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Date : 20230327

Dossier : 561-34-898

 

Référence : 2023 CRTESPF 29

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

entre

 

John Collins

plaignant

 

et

 

Alliance DE LA FONCTION PUBLIQUE DU Canada

 

défenderesse

Répertorié

Collins c. Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire concernant une plainte présentée en vertu de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Nancy Rosenberg, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Lui-même

Pour la défenderesse : Morgan Rowe, avocat

Affaire entendue par vidéoconférence
le 12 juillet 2022.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Plainte devant la Commission

[1] Le 8 février 2018, John Collins (le « plaignant ») a déposé la présente plainte en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; LRTSPF ou la « Loi ») dans laquelle il affirme que son syndicat ne s’est pas acquitté de son devoir en vertu de l’article 187 de la Loi de le représenter d’une manière qui ne soit ni arbitraire, ni discriminatoire, ni de mauvaise foi. Il travaille pour l’Agence du revenu du Canada (l’« employeur ») et est membre du Syndicat des employé-e-s de l’impôt (SEI), qui est un élément de l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC). Dans la présente décision, le « syndicat » fait référence à l’une ou l’autre ou aux deux entités.

[2] L’employeur dispose d’un Comité national sur l’équité en matière d’emploi et la diversité (CNEED) qui lui fournit des conseils et des recommandations sur les questions d’équité en matière d’emploi et de diversité. Le 3 mars 2016, une lettre d’appel, dans laquelle on recherchait des employés intéressés à pourvoir un poste vacant de personne-ressource régionale (PRR) représentant les minorités visibles, les personnes en situation de handicap et les femmes, a été envoyée.

[3] La tâche de la PRR consistait à appuyer le représentant du groupe désigné au sein du CNEED en offrant une perspective régionale sur les questions relatives au groupe désigné. La lettre d’appel indiquait que la PRR devait s’identifier comme membre d’un groupe désigné et avoir de l’expérience dans les questions d’équité en matière d’emploi.

[4] Le 8 avril 2016, le plaignant a déposé un grief contestant cette exigence ainsi que de nombreuses pratiques de l’employeur relatives à l’équité en matière d’emploi. Il voulait poser sa candidature pour le poste de PRR et estimait que cette exigence constituait une discrimination à son égard en tant que personne qui n’est pas membre d’un groupe désigné.

[5] Les représentants du SEI l’ont aidé tout au long de la procédure de règlement des griefs. Son grief a été [traduction] « conditionnellement » renvoyé à l’arbitrage afin de préserver ses droits en attendant d’autres renseignements et analyses. Il a ensuite été envoyé à l’AFPC pour déterminer si la question devait faire l’objet d’un arbitrage.

[6] Le 10 novembre 2017, Andrew Beck, analyste des griefs et de l’arbitrage de l’AFPC, a déterminé que le grief ne serait pas soumis à l’arbitrage et a informé le SEI et le plaignant de ses motifs. Le plaignant était fortement en désaccord avec le raisonnement et la conclusion de M. Beck et il a déposé la présente plainte.

[7] Je conclus que le plaignant ne s’est pas acquitté de son fardeau de démontrer que le syndicat avait manqué à son devoir de représentation équitable, et je rejette la plainte.

II. Le témoignage et l’argumentation du plaignant

[8] Le plaignant se représentait lui-même. Il a déposé deux mémoires écrits détaillés et un recueil de documents en plus du mémoire conjoint. Il a indiqué dans ses observations préliminaires que les arguments exposaient en grande partie ce qu’il voulait dire et qu’il était très à l’aise avec le fait que la Commission prenne sa décision en se fondant sur eux. Néanmoins, j’ai fait prêter serment au plaignant et lui ai suggéré de saisir l’occasion de fournir à la Commission toute preuve orale ou tout argument supplémentaire qu’il estimait susceptible de faire avancer son cas, sans tenter de faire la distinction entre les deux. Il a indiqué qu’il était reconnaissant de cette souplesse et a présenté des preuves et des arguments oraux en plus de ses documents écrits.

[9] Le plaignant a d’abord déclaré qu’il était difficile de croire que M. Beck, avec toute sa formation, ait pu en arriver à la conclusion qu’il a tirée. Il a toutefois insisté sur le fait que sa plainte ne portait pas sur la décision elle-même, mais sur le processus. Il a dit que lorsque quelqu’un essaie, cela se voit, mais que la représentation du syndicat dans l’affaire n’était pas réelle, mais simplement apparente. Il ne pouvait imaginer comment un analyste principal pouvait arriver à une telle conclusion et, par conséquent, ne croyait pas que son grief avait fait l’objet d’un examen honnête et minutieux.

[10] Son principal problème résidait dans la nature arbitraire de l’examen. Il estimait qu’on lui expliquait sans cesse pourquoi son grief ne réussirait pas, mais qu’on ne lui avait présenté que très peu d’arguments sur la façon dont il pourrait réussir. Il n’était pas d’accord avec M. Beck sur le fait que l’article 16, soit la disposition relative aux programmes spéciaux de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6; LCDP), fournirait à l’employeur une défense à l’égard de son grief.

[11] Il a déclaré que, même s’il n’était pas nécessaire qu’il prouve la mauvaise foi ou la discrimination de la part du syndicat, il y avait des éléments des deux, mais il les définissait principalement comme des aspects de l’idéologie politique dominante au sein du syndicat, avec laquelle il n’était pas d’accord. Il estimait que le syndicat traiterait probablement une plainte déposée par quelqu’un comme lui sans l’examiner sérieusement. Il a dit qu’il avait été brièvement un « briseur de grève » par le passé et qu’il ne savait pas si cela avait influé sur la réponse du syndicat à son grief, mais, en général, il estimait que le contexte de cette question se trouvait dans l’environnement idéologique dominant.

[12] À cet égard, il a mentionné que le formulaire de renvoi du SEI à l’AFPC contenait les mots manuscrits [traduction] « homme blanc » dans la marge, qui étaient sciemment (à son avis) mis en gras ou soulignés. Étant donné que son statut de personne n’appartenant pas à un groupe désigné avait été dûment inscrit dans le champ applicable du formulaire, l’ajout de ces deux mots était redondant. Par conséquent, il était difficile de comprendre pourquoi ces mots avaient été ajoutés, hormis pour servir d’avertissement ou pour transmettre un message sur la façon dont le grief devait être examiné. Il a demandé de façon rhétorique si un fonctionnaire pouvait avoir des raisons de s’inquiéter du soutien du syndicat à son grief, [traduction] « […] si, au lieu d’homme blanc, les mots dans la marge avaient été homme noir, Indien ou Juif? […] Que se passerait-il si les représentants syndicaux du fonctionnaire ne souhaitaient pas plus voir le grief réussir que l’employeur? »

[13] Le plaignant a également indiqué qu’en décembre 2016, un de ses collègues avait commencé à lui [traduction] « faire des saluts nazis » quand il passait devant son poste de travail. Il a confronté ce collègue sur son comportement après le troisième épisode, et ils ont participé au processus de résolution des conflits de l’employeur. Il n’en a pas informé le syndicat et, par conséquent, celui-ci n’a pas participé.

[14] Le plaignant ne comprenait et ne comprend toujours pas pleinement la motivation à l’origine du geste. Cependant, lorsqu’il a appris 10 mois plus tard, soit en octobre 2017, que ce collègue était un délégué syndical, ce qu’il ignorait auparavant, il a envoyé un courriel à Ken Bye, vice-président régional du SEI, afin de lui demander pourquoi ce collègue serait autorisé à continuer d’occuper ce poste. C’est la seule fois qu’il a soulevé cette question auprès du syndicat. M. Bye a répondu comme suit :

[Traduction]

En ce qui concerne le problème que vous avez eu avec [le collègue délégué], je ne peux que m’exprimer sur ce que je sais. À ma connaissance, vous lui avez fait part de vos préoccupations dans le cadre du processus de résolution des conflits au bureau. Étant donné qu’il n’agissait pas dans un rôle syndical à l’époque, je crois qu’il s’agit d’un problème que vous et [lui] devez régler par l’intermédiaire de l’employeur, ce qui a été fait.

Il est contre-productif de continuer de soulever cette question au bureau et cela ne respecte pas l’esprit de la résolution des conflits.

