Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a allégué que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans l’évaluation de sa candidature – elle a notamment allégué une crainte raisonnable de partialité à son égard – elle a aussi allégué que l’intimé avait abusé de son pouvoir en nommant une personne qui ne satisfaisait pas aux qualifications essentielles et en choisissant un critère de mérite qui ne correspondait pas aux exigences du poste – il n’était pas contesté que la plaignante et la gestionnaire déléguée avaient eu des désaccords avant et pendant le processus de nomination – les allégations étaient nombreuses et appuyées par les témoignages de la plaignante et d’un témoin, ainsi que par des documents – la Commission a conclu qu’il existait une crainte raisonnable de partialité, ce qui constituait un abus de pouvoir – en ce qui a trait à l’allégation de l’élaboration des critères de mérite, la plaignante était d’avis que le poste de gestionnaire programmes de langues senior exigeait un baccalauréat avec une spécialisation en éducation, en linguistique ou dans une spécialité liée au groupe EDS – la personne nommée détenait un baccalauréat en sciences spatiales – la Commission a conclu que le critère d’études contesté respectait la norme de qualification pour le poste en question et que cette norme reconnaissait un agencement d’un grade non lié à la pédagogie, combiné à l’expérience – bien que la plaignante n’était pas d’accord avec la norme et, par conséquent, avec le choix de la qualification essentielle en matière d’études, un désaccord ne donne pas lieu à une conclusion d’abus de pouvoir – en ce qui concerne l’allégation concernant l’application du mérite, la plaignante affirmait que la personne nommée ne satisfaisait pas au critère relatif aux études étant donné que cette dernière détenait un baccalauréat en sciences spatiales – selon la plaignante, de telles études ne pouvaient pas faire partie d’un agencement acceptable d’études et d’expérience – la Commission a indiqué qu’il n’était pas contesté que la personne nommée détenait un baccalauréat et possédait plus de six mois d’expérience en supervision ou en gestion dans le domaine de l’apprentissage – ainsi, la plaignante n’avait pas démontré qu’il y avais eu abus de pouvoir dans l’élaboration des critères de mérite et dans l’application du mérite – puisque la Commission a conclu une crainte raisonnable de partialité à l’égard de la plaignante, elle a émis une déclaration d’abus de pouvoir – la Commission était d’avis qu’une révocation de la nomination de la personne nommée ne constituait pas une mesure appropriée dans les circonstances.

Plainte accueillie.

Contenu de la décision

Date: 20230413

Dossier: 771-02-40124

 

Référence: 2023 CRTESPF 37

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur l’emploi dans la

fonction publique

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Hélène Monfourny

plaignante

 

et

 

Administrateur général

(ministère de la Défense nationale)

 

intimé

et

AUTRES PARTIES

Répertorié

Monfourny c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale)

Affaire concernant une plainte d’abus de pouvoir aux termes des alinéas 77(1)a) et b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Devant : Amélie Lavictoire, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante : Louis Bisson, Union des employés de la Défense nationale

Pour l’intimé : Laetitia Auguste, avocate

Pour la Commission de la fonction publique : Alain Jutras, analyste principal

Affaire entendue par vidéoconférence,

les 9 et 10 novembre et le 14 décembre 2022.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Plainte devant la Commission

[1] En 2018, le sous-ministre de la Défense nationale (l’« intimé ») a lancé un processus annoncé visant à pourvoir trois postes pour une durée indéterminée. Seule la nomination au poste nouvellement créé de gestionnaire programmes de langues senior au sein de la Compagnie de formation de la région de la capitale nationale (la « Compagnie ») de l’École de langues des Forces canadiennes (ÉLFC), à Gatineau, fait l’objet de cette plainte. La nomination a eu lieu en 2019.

[2] Hélène Monfourny (la « plaignante ») a déposé la présente plainte auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») en vertu des alinéas 77(1)a) et b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; LEFP). Lors de l’audience, elle a retiré la portion de sa plainte qui portait sur le choix du processus (al. 77(1)b)).

[3] La plaignante a allégué un abus de pouvoir dans l’évaluation de sa candidature, notamment une crainte raisonnable de partialité à son égard. Elle a aussi affirmé que l’intimé avait abusé de son pouvoir en nommant une personne qui ne satisfaisait pas aux qualifications essentielles du poste et en choisissant un critère de mérite qui ne correspondait pas aux exigences du poste.

[4] La Commission de la fonction publique (CFP) n’a pas participé à l’audience, mais elle a présenté des arguments écrits. Elle n’a pas pris de position relativement au bien-fondé de la plainte.

[5] La plaignante a établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’une crainte raisonnable de partialité a entaché le processus de nomination. Toutefois, je ne suis pas persuadée qu’il y a eu abus de pouvoir dans l’identification des critères de mérite et dans l’application du mérite.

II. Résumé de la preuve

[6] La présente partie comporte deux sections : un résumé de la preuve relativement au déroulement général du processus de nomination et un résumé des éléments de preuve portant sur la relation entre la plaignante et la gestionnaire déléguée et quant à des propos qui auraient été prononcés pendant et après le processus à l’égard de la plaignante et de sa candidature.

A. Le processus de nomination

[7] L’ÉLFC a pour mandat d’offrir une formation linguistique de langue seconde aux militaires canadiens. Son quartier général est au centre Asticou (« Asticou »), à Gatineau. L’ÉLFC est composée de deux unités de formation, soit la Compagnie, située à Asticou, et un détachement à Saint-Jean-sur-Richelieu (le « détachement »). La section administrative du commandant adjoint et la section des normes font également partie de l’ÉLFC, et sont situées à Asticou.

[8] La Compagnie et le détachement offraient de la formation linguistique à l’aide de programmes, tests et outils pédagogiques développés par le programme des langues des Forces canadiennes, situé à Kingston.

[9] La major Nathalie Lévesque (aujourd’hui, lieutenant-colonel Lévesque) a occupé le poste de commandant de la Compagnie d’environ juillet 2017 à juillet 2019. Elle a créé le poste de gestionnaire programmes de langues senior en réponse à une recommandation de la part d’un comité sur le bien-être en milieu de travail. Elle était la gestionnaire déléguée responsable du processus de nomination en cause. Le ou la titulaire de ce nouveau poste se rapporterait à la major Lévesque et aurait sous sa responsabilité six postes qui se rapportaient auparavant à la major Lévesque, notamment des postes de conseillers et conseillères pédagogiques et de coordonnateurs et coordonnatrices de programmes.

[10] La plaignante se rapportait directement à la major Lévesque de juillet 2017 à janvier 2018, alors que la plaignante occupait un poste de conseillère pédagogique (ED-LAT-02) au sein de la Compagnie. En janvier 2018, la plaignante a été nommée au poste d’officier des normes (EDS-02) dans la section des normes. À partir de cette date, elle ne se rapportait plus à la major Lévesque.

[11] À l’époque du processus de nomination, Annie Letendre (la « personne nommée ») occupait le poste de commandant adjoint de la section administrative du commandant adjoint de l’ÉLFC.

[12] En septembre 2018, l’intimé a affiché le processus annoncé en cause (18-DND-IA-MPC-437709). Le processus visait initialement à pourvoir deux postes à durée indéterminée, soit le poste de gestionnaire programmes de langues senior au sein de la Compagnie, et le poste de chef des normes adjoint au détachement. Les deux postes étaient classifiés au groupe et au niveau ED-EDS-04. ED-EDS correspond à un sous-groupe de services de l’enseignement, plus précisément des spécialistes en enseignement. Le processus cherchait également à créer un bassin de candidats qualifiés.

[13] Deux gestionnaires délégués ont participé au processus de nomination, chacun ayant la responsabilité du processus en ce qui avait trait au poste sous leur responsabilité. Comme il a été indiqué précédemment, la major Lévesque était la gestionnaire déléguée pour le processus en ce qui a trait à la nomination en cause (la « gestionnaire déléguée »). Le major Paul Gillies était le gestionnaire délégué en ce qui avait trait au poste de chef des normes à Saint-Jean-sur-Richelieu. Le major Gillies occupait le poste d’officier supérieur d’état-major des programmes des langues des Forces canadiennes, à Kingston.

[14] À un moment donné, le processus a été élargi pour inclure un troisième poste, soit un poste de conseiller(ère) pédagogique principal(e) (ED-LAT-03) au détachement.

