Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a allégué que les changements apportés aux heures de travail dans les centres d’appels, et ce sans son consentement, contrevenaient à la disposition sur le gel prévu par la loi à l’article 107 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi ») – la Commission a conclu qu’une modification avait été apportée à une condition d’emploi pendant la période de gel, qui consistait à imposer des heures de travail prolongées de façon permanente – avant le gel, la défenderesse avait mis en œuvre des heures de travail prolongées, sans le consentement de la plaignante, seulement une fois par année – le changement ne constituait pas le cours normal des affaires, puisque la défenderesse n’avait pas une pratique antérieure de gestion consistant à imposer des heures de travail prolongées de façon permanente – ce changement n’était pas conforme aux attentes raisonnables de la plaignante avant que l’avis de négociation n’ait été signifié – les employés et l’agent négociateur avaient reçu l’assurance que des heures de travail prolongées seraient en place seulement pour l’année civile – la Commission a déclaré que l’employeur avait contrevenu à l’article 107 de la Loi.

Plainte accueillie en partie.

Contenu de la décision

Date: 20230417

Dossier: 561-34-44377

 

Référence: 2023 CRTESPF 38

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

entre

 

Alliance de la Fonction publique du Canada

plaignante

 

et

 

Agence du revenu du Canada

 

défenderesse

Répertorié

Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant une plainte déposée en vertu de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Ian R. Mackenzie, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante : Michael Fisher, avocat

Pour la défenderesse : Jena Montgomery, avocate

Affaire entendue par vidéoconférence
les 9, 10 et 12 janvier 2023.
(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Plainte devant la Commission

[1] La présente décision porte sur une plainte déposée le 14 mars 2022 par l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC, l’« agent négociateur » ou la « plaignante ») auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») concernant des modifications apportées aux heures de travail aux centres d’appels de l’Agence du revenu du Canada (ARC, l’« employeur » ou la « défenderesse ») dont la plaignante a allégué qu’elles constituent une violation de l’article 107 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). L’article 107 est communément appelé la « disposition relative au gel » et énonce ce qui suit :

107 Une fois l’avis de négocier collectivement donné, sauf entente à l’effet contraire entre les parties aux négociations et sous réserve de l’article 132, les parties, y compris les fonctionnaires de l’unité de négociation, sont tenues de respecter chaque condition d’emploi qui peut figurer dans une convention collective et qui est encore en vigueur au moment où l’avis de négocier a été donné, et ce, jusqu’à la conclusion d’une convention collective comportant cette condition ou :

107 Unless the parties otherwise agree, and subject to section 132, after the notice to bargain collectively is given, each term and condition of employment applicable to the employees in the bargaining unit to which the notice relates that may be included in a collective agreement, and that is in force on the day the notice is given, is continued in force and must be observed by the employer, the bargaining agent for the bargaining unit and the employees in the bargaining unit until a collective agreement is entered into in respect of that term or condition or

a) dans le cas où le mode de règlement des différends est l’arbitrage, jusqu’à ce que la décision arbitrale soit rendue;

(a) if the process for the resolution of a dispute is arbitration, an arbitral award is rendered; or

b) dans le cas où le mode de règlement des différends est le renvoi à la conciliation, jusqu’à ce qu’une grève puisse être déclarée ou autorisée, le cas échéant, sans qu’il y ait contravention au paragraphe 194(1).

(b) if the process for the resolution of a dispute is conciliation, a strike could be declared or authorized without contravening subsection 194(1).

 

[2] L’article 132 de la Loi n’est pas pertinent à la présente plainte.

[3] L’AFPC est l’agent négociateur accrédité des employés de l’ARC faisant partie de l’unité de négociation du groupe Exécution des programmes et des services administratifs, qui comprend les groupes professionnels SP et MG-SPS. Le Syndicat des employé-e-s de l’impôt (SEI), qui est un élément de l’AFPC, représente ces membres dans les lieux de travail de l’ARC.

[4] Dans sa plainte, la plaignante a affirmé que la défenderesse avait contrevenu à l’article 107 [traduction] « […] en imposant unilatéralement des heures de travail prolongées de façon permanente tout au long de l’année civile et des quarts de travail obligatoires le samedi pour les employés des centres d’appels de l’ARC, sans l’accord de la plaignante ni du SEI ».