 

[15] Le plaignant n’a pas laissé entendre que la conduite de son collègue était liée à la présente plainte. Il a soulevé l’incident pour illustrer ce qu’il considère comme le penchant idéologique du syndicat, tel que représenté par la réponse de M. Bye à sa question lorsqu’il a appris que son collègue de travail était un délégué syndical. Il l’a expliqué comme suit :

[Traduction]

[…]

La question des saluts est liée à la question du renvoi de Lyson Paquette en mai 2017 et à l’insertion des mots « homme blanc » dans la marge du document. Ces actes et gestes auraient-ils suscité si peu d’inquiétude de la part du syndicat si la personne visée avait été membre d’un groupe visé par l’équité en matière d’emploi? Bien que mon intention ne soit pas de provoquer ou d’offenser, il convient de se demander quelle aurait été la position du syndicat si un délégué syndical avait brandi un drapeau de Daesh en direction d’un employé musulman. L’acte aurait-il été jugé acceptable tant que le délégué syndical n’agitait pas le drapeau en sa qualité de délégué syndical? Le vice-président régional du SEI aurait-il réprimandé l’employé touché pour avoir remis en question la décision du syndicat de permettre au délégué de continuer à exercer ses fonctions?

[…]

 

[16] Le plaignant a allégué que la réponse de M. Bye reflétait l’incapacité ou le refus du syndicat de voir au-delà des différentes désignations de groupe et de respecter ses valeurs et obligations énoncées. Il n’a pas allégué que les représentants syndicaux étaient responsables des actions du délégué syndical, mais seulement avancé que la position du syndicat à cet égard aurait été probablement très différente si des gestes équivalents avaient été dirigés vers un membre du syndicat appartenant à un groupe désigné.

[17] Le plaignant a également établi un lien, comme il ressort de la réponse de M. Bye, avec ce qu’il a décrit comme le manque d’intérêt du syndicat à l’égard de son grief qui, à son avis, était en grande partie attribuable à la nature du grief et à son absence de statut de membre d’un groupe désigné :

[Traduction]

[…]

[…] Je crois que les tendances discriminatoires des défendeurs ont été saisies et reflétées par le […] courriel d’Andrew Beck dans lequel il a carrément reconnu que, malgré la révision effectuée par l’employeur, le syndicat continue d’être d’avis que l’auto-identification seule suffit pour être admissible au poste de PRR. J’allègue que cette même partialité inhérente s’est reflétée dans la façon dont le syndicat a géré l’incident [des saluts nazis] décrit ci-dessus […]

[…]

 

[18] Avant le quatrième palier de la procédure de règlement des griefs, la question de savoir si le plaignant était un membre en règle a été soulevée. C’était une surprise pour lui, car il pensait qu’il était un membre en règle. Des échanges s’ensuivirent quant à son statut et à la question de savoir s’il cela avait quelque chose à voir avec sa représentation par le syndicat. Les représentants syndicaux étaient confus à ce sujet. Le président de la section locale pensait à tort que la représentation en dépendait. La représentante du SEI, Lyson Paquette, a précisé qu’elle n’en dépendait pas. En fin de compte, il a été précisé que le plaignant était un membre en règle et que, quoi qu’il en soit, ce statut n’était pas pertinent pour la représentation que le syndicat fournirait.

[19] Le plaignant était prêt à permettre que la question de Rand soit simplement soulevée comme une question administrative à traiter, mais il a dit qu’il était difficile de comprendre pourquoi le président local suggérait le contraire :

[Traduction]

[…]

[…] Compte tenu de ma très brève expérience en tant que briseur de grève et du manque d’enthousiasme du syndicat jusqu’à ce jour, le fait de soulever la question de Rand (les répercussions possibles sur le grief) a constitué un sujet de préoccupation très réel pour moi par la suite.

[…]

Les syndicats n’aiment pas les briseurs de grève. Cette affirmation n’a rien d’audacieux. Cela ne veut pas dire que l’on ne peut jamais compter sur les représentants syndicaux pour remplir leur devoir de représentation équitable auprès des membres qui sont des briseurs de grève, mais plutôt qu’il serait naïf d’accepter qu’ils le fassent ou qu’ils l’aient fait dans tous les cas.

 

Les employés qui déposent un grief et qui obtiennent l’appui de leur syndicat le font dans presque tous les cas parce qu’ils estiment, à tort ou à raison, qu’ils ont été traités injustement par leur employeur. Ces employés entament souvent le processus de règlement des griefs découragés ou mécontents de la réticence de l’employeur à reconnaître leurs préoccupations et à offrir une solution satisfaisante. Ces employés peuvent déjà se sentir en conflit avec un système qu’ils perçoivent comme étant contre eux et il incombe donc au syndicat d’agir de manière à ne pas aggraver la détresse de l’employé ou à ne pas créer ou perpétuer l’apparence de mauvaise foi.

[…]

 

[20] Le plaignant a également soulevé le fait que Stephanie Copeland, la première analyste à avoir traité son dossier, avait déclaré dans sa note de référence qu’il était une brute. Cela n’était pas indiqué clairement dans ses arguments, mais je crois qu’il estimait que cela avait aussi trait aux opinions impopulaires qu’il exprimait dans un environnement idéologique auquel il s’opposait.

[21] En contre-interrogatoire, le plaignant a reconnu que le rôle de PRR était un rôle de bénévole à un comité consistant en environ huit heures de travail non rémunéré par mois effectué en plus de l’emploi du membre. Toutefois, il a expliqué qu’il voyait ce rôle comme une occasion d’emploi qui offrait une valeur élevée à un employé sous la forme d’une exposition, de possibilités de réseautage et d’un changement rafraîchissant par rapport à la routine quotidienne.

[22] Le plaignant était d’accord avec le fait que des représentants du SEI l’ont représenté tout au long de la procédure de règlement des griefs, qu’ils ont assisté aux réunions et qu’ils ont pris des notes. Il a donné au syndicat sa réponse à la réponse au troisième palier de l’employeur et a expliqué les problèmes qu’il voyait dans celle-ci. Il était d’accord avec le fait que Mme Paquette avait préparé un exposé écrit pour l’audience au quatrième palier, qu’il avait eu l’occasion de s’exprimer sur celui-ci, qu’elle avait inclus une bonne partie de ses arguments et qu’elle avait essayé de transmettre à l’employeur ce qu’il voulait transmettre.

[23] Toutefois, il a également fait remarquer que Mme Paquette avait commis une erreur lorsqu’elle a dit à l’employeur que la seule mesure corrective qu’il accepterait était une nouvelle présentation de la lettre d’appel. Ce n’était pas le cas et le fait de le mentionner à l’employeur portait préjudice à ses intérêts. Cela ne laissait à l’employeur aucune marge de manœuvre pour examiner d’autres mesures correctives ou résolutions et, à son avis, il est probable que cette information ait influencé son refus de participer à une médiation. En outre, le syndicat n’a pas corrigé l’erreur en temps opportun. Il l’a placé dans une position où il ne pouvait pas soulever la question des mois après le fait sans signaler par inadvertance à l’employeur qu’il ne voulait pas poursuivre l’affaire sur le fond. Toutefois, cela dit, il ne pensait pas que sa plainte reposait sur cette erreur.

[24] Même si le plaignant a reconnu qu’il avait eu l’occasion, à chaque étape de la procédure, d’exprimer son point de vue aux représentants syndicaux, sa plainte portait essentiellement sur ce qu’il était advenu de ces observations. Il comprenait que le syndicat avait renvoyé son grief à titre conditionnel, dans l’attente d’une étude plus approfondie et de conseils de la part d’experts, et que cela ne représentait pas un engagement à aller de l’avant, mais il estimait que la recherche d’un avis d’expert signifierait de solliciter cet avis auprès d’une personne indépendante du syndicat. Il avait pensé que Mme Copeland avait conclu que l’expertise requise n’était pas disponible à l’interne, mais il a reconnu que c’était simplement son hypothèse.

[25] Le plaignant a fait remarquer que l’employeur avait révisé son exigence initiale selon laquelle une PRR devait être membre d’un groupe désigné et posséder une expérience des questions d’équité, de sorte qu’à l’avenir, une PRR pouvait s’auto-identifier ou avoir une expérience dans les questions d’équité. Ce faisant, il a effectivement admis que l’appartenance à un groupe désigné n’était pas une exigence essentielle. Toutefois, avec ce changement, le fait d’être membre d’un groupe désigné est devenu suffisant en soi pour être une PRR, tandis que les membres d’un groupe non désigné devaient démontrer qu’ils possédaient une expérience dans ces questions. Par conséquent, cette exigence demeurait discriminatoire. En outre, le changement n’était que pour l’avenir; l’employeur n’a ni renvoyé la lettre d’appel initiale ni annulé les nominations faites en vertu de celle-ci.

