Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’agent négociateur a déposé une plainte alléguant que l’employeur s’était livré à une pratique déloyale de travail et avait contrevenu à l’article 56 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) lorsqu’il a modifié les conditions d’emploi d’un groupe de salariés en ne fixant plus leur taux de rémunération maximal à 79 % de celui d’un agent de police principal – la Commission a conclu que la modification des conditions d’emploi n’était pas conforme aux pratiques antérieures de gestion et qu’elle ne répondait pas aux attentes raisonnables des employés – la Commission a conclu que l’employeur avait enfreint la disposition sur le gel prévu par la loi – la Commission a également conclu que l’employeur s’était livré à une pratique déloyale de travail parce que la modification des conditions d’emploi était due à la formation d’une organisation syndicale.

Plainte accueillie.

Contenu de la décision

Date: 20230327

Dossier: 561-02-838

 

Référence: 2023 CRTESPF 30

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail dans

le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

ENTRE

 

SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE, SECTION LOCALE 104

plaignant

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(Gendarmerie royale du Canada)

 

défendeur

Répertorié

Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 104 c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada)

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : James R. Knopp, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Ella Henry, avocate

Pour le défendeur : Elizabeth Matheson, avocate

Affaire entendue par vidéoconférence,

du 16 au 20 mai et du 7 au 9 juin 2022.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Introduction et contexte de la plainte

[1] La Gendarmerie royale du Canada (GRC), qui est la police nationale du Canada, compte trois catégories d’employés. La première catégorie comprend les policiers, qui sont appelés membres réguliers au sein de la GRC. Il s’agit de policiers en uniforme, en civil ou sous couverture qui participent aux opérations quotidiennes de maintien de l’ordre. La GRC emploie également des fonctionnaires, principalement dans des fonctions administratives. Dans les années 1970, le Conseil du Trésor (CT ou le « défendeur ») a créé au sein de la GRC des postes de membres civils chargés qui prêtent appui aux opérations des membres réguliers sur le terrain. Le présent cas concerne ces deux dernières catégories.

[2] Les membres civils de la GRC jouent de nombreux rôles différents, tous liés à l’application de la loi. Il peut s’agir d’opérateurs des télécommunications, de préposés à l’écoute (écoute électronique) ou d’employés de laboratoire judiciaire (notamment pour l’enregistrement et l’analyse des empreintes digitales et de l’ADN). Sont également inclus le rôle d’analyse des armes à feu en laboratoire, à l’appui des enquêtes et des plaintes liées aux armes à feu, ainsi que le rôle de spécialiste des engins explosifs (les brigades de déminage). Certains des techniciens en technologie de l’information et des employés de soutien informatique de la GRC sont des membres civils. Les pilotes d’avion de la GRC sont des membres civils. Il est manifeste que certains postes de membres civils sont plus étroitement liés que d’autres aux opérations quotidiennes des membres réguliers sur le terrain.

[3] Dans la décision Syndicat canadien de la fonction publique c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2018 CRTESPF 17, qui a été modifiée par la décision Conseil du Trésor c. Syndicat canadien de la fonction publique, 2019 CRTESPF 96, le Syndicat canadien de la fonction publique a été accrédité comme agent négociateur de l’unité de négociation composée de tous les fonctionnaires des sous-groupes professionnels Monitorage des interceptions et Opérations des télécommunications faisant partie du groupe professionnel Soutien aux opérations policières, définis dans la Partie I de la Gazette du Canada du 9 mars 2019.

[4] Dans Syndicat canadien de la fonction publique c. Conseil du Trésor, 2022 CRTESPF 50, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») a déclaré que le Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 104 (SCFP ou le « plaignant »), successeur du Syndicat canadien de la fonction publique, était l’agent négociateur de l’unité de négociation.

[5] Le 5 mai 2017, le plaignant a présenté une plainte contre le CT pour violation d’un gel prévu par la loi et pratique déloyale de travail.

[6] Le SCFP représente les employés de la GRC dans les sous-groupes hautement spécialisés suivants :

· LES-TO : les « TO » sont les opérateurs des télécommunications (avant et après 2014), qui sont et ont toujours été des membres civils;

 

· PO-TCO : opérateurs des télécommunications (après 2014), qui sont des fonctionnaires et qui effectuent le même travail que les membres du sous‑groupe LES-TO;

 

· LES-IM : préposés à l’écoute (avant et après 2014), qui sont et ont toujours été des membres civils;

 

· PO-IMA : préposés à l’écoute (après 2014), qui sont des fonctionnaires et qui effectuent le même travail que les membres du sous-groupe LES-IM.

 

[7] Le préfixe « LES » des sous-groupes LES-TO et LES-IM signifie law enforcement support (soutien à l’application de la loi) et se rapporte à la nature du travail que ces employés font et ont toujours fait. Ces employés ont prêté serment en tant que membres civils.

[8] Comme l’indique leur titre, les TO, c’est-à-dire les telecoms operators (opérateurs des télécommunications), effectuent diverses tâches liées à l’application de la loi, notamment la prise de plaintes (y compris le traitement des appels au 911), le triage des plaintes et des situations d’urgence, la sensibilisation d’autres organismes gouvernementaux ou non gouvernementaux (en fonction de la nature de la situation), la répartition et l’affectation des ressources policières opérationnelles aux incidents et aux urgences, et la vérification des dossiers (y compris les immatriculations de véhicules, les permis de conduire, les casiers judiciaires et d’autres renseignements tirés de bases de données provinciales, nationales ou internationales). Ces fonctions sont directement liées aux fonctions et aux besoins immédiats des membres réguliers (en uniforme, en civil et sous couverture) au quotidien.

[9] La désignation « IM » signifie intercept monitors (préposés à l’écoute). Comme leur titre l’indique, les préposés à l’écoute sont chargés de surveiller et de transcrire les écoutes téléphoniques en cours (en français, en anglais ou dans toute autre langue souhaitée). Si nécessaire, les préposés à l’écoute transmettent également de l’information et du renseignement en temps réel aux membres réguliers durant leurs opérations de surveillance et d’infiltration et durant les perquisitions et arrestations. Les préposés à l’écoute prêtent leur appui à tous les niveaux d’opérations de la police : en uniforme, en civil et sous couverture.

[10] En 2014, dans le cadre d’un projet continu des « catégories de fonctionnaires », le CT a créé les deux nouveaux sous-groupes, PO-TCO et PO-IMA, dont le travail quotidien est identique à celui des sous-groupes existants LES-TO et LES-IM. Le préfixe « PO » indique que ces deux nouveaux sous-groupes offrent un appui direct aux opérations policières. Le fait que les personnes recrutées dans ces deux nouveaux sous-groupes sont des fonctionnaires est d’une importance fondamentale dans le présent cas. Elles ne sont pas assermentées et elles ne sont pas des membres civils.

[11] L’un des objectifs du projet des catégories de fonctionnaires est d’éliminer les postes de membres civils. Le CT a créé les sous-groupes PO en 2014 en prévision d’une disposition de « conversion ». En d’autres termes, à compter de la date de conversion, les employés assermentés en tant que membres civils seraient considérés comme des fonctionnaires, nommés en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; LEFP). Bien que des dates de conversion aient été fixées, celles-ci sont passées sans qu’ait lieu la conversion. Les sous-groupes LES sont toujours composés de membres civils.

[12] Lors de la création des postes parallèles de fonctionnaires en 2014, les membres civils des sous-groupes LES-TO et LES-IM ont exprimé un certain malaise, craignant une incidence sur leurs conditions d’emploi, notamment sur leur rémunération et leurs avantages sociaux. Le 29 avril 2014, la haute direction de la GRC leur a donné l’assurance suivante en réponse : [traduction] « Je précise que les membres civils actuels des groupes LES-TO et LES-IM ne sont pas touchés pour le moment. » Des messages ultérieurs ont confirmé qu’il n’y aurait aucune incidence jusqu’à ce que la conversion ait lieu.

[13] Lorsque les sous-groupes LES ont été créés en même temps que d’autres postes de membres civils dans les années 1970, le CT a accordé une attention particulière aux relations de travail étroites et quotidiennes entre membres des sous-groupes LES particuliers et les membres réguliers. Ainsi, la rémunération des membres civils LES a été étalonnée d’après celle des membres réguliers. Après quelques essais initiaux faisant intervenir des méthodes de régression linéaire pour estimer les taux de rémunération moyens, en 1989, le CT a officiellement fixé le taux de rémunération maximal des membres civils LES-TO à 79 % de la rémunération d’un gendarme supérieur (qui est un membre régulier). Quelques années plus tard, en 1992, le CT a fixé en bonne et du forme le taux de rémunération des membres civils LES-IM à cette même référence, soit 79 % du salaire d’un gendarme supérieur.

[14] Ainsi, à partir de 1989 dans le cas des LES-TO (et à partir de 1992 dans le cas des LES-IM), chaque fois que le CT annonçait des augmentations salariales pour les membres réguliers, les membres civils de ces deux sous-groupes spécialisés pouvaient compter sur une augmentation identique de leur taux de rémunération. Quel que soit le nouveau taux de rémunération d’un gendarme supérieur, ils obtiendraient 79 % de ce montant. Aucun autre sous-groupe de membres civils n’a jamais vu sa rémunération étalonnée d’après celle d’un membre régulier de cette manière.

[15] Les membres réguliers reçoivent ce que l’on appelle une « indemnité de service » en fonction de leur ancienneté. Le CT a tenu compte de l’étroite relation de travail de ces deux sous-groupes LES spécialisés avec les membres réguliers en leur versant également une indemnité de service. De cette manière également, les sous-groupes LES-TO et LES-IM se distinguent de tous les sous-groupes de membres civils.

[16] Avant 2017, la dernière augmentation salariale pour les membres réguliers a été annoncée en 2014. Comme d’habitude, les membres civils du groupe LES ont reçu le même taux d’augmentation que les membres réguliers, leur rémunération étant fixée à 79 % de la rémunération d’un gendarme supérieur.

[17] Après plusieurs années sans annonce d’augmentation salariale, l’on s’attendait à ce qu’une telle annonce soit faite au printemps 2017.

[18] Entre-temps, en décembre 2016 et en janvier et mars 2017, le SCFP a déposé des demandes d’accréditation pour négocier collectivement pour les sous-groupes LES et PO. Avant cela, le 4 janvier 2016, le commissaire de la GRC Bob Paulson (le « commissaire ») a annoncé qu’aucune augmentation salariale n’était prévue pour l’exercice 2015-2016, ajoutant ceci : [traduction] « […] cependant, toute éventuelle décision serait rétroactive au 1er janvier 2015. »

[19] Lorsque l’augmentation salariale a été annoncée, le 5 avril 2017, les sous‑groupes LES ont été étonnés de constater qu’ils avaient été expressément exclus de l’annonce du commissaire. L’un des membres civils TO a soulevé la question auprès de la haute direction de la GRC, demandant pourquoi la référence habituelle de 79 % n’avait pas été appliquée.

[20] Le sous-commissaire Dan Dubeau, dirigeant principal des ressources humaines (DPRH) de la GRC, a répondu directement à ce TO, déclarant que le CT avait approuvé une augmentation uniquement pour les membres réguliers, et qu’il n’avait pas approuvé d’augmentation salariale pour les TO, parce que ceux-ci faisaient alors l’objet d’une demande d’accréditation du SCFP qui souhaitait les représenter dans les processus de négociation collective futurs. Par conséquent, leurs conditions d’emploi étaient « gelées ».

[21] Le 21 avril 2017, le DPRH a publié un bulletin intitulé [traduction] « Mise à jour du régime de rémunération – Membres civils ». Sous le titre [traduction] « Sous-groupes Opérateurs des télécommunications (LES-TO) et préposés à l’écoute (LES-IM) », on trouve le texte suivant :

[Traduction]

 

Jusqu’en 2014, les sous-groupes LES-TO et LES-IM voyaient leurs taux de rémunération établis en fonction des taux de rémunération des membres réguliers, car il n’existait pas de groupe professionnel équivalent dans l’administration publique centrale.

Depuis 2014, et en prévision de la conversion, la rémunération de ces sous-groupes a été alignée sur celle du groupe du Soutien à l’application de la loi (PO) dans l’administration publique centrale […]

[…]

 

[22] Le SCFP a présenté une plainte de pratique déloyale de travail contraire aux alinéas 190(1)a) et g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; LRTFP), telle qu’elle était nommée à l’époque. Le 5 mai 2017, le SCFP a allégué ce qui suit :

[Traduction]

 

[…]

Le fait de modifier les conditions d’emploi après avoir été informé d’une demande d’accréditation constitue une violation de l’article 56. Parmi les conditions d’emploi figurent les attentes raisonnables des employés et une protection contre les mesures unilatérales de l’employeur. L’objectif de l’article 56 est de maintenir le statu quo en ce qui concerne les conditions d’emploi des salariés qu’un syndicat cherche à représenter.

[…]

 

[23] Le SCFP a également allégué ce qui suit : [traduction] « Le Conseil du Trésor a explicitement modifié les conditions d’emploi des travailleurs qui avaient récemment demandé la reconnaissance de leur syndicat. Cela équivaut à une violation délibérée et manifeste des alinéas 186(1)a) et b), du sous-alinéa 186(2)a)(i), de l’alinéa 186(2)c), et des alinéas 189(1)a) et b). »

[24] Le défendeur a nié les allégations au motif que le gel prévu par la loi empêchait toute modification des conditions d’emploi. Il a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

 

[…]

Jusqu’en 2014, les sous-groupes Opérateurs des télécommunications (LES-TO) et Préposés à l’écoute (LES-IM) du groupe Soutien à l’application de la loi (LES) voyaient leurs taux de rémunération établis en fonction des taux de rémunération des membres réguliers, car il n’existait pas de groupe professionnel équivalent dans l’administration publique centrale. Depuis 2014, et en prévision de la conversion, la rémunération de ces sous-groupes a été alignée sur celle du groupe du Soutien aux opérations policières (PO) dans l’administration publique centrale, en prévision de la nomination des membres civils en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, le 26 avril 2018. Le groupe PO comprend les sous-groupes PO-TCO et PO-IMA dont les fonctions sont identiques à celles des membres civils des sous-groupes LES-IM et LES-TO.

[…]

[25] La LRTFP était en vigueur lorsque la plainte a été présentée. Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et le titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et de la LRTFP pour qu’ils deviennent respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (LRTSPF).

[26] Le contenu de la plainte relative au gel et de la plainte de pratique déloyale de travail reste le même qu’avant les modifications législatives.

[27] Ces affaires ont été entendues au moyen d’une plateforme de vidéoconférence du 16 au 20 mai et du 7 au 9 juin 2022.

[28] Pour les motifs qui suivent, la plainte de pratique déloyale de travail et de violation d’un gel prévu par la loi est accueillie.

[29] En ce qui concerne la violation du gel prévu par la loi, la condition d’emploi en cause était l’étalonnage des salaires des LES-TO et des LES-IM à 79 % du salaire d’un gendarme supérieur. Cette condition concerne les augmentations de salaire et les augmentations salariales progressives, qui peuvent très certainement être incluses dans une convention collective. Cette condition existait le jour où la demande d’accréditation a été déposée, et le défendeur a modifié unilatéralement la condition d’emploi pendant la période de gel.

[30] En ce qui concerne la pratique déloyale de travail, le défendeur a fait preuve de discrimination à l’égard des sous-groupes LES-TO et LES-IM en ce qui concerne la condition d’emploi mentionnée dans le dernier paragraphe, en retenant l’augmentation de salaire qui leur était due parce qu’ils prenaient part à un processus d’adhésion à une organisation syndicale.

