ou d’un traitement médical.

[75] L’inconduite du fonctionnaire constituait un bris d’intégrité et une contravention du Code de conduite de l’ASFC et des valeurs liées à l’éthique du Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique en vigueur à l’époque.

[76] Le fonctionnaire a indiqué que le Code de conduite de l’ASFC et les valeurs qui y sont énoncées, notamment l’intégrité, lui étaient familiers. Ce code contient des dispositions relativement aux heures de travail. Il y est prévu que les heures de travail et les périodes de repos doivent être conformes aux dispositions de la convention collective. La convention collective prévoit les circonstances dans lesquelles un employé a droit à un congé de maladie (clause 35.02). L’inaptitude au travail en est un prérequis. L’employé qui présente une telle demande doit également être en mesure de convaincre l’employeur de son état physique ou émotionnel pour bénéficier d’un congé de maladie, si l’employeur en fait la demande.

[77] Le fonctionnaire a également reconnu qu’il était tenu de se conformer au Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique. Il connaissait les grands principes qui s’en dégagent. Il a également exprimé son accord avec des énoncés selon lesquels les employés de l’Agence, et plus particulièrement les agents d’audience, doivent servir de modèles d’intégrité et de professionnalisme. Des agents d’audience traitent de dossiers qui impliquent parfois des allégations de fausses déclarations et de fraude en matière d’immigration. Ils doivent être dignes de confiance et de respect.

[78] Le fonctionnaire a invoqué son souci d’assurer l’exactitude de la formulation de sa demande de congé lorsqu’il a décrit son profond désaccord avec la demande de la gestionnaire voulant obtenir un billet médical avant son départ pour Cuba. Or, à son retour au Canada et après que les traitements dentaires qu’il prévoyait subir n’avaient pas eu lieu et qu’il n’ait pas eu de réelle période d’inaptitude, il n’a pas fait preuve d’un tel souci d’exactitude et d’intégrité. Il a maintenu une demande pour 9 jours de congé de maladie qu’il savait maintenant fausse. Le silence de la gestionnaire au retour du fonctionnaire est sans pertinence à cet égard.

[79] Il y a eu inconduite de la part du fonctionnaire lorsqu’il a fait défaut de modifier sa demande de congé à son retour de Cuba pour s’assurer que la demande reflèterait fidèlement la réalité. Son manquement ne découlait pas d’un manque de rigueur, comme dans Pronovost. Il a sciemment maintenu une demande de congé de maladie qu’il savait alors fausse, ce qui constitue une utilisation frauduleuse de congés de maladie. Une mesure disciplinaire était justifiée.

[80] La deuxième étape du critère Wm. Scott nécessite une analyse et une évaluation de la mesure disciplinaire imposée afin de déterminer si elle était ou non excessive.

[81] La lettre de suspension indique que les agissements du fonctionnaire constituaient une inconduite très sérieuse qui avait compromis, de façon importante, le lien de confiance entre l’employeur et le fonctionnaire. Outre ces énoncés, la lettre n’indique pas si l’employeur a tenu compte de facteurs aggravants et, si oui, de quels facteurs il a pu s’agir. La lettre indique toutefois que la gestionnaire a « […] considér[é] tous les éléments qui auraient pu jouer en [la faveur du fonctionnaire] […] », sans pour autant préciser de quels éléments il s’agissait.

[82] À l’audience, la gestionnaire a indiqué avoir tenu compte des facteurs atténuants suivants : les années de service du fonctionnaire, son dossier disciplinaire vierge, et le fait que l’employeur avait autorisé ce genre de congé de maladie à deux reprises dans le cours de l’année précédente. Elle a également indiqué avoir tenu compte du rôle du fonctionnaire à titre d’agent de la paix comme étant un facteur aggravant. Le fonctionnaire devait voir au respect et à l’application des lois en matière d’immigration. Pour ce faire, il devait être – et être perçu comme étant – intègre et respectueux des lois. La préméditation a également été identifiée comme étant un facteur aggravant. La gestionnaire a expliqué que la préméditation, dans le contexte de ce dossier, renvoyait au fait que le fonctionnaire avait planifié son absence depuis longtemps et qu’il avait eu beaucoup de temps pour se conformer à l’exigence imposée par l’employeur, c’est-à-dire la présentation d’un billet médical.

[83] Bien que j’accepte que le fonctionnaire a maintenu une demande de congé de maladie qu’il savait fausse et qui résulterait dans le versement de neuf jours de congé payé auquel il n’avait pas droit, je suis persuadée que le fonctionnaire n’avait pas l’intention de présenter une demande frauduleuse dès le printemps 2011 et lors de ses échanges avec sa gestionnaire avant son voyage à Cuba. Pour les raisons qui suivent, je ne suis pas d’accord avec la gestionnaire qu’il y avait préméditation.