[26] La lettre de non-renvoi de M. Beck exposait les deux motifs suivants pour justifier le fait que le grief ne serait pas poursuivi : premièrement, parce que l’argument de la discrimination ne réussirait pas en raison de l’article 16 de la LCDP et, deuxièmement, parce que la Commission n’a pas compétence pour statuer sur les autres arguments du plaignant au sujet du mandat du CNEED, des procédures de dotation, ainsi que des lois et politiques sur l’équité en matière d’emploi. Le plaignant a précisé qu’il n’avait jamais considéré ces dernières questions comme des revendications distinctes, mais plutôt comme des questions connexes, et il a fourni des arguments supplémentaires pour étayer l’allégation de discrimination.

[27] Par exemple, il a déclaré que les procédures de dotation protègent les droits et les intérêts de tous les intervenants. Elles sont conformes à la politique d’équité en matière d’emploi qui permet à un ministère de restreindre une zone de sélection à un groupe désigné seulement si son plan d’équité en matière d’emploi le justifie. Il doit y avoir des preuves d’un écart important dans la représentation du groupe désigné. Cela est conforme à la Politique sur les programmes spéciaux de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP), qui exige l’examen des répercussions d’un programme sur les tiers. Les procédures de dotation, de même que la politique de la CCDP, représentent peut-être les seules protections utiles pour les tiers.

[28] Le plaignant a déclaré que le syndicat n’avait pas abordé la contradiction entre les procédures de dotation et l’utilisation de l’appartenance à un groupe désigné comme exigence essentielle pour le rôle de PRR. Il n’a pas non plus cherché à déterminer si l’exigence était appuyée par le plan d’équité en matière d’emploi de l’employeur et, dans l’affirmative, quelles étaient la nature et l’ampleur du besoin ou de la sous-représentation, et comment on les avait cernées et mesurées. Il estimait que cette omission du syndicat était arbitraire et capricieuse, puisqu’il avait soulevé la question des procédures de dotation auprès du syndicat dès le début.

[29] M. Beck a eu tort dans son analyse de l’incidence de l’article 16 de la LCDP. Dans les cas où il s’est avéré qu’il s’agissait d’une défense efficace contre les allégations de discrimination, il était question de plaignants qui affirmaient avoir un besoin particulier ou qui cherchaient à obtenir l’accès à un avantage fourni par un programme spécial. Cette situation était complètement différente de la sienne. Il n’a pas cherché à se prévaloir d’un statut ou à profiter d’un avantage d’un programme, et M. Beck avait donc agi de façon arbitraire en ne tenant pas compte de cette distinction factuelle importante.

[30] La conclusion de M. Beck n’a pas été tirée à la suite d’une analyse minutieuse et réfléchie. Il s’agissait plutôt d’une hypothèse sous-jacente sur la nature du grief et son lien avec la disposition relative aux programmes spéciaux. Étant donné qu’il n’y avait eu aucune tentative de revendiquer un statut ou de profiter d’un avantage spécial, il n’était pas rationnel d’invoquer l’article 16 comme motif au refus de soumettre son grief à l’arbitrage. L’article 16 ne vise pas à être exclusif, mais à protéger le principe de l’égalité réelle dans les situations où le droit d’accès à un avantage spécial est revendiqué au motif de l’égalité formelle.

[31] L’enquête de M. Beck a pris fin lorsqu’il a déterminé le statut du programme spécial et confirmé que le plaignant n’était pas un membre d’un groupe désigné. Dans le cadre de cette enquête, il aurait fallu se demander si la nomination au poste de PRR constituait un avantage spécial, conformément à l’objectif du programme, si la suppression de l’exigence essentielle portait préjudice au programme, si le grief constituait une attaque contre le programme et si l’utilisation de l’exigence essentielle était conforme aux procédures de dotation de l’employeur et à l’intention générale des lois sur les droits de la personne.

[32] Selon le plaignant, il ne s’agissait pas de savoir quelles auraient été les réponses à ces questions, mais plutôt du fait qu’elles n’aient pas été examinées du tout.

[33] Il a soutenu que les programmes spéciaux ne sont pas protégés par l’article 16 dès leur conception. Il faut d’abord invoquer la loi et la question de savoir si un programme justifie la protection de l’article 16 en est une de fait dans tous les cas. Le CNEED n’a pas été conçu pour offrir des possibilités d’emploi aux groupes désignés, et le poste de PRR n’a pas été conçu comme un avantage spécial à accorder, mais comme un rôle défini à jouer à l’appui du programme plus vaste d’équité en matière d’emploi de l’employeur. Il s’agissait d’un rôle qui exigeait des connaissances et de l’expérience en matière d’équité en matière d’emploi, mais qui ne justifiait pas l’imposition d’une exigence professionnelle justifiée. En supprimant l’exigence restrictive, l’employeur a reconnu qu’elle n’était pas essentielle et que, par conséquent, il n’aurait pas pu invoquer avec succès l’article 16 en tant que moyen de défense. Toutefois, M. Beck n’a pas tenu compte de cette question, ce qui remet en question la qualité et la rigueur de son processus d’examen.

[34] Le plaignant a confirmé qu’on lui avait donné 20 jours après avoir reçu la lettre de non-renvoi pour fournir toute autre information qu’il estimait nécessaire d’examiner. Il a reconnu avoir envoyé plusieurs courriels contenant d’autres commentaires, indiquant les points sur lesquels il était en désaccord. Il a tenté de consulter M. Beck afin de savoir si le grief pouvait établir une preuve prima facie de discrimination en l’absence de l’article 16. Il souhaitait savoir si M. Beck avait examiné l’éventail de réponses que l’employeur pourrait offrir s’il était appelé à défendre l’utilisation de la disposition restrictive.

[35] M. Beck a admis qu’il pourrait exister une preuve prima facie de discrimination, mais a refusé d’examiner la question hypothétique au motif que cela ne serait pas productif. Il a dit qu’il n’avait rien à ajouter en ce qui concerne les arguments que l’employeur pourrait présenter ou ce à quoi la Commission pourrait être disposée si la disposition sur les programmes spéciaux ne s’appliquait pas. Selon le plaignant, le devoir de représentation équitable du syndicat exigeait que M. Beck examine ces questions.

[36] Le plaignant a reconnu qu’il avait compris que lorsque M. Beck confirmerait son analyse le 29 novembre 2017, le renvoi du grief serait retiré, mais il a néanmoins envoyé plusieurs demandes de suivi pour des documents et de l’information et a demandé à connaître les délais afin de déposer une plainte pour manquement au devoir de représentation équitable. Il a reconnu que M. Beck avait répondu à ces demandes de renseignements supplémentaires.

[37] Le 10 novembre 2017, juste avant d’envoyer sa lettre de non-renvoi, M. Beck a envoyé l’ébauche au SEI et a demandé des commentaires [traduction] « […] particulièrement en ce qui concerne le comité d’égalité des chances du SEI et l’engagement avec les comités du CNEED de l’employeur ». Le plaignant a déclaré que ce courriel figurait parmi les informations que le syndicat lui avait communiquées et qu’il a demandé à l’avocate du syndicat s’il y avait eu une réponse à ce courriel. Elle a confirmé qu’aucune n’avait été reçue. Toutefois, la réponse suivante de David Girard, agent des relations de travail du SEI, a été fournie à titre de document supplémentaire à l’audience :

[Traduction]

Bonjour Andrew,

Je me souviens que nous avons parlé de ce grief il y a quelques semaines. Vous avez mentionné que vous entendiez ne pas renvoyer le dossier et vous avez également inclus un paragraphe disant que l’AFPC et le SEI ne souhaitent pas poursuivre cette affaire, car elle n’est pas dans l’intérêt de nos membres et ne représente pas les valeurs pour lesquelles nous nous sommes battus. Immédiatement après notre discussion, j’ai vérifié avec Shane pour m’assurer qu’il était d’accord avec ce contenu et il l’était.

Votre lettre est assez factuelle et nous n’avons aucun problème avec votre analyse. Le SEI appuiera ce non-renvoi.