II. Déclarations des témoins et preuves documentaires

[31] Dennis Duggan, témoignant au nom du défendeur, a décrit sa longue carrière au CT, commencée en 1980 dans le domaine de la gestion stratégique et de l’analyse des politiques. Aujourd’hui à la retraite, il continue d’effectuer des travaux contractuels pour le CT sur des aspects de la négociation collective.

[32] M. Duggan a expliqué comment les taux de rémunération des membres réguliers étaient fixés avant 2016, lorsque les négociations collectives sont devenues une réalité. La GRC soumettait une proposition au Conseil du Trésor aux fins d’examen et d’analyse, puis une recommandation était adressée au président du CT, qui rendait ensuite la décision du CT.

[33] La décision du CT demeurait en vigueur jusqu’à ce que celui-ci décide de la modifier, de l’annuler ou de la limiter d’une manière ou d’une autre, mais là encore, ce processus se déroulait au moyen d’une présentation au CT. Ainsi, le salaire des employés qui ne participaient pas aux négociations collectives était fixé par la voie d’une présentation au CT.

[34] M. Duggan a décrit les trois catégories de fonctionnaires de la GRC comme suit :

1) Les membres nommés à un grade en vertu de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (L.R.C (1985), ch. R-10; la « Loi sur la GRC »). Il s’agit des membres réguliers et, aux fins de la rémunération, les grades concernés vont de celui de gendarme à celui de surintendant, en plus de celui de gendarme spécial.

 

2) Les membres civils nommés à un niveau en vertu de la Loi sur la GRC. Leur travail concerne notamment les télécommunications, l’écoute et les sciences judiciaires.

 

3) Les fonctionnaires nommés en vertu de la LEFP qui fournissent des services généraux et administratifs à la GRC.

 

[35] Lorsque le CT annonce des augmentations salariales pour la GRC, il est précisé que les augmentations s’appliquent aux membres réguliers au grade de surintendant et aux grades inférieurs, ainsi qu’aux gendarmes spéciaux. Le processus de détermination des taux de rémunération des membres réguliers non nommés à un grade est différent. Les taux de rémunération des membres civils sont comparés aux taux de rémunération de leurs groupes de référence dans le reste de l’administration publique centrale. La plupart des groupes de référence sont visés par des conventions collectives, de sorte que la majorité des membres civils reçoivent des augmentations de salaire lorsque les conventions collectives des groupes de référence de l’administration publique centrale sont signées. Dès lors, la GRC est informée des nouveaux taux de rémunération des membres civils et est autorisée à les faire appliquer. Ce processus, a témoigné M. Duggan, est en place depuis de nombreuses années.

[36] M. Duggan a décrit l’origine et l’évolution des sous-groupes LES-TO et LES-IM en se référant à des documents du CT. Dans les années 1970, lorsque les postes de membres civils ont été créés après une étude et des consultations approfondies, le CT a reconnu que le travail effectué par ces deux sous-groupes était très étroitement lié au travail quotidien des membres réguliers. Il a également été noté qu’il n’y avait pas de groupe de comparaison dans l’administration publique centrale, de sorte que le modèle qui s’appliquait au reste des membres civils de la GRC ne pouvait pas s’appliquer à ces deux sous-groupes. Ainsi, les taux de rémunération de ces sous‑groupes étaient liés, d’une certaine manière, à la rémunération des membres réguliers.

[37] Tout d’abord, un modèle de régression linéaire à multiples facettes a été utilisé pour obtenir un taux de rémunération moyen qui a servi de référence pour fixer les augmentations de taux de rémunération de ces membres civils spécialisés. Le modèle de régression linéaire s’est avéré être une méthode compliquée et non satisfaisante pour diverses raisons, et le CT a finalement décidé, en 1989 pour le sous-groupe LES‑TO, et plus tard, en 1992, pour le sous-groupe LES-IM, d’abandonner ce modèle. Pour simplifier les choses, le CT a officiellement étalonné la rémunération maximale des sous-groupes LES-TO et LES-IM à 79 % de la rémunération d’un gendarme supérieur de la GRC. Des bulletins du CT ont été publiés à ce sujet.

[38] Ainsi, selon le témoignage de M. Duggan, lorsque les augmentations salariales des membres réguliers ont été annoncées, les sous-groupes LES-TO et LES-IM ont reçu des augmentations de salaire qui correspondaient, selon le point de référence de 79 %, à l’augmentation du taux de rémunération d’un gendarme supérieur.

[39] Les témoins du plaignant ont expliqué comment ces augmentations de taux fonctionnaient. Yvonne McChesney a été assermentée en tant que membre civile lors de son embauche en février 1998, ce qu’elle est toujours, dans le sous-groupe LES-TO. Kathleen Hippern, une opératrice des télécommunications, a d’abord été engagée en tant qu’employée civile temporaire (ECT), puis a prêté serment en tant que membre civile. Elle demeure membre civile du sous-groupe LES-TO. Elena Farid a également été engagée comme ECT, en 1992. Comme Mme Hippern, elle a ensuite prêté serment en tant que membre civile, ce qu’elle est toujours, dans le sous-groupe LES-IM.

[40] Mmes Hippern, Farid et McChesney ont toutes témoigné que l’augmentation de leur taux de rémunération en tant que membres civiles était liée à la rémunération d’un gendarme supérieur. En tant que membres civiles des sous-groupes LES-IM et LES‑TO, elles obtenaient le même taux d’augmentation salariale que les membres réguliers, de sorte que leur salaire maximum dans ces sous-groupes restait à 79 % du salaire d’un gendarme supérieur. Lorsque les augmentations salariales des membres réguliers étaient annoncées, les membres civils des sous-groupes LES savaient que leur salaire augmenterait exactement dans les mêmes proportions. Aucune de ces témoins n’a été explicitement informée de ce mécanisme d’augmentation des salaires lorsqu’elle est devenue une membre civile, mais toutes en connaissaient le fonctionnement. Elles recevraient leurs augmentations salariales à l’annonce par le CT des augmentations salariales des membres réguliers.

[41] Plusieurs témoins ont mentionné le rapport publié en 2007 sur la GRC et appelé le « rapport Brown », du nom de l’auteur. Ce rapport dénonçait entre autres des pratiques abusives dans l’embauche des ECT, qui étaient embauchés en fonction des besoins, mais qui étaient en fait utilisés comme des employés à temps plein. Les ECT travaillaient côte à côte avec les membres civils, mais ne bénéficiaient d’aucun des avantages liés à un emploi à temps plein. Mmes Hippern et Farid ont toutes deux témoigné qu’il s’agissait d’une pratique abusive, d’après leur expérience, et qu’elles n’étaient pas les seules à le penser. Tant Mme Hippern que Mme Farid ont dit avoir été très fières et heureuses lorsqu’elles ont plus tard prêté serment en tant que membres civiles, et elles convenu qu’il était important de mettre un terme aux pratiques abusives liées à l’embauche des ECT.

[42] Mmes Hippern, Farid et McChesney ont toutes témoigné avoir compris que les sous-groupes PO-TCO et PO-IMA avaient été créés principalement pour mettre fin aux abus dans les pratiques d’embauche des ECT.

[43] Les témoins ont également déclaré avoir appris que la création des sous-groupes PO-TCO et PO-IMA s’inscrivait dans le plus large projet des catégories de fonctionnaires, dont l’un des objectifs était de supprimer à terme les postes de membres civils. Mmes McChesney, Farid et Hippern ont chacune exprimé de profondes réticences à l’égard du projet de suppression des postes de membres civils. Chacune d’entre elles a témoigné que le projet était selon elles préjudiciable pour les membres civils.

[44] Mme Hippern a témoigné s’être renseignée sur l’incidence potentielle de la création des sous-groupes PO-TCO et PO-IMA. Elle a fait référence à un communiqué du DPRH daté du 29 avril 2014 et diffusé à l’échelle de la GRC, qui se lit comme suit :

[Traduction]

 

Nouvelle catégorie professionnelle de la fonction publique pour les opérateurs des télécommunications et les préposés à l’écoute

Je souhaite vous informer d’un changement important dans le processus de mise en œuvre de la Loi visant à accroître la responsabilité de la Gendarmerie royale du Canada (Loi sur la responsabilité), une loi qui modifie la Loi sur la GRC.

Le Conseil du Trésor a approuvé un nouveau groupe professionnel de la fonction publique, soit le groupe du Soutien aux opérations policières (PO).

Jusqu’à présent, il n’existait pas de groupe professionnel de la fonction publique pour la classification des postes du personnel de la GRC appartenant au groupe professionnel du soutien à l’application de la loi (LES), comprenant deux sous-groupes, soit les préposés à l’écoute (LES-IM) et les opérateurs des télécommunications (LES-TO), parce que seule la GRC fait ce genre de travail.

Le nouveau groupe PO comprend deux sous-groupes : le sous-groupe Monitorage et analyse des interceptions (PO-IMA) et le sous-groupe Opérations de télécommunications (PO-TCO). La création du nouveau groupe professionnel et de ses sous-groupes permettra à la GRC d’embaucher des employés de la fonction publique nommés pour une période déterminée et des employés occasionnels pour ce travail essentiel d’appui à la police. Voilà qui est important, car, comme nous l’avons déjà communiqué, la Loi sur la responsabilité contient une disposition qui retire à la GRC le pouvoir de nommer et d’employer des employés civils temporaires (ECT) […]

Les conditions générales liées à ce groupe professionnel n’ont pas encore été approuvées par le président du CT. Cela dit, pour que la GRC puisse continuer à fournir des services dans ces deux domaines, l’équipe chargée de l’initiative de réforme législative (IRL) a confirmé au Secrétariat du Conseil du Trésor que les travaux préparatoires pouvaient se poursuivre en attendant l’approbation finale. Dès que la GRC aura reçu l’approbation du CT, les derniers préparatifs commenceront. De plus amples renseignements sur le nouveau groupe, y compris des questions et des réponses, seront bientôt publiés sur le site du projet des catégories de fonctionnaires.

Je précise que les membres civils actuels travaillant dans les groupes LES-TO et LES-IM ne sont pas touchés pour le moment.

Je sais que de nombreuses rumeurs circulent sur la date à laquelle les ministres du Conseil du Trésor considéreront les membres civils comme des fonctionnaires. De nombreux travaux préparatoires sont en cours, mais la date n’a pas encore été fixée. Soyez assurés que nous vous informerons dès que nous en saurons plus.

[…]

 

[45] Peu après cette date, le sous-commissaire Dubeau a diffusé un autre message à l’échelle de la GRC intitulé [traduction] « Message de suivi du DPRH concernant l’approbation par le Conseil du Trésor (CT) des conditions générales liées au groupe de soutien aux opérations policières (PO) », qui se lit en partie comme suit :

[Traduction]

 

À la suite de mon message du 29 avril 2014 concernant l’approbation par le Conseil du Trésor (CT) du nouveau groupe du Soutien aux opérations policières (PO), j’ai le plaisir d’annoncer que le CT a approuvé les conditions d’emploi du nouveau groupe professionnel PO.

Cette approbation signifie que la GRC peut procéder à l’embauche d’employés de la fonction publique (EFP) temporaires (nomination à durée déterminée et employés occasionnels) dans les nouveaux sous-groupes Monitorage et analyse des interceptions (PO-IMA) et Opérations de télécommunications (PO-TCO) pour ce travail essentiel d’appui à la police.

Il a déjà été communiqué qu’il s’agit d’une question importante, car la […] (Loi sur la responsabilité) contient une disposition qui retire à la GRC le pouvoir de nommer et d’employer des employés civils temporaires (ECT) […]

Les membres civils (MC) actuels travaillant dans le groupe professionnel existant de soutien à l’application de la loi (LES), composé de préposés à l’écoute (LES-IM) et d’opérateurs des télécommunications (LES-TO), ne sont pas touchés pour le moment.

La Loi sur la responsabilité prévoit un mécanisme par lequel le CT, à une date qui reste à déterminer, pourra considérer que les MC deviennent des EFP. La nouvelle catégorie professionnelle PO et ses deux sous-groupes (PO-IMA et PO-TCO) ne s’appliquent pas aux MC actuels tant que la conversion n’aura pas eu lieu. Une fois la conversion faite, tous les rôles au sein de la Station de transmissions opérationnelles (STO) et toutes les fonctions relevant du Monitorage des interceptions (IM) (y compris les fonctions de formation, de politique et de supervision) seront inclus dans le nouveau groupe professionnel PO.

Il est également important de noter que les MC bénéficient d’avantages que les ECT n’ont pas, tels que l’indemnité de service, le déménagement lors du départ à la retraite, les funérailles payées, etc. Ces avantages n’ont pas été abordés dans les conditions générales pour le moment, mais ils le seront dans le cadre du processus de conversion.

Nous avons publié de plus amples renseignements sur le groupe sur le site Web du projet des catégories de fonctionnaires, y compris des questions et réponses, et nous vous invitons à continuer de consulter ce site pour vous tenir au courant des renseignements les plus récents […]

[…]

 

[46] Mmes Hippern, Farid et McChesney ont toutes témoigné s’être senties rassurées par les deux messages du DPRH, qui indiquaient que leurs conditions d’emploi en tant que membres civiles ne seraient pas touchées avant la date de la conversion. Mme Hippern a consulté le site de questions et réponses mentionné dans les messages du DPRH et n’y a rien trouvé donnant à penser que les conditions d’emploi des membres civils avaient changé ou changeraient avant la conversion. Elle a cité plusieurs exemples tirés des questions et réponses :

[Traduction]

 

[…]

[Q :] Pourquoi le groupe professionnel PO est-il nécessaire maintenant, si la date de conversion n’est pas encore connue?

[R :] La Loi sur la responsabilité précise que la GRC n’est plus habilitée à nommer et à employer des ECT. Par conséquent, tous les employés recrutés pour des besoins temporaires doivent désormais être employés sous le régime de la [LEFP]. La catégorie professionnelle PO a été créée parce qu’il n’existait pas de catégorie professionnelle de la fonction publique pour classer le travail des préposés à l’écoute (LES-IM) et des opérateurs des télécommunications (LES-TO), ce travail étant propre à la GRC.

[Q :] Comment le nouveau groupe professionnel PO s’appliquera‑t‑il aux membres civils?

[R :] La Loi visant à accroître la responsabilité de la GRC prévoit un mécanisme par lequel le Conseil du Trésor, à une date qui reste à déterminer, pourra considérer que les MC sont des EFP. Le nouveau groupe professionnel PO et ses deux sous-groupes (c.-à-d. PO-IMA et PO-TCO) ne s’appliqueront pas aux membres civils actuels jusqu’à ce que la conversion ait lieu […]

[Q :] Qu’advient-il des normes de classification LES-IM et LES-TO existantes?

[R :] Il est prévu que les normes de classification LES-IM et LES-TO existantes continuent d’être utilisées pour classer les postes de membres civils jusqu’à ce que la conversion ait lieu.

[Q :] Comment la nouvelle norme de classification PO sera-t-elle utilisée dans l’intervalle, c.-à-d. jusqu’à ce que la conversion s’opère?

[R :] Pour l’instant, la nouvelle norme de classification PO sera utilisée pour créer des postes de la fonction publique dans le groupe PO à des fins de dotation temporaire uniquement parce que la GRC n’emploiera plus d’ECT. Les nouveaux postes à temps plein continueront d’être dotés conformément à la procédure de recrutement des membres civils.

