Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20230403

Dossiers: 560-02-43840 et 44576

 

Référence: 2023 CRTESPF 33

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Code canadien du travail

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

RYAN LETNES

plaignant

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(Gendarmerie royale du Canada)

 

défenderesse

Répertorié

Letnes c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada)

Affaire concernant des plaintes visées à l’article 133 du Code canadien du travail

Devant : James R. Knopp, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Lui-même

Pour la défenderesse : Alexandre Toso, avocat

Décision rendue sur la base d’arguments écrits

déposés le 16 décembre 2022 et les 6 et 12 janvier 2023.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Aperçu et contexte

[1] Ryan Letnes (le « plaignant ») est un membre régulier de la Gendarmerie royale du Canada (« GRC » ou la « défenderesse ») au grade de sergent.

[2] Le plaignant était absent en congé de maladie du 18 décembre 2018, jusqu’à ce qu’il soit autorisé à retourner au travail le 19 juin 2020, des limitations et des restrictions médicales étant énoncées dans un document de profil médical. Pendant son congé de maladie, son habilitation de sécurité a expiré et il a dû prendre les mesures nécessaires pour la renouveler avant de retourner au travail. Une habilitation de sécurité valide est une condition d’emploi, et il ne pouvait pas retourner au travail sans en avoir une. Il a satisfait à ces exigences en mai 2021 et son habilitation de sécurité a été réactivée en juin 2021.

[3] Le plaignant a été invité, en juin 2021, à se rendre sur le lieu de travail pour discuter de son retour au travail. Pour plusieurs raisons, il a déclaré qu’il n’était pas en mesure de se présenter. Dans une série de téléconférences et de vidéoconférences, la défenderesse lui a fait savoir qu’il devait aussi suivre 15 cours obligatoires de formation en ligne avant de retourner au travail. Il a été convenu qu’il pouvait les suivre à la maison, mais il devait se rendre sur le lieu de travail pour obtenir les outils nécessaires afin de les suivre en ligne.

[4] Le plaignant s’est rendu sur le lieu de travail le 25 août 2021 pour réactiver sa carte d’accès de sécurité et ses comptes administratifs et pour obtenir un ordinateur portable afin de suivre les cours en ligne. Il a également rencontré la chef de service, la surintendante Anick Pasqua.

[5] Le plaignant a terminé tous les cours en ligne le 2 octobre 2021.

[6] Le plaignant et la défenderesse ont alors eu plus de discussions au sujet de son retour. La défenderesse lui a ordonné de se présenter au travail le 10 novembre 2021. Il ne s’est pas présenté à cette date. Dans une discussion téléphonique du 16 novembre 2021, on lui a offert deux options de travail. L’une était de travailler sur le lieu de travail de Green Timbers, et l’autre était de travailler sur le lieu de travail de Port Kells. Au cours de cette discussion, la défenderesse lui a demandé de se rendre au travail le 18 novembre 2021, de discuter de ces options et de prendre les dispositions nécessaires pour retourner au travail.

[7] Le plaignant a écrit un courriel daté du 17 novembre 2021, dans lequel il affirmait que le lieu de travail de Green Timbers était dangereux et il a refusé de s’y présenter. Il ne s’est pas présenté au travail le 18 novembre 2021.

[8] Le 18 novembre 2021, par courriel, la défenderesse a ordonné au plaignant de se présenter au lieu de travail de Port Kells le 22 novembre 2021.

[9] Dans un courriel envoyé à la défenderesse le 19 novembre 2021, le plaignant a refusé de se rendre au lieu de travail de Port Kells et ne s’y est pas présenté le 22 novembre 2021.

[10] En fait, après le 25 août 2021, le plaignant ne s’est apparemment jamais présenté sur le lieu de travail. Dans un courriel daté du 7 janvier 2022, la défenderesse l’a informé que 272 heures de son congé annuel seraient déduites de sa banque de congés pour rendre compte de ses absences non autorisées entre le 17 novembre 2021 et le 7 janvier 2022, car il avait été payé malgré son absence du travail et parce que son congé de maladie n’était pas approuvé.

[11] Dans sa plainte présentée en vertu du Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L-2; CLC) et datée du 29 novembre 2021, le plaignant a reconnu être partie d’un [traduction] « […] litige important remontant à 2018 » avec la défenderesse. Il a également mentionné, entre autres, les procédures devant le Tribunal canadien des droits de la personne, [traduction] « […] une poursuite civile en cours contre la GRC, de multiples appels et griefs internes ainsi qu’une contestation constitutionnelle […] ».

[12] La présente plainte en vertu du CCT porte le numéro de dossier 560-02-43840 de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »). (Il convient de noter que, dans la présente décision, le terme « Commission » désigne la Commission actuelle et ses prédécesseurs.)

[13] Après la première plainte, le plaignant et la défenderesse ont repris leurs discussions sur le retour au travail. Le plaignant a continué de refuser de travailler et, le 22 avril 2022, il a présenté une deuxième plainte en vertu du CCT, qui porte le numéro de dossier de la Commission 560-02-44576.

[14] Les deux plaintes ont été renvoyées en bonne et due forme à la Commission pour arbitrage et devaient être entendues du 22 au 24 février 2023 à Vancouver, en Colombie-Britannique. Lors d’une conférence de gestion des cas tenue le vendredi 2 décembre 2022, la défenderesse a fait part de son intention de présenter une requête préliminaire selon laquelle le plaignant n’était pas au travail au sens du CCT et n’avait donc pas exercé correctement le droit de refuser de travailler en vertu de l’article 128.

