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Date: 20230505

Dossier: 561-02-42620

 

Référence: 2023 CRTESPF 48

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Carline Fidèle

plaignante

 

et

 

Fédération de la police nationale

 

défenderesse

Répertorié

Fidèle c. Fédération de la police nationale

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Guy Giguère, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante : Alexander H. Duggan, avocat

Pour la défenderesse : Denise Deschênes et Christopher Rootham, avocats

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés
le 10 février et les 1er et 8 mars 2023.


MOTIFS DE DÉCISION

Introduction

[1] Le 15 février 2021, Carline Fidèle (la « plaignante ») dépose une plainte de pratique déloyale contre la Fédération de la police nationale (la « défenderesse » ou FPN) auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »). Elle soutient que la FPN a refusé de lui fournir une assistance juridique pour son grief en contravention à l’alinéa 190(1)g) et à l’article 185 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »).

[2] Le 25 octobre 2022, la Commission émet une ordonnance pour obtenir des précisions sur les fondements de la plainte, à la demande de la défenderesse. La plaignante doit notamment préciser les réparations recherchées et identifier le grief référé dans sa plainte, afin de savoir s’il s’agit d’un autre que celui du 18 février 2020.

[3] Le 18 novembre 2022, la plaignante précise que le grief du 18 février 2020 (le « grief ») est le seul et unique grief pertinent à sa plainte. Les réparations recherchées sont 24 mois de rémunération globale, le remboursement de toutes les dépenses médicales non couvertes par la Gendarmerie royale du Canada (GRC ou l’« employeur »), ainsi que 25 000 $ en dommages moraux et le remboursement des frais légaux.

[4] Le 19 décembre 2022, la défenderesse présente une requête en rejet sommaire de la plainte afin que cette dernière soit traitée de façon préliminaire sans audience. Elle soumet que la Commission n’a pas la compétence pour entendre la plainte, car elle porte sur un grief déposé en vertu de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (L.R.C. (1985), ch. R-10; la « Loi sur la GRC »). Elle soutient que le devoir de représentation équitable ne s’applique pas à ces griefs.

[5] La présente décision porte sur la requête en rejet sommaire de la plainte. En présumant que les faits présentés par la plaignante sont vrais, il s’agit de déterminer si sa plainte démontre un cas défendable. Comme le grief n’a pas été déposé en vertu de la Loi, mais en vertu de la Loi sur la GRC, il s’ensuit que le devoir de représentation équitable ne s’applique pas à ce grief. J’estime donc, pour les raisons qui suivent, que la plainte ne démontre pas une cause d’argument défendable.

Contexte

[6] En 2001, la plaignante débute comme membre de la GRC. Sa carrière progresse par la suite alors qu’on lui assigne différents postes ainsi que des affectations. Comme tous les membres réguliers de la GRC (les « membres »), elle doit, tous les trois ans, participer à une formation obligatoire de quatre jours sur le tir, le port du masque à gaz, la gestion d’incidents, la mise au sol, le menottage et la « prise de la carotide ».

[7] La semaine du 16 novembre 2015, la plaignante est inscrite à cette formation. Le 19 novembre 2015, elle participe à une pratique de la « prise de la carotide ». Son partenaire a un physique beaucoup plus imposant qu’elle. Lors de la dernière manœuvre, son partenaire met son bras droit autour de son cou et la pousse brusquement en bas du dos pour la mettre au sol, mais il perd l’équilibre. Ce mouvement provoque chez la plaignante un craquement au niveau cervical, suivi d’une douleur intense au cou.

[8] La plaignante avise immédiatement l’instructeur et son superviseur immédiat de cet accident. Quelques jours plus tard, elle reçoit un diagnostic d’entorse cervicale. Elle souffre par la suite de douleurs chroniques, d’insomnie et d’autres problèmes de santé. Il s’en suit de nombreux traitements médicaux, mais sa condition se dégrade.

[9] Le 18 février 2020, la plaignante dépose un grief contre son employeur. Elle y invoque que l’employeur lui a refusé des congés médicaux ou des mesures d’adaptation recommandées bien qu’elle se soit conformée aux exigences sur les congés de maladie.

[10] Le 1er décembre 2020, la plaignante demande l’assistance du caporal François Gagnon, son représentant syndical, à la suite de la réception des arguments de la défenderesse sur son grief. Dans les jours qui suivent, elle lui demande l’assistance d’un conseiller juridique ou de l’aide pour obtenir des conseils juridiques.

[11] Le 4 décembre 2020, son représentant syndical lui répond qu’il manque de temps et qu’il va envoyer sa demande à Stéphane Laframboise, directeur de la Région du centre de la FPN. Le 9 décembre 2020, son représentant syndical l’informe que la FPN ne s’impliquera pas dans son grief. Il lui explique que c’est une question médicale sur laquelle ils ne peuvent pas l’aider à la FPN.

[12] Le 9 décembre 2020, la plaignante contacte M. Laframboise, qui lui précise que les membres de la FPN ne peuvent pas obtenir l’aide d’un avocat pour toute question de problèmes de santé puisqu’ils ne sont pas médecins. Toutefois, la FPN pourrait l’aider si l’employeur a l’intention de procéder à son congédiement.

Analyse

[13] Dans l’analyse de cette demande de rejet sommaire de la plainte, les faits énoncés par la plaignante sont présumés avérés. Il ne s’agit pas d’une détermination sur le fond de la plainte. Il s’agit de déterminer s’il existe une cause d’argument défendable selon laquelle la défenderesse a manqué à son devoir de représentation équitable prévu à l’article 187 de la Loi. Si la réponse est positive, la plainte doit être entendue sur le fond. Si la réponse est négative, la plainte doit être rejetée de façon sommaire.