[…]

 

[47] Les questions et réponses figurant sur le site Web du projet des catégories de fonctionnaires ont rassuré Mme Hippern sur le fait que rien ne changerait pour les membres civils tant que la conversion n’aurait pas eu lieu.

[48] Lourena Williams a témoigné pour le défendeur sur son rôle, à partir de 2018, en tant que directrice du projet des catégories de fonctionnaires. Elle a témoigné de deux recommandations du rapport Brown qui concernaient expressément les ECT et qui expliquaient la nécessité d’éliminer cette catégorie particulière de fonctionnaires. Elle s’est familiarisée avec les conditions d’emploi liées aux différents groupes de membres civils et aux groupes de comparaison de l’administration publique centrale.

[49] Mme Williams a témoigné du caractère unique des dispositions de conversion pour les membres civils. Rien de tel n’avait été fait auparavant dans la fonction publique, et il n’y avait donc pas de précédent à ce que la GRC s’apprêtait à faire. Les sous-groupes LES-TO et LES-IM étaient uniques en leur genre parmi les sous-groupes de membres civils, parce qu’il n’y avait pas de groupes de comparaison dans l’administration publique centrale et qu’il n’y avait donc aucun moyen d’embaucher de nouveaux fonctionnaires dans les rôles connexes très particuliers. Elle a témoigné du fait que le sous-groupe IM était le principal utilisateur d’ECT, d’où le besoin immédiat d’un groupe équivalent afin de pouvoir embaucher de nouveaux employés (fonctionnaires).

[50] Mme Williams et M. Duggan ont fait référence aux présentations du CT sur la création des deux nouveaux sous-groupes, ainsi qu’à la lettre suivante que Manon Brassard, la sous-ministre adjointe du CT, a adressée au DPRH de la GRC, le sous-commissaire Dan Dubeau, le 16 mai 2014 :

[Traduction]

 

[…]

Monsieur le sous-commissaire Dubeau :

J’ai le plaisir de vous informer que les ministres du Conseil du Trésor ont approuvé un nouveau groupe de soutien aux opérations policières (PO) sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP), ainsi que la norme de classification, la norme de qualification et la ligne de rémunération qui s’y rattachent, pour usage exclusif par la GRC. Le nouveau groupe PO et ses deux sous-groupes, soit Opérations de télécommunications (PO-TCO) et Monitorage et analyse des interceptions (PO-IMA), ont été spécialement conçus pour englober le travail de la GRC actuellement effectué par les préposés à l’écoute (IM) et les opérateurs des télécommunications (TO), membres civils de la GRC, dans le groupe du Soutien à l’application de la loi (LES), sous le régime de la Loi sur la GRC.

Le groupe PO est entré en vigueur le 15 mai 2014, date à laquelle le président du Conseil du Trésor a approuvé les conditions d’emploi connexes. En particulier, les conditions d’emploi du groupe PO ont été directement liées à celles du groupe Services techniques (TC), par la voie de modifications consécutives de la Directive sur les conditions d’emploi et de la Directive sur les conditions d’emploi de certains employés exclus/non représentés. Parallèlement, ces directives ont également été modifiées par l’ajout d’un libellé particulier au groupe PO, afin de tenir compte de la souplesse opérationnelle de la GRC en ce qui concerne les heures de travail et l’attribution des quarts de travail.

Depuis le 15 mai 2014, la GRC est libre d’embaucher des employés occasionnels, des employés nommés pour une période déterminée et des employés nommés pour une période indéterminée pour effectuer des tâches qui relèvent du groupe PO. À court terme, la création du groupe PO facilite la transition de la GRC, prévue plus tard dans l’année, qui cessera le recours aux employés civils temporaires (ECT). À plus long terme, l’existence du groupe PO offre une solution de classification globale pour le passage des membres civils entre les groupes prévus aux termes de la Loi sur la GRC et ceux prévus aux termes de la LEFP, à une date ultérieure.

[…]

 

[51] Mme Williams a témoigné des efforts qu’elle a déployés en tant que directrice du projet des catégories de fonctionnaires pour répondre aux demandes de renseignements sur les conséquences de la conversion. Elle a témoigné de l’importance de rassurer les membres civils en leur disant que rien ne changerait pour eux au quotidien jusqu’à ce que la conversion ait lieu. Elle a déclaré que cela était important tant pour le moral des employés que pour la stabilité de l’organisation.

[52] Entre-temps, à la suite d’une décision de la Cour suprême du Canada confirmant le droit des employés de la GRC à négocier collectivement, le SCFP a commencé à chercher à obtenir une accréditation pour certains groupes d’employés. Le 9 décembre 2016, il a déposé une demande d’accréditation pour l’unité de négociation proposée suivante : [traduction] « Tous les membres civils de la Gendarmerie royale du Canada faisant partie du sous-groupe professionnel Soutien à l’application de la loi – Opérateurs de télécommunications (LES-TO) » (dossier de la Commission 542-02-8).

[53] Le 19 janvier 2017, le SCFP a déposé une demande d’accréditation pour l’unité de négociation proposée suivante : [traduction] « Tous les employés du Conseil du Trésor du Canada faisant partie du sous-groupe professionnel Soutien aux opérations policières – Opérations de télécommunications (« PO-TCO ») » (dossier de la Commission 542-02-9).

[54] Le 28 mars 2017, le SCFP a déposé une demande d’accréditation pour l’unité de négociation proposée suivante (dossier de la Commission 542-02-11) :

[Traduction]

 

a) Tous les membres civils de la Gendarmerie royale du Canada faisant partie du sous-groupe professionnel Soutien à l’application de la loi – Préposés à l’écoute (« LES-IM »);

b) Tous les employés du Conseil du Trésor du Canada faisant partie du sous-groupe professionnel Soutien aux opérations policières –Monitorage et analyse des interceptions (« PO-IMA »).

 

[55] Tous les témoins ont attesté de l’absence d’augmentations salariales à partir de 2014. Un message du commissaire daté du 4 janvier 2016 a été versé au dossier :

[Traduction]

 

[…]

Le point sur la présentation relative à l’augmentation salariale au sein de la GRC

Je tiens à vous tenir au courant en faisant le point sur la présentation que j’ai déposée auprès du Secrétariat du Conseil du Trésor au début de l’année dernière concernant l’augmentation salariale de 2015 à la GRC. L’élection d’un nouveau gouvernement et le processus de transition qui s’en est suivi ont entraîné des retards dans l’approbation du nouveau régime de rémunération.

Néanmoins, le processus est toujours en cours et les travaux se poursuivent. Malheureusement, le Secrétariat du Conseil du Trésor ne prévoit pas rendre de décision sur cette question au cours de l’exercice financier (31 mars 2016), mais toute éventuelle décision serait rétroactive au 1er janvier 2015.

Nous attendons un résultat depuis un certain temps et je vous remercie de votre patience tout au long de ce processus. Je vous communiquerai d’autres renseignements à ce sujet dès que je le pourrai.

[…]

 

[56] Mme Hippern a témoigné du fait qu’elle présumait, comme ses collègues membres civils, que l’augmentation salariale ne serait pas différente de celles observées par le passé, et donc que l’augmentation salariale des membres réguliers s’appliquerait aux membres civils du groupe LES dans la proportion de référence de 79 %. Selon elle, [traduction] « il n’y avait aucune raison de penser le contraire ».

[57] Mmes Hippern, Farid et McChesney ont toutes témoigné de leur stupéfaction à la lecture de l’annonce faite par le commissaire le 5 avril 2017 :

[Traduction]

 

[…]

On m’informe que le Conseil du Trésor a approuvé un régime de rémunération des membres réguliers de la GRC pour 2015 et 2016. Les membres réguliers recevront une augmentation de 1,25 % le 1er janvier 2015 et une augmentation de 1,25 % le 1er janvier 2016. À celles-ci s’ajoute une indemnité de rajustement au marché de 2,3 %, le 1er avril 2016. Au total, cela représente une augmentation de 4,8 % […]

[…]

 

[58] Mme Hippern a témoigné que c’était la première fois qu’elle voyait une mention selon laquelle l’augmentation salariale était pour les « membres réguliers ». Elle a envoyé un message au DPRH le matin suivant, le 6 avril 2017, qui se lit en partie comme suit :

[Traduction]

 

Bonjour,

J’ai lu le message diffusé hier soir par le commissaire à propos de l’augmentation salariale. Ne sait-il pas que la rémunération du groupe LES suit celle du groupe des membres réguliers? Est-ce que quelqu’un en est bien conscient? Est-ce que quelqu’un se rend compte que nous sommes des MEMBRES. Des membres assermentés qui plus est. Est-ce que cela intéresse quelqu’un? Manifestement pas. Ce message est un nouveau désaveu. Nous sommes déjà de l’histoire ancienne […]

[…]

 

[59] Le sous-commissaire Dubeau a répondu ce qui suit :

[Traduction]

 

Bonjour Kathleen, je vous remercie pour votre message franc et je comprends votre frustration. Cependant, je dois préciser pourquoi le message d’hier ne concerne que la rémunération de nos membres réguliers. Conformément au message diffusé hier, le commissaire et moi-même avons été informés que l’employeur, le Conseil du Trésor, a approuvé une augmentation pour notre groupe de membres réguliers seulement. Le CT n’a pas approuvé d’augmentation pour nos opérateurs des télécommunications, étant donné que ce groupe fait actuellement l’objet d’une demande d’accréditation par le SCFP, qui souhaite le représenter dans les négociations collectives futures. En tant que telles, les conditions générales de ce groupe sont « gelées » conformément à l’article 56 de la LRTFP, qui énonce :

56 Après notification d’une demande d’accréditation faite en conformité avec la présente partie, l’employeur ne peut modifier les conditions d’emploi applicables aux fonctionnaires de l’unité de négociation proposée et pouvant figurer dans une convention collective, sauf si les modifications se font conformément à une convention collective ou sont approuvées par la Commission. Cette interdiction s’applique, selon le cas :

a) jusqu’au retrait de la demande par l’organisation syndicale ou au rejet de celle-ci par la Commission;

b) jusqu’à l’expiration du délai de trente jours suivant la date d’accréditation de l’organisation syndicale.

Ainsi, nous devons agir en fonction des dispositions de la LRTFP et respecter le processus d’accréditation tel qu’il se déroule.

Encore une fois, je vous remercie d’avoir communiqué avec moi et j’espère que mon explication élucide les exigences législatives auxquelles notre organisation est soumise durant le processus d’accréditation.

Dan

 

[60] Mme Hippern a répondu environ 17 minutes plus tard : [traduction] « Merci, Monsieur. Nous avons toujours été rémunérés en fonction de la rémunération des membres réguliers. Tout ce qui relève du cours normal des activités s’applique et n’est pas lié à ce gel. Il est aussi question de notre augmentation salariale. »

[61] Le sous-commissaire Dubeau et Mme Hippern ont échangé d’autres messages du même ordre les 6 et 7 avril 2017.

[62] Le 13 avril 2017, le commissaire a diffusé à l’échelle de la GRC un message, qui se lit en partie comme suit :

[Traduction]

 

[…]

À la suite de mes messages concernant le régime salarial des membres réguliers, je souhaite vous fournir quelques renseignements et précisions supplémentaires. Les mesures salariales annoncées par le gouvernement s’appliquent aux membres réguliers (jusqu’au grade de surintendant inclusivement) et aux gendarmes spéciaux.

[…]

Je fournirai des renseignements concernant les augmentations de salaire des membres civils dans un autre message. Je vous remercie à l’avance de votre patience à cet égard.

[…]

 

[63] Mmes Hippern, Farid et McChesney ont chacune témoigné qu’elles avaient le sentiment, tout comme leurs collègues selon elles, que le refus d’augmentation salariale était une forme de représailles à la suite des mesures prises pour obtenir une représentation à des fins de négociation collective. Mme Hippern a déclaré franchement et avec beaucoup d’émotion : [traduction] « Nous avons eu le sentiment d’être privés de notre augmentation salariale parce que nous avions signé une carte syndicale. »

[64] Le DPRH n’a pas diffusé d’autre communication sur le sujet jusqu’au 21 avril 2017 :

[Traduction]

Le point sur le régime de rémunération des membres civils

Depuis l’annonce du régime de rémunération des membres réguliers le 5 avril 2017, nous avons reçu de nombreuses questions de la part des membres civils concernant les rajustements de leurs taux de rémunération. Je voudrais apporter quelques éclaircissements, en particulier pour les opérateurs des télécommunications, les préposés à l’écoute et les pilotes.

Rajustements des taux de rémunération des membres civils

Les salaires de la majorité des membres civils sont alignés sur ceux des groupes de comparaison du reste de l’administration publique centrale qui sont visés par des conventions collectives. Les membres civils recevront leurs augmentations de salaire une fois que les conventions collectives de ces groupes de référence seront signées.

[…]

Sous-groupes Opérateurs des télécommunications (LES-TO) et Préposés à l’écoute (LES-IM)

Jusqu’en 2014, les sous-groupes LES-TO et LES-IM voyaient leurs taux de rémunération établis en fonction des taux de rémunération des membres réguliers, car il n’existait pas de groupe professionnel équivalent dans l’administration publique centrale.

Depuis 2014, et en prévision de la conversion, la rémunération de ces sous-groupes a été alignée sur celle du groupe du Soutien à l’application de la loi (PO) dans l’administration publique centrale. Le groupe PO n’est actuellement pas représenté par un agent négociateur.

Le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) a déposé des demandes d’accréditation pour représenter les membres civils qui occupent des postes dans ces sous-groupes, ce qui a entraîné un gel prévu par la loi. Conformément à l’article 56 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), la plupart des conditions ne peuvent être modifiées à la suite d’une demande d’accréditation.

Le « gel » des conditions d’emploi a pour but de donner à l’agent négociateur proposé la possibilité de représenter les intérêts de ses futurs membres dans le cadre de la négociation collective une fois qu’il aura été accrédité.

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[65] Le sous-commissaire Dubeau, qui est le DPRH, n’a pas témoigné à l’audience.

[66] Mme Williams a témoigné avoir reçu de nombreuses demandes d’information sur les circonstances entourant l’annonce du 5 avril 2017 concernant l’augmentation salariale. Elle a été contre-interrogée sur la question de savoir si, avant le 21 avril 2017, les taux de rémunération des sous-groupes LES (TO et IM) avaient été alignés sur ceux des groupes PO créés en 2014. Elle a témoigné de certains messages reçus dans la boîte aux lettres de la catégorie des fonctionnaires ainsi que des réponses apportées à ces demandes. Elle a notamment fait référence à l’échange suivant entre Andree Lupien, la directrice du projet des catégories de fonctionnaires avant que Mme Williams ne prenne le relais, Alex Benoit, un membre civil du sous-groupe LES-TO, et le sous-commissaire Stephen White, dirigeant principal adjoint des ressources humaines :

[Traduction]

 

· Le 18 juin 2016, M. Benoit a demandé à Mme Lupien ce qui suit : « Bonjour Andree. Concernant la catégorie de fonctionnaires et en tant que membre civil depuis 25 ans, j’obtiens de l’information contradictoire sur différents points. J’espère que tu pourras éclaircir le tout. »

 

· Le 27 juin 2016, Mme Lupien a répondu comme suit :

Bonjour Alex,

Désolée du temps que j’ai mis à répondre.