[5] La plaignante a modifié sa réparation demandée à la fin de l’audience de la plainte. Elle a demandé ce qui suit :

1) une déclaration selon laquelle l’employeur a contrevenu à l’article 107 de la Loi;

2) que l’employeur cesse d’agir unilatéralement en imposant un horaire permanent d’heures prolongées;

3) une ordonnance selon laquelle les parties doivent reprendre les consultations sur les heures de travail;

4) une ordonnance selon laquelle toutes les heures de travail effectuées à l’extérieur de la période de 7 h à 18 h et le samedi sont considérées comme des heures supplémentaires et payées en conséquence jusqu’à ce qu’une entente soit conclue entre les parties;

5) une ordonnance selon laquelle les heures prolongées sont volontaires jusqu’à ce qu’une entente soit conclue;

6) l’affichage de l’ordonnance dans tous les centres d’appels, ainsi que sur le site Web interne de l’ARC;

7) que la Commission demeure saisie afin de régler toute question relative à la mise en œuvre.

 

[6] La défenderesse, dans sa réponse à la plainte du 28 avril 2022, a demandé le rejet de la plainte. Elle a également soulevé deux objections préliminaires, mais les a par la suite retirées. Le 1er juin 2022, la plaignante a fourni une réfutation à la réponse.

[7] Le 7 mars 2022, l’AFPC a également déposé un grief de principe auprès de l’ARC portant sur l’imposition des heures de travail prolongées aux centres d’appels de l’ARC, qui a été renvoyé à la Commission le 16 septembre 2022 (569-34-45730). La date d’audience du grief de principe n’a pas encore été fixée.

II. Résumé de la preuve

[8] Trois témoins ont témoigné pour la plaignante et un témoin a témoigné pour la défenderesse. Le principal témoin de la plaignante était Shane O’Brien, employé à temps plein du SEI et représentant délégué pour les discussions sur les heures de travail avec l’ARC. Le seul témoin pour l’ARC était Kira Sherry, directrice des opérations nationales à l’ARC. Un recueil conjoint de documents a été préparé par les parties. D’autres documents ont été indiqués par les témoins et déposés en preuve à titre de pièces.

[9] La convention collective conclue entre les parties est venue à échéance le 31 octobre 2021. Le 15 octobre 2021, l’AFPC a signifié à l’ARC un avis de négociation collective. Par conséquent, la période de gel a commencé le 15 octobre 2021.

A. Les lieux de travail

[10] La présente plainte porte sur les lieux de travail partout au pays qui servent de centres d’appels ou de contact pour l’ARC. Ces centres d’appels ou de contact font partie de la Direction générale des cotisations, des prestations et des services (DGCPS) de l’ARC. Historiquement, ces lieux de travail étaient appelés des « centres d’appels » et, dans les documents et les témoignages, ces lieux de travail étaient couramment appelés des « centres d’appels ». Toutefois, à un moment donné, le nom a été changé pour « centres de contact », et certains des documents tiennent compte de ce nouveau nom. Dans la présente décision, je les appellerai des « centres d’appels », car il s’agit de la terminologie courante encore utilisée par les parties.

[11] La convention collective (à la clause 25.06) établit que le jour de travail normal pour les employés de l’ARC faisant partie de l’unité de négociation du groupe Exécution des programmes et des services administratifs est de 7,5 heures consécutives (excluant une pause-repas) entre 7 h et 18 h. La semaine de travail normale est de 37,5 heures, du lundi au vendredi.

[12] La lettre d’offre reçue par chaque employé au moment de l’embauche détermine les heures de travail que l’employeur peut lui demander d’effectuer. Certains employés ont, comme condition d’embauche, le droit de l’employeur de les affecter à un travail par postes.

[13] Depuis au moins 2014, l’ARC consulte le SEI au sujet des heures de service prolongées (heures de travail avant 7 h ou après 18 h et le samedi) aux centres d’appels au cours de la période de production des déclarations de revenus. Cette période s’étend de la mi-février jusqu’à la fin d’avril de chaque année. Les consultations ont été tenues conformément à la clause 25.11 de la convention collective, qui énonce ce qui suit :

25.11 Consultation

25.11 Consultation

[…]

b. Si les heures de travail doivent être modifiées de sorte qu’elles diffèrent de celles qui sont indiquées au paragraphe 25.06, l’employeur, sauf dans les cas d’urgence, doit consulter au préalable l’Alliance à ce sujet et établir, lors des consultations, que ces heures sont nécessaires pour répondre aux besoins du public ou assurer le bon fonctionnement du service. Les heures décrites au paragraphe 25.06 ne peuvent en aucun moment se prolonger avant 6 h ou au-delà de 21 h, ou modifier la semaine de travail du lundi au vendredi ou le jour de travail de sept virgule cinq (7,5) heures consécutives.

b. Where hours of work are to be changed so that they are different from those specified in clause 25.06, the Employer, except in cases of emergency, will consult in advance with the Alliance on such hours of work and, in such consultation, will establish that such hours are required to meet the needs of the public and/or the efficient operation of the service. In no case shall the hours under clause 25.06 extend before 6:00 a.m. or beyond 9:00 p.m., or alter the Monday to Friday work week, or the seven decimal five (7.5) consecutive hours work day.