[15] Le plaignant s’attendait à ce qu’une telle requête soit déposée et n’en a pas été surpris. Il était prêt à y répondre. Compte tenu de la nature de la requête et des actes de procédure que les deux parties avaient prévu préparer, la Commission a ordonné que la requête soit entendue par voie d’arguments écrits.

[16] Selon l’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365), la Commission est habilitée à trancher toute affaire ou question dont elle est saisie sans tenir d’audience.

[17] Des arguments écrits sur la requête de la défenderesse ont été reçus le 16 décembre 2022. Le plaignant a fourni ses arguments écrits le 6 janvier 2023. La défenderesse a fourni une brève contre-preuve le 12 janvier 2023.

[18] Pour les motifs qui suivent, je conclus que le plaignant n’était pas au travail au moment où ses plaintes ont été présentées. Par conséquent, il n’a pas exercé correctement son droit de refuser de travailler en vertu de l’article 128 du CCT. Les deux plaintes sont donc rejetées.

II. Arguments écrits

A. Pour la défenderesse, le 16 décembre 2022

[19] Le paragraphe 133(1) du CCT précise ce qui suit :

133 (1) L’employé — ou la personne qu’il désigne à cette fin — peut, sous réserve du paragraphe (3), présenter une plainte écrite au Conseil au motif que son employeur a pris, à son endroit, des mesures contraires à l’article 147.

133 (1) An employee, or a person designated by the employee for the purpose, who alleges that an employer has taken action against the employee in contravention of section 147 may, subject to subsection (3), make a complaint in writing to the Board of the alleged contravention.

 

[20] L’article 147 du CCT précise ce qui suit :

147 Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s’il ne s’était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre — ou menacer de prendre — des mesures disciplinaires contre lui parce que :

147 No employer shall dismiss, suspend, lay off or demote an employee, impose a financial or other penalty on an employee, or refuse to pay an employee remuneration in respect of any period that the employee would, but for the exercise of the employee’s rights under this Part, have worked, or take any disciplinary action against or threaten to take any such action against an employee because the employee

a) soit il a témoigné — ou est sur le point de le faire — dans une poursuite intentée ou une enquête tenue sous le régime de la présente partie;

(a) has testified or is about to testify in a proceeding taken or an inquiry held under this Part;

b) soit il a fourni à une personne agissant dans l’exercice de fonctions attribuées par la présente partie un renseignement relatif aux conditions de travail touchant sa santé ou sa sécurité ou celles de ses compagnons de travail;

(b) has provided information to a person engaged in the performance of duties under this Part regarding the conditions of work affecting the health or safety of the employee or of any other employee of the employer; or

c) soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.

(c) has acted in accordance with this Part or has sought the enforcement of any of the provisions of this Part.

 

[21] Les plaintes ont été présentées en vertu du paragraphe 128(1) du CCT, qui précise ce qui suit :

128 (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’employé au travail peut refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche s’il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas:

Subject to this section, an employee may refuse to use or operate a machine or thing, to work in a place or to perform an activity, if the employee while at work has reasonable cause to believe that

a) l’utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même ou un autre employé;

(a) the use or operation of the machine or thing constitutes a danger to the employee or to another employee;

b) il est dangereux pour lui de travailler dans le lieu;

(b) a condition exists in the place that constitutes a danger to the employee; or

c) l’accomplissement de la tâche constitue un danger pour lui-même ou un autre employé.

(c) the performance of the activity constitutes a danger to the employee or to another employee.

 

[22] L’objet de la requête préliminaire de la défenderesse se trouve dans la première phrase, qui dit : « […] l’employé au travail […] s’il a des motifs raisonnables de croire que […] [je mets en évidence] ». La défenderesse a soutenu que le plaignant n’était pas au travail au moment où il a présenté ses plaintes. Elle a également soutenu que, de son propre aveu, le plaignant s’était livré à des activités qui lui permettraient éventuellement de retourner au travail, comme le fait de remplir de la documentation pour son habilitation de sécurité, de suivre 15 séances de formation en ligne et de se présenter à un lieu de travail dans le but d’obtenir des cartes d’accès et un ordinateur portable afin de suivre ces cours en ligne. Ce n’est que lorsqu’on lui a demandé de se rendre sur le lieu de travail pour y retourner qu’il a commencé à soutenir que le lieu de travail était dangereux. La défenderesse a répété qu’il faut réellement être au travail pour engager l’article 128 du CCT, et que le plaignant ne l’était pas.

[23] La défenderesse a invoqué Green c. Administrateur général (ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2017 CRTEFP 17 (Green), qui déclare ce qui suit au paragraphe 446 : « La fonctionnaire était manifestement absente du travail lorsqu’elle a refusé de travailler, ce qui est une exigence incontestable établie dans le paragraphe 128(1) du Code à titre de condition préalable pour un refus de travailler. » (Il convient de noter que la mention « Code » dans la présente décision et dans toutes les citations de la présente décision signifie le CCT.)