Tu as un certain nombre de questions auxquelles nous allons essayer de répondre, mais nous ne sommes pas en mesure pour l’instant de répondre à celles qui concernent les conditions d’emploi des membres civils au moment de la conversion.

[…]

Les salaires des membres de la catégorie LES ne sont pas actuellement alignés sur ceux d’un groupe professionnel de la fonction publique […]

[…]

 

· Le 9 août 2016, M. Benoit a répondu en posant des questions sur les raisons pour lesquelles les pilotes qui étaient des membres civils devaient être classés dans la catégorie des gendarmes spéciaux et non dans celle des membres civils TO.

 

· Le 16 août 2016, le sous-commissaire Stephen White a écrit à M. Benoit, résumant l’examen des fonctions et responsabilités du sous-groupe LES-TO dans le contexte de la création du sous-groupe PO-TCO. Il conclut par cette phrase : [traduction] « Par conséquent, tous les postes de membres civils de la GRC, y compris les LES-TO, ont été mis en correspondance avec les groupes professionnels de la fonction publique. »

 

[67] M. Duggan a témoigné de sa compréhension de la prérogative du CT d’établir et de modifier les taux de rémunération. Il a témoigné des circonstances entourant la création d’une catégorie d’employés ayant le statut de membres civils à la GRC et du souhait de faire correspondre les taux de rémunération des membres civils à ceux des groupes de comparaison de la fonction publique. Cela a été fait pour tous les sous-groupes sauf deux, LES-TO et LES-IM, à défaut d’un groupe de comparaison à l’époque. La conversion n’aurait pas été possible sans groupe de comparaison, c’est pourquoi un tel groupe a été créé.

[68] M. Duggan a témoigné que lorsque le groupe de comparaison a été créé en mai 2014, les taux de rémunération des sous-groupes LES-TO et LES-IM ont été immédiatement alignés sur ceux des groupes PO-TCO et PO-IMA.

[69] On a demandé à M. Duggan comment il était en mesure d’expliquer que le DPRH avait déclaré dans son message du 29 avril 2014, que [traduction]« [j]e précise que les membres civils actuels travaillant dans les sous-groupes LES-TO et LES-IM ne sont pas touchés pour le moment », compte tenu de ce qui paraissait être une incidence très tangible sur la concordance des salaires des sous-groupes LES-TO et LES-IM avec ceux des sous-groupes PO-TCO et PO-IMA à compter du 16 mai 2014. M. Duggan a répondu qu’à ce stade, les membres civils n’étaient pas touchés. Il a témoigné de l’intention claire du projet des catégories de fonctionnaires d’éliminer les postes de membres civils en les incluant dans le groupe PO lors de la conversion.

[70] M. Duggan a répété que, selon le modèle établi en 1972, la concordance des salaires ne nécessitait qu’un classement dans un groupe identique au sein de l’administration publique centrale. Il a cité l’observation pertinente suivante du CT :

[Traduction]

 

4) Le Conseil du Trésor […] donne instruction que les taux de rémunération de la fonction publique, tels que révisés de temps à autre, s’appliquent aux postes de membres civils et de gendarmes spéciaux qui ont été classifiés conformément aux normes de classification de la fonction publique, à compter du 1er avril 1972.

 

[71] M. Duggan a témoigné que c’est précisément ce qui s’est passé le 16 mai 2014, lorsque les postes LES-TO et LES-IM ont été classifiés conformément aux normes de classification de la fonction publique relatives aux postes PO-TCO et PO-IMA.

III. Résumé de l’argumentation

A. Les arguments du plaignant

[72] L’article 56 de la LRTSPF se lit comme suit :

56 Après notification d’une demande d’accréditation faite en conformité avec la présente partie ou la section 1 de la partie 2.1, l’employeur ne peut modifier les conditions d’emploi applicables aux fonctionnaires de l’unité de négociation proposée et pouvant figurer dans une convention collective, sauf si les modifications se font conformément à une convention collective ou sont approuvées par la Commission. Cette interdiction s’applique, selon le cas :

56 After being notified of an application for certification made in accordance with this Part or Division 1 of Part 2.1, the employer is not authorized, except under a collective agreement or with the consent of the Board, to alter the terms and conditions of employment that are applicable to the employees in the proposed bargaining unit and that may be included in a collective agreement until

a) jusqu’au retrait de la demande par l’organisation syndicale ou au rejet de celle-ci par la Commission;

(a) the application has been withdrawn by the employee organization or dismissed by the Board; or

b) jusqu’à l’expiration du délai de trente jours suivant la date d’accréditation de l’organisation syndicale.

 

(b) 30 days have elapsed after the day on which the Board certifies the employee organization as the bargaining agent for the unit.

 

[73] L’objectif du gel prévu par la loi, selon le plaignant, est énoncé dans un certain nombre de cas et est résumé comme suit dans Fédération de la police nationale c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2021 CRTESPF 77, au paragraphe 54 :

[54] Bien que les deux types de gel aient un effet similaire, leurs objectifs ont été reconnus comme étant quelque peu différents. Il a été reconnu qu’un gel des négociations permet d’entamer des négociations à partir d’un point de départ déterminé (voir Whistler – Stationnement, au paragraphe 35). La Cour suprême du Canada (CSC) a reconnu que le gel qui fait suite à une demande d’accréditation est conçu afin de « faciliter l’accréditation » (voir Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 503 c. Compagnie Wal‑Mart du Canada, 2014 CSC 45 […]).

 

[74] De même, il est énoncé ce qui suit dans Fédération de la police nationale c. Conseil du Trésor, 2020 CRTESPF 44 (« FPN no 1 »), aux paragraphes 44 et 45 :

[44] Le gel suivant une demande d’accréditation vise également à maintenir un point de départ fixe pour la négociation collective. Cependant, il a tout d’abord pour objectif de favoriser l’exercice du droit d’association et de faciliter l’accréditation elle-même. Il limite l’influence de l’employeur et apaise les préoccupations des employés qui exercent activement leurs droits en limitant le pouvoir de gestion de l’employeur pendant une période critique (voir l’arrêt Wal-Mart, aux paragraphes 34 à 36).

[45] Les deux types de gels figurent dans la législation sur les relations de travail de chaque juridiction provinciale ainsi qu’au niveau fédéral dans la Loi et dans le Code canadien du travail (L.R.C., 1985, ch. L-2; le « Code »). La jurisprudence des commissions du travail de toutes les juridictions a largement appliqué les mêmes approches analytiques aux deux types de gel, et les deux parties ont suggéré que la Commission fasse de même. Je propose de le faire, tout en gardant à l’esprit le fait que, bien que les deux types de gel soient d’une importance cruciale pour notre régime de relations de travail, je suis d’avis que le gel en vertu de l’article 56 sert l’objectif quelque peu accru de faciliter l’accréditation elle-même, qui est la base même de la relation de négociation collective.

 

[75] Le critère permettant d’établir une violation de l’article 56, selon le plaignant, est énoncé dans Fédération nationale de la police c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), aux paragraphes 55 et 56 :

[55] L’analyse des deux types de plaintes commence par une première étape, au cours de laquelle le décideur évalue si la plainte satisfait au critère à quatre volets suivant (voir, par exemple, Bureau fiscal de Sudbury, au paragraphe 137, et Wal-Mart, au paragraphe 39) :

1) qu’une condition d’emploi existe le jour du dépôt de la demande d’accréditation (ou à la suite d’un avis de négocier, en cas de gel des négociations);

2) que l’employeur ait modifié la condition d’emploi sans le consentement ou l’approbation de la Commission (ou de l’agent négociateur, en cas de gel des négociations);

3) que la modification ait été apportée au cours de la période de gel;

4) que la condition d’emploi puisse être incluse dans une convention collective.

[56] Les plaintes qui répondent à ces quatre éléments passent ensuite à la deuxième étape de l’analyse, que l’on appelle couramment l’analyse du « maintien du cours normal des affaires ». Cette évaluation est exposée brièvement dans une décision souvent citée rendue par la Commission des relations de travail de l’Ontario (CRTO), intitulée Spar Professional and Allied Technical Employees Association v. Spar Aerospace Products Ltd., 1978 CanLII 2255 (CRTO), au paragraphe 23, comme suit :

[Traduction]

23. L’approche du maintien du cours normal des affaires ne signifie pas qu’un employeur ne peut continuer de gérer ses activités. Elle signifie simplement qu’un employeur doit continuer de gérer ses activités en poursuivant les habitudes établies avant les circonstances ayant mené au gel, ce qui donne un point de départ clair pour la négociation et élimine l’effet de « douche froide » qu’un retrait d’avantages attendus aurait sur la représentation des employés par un syndicat […]

 

[76] Le plaignant a fait valoir que, bien qu’il soit question d’un gel, la situation n’est pas nécessairement statique, citant la décision FPN no 1, aux paragraphes 49 à 54, comme suit :

[49] Cependant, il est admis depuis longtemps dans la jurisprudence de la Commission et d’autres commissions des relations de travail que, même si ces éléments sont établis, un gel statutaire n’oblige pas l’employeur à maintenir un environnement de travail complètement statique. Par conséquent, certaines modifications peuvent être apportées sans violer l’interdiction, si elles s’inscrivent dans le cours normal des affaires de l’employeur ou si elles répondent aux attentes raisonnables des employés, ou les deux.

[50] L’employeur fait valoir que les deux critères sont distincts et que les attentes des employés ne peuvent pas être prises en compte dans une analyse concernant le cours normal des affaires. Il ajoute que de mélanger les deux critères va non seulement à l’encontre de leur évolution historique, mais qu’il a été confirmé par l’approche de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Wal-Mart qu’il s’agissait d’une erreur d’agir ainsi.

[51] Je suis en désaccord avec l’employeur sur les deux points. La jurisprudence qui applique ces deux approches analytiques de manière complémentaire et interreliée est entièrement conforme à la façon dont ces critères ont évolué historiquement. En outre, je ne vois rien dans l’arrêt Wal-Mart qui change cela ou qui suggère même qu’une évaluation des attentes des employés ne devrait pas faire partie d’une analyse relative au cours normal des affaires.

[…]

[52] Le critère relatif au cours normal des affaires a commencé comme un moyen d’aborder le libellé littéral des dispositions relatives au gel avec plus de souplesse. Ces dispositions pourraient être interprétées comme signifiant qu’aucune modification n’est autorisée – qu’elles nécessitent un gel [traduction] « statique » ou [traduction] « profond ». C’est également ce qui a été conclu dans certaines décisions. Cependant, dans la plupart des affaires, les commissions des relations du travail n’ont pas voulu interpréter les dispositions de gel de cette façon. La jurisprudence a reconnu que les employeurs doivent continuer de gérer leurs activités, en particulier compte tenu du délai parfois long entre la demande d’accréditation et l’accréditation en soi, et entre l’avis de négocier collectivement et la finalisation d’une convention collective.

[53] L’approche relative au cours normal des affaires vise à veiller à ce que les employeurs n’apportent pas de modifications inattendues qui pourraient avoir une incidence sur l’accréditation ou la négociation collective, tout en n’étant pas coincés dans une situation de gel importante. Cependant, la question de savoir si une modification enfreint une disposition de gel n’est pas une science exacte, et le critère relatif au cours normal des affaires ne s’est pas avéré utile dans toutes les situations. Par exemple, il pourrait parfois être difficile d’appliquer ce critère dans un contexte ultérieur à la demande d’accréditation. La demande elle‑même crée une modification très importante qui doit avoir une incidence sur ce qui peut être considéré comme le cours normal des affaires. Il a été reconnu que le cours normal des affaires ne signifie pas qu’un employeur peut continuer à prendre des décisions unilatérales comme il le faisait dans son environnement antérieur, non syndiqué, simplement parce que c’est ce qu’il faisait auparavant.

[54] Lorsqu’une analyse relative au cours normal des affaires ne se prêtait pas bien à une situation ou était difficile à appliquer, les commissions des relations de travail ont commencé à poser la question suivante : [traduction] « Quelles sont les attentes raisonnables des employés? » Si les employés pouvaient raisonnablement s’attendre à un changement (parce qu’il y avait une tendance antérieure concernant de tels changements ou parce qu’ils avaient été informés que ceux-ci allaient arriver), il devenait alors plus probable que l’on tire la conclusion qu’il s’agit d’un changement relatif au cours normal des affaires qui ne va pas à l’encontre de la disposition relative au gel.

 

[77] Le plaignant a fait valoir qu’un aspect important du critère est qu’une décision doit avoir été prise et communiquée aux employés avant la période de gel, en se référant une fois de plus à FPN no 1, aux paragraphes 79 à 82 :

[79] Dans bon nombre de ces affaires, les employés disposent généralement de certains renseignements, mais pas tous, quant aux changements à venir. Il importe de déterminer ce qu’ils savaient au début de la période de gel statutaire (voir Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2016 CRTEFP 107, au paragraphe 50). S’ils en savaient suffisamment pour s’attendre raisonnablement à ce qu’une condition d’emploi change, alors, dans certains cas, les employeurs ont été autorisés à mettre en œuvre de tels changements.

[80] En l’espèce, les employés ne savaient rien.

[81] Ce qui est important, selon l’employeur, est le fait que [traduction] « la machine avait été mise en marche » avant le gel. À mon avis, l’idée de [traduction] « machine mise en marche » intègre nécessairement et logiquement les attentes raisonnables des employés. En l’absence de tout avis aux employés, aucune décision n’est ferme et ne peut être modifiée à tout moment sans obligation de rendre des comptes, dénuant ainsi de tout sens le concept et l’objectif d’une disposition sur le gel […]

[82] Pour avoir une quelconque crédibilité, le concept de [traduction] « machine mise en marche » doit signifier un travail effectué pour mettre en œuvre une décision définitive dont les employés sont au courant. Une machine en marche silencieusement à la connaissance d’un groupe exclusif seulement ne signifie rien.

 

[78] Le plaignant a ensuite abordé le contexte particulier d’augmentations salariales régulières, prévues ou attendues, en faisant valoir que ces changements ne sont pas empêchés par le gel. Au contraire, les changements importants tels que les augmentations salariales sont en fait protégés. Pour étayer cet aspect de son argumentation, il s’est référé aux cas suivants :

· Ontario Nurses’ Association v. George St. L. McCall Chronic Care Wing of the Queensway General Hospital, 1991 CanLII 6062 (ON LRB);

 

· Ontario Public Service Employees Union v. Lifelabs LP, 2019 CanLII 113709;

 

· Ontario Public Service Employees Union v. Lifelabs LP, 2022 CanLII 12320 (ON LRB);

 

· International Union of Operating Engineers, Local 955 v. Teamco Construction Services Ltd., 1998 CarswellAlta 1405;

 

· Saskatchewan Joint Board, Retail, Wholesale and Department Store Union v. Winners Merchants International L.P., 2005 CanLII 63021 (SK LRB);

 

· Canadian Union of Public Employees, Local 3010 v. Children’s Aid Society of Cape Breton, 2009 CanLII 57119 (NS LRB).

 

[79] Le plaignant a contesté l’interprétation de M. Duggan concernant l’effet futur ou hypothétique du document de 1972 sur la rémunération des membres civils. Les membres civils autres que ceux des sous-groupes LES-TO et LES-IM sont classés conformément à une norme de classification de la fonction publique. Les sous-groupes LES-TO et LES-IM n’ont jamais été classés de la sorte et, pour ce faire, il faudrait que le CT le précise et non pas seulement qu’il crée une catégorie dans laquelle ces employés pourraient théoriquement être classés.

