Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La demanderesse a demandé une mesure d’adaptation au motif de sa déficience relativement à la Politique sur la vaccination contre la COVID-19 applicable à l’administration publique centrale, y compris à la Gendarmerie royale du Canada – le défendeur a refusé sa demande et l’a ensuite mise en congé non payé – la demanderesse a déposé un grief avec l’aide de son agent négociateur – après avoir déposé le grief au troisième palier, l’agent négociateur a communiqué à l’interne quant à son renvoi à l’arbitrage devant la Commission, mais ne l’a pas réellement renvoyé avant plusieurs mois, jusqu’à ce que la demanderesse en fasse la demande – le défendeur s’est opposé au motif qu’il était hors délai – la demanderesse a demandé une prorogation du délai en vertu de l’al. 61b) du Règlement – l’agent négociateur a admis qu’il y a eu un retard et en a assumé la responsabilité intégrale – la Commission a appliqué les critères énoncés dans Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, et a conclu que la prorogation doit être accordée par souci d’équité – la Commission a conclu que : 1) le retard était entièrement attribuable à l’agent négociateur; 2) la durée du retard, soit environ deux mois, n’était pas scandaleuse; 3) la demanderesse avait fait preuve de diligence raisonnable en déposant et en poursuivant le grief initial et en déployant des efforts pour déterminer le statut du grief; 4) l’injustice possible à l’égard de la demanderesse si la prorogation n’était pas accordée l’emporte sur le préjudice que subirait le défendeur si elle était accordée; 5) le grief n’était pas frivole ou absurde – la Commission a ordonné que le grief soit mis au rôle en temps opportun.

Demande accueillie.

Contenu de la décision

Date : 20230324

Dossier : 568-02-45380

XR : 566-02-45212

Référence : 2023 CRTESPF 27

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de

la Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Remy Lewis

demanderesse

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(Service correctionnel du Canada)

 

défendeur

Répertorié

Lewis c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant une demande visant la prorogation d’un délai en vertu de l’alinéa 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la demanderesse : Xavier P.-Laberge, Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN

Pour le défendeur : Anne-Renée Bergeron, Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada

Décision rendue sur la base d’arguments écrits

déposés le 26 août et les 20 et 28 septembre 2022.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Demande devant la Commission

[1] Remy Lewis (la « demanderesse ») est une agente correctionnelle (CX-01) du Service correctionnel du Canada (le « défendeur »). Elle fait partie d’une unité de négociation représentée par le Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (l’« agent négociateur »).

[2] Le 15 juillet 2022, la demanderesse a renvoyé un grief à l’arbitrage auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). Le grief porte sur la décision du défendeur de rejeter la demande de mesure d’adaptation présentée par la demanderesse relativement à la Politique sur la vaccination contre la COVID-19 applicable à l’administration publique centrale, y compris à la Gendarmerie royale du Canada (la « Politique ») et de la mettre en congé non payé.

[3] Le 5 août 2022, l’agent négociateur a déposé une demande de prorogation du délai au nom de la demanderesse en vertu de l’alinéa 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005-79; le « Règlement »). Il a reconnu qu’il y avait eu un retard dans le renvoi du grief à l’arbitrage, mais a soutenu que le retard lui était entièrement attribuable.

[4] Le défendeur demande que la Commission rejette le grief au motif que le renvoi à l’arbitrage était hors délai.

[5] La présente décision ne porte que sur la demande de prorogation du délai. En vertu de l’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365), la Commission peut trancher toute affaire ou question dont elle est saisie sans tenir d’audience.

[6] Pour les motifs qui suivent, la demande de prorogation du délai est accueillie.

II. Contexte

[7] Le 6 octobre 2021, la Politique est entrée en vigueur. Elle exigeait que tous les employés de l’administration publique centrale, y compris le défendeur, soient vaccinés entièrement contre la COVID-19, à moins de faire l’objet de mesures d’adaptation en raison d’une contre-indication médicale certifiée, de croyances religieuses ou d’un autre motif interdit au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6; la « LCDP »).