[14] La plaignante ne soulève ici aucune allégation que sa plainte découle d’une violation de la Loi par l’employeur. La plainte vise uniquement le devoir de représentation de la défenderesse dans le traitement de son grief.

[15] La défenderesse soumet que le grief a été déposé en vertu de la Loi sur la GRC et que ces griefs ne déclenchent donc pas le devoir de représentation équitable. De plus, les griefs en vertu de la Loi sur la GRC ne s’inscrivent pas dans le cadre de la Loi et ne relèvent pas de la Commission. Seuls les griefs déposés en vertu d’une convention collective sont sujets à la Loi, mais la convention collective pertinente est entrée en vigueur six mois après le dépôt de la plainte.

[16] En effet, c’est un principe bien établi que le devoir de représentation équitable de l’article 187 de la Loi s’applique seulement aux affaires ou aux litiges visés par la Loi ou la convention collective applicable (voir Elliott c. Guilde de la marine marchande du Canada, 2008 CRTFP 3; Millar c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2021 CRTESPF 68; Lessard-Gauvin c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2022 CRTESPF 83; Abi-Mansour c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2022 CRTESPF 48).

[17] Tel que prévu aux paragraphes 31(1) et 31(1.01) de la Loi sur la GRC, les membres peuvent déposer deux types de griefs. Le premier type de grief peut être déposé seulement lorsqu’il y a allégation d’une violation de la convention collective ou d’une décision arbitrale. Ce premier type de grief relève de la Commission. Une plainte de manquement au devoir de représentation équitable peut être déposée à la Commission seulement pour ce premier type de grief (voir Frémy c. Gendarmerie royale du Canada, 2021 CRTESPF 47).

[18] Le deuxième type de grief peut être déposé par les membres qui allèguent avoir subi un préjudice lié à la gestion des affaires de la GRC. Ainsi, les questions ayant trait aux conditions d’emploi peuvent faire l’objet de ce deuxième type de grief. Les membres peuvent présenter ce deuxième type de grief indépendamment et sans devoir obtenir l’autorisation du syndicat. Toutefois, la Commission n’a pas compétence sur ce type de grief et elle ne peut pas entendre de plainte des membres sur ce deuxième type de grief.

[19] Le grief de la plaignante porte sur le refus de l’employeur de lui accorder des congés médicaux et des mesures d’adaptation. Il relève clairement de ce deuxième type de grief conformément au paragraphe 31(1) de la Loi sur la GRC. Il ne s’agit pas d’un grief sur l’interprétation ou l’application d’une convention collective ou d’une décision arbitrale. Il ne peut en être autrement, car la plainte a été déposée le 15 février 2021, bien avant l’entrée en vigueur de la convention collective le 6 août 2021.

[20] La plaignante soutient que la Commission a tout de même compétence pour entendre la plainte. Selon elle, la défenderesse est précluse (estopped) de présenter la requête en rejet sommaire à ce stade alors que l’audience de la plainte est fixée prochainement. Selon elle, une audience en personne est nécessaire puisque la défenderesse n’a pas porté assistance à la plaignante malgré la nature sérieuse de ses blessures et la conséquence pour sa carrière.

[21] La défenderesse réplique qu’une partie ne peut pas acquiescer à la compétence de la Commission alors que cette dernière n’a pas compétence pour entendre la plainte selon la Loi (voir Green c. Administrateur général (ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2017 CRTEFP 17). Elle ajoute qu’elle a pris plusieurs démarches pour assister la plaignante dans son grief et qu’elle l’a assistée sur d’autres enjeux en milieu de travail, comme les demandes de mesures d’adaptation et la retraite pour raison médicale.

[22] La Commission a été créée par la Loi et sa compétence y est délimitée par celle-ci. La Loi spécifie à l’article 238.24 et au paragraphe 238.25(1) que le droit des membres de la GRC de déposer un grief est limité aux questions portant sur l’interprétation ou l’application d’une convention collective ou d’une décision arbitrale.

[23] Ni la Commission ni les parties ne peuvent lui conférer la compétence d’entendre des griefs déposés en vertu de la Loi sur la GRC alors que légalement elle ne l’a pas. Par ailleurs, la préclusion ne peut être invoquée pour attribuer une compétence que la Commission n’a pas (voir Elliott et Wray c. Conseil du Trésor (ministère des Transports), 2012 CRTFP 64).

[24] Il peut y avoir un recours devant d’autres instances lorsqu’une organisation syndicale ne représente pas correctement un membre pour une question qui ne relève pas de la Loi ou de la convention collective. Toutefois, ce recours ne relève pas de la Commission. Ainsi, la défenderesse indique que la plaignante aurait pu déposer un appel selon la procédure d’appel interne de la FPN.

[25] Pour ces motifs, je considère que les arguments de la plaignante ne démontrent pas une cause d’action raisonnable. La plaignante, lorsqu’elle a déposé son grief, ne l’a pas fait en vertu de la Loi, mais bien en vertu de la Loi sur la GRC. Par conséquent, la plainte ne relève pas de la Commission, et la défenderesse n’a pas manqué au devoir de représentation équitable prévu à l’article 187 de la Loi.

[26] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)

Ordonnance

[27] La plainte est rejetée.

Le 5 mai 2023.

Guy Giguère,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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