[24] La défenderesse a invoqué Saumier c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 51 (« Saumier CAF »), où la Cour d’appel fédérale (CAF) traitait d’une affaire qui, selon la défenderesse, était similaire au présent cas. Saumier CAF concernait une agente de la GRC qui était absente du travail pour des raisons médicales, mais qui a finalement été autorisée à retourner au travail et a reçu l’ordre de le faire. Elle a refusé en raison de l’article 128 du CCT, apparemment pour éviter d’aggraver un problème de santé. Saumier CAF est rédigée comme suit aux paragraphes 6 et 7 :

[6] Depuis son accident en 1993, la demanderesse a été en arrêt de travail à plusieurs occasions. Elle n’a pas travaillé du 14 décembre 1993 jusqu’au mois de mai 1994. À compter de mars 1998, elle a été restreinte à un travail léger et au mois d’août 2004, son employeur a modifié son profil médical et a décidé qu’elle était inapte à accomplir les tâches essentielles d’un gendarme au sein de la GRC, mais qu’elle pouvait effectuer des tâches sédentaires de travail administratif.

[7] Le 23 septembre 2004, la demanderesse acceptait de retourner au travail sur la base d’un échéancier qui prévoyait son retour le 4 octobre 2004, alors qu’elle effectuerait une semaine de travail de cinq jours à raison de quatre heures par jour. L’échéancier prévoyait une augmentation d’une heure de travail par journée pour chacune des semaines subséquentes pour en arriver à des journées de travail de huit heures à la fin d’une période de cinq semaines. Les tâches assignées à la demanderesse consistaient en des tâches sédentaires de travail administratif.

 

[25] Selon la Cour dans Saumier CAF, la tâche de la Commission était la suivante (voir le paragraphe 47) :

[…] décider, avant de s’adresser au mérite de la plainte, si la demanderesse pouvait invoquer l’article 128 au soutien de son refus de travailler. Selon le défendeur, la demanderesse ne pouvait invoquer ledit article puisque celui-ci requiert qu’un employé soit « au travail » avant qu’il ne puisse refuser « de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche ».

 

[26] Selon la défenderesse, il s’agit précisément de la nature de la question dont la Commission est saisie dans la présente affaire. Dans Saumier CAF, la Cour d’appel fédérale a conclu que la plainte de la demanderesse n’était pas recevable parce que celle-ci n’était pas au travail lorsqu’elle a invoqué le paragraphe 128(1) du CCT. La CAF a souligné l’importance d’examiner le contexte dans lequel se fonde cette détermination. Aux paragraphes 49 à 52 :

[49] Au paragraphe 113 de ses motifs, le commissaire Guindon disposait de cette question de la façon suivante :

113. Les alinéas 128(1)b) et c) du Code canadien du travail prévoient qu’un employé « au travail » peut refuser de travailler dans un lieu s’il a des motifs raisonnables de croire qu’il est dangereux pour lui de travailler dans ce lieu ou d’accomplir une tâche s’il a des motifs raisonnables de croire que l’accomplissement de la tâche constitue un danger pour lui-même ou un autre employé. Les mots « au travail » impliquent nécessairement qu’un employé ne peut pas exercer un droit de refus lorsqu’il n’est pas au travail. En conséquence, le défendeur était bien fondé de ne pas accepter que le refus de travailler exprimé par la plaignante aux sergents Génier et Bissonnette, le 22 septembre 2005, était valablement exercé selon le Code. Cette exigence a cependant été satisfaite par la plaignante lorsqu’elle s’est présentée avec le s.é.-m. Delisle au bureau de la SEFA à Dorval le 27 septembre 2005 pour exprimer son refus de travailler au s.é.-m. Vaillancourt.

[Non souligné dans l’original]

[50] À mon avis, le commissaire a erré en concluant ainsi. Il est indéniable que la demanderesse était absente de son travail depuis plusieurs mois, pour des raisons de maladie, lorsqu’elle a invoqué l’article 128 du Code au soutien de son refus de travailler. Le simple fait que la demanderesse se soit présentée physiquement au bureau de son employeur le 27 septembre 2005, après une absence de plusieurs mois, ne faisait pas en sorte qu’elle était « au travail » au sens du paragraphe 128(1) du Code. En d’autres mots, l’employée n’est pas « au travail » en se présentant pour quelques minutes au bureau de son employeur pour l’aviser qu’elle refuse de travailler pour des motifs de santé, peu importe la ou les tâches qui lui seront confiées.

[51] Dans ce contexte, il est important de noter que lorsque la demanderesse se présentait au bureau de son employeur le 27 septembre 2005, accompagnée du s.é.-m. Delisle, elle indiquait à son employeur qu’elle refusait de travailler parce qu’elle ne voulait pas aggraver ses problèmes de santé. Plus particulièrement, elle indiquait au s.é.-m. Vaillancourt, qui lui avait demandé de préciser les tâches qu’elle refusait d’accomplir, qu’elle refusait de travailler « pour sa santé ». De même, le 20 décembre 2005, la demanderesse se présentait à nouveau au bureau de son employeur et indiquait au caporal Léo Monbourquette qu’elle refusait de travailler pour ne pas aggraver sa situation médicale.

[52] Par conséquent, la plainte de la demanderesse n’était pas recevable parce qu’elle n’était pas « au travail » lorsqu’elle a invoqué le paragraphe 128(1) du Code au soutien de son refus de travailler.

 

[27] La défenderesse a soutenu que, dans le présent cas, le plaignant a été absent du travail pendant encore plus longtemps que la demanderesse dans Saumier CAF. La défenderesse a soutenu qu’il était clair qu’il n’était pas « au travail » parce qu’on ne lui avait pas encore attribué de fonctions et qu’il n’avait suivi que les cours de formation en ligne requis pour un éventuel retour au travail.