[8] La demanderesse a demandé de faire l’objet de mesures d’adaptation fondées sur la déficience. Le 29 novembre 2021, elle a rencontré le défendeur pour discuter de la demande. Le 1er décembre 2021, il l’a informée que sa demande avait été refusée et qu’elle serait mise en congé non payé à compter du 16 décembre 2021, date qui a été modifiée par la suite au 31 décembre 2021.

[9] Le 29 janvier 2022, la demanderesse, avec l’aide de son agent négociateur, a déposé un grief au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs, puisqu’elle avait renoncé au premier palier. Le 9 février 2022, elle et un agent de griefs ont assisté à une audience de grief au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs avec le défendeur.

[10] Le 14 février 2022, le défendeur a transmis sa réponse de deuxième palier à la demanderesse. Il a rejeté le grief au motif qu’elle n’avait pas fourni la preuve qu’elle avait une caractéristique protégée de la discrimination et que, par conséquent, il n’avait pas contrevenu à la convention collective applicable, aux politiques ou directives applicables ou à la LCDP.

[11] Le 23 février 2022, la demanderesse, encore avec l’aide de l’agent négociateur, a déposé le grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Le défendeur en a accusé réception le 25 février 2022. Le même jour, l’agent négociateur a transmis des communications internes au sujet de la préparation du dossier, pour le renvoyer à l’arbitrage.

[12] Entre le 31 mars et le 4 avril 2022, l’agent négociateur a émis plus de communications internes sur la préparation du dossier afin de pouvoir le renvoyer à l’arbitrage.

[13] Le 22 juin 2022, la demanderesse a communiqué avec l’agent négociateur pour obtenir une mise à jour de son grief. Elle a expliqué qu’elle avait [traduction] « […] envoyé un courriel à une personne du syndicat et qu’elle n’avait pas eu de réponse ». À la suite de quelques communications entre eux du 23 au 27 juin 2022, l’agent négociateur a enquêté sur la question et a découvert que le dossier n’avait pas été terminé en vue du renvoi du grief à l’arbitrage.

[14] Le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 15 juillet 2022.

[15] Comme il a été mentionné, l’agent négociateur a présenté sa demande de prorogation du délai le 5 août 2022.

[16] Le 11 août 2022, le défendeur a répondu au renvoi à l’arbitrage. Il a fait remarquer que la réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs n’avait pas encore été émise et a demandé que la Commission rejette le grief au motif que le renvoi était hors délai.

[17] Le 26 août 2022, le défendeur a présenté ce qu’il a qualifié de réponse préliminaire à la demande de prorogation du délai. Il a soutenu que le grief avait été déposé au dernier palier de la procédure de règlement des griefs le 23 février 2022, mais qu’il n’avait été renvoyé à l’arbitrage que le 15 juillet 2022, soit [traduction] « […] bien après les délais indiqués au paragraphe 90(2) du Règlement ».

[18] Le 8 septembre 2022, la Commission a invité les parties à présenter d’autres arguments écrits au sujet de la question du respect des délais. Les deux parties ont profité de cette occasion.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la demanderesse

[19] L’agent négociateur admet qu’il y a eu un retard dans le renvoi du grief à l’arbitrage, mais il fait valoir que le retard est entièrement de sa faute et que la demanderesse ne devrait pas être pénalisée pour son erreur.

[20] La demanderesse demande à la Commission, conformément à l’alinéa 61b) du Règlement et par souci d’équité, d’exercer son pouvoir discrétionnaire de proroger le délai de renvoi du grief à l’arbitrage.

[21] La demanderesse cite les critères énoncés dans Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1. Elle affirme que le débat persiste sur l’importance à accorder à chaque critère, mais que la Commission doit être guidée par un souci d’équité lorsqu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire de proroger les délais.

1. Le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes

[22] La demanderesse fait valoir que le retard est justifié par une raison claire, logique et convaincante. En résumé, le retard était entièrement attribuable à la négligence de l’agent négociateur et elle n’aurait rien pu faire pour faire avancer l’affaire par elle‑même.