[15] Les critères de mérite étaient les mêmes pour les trois postes. Les critères ont été approuvés par les membres d’un comité de sélection composé de cinq personnes, soit les majors Lévesque et Gillies, le major Sacha Amédé et Sylvie Kucharski, tous deux du détachement, ainsi que le superviseur de la plaignante au sein de la section des normes, le capitaine de corvette Neil Martindale. Après que la présélection fut complétée et que le temps était venu pour évaluer les candidats, ce comité s’est scindé en deux plus petits comités d’évaluation, soit un comité pour le poste à Asticou et l’autre pour les postes au détachement. Le comité d’évaluation pour le poste en cause était composé de la major Lévesque, du capitaine de corvette Martindale et de Mme Kucharski.

[16] Seulement deux qualifications essentielles étaient identifiées pour les postes. Une d’elles portait sur les études, l’autre sur l’expérience en supervision ou gestion de personnel. Seule la qualification essentielle relative aux études est en cause.

[17] Les études requises consistaient en un baccalauréat d’une université reconnue avec une spécialisation en éducation, en linguistique ou dans une autre spécialité liée aux postes du groupe. Ce critère d’études était défini davantage. L’affiche précisait que la spécialisation pouvait être formée d’un agencement acceptable d’études, de formation et/ou d’expérience. Un agencement acceptable comprenait un baccalauréat avec environ six mois d’expérience en supervision ou en gestion dans le domaine de l’apprentissage ou de la formation. L’expérience en supervision ou gestion devait être acquise au cours des trois dernières années.

[18] Les majors Gillies et Lévesque ont témoigné de leurs efforts en vue d’élaborer une qualification essentielle liée aux études qui reflétait les exigences et besoins des postes. Selon eux, une formation en enseignement, en linguistique ou autre spécialité liée à la pédagogie n’était pas forcément requise. La Compagnie et le détachement avaient davantage besoin de gestionnaires que de spécialistes en éducation. Les témoignages des majors Gillies et Lévesque étaient unanimes à cet égard. Selon eux, il était souhaitable d’élargir le critère d’études pour permettre à un plus grand éventail de candidats de postuler. Le major Gillies a indiqué avoir proposé des modifications à l’ébauche de critère d’études pour réduire l’importance accordée à la pédagogie, notamment en élargissant l’éventail d’études reconnues et en incluant un agencement acceptable d’éducation et d’expérience.

[19] Selon la major Lévesque, les fonctions du poste de gestionnaire programmes de langues senior seraient majoritairement des fonctions de gestion, soit la gestion de contrats, la supervision et la gestion du rendement de six employés, la dotation et la planification et la gestion de projets. Le titulaire du poste ne serait pas impliqué dans l’enseignement au quotidien ni dans l’évaluation de la qualité de l’enseignement offert par la Compagnie. Les conseillers et conseillères pédagogiques et les coordonnateurs et coordonnatrices de programmes (ED-LAT-02 et ED-EDS-01) sont ceux qui étaient, et continueraient à être, impliqués dans la supervision des enseignants, l’organisation des classes et des horaires, et la mise en application des programmes élaborés par le programme des langues des Forces canadiennes à Kingston. Les titulaires des postes ED-LAT-02, et non le gestionnaire, seraient appelés à intervenir si un étudiant éprouvait des difficultés particulières ou si un enseignant avait besoin d’encadrement supplémentaire.

[20] Les majors Lévesque et Gillies ont tous deux témoigné que tous les candidats avaient été évalués de la même façon, à l’aide des mêmes outils et grilles de correction et selon les mêmes notes de passage. Les candidats qui ont franchi l’étape de la présélection ont été évalués à l’aide d’un examen écrit, d’une entrevue et d’un examen « in-basket ». Le major Gillies a révisé toutes les demandes initiales et a commenté les rapports de présélection des candidats pour le poste à Asticou. Il n’a toutefois pas participé à l’évaluation des candidats qui ont postulé pour le poste en question.

[21] L’examen écrit pour le poste à Asticou a été corrigé par Mme Kucharski et la major Lévesque. Le capitaine de corvette Martindale s’est joint à elles pour évaluer les candidats lors de l’entrevue. L’examen « in-basket » a été corrigé par la CFP.

[22] Au cours du processus, un changement a été apporté aux méthodes de correction de l’examen écrit. Comme cela est souvent le cas lors d’examens écrits, un candidat qui dépassait le nombre maximal de mots échouait à l’examen écrit. Or, après avoir constaté qu’il était plus difficile pour les candidats ayant rédigé leur réponse à la main, au lieu qu’à l’ordinateur, d’évaluer avec précision le nombre de mots que comportait leur réponse, les cinq membres du comité ont décidé d’augmenter le nombre maximal de mots permis, et ce, pour tous les candidats.

[23] À la mi-février 2019, 10 candidats se sont qualifiés pour les postes et ont été placés dans un bassin. Cinq candidats se sont qualifiés pour le poste à Asticou, dont la plaignante et la personne nommée. La gestionnaire déléguée a effectué son choix parmi ces 5 candidats.

[24] L’évaluation narrative préparée par la gestionnaire déléguée indique que le critère qu’elle a utilisé pour effectuer le choix de la personne retenue était le critère de l’expérience en gestion et supervision. Elle a jugé que ce critère était le plus important en raison des tâches complexes et diversifiées du poste. Le témoignage de la major Lévesque et l’évaluation narrative ont fait état de la diversité des mandats à réaliser au sein de la compagnie de formation, l’ampleur et de la complexité des responsabilités du titulaire en matière de ressources humaines, et la faible implication du titulaire relativement à des questions de nature pédagogique.

[25] En premier lieu, la major Lévesque a offert le poste à une candidate dans le bassin ayant une forte expérience en gestion dans un environnement militaire. La candidate n’a pas accepté l’offre. À la suite de ce refus, la gestionnaire déléguée a de nouveau consulté les demandes des quatre autres candidats dans le bassin, dont les demandes de la personne nommée et de la plaignante.

[26] Selon le témoignage de la major Lévesque, étant d’avis que la personne nommée était la candidate qui possédait la plus grande expérience en gestion, elle a décidé de lui offrir le poste. Avant de le faire, la major Lévesque a consulté le plus haut dirigeant de l’ÉLFC, le lieutenant-colonel Loïc Roy, disant craindre que la nomination de la personne nommée puisse provoquer des frustrations et interrogations au sein de l’ÉLFC étant donné que d’autres employés de l’ÉLFC faisaient également partie du bassin. Le lieutenant-colonel Roy lui aurait suggéré, en premier lieu, de confirmer si elle souhaitait prioriser l’expérience en gestion dans le choix de la personne qui serait nommée au poste, et ensuite, de consulter deux des membres du comité de sélection (le major Amédé et Mme Kucharski) pour valider la démarche, ce qu’elle a fait.

[27] La gestionnaire déléguée a maintenu sa position selon laquelle l’expérience en gestion était prioritaire et qu’une offre serait faite à la personne nommée.

[28] La personne nommée était la candidate du bassin qui possédait la plus vaste expérience en gestion et supervision. L’évaluation narrative faisait état de son expérience en supervision de 1999 à 2008, et ensuite de 2013 à la date de sa nomination en mars 2019. La personne nommée détenait un baccalauréat en sciences spatiales et avait plus de cinq ans d’expérience en supervision et gestion dans le domaine d’apprentissage, notamment comme commandant adjoint de la section administrative du commandant adjoint à Asticou et, brièvement, comme lieutenant-colonel par intérim de l’ÉLFC.

[29] Le 11 mars 2019, la major Lévesque a offert le poste à la personne nommée.

[30] Le 12 mars 2019, après avoir entendu qu’une offre avait été faite à la personne nommée, la plaignante a écrit à une conseillère en ressources humaines chez l’intimé pour l’informer d’un vice de procédure pressenti dans le processus de nomination. Plusieurs individus étaient en copie à ce courriel, y inclus la major Lévesque, les deux autres membres du comité d’évaluation pour le poste à Asticou, le lieutenant-colonel Roy et son supérieur. Dans son courriel, la plaignante a fait état de son opinion selon laquelle la nomination de la personne nommée ne reposait pas sur les critères énoncés dans le cadre du processus, mais plutôt sur un critère subjectif choisi par la major Lévesque et ne reflétait pas les exigences du poste. Elle a également indiqué subir du harcèlement de la part de la gestionnaire déléguée et a décrit un échange entre elle et la major Lévesque le 5 mars 2019 qui lui aurait laissé croire que sa candidature n’avait pas été traitée équitablement dans le cadre du processus. L’échange en question sera décrit plus loin dans le résumé de la preuve.