[28] De plus, a soutenu la défenderesse, le plaignant ne s’est pas présenté au travail à un moment pertinent et a toujours refusé de le faire. La défenderesse a exhorté la Commission à tenir compte du contexte dans lequel les plaintes du CCT ont été présentées. Le plaignant a de nombreuses questions en suspens avec son employeur, y compris des problèmes de mesure d’adaptation et des plaintes relatives aux droits de la personne. Le droit de refuser de travailler en vertu du CCT ne peut être détourné à d’autres fins, comme l’a fait remarquer le Conseil canadien des relations de travail (CCRT) dans Simon c. Société canadienne des postes, 1993 CarswellNat 1766 (Simon), au paragraphe 23 :

23 Dès ses premières décisions […] le Conseil a établi que ce droit ne devait pas servir de moyen détourné ou de prétexte pour régler d’autres problèmes en matière de relations du travail. Dans ce cadre, il a exprimé son intention de scruter les motifs et les circonstances d’un refus de travailler lorsqu’il existe, par ailleurs et de façon concomitante, d’autres difficultés dans les relations employeur-employés. Dans William Gallivan (1981), 45 di 180; et [1982] 1 Can LRBR 241 (CCRT no 332), le Conseil a exprimé l’opinion suivante :

L’employé doit se prévaloir judicieusement du droit que lui reconnaît l’article 82.1 [maintenant 128.1] de refuser un travail et ne doit y recourir que pour des raisons de sécurité. Abuser de ce droit en l’utilisant à d’autres fins, par exemple pour marquer des points dans la négociation collective, finira à la longue par compromettre les objectifs visés par la Partie IV [maintenant Partie II] du Code. Dans une atmosphère de méfiance et d’hostilité, il est impossible d’accroître la sécurité et d’améliorer l’hygiène au travail par le dialogue et la collaboration. Chaque fois que le refus d’exécuter un travail coïncidera avec d’autres conflits en relations du travail, le Conseil se montrera particulièrement minutieux dans l’examen de la question.

(pages 189; et 248)

(Voir au même effet Stan Butler (1991), 86 di 107 (CCRT no 899). Cela dit, l’existence de tensions ou de mésententes entre l’employeur et les employés sur des questions particulières n’empêche pas un employé de refuser de travailler et de bénéficier de la protection du Code s’il estime avoir, personnellement et de bonne foi, des motifs raisonnables de croire à l’existence d’un danger. C’est une question qu’il faut examiner cas par cas.

 

[29] La défenderesse a de nouveau invoqué Green pour renforcer ce point. Au paragraphe 406 :

[406] Le droit de refuser du travail en vertu de l’article 128 du Code vise à traiter la présence d’un danger au travail; il ne vise pas à donner carte blanche aux employés dans le but d’aborder d’autres questions et problèmes liés au milieu de travail. D’autres moyens plus appropriés sont en place afin de composer avec les difficultés en milieu de travail, y compris la procédure de règlement des griefs décrite dans la Loi et dans la politique sur le harcèlement.

 

[30] La défenderesse a fait valoir que le refus ferme du plaignant de retourner au travail à d’autres conditions que les siennes laisse croire qu’il n’a pas tant exercé son droit de refuser de travailler en vertu du CCT qu’il a agi en vue d’une pléthore d’autres questions liées au lieu de travail. Ce n’est pas l’objet du CCT et, pour renforcer cet argument, la défenderesse a invoqué Canada (Procureur général) c. Fletcher, 2002 CAF 424 (Fletcher), aux paragraphes 18 et 19 :

18 Le mécanisme constitue une occasion particulière donnée aux employés, à un moment déterminé et à un endroit déterminé, de s’assurer que leur travail immédiat ne les exposera pas à une situation dangereuse. C’est la protection à court terme de l’employé qui est en jeu, non une protection hypothétique ou éventuelle.

19 Le mécanisme est une mesure d’urgence. C’est un outil dont dispose l’employé devant une situation qui pourrait entraîner pour lui une blessure ou une maladie avant que cette situation ne soit corrigée. Voir Scott c. Montani (1994), 95 di 157, à la page 7 :

Le Conseil a déclaré que le Parlement n’avait pas eu l’intention d’utiliser le mot « danger » dans son acception la plus large. Voir David Pratt (1988), 73 di 218; et 1 CLRBR (2d) 310 (CCRT no 686). Au sens du Code, le « danger » doit être perçu comme immédiat et réel. Le risque auquel sont exposés les employés doit être suffisamment sérieux pour que la machine ou la chose ou la situation engendrée ne puisse être utilisée avant qu’il ne soit remédié à la situation. En outre, il doit s’agir d’un danger que le Parlement voulait inclure dans la Partie II du Code.

Le droit de refuser de travailler est une mesure d’urgence. Les employés doivent y faire appel dans des situations où ils croient faire face à un danger immédiat ou à un risque imminent de blessures. Il ne peut s’agir d’un danger qui est inhérent au travail ou qui constitue une condition normale de l’emploi. La possibilité de blessures ou de danger ne constitue pas un motif suffisant pour se prévaloir des dispositions sur le refus de travailler; le danger doit bel et bien exister. Voir Stephen Brailsford (1992), 87 di 98 (CCRT no 921); et David Pratt, supra. Cette disposition n’a pas davantage pour objet de faire aboutir des enjeux ou des différends en matière de relations du travail. Lorsqu’une telle décision coïncide avec d’autres conflits de travail, le Conseil se soucie tout particulièrement des circonstances entourant le refus. Voir Stephen Brailsford, supra; Ernest L. LaBarge (1981), 47 di 18; et 82 CLLC 16,151 (CCRT no 357); et William Gallivan (1981), 45 di 180; et [1982] 1 Can LRBR 241 (CCRT no 332).