c. Les parties doivent, dans les cinq (5) jours qui suivent la signification d’un avis de consultation par l’une ou l’autre partie, communiquer par écrit le nom de leur représentant officiel autorisé à agir en leur nom pour les besoins de la consultation. La consultation tenue à des fins d’établissement des faits et de mise en œuvre a lieu au niveau local.

c. Within five (5) days of notification of consultation served by either party, the parties shall notify one another in writing of the representative authorized to act on their behalf for consultation purposes. Consultation will be held at the local level for fact finding and implementation purposes.

d. Les parties conviennent que les dispositions du présent paragraphe ne s’appliquent pas dans le cas des employés dont la durée hebdomadaire du travail est inférieure à trente-sept virgule cinq (37,5) heures.

d. It is understood by the parties that this clause will not be applicable in respect of employees whose work week is less than thirty-seven decimal five (37.5) hours per week.

 

[14] Lors des consultations sur les heures de travail prolongées avant 2021, l’ARC fournissait un horaire proposé pour chaque centre d’appels dans un document intitulé [traduction] « Matrice des heures de travail » (la « matrice ») pour l’année à venir. M. O’Brien a témoigné que l’employeur démontrait la nécessité des heures prolongées en fonction d’éléments comme le volume d’appels. Il a témoigné qu’il y avait parfois des désaccords relatifs aux heures prolongées proposées, mais que les parties [traduction] « négociaient entre elles et parvenaient à une entente ». M. O’Brien a témoigné qu’il avait indiqué clairement à l’ARC que chaque entente ne visait que l’année civile indiquée.

[15] Jusqu’en 2021, les heures prolongées convenues par le SEI et mises en œuvre par l’ARC ne concernaient que la période de production des déclarations de revenus. En 2021, l’ARC a proposé, pour la première fois, des heures prolongées après la fin de la période de production des déclarations de revenus.

[16] En janvier et en février 2021, l’ARC a eu des discussions avec des représentants du SEI au sujet de l’incidence de l’Énoncé économique de l’automne du gouvernement sur l’ARC. Un résumé des réunions a été préparé par l’ARC. M. O’Brien a témoigné que le résumé était [traduction] « assez exact ». La plupart des réunions concernaient une discussion sur l’externalisation temporaire de certaines fonctions des centres d’appels, qui n’est pas pertinente à la présente plainte. Le diaporama qui a été présenté lors de l’une des réunions comprenait l’engagement de l’employeur de prolonger les heures de service en prolongeant les heures de la période de production des déclarations de revenus pour le reste de l’année. Le diaporama indiquait également que les prochaines étapes comprenaient la consultation avec le SEI. M. O’Brien a témoigné qu’il n’y avait eu aucune discussion sur les heures prolongées au cours de ces réunions.

[17] Les consultations sur la matrice pour 2021 n’ont commencé que le 2 mars 2021. Le responsable de l’ARC de ces consultations était Michael Honcoop, le directeur général de la DGCPS. M. O’Brien a témoigné que certains centres d’appels avaient mis en œuvre les heures de travail prolongées proposées à compter du 22 février 2021. Il a témoigné que l’entente finale sur les heures prolongées pour la période de production des déclarations de revenus est entrée en vigueur le 2 mars 2021 et que l’ARC a payé des heures supplémentaires aux employés qui avaient travaillé des heures prolongées du 22 février au 2 mars 2021.

[18] M. O’Brien a témoigné que, contrairement aux années précédentes, la première ébauche de la matrice de 2021 comprenait des heures prolongées proposées pour l’ensemble de l’année civile. M. O’Brien a témoigné avoir dit à M. Honcoop que le SEI était prêt à tenir des consultations uniquement au sujet des heures prolongées pour la période de production des déclarations de revenus et que toute proposition d’heures prolongées à l’extérieur de cette période devrait faire l’objet de consultations distinctes.

[19] Le SEI a accepté les heures de travail prolongées pour la période de production des déclarations de revenus de 2021. Dans un courriel envoyé au Conseil exécutif du SEI et à d’autres représentants du SEI le 17 mars 2021, M. O’Brien a dit qu’il avait rejeté les propositions de l’employeur concernant les heures prolongées à l’extérieur de la période de production des déclarations de revenus.