David

 

[38] Le plaignant a fait remarquer qu’il semblait que la réponse avait été délibérément retenue, qu’il l’avait demandée et que quelqu’un avait probablement décidé qu’il n’avait pas besoin de la voir. Il estimait qu’il était important que M. Girard ait parlé des [traduction] « valeurs pour lesquelles nous nous sommes battus », car cela indiquait que la décision avait été prise pour des raisons idéologiques.

[39] Enfin, le plaignant a fait valoir que la Commission doit déterminer s’il avait raison au sujet de ce qui se passerait à l’arbitrage si l’employeur tentait d’invoquer l’article 16 de la LCDP en tant que défense. À son avis, si la Commission était d’accord avec lui pour dire que l’employeur ne pouvait pas invoquer cette défense avec succès, la Commission devrait alors décider s’il était le seul à l’avoir vu ou compris.

III. La preuve et l’argumentation du syndicat

[40] Le syndicat a appelé M. Beck à témoigner. Il a expliqué que les éléments de l’AFPC gèrent les griefs; ils conseillent les délégués syndicaux et les sections locales pour les présentations au premier palier de la procédure de règlement des griefs, et leur personnel prend le relais au dernier palier. Ensuite, l’AFPC décide si un grief sera renvoyé à l’arbitrage. Une équipe composée de quatre à cinq analystes examine en moyenne 1 000 demandes de renvoi par année ou cinq par semaine en moyenne. Comme la Commission a un arriéré important et qu’il y a un long délai d’attente avant que les questions ne soient entendues, le syndicat s’efforce de veiller à ce que les griefs qu’il renvoie à l’arbitrage aient une bonne probabilité de succès.

[41] M. Beck a expliqué en détail le processus d’un analyste, qui est de déterminer d’abord les délais, de demander une prorogation si nécessaire afin d’avoir le temps de tout lire et d’obtenir des renseignements explicatifs de la part du fonctionnaire s’estimant lésé, de l’élément et de toute autre personne. L’analyste examine et analyse le dossier pour déterminer si le grief doit être renvoyé à l’arbitrage. Cette décision est fondée sur la législation, la jurisprudence et tous les principes fondamentaux qui seraient dans l’intérêt du syndicat. Dans la plupart des cas, il s’agit simplement de déterminer le bien-fondé du grief.

[42] La présente affaire a d’abord été confiée à Mme Copeland, analyste des griefs et de l’arbitrage, qui l’a renvoyée à l’arbitrage sous condition, afin de protéger les droits du plaignant pendant qu’elle attendait de consulter des spécialistes des droits de la personne. Lorsqu’elle a pris sa retraite, on a confié le dossier à M. Beck, qui a décidé de procéder à une nouvelle analyse. Il a examiné le dossier d’un bout à l’autre et a communiqué avec le plaignant pour obtenir de plus amples renseignements.

[43] M. Beck a témoigné que ses échanges avec le plaignant, qui étaient tous par courriel comme ils le préféraient tous les deux, étaient beaucoup plus approfondis que ceux qu’il a habituellement avec les fonctionnaires s’estimant lésés. Ces échanges se situaient à l’extrémité supérieure des discussions habituelles; cependant, c’est courant pour les cas de non-renvoi. L’analyste est davantage tenu de s’assurer qu’une décision de non-renvoi est claire et qu’il a tout compris. Outre le fait qu’il s’agissait d’une décision de non-renvoi, ce dossier était également complexe, de sorte que ces échanges ont été utiles.

[44] Comme l’a résumé M. Beck dans sa lettre de non-renvoi, il s’est efforcé de comprendre la nature exacte de la revendication du plaignant. Il a indiqué qu’il s’agissait d’une allégation de discrimination inverse; le plaignant n’était pas membre d’un groupe désigné. Il devait déterminer si l’exigence voulant qu’une PRR soit membre d’un groupe désigné était discriminatoire.

[45] Il a consulté les représentants de l’élément et s’est renseigné sur la structure du comité, qui était composé à la fois de membres de la direction et du syndicat. Il a déterminé que les références du plaignant aux principes de dotation ne s’appliquaient pas au mandat du CNEED, car il ne s’agissait pas d’un processus de dotation. Il a consulté Seema Lamba, agente des droits de la personne de l’AFPC, pour obtenir des renseignements sur les questions d’équité en matière d’emploi, et Jean-Rodrigue Yoboua, agent de représentation de l’AFPC et plaideur expérimenté en droits de la personne, au sujet des répercussions de l’article 16 de la LCDP.

[46] M. Beck s’est penché sur les questions de compétence. Il a conclu que le comité est un forum dans lequel le syndicat pouvait aborder des questions d’équité au niveau des politiques. La composition du comité n’est pas visée par l’article 209 de la LRTSPF; la question n’était donc pas du ressort de la Commission et ne pouvait pas être renvoyée à l’arbitrage. Il en allait de même pour les allégations du plaignant selon lesquelles l’employeur n’avait pas correctement appliqué les principes de dotation ou les lois et la politique relatives à l’équité en matière d’emploi dans son processus de sélection d’une personne pour le rôle de PRR. M. Beck a suggéré que les préoccupations du plaignant à l’égard de ces questions pourraient être mieux traitées si elles étaient présentées aux réunions des membres, au comité d’égalité des chances du SEI ou aux représentants du SEI dans les comités d’équité en matière d’emploi. Toutefois, il a conclu qu’une allégation de discrimination au titre de l’article 19, soit la clause de non-discrimination de la convention collective pertinente, pouvait être renvoyée à l’arbitrage.

[47] Conscient du fait qu’il s’agissait d’une question de discrimination inverse, M. Beck a fait des recherches dans la jurisprudence afin de déterminer comment les arbitres de griefs du travail et les tribunaux avaient traité l’article 16 de la LCDP. Selon sa lecture de la jurisprudence, un comité créé par l’employeur pour s’informer des préoccupations des groupes en quête d’équité était un programme spécial au sens de l’article 16. Par conséquent, il n’était pas discriminatoire pour l’employeur de demander à un membre d’un des groupes désignés d’agir à titre de PRR afin d’informer le comité des préoccupations du ou des groupes qu’il représenterait. Il a conclu qu’en vertu de l’article 16, l’exigence prévue dans la lettre d’appel n’était pas discriminatoire à l’égard du plaignant.

[48] L’employeur a rejeté le grief du plaignant, mais a néanmoins modifié le mandat de façon à ce que l’exigence pour être une PRR soit l’appartenance à un groupe désigné ou l’expérience dans le domaine de l’équité. Cela n’a pas modifié l’analyse de M. Beck, car l’employeur avait le droit d’accepter autre chose que l’appartenance à un groupe désigné s’il le souhaitait; ce faisant, cela ne rendait pas sa lettre d’appel initiale discriminatoire. L’employeur voulait simplement recevoir l’avis d’une personne qui connaissait ces questions, que cette personne soit membre d’un groupe désigné ou qu’elle ait l’expérience de représenter les besoins d’un groupe désigné. Quoi qu’il en soit, l’employeur avait droit à la protection de la disposition relative aux programmes spéciaux garantie par la LCDP.

[49] Le plaignant était fortement en désaccord et M. Beck a fait part de certains de leurs échanges sur les détails de son analyse. Par exemple, le plaignant a demandé si, en l’absence de l’article 16, il s’agirait d’un cas prima facie de discrimination. M. Beck a dit que la question était hypothétique, car l’article 16 existe pour protéger contre les allégations de discrimination inverse. Par conséquent, il n’était pas pertinent dans le présent cas de déterminer si un cas prima facie de discrimination pouvait être établi si l’article 16 n’existait pas.

[50] Le plaignant a également soutenu que lorsqu’un écart de représentation est constaté, il doit être comblé par un membre du groupe qui n’est pas représenté adéquatement, mais que dans le présent cas, aucun écart n’avait été relevé. Il a soutenu qu’en supprimant l’exigence relative à l’appartenance à un groupe désigné, l’employeur a reconnu qu’il ne s’agissait pas d’une exigence professionnelle justifiée. M. Beck a dit au plaignant qu’il ne s’agissait pas d’un cas de dotation, de sorte qu’il n’était pas approprié de l’examiner selon les principes de dotation.

[51] M. Beck a demandé au plaignant de préciser ce qui, selon lui, était erroné dans l’analyse parce que s’il avait raté quelque chose, il voulait que le plaignant le lui dise. Il a confiance en ses compétences, mais les membres sont les experts dans les faits de leurs cas; ainsi, si un analyste a raté un élément, il est essentiel de le porter à son attention. Il a également dit au plaignant que son superviseur, soit le coordonnateur des griefs et de l’arbitrage, avait examiné son analyse et appuyé sa conclusion et le processus qu’il avait suivi pour y parvenir.