[80] La décision du CT de 1972 à laquelle M. Duggan a fait référence est correctement interprétée, selon le plaignant, comme ne s’appliquant qu’aux postes classifiés conformément aux normes de la fonction publique à l’époque. Le CT s’est penché précisément sur ce que l’on appelle aujourd’hui les sous-groupes LES et a clairement indiqué (en 1989 pour le sous-groupe LES-TO et en 1992 pour le sous-groupe LES-IM) que la rémunération des employés de ces sous-groupes devait être étalonnée à 79 % du salaire d’un gendarme supérieur. Le CT a publié des bulletins à ce sujet. Le plaignant a fait valoir que toute modification de ce mécanisme de rémunération ne peut pas être simplement supposée ou déduite : elle doit être clairement formulée et annoncée.

[81] Le plaignant a fait valoir qu’il n’y a pas un seul document qui précise que les sous-groupes LES-IM et LES-TO sont classés conformément aux normes de classification qui ont été créées pour les sous-groupes PO le 15 mai 2014. C’est plutôt l’inverse : la création du groupe PO, le 15 mai 2014, a expressément lié les taux de rémunération de ce groupe à ceux des sous-groupes LES-TO et LES-IM.

[82] Le plaignant a fait valoir que Mmes Hippern, Farid et McChesney ont fourni des témoignages clairs et convaincants sur les attentes des membres civils des deux sous-groupes LES. Lorsque des augmentations salariales ont été annoncées pour les membres réguliers, elles ont vu leur salaire augmenter au même rythme. Il importe peu que certains membres civils en sachent plus que d’autres sur les origines et le mécanisme d’étalonnage au taux de 79 %. Le point important, selon le plaignant, a été résumé comme suit par Mme Hippern : [traduction] « Je le savais, je l’ai toujours su. »

[83] Lorsque Mme Hippern a posé des questions directes sur l’incidence de la création des sous-groupes PO, en mai 2014, la direction de la GRC lui a répété que rien ne changerait tant qu’il n’y aurait pas de conversion. Il n’y a jamais eu de conversion.

[84] Le sous-commissaire Dubeau a reçu une lettre du CT datée du 16 mai 2014, l’informant de la création des sous-groupes PO. La lettre ne mentionne pas la concordance des salaires des sous-groupes LES avec ceux des nouveaux sous-groupes PO. Il n’a pas été fait mention de la concordance des salaires lorsque les augmentations ont été annoncées, le 5 avril 2017. Aucune mention n’a été faite de la concordance des salaires dans les mises à jour sur la rémunération des membres civils des 7 et 13 avril 2017. La seule fois où cela a été mentionné, c’est lorsque le sous-commissaire Dubeau a publié une mise à jour sur la rémunération des membres civils, le 21 avril 2017.

[85] Le plaignant a fait valoir qu’il semble très certainement que ce n’est qu’entre le 5 et le 21 avril 2017 qu’a été prise la décision de faire correspondre la rémunération des sous-groupes LES avec celle des sous-groupes PO. Il semblerait également que l’augmentation salariale ait été refusée aux membres civils des groupes LES uniquement en raison de la demande d’accréditation déposée par le SCFP. Le sous-commissaire Dubeau aurait pu répondre à ces questions importantes, selon le plaignant, mais il n’a pas témoigné. Le plaignant a soutenu qu’il fallait tirer une conclusion défavorable du fait que le sous-commissaire n’a pas témoigné sur ces aspects cruciaux du cas.

[86] L’interprétation par le défendeur des conséquences d’un gel prévu par la loi, selon le plaignant, est tout simplement erronée. Il existe de nombreux précédents permettant à un employeur d’accorder des augmentations salariales pendant un gel prévu par la loi, car ces augmentations constituent un élément important des attentes raisonnables d’un employé. Par conséquent, cette plainte de pratique déloyale de travail doit être maintenue et les augmentations salariales annoncées le 5 avril 2017 doivent être mises en œuvre.

B. Les arguments du défendeur

[87] Le défendeur a reconnu que l’étalonnage de la rémunération des membres civils LES-IM et LES-TO à 79 % de la rémunération d’un gendarme supérieur est la condition d’emploi en cause dans le présent cas. Le défendeur a fait valoir que pour s’acquitter de son fardeau, le plaignant devait démontrer que cette condition d’emploi existait les jours où les demandes d’accréditation ont été déposées, à savoir le 9 décembre 2016, ainsi que le 19 janvier et le 28 mars 2017.

[88] Le défendeur a fait valoir qu’il ne s’agissait pas d’une condition d’emploi au début du gel, et ce pour deux raisons. Premièrement, l’augmentation salariale annoncée pour les membres réguliers le 5 avril 2017 n’avait pas été confirmée avant le début du gel et n’était pas encore une condition d’emploi pour quiconque.

[89] En ce qui concerne le taux de 79 %, le CT utilisait l’étalonnage comme outil, selon le défendeur. Cela n’équivaut pas à une garantie que les augmentations salariales futures seront proportionnelles aux augmentations salariales des membres réguliers. Selon le défendeur, le témoignage de M. Duggan était convaincant et faisait autorité sur la question de la concordance des salaires. Les salaires des sous-groupes LES-IM et LES-TO ont été alignés sur ceux du groupe PO à la date à laquelle ce groupe de comparaison a été créé dans l’administration publique centrale, c’est-à-dire le 15 mai 2014. Cette mesure est née de l’application du document du CT de 1972, qui prévoit la concordance de la rémunération des sous-groupes de membres civils à celle des groupes de comparaison dans l’administration publique centrale. Dès que le groupe de comparaison PO a été créé, la rémunération des sous-groupes LES a été mise en correspondance, et elle devait être établie conformément à la convention collective applicable.

[90] Comme l’a témoigné M. Duggan, le CT prend des décisions en matière d’augmentation salariale pour une année donnée et peut changer d’avis. Cela est conforme, selon le défendeur, à l’arrêt Meredith c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 2, au par. 26, qui se lit comme suit :

[26] Pour les membres de la GRC qui sont touchés, la LCD [Loi sur le contrôle des dépenses, L.C. 2009, ch. 2, art. 393] a entraîné une réduction des augmentations salariales recommandées par le Conseil de la solde et acceptées par le Conseil du Trésor. Les augmentations qui devaient se situer entre 2 % et 3,5 % ont été réduites à 1,5 % pour chacune des années 2008, 2009 et 2010. On prévoyait aussi initialement le doublement de la solde de service et une augmentation de l’indemnité versée aux moniteurs de formation pratique. La LCD a également supprimé ces deux avantages, sous réserve de négociations ultérieures sous le régime de l’art. 62 de cette loi.

 

[91] Le défendeur a souligné que lorsque le CT a officiellement établi la rémunération des membres civils du sous-groupe LES-TO à 79 % de la rémunération d’un gendarme supérieur, en 1989, et lorsqu’il a fait de même pour les membres civils du sous-groupe LES-IM, en 1992, il a exercé son pouvoir discrétionnaire de modifier les taux de rémunération. Comme l’a dit M. Duggan, le CT [traduction] « changeait d’avis ». Si aucune loi ou convention collective ne restreint ses actions, le CT peut procéder à de tels changements. Par conséquent, les décisions prises en 1989 à l’égard des membres civils du sous-groupe LES-TO et en 1992 à l’égard des membres civils du sous-groupe LES-IM ne doivent pas être considérées comme contraignantes.

[92] Le défendeur a fait référence à Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2020 CRTESPF 106, aux paragraphes 11 et 12, qui se lisent comme suit :

[11] Environ 4000 membres civils de la GRC sont touchés par le projet des catégories de fonctionnaires. Ils ont été répartis dans divers groupes et sous-groupes professionnels de la GRC. En vue de la date de conversion, l’employeur a entamé un processus de « concordance » des sous-groupes de la GRC aux groupes professionnels existants de la fonction publique, dans la mesure du possible. Une concordance à un groupe professionnel représenté a été communiquée à l’agent négociateur concerné.

[12] En ce qui a trait aux sous-groupes professionnels de la GRC visés par les présentes demandes, les parties conviennent que leurs fonctions correspondent à la définition et aux classifications d’un groupe professionnel existant de la fonction publique. Les parties soulignent aussi que le projet des catégories de fonctionnaires donnait lieu à la « concordance » des salaires des membres civils de la GRC à ceux de leurs classifications équivalentes à la fonction publique.

 

[93] Cette décision est conforme aux témoignages de M. Duggan et de Mme Williams, a fait valoir le défendeur, en ce qui concerne l’objectif déclaré de veiller à ce que les employés qui effectuent le même travail reçoivent la même rémunération.

[94] Bien que la position du défendeur soit que la condition d’emploi (le lien de 79 % avec la rémunération des membres réguliers) n’existait pas au moment du gel, il a ajouté que si la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») en décidait autrement, une analyse supplémentaire serait nécessaire. À cette fin, il a fait référence à Fédération de la police nationale c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2020 CRTESPF 71 (« Whistler – Stationnement »), aux paragraphes 92 à 94, où il est énoncé le cadre analytique suivant :

[92] À la première étape, il faut examiner si un employeur a apporté des modifications non approuvées aux conditions d’emploi pendant une période de gel, étant entendu que les conditions modifiées puissent être incluses dans une convention collective.

[93] À la deuxième étape, il faut se demander si ce changement était conforme aux pratiques habituelles de l’employeur. Souvent, à ce stade, il est nécessaire de déterminer si les changements faisaient ou non partie des attentes raisonnables de l’employé.

[94] Une troisième étape est requise dans les situations où il est difficile, voire impossible, d’appliquer les critères du maintien du cours normal des affaires ou des attentes raisonnables. Dans ce cas, il faut appliquer le critère de l’employeur raisonnable énoncé dans Wal-Mart.

 

[95] Si la Commission devait conclure qu’il y a eu des modifications à la première étape, l’analyse porterait alors sur les pratiques habituelles. Le défendeur a fait valoir qu’il n’y a pas beaucoup d’arguments en faveur de l’augmentation salariale des membres des sous-groupes LES-TO et LES-IM en tant que pratique habituelle.

[96] Le facteur de relativité interne de 79 % est entré en vigueur en 1989 et 1992, mais peu après, au milieu des années 1990, un gel des salaires est entré en vigueur pour tous les fonctionnaires. Celui-ci s’est répété une dizaine d’années plus tard avec l’entrée en vigueur de la Loi sur le contrôle des dépenses (L.C. 2009, ch. 2, art. 393). Ainsi, la relativité interne n’était pas le seul facteur influençant les augmentations salariales des membres du groupe LES. Elle ne doit donc pas être considérée comme une pratique indiscutable. Les pratiques antérieures concernant les augmentations salariales des membres du groupe LES étaient trop aléatoires pour constituer une tendance.

[97] Le défendeur a également remis en question le caractère raisonnable de l’attente. Les attentes doivent être guidées par le processus de détermination des conditions, et pas seulement par les effets du passé. Une augmentation salariale n’est pas une condition d’emploi tant que le CT n’a pas rendu sa décision de l’accorder. Dans le présent cas, personne n’a été informé d’une augmentation avant le 5 avril 2017.

[98] La troisième étape de l’analyse évoquée dans Whistler – Stationnement consiste à se demander ce qu’un employeur raisonnable aurait fait dans les circonstances. Le défendeur a déclaré une fois de plus que le fait d’inclure les membres civils du groupe LES dans le plan d’augmentation salariale pendant qu’une période de gel était en vigueur aurait été contraire à l’article 56 de la LRTSPF, ce qui n’aurait pas été une ligne de conduite raisonnable.

[99] En ce qui concerne les plaintes de pratique déloyale de travail, le défendeur a renvoyé à Gray c. Agence du revenu du Canada, 2013 CRTFP 11, aux paragraphes 78 et 79, qui se lisent comme suit :

[78] Dans une plainte de pratique déloyale de travail aux termes du paragraphe 186(2) de la Loi, le fardeau de la preuve est établi comme suit au paragraphe 191(3) :

191. (3) La présentation par écrit, au titre du paragraphe 190(1), de toute plainte faisant état d’une contravention, par l’employeur ou la personne agissant pour son compte, du paragraphe 186(2), constitue une preuve de la contravention; il incombe dès lors à la partie qui nie celle-ci de prouver le contraire.

[79] Selon la jurisprudence de la Commission, un plaignant doit présenter une cause défendable de violation du paragraphe 186(2) de la Loi avant que l’inversion du fardeau de la preuve n’entre en vigueur; voir Quadrini, Manella et Hager et al. Comme la Commission l’a indiqué au paragraphe 32 de Quadrini : « […] la question essentielle à trancher est la suivante : si l’on tient pour acquis que tous les faits allégués dans la plainte sont vrais, y a-t-il une preuve soutenable que les défendeurs ont violé les sous-alinéas 186(2)a)(iii) ou (iv) de la nouvelle Loi? »

 

[100] Le défendeur a également cité le paragraphe 82 de Gray, qui se lit comme suit :

[82] En ce qui concerne l’allégation selon laquelle l’ARC a violé le sous-alinéa 186(2)a)(iv) de la Loi, pour établir qu’il y a bel et bien eu violation de cette disposition, un plaignant doit prouver que des mesures énoncées à l’alinéa 186(2)a) ont été prises parce que le plaignant « […] a exercé tout droit prévu par la présente partie ou la partie 2 […] » (voir le sous-alinéa 186(2)a)(iv)). Autrement dit, un plaignant doit démontrer qu’il a fait l’objet de l’une des mesures de représailles énoncées à l’alinéa 186(2)a) parce qu’il a exercé l’un de ses droits en vertu des parties 1 ou 2 de la Loi.

 

[101] Le défendeur a fait valoir qu’aucun élément de preuve n’indiquait une quelconque intimidation, menace ou discrimination. Le simple fait du présent cas, a-t-il fait valoir, est que le gel a été donné comme raison pour laquelle les membres civils du groupe LES n’ont pas reçu la même augmentation que les membres réguliers. Aucune preuve n’a été apportée pour tracer un lien entre l’exercice du droit et une quelconque forme de représailles.

[102] Il n’y a eu aucune forme de représailles, a fait valoir le défendeur. Il n’y a qu’un simple désaccord sur les conséquences de la période de gel. La GRC a simplement essayé de respecter les lois protégeant l’intégrité du processus d’accréditation.

[103] Le défendeur a fait valoir que Mme Williams avait donné une explication crédible et raisonnable quant au moment où les renseignements relatifs à la concordance des salaires ont été diffusés. Dans le cas des membres civils du groupe LES, le projet des catégories de fonctionnaires visait surtout à expliquer comment la conversion les toucherait. Étant donné qu’aucune augmentation salariale n’était prévue à court terme, il n’était pas nécessaire d’expliquer la concordance des salaires, puisqu’elle n’avait pas d’incidence sur le travail des membres au quotidien. Mme Williams a également expliqué que les membres civils posaient beaucoup de questions et qu’il n’était pas toujours possible d’y répondre sur le champ. Selon le défendeur, il s’agit d’une explication raisonnable du délai écoulé entre le 6 et le 21 avril 2017.

[104] Selon le défendeur, les éléments de preuve montraient clairement que, dès la signature de la convention collective concernée, des lettres ont été envoyées pour demander la mise en œuvre de l’augmentation salariale. Sur le plan juridique, telle était la position de la GRC depuis le début : la période de gel devait être respectée.

[105] Le défendeur a fait valoir que personne n’a fait de commentaire à aucun moment sur un quelconque aspect du processus de syndicalisation. L’explication donnée le 21 avril 2017 aux membres civils au sujet de la concordance des salaires ne peut en aucun cas être interprétée comme une forme d’intimidation, de coercition ou d’influence indue.