[31] Le 5 avril 2019, la plaignante a déposé sa plainte auprès de la Commission.

B. Relation entre la plaignante et la gestionnaire déléguée

[32] Il n’est pas contesté que la plaignante et la gestionnaire déléguée ont eu des désaccords avant et pendant le processus de nomination.

[33] Selon la plaignante, il était manifeste, dès l’arrivée de la major Lévesque à la Compagnie, en juillet 2017, qu’elles avaient des opinions et perspectives différentes quant à l’enseignement et la gestion du personnel et des étudiants. Des conflits et désaccords entre elles ont éventuellement amené la plaignante à changer d’emploi au sein de l’ÉLFC afin qu’elle n’ait plus à se rapporter à la major Lévesque. La plaignante a témoigné au sujet d’incidents qui, selon elle, sont pertinents à son allégation de crainte raisonnable de partialité.

[34] Le premier incident est survenu en octobre 2017 et découlait d’une situation dans laquelle la plaignante et la major Lévesque ont eu une différence d’opinions quant à la façon de donner suite à une plainte portée par des étudiants relativement à un enseignant de la Compagnie. Une confrontation s’en est suivie. La major Lévesque s’est tournée vers la plaignante, visiblement fâchée, l’a pointée du doigt et lui a reproché d’avoir tenté d’intervenir lors d’un échange entre la major et les étudiants. La major Lévesque a confirmé que cet incident avait eu lieu. Elle n’a pas contredit la description de l’incident offerte par la plaignante.

[35] Un deuxième incident a eu lieu en décembre 2017 alors que la plaignante se préparait à entreprendre le rôle d’officier des normes. Elle devait changer de bureau. La major Lévesque lui aurait, en premier lieu, proposé un bureau trop petit pour le poste de travail ergonomique de la plaignante. La major Lévesque aurait subséquemment rejeté trois suggestions formulées par la plaignante relativement à des bureaux vacants pouvant lui servir d’espace de travail. La major Lévesque aurait ensuite proposé un bureau que la plaignante a décrit comme étant un local très étroit qui n’avait ni ventilation ni fenêtres et qui servait d’entreposage. La plaignante aurait dit à la major Lévesque que le bureau proposé ne convenait pas. Dans les jours suivants, la major Lévesque insistait quotidiennement sur le fait que la plaignante devait se trouver un bureau sous peu, et ce, jusqu’à ce qu’un jour, elle informe la plaignante que cette dernière devait déménager le jour suivant. La major Lévesque aurait ajouté que, si la plaignante n’était pas heureuse, elle serait tenue de déménager dans le « trou en-haut », faisant ainsi référence au local sans ventilation ou fenêtres. Encore, la major Lévesque n’a pas contredit la description de cet incident offerte par la plaignante.

[36] En plus de ces incidents avec la major Lévesque, la plaignante a décrit un échange verbal avec une collègue dans le cadre duquel cette collègue aurait indiqué que la « major » ne voulait pas qu’elle parle avec la plaignante. Selon la plaignante, le mot d’ordre semblait être qu’on ne devait pas lui parler. Elle se sentait seule et isolée. Elle a également décrit ce qu’elle percevait comme étant de l’obstruction de la part de la major Lévesque dans l’accomplissement de ses tâches, notamment en la privant d’information et en créant des embuches à ses efforts en vue d’effectuer des observations en salle de classe.

[37] La plaignante a également indiqué que la major Lévesque avait organisé plusieurs réunions auxquelles la plaignante n’était pas invitée, alors que les sujets discutés étaient de la responsabilité de la plaignante. Lorsque la plaignante a demandé à la major Lévesque pourquoi elle n’avait pas été invitée à une réunion en particulier, la major Lévesque aurait approché son visage de celui de la plaignante et lui aurait répondu que la plaignante n’était pas son égale. La major Lévesque a décrit cet incident comme étant un des « accrochages » ayant eu lieu entre elle et la plaignante. Encore une fois, elle n’a pas contredit la description offerte par la plaignante.

[38] En janvier 2019, alors que le processus de nomination était en cours, la plaignante et son superviseur, le capitaine de corvette Martindale, sont allés voir l’adjudant-maître Beauchemin pour lui faire part de ce que la plaignante avait décrit comme étant l’obstruction de la part de la major Lévesque dans leur travail. Selon la plaignante, cela n’a rien donné. Le capitaine de corvette Martindale n’a pas témoigné.

[39] En février 2019, et peu après avoir franchi l’étape de l’entrevue dans le cadre du processus de nomination, la plaignante a rencontré le lieutenant-colonel Roy. Lors de cette rencontre, la plaignante aurait décrit des situations de harcèlement impliquant la major Lévesque et aurait exprimé sa crainte que ces situations et sa relation avec la major Lévesque nuisent à ses chances d’être nommée au poste de gestionnaire programmes de langues senior. La plaignante a indiqué que le lieutenant-colonel Roy n’avait rien fait pour donner suite à sa plainte. Selon la gestionnaire déléguée, le lieutenant‑colonel Roy l’a informée peu après que la plaignante avait porté plainte contre elle.

[40] Le 5 mars 2019, la plaignante et la major Lévesque ont eu une rencontre pour discuter d’un enjeu relativement à un étudiant. À la suite de leur discussion, la plaignante aurait demandé à la major Lévesque de confirmer une rumeur qu’elle avait entendue selon laquelle une offre pour le poste de gestionnaire programmes de langues senior avait été faite. La major Lévesque a confirmé qu’une offre avait été faite, mais que celle-ci avait été refusée. Après que la major Lévesque ait eu indiqué avoir l’intention de revoir de nouveau les demandes des candidats dans le bassin, la plaignante lui a demandé si, malgré leurs différends, elle pouvait s’attendre à ce que sa candidature soit traitée équitablement dans le cadre du processus.

[41] Ici, les témoignages de la plaignante et de la major Lévesque divergent.

[42] Selon la plaignante, la major Lévesque aurait répondu que la plaignante avait porté plainte contre elle au lieutenant-colonel Roy, et qu’elle avait « […] reçu ça comme un coup de poing dans la face ». Une description de cet échange a été consignée par écrit à trois reprises par la plaignante dans les semaines suivantes, soit dans son courriel du 12 mars 2019 adressé aux Ressources humaines, dans sa plainte de dotation et dans une plainte de harcèlement en milieu de travail contre la major Lévesque et l’ÉLFC en avril 2019.

[43] La major Lévesque, quant à elle, a dit avoir répondu que, malgré leurs différends dans le passé, la candidature de la plaignante serait traitée comme les autres. Elle a reconnu avoir fait un commentaire relativement à un coup de poing au visage, mais elle a indiqué que le commentaire n’avait pas été fait en réponse à la question de la plaignante au sujet de sa candidature. Le commentaire aurait plutôt été fait à un autre moment au cours de la même conversation, alors qu’elles discutaient du fait que la plaignante avait récemment porté plainte contre elle auprès du lieutenant-colonel Roy. Selon la major Lévesque, la référence au coup de poing était une façon de décrire sa surprise d’apprendre que la plaignante avait porté plainte contre elle alors qu’elle avait l’impression qu’elles avaient réglé leurs différends par le biais de conversations précédentes. La major Lévesque a indiqué que les différends du passé n’avaient pas eu d’impact sur l’évaluation de la candidature de la plaignante ou son choix de la personne nommée. En décembre 2019, la major Lévesque a consigné par écrit sa description de cet échange dans un courriel qu’elle s’est envoyé.

[44] En contre-interrogatoire à ce sujet, la plaignante a reconnu que la major Lévesque avait exprimé sa croyance qu’elles avaient réglé leurs différends et sa surprise que la plaignante avait formulé une plainte contre elle. Toutefois, selon la plaignante, l’échange en question n’a pas eu lieu le 5 mars 2019, mais plutôt dans le contexte d’une conversation précédente, après que la major Lévesque avait appris que la plaignante avait discuté de leur relation de travail tendue avec l’adjudant-maître Beauchemin.

[45] Peu après avoir déposé sa plainte auprès de la Commission, la plaignante a également déposé une plainte de harcèlement contre la major Lévesque et l’ÉLFC en lien avec des événements qui ont eu lieu entre octobre 2017 et avril 2019. La plainte fait état de plusieurs des incidents relatés ci-dessus. La Commission a refusé d’admettre le rapport d’enquête relativement à la plainte de harcèlement en preuve.