 

[31] La défenderesse a fait remarquer que le plaignant ne semblait pas percevoir de danger lorsqu’il a reçu une autorisation médicale de retourner à la police fédérale en juin 2020. Il n’a pas non plus soulevé d’enjeux de sécurité au travail lorsque son habilitation de sécurité a été délivrée de nouveau en juin 2021. Il n’a pas non plus noté de danger lors de la révision de son profil médical en juillet 2021 ou lorsqu’il a terminé la formation à distance entre la fin août 2021 et le 2 octobre 2021. Selon la défenderesse, le plaignant a plutôt soulevé d’autres objections afin d’éviter de retourner au travail.

[32] La défenderesse a fait remarquer que le plaignant a attendu le 17 novembre 2021 pour signaler les dangers perçus dans le lieu de travail, contrairement à l’exigence de soulever les questions de sécurité dans le lieu de travail en temps opportun. Dans ce contexte, a soutenu la défenderesse, il utilise clairement le CCT comme une autre tactique dilatoire.

[33] La défenderesse a également soutenu que la nature des dangers perçus par le plaignant se rapporte davantage à la pléthore d’autres questions de relations de travail que le plaignant a soulevées dans ses nombreuses autres procédures judiciaires qu’à tous les dangers clairs et présents que le CCT a été conçu en vue de les aborder.

[34] Selon la défenderesse, pour ces motifs, les deux plaintes doivent être rejetées.

B. Pour le plaignant, le 6 janvier 2023

[35] Le plaignant a convenu que la question que la Commission doit trancher à l’égard de cette requête préliminaire est de savoir s’il était « au travail » lorsqu’il a refusé de travailler en vertu de l’article 128 du CCT. Il a fait référence, comme l’a fait la défenderesse, au cadre d’analyse établi dans Saumier CAF.

[36] Le plaignant a d’abord fait valoir que la norme à respecter pour que la défenderesse obtienne gain de cause dans sa requête est celle énoncée dans R. c. Imperial Tobacco Canada Ltd., 2011 CSC 42, à savoir la norme « évident et manifeste ». Il a soutenu que la défenderesse n’a pas démontré qu’il est évident et manifeste qu’il n’était pas au travail.

[37] Le plaignant a fait valoir qu’il était effectivement « au travail »; il travaillait à distance, comme c’était courant pendant la pandémie. Il s’est rendu au lieu de travail Green Timbers le 25 août 2021 pour réactiver sa carte d’accès et assister à la réactivation des comptes administratifs. Il a également rencontré la chef de service, la surintendante Pasqua, à cette date.

[38] Le plaignant a soutenu que l’inspecteur Ben Maure, le 9 mars 2022, a tacitement reconnu son retour au travail lorsqu’il a fait observer, dans un courriel, ce qui suit : [traduction] « Le cap. Letnes pourrait être considéré comme étant au travail entre le 13 août et le 2 octobre 2021, lorsqu’il a été autorisé à suivre à partir de son domicile les cours en ligne nécessaires à son retour au travail […] ».

[39] Le plaignant a fait valoir que l’absence d’une affectation ou d’une obligation particulière ne peut être considérée comme définitive pour déterminer s’il était au travail. Dans ses arguments, il a déclaré qu’il [traduction] « […] a exercé de nombreuses fonctions dans le lieu de travail communément admises, notamment l’examen des courriels, la mise à jour des bases de données administratives et la formation en ligne ».

[40] Le plaignant a déclaré que [traduction] « [l]e problème fondamental que doit trancher la Commission est la légalité – ou l’absence – de la saisie unilatérale par la GRC des crédits de congé du plaignant ».

[41] Le plaignant a longuement critiqué la décision d’Emploi et Développement social Canada (EDSC) selon laquelle il n’était pas au travail au sens de l’article 138 du CCT lorsque les plaintes ont été présentées.

[42] Le plaignant a soutenu que les faits dans Saumier CAF et dans la décision de la Commission dans Saumier c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2008 CRTFP 1 (Saumier), ne ressemblent en aucune façon à ceux de la présente affaire, pour les huit motifs suivants (reproduits textuellement, sic pour l’ensemble de la citation) :

[Traduction]