[23] Le grief est resté stagnant d’avril à juillet 2022. Ce n’est que le 22 juin 2022, après que la demanderesse a demandé où en était son grief, que l’agent négociateur s’est rendu compte qu’il manquait des documents et que le grief n’avait pas été renvoyé à l’arbitrage. La situation n’a été éclaircie que le 15 juillet 2022, date à laquelle tous les documents nécessaires ont été envoyés et que le grief a été renvoyé à la Commission.

[24] Jusqu’au 27 juin 2022, la demanderesse ignorait que son grief n’avait pas été renvoyé à l’arbitrage.

[25] La demanderesse cite plusieurs décisions à l’appui de sa position selon laquelle la négligence d’un agent négociateur est une raison claire, logique et convaincante d’un retard.

[26] Dans Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228 c. Conseil du Trésor, 2013 CRTFP 144 (« FIOE »), au paragraphe 44, l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission ») a soutenu qu’une erreur de l’agent négociateur peut, dans certaines circonstances, être une raison claire, logique et convaincante d’un retard, particulièrement si le fonctionnaire s’estimant lésé s’est acquitté de sa responsabilité dans le processus ou s’il a satisfait au facteur de diligence raisonnable énoncé dans Schenkman.

[27] La demanderesse cite également D’Alessandro c. Conseil du Trésor (ministère de la Justice), 2019 CRTESPF 79, dans laquelle on affirme que la négligence d’un agent négociateur à déposer ou à renvoyer un grief peut constituer une raison claire, logique et convaincante d’un retard, bien qu’il ne soit pas nécessaire que le retard soit entièrement attribuable à celui-ci. Dans de telles circonstances, l’équité est le principe directeur de la Commission.

[28] La demanderesse cite également Grekou c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2020 CRTESPF 94, au paragraphe 21, qui cite aussi les décisions FIOE et D’Alessandro.

2. La durée du retard

[29] Le retard n’est pas scandaleux. Dans FIOE, aux paragraphes 54 et 55, l’ancienne Commission a expliqué que les délais visent à favoriser la stabilité des relations de travail et à empêcher l’employeur d’être constamment exposé à défendre des griefs contre des actions qui ont eu lieu il y a longtemps. Néanmoins, la Commission conserve le pouvoir discrétionnaire d’accorder des prorogations lorsqu’elle le juge nécessaire, par souci d’équité.

[30] Le présent cas ne porte pas sur la présentation tardive d’un grief. Il s’agit plutôt d’une demande de prorogation pour renvoyer à l’arbitrage un grief qui existe déjà. En raison de cela, et parce qu’il faut généralement plusieurs années pour planifier les audiences de griefs, la prorogation dans le présent cas ne déstabiliserait pas les relations de travail.

3. La diligence raisonnable de la demanderesse

[31] La demanderesse insiste particulièrement sur ce facteur de Schenkman compte tenu des faits du présent cas. Elle cite D’Alessandro, au paragraphe 25, pour la proposition selon laquelle ce facteur devrait être analysé avec la durée du retard.

[32] Dans Barbe c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2022 CRTESPF 42, au paragraphe 50, la Commission a conclu que « si le fonctionnaire n’est pas en faute, s’il a informé avec diligence son syndicat et contribué au dépôt de son grief, je ne vois pas comment en toute équité il devrait ensuite subir les conséquences des erreurs commises par l’agent négociateur ».

[33] Dans le présent cas, la demanderesse a tenté de poursuivre son grief avec diligence et a collaboré avec l’agent négociateur tout au long du processus. En outre, elle lui a envoyé un courriel afin d’effectuer un suivi. Par conséquent, elle ne devrait pas subir les conséquences de l’erreur de l’agent négociateur.

4. L’équilibre entre l’injustice causée à la demanderesse et le préjudice que subit le défendeur

[34] La procédure de règlement des griefs est la seule procédure par laquelle la demanderesse peut faire valoir ses droits, et le refus d’accorder une prorogation du délai signifierait la fin de ses recours.

