Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La demanderesse a demandé une mesure d’adaptation pour des motifs religieux relativement à la Politique sur la vaccination contre la COVID-19 applicable à l’Agence Parcs Canada – la défenderesse a refusé sa demande et l’a ensuite mise en congé non payé – la demanderesse a déposé un grief à l’encontre de cette décision, avec l’aide de son agent négociateur – la défenderesse a rejeté le grief sur le fond et au motif qu’il était hors délai – la demanderesse a ensuite renvoyé l’affaire à l’arbitrage en vertu des al. 209(1)a) et b) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) – la défenderesse s’est opposée au renvoi au motif qu’il était hors délai – la demanderesse a soutenu que le grief avait été déposé dans les délais, car elle suivait un processus établit par l’employeur pour régler l’affaire et qu’elle n’avait pas constaté la gravité jusqu’à ce qu’elle soit mise en congé non payé – subsidiairement, elle a demandé une prorogation du délai en vertu de l’al. 61b) du Règlement – la Commission a conclu d’abord que le grief avait été déposé dans les délais, car la demanderesse n’a constaté la réalité du refus d’accorder la demande de mesure d’adaptation que lorsqu’elle a été confrontée à la perte de son salaire – subsidiairement, la Commission a conclu qu’une prorogation du délai était justifiée par souci d’équité en fonction des critères énoncés dans Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1 – la Commission a conclu que 1) il existait une raison claire, logique et convaincante justifiant le retard, 2) la durée du retard était courte, 3) la demanderesse avait fait preuve de diligence raisonnable, avait communiqué avec la défenderesse et avait déposé son grief rapidement une fois que la gravité de la situation lui était devenue claire, 4) l’injustice possible causée à la demanderesse si une prorogation n’était pas accordée l’emporte sur le préjudice subi par la défenderesse si une prorogation était accordée, et 5) il était trop tôt pour dire que le grief n’avait aucune chance de succès – la Commission a ordonné que les deux dossiers relatifs au grief soient inscrits au rôle en temps voulu.

Demande accueillie.

Contenu de la décision


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Demande devant la Commission

[1] Jennifer Squires (la « demanderesse ») est une conseillère principale en services financiers (FI-03) à l’Agence Parcs Canada (la « défenderesse »). Elle fait partie d’une unité de négociation représentée par l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur »).

[2] Le 29 juillet 2022, la demanderesse a renvoyé un grief à l’arbitrage devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »). Le grief a été renvoyé en vertu des alinéas 209(1)a) et b) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »); deux dossiers ont donc été créés. La demanderesse alléguait une violation de l’article 15 de la convention collective pertinente, qui traite des mesures disciplinaires (dossier 566-33-45381 de la Commission) et des mesures disciplinaires entraînant un licenciement, une suspension, une rétrogradation ou une sanction pécuniaire (dossier 566-33-45383 de la Commission).

[3] Le grief porte sur le refus de la défenderesse d’accéder à la demande de mesure d’adaptation de la demanderesse relative à la Politique sur la vaccination contre la COVID-19 de l’Agence Parcs Canada (la « Politique ») et sa décision de la mettre en congé sans solde.

[4] Le 18 août 2022, la défenderesse a pris acte du renvoi à l’arbitrage et a soulevé deux objections préliminaires selon lesquelles la Commission n’a pas compétence pour les entendre. Premièrement, elle soutient que le grief n’a pas été présenté dans les délais prescrits par la convention collective (entre la défenderesse et l’agent négociateur; la « convention collective »). Deuxièmement, elle soutient que la mise en congé sans solde de la demanderesse était d’ordre administratif et non disciplinaire.

[5] Le 29 août 2022, la demanderesse a répondu aux objections préliminaires. Elle soutient que la Commission a compétence pour entendre le grief. Elle soutient tout d’abord qu’elle ne l’a pas déposé plus tôt parce qu’elle a suivi une procédure établie par la défenderesse. À titre subsidiaire, elle demande une dispense à l’égard de l’expiration des délais.

[6] Le 7 septembre 2022, la Commission a invité les parties à présenter des arguments écrits supplémentaires sur la question du respect des délais. Elles ont toutes les deux tiré parti de l’occasion.