[…]

i. La période de congé de maladie du plaignant a expiré le 19 juin 2020;

ii Le plaignant a participé à la réactivation de son habilitation de sécurité qui s’est terminée le 20 juin 2021;

iii La GRC refuse de rendre compte du retard qu’elle a pris dans la réintégration du plaignant dans le lieu de travail du 20 juin 2021 au 21 juillet 2021;

iv. Le plaignant a passé plusieurs heures au lieu de travail de Green Timbers le 25 août 2021 pour se procurer un ordinateur portable de bureau à distance, réactiver des comptes administratifs et assister à une réunion personnelle avec Mme Pasqua;

v. Par la suite, le plaignant a effectué une série d’activités dans le lieu de travail, notamment l’examen de courriels, le suivi du SIGRH, la formation en ligne obligatoire et la vérification systématique de nouvelles affectations de travail;

vi. Dans son rapport d’enquête fondé sur le paragraphe 128(7.1) du CCT, M. Maure confirme que le plaignant était au travail pendant cette période;

vii. Le 17 novembre 2021, Mme Pasqua confirme tacitement que le plaignant était au travail et elle le prépare à sa prochaine affectation de travail;

viii. La saisie des crédits de congé annuel du plaignant, qui, selon la GRC, était une fonction légitime dans le lieu de travail, selon la section 3.1.1.1.1 du MNR, peut seulement avoir lieu si un employé est au travail.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[43] Le plaignant a renvoyé à la décision rendue par la Commission dans Saumier, au paragraphe 113 (que la Cour d’appel fédérale a reproduite intégralement au paragraphe 49 de Saumier CAF), pour son affirmation selon laquelle la méthode appropriée pour un employeur faisant valoir qu’un employé n’était pas au travail au sens du paragraphe 128(1) du CCT consiste à déclarer qu’il n’a pas compétence en vertu du paragraphe 128(7.1) lorsqu’il reçoit un avis conformément au paragraphe 128(6).

[44] Le plaignant a conclu ses actes de procédure en déclarant que [traduction] « […] [l]a GRC a non seulement revendiqué sa compétence pour enquêter sur l’avis de refus de travailler du plaignant, mais elle l’a fait à deux (2) reprises successives ».

C. Contre-preuve de la défenderesse, le 12 janvier 2023

[45] La défenderesse a réfuté les affirmations du plaignant concernant la norme de preuve et le fardeau de la preuve, affirmant que, [traduction] « […] [c]omme le plaignant est la partie qui dépose la plainte, il a le fardeau ultime ou juridique de démontrer sa recevabilité ». La décision de la Commission d’entendre la requête préliminaire sur la base d’arguments écrits nécessite une norme de preuve fondée sur la prépondérance des probabilités.

[46] En tout état de cause, selon la défenderesse, le plaignant n’a pas démontré qu’il avait exercé un droit de refus de travailler pendant qu’il était « au travail », et elle a répété certaines de ses affirmations dans ses observations initiales.

[47] La défenderesse a également abordé les commentaires de l’inspecteur Maure et de la surintendante Pasqua que le plaignant a qualifiés de reconnaissance tacite du fait qu’il était au travail. La défenderesse a soutenu que le plaignant avait mal qualifié les commentaires. Elle a fait valoir ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] Au contraire, entre le 21 juin 2021 et le 16 novembre 2021, la direction de la GRC a communiqué avec le plaignant tant lors de réunions que par courriel pour tenter de lui permettre de retourner au travail. Le 9 novembre 2021, la surint. Pasqua a ordonné au plaignant de se présenter au travail le lendemain et, le 16 novembre 2021, elle l’a informé qu’il devait se présenter au travail ou être en congé autorisé. Ce sont là des indications claires qu’elle ne considérait pas qu’il était au travail. De plus, le fait que le plaignant a continué d’exiger la participation d’un conseiller en gestion d’invalidité pour qu’il retourne au travail démontre qu’il n’avait pas été au travail pendant cette période et laisse entendre que les refus étaient liés au processus de prise de mesure d’adaptation plutôt qu’à une raison raisonnable de croire qu’il y avait un danger.

[…]

 

[48] La défenderesse a également fait valoir en contre-preuve que la saisie du congé administratif s’était produite parce que le plaignant était absent du travail sans autorisation.

[49] En contre-preuve, la défenderesse a également fait observer que les évaluations d’EDSC n’ont aucun rapport avec la décision que la Commission doit rendre quant à savoir si le plaignant était au travail lorsqu’il a fait ses prétendus refus.

[50] Enfin, en contre-preuve, la défenderesse a déclaré que la décision d’enquêter sur les allégations de lieu de travail dangereux du plaignant n’a aucune incidence sur la question de savoir s’il était « au travail ». Les employeurs ne sont pas tenus de refuser la compétence pour adopter la position selon laquelle un employé qui a refusé de travailler n’était pas au travail au moment où le prétendu refus a été fait.

III. Décision et motifs

[51] Les parties ont reconnu à juste titre les paramètres de la présente requête préliminaire, malgré l’affirmation du plaignant selon laquelle [traduction] « [l]e problème principal […] est […] la saisie unilatérale par la GRC des crédits de congé du plaignant ». Je peux comprendre pourquoi la saisie des crédits de congé pourrait être importante pour le plaignant, mais ce n’est pas la question fondamentale devant moi, soit celle de savoir s’il était au travail et donc en mesure de déposer une plainte en matière de sécurité au travail en vertu de l’article 128 du CCT.

[52] J’ai examiné attentivement les cas soumis par les deux parties, mais je ne parlerai que de ceux qui soutiennent mon raisonnement. Je conclus que la loi a été citée et mentionnée correctement, et je ne le reproduirai pas dans mes motifs.

[53] Bon nombre de personnes ont exprimé leur opinion sur la question de savoir si le plaignant était ou non au travail, notamment le plaignant, la défenderesse, l’inspecteur Maure, la surintendante Pasqua et EDSC. Ces avis ne sont pas pertinents; c’est à la Commission qu’il appartient de trancher la question.