[35] En outre, la demanderesse indique que la Commission est saisie de nombreux griefs similaires concernant les exigences en matière de vaccination. Habituellement, lorsque la Commission en tranche un ou plusieurs, les parties s’entendent sur le sort des autres. Il est peu probable que la prorogation du délai dans le présent cas porte préjudice au défendeur, qui a toujours été au courant de l’existence et de la nature du différend.

5. Les chances de succès du grief

[36] À ce stade, la Commission ne peut pas déterminer si le grief a une chance de succès, car elle n’a pas eu l’occasion de se pencher sur son bien-fondé.

[37] Le défendeur n’a pas encore répondu au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.

[38] Dans Barbe, aux paragraphes 28 et 51, la Commission a expliqué que le délai de 40 jours pour renvoyer un grief à l’arbitrage existe afin de protéger les droits d’un fonctionnaire s’estimant lésé si l’employeur ne répond pas; autrement, l’employeur pourrait simplement retarder indéfiniment le renvoi à l’arbitrage. Dans Barbe, la Commission a déclaré qu’elle ressentait « un certain malaise » à appliquer de façon défavorable une disposition censée protéger les intérêts d’un demandeur.

B. Pour le défendeur

[39] Le défendeur soutient que le renvoi à l’arbitrage était hors délai et qu’une prorogation du délai est injustifiée compte tenu des circonstances du présent cas.

[40] Il convient que la Commission a le pouvoir d’accorder une prorogation du délai par souci d’équité, mais affirme que les délais prévus par la Loi ne devraient être prorogés que dans des circonstances exceptionnelles, lorsque leur prorogation serait dans l’intérêt de l’équité. Le défendeur cite Martin c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2015 CRTEFP 39 aux paragraphes 57, 58 et 68.

[41] L’ancienne Commission a statué à plusieurs reprises que les critères de Schenkman n’ont pas toujours la même importance et que l’importance de chaque critère doit être examinée en fonction des faits de chaque cas (voir Gill c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2007 CRTFP 81, par. 51).

1. Le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes

[42] Le défendeur a surtout axé son argumentation sur ce critère. Il a cité plusieurs cas dans lesquels l’ancienne Commission a conclu qu’une erreur ou une négligence de la part de l’agent négociateur ne constituait pas une raison claire, logique et convaincante du retard (voir Copp c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères et du Commerce international), 2013 CRTFP 33; Sonmor c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 20; St-Laurent c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 4; et Callegaro c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 110).

[43] En l’absence de raisons claires, logiques et convaincantes pour justifier le retard, il n’est pas nécessaire d’examiner les quatre autres critères (voir Parker c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2022 CRTESPF 57, par. 32).

[44] L’octroi d’une prorogation sans justification valable du retard équivaut à un non-respect du paragraphe 90(1) du Règlement (voir Lagacé c. Conseil du Trésor (Commission de l’immigration et du statut du réfugié), 2011 CRTFP 68).

[45] Une erreur de l’agent négociateur peut, dans certaines circonstances, constituer une raison claire, logique et convaincante d’un retard, particulièrement si le fonctionnaire s’estimant lésé s’est acquitté de sa responsabilité dans le cadre du processus ou s’il a satisfait au facteur de diligence raisonnable (voir FIOE, au par. 44).

[46] Toutefois, dans le présent cas, ni l’agent négociateur ni la demanderesse ne l’ont fait. En ce qui concerne l’agent négociateur, rien n’explique ce qui s’est passé pendant le retard, si ce n’est un oubli de sa part. Il n’a pas été empêché de renvoyer le grief à l’arbitrage – il ne l’a tout simplement pas fait dans le délai prescrit. L’agent négociateur est une partie expérimentée qui dispose de vastes ressources. Quant à la demanderesse, ce n’est qu’en juin 2022 qu’elle a effectué un suivi sur le grief.

[47] À la lumière de ces faits, il n’existe aucune raison claire, logique et convaincante justifiant ce retard.

2. La durée du retard

[48] Le délai d’environ deux mois pour déposer le grief est important.