[106] Le défendeur a cité Association des pilotes fédéraux du Canada c. Ministère des Transports, Bureau de la sécurité des transports et Secrétariat du Conseil du Trésor, 2018 CRTESPF 91, sur la question de l’intimidation. Il est énoncé ce qui suit aux paragraphes 659 et 660 :

[659] Le paragraphe 186(5) de la Loi prévoit qu’un employeur ne se livre pas à une pratique déloyale de travail du seul fait qu’il exprime son point de vue, pourvu qu’il n’ait pas indûment usé de son influence, fait des promesses ou recouru à la coercition, à l’intimidation ou à la menace.

[660] Dans Conseil canadien des Teamsters c. FedEx Ground Package System, ltée, 2011 CCRI 614, au paragraphe 81, le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) a examiné une disposition du Code canadien du travail qui était pratiquement identique. Le Conseil, à partir de la jurisprudence, a tiré les principes non exhaustifs qui sont énoncés ci-dessous :

· Un employeur a le droit d’exprimer son point de vue et n’est pas confiné à de simples banalités. Il y a un juste milieu, entre de simples banalités et l’ingérence et l’influence indue, qui permet à l’employeur d’exprimer librement son point de vue.

· En évaluant le comportement de l’employeur, le Conseil devrait chercher à établir si ledit comportement a porté atteinte à la capacité des employés d’exprimer leurs véritables désirs. Autrement dit, le comportement de l’employeur a-t-il privé les employés de la capacité d’exprimer leurs véritables désirs de décider d’adhérer ou non au syndicat?

· La définition de l’intimidation, de la coercition et de l’influence indue dans le contexte des relations de travail renferme l’élément fondamental suivant : le recours à une certaine forme de force ou à la menace, ou le fait d’exercer une pression indue ou une contrainte dans le but de contrôler ou d’influencer la liberté d’association des employés.

[…]

 

[107] Comme l’a noté la Commission au paragraphe 618 de Lala c. Les travailleurs unis de l’alimentation et du commerce, section locale 401, 2017 CRTESPF 42, le contexte dans lequel une déclaration est faite est utile pour analyser si le paragraphe 186(1) de la LRTSPF a été violé. Dans le présent cas, le contexte est simple, a fait valoir le défendeur. La GRC a répondu de manière directe aux questions des membres civils sur l’augmentation des salaires.

[108] En résumé, selon le défendeur, la plainte visée à l’article 190 de la LRTSPF devrait être rejetée parce que la pratique consistant à établir la rémunération des membres civils du groupe LES à 79 % du salaire d’un gendarme supérieur a pris fin au moment de l’exercice de concordance des salaires de ces membres avec ceux du groupe PO, lors de la création de celui-ci le 15 mai 2014. En ce qui concerne le fait d’associer l’annonce de la concordance des salaires à une pratique déloyale de travail, le défendeur a fait valoir que les choses ne se sont simplement pas produites comme il a été allégué. Les explications fournies par M. Duggan et Mme Williams concernant le moment de l’annonce étaient tout à fait raisonnables.

[109] Le défendeur a conclu ses observations par deux remarques sur la réparation à accorder dans l’éventualité où la Commission donnerait raison au plaignant. Premièrement, aucun intérêt ne devrait être payable sur les sommes accordées, car, en vertu de l’alinéa 226(2)c) de la LRTSPF, la Commission ne peut accorder des intérêts que sur un grief portant sur le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire. Sur ce point, la décision Dansou c. Agence du revenu du Canada, 2020 CRTESPF 100, au paragraphe 36, se lit comme suit :

[36] Cette dette est prescrite. Si la paye de février 2007 était erronée, le recouvrement devait se faire au plus tard en février 2013. Il était trop tard en avril 2013 pour recouvrer ce montant. Par conséquent, le montant de 64,07 $ devra être remboursé à la fonctionnaire. Toutefois, je n’ai pas compétence pour accorder des intérêts sur cette somme, puisque la Loi prévoit expressément, à l’al. 226(2)c), les circonstances dans lesquelles la Commission peut accorder des intérêts dans le cadre de l’arbitrage d’un grief : « […] le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire […] ». La situation en l’espèce n’est pas visée.

 

[110] De même, il est énoncé ce qui suit dans la décision Roy c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2019 CRTESPF 49, au paragraphe 88 :

[88] La Commission a le pouvoir d’accorder des intérêts en vertu de l’alinéa 226(2)(c) de la Loi dans le cas d’un grief « portant sur le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire ». Le législateur ayant défini les pouvoirs d’octroyer des intérêts, il s’ensuit par simple interprétation législative que la Commission n’a pas l’autorité d’accorder des intérêts dans d’autres circonstances, comme celle en l’espèce.

 

[111] La deuxième observation du défendeur sur les mesures correctives concernait l’inclusion des sous-groupes PO dans l’éventualité où les sous-groupes LES réussiraient à faire valoir leur droit aux augmentations salariales annoncées en avril 2017. La présomption selon laquelle l’augmentation annoncée devrait leur revenir n’est pas fondée. Depuis la création du groupe PO, en 2014, il existe une convention collective pertinente à laquelle les salaires des PO sont liés. Le groupe PO n’a pas d’antécédents liant son salaire à celui des membres réguliers. Il n’y a donc pas d’argument sur lequel s’appuyer pour faire valoir une pratique antérieure.

IV. Décision et motifs

[112] Les parties ont correctement défini les cadres analytiques d’une violation alléguée d’un gel prévu par la loi et d’une allégation de pratique déloyale de travail. Je vais les aborder à tour de rôle.

A. Violation du gel prévu par la loi

[113] Je suis d’accord avec le cadre analytique articulé comme suit aux paragraphes 92 à 94 de la décision Whistler – Stationnement :

[92] À la première étape, il faut examiner si un employeur a apporté des modifications non approuvées aux conditions d’emploi pendant une période de gel, étant entendu que les conditions modifiées puissent être incluses dans une convention collective.

[93] À la deuxième étape, il faut se demander si ce changement était conforme aux pratiques habituelles de l’employeur. Souvent, à ce stade, il est nécessaire de déterminer si les changements faisaient ou non partie des attentes raisonnables de l’employé.

[94] Une troisième étape est requise dans les situations où il est difficile, voire impossible, d’appliquer les critères du maintien du cours normal des affaires ou des attentes raisonnables. Dans ce cas, il faut appliquer le critère de l’employeur raisonnable énoncé dans Wal-Mart.

 

[114] La condition d’emploi doit pouvoir être incluse dans une convention collective. La condition d’emploi en cause dans le présent cas est l’étalonnage du salaire des membres civils des sous-groupes LES-TO et LES-IM à 79 % du salaire d’un gendarme supérieur. Le salaire, et le calcul des augmentations salariales, sont sans aucun doute des conditions d’emploi susceptibles d’être incluses dans une convention collective. Ce point n’est pas contesté.

[115] En ce qui concerne le début de la période de gel, les parties conviennent de ce qui suit :

· Le 9 décembre 2016, le SCFP a déposé une demande d’accréditation pour l’unité de négociation proposée suivante :

– Tous les membres civils de la GRC faisant partie du sous-groupe professionnel LES-TO (dossier de la Commission 542-02-8).

 

· Le 19 janvier 2017, le SCFP a déposé une demande d’accréditation pour l’unité de négociation proposée suivante :

– Tous les employés du Conseil du Trésor du Canada faisant partie du sous-groupe professionnel PO-TCO (dossier de la Commission 542-02-09).

 

· Le 28 mars 2017, le SCFP a déposé une demande d’accréditation pour l’unité de négociation proposée suivante :

– Tous les membres civils de la GRC faisant partie du sous-groupe professionnel LES-IM;

– Tous les employés du Conseil du Trésor du Canada faisant partie du sous-groupe professionnel PO-IMA (dossier de la Commission 542-02-11).

 

[116] Ces dates sont importantes, car elles fixent des paramètres très clairs pour le début du gel. Conformément à l’alinéa 56b) de la LRTSPF, la période de gel se termine 30 jours après l’accréditation d’une organisation syndicale. Lorsque la plainte a été déposée, le 5 mai 2017, la demande d’accréditation n’avait pas encore fait l’objet d’une décision. Par conséquent, la période de gel était en vigueur depuis l’annonce des augmentations salariales des membres réguliers, en avril 2017.

[117] J’estime que le défendeur a quelque peu brouillé les pistes en faisant valoir (je paraphrase) que [traduction] « les augmentations annoncées en avril 2017 n’avaient pas été confirmées avant le début du gel et n’étaient pas encore une condition d’emploi pour quiconque ». Cette déclaration n’est pas pertinente, car les augmentations d’avril 2017 ne constituent pas la condition d’emploi en cause. La condition d’emploi en cause est l’étalonnage des salaires des membres civils des sous-groupes LES-IM et LES-TO. L’essentiel de la question qui m’est soumise est de savoir si la création des groupes PO, le 15 mai 2014, a modifié cette condition.

[118] Au cœur de cet aspect de la thèse du défendeur se trouve le témoignage de M. Duggan concernant son interprétation de certains documents du CT, à savoir les suivants :

· des documents datant de 1972 concernant les catégories de membres civils et les salaires connexes;

 

· des documents datant de 1989 concernant les salaires des membres civils du sous-groupe LES-TO;

 

· des documents datant de 1992 concernant les salaires des membres civils du sous-groupe LES-IM;

 

· des documents datant de 2014 concernant la création des sous-groupes PO-TCO et PO-IMA et les conséquences pour les membres civils actuels des sous‑groupes LES-TO et LES-IM;

 

· des documents concernant l’annonce de l’augmentation salariale des membres de la GRC en avril 2017.

 

[119] Les parties s’entendent pour dire que les autres catégories de membres civils de la GRC ont un groupe de comparaison dans l’administration publique centrale. Le terme « groupe de comparaison » signifie simplement que le travail qu’ils effectuent est, au bout du compte, le même que celui effectué par les fonctionnaires d’un groupe de comparaison donné de l’administration publique centrale.

[120] Il s’agit d’un point d’entente important, car c’est ainsi que sont calculés les salaires de ces autres catégories de membres civils. Lorsqu’une convention collective est conclue pour le groupe de comparaison de l’administration publique centrale, le CT autorise une augmentation salariale pour les membres civils auxquels ce groupe de comparaison est expressément lié.

[121] Dès 1972, il a été établi qu’il existait deux sous-groupes de membres civils de la GRC pour lesquels il n’y avait pas de groupe de comparaison dans l’administration publique centrale. Bien qu’ils n’aient pas toujours été désignés ainsi, ces deux groupes seraient plus tard connus comme étant les sous-groupes LES-TO et LES-IM.

[122] Étant donné que ces deux sous-groupes avaient des tâches correspondant plus étroitement au travail effectué par les membres réguliers de la GRC qu’à celui de n’importe quel groupe de l’administration publique centrale, leurs taux de rémunération devaient être calculés différemment.

[123] Les parties conviennent qu’une analyse de régression linéaire des salaires de plusieurs groupes différents a été le mécanisme mathématique utilisé initialement pour parvenir à un taux de rémunération pour ces deux groupes. Il est également admis que la méthode de régression linéaire a entraîné des complications inhérentes qui ont été résolues par des déclarations officielles, en 1989 pour les membres civils du sous-groupe LES-TO et en 1992 pour les membres civils du sous-groupe LES-IM, suivant lesquelles les salaires seraient tout simplement établis à 79 % de celui d’un gendarme supérieur de la GRC.

[124] En 1989 et 1992, le CT a annoncé et publié ces décisions importantes, et les bulletins ont été présentés en preuve lors de l’audience.

[125] Les parties s’entendent également pour dire qu’à partir de ces dates, et jusqu’à l’augmentation salariale de 2014 inclusivement, chaque fois que le CT annonçait une augmentation salariale pour les membres réguliers de la GRC, celle-ci valait pour [traduction] « […] les membres de la GRC ayant le grade de surintendant ou un grade inférieur, ainsi que pour les gendarmes spéciaux ».

[126] Les membres civils du groupe LES savaient que leur salaire augmenterait dans les mêmes proportions, selon le calcul reposant sur un taux de 79 %. Le défendeur a fait valoir que les années de restrictions budgétaires au cours desquelles des augmentations salariales nulles étaient répandues dans l’ensemble de la fonction publique correspondaient à un environnement « aléatoire » qui ne pouvait s’apparenter à une tendance. Je ne suis pas d’accord, car 79 % de 0 est 0. Comme tous les autres fonctionnaires visés par la Loi sur le contrôle des dépenses, les membres civils des sous‑groupes LES-IM et LES-TO n’ont pas reçu d’augmentation salariale au cours de ces années. Cela n’a rien à voir avec la manière dont leur augmentation salariale était calculée.

[127] M. Duggan a témoigné que, selon le modèle établi en 1972, l’alignement des taux de rémunération ne nécessite qu’une classification dans un groupe identique au sein de l’administration publique centrale. Le paragraphe 4 de l’exposé du CT daté du 22 août 1972 précise ce qui suit :

[Traduction]

 

4) Le Conseil du Trésor […] donne instruction que les taux de rémunération de la fonction publique, tels que révisés de temps à autre, s’appliquent aux postes de membres civils et de gendarmes spéciaux qui ont été classifiés conformément aux normes de classification de la fonction publique, à compter du 1er avril 1972.

 

[128] M. Duggan est d’avis que c’est précisément ce qui s’est passé le 16 mai 2014, lorsque les postes LES-TO et LES-IM ont été classifiés conformément aux normes de classification de la fonction publique relatives aux postes PO-TCO et PO-IMA. Ainsi, selon M. Duggan, les conditions d’emploi des membres civils des sous-groupes LES-TO et LES-IM n’ont jamais changé.

[129] Avec tout le respect que je dois à M. Duggan, qui est extrêmement compétent en la matière et qui a été un témoin très important, il n’était pas qualifié en tant qu’expert dans le cadre de cette procédure. Son opinion reste ce qu’elle est, une opinion, laquelle j’ai quelques difficultés à accepter.

[130] Il ne fait aucun doute que l’exercice de classification a eu lieu, mais je ne suis pas d’accord pour dire que la concordance des salaires des sous-groupes LES-TO et LES-IM des nouveaux postes PO-TCO et PO-IMA s’est faite automatiquement. De fait, c’est plutôt l’inverse qui est vrai, s’il en est. Les salaires des (nouveaux) groupes PO ont été délibérément alignés sur ceux des groupes LES (existants), et non l’inverse.

[131] Je trouve très significatif que tous les documents déposés en preuve sur le sujet de la concordance des salaires mentionnent explicitement l’exercice de [traduction] « conversion ». Chaque fois qu’un témoin était interrogé sur l’élément déclencheur de la concordance des groupes LES aux groupes PO, il mentionnait la conversion, laquelle devait se produire [traduction] « à une date ultérieure ». La preuve montre que la date de conversion est la date à laquelle la concordance des salaires aura lieu, mais que la conversion n’a pas encore eu lieu.

[132] L’argument du plaignant, avec lequel je suis d’accord, est que si la décision du CT du 15 mai 2014 marquait un écart si important par rapport aux annonces de 1989 et 1992 concernant l’étalonnage de la rémunération des sous-groupes LES-TO et LES-IM à 79 % de la rémunération d’un gendarme supérieur, alors il aurait dû en faire l’annonce. Si le CT a déjà fait une telle annonce, celle-ci n’a pas été présentée en preuve.