[54] La prérogative de la Commission de trancher une affaire en l’absence d’audience a été correctement formulée. L’un des outils d’analyse qui serait susceptible d’influer sur les arguments écrits a ses origines dans une décision de la Cour suprême du Canada qui n’a pas été citée par les parties, à savoir Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959. Il s’agit du cadre des cas défendables.

[55] Le cadre des cas défendables permet au tribunal de supposer que les faits tels qu’ils sont exposés dans les actes de procédure sont vrais. Sur cette base, le tribunal doit alors examiner la question de savoir si les actes de procédure révèlent un motif d’action.

[56] La Commission a adopté le cadre des cas défendables dans l’analyse des requêtes préliminaires, y compris le récent cas Gabon c. ministère de l’Environnement, 2022 CRTESPF 6, où la Commission a formulé le cadre d’analyse comme suit, aux paragraphes 39 à 41 :

[39] Dans Hughes c. ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences, 2012 CRTFP 2, le plaignant a déposé des plaintes contre son employeur en alléguant plusieurs violations de l’alinéa 186(2)a) de la Loi. L’ancienne Commission s’est penchée, entre autres, sur l’objection du demandeur selon laquelle le plaignant n’a pas réussi à démontrer, au vu des plaintes, que le défendeur avait violé les dispositions législatives; en d’autres termes, les plaintes ne constituaient pas, à première vue, un cas défendable de violation des dispositions législatives. En réponse à cette objection préliminaire, l’ancienne Commission a formulé la question comme suit, au paragraphe 86 :

[86] […] On a demandé aux parties de déterminer si les trois plaintes devant moi constituaient, à première vue, un cas défendable de violation de la LRTFP. Plus particulièrement, on leur a demandé de déterminer si, supposant que la Commission établisse que toutes les allégations mises de l’avant soient fondées, les plaintes constituaient un cas défendable de violation par le défendeur des dispositions de la LRTFP sur les pratiques déloyales de travail.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

[40] En utilisant ce cadre d’analyse, l’ancienne Commission a conclu que les plaintes révélaient un cas défendable de violation de l’alinéa 186(2)a) de la Loi (voir les paragraphes 104 à 108). Cette approche nécessite une analyse minutieuse et rigoureuse des faits exposés par les parties, afin d’évaluer s’il existe une cause défendable.

[41] L’ancienne Commission a souligné ce qui suit dans Hughes, au paragraphe 105 :

[105] […] [s’il y a] quelque doute que ce soit sur ce que les faits révèlent – présumant que les faits sont véridiques – [la Commission doit] opter pour une conclusion de cas défendable […] [et doit] aussi conserver la possibilité pour le plaignant de faire entendre ses plaintes […]

 

[57] J’ai accepté les faits tels qu’ils ont été résumés par le plaignant dans ses actes de procédure et je les ai tous considérés comme vrais. Je n’ai aucun doute sur ce que ces faits révèlent et je les examinerai à la lumière du cadre des cas défendables.

[58] Tout d’abord, je ne suis pas d’accord avec le plaignant qui affirme que les faits de Saumier CAF ne ressemblent [traduction] « en aucune façon » à ceux du présent cas. Au contraire, dans ce cas, la CAF a traité des tentatives infructueuses de renvoyer un membre régulier de la GRC au travail après une période prolongée de congé de maladie et l’invocation par le membre de l’article 128 du CCT comme motif de ne pas réintégrer le lieu de travail. C’est précisément la question dont la Commission est saisie dans la présente affaire. L’autorisation d’interjeter appel de Saumier CAF devant la Cour suprême du Canada a été refusée. Je considère donc que c’est un cas très important et convaincant.

[59] La Cour d’appel fédérale dans Saumier CAF a souligné l’importance du contexte lorsqu’il s’agit de déterminer si un plaignant était « au travail ». Par conséquent, il faut accorder une attention particulière au contexte dans lequel se déroule le retour au travail du plaignant.

[60] Les parties reconnaissent que le plaignant a été autorisé à retourner au travail après une longue période de congé de maladie. Il a été autorisé à y retourner en mai 2020. Toutefois, le plaignant n’a pas pu retourner au travail parce que son habilitation de sécurité avait expiré pendant son absence, il a donc dû la réactiver. Il lui a fallu près d’un an, mais il l’a finalement fait. Je conclus que la réactivation de l’habilitation de sécurité du plaignant n’était pas un retour au travail, mais une étape qu’il devait franchir pour retourner au travail.

[61] Une fois l’habilitation de sécurité en vigueur, il n’a toujours pas pu retourner au travail parce qu’il a dû suivre une série de cours en ligne. La défenderesse a offert de lui fournir un ordinateur portable et les outils d’accès nécessaires (une [traduction] « carte à puce » a été décrite comme une carte de sécurité fournissant un accès électronique aux bases de données administratives et de ressources humaines de la GRC, aux comptes de courriel et aux cours en ligne). Il est logique que la carte à puce ne puisse pas être délivrée tant que le processus d’habilitation de sécurité n’est pas terminé. La délivrance de la carte à puce n’était qu’une étape de plus dans le processus de retour au travail.

[62] Le plaignant a dû se rendre physiquement sur le lieu de travail de Green Timbers pour obtenir la carte à puce. Il l’a fait le 25 août 2021. Je ne considère pas qu’il s’agissait d’un retour au travail. Ce n’était qu’une autre étape qu’il a dû franchir pour y retourner.