[49] Dans Grouchy c. Administrateur général (ministère des Pêches et des Océans), 2009 CRTFP 92, l’ancienne Commission a expliqué qu’en principe, les délais fixés par la Loi et le Règlement sont obligatoires et que toutes les parties devraient les respecter. Les délais courts sont conformes au principe selon lequel les différends en matière de relations de travail devraient être réglés rapidement. Les prorogations devraient demeurer une décision exceptionnelle qui survient seulement après que le décideur a procédé à une évaluation prudente et rigoureuse des circonstances.

3. La diligence raisonnable de la demanderesse

[50] La demanderesse n’a pas poursuivi son grief avec diligence.

[51] En outre, le renvoi à l’arbitrage a été fait en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi et, par conséquent, l’approbation de l’agent négociateur n’était pas requise.

[52] Même si les employés sont représentés, ils ont toujours la responsabilité de connaître leurs droits et de se tenir informés. La demanderesse a peut-être effectué un suivi en envoyant un courriel à l’agent négociateur le 22 juin 2022, mais elle n’a pas fait de suivi entre février, date à laquelle le grief a été déposé au troisième palier de la procédure de règlement des griefs, et le 22 juin 2022. Un seul courriel ne constitue pas une diligence raisonnable.

[53] Afin d’expliquer ce retard, la demanderesse devrait démontrer que, pendant la période visée, elle n’a pas été en mesure de renvoyer le grief à l’arbitrage (voir Popov c. Agence spatiale canadienne, 2018 CRTESPF 49, au par. 52).

4. L’équilibre entre l’injustice causée à la demanderesse et le préjudice que subit le défendeur

[54] Ce facteur ne devrait pas avoir beaucoup d’importance parce que la demanderesse n’a pas établi de motifs clairs, logiques et convaincants pour justifier le retard et n’a pas démontré qu’elle avait agi avec une diligence raisonnable.

[55] Le défendeur a le droit de savoir avec une certaine certitude que les différends liés aux relations de travail seront traités en temps opportun.

5. Les chances de succès du grief

[56] Les chances de succès du grief sont faibles, car la demanderesse n’a pas fourni la preuve qu’elle possède une caractéristique protégée contre la discrimination en vertu de la LCDP. Elle a demandé des mesures d’adaptation en raison d’une déficience, mais n’a fourni aucune information pour justifier des restrictions ou des limitations médicales; elle n’a pas non plus fourni d’autres raisons liées à un motif interdit qui l’empêcherait de recevoir un vaccin contre la COVID-19 comme la Politique l’exigeait à l’époque. Il est plutôt clair que sa demande de mesure d’adaptation était fondée sur sa préférence personnelle de ne pas être vaccinée.

IV. Motifs

[57] La Commission peut, par souci d’équité, accorder une prorogation du délai pour renvoyer un grief à l’arbitrage. L’article 61 du Règlement est ainsi rédigé :

61 Malgré les autres dispositions de la présente partie, tout délai, prévu par celle-ci ou par une procédure de grief énoncée dans une convention collective, pour l’accomplissement d’un acte, la présentation d’un grief à un palier de la procédure applicable aux griefs, le renvoi d’un grief à l’arbitrage ou la remise ou le dépôt d’un avis, d’une réponse ou d’un document peut être prorogé avant ou après son expiration :

61 Despite anything in this Part, the time prescribed by this Part or provided for in a grievance procedure contained in a collective agreement for the doing of any act, the presentation of a grievance at any level of the grievance process, the referral of a grievance to adjudication or the providing or filing of any notice, reply or document may be extended, either before or after the expiry of that time,

a) soit par une entente entre les parties;

(a) by agreement between the parties; or

b) soit par la Commission ou l’arbitre de grief, selon le cas, à la demande d’une partie, par souci d’équité.

(b) in the interest of fairness, on the application of a party, by the Board or an adjudicator, as the case may be.

 

[58] Comme les deux parties l’ont fait remarquer, pour déterminer si une telle prorogation doit être accordée, le Conseil examinera les cinq critères suivants énoncés dans Schenkman :

· le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;

· la durée du retard;

· la diligence raisonnable du demandeur;

· l’équilibre entre l’injustice causée au demandeur et le préjudice que subit l’employeur si la prorogation est accordée;

· les chances de succès du grief.