[7] La présente décision ne porte que sur les demandes de prorogation de délai. En vertu de l’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365), la Commission peut trancher toute affaire ou question dont elle est saisie sans tenir d’audience.

II. Contexte

[8] Le 8 novembre 2021, la défenderesse a adopté la Politique. Elle reflétait la Politique sur la vaccination contre la COVID-19 applicable à l’administration publique centrale, y compris à la Gendarmerie royale du Canada, qui s’appliquait aux employés de l’administration publique centrale et exigeait que les employés de l’Agence Parcs Canada soient entièrement vaccinés contre la COVID-19, à moins d’avoir bénéficié d’une mesure d’adaptation fondée sur une contre-indication médicale certifiée, leur religion ou un autre motif de distinction illicite tel que défini dans la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6).

[9] En l’absence de mesures d’adaptation, l’article 7 de la Politique prévoyait que les employés qui refusaient d’être vaccinés ou de divulguer leur statut vaccinal seraient placés en congé administratif sans solde :

[Traduction]

7 Conséquences de la non-conformité

7.1 En ce qui concerne les employés qui refusent d’être entièrement vaccinés ou de divulguer leur statut vaccinal avant la date limite de présentation de l’attestation fixée au 29 novembre 2021, ou avant leur date de rappel saisonnier pour les employés saisonniers, Parcs Canada mettra en œuvre les mesures suivantes :

[…]

7.1.3 Le 15 décembre 2021, ou à leur retour à l’effectif pour les employés saisonniers, mettre les employés en congé administratif sans solde en les avisant de ne pas se présenter au travail, ou de cesser de travailler à distance, et en prenant les mesures administratives nécessaires pour les mettre en congé sans solde […]

[…]

[Je mets en évidence]

 

[10] Le 28 janvier 2022, la demanderesse a présenté une demande de mesures d’adaptation pour des motifs religieux.

[11] Le 23 février 2022, la défenderesse a informé la demanderesse que sa demande de mesures d’adaptation avait été rejetée parce qu’elle ne répondait pas aux exigences énoncées dans la Politique. La défenderesse l’a ensuite informée des options qui s’offraient à elle, comme suit :

[Traduction]

[…]

Conformément à la Politique, vous avez jusqu’au 9 mars 2022 pour attester de votre statut vaccinal contre la COVID-19 et recevoir votre vaccin contre la COVID-19 dès que possible. Si vous n’attestez pas de votre statut ou si vous attestez que vous n’êtes toujours pas vaccinée dans ce délai, vous ferez l’objet des mesures administratives décrites dans la Politique.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[12] La défenderesse a également invité la demanderesse à poser des questions et lui a rappelé comme suit les droits que lui confère la convention collective si elle n’est pas d’accord avec la décision :

[Traduction]

[…]

Si vous avez des questions concernant la présente lettre ou la Politique, vous êtes invitée à me les poser [...]

Si vous n’êtes pas d’accord avec cette décision, vous êtes invitée à me faire part de vos préoccupations. Vous pouvez également déposer un grief ou contacter le représentant de votre agent négociateur pour discuter des mesures de recours dont vous disposez.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[13] Le 24 février, la demanderesse a demandé des éclaircissements supplémentaires. Elle a interrogé la défenderesse sur les exigences spécifiques de la Politique et sur le fait qu’elle ne les avait pas respectées. Elle a également demandé quels étaient les critères utilisés pour évaluer l’obligation de prendre des mesures d’adaptation.

[14] Le 25 février, la défenderesse lui a expliqué que sa demande ne remplissait pas les conditions d’une exemption religieuse. Elle l’a de nouveau informée que, si elle avait d’autres questions ou si elle n’était pas d’accord avec la décision, elle pouvait [traduction] « [...] peut-être s’adresser à l’agent négociateur ou [elle pouvait] également, si [elle le souhaitait], déposer un grief ». La représentante de la défenderesse a également informé la demanderesse qu’elle serait absente du bureau à compter de la fin de la journée et lui a communiqué le nom et l’adresse électronique d’une autre personne-ressource.