[133] La lettre que Manon Brassard, la sous-ministre adjointe du CT, a adressée au DPRH de la GRC, le sous-commissaire Dan Dubeau, le 16 mai 201, a été versée au dossier comme élément de preuve :

[Traduction]

 

[…]

Monsieur le sous-commissaire :

J’ai le plaisir de vous informer que les ministres du Conseil du Trésor ont approuvé un nouveau groupe de soutien aux opérations policières (PO) sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP), ainsi que la norme de classification, la norme de qualification et la ligne de rémunération qui s’y rattachent, pour usage exclusif par la GRC. Le nouveau groupe PO et ses deux sous-groupes, soit Opérations de télécommunications (PO-TCO) et Monitorage et analyse des interceptions (PO-IMA), ont été spécialement conçus pour englober le travail de la GRC actuellement effectué par les préposés à l’écoute (IM) et les opérateurs des télécommunications (TO), membres civils de la GRC, dans le groupe du Soutien à l’application de la loi (LES), sous le régime de la Loi sur la GRC.

Le groupe PO est entré en vigueur le 15 mai 2014, date à laquelle le président du Conseil du Trésor a approuvé les conditions d’emploi connexes. En particulier, les conditions d’emploi du groupe PO ont été directement liées à celles du groupe Services techniques (TC), par la voie de modifications consécutives de la Directive sur les conditions d’emploi et de la Directive sur les conditions d’emploi de certains employés exclus/non représentés. Parallèlement, ces directives ont également été modifiées par l’ajout d’un libellé particulier au groupe PO, afin de tenir compte de la souplesse opérationnelle de la GRC en ce qui concerne les heures de travail et l’attribution des quarts de travail.

Depuis le 15 mai 2014, la GRC est libre d’embaucher des employés occasionnels, des employés nommés pour une période déterminée et des employés nommés pour une période indéterminée pour effectuer des tâches qui relèvent du groupe PO. À court terme, la création du groupe PO facilite la transition de la GRC, prévue plus tard dans l’année, qui cessera le recours aux employés civils temporaires (ECT). À plus long terme, l’existence du groupe PO offre une solution de classification globale pour le passage des membres civils entre les groupes prévus aux termes de la Loi sur la GRC et ceux prévus aux termes de la LEFP, à une date ultérieure.

[…]

 

[134] La phrase clé est la dernière, qui parle des conséquences « à plus long terme » pour les membres civils des sous-groupes LES-TO et LES-IM. La création des sous-groupes PO-TCO et PO-IMA, pour paraphraser M. Duggan, [traduction] « donne aux membres civils des sous-groupes LES-TO et LES-IM un endroit où atterrir, une fois la conversion effectuée ». Je conclus que la création des sous-groupes PO-TCO et PO-IMA avait pour but de permettre et de faciliter le processus de conversion, et non de modifier la façon dont les taux de rémunération étaient calculés pour les membres civils des sous-groupes LES-TO et LES-IM. Oui, bien sûr, la création des sous-groupes PO-TCO et PO-IMA finira par avoir cet effet, mais seulement une fois que la conversion aura eu lieu.

[135] Cette conclusion a été renforcée à plusieurs reprises. Les membres civils des sous-groupes LES-TO et LES-IM, s’inquiétant à juste titre de leurs conditions d’emploi à l’annonce du 16 mai 2014, ont immédiatement commencé à poser des questions très précises sur les conséquences de la création des sous-groupes PO.

[136] Le DPRH avait déjà écrit, le 29 avril 2014 :

[Traduction]

 

Nouvelle catégorie professionnelle de la fonction publique pour les opérateurs des télécommunications et les préposés à l’écoute

Je souhaite vous informer d’un changement important dans le processus de mise en œuvre de la Loi visant à accroître la responsabilité de la Gendarmerie royale du Canada (Loi sur la responsabilité), une loi qui modifie la Loi sur la GRC.

Le Conseil du Trésor a approuvé un nouveau groupe professionnel de la fonction publique, soit le groupe du Soutien aux opérations policières (PO).

Jusqu’à présent, il n’existait pas de groupe professionnel de la fonction publique pour la classification des postes du personnel de la GRC appartenant au groupe professionnel du soutien à l’application de la loi (LES), comprenant deux sous-groupes, soit les préposés à l’écoute (LES-IM) et les opérateurs des télécommunications (LES-TO), parce que seule la GRC fait ce genre de travail.

Le nouveau groupe PO comprend deux sous-groupes : le sous‑groupe Monitorage et analyse des interceptions (PO-IMA) et le sous-groupe Opérations de télécommunications (PO-TCO). La création du nouveau groupe professionnel et de ses sous-groupes permettra à la GRC d’embaucher des employés de la fonction publique nommés pour une période déterminée et des employés occasionnels pour ce travail essentiel d’appui à la police. Voilà qui est important, car, comme nous l’avons déjà communiqué, la Loi sur la responsabilité contient une disposition qui retire à la GRC le pouvoir de nommer et d’employer des employés civils temporaires (ECT) […]

Les conditions générales liées à ce groupe professionnel n’ont pas encore été approuvées par le président du CT. Cela dit, pour que la GRC puisse continuer à fournir des services dans ces deux domaines, l’équipe chargée de l’initiative de réforme législative (IRL) a confirmé au Secrétariat du Conseil du Trésor que les travaux préparatoires pouvaient se poursuivre en attendant l’approbation finale. Dès que la GRC aura reçu l’approbation du CT, les derniers préparatifs commenceront. De plus amples renseignements sur le nouveau groupe, y compris des questions et des réponses, seront bientôt publiés sur le site du projet des catégories de fonctionnaires.

Je précise que les membres civils actuels travaillant dans les groupes LES-TO et LES-IM ne sont pas touchés pour le moment.

[…]

 

[137] Si le mode d’augmentation des salaires des membres civils des sous-groupes LES-TO et LES-IM était sur le point d’être fondamentalement et définitivement modifié dans les semaines à venir, cela aurait été un très bon moment pour le signaler. Au contraire, le DPRH rassure tout le monde : [traduction] « […] les membres civils actuels travaillant dans les sous-groupes LES-TO et LES-IM ne sont pas touchés pour le moment ».

[138] Peu après, en réponse à d’autres préoccupations, le DPRH a publié un [traduction] « Message de suivi du DPRH concernant l’approbation par le Conseil du Trésor (CT) des conditions générales liées au groupe de soutien aux opérations policières (PO) », comme suit :

[Traduction]

 

À la suite de mon message du 29 avril 2014 concernant l’approbation par le Conseil du Trésor (CT) du nouveau groupe de Soutien aux opérations policières (PO), j’ai le plaisir d’annoncer que le CT a approuvé les conditions d’emploi du nouveau groupe professionnel PO.

Cette approbation signifie que la GRC peut procéder à l’embauche d’employés de la fonction publique (EFP) temporaires (nomination à durée déterminée et employés occasionnels) dans les nouveaux sous-groupes Monitorage et analyse des interceptions (PO-IMA) et Opérations de télécommunications (PO-TCO) pour ce travail essentiel d’appui à la police.

Il a déjà été communiqué qu’il s’agit d’une question importante, car la […] (Loi sur la responsabilité) contient une disposition qui retire à la GRC le pouvoir de nommer et d’employer des employés civils temporaires (ECT) […]

Les membres civils (MC) actuels travaillant dans le groupe professionnel existant de soutien à l’application de la loi (LES), composé de préposés à l’écoute (LES-IM) et d’opérateurs des télécommunications (LES-TO), ne sont pas touchés pour le moment.

La Loi sur la responsabilité prévoit un mécanisme par lequel le CT, à une date qui reste à déterminer, pourra considérer que les MC deviennent des EFP. La nouvelle catégorie professionnelle PO et ses deux sous-groupes (PO-IMA et PO-TCO) ne s’appliquent pas aux MC actuels tant que la conversion n’aura pas eu lieu. Une fois la conversion faite, tous les rôles au sein de la Station de transmissions opérationnelles (STO) et toutes les fonctions relevant du Monitorage des interceptions (IM) (y compris les fonctions de formation, de politique et de supervision) seront inclus dans le nouveau groupe professionnel PO.

Il est également important de noter que les MC bénéficient d’avantages que les ECT n’ont pas, tels que l’indemnité de service, le déménagement lors du départ à la retraite, les funérailles payées, etc. Ces avantages n’ont pas été abordés dans les conditions générales pour le moment, mais ils le seront dans le cadre du processus de conversion.

Nous avons publié de plus amples renseignements sur le groupe sur le site Web du projet des catégories de fonctionnaires, y compris des questions et réponses, et nous vous invitons à continuer de consulter ce site pour vous tenir au courant des renseignements les plus récents […]

[…]

 

[139] Une fois de plus, une occasion a été ratée d’annoncer la nouvelle très importante que les augmentations salariales des sous-groupes LES-TO et LES-IM ne seraient plus liées à celles des membres réguliers. Le site de questions et réponses ne mentionne pas non plus la concordance de leurs salaires à ceux des nouveaux sous‑groupes PO. De toute évidence, sur la base des témoignages de M. Duggan et de Mme Williams et du contenu des notes et des courriels du DPRH, la création des sous‑groupes PO aura très certainement des conséquences importantes, mais seulement une fois que la conversion aura eu lieu.

[140] Deux dates ont déjà été fixées pour la conversion. La première était le 26 avril 2018 (Gazette du Canada, Partie 1, vol. 151, no 6, page 672). La seconde était le 21 mai 2020 (Gazette du Canada, Partie 1, vol. 152, no 14, page 1134). Les deux dates sont passées. La conversion n’a pas encore eu lieu.

[141] En 2014, après plusieurs années sans annonce d’augmentation salariale, l’on s’attendait à ce qu’une telle annonce soit faite au printemps 2017. Le 4 janvier 2016, le commissaire a annoncé qu’aucune augmentation salariale n’était prévue pour l’exercice 2015-2016, ajoutant ceci : [traduction] « […] toute éventuelle décision serait rétroactive au 1er janvier 2015 ».

[142] Aucun de ces bulletins ou annonces ne fait mention de la concordance des salaires pour les groupes LES-TO et LES-IM.

[143] Entre-temps, le projet de catégories des fonctionnaires a continué à susciter des inquiétudes et des questions chez les membres civils des sous-groupes LES-IM et LES-TO. Des questions ont continué à être posées et des réponses ont continué à être données au sujet de leurs conditions d’emploi.

[144] Les membres de la direction de la GRC n’étaient pas tous sur la même longueur d’onde lorsqu’ils ont fourni ces réponses. Mme Williams estime que Mme Lupien a fait erreur lorsqu’elle a écrit :

[Traduction]

 

Bonjour Alex,

Désolée du temps que j’ai mis à répondre.

Tu as un certain nombre de questions auxquelles nous allons essayer de répondre, mais nous ne sommes pas en mesure pour l’instant de répondre à celles qui concernent les conditions d’emploi des membres civils au moment de la conversion.

[…]

Les salaires des membres de la catégorie LES ne sont pas actuellement alignés sur ceux d’un groupe professionnel de la fonction publique […]

[…]

 

[145] J’estime que la déclaration de Mme Lupien est correcte, car elle a utilisé le mot « actuellement » dans sa réponse. En date du 27 juin 2016, les salaires des membres de la catégorie LES n’étaient pas encore alignés sur ceux d’un groupe professionnel de la fonction publique parce que, selon tous les documents du CT déposés en preuve, l’alignement ne sera pas fait tant que la conversion n’aura pas eu lieu.

[146] Le 16 août 2016, le sous-commissaire Stephen White, dirigeant principal adjoint des ressources humaines, a écrit à M. Benoit, résumant l’examen des fonctions et responsabilités du sous-groupe LES-TO dans le contexte de la création du sous-groupe PO-TCO. Il a conclu par cette phrase : « Par conséquent, tous les postes de membres civils de la GRC, y compris les LES-TO, ont été mis en correspondance avec les groupes professionnels de la fonction publique. »

[147] Ce qu’a écrit le commissaire adjoint White est exact – les postes LES ont été mis en correspondance avec les groupes professionnels de la fonction publique. Ce qu’il n’a pas dit, c’est que la concordance des salaires avait nécessairement résulté de cet exercice de mise en correspondance. Il n’aurait pas pu le mentionner, parce que le CT était silencieux sur cette question précise, car la concordance des salaires n’aurait lieu qu’au moment de la conversion. Le commissaire adjoint White n’a pas pu donner plus de détails, car il n’a pas témoigné lors de l’audience.

[148] J’estime que le plaignant s’est acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait en ce qui concerne son allégation de violation d’un gel prévu par la loi. Selon les témoignages et les éléments de preuve documentaire présentés lors de l’audience, je tire les conclusions suivantes :

1) Une condition d’emploi existait le jour où la demande d’accréditation a été déposée pour les sous-groupes LES-TO et LES-IM, à savoir le salaire et son mode de calcul. Précisément, il s’agit de l’étalonnage de la rémunération des membres civils des sous-groupes LES-TO et LES-IM à 79 % de la rémunération d’un gendarme supérieur.

 

2) Le défendeur a modifié cette condition d’emploi en n’accordant pas l’augmentation salariale du 5 avril 2017 aux sous-groupes LES-TO et LES-IM, ce qui a été fait unilatéralement, sans le consentement de la Commission.

 

3) Le changement a été effectué pendant la période de gel. Conformément à l’alinéa 56b) de la LRTSPF, la période de gel se termine 30 jours après l’accréditation d’une organisation syndicale. Lorsque la plainte a été présentée, le 5 mai 2017, la demande d’accréditation n’avait pas encore fait l’objet d’une décision. Ainsi, la période de gel était en vigueur à l’annonce des augmentations salariales, le 5 avril 2017.

 

4) Les conditions d’emploi (salaire et mode de calcul du salaire) peuvent être incluses dans une convention collective.

 

[149] Selon FPN no 1, au paragraphe 78, « [p]our être conforme aux attentes raisonnables des employés, un changement doit faire partie d’une tendance établie de telle sorte que les employés s’y attendraient raisonnablement […] ». Étant donné que les membres civils du groupe LES ont reçu (depuis 1989 pour le sous-groupe LES-TO et depuis 1992 pour le sous-groupe LES-IM) 79 % du salaire d’un gendarme supérieur, on peut affirmer sans risque que le 5 avril 2017, il s’agissait d’une attente raisonnable.

[150] La troisième étape de l’analyse évoquée dans Whistler – Stationnement consiste à se demander ce qu’un employeur raisonnable aurait fait dans les circonstances. Le défendeur a fait valoir que le fait d’inclure les membres civils du groupe LES dans le plan d’augmentation salariale pendant qu’une période de gel était en vigueur aurait été contraire à l’article 56 de la LRTSPF, ce qui n’aurait pas été une ligne de conduite raisonnable.

[151] J’estime qu’il n’y a pas lieu de mener l’analyse de l’« employeur raisonnable » dans le présent cas. Celle-ci n’est requise que s’il est difficile ou impossible de déterminer les pratiques de gestion antérieures. Dans le présent cas, la pratique était claire comme de l’eau de roche. Lorsque le CT annonçait des augmentations salariales pour les membres de la GRC, la rémunération des membres civils des sous-groupes LES-TO et LES-IM était établie à 79 % de la rémunération d’un gendarme supérieur. Cette situation n’a jamais changé et ne changera pas tant que la conversion n’aura pas eu lieu.