[84] Je suis persuadée que, dans ses échanges avec sa gestionnaire, le fonctionnaire n’a jamais prétendu qu’il serait inapte pour toute la période de neuf jours. Les notes de la gestionnaire corroborent le témoignage du fonctionnaire à cet égard. Il a insisté, à plusieurs reprises, sur le fait qu’il était « impossible » pour lui de présenter le billet que voulait recevoir sa gestionnaire. Cette impossibilité découlait du fait qu’il n’était pas en mesure de confirmer la durée de son inaptitude et de la durée du congé de maladie qui serait requis avant d’avoir consulté la dentiste à Cuba. J’accepte également que le fonctionnaire a suggéré à sa gestionnaire qu’il pourrait modifier sa demande de congé à son retour et y substituer d’autres types de congés au besoin, et ce, pour s’assurer que la demande reflèterait la réalité. Les souvenirs de la gestionnaire étaient flous à cet égard. Ses notes sont silencieuses à ce sujet, mais elles indiquent qu’en juin 2011 le fonctionnaire lui avait indiqué qu’il ne nécessiterait pas deux semaines de congé.

[85] Comme le fonctionnaire avait, à deux reprises dans le passé, été autorisé par son employeur de préciser davantage une demande de congé de maladie pour des soins reçus à l’étranger après le fait, j’estime qu’il est plus probable que non que le fonctionnaire aurait fait une telle suggestion lorsqu’il a été confronté à une gestionnaire qui, contrairement aux autres gestionnaires avec lesquels il avait transigé dans le passé, insistait sur le fait d’obtenir un billet médical détaillé et précis avant son départ en congé.

[86] Bien qu’il puisse être inhabituel de présenter une demande de congé pour des traitements dentaires à l’étranger et bien qu’il puisse également être peu commun de faire une demande pour un congé de maladie sans être en mesure de préciser – à l’avance – la nature et l’étendue des traitements qui seront reçus et la durée de l’inaptitude au travail qui devrait en découler, je suis persuadée qu’il s’agit de la situation dans laquelle se trouvait le fonctionnaire.

[87] Il ressort de la preuve que le fonctionnaire et sa gestionnaire communiquaient mal entre eux. Ils avaient tous deux une opinion forte quant à comment procéder dans les circonstances et ne semblaient pas prendre en considération la perspective de l’autre. Ils répétaient tous deux les mêmes messages, sans véritable dialogue entre eux. La gestionnaire insistait pour recevoir un billet médical à l’avance, un billet qui comportait certains renseignements spécifiques, notamment une confirmation que le fonctionnaire serait inapte au travail du 18 au 28 juillet 2011. Elle ne voulait pas approuver la demande de congé avant d’avoir reçu une assurance que le fonctionnaire allait être inapte pour raison de maladie alors qu’il serait à Cuba et qu’il avait droit à un congé de maladie payé. Le fonctionnaire insistait pour sa part sur le fait qu’il n’était pas possible pour lui de produire un tel billet médical. Il n’était pas en mesure de dire avec certitude ou précision la durée de son inaptitude au travail. Il ne pourrait fournir de tels renseignements avec un degré d’exactitude qu’après son séjour à Cuba. Il ne connaissait pas la nature exacte ou le nombre de traitements qu’il subirait, ni l’état dans lequel il se trouverait par la suite. Il ne voulait pas remettre un billet médical qui pouvait fort bien ne pas refléter la réalité après avoir consulté la dentiste cubaine.

[88] Le fonctionnaire se sentait obligé de fournir un billet médical malgré qu’il ait exprimé, à plusieurs reprises, son opinion selon laquelle il devait consulter la dentiste cubaine en personne pour connaître la nature des traitements qu’il subirait ainsi que la durée de l’inaptitude qui en découlerait. Il se sentait obligé de fournir un billet conforme aux exigences précisées à multiples reprises par la gestionnaire. Il craignait subir des mesures disciplinaires s’il ne produisait pas le certificat médical demandé. Après avoir entendu les témoignages du fonctionnaire et de sa gestionnaire, je suis d’avis que cette crainte de la part du fonctionnaire était raisonnable dans les circonstances.