[15] Le 9 mars 2022, la demanderesse a envoyé un courriel à l’autre personne‑ressource, lui fournissant une version [traduction] « mise à jour » du « Formulaire d’attestation à la vaccination » contre la COVID-19 de la demanderesse. Comme le formulaire indiquait que la demanderesse n’était toujours pas vaccinée, la représentante de la défenderesse a contacté la Direction générale des ressources humaines pour confirmer le moment où les mesures seront prises et les [traduction] « prochaines étapes ».

[16] Le 10 mars, la représentante de la défenderesse a communiqué avec la demanderesse pour l’aviser qu’elle serait mise en congé sans solde à compter de deux semaines de la date de la lettre rejetant sa demande de mesures d’adaptation, soit ce jour-là. Comme la journée de travail était déjà entamée, elle a informé la demanderesse que le congé débuterait le lendemain, soit le 11 mars 2022. Elle a invité la demanderesse à la contacter si elle avait d’autres questions concernant la procédure.

[17] Le 12 avril 2022, la demanderesse, avec l’aide de son agent négociateur, a déposé un grief concernant le refus de sa demande de mesures d’adaptation et le fait qu’elle a été mise en congé sans solde. Compte tenu de la nature du grief, celui-ci est passé directement au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, où il a été présenté le 20 avril 2022.

[18] Le 30 mai 2022, la demanderesse a assisté à une consultation sur le grief avec la défenderesse.

[19] Le 24 juin 2022, la défenderesse a transmis à la demanderesse la réponse au dernier palier à son grief, le rejetant au motif qu’il était hors délai et sur le fond. En ce qui concerne le respect des délais, la réponse indiquait ce qui suit : [traduction] « La lettre de réponse à la demande de mesure d’adaptation vous a été envoyée le 23 février 2022. À la suite de l’examen de la clause 16.06 de la convention collective, il a été déterminé que votre grief était hors délai. »

[20] Comme il a été mentionné plus tôt, la demanderesse a renvoyé l’affaire à l’arbitrage le 29 juillet 2022.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la demanderesse

[21] La demanderesse soutient qu’elle n’a pas déposé de grief lorsque la demande de mesures d’adaptation a été rejetée parce qu’elle suivait une procédure prescrite par la défenderesse.

[22] La demanderesse soutient en outre que la défenderesse savait très bien qu’elle n’était pas d’accord avec le rejet de la demande de mesures d’adaptation. Elle indique en outre que ce désaccord s’est manifesté dans sa décision de suivre la procédure établie par la défenderesse en lui fournissant des informations complémentaires, de sorte que sa demande initiale de mesures d’adaptation puisse être réexaminée.

[23] La demanderesse déclare avoir fourni ces informations supplémentaires à la défenderesse les 9 et 10 mars 2022, accompagnées d’une demande de réexamen claire.

[24] À titre subsidiaire, si la Commission conclut que le délai n’a pas été respecté, la demanderesse soutient qu’une prorogation du délai devrait lui être accordée. Elle s’appuie sur les critères énoncés dans Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, en soutenant que tout « […] retard réel ou perçu découlait principalement de raisons logiques et convaincantes […] ».

[25] Les critères établis dans Schenkman ne sont pas une formule mathématique fixe, et l’objectif primordial est de déterminer ce qui est juste en fonction des faits du cas. Dans Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228 c. Conseil du Trésor, 2013 CRTFP 144, au paragraphe 62 (« FIOE »), la Commission a conclu que les critères qui orientent l’examen reposent sur des faits et sont fondés sur le principe de ce qui est juste dans les circonstances.

[26] Dans Prior c. Agence du revenu du Canada, 2014 CRTFP 96, la Commission a conclu que l’« équité » est le critère principal et le plus important lorsqu’un arbitre de grief examine des demandes de dispense à l’égard de l’expiration de délais.

[27] Dans Trenholm c. Personnel des fonds non publics des Forces canadiennes, 2005 CRTFP 65, la Commission a conclu qu’une dispense à l’égard des délais obligatoires peut être accordée dans un cas où le fonctionnaire s’estimant lésé a fait preuve de diligence dans l’application de ses droits, où l’injustice que subit le fonctionnaire si la prorogation est refusée l’emporte sur le préjudice subi par l’employeur si la prorogation est accordée et où le grief est fondé.