[52] En contre-interrogatoire, on a demandé à M. Beck ce que signifiait la mention [traduction] « homme blanc » indiquée dans la marge de la demande de renvoi de grief du SEI. Il a dit que cela signifiait pour lui que le plaignant était un homme blanc et qu’il affirmait avoir été victime de discrimination sur ce fondement. M. Beck ignorait qui avait fait cette annotation; toutefois, il estimait que c’était approprié, car le syndicat traite de nombreux griefs de discrimination, et les motifs précis sur lesquels ils sont allégués sont des renseignements essentiels.

[53] Lorsqu’on l’a interrogé au sujet de la note de service de Mme Copeland qui qualifiait le plaignant de brute, M. Beck a dit que ces mots lui indiquaient que le plaignant pourrait être un membre difficile à gérer. Il a insisté sur le fait que le commentaire était inapproprié et qu’il était inférieur au niveau de professionnalisme auquel il s’attendrait dans une note de service.

[54] M. Beck a été interrogé au sujet de son courriel aux représentants de l’élément, dans lequel il demandait des commentaires sur son ébauche de lettre de non-renvoi. Il a expliqué qu’il avait vérifié une dernière fois avec l’élément, juste au cas où il manquerait quelque chose, et qu’il est toujours une bonne pratique d’agir ainsi au cas où l’élément traiterait d’une question plus vaste que celle à laquelle le grief se rapporte. Il voulait savoir si le SEI pensait qu’il était nécessaire de déposer cette contestation et qu’il l’ignorait, et ce, malgré les problèmes qu’il voyait dans celle-ci. Toutefois, M. Girard a confirmé qu’il n’y avait pas de telles préoccupations.

[55] M. Beck a été interrogé au sujet du commentaire de M. Girard selon lequel le SEI était d’accord avec la décision du syndicat de ne pas poursuivre l’affaire, car elle n’était pas dans le meilleur intérêt des membres et ne représentait pas les valeurs pour lesquelles le syndicat s’était battu. Il a expliqué que, de l’avis du syndicat, il était approprié que l’employeur demande à un membre d’un groupe désigné de se présenter pour représenter les intérêts du groupe. Le syndicat a un rôle à jouer dans la lutte contre la discrimination et ne pensait pas qu’il s’agissait là d’une discrimination. Par conséquent, il était conforme aux valeurs du syndicat de ne pas renvoyer le grief à l’arbitrage, non seulement parce qu’il n’avait aucune chance raisonnable de succès, mais aussi parce que, dans le cas présent, les valeurs du syndicat s’alignaient sur l’état du droit.

[56] Le syndicat a commencé son argumentation en faisant remarquer qu’il s’agissait du cas du plaignant, et qu’il avait donc le fardeau de la preuve. Les faits, pour l’essentiel, ne sont pas contestés. Il s’agit d’une différence d’opinions entre l’AFPC et le plaignant au sujet de l’évaluation de son grief, des arguments qui devraient être présentés et de la façon dont l’article 16 de la LCDP s’applique ou ne s’applique pas. Il est bien établi qu’un désaccord ne constitue pas une violation du devoir de représentation équitable et ne signifie pas que le syndicat a agi de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi. La Commission doit donc déterminer si une décision de ne pas donner suite à un grief contrevient au devoir de représentation équitable, pour lequel la jurisprudence pertinente est bien établie.

[57] Le syndicat a renvoyé aux principes énoncés dans Ouellet c. St‑Georges, 2009 CRTFP 107, et Langlois c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2011 CRTFP 121. Langlois, citant Mangat c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 52, qui, à son tour, cite Judd v. Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 2000, 2003 CanLII 62912 (BC L.R.B.), confirme que lorsqu’un syndicat décide de ne pas aller de l’avant en raison de considérations pertinentes liées au milieu de travail, y compris l’intérêt plus large de ses membres, le syndicat remplit son devoir de représentation équitable et son rôle de représentant des employés. Cox c. Vezina, 2007 CRTFP 100, exprime les mêmes principes, notamment (aux par. 142 et 143) la proposition selon laquelle ne pas adhérer à la vision du monde d’un fonctionnaire ou accepter la proposition d’un fonctionnaire ne constitue pas un manquement au devoir de représentation équitable, mais simplement un désaccord.

[58] Les éléments de preuve montrent que le syndicat a adopté une approche raisonnable et réfléchie. Le SEI a représenté le plaignant tout au long de la procédure de règlement des griefs. Il a eu amplement l’occasion de présenter le bien-fondé de son cas, après quoi l’affaire a été envoyée au bureau national de l’AFPC pour être évaluée aux fins d’un arbitrage.

[59] Même si Mme Copeland l’a qualifié de brute dans sa note de service, ce qui était inapproprié selon M. Beck, elle a également conclu que le grief pouvait être fondé. Elle a également indiqué qu’elle l’avait renvoyé à l’arbitrage sous condition, en attendant l’avis de spécialistes des droits de la personne.

[60] La preuve démontre que le plaignant a correspondu fréquemment avec M. Beck, qui a examiné l’ensemble du dossier, posé les questions appropriées et demandé l’avis de spécialistes des droits de la personne. Le plaignant savait que M. Beck effectuait une nouvelle analyse.

[61] M. Beck a longuement témoigné quant à la justification de sa décision selon laquelle le fait d’exiger qu’un membre de comité appartienne à un groupe désigné n’était pas discriminatoire en raison de l’application de l’article 16 de la LCDP. La question était de savoir s’il existait un fondement raisonnable permettant de conclure que l’article 16 donnait à l’employeur une défense si un membre d’un groupe non désigné n’était pas désigné pour faire valoir que l’exclusion d’un comité est discriminatoire. Dans Ontario (Human Rights Commission) v. Ontario, 1994 CanLII 1590 (ON CA), la Cour d’appel de l’Ontario a conclu qu’une telle exclusion n’était pas discriminatoire.

[62] Dans sa lettre, M. Beck a donné au plaignant 20 jours pour faire part de ses questions avant le retrait du renvoi conditionnel. Il l’a fait, et même après l’expiration de ce délai, il a continué de demander des renseignements sur différentes questions, comme la présentation d’une plainte.

[63] Le syndicat a soutenu que l’analyse de M. Beck était correcte, mais qu’en tout état de cause, il ne s’agit pas d’un appel et il ne s’agit pas de savoir si l’analyse était bonne ou mauvaise ou si le plaignant avait raison ou tort. La question est de savoir si M. Beck avait tous les renseignements nécessaires et si son analyse était raisonnable, justifiable et transparente. Un désaccord ne constitue pas un manquement au devoir de représentation équitable. Le plaignant ne s’est pas acquitté de son fardeau de démontrer qu’il y a eu violation de ce devoir, et la plainte devrait être rejetée.

[64] Le syndicat a fait remarquer qu’en plus de l’analyse de M. Beck, le plaignant a soulevé plusieurs autres questions, mais seulement aux fins de mise en contexte, sauf pour la description erronée alléguée faite par Mme Paquette sur sa position relative à la mesure corrective au quatrième palier. Toutefois, dans la mesure où il cherchait toujours à s’appuyer sur ces autres questions, le syndicat a fait remarquer qu’elles étaient hors délai. En outre, certaines étaient des questions syndicales internes qui ne relevaient pas de la compétence de la Commission, comme la confusion au sujet de son statut Rand et le manquement présumé du syndicat à prendre des mesures disciplinaires contre un délégué syndical.

IV. Motifs de décision

[65] Le plaignant a allégué que le syndicat avait manqué à son devoir de représentation équitable en n’envoyant pas son grief à l’arbitrage. Il a déclaré que les éléments de discrimination et de mauvaise foi provenaient de l’environnement idéologique dominant; toutefois, il se concentrait surtout ce qu’il appelait le caractère arbitraire de la justification de M. Beck.

[66] Il a cherché à exprimer son point de vue selon lequel le syndicat était enlisé dans un environnement idéologique si biaisé en faveur des intérêts des membres des groupes désignés qu’il ne pouvait ni voir ni comprendre que les intérêts des membres des groupes non désignés étaient ignorés. Selon le plaignant, il n’y avait pas d’autre moyen de comprendre la conclusion de M. Beck. Il estimait que la décision de non-renvoi ne pouvait être expliquée que comme le fruit de la partialité idéologique dominante et qu’elle contrevenait par conséquent au devoir de représentation équitable.