[63] Au paragraphe 50 de Saumier CAF, la Cour d’appel fédérale a jugé que « […] [l]e simple fait que la demanderesse se soit présentée physiquement au bureau de son employeur le 27 septembre 2005, après une absence de plusieurs mois, ne faisait pas en sorte qu’elle était “au travail” au sens du paragraphe 128(1) du Code ». La Cour d’appel fédérale a fait mention expressément de l’erreur commise par l’arbitre de grief en arrivant à la conclusion qu’elle était retournée au travail en se présentant simplement au bureau.

[64] Je ne m’écarterai pas du raisonnement de la Cour d’appel fédérale à cet égard. Conformément au précédent convaincant établi dans Saumier CAF, je conclus que la présence physique du plaignant à un bureau de la GRC le 25 août 2021, après plusieurs années d’absence, n’a pas fait en sorte qu’il est retourné « au travail » au sens du paragraphe 128(1) du CCT.

[65] De la fin août au 2 octobre 2021, le plaignant a suivi les cours en ligne requis. Je ne considère pas non plus qu’il s’agissait d’un retour au travail. Ce n’était qu’une étape de plus dans le processus de retour au travail. Il ne pouvait retourner au travail avant que les cours soient terminés.

[66] Une fois les cours terminés, on a tenté de renvoyer le plaignant au travail, mais il a refusé de se rendre au bureau. Il a invoqué une longue liste d’enjeux qui représentent selon lui des problèmes de sécurité au travail. Lorsqu’on lui a ordonné de se présenter au travail à un autre endroit, le plaignant a de nouveau refusé. Il ne s’est apparemment jamais présenté au travail.

[67] J’ai délibérément évité de citer ou de considérer la longue liste du plaignant. La requête préliminaire devant moi n’a rien à voir avec le bien-fondé de ses plaintes. Les éléments qui figurent sur la liste des questions de sécurité perçues par le plaignant ne sont pas importants dans ma détermination de la question de savoir s’il était ou non au travail lorsqu’il a déposé ses plaintes de refus de travailler.

[68] Un autre aspect important du contexte dans lequel ces plaintes en vertu de l’article 128 du CCT ont été soulevées concerne le moment où elles l’ont été. De toute évidence, le plaignant n’a perçu aucun problème de sécurité au travail lorsqu’il a été déclaré apte à retourner au travail en mai 2020. Il n’a pas non plus soulevé de questions de sécurité lorsqu’il a été avisé qu’il devait réactiver son habilitation de sécurité. L’année suivante, en juin et juillet 2021, il n’a perçu aucun danger lorsqu’il a été informé de l’obligation de suivre plusieurs cours en ligne avant de pouvoir retourner au travail.

[69] Fait significatif, le 25 août 2021, la seule et unique fois où il a mis les pieds dans le lieu de travail de Green Timbers de la GRC, il en est sorti indemne. Ce n’est que quelques mois plus tard, immédiatement après avoir reçu l’ordre de se présenter au travail, qu’il se sent soudainement en péril.

[70] J’ai conclu que des cas antérieurs, dont Simon, qui traitent de l’intention du législateur concernant la capacité d’un employé de refuser de travailler pour des raisons liées à la sécurité, sont très instructifs et utiles. Le cas Fletcher est particulièrement instructif, lequel est rédigé en partie comme suit au paragraphe 19 :

[…] Le droit de refuser de travailler est une mesure d’urgence. Les employés doivent y faire appel dans des situations où ils croient faire face à un danger immédiat ou à un risque imminent de blessures. Il ne peut s’agir d’un danger qui est inhérent au travail ou qui constitue une condition normale de l’emploi. La possibilité de blessures ou de danger ne constitue pas un motif suffisant pour se prévaloir des dispositions sur le refus de travailler; le danger doit bel et bien exister. […]

 

[71] La décision Green, qui est rédigée comme suit au paragraphe 406, est également instructive :

[406] Le droit de refuser du travail en vertu de l’article 128 du Code vise à traiter la présence d’un danger au travail; il ne vise pas à donner carte blanche aux employés dans le but d’aborder d’autres questions et problèmes liés au milieu de travail. D’autres moyens plus appropriés sont en place afin de composer avec les difficultés en milieu de travail, y compris la procédure de règlement des griefs décrite dans la Loi et dans la politique sur le harcèlement.

 

[72] Les actes de procédure du plaignant, ainsi que ses plaintes du 29 novembre 2021 et du 22 avril 2022, regorgent de références à la myriade de procédures judiciaires dans lesquelles lui et son employeur sont actuellement parties. Le CCT ne peut pas être utilisé comme plateforme de lancement commode pour d’autres préoccupations liées au travail. Les préoccupations du plaignant doivent être traitées dans l’instance appropriée, et il a apparemment déjà amorcé ces processus.

[73] Si je considère que tout ce que le plaignant a affirmé dans ses arguments est vrai, je conclus qu’il n’a pas réussi à distinguer sa propre situation des circonstances énoncées dans Saumier CAF. Pour ce motif, je conclus que le plaignant n’a aucun argument défendable selon lequel il était au travail lorsqu’il a présenté ses plaintes en vertu du CCT.

[74] Je conclus que le plaignant n’était pas au travail lorsqu’il a présenté ses plaintes en vertu du CCT. Ses plaintes ne sont pas recevables et doivent être rejetées.

[75] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)

IV. Ordonnance

[76] Les plaintes ne sont pas recevables et sont rejetées.

Le 3 avril 2023.

Traduction de la CRTESPF

James R. Knopp,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.