1. Le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes

[28] La demanderesse soutient qu’il existe une raison claire, logique et convaincante justifiant le retard, à savoir qu’elle croyait honnêtement qu’il y avait un simple malentendu concernant sa demande de mesures d’adaptation.

[29] Les courriels échangés entre la demanderesse et la défenderesse montrent qu’elle croyait sincèrement qu’il s’agissait d’un simple malentendu ou peut-être d’une erreur qui, pensait-elle, serait certainement rectifiée une fois qu’elle aurait envoyé son Formulaire d’attestation à la vaccination contre la COVID-19 [traduction] « mis à jour ».

[30] La demanderesse n’a compris qu’elle devait déposer un grief que lorsqu’elle s’est rendu compte que son attestation mise à jour n’avait pas réglé le [traduction] « malentendu », qu’elle était soudain sur le point de perdre son salaire et que l’affaire était plus grave qu’elle ne l’avait pensé au départ.

2. La durée du retard

[31] Il n’y a pas de seuil magique avant lequel tout ce qui est transmis l’est dans un délai raisonnable, mais au-delà duquel le retard devient déraisonnable (voir Rinke c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2005 CRTFP 23, au par. 16).

[32] La demanderesse soutient que le retard dans le présent cas était assez court et que la défenderesse n’a subi aucun préjudice.

3. La diligence raisonnable de la demanderesse

[33] La demanderesse a fait preuve de diligence tout au long du processus. Elle a continué à communiquer avec les représentants de la défenderesse pour obtenir des éclaircissements. Sa correspondance électronique avec la défenderesse prouve qu’elle a essayé de corriger le malentendu. Dès qu’elle a compris qu’il ne s’agissait pas simplement d’une [traduction] « mise à jour » du Formulaire d’attestation à la vaccination, elle a agi rapidement et a déposé son grief.

4. L’équilibre entre l’injustice causée à la demanderesse et le préjudice que subit la défenderesse

[34] L’injustice que subirait la demanderesse si ses griefs n’étaient pas entendus est importante. Les réparations qu’elle demande sont liées à une grave injustice à son égard.

[35] La défenderesse ne subira qu’un préjudice relativement mineur si la prorogation du délai est accordée. Si le grief est entendu et accueilli, le coût qui en résulterait pour la défenderesse serait insignifiant.

5. Chances de succès

[36] À cette étape préliminaire, peu de poids devrait être accordé à ce facteur puisque le grief n’est ni futile ni vexatoire (voir D’Alessandro c. Conseil du Trésor (ministère de la Justice), 2019 CRTESPF 79; FIOE; Thompson c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2007 CRTFP 59; et Trenholm).

B. Pour la défenderesse

[37] La défenderesse soutient que le grief était hors délai et qu’une prorogation du délai n’est pas justifiée dans les circonstances du présent cas, car il n’y a pas de raison claire, logique et convaincante justifiant le retard.

[38] Il existe de bonnes raisons d’imposer des délais dans le domaine des relations de travail. Premièrement, les procédures de règlement des griefs et d’arbitrage sont destinées à fournir une méthode finale et exécutoire de règlement des litiges qui surviennent pendant la durée d’une convention collective. Deuxièmement, les délais contribuent à la stabilité des relations de travail en permettant de clore les décisions opérationnelles de l’employeur, ce qui a pour conséquence d’éviter une exposition constante ou à long terme à des incidents en milieu de travail (voir Mark c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2007 CRTFP 34, au par. 24).

[39] Les délais prévus dans les conventions collectives sont censés être respectés par les parties et ne devraient être prorogés que dans des circonstances exceptionnelles, lesquelles dépendront toujours des faits du cas. Le système de règlement des griefs est conçu de manière à constituer un moyen efficace et efficient de régler les différends en milieu de travail, et les délais ne devraient être prorogés que s’il existe des motifs convaincants (voir Bowden c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2021 CRTESPF 93, au par. 77).