[46] À ce survol de la relation entre la plaignante et la gestionnaire déléguée s’ajoute le témoignage du capitaine Brett Jones. En 2018, le capitaine Jones se rapportait directement à la major Lévesque et était le coordonnateur des cours de formation des professeurs de langue. Il n’a pas été impliqué dans le processus de nomination, mais il aurait été présent lors de conversations dans le cadre desquelles la major Lévesque ou d’autres hauts dirigeants de l’ÉLFC ont discuté du processus et de la candidature de la plaignante.

[47] Le témoignage du capitaine Jones est du ouï-dire. La Commission a accepté d’admettre son témoignage en preuve, sujet aux arguments de l’intimé quant au poids devant y être accordé.

[48] Il a décrit quatre conversations qu’il aurait entendues. Trois des conversations auraient eu lieu à la table de la salle à manger pendant le dîner. La table de la salle à manger était située à proximité de son bureau. Il n’est pas clair s’il était assis à la table de la salle à manger ou dans son bureau lorsqu’il a entendu ces trois conversations. La quatrième conversation aurait eu lieu dans le contexte d’une réunion à laquelle il participait.

[49] La première conversation aurait eu lieu pendant le dîner en début novembre 2018, soit pendant les premières étapes du processus de nomination. Deux employées de la Compagnie (les « deux employées ») auraient exprimé des préoccupations relativement à la possibilité que la plaignante soit nommée au poste, indiquant qu’elles ne voulaient pas que la plaignante soit nommée. En réponse, la major Lévesque aurait indiqué être du même avis. Elle aurait ajouté que la plaignante n’obtiendrait pas le poste.

[50] Après que les candidats au processus eurent complété l’examen écrit, le capitaine Jones a entendu une discussion à la table de la salle à dîner entre la major Lévesque et la personne nommée. Elles discutaient de l’examen écrit. La personne nommée expliquait que sa réponse avait dépassé le nombre maximal de mots permis à l’examen. La major Lévesque aurait dit à la personne nommée qu’il importait peu qu’elle avait dépassé le nombre maximal de mots. Sa réponse serait tout de même maintenue et prise en compte.

[51] Le capitaine Jones était également présent lors d’une conversation qui a eu lieu à la table de la salle à manger après la tenue de l’examen « in-basket », soit en décembre 2018. Il a entendu la personne nommée parler de l’examen en présence de la major Lévesque. Cette dernière lui aurait répondu qu’elles pourraient en parler plus tard la même journée ou la journée d’ensuite. Le capitaine Jones a reconnu qu’il ne savait pas si une telle conversation avait bel et bien eu lieu par la suite.

[52] Lors d’une réunion en janvier 2019 à laquelle la major Lévesque, le capitaine Jones et les deux employées étaient présents, les employées auraient, encore une fois, exprimé des inquiétudes selon lesquelles la plaignante serait nommée au poste étant donné qu’elle avait réussi l’examen écrit, l’entrevue et l’examen « in‑basket ». En guise de réponse, la major Lévesque aurait indiqué que la plaignante n’obtiendrait pas le poste.

[53] Plusieurs semaines plus tard, et après la nomination de la personne nommée, le capitaine Jones a assisté à une réunion à laquelle étaient présents le lieutenant‑colonel Roy et l’adjudant-maître Beauchemin. La major Lévesque n’était pas présente. Lors de cette réunion, une discussion a eu lieu au sujet de la plainte de dotation déposée par la plaignante. Le lieutenant-colonel Roy aurait alors fait un commentaire désobligeant au sujet de la plaignante en raison du fait qu’elle avait porté plainte. L’adjudant‑maître Beauchemin aurait, quant à lui, indiqué à tous présents qu’ils ne devaient pas parler à la plaignante.

[54] Le capitaine Jones n’a pas informé la plaignante de ce qu’il avait entendu à son sujet et au sujet du processus, et ce, jusqu’à une date bien après la fin du processus de nomination. Il n’avait pas voulu s’impliquer à l’époque ou informer la plaignante de ce qui avait été dit à son sujet. Selon lui, il y avait beaucoup de drame en milieu de travail en lien avec le processus et il ne voulait pas s’impliquer. Il craignait des représailles de la part de ses supérieurs parce que, selon lui, c’était connu que les hauts dirigeants de l’ÉLFC n’aimaient pas la plaignante.

[55] Le lieutenant-colonel Roy, l’adjudant-maître Beauchemin et les deux employées n’ont pas témoigné.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la plaignante

[56] La plaignante soutient que le processus de nomination est entaché de crainte raisonnable de partialité, ce qui constitue un abus de pouvoir en vertu de la LEFP. Elle s’appuie sur les décisions Amirault c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2012 TDFP 6 et Denny c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 29.

[57] Selon la plaignante, elle n’a jamais été véritablement considérée pour le poste. La gestionnaire déléguée avait la responsabilité ultime du choix de la personne nommée au poste. Elle ne pouvait pas être objective dans son évaluation de la candidature de la plaignante. Elles avaient une relation conflictuelle. Plusieurs incidents conflictuels étaient survenus entre elles pendant la courte période pendant laquelle elles ont travaillé ensemble. Ces incidents ont mené au dépôt de plaintes informelles contre la gestionnaire déléguée, peu avant la fin du processus de nomination. Après le processus de nomination, la plaignante a déposé une plainte de dotation et une plainte formelle de harcèlement contre la gestionnaire et l’ÉLFC. La gestionnaire déléguée savait que la plaignante avait récemment porté plainte contre elle, et a exprimé une frustration à ce sujet quelques jours avant la nomination de la personne nommée. De plus, une preuve par ouï-dire non contredite et crédible a démontré que la gestionnaire déléguée avait, à plusieurs reprises, exprimé son intention de s’assurer que la plaignante ne soit pas nommée au poste.

[58] La plaignante a exprimé ses préoccupations quant au processus dans une lettre adressée à une conseillère en dotation au cours du processus. Tous les membres du comité d’évaluation, le plus haut dirigeant de l’ÉLFC et son supérieur étaient en copie et ont ainsi été avisés d’un vice de procédure important. Aucune action n’a été prise. L’intimé n’a pris aucune démarche pour éliminer la crainte raisonnable de partialité à l’égard de la plaignante. Il a laissé le processus suivre son cours, ayant pour résultat un processus qui a défavorisé la plaignante.

[59] La plaignante soutient également que le processus est vicié en raison du fait que la qualification essentielle d’études ne correspond pas aux normes de qualifications du groupe ED établies par le Conseil du Trésor. Selon elle, le ou la titulaire d’un poste ED-EDS-04 doit être en mesure de porter un regard critique sur de nouvelles approches pédagogiques et prodiguer des conseils à ses subalternes en ce qui a trait aux stratégies pédagogiques à utiliser. La personne nommée détient un baccalauréat qui n’a rien à voir à l’éducation, soit un baccalauréat en sciences spatiales. Selon la plaignante, il est impossible d’accepter de telles études comme faisant partie d’un agencement acceptable d’études et d’expérience.

[60] Les mesures correctives recherchées par la plaignante incluent une déclaration d’abus de pouvoir, une ordonnance de révocation de la nomination et une ordonnance de dommages.

B. Pour l’intimé

[61] L’intimé soutient que la plaignante ne s’est pas acquittée de son fardeau de la preuve. Elle n’a pas présenté une preuve suffisante et convaincante pouvant appuyer une conclusion de crainte raisonnable de partialité ou d’abus de pouvoir dans la nomination de la personne nommée (voir, entre autres, Lavigne c. Canada (Sous-ministre de la Justice), 2009 CF 684; Jolin c. Administrateur général de Service Canada, 2007 TDFP 11; Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8).

[62] La LEFP reconnaît à un administrateur général un large pouvoir discrétionnaire dans le choix de la personne nommée à la lumière des critères de mérite (voir Rajotte c. le président de l’Agence des services frontaliers du Canada, 2009 TDFP 25; Visca c. Sous-ministre de la Justice, 2007 TDFP 24). Dans le présent cas, la gestionnaire déléguée a exercé ce pouvoir discrétionnaire en choisissant la personne nommée après s’être assurée que celle-ci satisfaisait aux critères de mérite.