 

[59] Récemment, dans Lessard-Gauvin c. Conseil du Trésor (École de la fonction publique du Canada), 2022 CRTESPF 40, au paragraphe 32, la Commission a expliqué que ces critères devraient être évalués dans leur ensemble, mais qu’ils n’ont pas nécessairement tous la même importance. Les faits doivent être examinés afin de déterminer l’importance à accorder à chaque critère. Parfois, certains critères ne s’appliqueront pas, ou seulement un ou deux pèseront lourd dans la balance.

[60] Deux principes guident l’analyse de Schenkman (voir Parker, au par. 28). Le premier est que les lignes directrices contractuelles ou établies par la loi sont censées être respectées et qu’en général, elles ne devraient être prorogées que dans des circonstances exceptionnelles.

[61] Toutefois, le deuxième principe, qui est primordial, est de promouvoir l’intérêt de l’équité. La Commission et son prédécesseur ont souligné l’importance de l’équité dans de multiples décisions. Voir, par exemple, l’extrait suivant de FIOE, qui portait également sur le défaut d’un agent négociateur de renvoyer un grief à l’arbitrage dans le délai prescrit :

[…]

61 […] [L]e critère général à appliquer en vue d’accorder une prorogation de délai est l’équité, conformément à l’alinéa 60b) du Règlement.

62 En ce qui concerne le dernier point, il importe de souligner que les critères dans Schenkman servent uniquement à aider le décideur à déterminer s’il accorde ou non une prorogation […] Avec le plus grand respect, j’ajouterais que ces critères ne doivent pas être considérés comme une supposée formule péremptoire qui empêcherait un décideur d’envisager d’accorder une prorogation par souci d’équité. Les critères qui orientent un tel examen reposent sur des faits et sont fondés sur le principe de ce qui est juste dans les circonstances […]

[…]

[Je mets en évidence]

 

[62] Récemment, dans Barbe, qui portait aussi sur le défaut d’un agent négociateur de renvoyer des griefs à l’arbitrage en temps opportun, la Commission a déclaré ce qui suit :

[…]

[25] […] [I]l me paraît primordial d’avoir tout d’abord un souci d’équité. Il peut arriver qu’une partie fasse si peu preuve de diligence, ou offre une explication tellement confuse ou illogique, que la Commission ne peut en bonne conscience accorder une prorogation de délai. Les délais existent pour une bonne raison, pour assurer un déroulement aussi efficace que possible des procédures. Il faut donc une bonne raison pour y déroger. Dans certains cas, toutefois, même si un certain doute peut exister quant à la clarté des explications ou à la diligence des parties, le souci d’équité l’emporte.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[63] Le principe de l’équité est particulièrement important dans les situations de négligence de l’agent négociateur où le fonctionnaire s’estimant lésé a fait preuve de diligence raisonnable dans la poursuite du grief. Voir Edwards c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2019 CRTESPF 126, au paragraphe 25; D’Alessandro, aux paragraphes 20, 21 et 24; Prior c. Agence du revenu du Canada, 2014 CRTFP 96, au paragraphe 140; et Thompson c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2007 CRTFP 59.

A. Des raisons claires, logiques et convaincantes

[64] L’agent négociateur explique que le retard dans le renvoi du grief à l’arbitrage lui était entièrement attribuable et qu’il n’y avait rien que la demanderesse aurait pu faire elle-même. Pendant environ trois mois, le grief est resté stagnant. La demanderesse n’était pas au courant qu’il n’avait pas été renvoyé à l’arbitrage jusqu’au 27 juin 2022, après avoir communiqué avec l’agent négociateur pour obtenir une mise à jour.

[65] Le défendeur soutient que le fait que l’agent négociateur n’ait pas transmis les documents signés ou n’ait pas fait le suivi dans le délai prescrit ne constitue pas une raison claire, logique et convaincante du retard. À son avis, ni l’agent négociateur ni la demanderesse ne se sont acquittés de leurs obligations.