[40] Si les délais prescrits pour le dépôt d’un grief n’ont pas été respectés et que l’employeur a satisfait aux exigences de l’article 95 du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005-79; le « Règlement »), il est bien établi que la Commission n’a pas compétence, en vertu de l’article 225 de la Loi (voir Szmidt c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 114; et Payne c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 33).

[41] Dans le présent cas, la clause 16.06 de la convention collective prévoit le délai suivant pour déposer un grief :

16.06 Délais

16.06 Time limits

a) Au premier palier de la procédure, l’employé-e peut présenter un grief au plus tard le vingt-cinquième (25e) jour qui suit la date à laquelle il ou elle prend connaissance pour la première fois de l’action ou des circonstances donnant lieu au grief.

a) An employee may present a grievance at the first step not later than the twenty-fifth (25th) day after the date on which he or she first becomes aware of the action or circumstances giving rise to the grievance.

[…]

 

[42] La clause 16.01 de la convention collective précise que les délais prévus dans la procédure de règlement des griefs peuvent être prorogés d’un commun accord entre le défendeur et l’employé et, s’il y a lieu, l’agent négociateur. Toutefois, dans le présent cas, il n’y a pas eu un tel accord.

[43] En l’absence d’un tel accord, la demanderesse ne pouvait pas proroger unilatéralement le délai pour déposer un grief en tentant de convaincre la défenderesse de revenir sur sa décision ou de la modifier (voir Mark, au par. 22; et Williams c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2008 CRTFP 28).

[44] La demanderesse a été informée de la décision de la défenderesse de rejeter sa demande de mesures d’adaptation le 23 février 2022. La défenderesse n’a reçu le grief que le 12 avril 2022. Ainsi, le grief n’a pas été déposé dans les délais prescrits à la clause 16.06 et a donc été rejeté pour cause de non-respect des délais le 24 juin 2022.

[45] En ce qui concerne les critères énoncés dans Schenkman, de nombreux arbitres de grief ont renforcé l’exigence d’une raison claire, logique et convaincante pour justifier le retard dans le dépôt d’un grief afin d’accorder une prorogation du délai de dépôt du grief (voir Schenkman; Cloutier c. Conseil du Trésor (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CRTFP 31; Demers c. Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2007 CRTFP 118; et Salain c. Agence du revenu du Canada, 2010 CRTFP 117).

[46] Même si les critères dans Schenkman n’ont pas le même poids ni la même importance, le premier critère ne peut pas être complètement ignoré. Il doit exister une raison claire, logique et convaincante pour justifier le retard à déposer un grief (voir Bowden, au par. 77).

[47] Lorsqu’il n’y a pas de raison claire, logique ou convaincante pour justifier le retard dans le dépôt d’un grief, il n’est pas nécessaire que la Commission établisse l’équilibre entre le préjudice que subirait l’employeur et l’injustice qui a été causée au fonctionnaire s’estimant lésé (voir Schenkman, au par. 80).

[48] Dans le présent cas, ni la demanderesse ni son agent négociateur n’ont, à aucun moment pendant la procédure de règlement des griefs ou dans la réponse à l’objection de la défenderesse, invoqué un motif impérieux ou important pour expliquer le non-respect des délais impartis pour le dépôt de son grief.

[49] La demanderesse a reçu une décision claire de la défenderesse le 23 février 2022, qui comprenait un rappel de ses droits de grief en vertu de la convention collective et l’encourageait à demander conseil à son représentant de l’agent négociateur si elle n’était pas d’accord. Ainsi, la demanderesse était bien au courant de ses droits en matière de griefs.

[50] Le simple fait que la demanderesse ait fourni des informations supplémentaires à la défenderesse et qu’elle ait cherché à la faire revenir sur sa décision n’oblige pas à proroger le délai prévu par la convention collective pour déposer un grief.

[51] Sur la base de ces faits, il n’y a pas de raison claire, logique et convaincante pour laquelle la demanderesse n’a pas été en mesure de déposer son grief dans le délai prescrit. Par conséquent, une prorogation du délai n’est pas justifiée.