[63] Les qualifications essentielles du poste ont été choisies avec soin et approuvées par un comité composé de cinq personnes. Le critère de mérite en matière d’études a été élaboré à la lumière de la nature des tâches à accomplir par le ou la titulaire du poste et de façon à tenir compte des besoins opérationnels de la Compagnie et du détachement, c’est-à-dire un besoin axé davantage sur l’expérience en gestion et supervision que sur un parcours éducatif en pédagogie ou en linguistique. La personne nommée satisfaisait à ce critère de mérite, plus précisément l’agencement d’études et d’expérience en gestion et supervision dans le domaine de l’apprentissage ou de la formation.

[64] Les outils d’évaluation et les notes de passage ont été élaborés et sélectionnés par le comité dans son ensemble et appliqués uniformément à tous les candidats. Aucun candidat n’a été avantagé ou désavantagé. Les candidatures de la plaignante et de la personne nommée ont été évaluées de la même façon, par les mêmes personnes et à l’aide des mêmes outils que l’ensemble des candidats ayant postulé pour le poste à Asticou. Aucune des évaluations n’a été faite uniquement par la gestionnaire déléguée. La participation du major Gillies et des deux autres membres du comité d’évaluation (le capitaine de corvette Martindale et Mme Kucharski) sert à réduire toute crainte de partialité à l’égard de la plaignante. La plaignante et la personne nommée ont été trouvées qualifiées et placées dans un bassin.

[65] La gestionnaire déléguée a offert le poste à la personne nommée en raison de son expérience en matière de gestion et supervision, le critère déterminant sélectionné par la gestionnaire déléguée en raison des besoins opérationnels. La personne nommée était la candidate dans le bassin qui possédait la plus vaste expérience en gestion et supervision. Le choix de sa candidature s’inscrivait dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire considérable accordé aux gestionnaires délégués en vertu de la LEFP (voir le par. 30(2) de la LEFP et Visca, au par. 42). Le fait que la plaignante ne soit pas d’accord avec ce choix ne suffit pas pour conclure à un abus de pouvoir (voir Broughton c. Sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux, 2007 TDFP 20).

[66] L’intimé soutient que la plaignante n’a pas présenté de preuve pouvant porter une personne raisonnable, qui étudierait la question de façon réaliste et pratique, à croire que les gestes de la gestionnaire déléguée étaient biaisés en faveur de la personne nommée ou contre la plaignante (voir Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394; Appleby c. Administrateur général de la Gendarmerie royale du Canada, 2021 CRTESPF 142, au par. 58). La gestionnaire déléguée a reconnu qu’il y avait eu des conflits entre elle et la plaignante, mais croyait que les conflits avaient été réglés par le biais de discussions entre elles et qu’ils étaient chose du passé. Elle a rassuré la plaignante que, malgré leurs différends, sa candidature serait évaluée équitablement. Au moment de la nomination, la plaignante n’avait pas encore déposé sa plainte formelle de harcèlement à l’encontre de la gestionnaire déléguée. L’intimé s’appuie sur Lesage c. Sous-ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités, 2021 CRTESPF 97, un cas où la gestionnaire déléguée n’était pas au courant de la prétendue source de conflit entre elle et la plaignante.

[67] Toute crainte raisonnable de partialité a également été réduite, sinon éliminée, du fait que la gestionnaire déléguée avait en premier lieu offert le poste à une tierce personne, a pu fournir une explication pour ses propos adressés à la plaignante quant à la façon que la candidature de celle-ci serait évaluée et a consulté son supérieur et d’autres membres du comité de sélection avant de procéder à la nomination de la personne nommée. L’issue de la plainte, et plus particulièrement de l’allégation de crainte raisonnable de partialité, porte ultimement – selon l’intimé – sur la crédibilité de la gestionnaire déléguée en comparaison à celle de la plaignante.

IV. Analyse

[68] Lors de l’audience, la plaignante a retiré plusieurs allégations qu’elle avait formulées dans sa plainte. Les allégations dont est toujours saisie la Commission portent sur deux thèmes : une crainte raisonnable de partialité dans l’évaluation de la candidature de la plaignante et un abus de pouvoir dans l’application du mérite, soit un abus de pouvoir dans le choix d’un critère de mérite et en nommant une personne qui ne satisfaisait pas aux qualifications essentielles du poste.

[69] Dans sa plaidoirie, la plaignante a mis l’accent sur le premier de ces thèmes, et ce, avec raison. J’estime qu’il existe une crainte raisonnable de partialité dans le présent cas, mais que rien n’indique un abus de pouvoir dans l’élaboration des critères de mérite ou dans l’application du mérite. Pour cette raison, les présents motifs vont s’attarder davantage à la question de partialité qu’à l’allégation d’abus de pouvoir dans l’application du mérite.

[70] Une allégation d’abus de pouvoir est une question très grave qui ne doit pas être prise à la légère. Pour obtenir gain de cause, la plaignante doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu un acte répréhensible grave ou une faute majeure dans le processus (voir Tibbs). La notion d’abus de pouvoir vise les actes incompatibles avec l’intention du législateur lorsqu’il a délégué à l’intimé son pouvoir discrétionnaire en matière de dotation (voir Davidson c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 226).

[71] J’examinerai chacune des allégations de la plaignante à la lumière de la notion d’abus de pouvoir, tel qu’il est étayé dans la jurisprudence de la Commission et du Tribunal de la dotation de la fonction publique (le « Tribunal »).

A. Allégation de crainte raisonnable de partialité

[72] Dans Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394, la Cour suprême du Canada a décrit une crainte raisonnable de partialité comme suit :

[…] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique […]

 

[73] Il n’est pas nécessaire de prouver que l’intimé avait réellement un parti pris contre la plaignante (voir Amirault, au par. 57). La Commission doit déterminer si un observateur relativement bien renseigné pourrait raisonnablement percevoir de la partialité chez l’intimé (voir Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623). Si oui, la Commission peut conclure à l’existence d’un abus de pouvoir. Comme l’a précisé le Tribunal dans Gignac c. Sous-ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 2010 TDFP 10, au par. 72, il ne suffit pas de soupçonner ou de supposer qu’il y a eu partialité. Celle-ci droit être réelle, probable ou raisonnablement évidente.

[74] J’estime qu’un observateur relativement bien renseigné qui est au courant de l’ensemble des circonstances de cette affaire pourrait raisonnablement percevoir de la partialité – consciente ou non – de la part de l’intimé à l’égard de la candidature de la plaignante. Il ne s’agit pas ici d’une situation où un plaignant avance des allégations de crainte raisonnable de partialité sans les appuyer par des témoignages et des documents. Les allégations sont nombreuses et sont appuyées par les témoignages de la plaignante et du capitaine Jones, ainsi que par des documents rédigés par la plaignante à l’époque.

[75] L’intimé a fait valoir que l’issue de la plainte porterait en grande partie sur la crédibilité de la plaignante et de la gestionnaire déléguée.

[76] La plaignante a témoigné longuement au sujet de la relation conflictuelle entre elle et la gestionnaire déléguée, faisant état de divers conflits et désaccords ayant eu lieu entre elles avant et pendant le processus de nomination. Sa description des événements était claire, détaillée et précise. Une description de cette relation conflictuelle a également été consignée par écrit par la plaignante dans un courriel envoyé à l’intimé avant qu’une nomination soit effectuée. Le témoignage du capitaine Jones vient appuyer la description de la plaignante d’un environnement de travail où il régnait des conflits et où la plaignante n’était pas appréciée par les hauts dirigeants de l’ÉLFC et la gestionnaire déléguée.

[77] Le témoignage de la gestionnaire déléguée était peu précis et ses réponses parfois vagues. Tel qu’il est décrit plus loin, son témoignage comportait de vagues énoncés ou descriptions d’événements qui n’étaient pas appuyés d’exemples ou de descriptions. Ses souvenirs des événements étaient parfois flous. Je ne remets pas en question la véracité de son témoignage. Toutefois, somme toute, j’estime que le récit de la plaignante est compatible avec les probabilités qui caractérisent les faits de l’espèce (voir Faryna v. Chorny, 1951 CanLII 252 (C.A.C.-B.).

[78] Faisant abstraction de la question de la crédibilité, il est manifeste que la plaignante et la gestionnaire déléguée avaient une relation conflictuelle. L’intimé était au courant de cela. Les relations tendues entre elles ont fait l’objet de deux discussions entre la plaignante et de hauts dirigeants de l’ÉLFC. La plaignante avait porté plainte contre la gestionnaire déléguée. Elle avait écrit également à l’intimé pour communiquer ses préoccupations quant au processus de nomination, notamment en raison de la relation conflictuelle entre elle et la gestionnaire déléguée.