[67] J’ai lu tous les documents et j’ai examiné attentivement tous les arguments du plaignant, mais par souci de clarté et d’efficacité, je ne traiterai que des questions que je considère comme pertinentes pour rendre ma décision.

[68] J’aborderai d’abord les questions de fond. Le plaignant a précisé qu’il ne s’agissait pas de plaintes, mais qu’elles n’étaient fournies que pour des raisons de contexte, pour appuyer son argument selon lequel la décision du syndicat était arbitraire et peut-être discriminatoire et qu’elle avait été prise de mauvaise foi parce qu’elle était fondée sur son idéologie dominante.

[69] En ce qui a trait à la description erronée alléguée de Mme Paquette de sa position sur la mesure corrective au quatrième palier de la procédure de règlement des griefs, le plaignant n’a pas déclaré que cette allégation n’était fournie qu’à des fins de mise en contexte, mais il y a fait référence comme une erreur et il a dit qu’il ne croyait pas que sa plainte en dépendait.

A. La mention [traduction] « homme blanc »

[70] M. Beck a témoigné qu’il ne croyait pas que la mention [traduction] « homme blanc » était inappropriée puisque le syndicat reçoit de nombreuses allégations de discrimination et qu’il est important de savoir exactement quel type de discrimination est allégé. Les éléments de preuve relatifs à cette question étaient nécessairement spéculatifs de part et d’autre, car il n’y a pas eu de témoignage direct à ce sujet; personne ne sait qui a écrit ces mots. Toutefois, ce qui est clair, c’est que même si cet identificateur a été écrit avec une mauvaise intention, et non pas simplement pour décrire le type de discrimination précis allégé (et qu’il n’y a aucune preuve en ce sens), M. Beck a clairement indiqué dans son témoignage que son analyse n’avait pas été influencée d’une façon ou d’une autre par ces mots.

[71] Je note en outre que le plaignant a présenté cette façon de définir la question dans une partie de sa première correspondance avec l’employeur, qu’il a ensuite transmise au syndicat. Le 29 mars 2016, il a transmis à Linda Collins, présidente de la section locale du SEI, un courriel qu’il avait envoyé à l’employeur le 4 mars 2016, dont la ligne d’objet indiquait : [traduction] « Objet : les hommes blancs ne peuvent pas présenter leur candidature ». Le 14 mars 2017, il a transmis à Mme Paquette, représentante du SEI, un courriel qu’il avait envoyé à l’employeur le 10 mars 2016 et qui indiquait ce qui suit : [traduction] « Il doit y avoir au moins une poignée d’hommes blancs dans la région qui répondent aux critères énoncés […] ». Le plaignant a présenté la question à l’employeur et au syndicat comme une question d’exclusion des hommes blancs, exactement dans ces mots. Il ne pouvait guère se plaindre que d’autres utilisent le même descripteur que celui qu’il avait utilisé pour présenter la question au début.

B. Le commentaire selon lequel le plaignant est une [traduction] « brute »

[72] Le fait de traiter le plaignant de brute n’était pas simplement un commentaire gratuit. Il s’agissait plutôt d’une tentative de transmettre de l’information à l’analyste qui prendrait la relève du dossier à la retraite de Mme Copeland. Elle a dit ceci :

[Traduction]

Permettez-moi de commencer par dire que M. Collins est une brute. Je lui ai dit de ne plus communiquer directement avec moi et de passer par le coordonnateur.

Il a menacé l’élément en disant qu’il allait déposer une plainte relative au devoir de représentation équitable pour toute la procédure de règlement des griefs.

[…]

 

[73] Mme Copeland avait pris des mesures officielles à l’interne lorsqu’elle a dit au plaignant de ne pas communiquer directement avec elle et de passer par le coordonnateur à l’avenir. À mon avis, on ne peut pas lui reprocher d’avoir averti l’analyste qui prendrait en charge le dossier au sujet de ces renseignements généraux et du changement de procédure qu’elle avait instauré pour communiquer avec le plaignant.

[74] Les collègues de n’importe quelle organisation, y compris un syndicat, ont le droit de s’informer mutuellement des difficultés qu’ils peuvent s’attendre à rencontrer dans un dossier, ainsi que des mesures prises dans le dossier et des raisons qui les ont motivées. Le syndicat était d’avis que l’information aurait dû être transmise dans un langage plus professionnel. Cela est sans doute vrai, toutefois, étant donné que la correspondance du plaignant avec les représentants syndicaux était remplie d’observations inciviles, irrespectueuses et dédaigneuses à leur égard, je ne peux pas conclure que l’évaluation de Mme Copeland était inexacte ou qu’il était inapproprié pour elle de l’exprimer en langage clair dans une note de service interne. Les syndicats sont tenus de représenter équitablement les membres de l’unité de négociation; toutefois, l’obligation légale ne les oblige pas à accepter, sans rien dire, des commentaires personnels ou de l’incivilité injustifiés.

[75] En outre, avant de prendre sa retraite, Mme Copeland avait partiellement analysé le dossier et avait communiqué avec des spécialistes des droits de la personne de l’AFPC pour obtenir d’autres commentaires. Elle a renvoyé le dossier à l’arbitrage sous condition, afin de préserver les droits du plaignant pendant qu’elle attendait de les rencontrer. De toute évidence, elle a gardé un esprit ouvert et, en fait, a changé d’avis sur le bien-fondé du grief. Dans la même note de service où elle qualifie le plaignant de brute, Mme Copeland a dit ce qui suit au sujet du grief :

[Traduction]

[…]

Ma position initiale était de ne pas renvoyer le dossier. J’avais soulevé ce dossier à notre réunion d’analystes et tous s’entendaient sur le fait qu’il s’agissait d’un non-renvoi parce qu’il s’agissait d’une politique de l’employeur et qu’elle ne fait pas partie de la convention collective. Toutefois, l’application du principe énoncé dans KVP n’a pas d’importance si la directive n’est pas contenue ou mentionnée dans la convention collective. La directive ne peut pas contrevenir à la convention collective.

Je suis maintenant d’avis que l’affaire devrait aller de l’avant.

[…]

 

[76] Tout cela indique que, peu importe l’évaluation qu’elle a faite de la conduite du plaignant, Mme Copeland a traité la question qu’il a soulevée sérieusement, avec beaucoup d’attention et une grande ouverture d’esprit.

C. Les [traduction] « saluts nazis »

[77] Les incidents liés aux saluts nazis eux-mêmes n’étaient pas liés à cette affaire, et le plaignant a clairement indiqué qu’il ne tenait pas les représentants syndicaux responsables de la conduite de son collègue. Son seul problème était ce qu’il considérait comme une réponse inadéquate de M. Bye lorsqu’il a soulevé la question 10 mois plus tard, après avoir appris que ce collègue était un délégué syndical. Il a comparé cela au fait que le syndicat ne s’est pas soucié que la mention [traduction] « homme blanc » ait été inscrite sur son formulaire de renvoi. Il a en outre supposé que le syndicat aurait adopté une approche très différente si une conduite similaire avait été dirigée contre un membre d’un groupe désigné.

[78] Il a cherché à établir un lien entre la réponse de M. Bye et l’analyse de M. Beck de son grief, alléguant qu’elles provenaient toutes les deux du même [traduction] « parti pris idéologique » :

[Traduction]

[…]

[…] Je crois que les tendances discriminatoires des défendeurs ont été saisies et reflétées par le […] courriel d’Andrew Beck dans lequel il a carrément reconnu que, malgré la révision effectuée par l’employeur, le syndicat continue d’être d’avis que l’auto-identification seule suffit pour être admissible au poste de PRR. J’allègue que cette même partialité inhérente s’est reflétée dans la façon dont le syndicat a géré l’incident [des saluts nazis] décrit ci-dessus […]

 

[79] De toute évidence, il s’agissait d’incidents désagréables sur le lieu de travail, et l’on peut comprendre que le plaignant voulait que son syndicat les prenne au sérieux. Toutefois, la réponse de M. Bye ne prouve pas qu’il n’a pas pris l’affaire au sérieux. À première vue, il semble avoir répondu, du moins en partie, au fait qu’il croyait qu’elle avait été traitée et résolue 10 mois plus tôt, sans la participation du syndicat. Il ne fait aucun doute que M. Bye aurait pu, et aurait peut-être dû, s’intéresser davantage à la question; toutefois, il n’y avait aucune preuve à l’appui de l’hypothèse du plaignant selon laquelle il aurait adopté une approche plus proactive si un délégué syndical avait eu une conduite équivalente envers un membre d’un groupe désigné.