[66] Comme il a été mentionné dans Barbe, la Commission a adopté deux approches différentes en ce qui concerne les retards causés par un agent négociateur, comme l’illustrent Copp et Thompson. Pour les motifs exposés dans Barbe, je préfère l’approche exposée dans Thompson et D’Alessandro, comme il est indiqué dans l’extrait suivant :

[…]

[50] Avec égards, je ne suis pas d’accord avec la décision Copp. Je préfère l’approche dans la décision D’Alessandro : si le fonctionnaire n’est pas en faute, s’il a informé avec diligence son syndicat et contribué au dépôt de son grief, je ne vois pas comment en toute équité il devrait ensuite subir les conséquences des erreurs commises par l’agent négociateur […]

[…]

 

[67] Compte tenu des faits du présent cas, je conclus que le retard est justifié par une raison claire, logique et convaincante. L’agent négociateur indique sans équivoque que la demanderesse n’a rien à se reprocher. Le retard était uniquement attribuable au fait que le grief est resté stagnant pendant trois mois parce que l’agent négociateur n’avait pas rempli les documents requis. La demanderesse a collaboré avec l’agent négociateur tout au long de la procédure de règlement des griefs et n’avait aucune raison de s’attendre à ce qu’il ne renvoie pas le grief à l’arbitrage.

B. La durée du retard

[68] La durée du retard dans le présent cas est d’environ deux mois. Comme l’a fait remarquer la demanderesse, ce n’est pas scandaleux. Dans Parker, la Commission a indiqué qu’un délai de deux mois pour renvoyer un grief à l’arbitrage « n’est pas démesuré » (au par. 47). À mon avis, la durée du retard n’a pas beaucoup d’importance dans le présent cas.

C. La diligence raisonnable de la demanderesse

[69] Je conclus que, dans les circonstances du présent cas, la demanderesse a fait preuve d’une diligence raisonnable. Elle a poursuivi son grief initial avec diligence, avec l’aide de l’agent négociateur, et elle a collaboré avec lui tout au long du processus. En juin 2022, elle a fait des efforts pour déterminer le statut du grief. Après cela, elle est restée en contact avec l’agent négociateur.

D. L’équilibre entre l’injustice causée à la demanderesse et le préjudice que subit le défendeur

[70] L’incidence sur la demanderesse est importante par rapport à l’incidence sur le défendeur, qui ne laisse pas entendre qu’il subira un préjudice précis si la prorogation du délai est accordée.

[71] Le défendeur n’a pas non plus nié le fait que plusieurs autres griefs semblables sont en cours devant la Commission.

E. Les chances de succès du grief

[72] Comme l’explique Barbe, ce critère peut être utilisé pour refuser une demande de prorogation du délai lorsque le grief n’a aucune chance de succès, par souci d’efficacité. Il n’en est pas ainsi dans le présent cas.

[73] Je suis d’accord avec la demanderesse quand elle affirme qu’il est trop tôt pour évaluer les chances de succès du grief. Cependant, à première vue, il n’est pas frivole ou absurde.

V. Conclusion

[74] Pour terminer, je conclus que la demanderesse n’était pas responsable du retard dans le renvoi du grief à l’arbitrage et qu’elle a présenté une raison claire, logique et convaincante justifiant le retard. La durée du retard n’est pas importante et la demanderesse a fait preuve de diligence raisonnable. L’injustice possible à son égard l’emporte également sur tout préjudice causé au défendeur.

[75] Par souci d’équité, je conclus qu’il s’agit d’un cas approprié pour exercer mon pouvoir discrétionnaire et proroger le délai pour renvoyer le grief de la demanderesse à l’arbitrage.

[76] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)

VI. Ordonnance

[77] La demande de prorogation du délai pour renvoyer à l’arbitrage le grief au dossier 566-02-45212 de la Commission est accueillie.

[78] Le grief sera mis au rôle de la Commission en temps opportun.

Le 24 mars 2023.

Traduction de la CRTESPF

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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