[152] Le défendeur, en invoquant l’argument de l’« employeur raisonnable », prétend que l’augmentation salariale n’aurait pas pu être accordée parce qu’elle aurait violé le gel prévu par la loi, ce qui n’aurait pas été une ligne de conduite raisonnable.

[153] Je ne suis pas de cet avis. Des augmentations de salaire régulières, prévues ou attendues peuvent avoir lieu dans le contexte d’un gel prévu par la loi. J’accepte les cas connexes soumis par le plaignant. Toutefois, je souhaite faire expressément référence à la décision Ontario Nurses’ Association, dans laquelle la Commission des relations de travail de l’Ontario a estimé que l’employeur avait enfreint la disposition relative au gel en n’accordant pas d’augmentation salariale aux infirmières, ce qui était contraire à la tendance qui s’était dessinée avant l’accréditation. C’est exactement ce qui s’est produit dans le présent cas. Le paragraphe 13 stipule ce qui suit :

[Traduction]

 

13 Bien que l’appellation « gel » soit restée, elle est quelque peu erronée. Les articles 13 et 79 de la LACTH et de la LRT, respectivement, n’envisagent pas nécessairement une situation statique. Comme le montre la jurisprudence de la Commission, c’est la tendance qui existait avant l’entrée en vigueur du gel et les attentes raisonnables des employés qui sont préservés, et non pas simplement les conditions d’emploi ayant cours au moment de l’entrée en vigueur des dispositions relatives au gel. En tant que tels, l’article 13 de la LACTH et l’article 79 de la LRT sont des dispositions de responsabilité stricte en ce sens que les actions de l’employeur ne doivent pas nécessairement être motivées de manière inappropriée pour qu’il les enfreigne (voir Beaver Electronics Ltd. [1974] OLRB Rep. Mar. 120, The Wellesley Hospital [1976] OLRB Rep. July 364, Kodak Canada Ltd. [1977] OLRB Rep. Aug 517).

 

[154] Ce principe est renforcé comme suit au paragraphe 15 :

[Traduction]

 

15 De nombreux cas de la jurisprudence de la Commission en matière de gel concernent le paiement ou, plus souvent, le non-paiement d’augmentations salariales. La Commission a toujours considéré que le fait de ne pas accorder une augmentation salariale conformément à une pratique antérieure […] constituait une violation de l’article 13 de la LACTH ou de l’article 79 de la LRT […]

 

[155] Les changements importants tels que les augmentations salariales doivent être protégés, même en cas de gel prévu par la loi.

[156] Le plaignant m’a demandé de tirer une conclusion défavorable du fait que le sous-commissaire Dubeau n’a pas témoigné. Il convient de mentionner que le plaignant aurait pu demander une citation à comparaître pour le DPRH, ce qu’il n’a pas fait. Bien que je reconnaisse que le témoignage du DPRH aurait probablement permis d’éclairer certains aspects de ce cas, j’estime qu’il n’est pas nécessaire de tirer une conclusion négative de son absence de témoignage pour conclure que le défendeur a violé la disposition relative au gel.

B. Pratique déloyale de travail

[157] L’article 185 de la LRTSPF définit les « pratiques déloyales » comme suit :

185 Dans la présente section, pratiques déloyales s’entend de tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) et (2), les articles 187 et 188 et le paragraphe 189(1).

185 In this Division, unfair labour practice means anything that is prohibited by subsection 186(1) or (2), section 187 or 188 or subsection 189(1).

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[158] L’allégation de pratique déloyale de travail formulée par le plaignant est simple et n’entraîne pas d’allégations de coercition, de menaces, d’intimidation, de promesses ou d’influence indue. Elle allègue une discrimination dans la mesure où l’augmentation de salaire de 2017 a été refusée en raison des demandes d’accréditation. Le paragraphe 186(2) de la LRTSPF stipule ce qui suit :

186 (2) Il est interdit à l’employeur, à la personne qui agit pour le compte de celui-ci ainsi qu’au titulaire d’un poste de direction ou de confiance, à l’officier, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada ou à la personne qui occupe un poste détenu par un tel officier, qu’ils agissent ou non pour le compte de l’employeur :

186 (2) No employer, no person acting on the employer’s behalf, and, whether or not they are acting on the employer’s behalf, no person who occupies a managerial or confidential position and no person who is an officer as defined in subsection 2(1) of the Royal Canadian Mounted Police Act or who occupies a position held by such an officer, shall:

a) de refuser d’employer ou de continuer à employer une personne donnée, ou encore de la suspendre, de la mettre en disponibilité, de la licencier par mesure d’économie ou d’efficacité à la Gendarmerie royale du Canada ou de faire à son égard des distinctions illicites en matière d’emploi, de salaire ou d’autres conditions d’emploi, de l’intimider, de la menacer ou de prendre d’autres mesures disciplinaires à son égard pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

(a) Refuse to employ or to continue to employ, or suspend, lay off, discharge for the promotion of economy and efficiency in the Royal Canadian Mounted Police or otherwise discriminate against any person with respect to employment, pay or any other term or condition of employment, or intimidate, threaten or otherwise discipline any person, because the person

(i) elle adhère à une organisation syndicale ou en est un dirigeant ou représentant — ou se propose de le faire ou de le devenir, ou incite une autre personne à le faire ou à le devenir —, ou contribue à la formation, la promotion ou l’administration d’une telle organisation,

(i) is or proposes to become, or seeks to induce any other person to become, a member, officer or representative of an employee organization, or participates in the promotion, formation or administration of an employee organization ….

[…]

 

  • [159]Le défendeur a présenté la décision Gray sur la question d’une pratique déloyale de travail. Il y est énoncé ce qui suit au paragraphe 78 :

[78] Dans une plainte de pratique déloyale de travail aux termes du paragraphe 186(2) de la Loi, le fardeau de la preuve est établi comme suit au paragraphe 191(3) :

191. (3) La présentation par écrit, au titre du paragraphe 190(1), de toute plainte faisant état d’une contravention, par l’employeur ou la personne agissant pour son compte, du paragraphe 186(2), constitue une preuve de la contravention; il incombe dès lors à la partie qui nie celle-ci de prouver le contraire.

[79] Selon la jurisprudence de la Commission, un plaignant doit présenter une cause défendable de violation du paragraphe 186(2) de la Loi avant que l’inversion du fardeau de la preuve n’entre en vigueur; voir Quadrini, Manella et Hager et al. « […] la question essentielle à trancher est la suivante : si l’on tient pour acquis que tous les faits allégués dans la plainte sont vrais, y a-t-il une preuve soutenable que les défendeurs ont violé les sous-alinéas 186(2)a)(iii) ou (iv) de la nouvelle Loi? »

 

[160] Le défendeur a également cité Gray, au par. 82, comme suit :

[82] En ce qui concerne l’allégation selon laquelle l’ARC a violé le sous-alinéa 186(2)a)(iv) de la Loi, pour établir qu’il y a bel et bien eu violation de cette disposition, un plaignant doit prouver que des mesures énoncées à l’alinéa 186(2)a) ont été prises parce que le plaignant « […] a exercé tout droit prévu par la présente partie ou la partie 2 […] » (voir le sous-alinéa 186(2)a)(iv)). Autrement dit, un plaignant doit démontrer qu’il a fait l’objet de l’une des mesures de représailles énoncées à l’alinéa 186(2)a) parce qu’il a exercé l’un de ses droits en vertu des parties 1 ou 2 de la Loi.

 

[161] Conformément à l’analyse présentée dans Gray, si les faits allégués dans la plainte sont considérés comme vrais, y a-t-il une cause défendable? Le plaignant allègue que la GRC a commis un acte de discrimination en matière de rémunération lorsque, au motif de sa participation à la formation d’une organisation syndicale, elle lui a refusé une augmentation salariale à laquelle il avait droit. Le plaignant a affirmé que le refus de l’augmentation salariale était une mesure de représailles. J’estime qu’il s’agit d’une affirmation soit vraie soit fausse qui, si elle est considérée comme vraie, crée une cause défendable pour le plaignant.

[162] Lorsque, dans la soirée du 5 avril 2017, Mme Hippern a appris que les membres civils du groupe LES avaient été exclus de l’augmentation salariale, elle a écrit au DPRH à la première heure le lendemain matin pour lui en demander la raison. La réponse fournie par le sous-commissaire Dubeau le 6 avril 2017 suffit à conclure à l’existence d’une pratique déloyale de travail. Il a répondu :

[Traduction]

 

Bonjour Kathleen, je vous remercie pour votre message franc et je comprends votre frustration. Cependant, je dois préciser pourquoi le message d’hier ne concerne que la rémunération de nos membres réguliers. Conformément au message diffusé hier, le commissaire et moi-même avons été informés que l’employeur, le Conseil du Trésor, a approuvé une augmentation pour notre groupe de membres réguliers seulement. Le CT n’a pas approuvé d’augmentation pour nos opérateurs des télécommunications, étant donné que ce groupe fait actuellement l’objet d’une demande d’accréditation par le SCFP, qui souhaite le représenter dans les négociations collectives futures. En tant que telles, les conditions générales de ce groupe sont « gelées » conformément à l’article 56 de la LRTFP, qui énonce :

56 Après notification d’une demande d’accréditation faite en conformité avec la présente partie, l’employeur ne peut modifier les conditions d’emploi applicables aux fonctionnaires de l’unité de négociation proposée et pouvant figurer dans une convention collective, sauf si les modifications se font conformément à une convention collective ou sont approuvées par la Commission. Cette interdiction s’applique, selon le cas :

a) jusqu’au retrait de la demande par l’organisation syndicale ou au rejet de celle-ci par la Commission;

b) jusqu’à l’expiration du délai de trente jours suivant la date d’accréditation de l’organisation syndicale.

Ainsi, nous devons agir en fonction des dispositions de la LRTFP et respecter le processus de certification tel qu’il se déroule.

Encore une fois, je vous remercie d’avoir communiqué avec moi et j’espère que mon explication élucide les exigences législatives auxquelles notre organisation est soumise durant le processus d’accréditation.

Dan

 

[163] L’explication du DPRH est manifestement discriminatoire à l’égard du plaignant pour la seule raison de sa participation à la formation d’une organisation syndicale. J’estime que la plainte, telle qu’elle a été formulée, a donné lieu à une cause clairement défendable à laquelle le défendeur devait répondre et pour laquelle il devait s’acquitter du fardeau qui lui incombe en vertu de la disposition sur l’inversion du fardeau de la preuve.

[164] Si le DPRH avait témoigné, il aurait pu s’expliquer, mais il ne l’a pas fait, et je ne vois pas d’autre moyen d’interpréter son message : l’augmentation salariale a été refusée en raison de la demande d’accréditation du SCFP. Je ne peux conclure que c’est parce que l’augmentation est tombée au mauvais moment, comme le défendeur l’a demandé. Il s’agissait de représailles contre les membres civils parce qu’ils participaient à la formation d’une organisation syndicale.

[165] Par conséquent, le défendeur ne s’est pas acquitté de son fardeau de prouver qu’il n’y a pas eu de pratique déloyale de travail. J’estime qu’il a commis une pratique déloyale de travail lorsqu’il a refusé aux membres des sous-groupes LES l’augmentation salariale annoncée le 5 avril 2017.

[166] L’explication du DPRH a eu une incidence profondément négative sur les membres civils du groupe LES. Comme l’a déclaré sans ambages Mme Hippern, [traduction] « Nous avons eu le sentiment d’être privés de notre augmentation salariale parce que nous avions signé une carte syndicale. » L’incidence est importante lorsqu’il s’agit de déterminer la réparation appropriée.

C. Réparation

[167] Le plaignant demande une déclaration selon laquelle le défendeur a violé le gel prévu par la loi et a commis une pratique déloyale de travail. Le plaignant demande également à la Commission d’ordonner le paiement de l’augmentation salariale annoncée le 5 avril 2017 aux employés de l’unité de négociation.

[168] Le paragraphe 192(1) de la LRTSPF énonce que si la Commission estime qu’une plainte est fondée, elle peut rendre toute ordonnance qu’elle estime indiquée dans les circonstances. La Commission estime que les deux réparations demandées par le plaignant sont nécessaires.

[169] La présente décision tient lieu de déclaration selon laquelle le défendeur a violé le gel prévu par la loi et a commis une pratique déloyale de travail.

[170] La Commission ordonne également le versement de l’augmentation salariale annoncée le 5 avril 2017 à tous les employés de l’unité de négociation. Les sous‑groupes LES auraient dû recevoir l’augmentation salariale annoncée le 5 avril 2017, car les taux de rémunération des sous-groupes LES sont restés étalonnés à 79 % de la rémunération d’un gendarme supérieur. De même, les taux de rémunération du groupe PO sont alignés sur la rémunération des groupes LES depuis 2014. Cette plainte découle d’une demande d’accréditation déposée par le SCFP pour représenter les deux groupes. Le SCFP représente maintenant une unité de négociation composée de ces groupes. À ce titre, les groupes PO devraient également bénéficier de l’augmentation salariale annoncée le 5 avril 2017.

[171] Des éléments indiquent que certaines parties de l’augmentation, à savoir l’augmentation de 1,25 % à compter du 1er janvier 2015 et de 1,25 % à compter du 1er janvier 2016, ont déjà été appliquées (voir Syndicat canadien de la fonction publique c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2018 CRTESPF 3). Dans la mesure où elles ont déjà eu lieu, la réparation doit être rajustée en conséquence.

[172] Par ailleurs, le plaignant a clairement indiqué que l’indemnité de rajustement au marché de 2,3 % prenant effet le 1er avril 2016 pour les membres de la GRC ayant le grade de surintendant ou un grade inférieur et pour les gendarmes spéciaux n’a pas été versée aux employés de l’unité de négociation.

[173] Dans Association des chefs d’équipe des chantiers maritimes du gouvernement fédéral c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2013 CRTFP 139, au par. 33, l’ancienne Commission a conclu qu’elle ne pouvait pas adjuger d’intérêts en vertu du paragraphe 192(1) de la LRTFP. Je n’ai aucune raison d’arriver à une conclusion contraire.

[174] Je laisse aux parties le soin de calculer les sommes à payer conformément aux instructions ci-dessus. Si les parties ne parviennent pas à se mettre d’accord sur le montant de la réparation, la Commission restera saisie pour trancher cette question. La réparation doit être intégralement payée par le défendeur dans un délai de 90 jours à compter de la réception de la présente décision ou, dans le même délai, les parties doivent notifier par écrit à la Commission que son assistance est requise pour résoudre la question.

[175] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)

V. Ordonnance

[176] Le défendeur a commis une pratique déloyale de travail et n’a pas respecté le paragraphe 56 de la LRTSPF (obligation de maintenir les conditions d’emploi).

[177] Les augmentations salariales et les indemnités de rajustement au marché que le CT a annoncées le 5 avril 2017 seront versées aux employés de l’unité de négociation.

[178] Le montant de cette réparation est réduit de toute somme qui aurait déjà été payée.

[179] Ces réparations doivent être payées dans un délai de 90 jours à compter de la réception de la présente décision.

[180] La Commission reste compétente pour le calcul des sommes à payer en vertu des ordonnances susmentionnées. Si les parties ne parviennent pas à se mettre d’accord sur le montant de la réparation, elles notifieront par écrit à la Commission, dans un délai de 90 jours à compter de la réception de la présente décision, que son assistance est requise pour résoudre la question.

Le 27 mars 2023.

(Traduction de la CRTESPF)

James R. Knopp,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

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