[89] La présente situation aurait pu être évitée si le fonctionnaire et sa gestionnaire avaient été en mesure de dialoguer avec une écoute active et un esprit ouvert. Au lieu de cela, chacun voulait avoir le dernier mot. Ils étaient tous les deux entêtés. Ils n’écoutaient pas véritablement leur interlocuteur et se contentaient de répéter, à maintes reprises, la même demande et le même désaccord. En bout du compte, par frustration, le fonctionnaire s’est résigné à fournir un billet médical qui comportait les renseignements voulus par la gestionnaire. Il était de l’avis qu’il avait donné à la gestionnaire ce dont elle voulait et que la situation était réglée. Malheureusement, le fonctionnaire n’a pas passé outre sa frustration pour communiquer avec la gestionnaire à son retour de Cuba afin de modifier sa demande de congé.

[90] La frustration du fonctionnaire à l’égard de la demande de sa gestionnaire était encore évidente plus de 10 ans plus tard. Je suis d’avis que c’est cette frustration à l’endroit de sa gestionnaire qui a mené le fonctionnaire à ne pas l’informer des imprévus ayant eu lieu à Cuba et à maintenir sa demande de congé de maladie malgré le fait qu’il n’avait pas été inapte au travail.

[91] Dans son témoignage, le fonctionnaire a indiqué que, dès la première occasion, il a informé sa gestionnaire qu’il n’avait pas été inapte au travail. Cela est faux. La première occasion d’informer sa gestionnaire s’est présentée dès son retour de Cuba. Un courriel ou une brève conversation aurait suffi pour informer la gestionnaire du besoin de modifier sa demande de congé. Il ne s’est pas prévalu de cette occasion. S’il l’avait fait, la situation dans laquelle il se trouve maintenant ne se serait peut-être pas produite. Malheureusement, le fonctionnaire a seulement avoué ne pas avoir été inapte au travail lorsqu’il a été questionné à ce sujet dans le cadre d’une audience disciplinaire en novembre 2011. Pour plusieurs mois, il n’a pris aucune démarche pour informer sa gestionnaire. Il a préféré se taire. Dans son témoignage, le fonctionnaire a également indiqué que, si la gestionnaire lui avait demandé une mise à jour à son retour de Cuba, il aurait modifié sa demande de congé. Il aurait être souhaitable pour la gestionnaire de poser des questions ou informer le fonctionnaire de ses préoccupations relativement à sa demande de congé. Toutefois, le défaut de la gestionnaire de demander une mise à jour ou de poser des questions ne dégage pas le fonctionnaire de son obligation de s’assurer que la demande de congé qu’il avait présentée était véridique et exacte.

[92] Je suis persuadée qu’une suspension constituait une mesure disciplinaire raisonnable dans les circonstances. Toutefois, je suis d’avis qu’une suspension d’une durée de 150 heures était excessive dans les circonstances.

[93] En analysant la proportionnalité de la sanction imposée au fonctionnaire, je dois tenir compte de divers éléments, dont le principe de la discipline progressive, les facteurs atténuants et les facteurs aggravants.

[94] La discipline progressive repose sur le principe selon lequel les employés méritent d’avoir l’occasion de démontrer qu’ils peuvent corriger leur comportement si la relation d’emploi n’est pas irrémédiablement compromise.

[95] L’employeur a indiqué que ses objectifs en imposant la mesure disciplinaire étaient de corriger le comportement du fonctionnaire, rétablir le lien de confiance et envoyer un message au fonctionnaire et à l’ensemble des employés qu’un comportement de ce genre n’était pas acceptable et méritait une sanction grave. La gestionnaire a dit ne pas vouloir licencier le fonctionnaire. Elle était sûre que les manquements du fonctionnaire ne se répéteraient pas et qu’une suspension pourrait rétablir le lien de confiance entre l’employeur et son employé.

[96] La preuve démontre que, malgré la confiance de l’employeur selon laquelle le lien de confiance entre les parties pouvait être rétabli entre les parties, rien n’indique que l’employeur a considéré – à l’égard du principe de la discipline progressive – une mesure disciplinaire moindre qu’une suspension sans solde de 150 heures.

[97] Le fonctionnaire était employé par l’Agence depuis plusieurs années. Il avait un dossier disciplinaire vierge. Il s’agissait de sa première mesure disciplinaire. À ces facteurs atténuants, j’ajouterais le fait que, pendant plusieurs mois, et malgré ses préoccupations relativement à la demande de congé présentée par le fonctionnaire, l’employeur n’a pris aucune démarche pour informer le fonctionnaire qu’il y avait un enjeu quelconque relativement à sa demande de congé ou pour s’informer auprès de lui.