[79] La gestionnaire déléguée a reconnu qu’elle et la plaignante avaient eu plusieurs conflits dans les mois avant la nomination. À une exception près, elle n’a pas tenté de contredire ou de nuancer la description des incidents de conflits offerte par la plaignante.

[80] La gestionnaire déléguée a reconnu qu’alors que le processus de nomination était en cours, elle avait connaissance du fait que la plaignante avait porté plainte contre elle à la haute gestion, soit la plainte portée à l’attention du lieutenant‑colonel Roy. Il n’est pas clair si l’adjudant-maître Beauchemin avait informé la major Lévesque de la plainte que la plaignante avait portée à son attention. Cette connaissance qu’avait la gestionnaire déléguée d’une plainte portée contre elle m’apporte à distinguer Lesage.

[81] Dans Lesage, la Commission avait conclu à l’absence d’une crainte raisonnable de partialité en présence d’une preuve d’une relation conflictuelle entre une plaignante et un membre du comité d’évaluation. Toutefois, la conclusion de la Commission s’appuyait, entre autres, sur le fait que le membre du comité d’évaluation ignorait qu’une plainte ou un grief avait été déposé contre elle. Tel n’est pas le cas dans la présente affaire. La gestionnaire déléguée avait connaissance d’au moins une des plaintes portées contre elle alors qu’elle effectuait le choix de la personne nommée. Elle avait également reçu une copie d’un courriel de la plaignante du 12 mars 2019 adressé aux Ressources humaines et faisant état d’allégations de partialité à son égard.

[82] La gestionnaire déléguée a témoigné que, selon elle, ses conflits avec la plaignante étaient chose du passé et leurs désaccords, réglés. Elle a indiqué avoir eu des conversations avec la plaignante qui auraient servi à résoudre les conflits entre elles. Toutefois, son témoignage à ce sujet était vague. Elle n’a offert aucun exemple concret d’efforts en vue de résoudre leurs désaccords. Elle n’a offert aucun indice ou exemple pouvant indiquer à la Commission que la relation entre elles s’était véritablement améliorée. En fait, l’ensemble de son témoignage relativement à sa relation avec la plaignante était très peu précis. Le passage du temps ne peut, à lui seul, expliquer ce manque de précision.

[83] À cette preuve s’ajoute la preuve par ouï-dire du capitaine Jones.

[84] En vertu de l’alinéa 20e) de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365), la Commission peut accepter des éléments de preuve, qu’ils soient admissibles ou non devant un tribunal judiciaire. Je ne suis pas tenue d’accepter une preuve par ouï-dire, mais je peux le faire lorsque j’estime qu’une telle preuve est fiable (voir Basra c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 24, au par. 21). Comme il a été indiqué précédemment, j’ai rejeté l’objection de l’intimé à cet égard, tout en l’invitant de faire valoir sa position quant au poids que la Commission devrait accorder à ce témoignage.

[85] Dans sa plaidoirie orale, l’intimé a indiqué que la Commission ne devrait accorder aucun poids au témoignage du capitaine Jones, suggérant que ce dernier était peu crédible parce qu’il avait lui-même eu des conflits avec la major Lévesque. Toutefois, aucune preuve de tels conflits n’a été présentée et l’intimé n’a aucunement tenté de contre-interroger le capitaine Jones à cet égard. Ainsi, mon évaluation de la crédibilité du capitaine Jones et du poids à être accordé à son témoignage s’appuie sur la clarté et la cohérence de son témoignage et sur la raison qu’il a fournie pour expliquer pourquoi il ne s’était pas prononcé alors que le processus de nomination était en cours.

[86] Le capitaine Jones a témoigné quant à plusieurs conversations qu’il aurait entendu alors que le processus de nomination était en cours. Il a fourni des dates approximatives, les noms des personnes présentes ainsi qu’une description détaillée des conversations. L’intimé aurait pu appeler comme témoins les employés et hauts dirigeants ayant participé aux conversations décrites par le capitaine Jones, mais il ne l’a pas fait. Il aurait également pu demander à la major Lévesque de réfuter le témoignage du capitaine Jones quant aux propos qui lui sont attribués. Il ne l’a pas fait. Il s’agit d’une stratégie en matière de litige qui est disponible à l’intimé et dont il s’est prévalu. Toutefois, cette stratégie a eu pour effet de laisser la preuve crédible et claire du capitaine Jones non contredite.

[87] Le capitaine Jones a indiqué qu’à l’époque, il craignait subir des représailles de la part des hauts dirigeants de l’ÉLFC s’il informait la plaignante de ce qui se disait à son sujet et au sujet de sa candidature. Sa description de l’environnement de travail à l’époque m’apporte à accepter que le capitaine Jones avait véritablement une crainte de subir des représailles s’il venait à la défense de la plaignante à l’époque. Il ne travaille plus à l’ÉLFC et n’a plus à craindre ces mesures de représailles.

[88] Dans son ensemble, le témoignage du capitaine Jones sert à appuyer la thèse de la plaignante selon laquelle un observateur bien renseigné pourrait raisonnablement croire que la candidature de la plaignante ne serait traitée équitablement dans le cadre du processus.

[89] La preuve du capitaine Jones révèle que le déroulement du processus de nomination se discutait ouvertement. La confidentialité n’était pas de mise. La gestionnaire déléguée discutait du processus et de la candidature de la plaignante avec des employés. Le témoignage du capitaine Jones décrit également un milieu de travail dans lequel la plaignante n’était pas appréciée par les hauts dirigeants, qui formulaient des commentaires peu flatteurs à l’égard de la plaignante.

[90] Pour conclure à une crainte raisonnable de partialité, il ne m’est pas nécessaire de conclure que l’intimé avait réellement un parti pris contre la plaignante. Je n’ai pas à conclure si la gestionnaire déléguée a véritablement dit que la plaignante ne serait pas nommée au poste ou s’il existait réellement une hostilité à l’égard de la plaignante au sein de la haute gestion de l’ÉLFC. Il suffit qu’une personne relativement bien renseignée puisse raisonnablement percevoir de la partialité chez l’intimé.

[91] À la lumière de la preuve non contredite quant à la relation conflictuelle entre la plaignante et la gestionnaire, des plaintes déposées contre la gestionnaire et de sa connaissance d’au moins une de ces plaintes au cours du processus, ainsi que de la preuve du capitaine Jones quant à des commentaires de la part de la gestionnaire selon lesquels la plaignante ne serait pas retenue pour le poste, j’estime qu’une personne relativement bien renseignée pourrait raisonnablement percevoir de la partialité – consciente ou non – de la part de l’intimé à l’égard de la candidature de la plaignante.

[92] Cette crainte raisonnable de partialité constitue un abus de pouvoir.

[93] Avant de conclure à ce sujet, j’aborderai l’argument de l’intimé selon lequel la participation du capitaine de corvette Martindale et Mme Kucharski au processus a eu pour effet de réduire ou éliminer toute crainte raisonnable de partialité dans l’évaluation de la candidature de la plaignante. Même si la participation de tierces personnes à l’évaluation peut, dans une certaine mesure et dans certaines circonstances, réduire une crainte de partialité dans l’évaluation d’une candidature, cette participation n’a pas pour effet de dissiper une crainte raisonnable de partialité dans le choix de la personne à être nommée parmi les candidats dans un bassin. Bien qu’elle ait consulté de tierces parties quant au critère d’expérience en gestion qui allait guider son choix, la gestionnaire déléguée était seule à prendre la décision quant à la personne qui serait nommée au poste. Personne d’autre n’a été impliqué, et ce, malgré que l’intimé avait connaissance des préoccupations de la plaignante et des conflits entre elle et la gestionnaire déléguée. Un observateur bien renseigné pourrait raisonnablement croire que la candidature de la plaignante n’a pas été traitée équitablement le temps venu d’effectuer le choix de la personne à être nommée au poste.