[80] Quoi qu’il en soit, le plaignant n’a pas laissé entendre que la réponse de M. Bye était liée à la présente affaire, sauf pour illustrer le penchant idéologique du syndicat, tel qu’il le voyait. Il a fait remarquer que M. Bye était le vice-président régional et son représentant de troisième palier dans l’affaire, mais n’a fait aucune allégation au sujet de problèmes dans la représentation qu’il a reçue de M. Bye.

D. La question Rand

[81] Le plaignant a semblé reconnaître que cette question était le fruit d’une confusion administrative interne au sujet des règles syndicales. Cela lui a naturellement causé de la détresse, mais son argument donne à penser qu’il cherchait seulement à attirer l’attention du syndicat sur cette situation, qu’il fallait éviter.

[82] Je suis tout à fait d’accord avec le plaignant pour dire que de telles questions sont importantes et que le syndicat devrait s’efforcer d’éliminer le genre de confusion et de désinformation dont il a malheureusement été victime et qui lui a indubitablement causé beaucoup de détresse dans les circonstances.

E. Le syndicat a rempli son devoir de représentation équitable

[83] M. Beck a conclu que le grief pouvait être soumis à l’arbitrage dans la mesure où il portait sur la question de savoir si l’exigence contestée dans la lettre d’appel constituait une violation de l’article 19, soit la clause de non-discrimination de la convention collective pertinente. Il a déterminé que la Commission n’avait pas compétence pour traiter d’autres aspects du grief, par exemple si l’exigence relative à la lettre d’appel contrevenait au mandat du CNEED ou si l’employeur n’avait pas correctement appliqué les directives en matière de dotation ou ne s’était pas conformé à la Loi sur l’équité en matière d’emploi (L.C. 1995, ch. 44). Ces questions ne concernaient aucune des catégories de griefs individuels qui peuvent être renvoyés à l’arbitrage en vertu de l’article 209 de la LRTSPF, cependant, le plaignant a précisé qu’il avait soulevé ces questions à des fins de mise en contexte et comme arguments supplémentaires à l’appui de son grief de discrimination.

[84] Bien que le plaignant ait déclaré que sa plainte ne portait pas sur cette question, il a néanmoins allégué que Mme Paquette avait dit à l’employeur au quatrième palier de la procédure de règlement des griefs que la seule résolution qu’il accepterait serait la nouvelle publication de la lettre d’appel initiale. Il a déclaré que ce n’était pas vrai et que la déclaration avait probablement nui à son cas. Elle aurait laissé l’employeur dans l’impossibilité de proposer d’autres résolutions et aurait pu le mener à refuser la médiation.

[85] Cette déclaration était contraire aux intérêts du plaignant et aurait pu avoir les conséquences qu’il a suggérées, bien que cela soit tout à fait spéculatif. Quoi qu’il en soit, il a clairement indiqué qu’il s’agissait d’une erreur et il n’a pas laissé entendre que la déclaration avait été faite de mauvaise foi. Au contraire, il a reconnu le travail considérable accompli par Mme Paquette pour préparer son audience de grief au quatrième palier, y compris la préparation d’une présentation écrite qui intégrait ses réflexions et ses arguments et le fait qu’elle lui ait donné la possibilité de faire part de ses commentaires. Il a en outre reconnu qu’elle avait tenté, dans la cette présentation, de transmettre à l’employeur ce qu’il voulait transmettre.

[86] Par conséquent, il est clair que cette erreur n’était que cela, une simple erreur humaine. Il est bien établi que de telles erreurs, en l’absence de négligence grave, ne constituent pas un manquement au devoir de représentation équitable.

1. Aucune chance raisonnable de succès en raison de l’article 16 de la LCDP

[87] M. Beck a conclu que l’employeur n’avait pas fait preuve de discrimination à l’égard du plaignant parce que, à son avis, la lettre d’appel pour le poste de PRR ainsi que le CNEED et son mandat constituaient un programme spécial en vertu de l’article 16 de la LCDP. Il a déterminé qu’en vertu de l’article 16, une telle exigence n’était pas discriminatoire dans le cadre d’un programme spécial conçu pour réduire les désavantages liés aux motifs de discrimination interdits. Il a déclaré ce qui suit dans sa lettre de non-renvoi :

[Traduction]

[…]

Le membre Collins n’est membre d’aucun des quatre groupes désignés. Je suis d’avis que son exclusion éventuelle du poste de personne-ressource régionale en particulier, ou plus généralement des comités du CNEED, au motif qu’il n’est pas membre d’un groupe désigné n’est pas discriminatoire. Comme l’a déclaré la Cour d’appel de l’Ontario dans Ontario (Human Rights Commission) v. Ontario, 1994 CanLII 1590 (ON CA), en référence à un libellé semblable au paragraphe 16(1) de la LCDP, « l’exclusion d’une personne d’un programme conçu pour répondre à des besoins que la personne n’a pas, ne constitue pas une discrimination ouvrant droit à un contrôle ».

[…]

 

[88] Il est clair que l’AFPC a adopté une approche raisonnable, réfléchie et appropriée à l’égard du grief du plaignant. Ce dernier a pu discuter du bien-fondé de son cas avec ses représentants du SEI, qui l’ont aidé et représenté tout au long de la procédure de règlement des griefs. Une fois que son grief a été soumis à l’AFPC pour qu’il soit évalué aux fins d’arbitrage, il a eu amplement l’occasion de fournir des commentaires sur la question à M. Beck, avec qui il correspondait fréquemment et discutait du bien-fondé de son grief.

[89] Lorsque le dossier lui a été confié, M. Beck a décidé de procéder à une nouvelle analyse. Il a examiné l’ensemble du dossier, a posé les questions appropriées, s’est informé de la structure du comité et a consulté un agent des droits de la personne et un agent de représentation ayant une expérience dans le contentieux des droits de la personne. Il a examiné la jurisprudence pertinente. Il a examiné tous les commentaires du plaignant et a répondu de façon réfléchie à chaque courriel.

[90] M. Beck a expliqué pourquoi il avait conclu que le fait d’exiger qu’un membre du comité appartienne à un groupe en quête d’équité n’était pas discriminatoire, soit en raison de l’application de l’article 16 de la LCDP. La question dans la présente plainte n’est pas de savoir si sa conclusion était correcte, mais s’il avait tous les renseignements nécessaires et si son analyse était raisonnable, justifiable et transparente. À mon avis, elle l’était, de toute évidence.

[91] Le plaignant a fait valoir avec vigueur que M. Beck avait fondé sa conclusion sur une jurisprudence différente parce que, contrairement aux plaignants dans ces cas, il n’avait pas cherché à établir un statut spécial ou à obtenir un avantage quelconque d’un programme spécial. Cet argument fait simplement ressortir le fait qu’il n’était pas d’accord avec M. Beck sur la façon d’interpréter la jurisprudence et sur l’incidence probable qu’elle aurait eue sur la décision de la Commission relativement à son grief, si celui-ci avait été renvoyé à l’arbitrage. Même s’il avait raison de dire que son cas se distinguait de la jurisprudence (et je ne tire aucune conclusion de ce genre), cela ne signifierait pas que le syndicat a manqué à son devoir de représentation équitable en arrivant à une conclusion différente.

[92] De toute évidence, M. Beck avait un fondement raisonnable pour en arriver à sa conclusion, comme l’exige l’article 187 de la LRTSPF. Sa justification était réfléchie, logique et fondée sur la jurisprudence qu’il avait raisonnablement appliquée au cas du plaignant. Il a donné au plaignant un délai de 20 jours pour soulever toute question concernant sa décision avant que le renvoi conditionnel ne soit retiré. Le plaignant a profité de cette occasion et a continué, même après cette période, de demander à M. Beck des renseignements sur différentes questions.

[93] Il est bien établi que le rôle de la Commission n’est pas d’examiner la décision d’un syndicat, comme c’est le cas en appel. Le bien-fondé de la décision n’est pas en cause, mais plutôt la question de savoir si le syndicat a tranché la question d’une manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi; voir Ouellet et bien d’autres décisions. Un syndicat peut évaluer le bien-fondé d’un grief et refuser d’y donner suite s’il détermine que le grief a peu ou pas de chance de succès. Les syndicats et leurs représentants ont droit à une grande latitude à cet égard.