[98] Il est important de rappeler qu’en plus d’une suspension de 150 heures, l’employeur a converti les neuf jours de congé de maladie en congés non autorisés et non payés. Le fonctionnaire a fait valoir que la conversion de ses congés était une mesure disciplinaire en soi, une mesure devant être prise en compte dans l’évaluation de la sanction imposée par l’employeur. Je ne suis pas d’accord qu’il s’agisse d’une mesure disciplinaire. Le fonctionnaire n’a pas été inapte au travail et n’avait donc pas droit aux congés payés. L’employeur était en droit de prendre les démarches nécessaires visant à lui retirer les congés payés auxquels il n’avait pas droit. La mesure administrative ne constitue pas un facteur atténuant et je n’en ai pas tenu compte dans mon évaluation de la proportionnalité de la mesure disciplinaire imposée.

[99] Dans son témoignage, le fonctionnaire a insisté sur le fait que l’employeur lui avait permis, à deux reprises, de présenter une demande de congé de maladie pour lesquelles les précisions quant à la durée d’inaptitude étaient présentées à l’employeur après le congé. Même si cette pratique antérieure aurait pu créer chez le fonctionnaire une expectative voulant qu’il puisse s’attendre à être autorisé de préciser la durée et nature de son incapacité au travail après son retour de congé, une telle expectative importe peu dans les circonstances de cette affaire. Une telle expectative, bien qu’elle puisse expliquer en quelque sorte les frustrations du fonctionnaire à l’égard de sa gestionnaire, ne dégage pas le fonctionnaire de son obligation de s’assurer – dès son retour - que la demande de congé qu’il avait présentée était véridique, ce que le fonctionnaire n’a pas fait.

[100] Je passe maintenant aux facteurs aggravants. J’ai déjà expliqué pourquoi j’écarte la notion de préméditation soulevée par l’employeur à titre de facteur aggravant, mais j’ajouterais aux facteurs aggravants le fait que le fonctionnaire n’a pas immédiatement reconnu ne pas avoir été inapte lorsque l’employeur lui a posé des questions à ce sujet lors de l’audience disciplinaire. Lorsqu’il a été questionné, le premier réflexe du fonctionnaire a été d’éviter de répondre clairement aux questions de l’employeur. Il n’a certes pas immédiatement avoué son manquement.

[101] Un autre facteur aggravant pertinent dans les circonstances est le rôle du fonctionnaire à titre d’agent de la paix. Je suis en désaccord avec le fonctionnaire lorsqu’il affirme que les attentes particulières imposées aux titulaires d’un poste comme le sien ne peuvent pas constituer un facteur aggravant. Le manquement reproché dans cette affaire est le défaut du fonctionnaire de modifier ou retirer une demande de congé de maladie qu’il savait fausse. Dans le cadre de ses fonctions, le fonctionnaire représentait le ministre dans le cadre d’instances portant sur des enjeux d’honnêteté et d’intégrité, notamment des enjeux relatifs à la présentation de fausses déclarations. Le manquement du fonctionnaire est incompatible avec le poste d’agent de la paix qu’il occupait, un poste qui requiert que le titulaire fasse preuve d’intégrité, bon jugement et honnêteté. Les attentes imposées aux titulaires de postes de ce genre peuvent sous-entendre que la sanction imposée pour le manquement devrait être plus sévère.

[102] J’ajouterais ici que je suis persuadée que – consciemment ou non – l’employeur a également été influencé par un autre facteur dans son choix de la mesure disciplinaire imposée, soit les doutes de la gestionnaire relativement à l’authenticité du billet médical qui le fonctionnaire lui a remis.

[103] Dès le moment où la gestionnaire a reçu un billet médical rédigé en partie en français d’une dentiste cubaine, la gestionnaire a soupçonné que le billet médical avait été falsifié. Toutefois, je n’ai entendu aucune preuve à ce sujet et aucune mesure disciplinaire n’a été imposée contre le fonctionnaire à cet égard. La gestionnaire était ainsi tenue de s’assurer que ses soupçons à ce sujet n’influencent pas son choix de la mesure disciplinaire. Toutefois, je suis d’avis que les soupçons de la gestionnaire ont coloré son appréciation des faits et son évaluation de la mesure disciplinaire appropriée.

[104] La lettre de suspension fait référence aux doutes de la gestionnaire relativement au billet médical. Dans le cadre de son témoignage, elle a également fait mention de ses doutes relativement au billet médical présenté lorsqu’elle discutait du manquement allégué en lien de l’utilisation des congés de maladie.