[94] L’intimé soutient également que la participation du major Gillies a eu pour effet de réduire ou d’éliminer toute crainte raisonnable de partialité. Toutefois, il n’a pas été impliqué dans l’évaluation des candidats pour le poste en question ou dans le choix de la personne nommée. Rien n’indique qu’il a été consulté par la gestionnaire déléguée avant la prise de décision. Son rôle dans le déroulement du processus en ce qui a trait au poste à Asticou était minime. Outre une implication dans l’approbation des critères de mérite et dans la prise de décision voulant modifier le nombre maximal de mots permis à l’examen écrit, il n’a pas été impliqué dans le processus pour le poste à Asticou après l’étape de la présélection. Sa participation au processus n’a pas pour effet de diminuer la crainte raisonnable de partialité à l’égard de la candidature de la plaignante.

B. Allégation d’abus de pouvoir dans l’élaboration des critères de mérite et dans l’application du mérite

[95] La plaignante soutient qu’il y a également eu abus de pouvoir dans l’élaboration des critères de mérite et dans l’application du mérite relativement à la candidature de la personne nommée.

[96] L’argument de la plaignante repose en grande partie sur son opinion selon laquelle le poste de gestionnaire programmes de langues senior requiert un baccalauréat avec une spécialisation en éducation, en linguistique ou dans une spécialité liée au groupe EDS. Elle affirme que le choix d’une qualification essentielle relative aux études qui permet qu’une « spécialisation » puisse être constituée d’un agencement de n’importe quel baccalauréat et de l’expérience en gestion ou supervision comme l’a fait l’intimé dans ce processus a pour effet de réduire de façon inacceptable les qualifications essentielles du poste. Elle prétend également que l’intimé ne pouvait raisonnablement conclure que la personne nommée satisfaisait à l’agencement en question, du fait que le baccalauréat qu’elle détenait en était un en sciences spatiales, ce qui n’a rien à voir à l’éducation ou la linguistique.

[97] La LEFP donne à l’intimé, comme à tous les administrateurs généraux, le pouvoir d’établir les critères de mérite. Les qualifications essentielles doivent être liées au travail à accomplir et doivent respecter les normes de qualification applicables établies par l’employeur, ce qui inclut les normes en matière d’instruction (l’al. 30(2)a) et le par. 31(2) de la LEFP).

[98] Le critère d’études contesté dans le présent cas respecte la norme de qualification pour le poste en question, comme établi par le Secrétariat du Conseil du Trésor. Cette norme reconnaît un agencement d’un grade non lié à la pédagogie, combiné à l’expérience. La plaignante ne conteste pas cela, mais elle affirme tout de même qu’un poste comme celui de gestionnaire programmes de langues senior requiert un baccalauréat avec une spécialisation en éducation, en linguistique ou dans une spécialité liée au groupe EDS. Bien que la plaignante puisse être en désaccord avec la norme et, par conséquent, avec le choix de la qualification essentielle en matière d’études, un désaccord ne donne pas lieu à une conclusion d’abus de pouvoir.

[99] Les qualifications essentielles du poste ont été choisies par un comité composé de cinq personnes. Les majors Lévesque et Gillies ont expliqué que le critère de mérite en matière d’études avait été élaboré à la lumière de la nature des tâches à accomplir par le ou la titulaire du poste et d’un besoin opérationnel axé davantage sur l’expérience en gestion et supervision que sur un parcours éducatif en matière de pédagogie ou en linguistique. La plaignante n’a pas contredit la nature des tâches à accomplir par le ou la titulaire du poste, ni l’importance de l’expérience en gestion et supervision dans un milieu d’enseignement.

[100] Tout indique que le critère d’études a été élaboré pour répondre aux exigences du postes et aux besoins opérationnels. Bien que la plaignante puisse être en désaccord avec l’explication de l’intimé quant à l’importance relative d’études en éducation par rapport à un baccalauréat accompagné d’une expérience en gestion dans un milieu d’enseignement, rien n’indique qu’il y a eu abus de pouvoir dans le choix du critère relatif aux études.

[101] La plaignante affirme également que l’évaluation de la candidature de la personne nommée est entachée d’abus de pouvoir en raison du fait que la personne nommée ne satisfaisait pas aux qualifications essentielles du poste.

[102] Qu’en est-il de l’évaluation de la candidature de la personne nommée?

[103] L’intimé a conclu que la personne nommée satisfaisait aux qualifications essentielles. La plaignante ne conteste pas le fait que la personne nommée avait plusieurs années d’expérience en matière de gestion dans un milieu d’enseignement. Elle ne conteste également pas le fait que la personne nommée détenait un baccalauréat. La plaignante affirme toutefois que la personne nommée ne satisfaisait pas au critère relatif aux études en raison du fait que le baccalauréat que détenait la personne nommée était en sciences spatiales. Selon la plaignante, de telles études ne peuvent pas faire partie d’un agencement acceptable d’études et d’expérience.

[104] J’ai déjà conclu que rien n’indique qu’il y a eu abus de pouvoir dans le choix du critère relatif aux études, critère qui prévoyait un agencement acceptable d’études et d’expérience. Ce critère respecte la norme de qualification pour le poste en question. Il n’est pas contesté que la personne nommée détenait un baccalauréat et possédait plus de six mois d’expérience en supervision ou en gestion dans le domaine de l’apprentissage. Elle satisfaisait au critère relatif aux études au moment de sa nomination.

[105] J’ajouterais que la preuve démontre que les outils d’évaluation et les notes de passage ont été élaborés et sélectionnés par le comité de sélection. Rien ne suggère que les outils et les notes de passage n’ont pas été appliqués uniformément à tous les candidats. Les candidatures de la plaignante et de la personne nommée ont été évaluées par les mêmes personnes et à l’aide des mêmes outils que l’ensemble des candidats qui ont postulé pour le poste à Asticou. Aucune des évaluations n’a été faite uniquement par la gestionnaire déléguée. La plaignante et la personne nommée ont été trouvées qualifiées et placées dans un bassin.

[106] Le critère déterminant dans le choix de la personne nommée était l’expérience en gestion, ce qui est cohérent avec la nature du poste et des discussions initiales au sein du comité quant à la formulation des critères de mérite. La personne nommée possédait le plus d’expérience en gestion parmi les candidats dans le bassin. La plaignante n’a pas contesté cela.

[107] La plaignante n’a pas démontré, selon une prépondérance des probabilités, qu’il y avait eu abus de pouvoir dans l’élaboration des critères de mérite et dans l’application du mérite.

C. Mesures correctives

[108] Quelles mesures correctives s’imposent lorsque la Commission conclut à une crainte raisonnable de partialité à l’égard de la plaignante, mais conclut également qu’il n’y a pas eu d’abus de pouvoir dans l’application du mérite en ce qui a trait à la candidature de la personne nommée?

[109] Les mesures correctives recherchées par la plaignante incluent une déclaration d’abus de pouvoir, une ordonnance de révocation de la nomination et une ordonnance de dommages. J’estime qu’il y a lieu d’émettre une déclaration d’abus de pouvoir, mais qu’en est-il des deux autres mesures recherchées?

[110] Selon la plaignante, si la LEFP est pour avoir un effet réellement contraignant et inciter les administrateurs généraux qui y sont assujettis à se conformer aux exigences de la loi, la Commission devrait toujours – lorsqu’elle conclut qu’il y a eu abus de pouvoir – assortir sa déclaration d’abus de pouvoir d’une ordonnance de révocation de la nomination. Aucune exception ne devrait être faite pour les circonstances dans lesquelles la personne nommée satisfaisait aux critères de mérite. Elle soutient également que, si la Commission conclut à l’existence d’un abus de pouvoir, elle devrait lui accorder des dommages. Elle s’appuie sur Tipple c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 158, une décision de la Cour d’appel fédérale en révision judiciaire d’une décision de la Commission rendue en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (maintenant la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; LRTSPF). Selon elle, si la Commission a un pouvoir inhérent d’accorder des dommages pour remédier à un abus de procédure en relations de travail, il est logique de croire qu’elle bénéficie du même pouvoir pour remédier à un abus de pouvoir en matière de dotation.

[111] La plaignante n’a cité aucune jurisprudence pouvant appuyer sa suggestion qu’une ordonnance de révocation doit découler qu’une conclusion à savoir qu’il y a eu abus de pouvoir. Elle n’a également pas été en mesure d’identifier une décision de la Commission accordant des dommages pécuniaires, punitifs ou exemplaires en matière de dotation.

[112] La Commission est un tribunal statutaire. Elle tire ses pouvoirs de sa loi habilitante et des lois connexes qui font partie de son mandat statutaire. La LEFP en est une.