[94] La barre est sciemment fixée à un niveau élevé pour établir un manquement au devoir de représentation équitable à ce motif parce que la détermination des chances de succès d’un grief n’est pas une science exacte; voir Langlois, au paragraphe 52, citant Manella c. Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, 2010 CRTFP 128. Voir aussi le paragraphe 50 de Langlois, où l’arbitre définit l’arbitraire, la négligence grave et l’insouciance, et note que l’examen du bien-fondé d’un grief par un syndicat doit être superficiel pour constituer un manquement au devoir. L’analyse de M. Beck n’était certainement pas négligente, insouciante ou superficielle.

[95] Un désaccord quant à la façon dont la jurisprudence peut s’appliquer ou non au grief d’un plaignant ne constitue pas un manquement au devoir de représentation équitable. Le syndicat était d’avis que le grief n’avait pas, ou peu, de chance de succès, compte tenu de l’article 16 de la LCDP. Il avait le droit d’agir en conséquence et de refuser de soumettre le grief à l’arbitrage.

2. La politique du syndicat et l’intérêt supérieur de l’ensemble des membres

[96] Le fait d’agir selon ce que le syndicat estime être l’intérêt supérieur de l’ensemble des membres, en l’absence de caractère arbitraire, de discrimination ou de mauvaise foi, ne constitue pas un manquement au devoir de représentation équitable. Lorsqu’un syndicat décide de ne pas poursuivre un grief en raison de considérations pertinentes liées au milieu de travail, y compris l’intérêt plus large de ses membres, il remplit son devoir de représentation équitable et son rôle de représentant des employés. Voir, par exemple, Ouellet, qui indique ce qui suit :

[…]

33 La LRTFP donne à l’agent négociateur le pouvoir exclusif de négocier et d’administrer la convention collective parce que cela fait partie de son rôle de porte-parole efficace de l’ensemble des membres de l’unité de négociation. Le pouvoir de l’agent négociateur, dans sa relation avec l’employeur, tient au fait qu’il représente justement cet ensemble d’employés, de sorte qu’il est en mesure de prendre des engagements auxquels l’employeur peut se fier. Pour obtenir quelque chose en échange de ces engagements, l’agent négociateur doit tenir compte de l’intérêt de l’ensemble du groupe des employés, en plus des besoins de chacun d’eux.

34 Quand l’agent négociateur décide de présenter ou non un grief ou de le porter ou non à l’arbitrage, il fait son travail de représentation des employés. À cette fin, l’agent négociateur doit déterminer les conditions qui ont pu mener à un manquement à la convention collective, et ce en fonction de l’expérience des rapports établis entre l’agent négociateur et l’employeur. L’agent négociateur doit aussi tenir compte des conséquences d’un grief sur les autres membres de l’unité de négociation. Dans la mesure où son analyse du dossier est fondée sur des facteurs pertinents, l’agent négociateur est libre de choisir la stratégie optimale dans une situation donnée.

[…]

 

[97] Voir aussi Cox, au paragraphe 109, qui cite comme suit Bahniuk c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CRTFP 13, au paragraphe 50 :

[…]

[50] Un arrêt subséquent de la Cour suprême du Canada, Centre hospitalier Régina Ltée c. Québec (Tribunal du travail), [1990] 1 R.C.S. 1330 à la p. 1349, traite de ces principes plus en détail, au par. 38 :

[…]

Tel que le souligne l’arrêt Gagnon, le syndicat doit, lors même qu’il agit à titre de défenseur des droits (bien fondés selon son évaluation) d’un salarié, tenir compte des intérêts de l’ensemble de l’unité d’accréditation dans l’exercice de sa discrétion de poursuivre ou non un grief. Le syndicat jouit d’une discrétion afin de soupeser ces intérêts divergents et apporter la solution qui lui apparaît la plus juste.

[…]

 

[98] La citation de Bahniuk dans ce paragraphe se poursuit avec une citation de Judd v. Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 2000 (2003), 91 CLRBR (2d) 33 (BCLRB), qui résume [traduction] « […] la difficile décision que doit prendre un agent négociateur », comme suit :

[…]

[Traduction]

42. Lorsqu’un syndicat décide de ne pas poursuivre un grief pour des considérations pertinentes concernant le lieu de travail - par exemple, vu son interprétation de la convention collective, vu l’effet sur d’autres fonctionnaires ou vu son évaluation selon laquelle le fondement du grief n’est pas suffisant - il accomplit son travail consistant à représenter les fonctionnaires. Le fonctionnaire en cause, dont le grief a été abandonné, peut estimer que le syndicat ne le « représente » pas. Toutefois, décider de ne pas poursuivre un grief en se basant sur ces genres de facteurs est une partie essentielle du travail syndical consistant à représenter les fonctionnaires dans leur ensemble. Quand un syndicat agit en se fondant sur des considérations se rapportant au lieu de travail ou à son travail de représentation des fonctionnaires, il est libre de déterminer la meilleure voie à suivre, et une telle décision n’équivaut pas à une violation du [devoir de représentation équitable].

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[99] Outre l’opinion de M. Beck concernant l’application de l’article 16 de la LCDP, il était également clair que le syndicat estimait avoir un rôle à jouer dans la lutte contre la discrimination et qu’il ne croyait pas qu’il s’agissait d’une discrimination. Comme l’a expliqué M. Beck au plaignant, il était conforme aux valeurs du syndicat de ne pas envoyer le grief à l’arbitrage, non seulement parce qu’il n’avait aucune chance raisonnable de succès, mais aussi parce que, dans le cas présent, les valeurs du syndicat s’alignaient sur l’état de la loi.

[100] Selon le syndicat, il était approprié que l’employeur demande à un membre d’un groupe désigné de se présenter pour représenter les intérêts du groupe. Ce point de vue a été présenté au plaignant. Par exemple, dans l’un des nombreux courriels échangés entre eux, M. Beck a écrit ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Le syndicat ne partage pas votre point de vue selon lequel votre exclusion à poser votre candidature à un poste de PPR était discriminatoire. J’en ai exposé les motifs dans ma lettre de non-renvoi […] le syndicat ne partage pas votre opinion selon laquelle l’auto-identification à titre de membre d’un groupe en quête d’équité est insuffisante pour être admissible au poste de PRR. Nous sommes d’avis que les expériences en milieu de travail d’un membre d’un groupe en quête d’équité sont précisément ce que les comités d’équité en matière d’emploi devraient chercher à obtenir.

[…]

 

[101] Le syndicat avait le droit de prendre cette position et, à mon avis, aurait certainement pu refuser de renvoyer le grief à l’arbitrage uniquement sur cette base.

[102] Le plaignant a reconnu que les autres questions qu’il avait soulevées, en plus de son désaccord avec l’analyse de M. Beck, visaient à démontrer que le syndicat avait un [traduction] « parti pris » idéologique et que cela expliquait pourquoi il avait refusé d’envoyer son grief à l’arbitrage.

[103] Le plaignant n’avait pas tort. Le syndicat avait effectivement une position en faveur de la politique de l’employeur. Il avait le droit d’avoir cette position et d’agir en conséquence. Ce que le plaignant appelle [traduction] « un parti pris idéologique » est mieux compris, à mon avis, comme une position raisonnée, adoptée par nécessité démontrée en réponse aux impératifs des droits de la personne et à l’évolution des normes sociales. Comme l’a indiqué M. Beck au plaignant, [traduction] « [n]ous sommes d’avis que les expériences en milieu de travail d’un membre d’un groupe en quête d’équité sont précisément ce que les comités d’équité en matière d’emploi devraient chercher à obtenir ».

[104] Le devoir de représentation équitable n’exige pas du syndicat qu’il renvoie un grief à l’arbitrage parce qu’un membre le demande. Le syndicat doit représenter équitablement l’ensemble des membres. Il ne peut pas remplir ce devoir s’il est tenu de renvoyer à l’arbitrage un grief qui conteste sa propre politique.

[105] Pour toutes ces raisons, je conclus que le plaignant ne s’est pas acquitté de son fardeau de démontrer que le syndicat avait manqué à son devoir de le représenter équitablement.

[106] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)

V. Ordonnance

[107] La plainte est rejetée.

Le 27 mars 2023.

Traduction de la CRTESPF

Nancy Rosenberg,

une formation de la Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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