[105] Je suis persuadée que les doutes de la gestionnaire l’ont portée à percevoir le manquement du fonctionnaire comme un geste de malhonnêteté prémédité. À la lumière de la preuve présentée à l’audience et en faisant abstraction des soupçons de la gestionnaire quant au billet médical, il m’est difficile de concevoir comment l’employeur aurait pu en arriver à la décision d’imposer une suspension sans solde de 150 heures dans les circonstances de cette affaire. Je suis persuadée que les soupçons et doutes de l’employeur l’ont mené – consciemment ou non – à imposer une mesure discipline plus sévère.

[106] Il ressort de la preuve que le manquement du fonctionnaire ne découle pas d’une intention préméditée de frauder son employeur. Il constitue plutôt un manquement important de jugement, d'honnêteté et d’intégrité, découlant d’une profonde frustration provoquée par un manque de communication adéquate entre les parties. Un manquement de cette nature devrait nécessairement attirer une suspension d’une moins grande durée qu’un geste prémédité avec l’intention de frauder l’employeur.

[107] Selon le fonctionnaire, un incident préalable ayant rapport à un autre voyage à Cuba aurait également coloré les rapports entre lui et sa gestionnaire et aurait mené à l’imposition d’une mesure disciplinaire plus importante. La preuve présentée à l’audience à ce sujet était insuffisante pour me permettre de conclure que cet incident aurait porté l’employeur à imposer – consciemment ou non – une mesure disciplinaire plus élevée dans les circonstances de cette affaire.

[108] Je conclus que les doutes de la gestionnaire relativement au billet médical l’ont portée à erronément caractériser le manquement du fonctionnaire comme un geste prémédité cherchant à frauder l’employeur. Je conclus donc qu’un des deux facteurs aggravants invoqués par l’employeur, soit la préméditation, est sans fondement. De plus, comme il a été discuté précédemment, j’estime qu’un poids insuffisant a été accordé au principe de discipline progressive. Ces constats m’amènent à la conclusion qu’à la lumière des circonstances de cette affaire, une suspension de 150 heures était une mesure disciplinaire excessive.

[109] Le troisième et dernier élément du critère Wm. Scott nécessite l’examen de la mesure disciplinaire appropriée qui devrait être substituée à la suspension de 150 heures. Je ne répéterai pas ici les facteurs aggravants et atténuants discutés précédemment ni ma conclusion quant à la nature du manquement visé par la mesure disciplinaire.

[110] Compte tenu des circonstances, y compris la nature du manquement du fonctionnaire, le principe de la discipline progressive, les facteurs aggravants et atténuants, j’estime qu’une suspension de 37.5 heures devrait être substituée à la suspension de 150 heures.

[111] Une suspension sans solde d’une durée de 37.5 heures est une mesure disciplinaire importante ayant de conséquences importantes pour l’employé visé. Le fonctionnaire a fait preuve d’un manquement important de jugement, d'honnêteté et d’intégrité. Il a maintenu une demande de congé qu’il savait fausse. Même s’il a fait cela par frustration à l’égard de sa gestionnaire et non de façon préméditée, j’estime qu’une mesure disciplinaire significative est méritée en raison de l’honnêteté et de l’intégrité requises chez le titulaire d’un poste d’agent de la paix qui traite quotidiennement des dossiers d’immigration dans lesquels l’honnêteté et la véracité de déclarations écrites et verbales comportent une grande importance.

[112] J’estime qu’une suspension de 37.5 heures permet également d’atteindre l’objectif de l’employeur, soit de communiquer le message clair et non équivoque selon lequel une inconduite de ce genre va entraîner une conséquence importante. Une suspension de cette durée permet également de rétablir le lien de confiance entre l’employeur et le fonctionnaire.

[113] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)

VI. Ordonnance

[114] Les demandes de prorogation de délai (568-02-00329 à 00331) sont accueillies.

[115] Les dossiers 566-02-10260 et 566-02-10261 sont fermés.

[116] Le grief relatif à la suspension sans solde (566-02-10259) est accueilli en partie.

[117] Une suspension de 37.5 heures sera substituée à la suspension de 150 heures. Le fonctionnaire a droit au remboursement du salaire et des avantages sociaux qu’il aurait par ailleurs gagnés.

[118] Le fonctionnaire a également droit aux intérêts sur le salaire net auquel il a droit, conformément aux articles 36 et 37 de la Loi sur les cours fédérales (L.R.C. (1985), ch. F-7), ce taux devant être calculé et composé chaque année à compter du 23 janvier 2012 jusqu’au jour où le paiement est versé, inclusivement.

[119] La Commission demeurera saisie du grief relatif à la suspension sans solde pour une période de 90 jours suivant la date de la présente ordonnance pour trancher tout différend que pourrait soulever la mise en œuvre de la présente ordonnance.

Le 6 avril 2023.

Amélie Lavictoire,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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