[113] En vertu de l’art. 81 de la LEFP, dès que la Commission juge une plainte fondée, elle « peut » ordonner à l’administrateur général de révoquer la nomination. La LEFP n’oblige aucunement la Commission d’ordonner la révocation d’une nomination lorsqu’elle conclut à un abus de pouvoir. Il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire. En demandant à la Commission de conclure qu’une ordonnance de révocation doit toujours être émise lorsqu’elle conclut à un abus de pouvoir, la plaignante demande à la Commission de faire fi du libellé de l’art. 81 de la LEFP et du pouvoir discrétionnaire dont bénéficient les membres de la Commission dans l’exercice de leur pouvoir décisionnel. Ordonner une mesure de réparation est un exercice discrétionnaire qui est intimement lié aux faits de chaque instance portée devant la Commission.

[114] Les décisions Amirault et Denny sont citées par la plaignante en appui à sa demande pour une ordonnance de révocation de la nomination de la personne nommée. Dans Amirault, le Tribunal a révoqué une nomination après avoir conclu qu’il existait une crainte raisonnable de partialité en raison de l’existence d’une relation d’affaires entre un membre du comité d’évaluation et le candidat retenu. S’ajoutait à cette crainte raisonnable de partialité un constat selon lequel l’évaluation des qualifications pour lesquelles le plaignant n’avait pas obtenu la note de passage était subjective, laissant au comité d’évaluation de nombreuses possibilités d’influencer les résultats obtenus par le plaignant. Dans Denny, le Tribunal a ordonné la révocation de nominations dans un contexte où il y avait crainte raisonnable de partialité et des lacunes importantes relativement à une des mesures d’évaluation de l’ensemble des candidats.

[115] Chaque cas est un cas d’espèce devant être examiné à la lumière de ses faits particuliers. Je dois décider s’il y a lieu de révoquer la nomination de la personne nommée à la lumière des faits qui ont été établis en preuve dans le cadre de l’audience.

[116] Dans le présent cas, bien que j’aie conclu qu’il y a crainte raisonnable de partialité à l’égard de la plaignante, je ne suis pas persuadée que cela a pu influer sur l’issue du processus de nomination. Rien n’indique que la partialité à l’égard de la plaignante a entaché l’évaluation de sa candidature, c’est-à-dire les résultats qui lui ont été attribués à diverses étapes du processus de nomination. Les outils et les notes de passage ont été appliqués uniformément à tous. Aucune évaluation n’a été faite uniquement par la gestionnaire déléguée. La plaignante a été trouvée qualifiée pour le poste et placée dans un bassin à partir duquel elle a subséquemment été nommée à un autre poste.

[117] J’ai également conclu qu’il n’y a pas eu abus de pouvoir dans l’élaboration des critères de mérite, ni dans l’application du mérite. La personne nommée satisfaisait aux critères de mérite au moment de sa nomination et rien n’indique qu’elle aurait été avantagée dans le cadre de l’évaluation. Le critère déterminant pour le choix de la personne nommée à partir du bassin était la nature et l’étendue de son expérience en gestion. C’est en raison de son expérience en gestion que la personne nommée a été choisie, et non en raison des résultats obtenus par elle à l’une ou l’autre étape du processus de nomination, en comparaison aux résultats obtenus par la plaignante ou d’autres candidats.

[118] Le processus d’évaluation en cause ne comportait pas de graves lacunes comme celles identifiées par le Tribunal dans Amirault et Denny.

[119] Ordonner la révocation de la nomination de la personne nommée ne constitue pas une mesure appropriée dans les circonstances. La personne nommée satisfaisait aux critères de mérite et elle a été sélectionnée parce qu’elle était la candidate dans le bassin qui possédait la plus grande expérience en gestion et supervision.

[120] La plaignante demande également à la Commission de lui octroyer des dommages.

[121] Outre une demande imprécise pour des dommages visant à rembourser des pertes salariales, lorsque la plaignante a été invitée à préciser davantage la nature des dommages recherchés, elle a répondu qu’il revenait à la Commission d’identifier les dommages auxquels elle pourrait avoir droit.

[122] Il ressort de la plaidoirie de la plaignante qu’elle demande le versement de dommages punitifs et exemplaires, des dommages pouvant rendre, selon elle, la LEFP davantage contraignante et inciter les administrateurs généraux qui y sont assujettis à se conformer davantage aux exigences de la loi.

[123] La LEFP prévoit que, dans des circonstances précises, les mesures correctives ordonnées par la Commission peuvent inclure des indemnités. La Commission peut faire ainsi lorsqu’elle conclut à une violation de la Loi canadienne sur l’accessibilité (L.C. 2019, ch. 10) (voir le par. 81(3) de la LEFP et l’art. 102 de la LCA) ou de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6; LCDP) (voir le par. 81(2) de la LEFP et l’al. 52(2)e) et le par. 53(3) de la LCDP). Ces deux lois ne sont pas en cause dans le présent cas.

[124] Le paragraphe 81(1) de la LEFP exige que les mesures correctives ordonnées par la Commission cherchent à corriger le problème lié à la nomination ou au processus de nomination faisant l’objet de la plainte. La Commission n’a pas la compétence d’imposer une mesure corrective qui dépasse la portée du processus de nomination à l’origine de la plainte. La mesure corrective doit viser à remédier au défaut identifié dans le processus de nomination en cause. Elle ne peut pas chercher à corriger un défaut dans le cadre de processus de nomination passés ou futurs dont la Commission n’est pas saisie par une plainte formulée en vertu de la LEFP (voir Canada (Procureur général) c. Cameron, 2009 CF 618, au par. 18).

[125] En demandant à la Commission de reconnaître un droit à des dommages punitifs ou exemplaires pour rendre la LEFP davantage contraignante et inciter les administrateurs généraux à se conformer davantage aux exigences de la loi, la plaignante cherche à obtenir une mesure corrective qui va au-delà du processus de nomination qui a donné lieu à sa plainte. La Commission doit respecter son champ de compétence, ce qui inclut les pouvoirs réparateurs qui lui ont été accordés par le législateur. Elle doit également respecter le champ de compétence de la CFP, tel qu’il est reconnu dans la LEFP. En vertu de la LEFP, c’est à la CFP, et non à la Commission, que revient le rôle d’effectuer une surveillance globale de la dotation dans la fonction publique. Il revient également à la CFP le devoir de surveiller la façon dont un administrateur général exerce les pouvoirs qui lui sont délégués et de prendre les mesures qui s’imposent, le cas échéant (voir l’art. 15 de la LEFP et Cameron, au par. 30).

[126] La jurisprudence en dotation est unanime à savoir que la Commission n’a pas la compétence d’ordonner des dommages en vertu de la LEFP (voir, entre autres, Gignac, au par. 102; Pugh c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2007 TDFP 25, au par. 43; Rizqy c. Sous-ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 CRTESPF 12, au par. 59). La Commission ne peut également pas accorder à la plaignante une indemnité en raison de l’occasion d’emploi dont elle aurait pu été privée (voir De Santis c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2016 CRTEFP 34, au par. 53). Ces types de réparation vont au-delà de la compétence conférée par les articles 81 et 82 de la LEFP.

[127] Une modification législative serait requise pour accorder à la Commission un plus large pouvoir discrétionnaire en matière de réparation.

[128] La plaignante a demandé à la Commission de s’inspirer des pouvoirs réparateurs qui lui sont accordés en vertu de la LRTSPF pour conclure qu’elle possède implicitement les mêmes pouvoirs réparateurs en vertu de la LEFP. Or, la LEFP et la LRTSPF ont des objectifs différents et le rôle de la Commission dans chacun de ces régimes est différent. Les mesures correctives ordonnées par la Commission en vertu de la LEFP doivent respecter l’essence du préambule de la LEFP, le libellé des articles 81 et 82 ainsi que le rôle et le mandat législatif de la CFP.

[129] J’estime qu’une déclaration selon laquelle l’intimé a abusé son pouvoir constitue la seule mesure appropriée dans les circonstances. Une telle déclaration pourrait sembler insuffisante aux yeux d’une personne dont la candidature n’a pas été traitée de façon équitable dans le cadre du processus de nomination. Toutefois, la Commission n’a pas la compétence d’accorder les dommages que réclame la plaignante.

[130] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)

V. Ordonnance

[131] La plainte est accueillie.

[132] Je déclare qu’il y a eu abus de pouvoir, notamment une crainte raisonnable de partialité à l’égard de la candidature de la plaignante.

Le 13 avril 2023.

Amélie Lavictoire,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.