IV. Analyse

[52] Le 23 février 2022, la demanderesse a été informée que sa demande de mesures d’adaptation avait été rejetée. À ce moment-là, elle a également été clairement informée que si elle n’attestait pas de son statut vaccinal avant le 9 mars 2022 ou si elle attestait qu’elle n’était toujours pas vaccinée, elle ferait l’objet de mesures administratives telles que décrites dans la Politique. Le 11 mars 2022, elle a été placée en congé sans solde.

[53] La demanderesse a déposé son grief le 12 avril 2022. Le fond de son grief comporte deux volets : elle conteste le rejet de sa demande de mesures d’adaptation et elle conteste le congé sans solde qui lui a été imposé en conséquence.

[54] Si l’on considère la mise en congé sans solde comme la mesure ou les circonstances ayant donné lieu au grief, alors le grief a été déposé dans les 25 jours ouvrables prévus par la convention collective. Si le refus initial est le point de départ, je dois déterminer s’il y a lieu, par souci d’équité, d’accorder une prorogation du délai.

[55] L’article 61 du Règlement prévoit que la Commission peut accorder une prorogation du délai de présentation d’un grief à un palier de la procédure applicable aux griefs, par souci d’équité :

61 Malgré les autres dispositions de la présente partie, tout délai, prévu par celle-ci ou par une procédure de grief énoncée dans une convention collective, pour l’accomplissement d’un acte, la présentation d’un grief à un palier de la procédure applicable aux griefs, le renvoi d’un grief à l’arbitrage ou la remise ou le dépôt d’un avis, d’une réponse ou d’un document peut être prorogé avant ou après son expiration :

61 Despite anything in this Part, the time prescribed by this Part or provided for in a grievance procedure contained in a collective agreement for the doing of any act, the presentation of a grievance at any level of the grievance process, the referral of a grievance to adjudication or the providing or filing of any notice, reply or document may be extended, either before or after the expiry of that time,

a) soit par une entente entre les parties;

(a) by agreement between the parties; or

b) soit par la Commission ou l’arbitre de grief, selon le cas, à la demande d’une partie, par souci d’équité.

(b) in the interest of fairness, on the application of a party, by the Board or an adjudicator, as the case may be.

 

[56] Comme l’ont souligné les parties, pour déterminer si une telle prorogation doit être accordée, la Commission prend en considération les critères énoncés dans Schenkman.

[57] Sur la base des faits du présent cas, j’estime qu’il y avait une raison claire, logique et convaincante pour justifier le retard. J’accepte le fait que la demanderesse pensait que la défenderesse changerait d’avis si elle comprenait sa demande d’exemption religieuse. La confirmation du refus par le fait qu’elle a été mise en congé sans solde a donné lieu à son grief, avec le soutien de son agent négociateur.

[58] En ce qui concerne les autres critères, la durée du retard, s’il y en avait un, était court. La demanderesse a également fait preuve de diligence, en communiquant avec la défenderesse et en agissant rapidement une fois que la gravité de la situation est devenue évidente pour elle. L’incidence sur la demanderesse est importante par rapport à l’incidence sur la défenderesse, qui n’a pas laissé entendre qu’elle subirait un préjudice si la prorogation était accordée. Enfin, il est trop tôt pour affirmer que ce grief n’a aucune chance de succès.

[59] Étant donné que la réalité du refus n’est apparue que lorsque la demanderesse a été informée de sa perte de salaire, je considère que le grief respecte les délais. Si j’ai tort, j’exercerai mon pouvoir discrétionnaire en vertu de l’alinéa 61b) du Règlement pour accorder une prorogation. Je conclus qu’il est injuste de priver la demanderesse de son recours pour contester son placement en congé sans solde par voie de grief .

[60] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)

V. Ordonnance

[61] Les objections de la défenderesse concernant le respect des délais sont rejetées.

[62] La demande de la demanderesse visant une prorogation du délai pour déposer son grief qui a été renvoyé à la Commission en tant que dossiers 566-33-45381 et 566-33-45383 de la Commission est accueillie.

[63] Les deux dossiers seront inscrits au calendrier des audiences de la Commission en temps opportun.

Le 20 avril 2023.

Traduction de la CRTESPF

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.