[20] Le 18 mars 2021, Marc Bellevance, le négociateur de l’ARC, a fourni la matrice de 2021 au SEI par courriel. Dans son courriel, il a indiqué que les heures prolongées contenues dans la matrice ne s’appliquaient qu’à la période de production des déclarations de revenus. Il a fait remarquer que, dans la matrice jointe, les heures proposées pour la période suivant la production des déclarations étaient surlignées en jaune; une note indiquait que la consultation avec le SEI concernant la période après la production des déclarations n’avait pas été finalisée et que les parties poursuivraient cette consultation le 30 mars 2021.

[21] M. O’Brien a témoigné que le SEI était d’avis que l’ARC n’avait pas démontré la nécessité de prolonger les heures après la période de production des déclarations de revenus. Le SEI était également d’avis que les employés ne pouvaient pas être tenus de travailler en dehors de leurs heures normales de travail. En contre-interrogatoire, M. O’Brien a témoigné qu’il n’avait aucun moyen de savoir si les heures prolongées avaient été mises en œuvre à compter du 1er mai 2021 (en d’autres termes, après la fin de la période de production des déclarations de revenus). Il a témoigné avoir reçu l’assurance de l’ARC que les heures prolongées ne seraient pas mises en œuvre, mais il a également reçu des appels provenant d’employés des centres d’appels au sujet de l’imposition d’heures prolongées.

[22] M. O’Brien ne se souvenait pas de ce qui avait été discuté lors de la réunion de consultation du 30 mars 2021. Le 6 avril 2021, M. Honcoop a écrit un courriel à M. O’Brien, faisant suite à cette réunion. M. Honcoop a expliqué comment l’ARC [traduction] « donnerait suite » aux points discutés, comme suit :

[Traduction]

[…]

2. Nouvelles heures de service pour les centres de contact du Service de renseignements aux entreprises et des Demandes de renseignements sur l’impôt des particuliers :

Pour résumer, à compter davril, les nouvelles heures de services pour les centres de contact des Services de renseignements aux entreprises seront du lundi au vendredi de 8 h à 20 h et le samedi de 9 h à 17 h, heure locale. Les centres de contact des Demandes de renseignements sur l’impôt des particuliers adopteront les mêmes heures en mai 2021, après la période de productions des déclarations de revenus T1.

Nous planifierons les heures de travail pour qu’elles correspondent aux nouvelles heures de service des centres de contact, conformément à la matrice discutée avec vous les 2 et 30 mars.

Les centres de contact suivront lapproche décrite ci‑dessous :

¡ L’horaire de la plupart des employés sera prévu du lundi au vendredi pendant les heures normales de 7 h à 18 h.

· Certains employés devront travailler jusqu’à 20 h et ils seront rémunérés selon la prime d’heures tardives entre 18 h et 20 h;

¡ Certains employés peuvent devoir travailler du mardi au samedi, selon l’approche suivante :

· des employés permanents qui se portent volontaires pour travailler un horaire du mardi au samedi;

· des employés nommés pour une période déterminée dont leur lettre d’offre comporte une disposition portant sur le « travail par poste »;

· les employés qui travaillent le samedi auront droit à la prime de fin de semaine, conformément à la convention collective.

Veuillez noter que la DGCPS évaluera le niveau de la demande des clients concernant les heures de service du samedi pour le Service de renseignements aux entreprises uniquement pour la période d’avril à septembre 2021. Selon les résultats de notre examen, si la demande d’appels n’est pas suffisante pour maintenir le service du samedi, nous pouvons interrompre ou modifier les heures de service figurant dans la matrice. Nous consulterons le SEI en septembre pour faire part de nos conclusions et pour discuter des prochaines étapes.

J’ai joint une version modifiée de la matrice des heures de travail à titre de référence.

 

[23] M. O’Brien a répondu ce qui suit le 15 avril 2021 :

[Traduction]

Merci de votre courriel indiquant la façon dont l’ARC entend procéder concernant les heures de travail des centres de contacts de la DGCPS.

Comme je l’ai clairement indiqué lors des consultations tenues jusqu’à présent et comme je l’ai souligné lors de notre dernière consultation du 30 mars 2021, le Syndicat des employé-e-s de l’impôt-AFPC s’oppose aux conditions proposées par l’employeur à l’égard des heures de travail. De plus, comme je l’ai affirmé au cours de nos consultations, nous soutenons que l’employeur contrevient à la convention collective conclue entre l’Agence du revenu du Canada et l’Alliance de la Fonction publique du Canada. À cet égard, nous pensons qu’il s’agit d’une violation délibérée de la convention collective conclue entre les parties.

Plus particulièrement, nous alléguons que l’employeur n’a pas réussi, au cours du processus de consultation, à démontrer que les heures de travail proposées pour la période après la période de production des déclarations sont nécessaires pour répondre aux besoins du public et/ou à l’efficacité de la prestation de services et que les besoins du public et l’efficacité de la prestation de services ne peuvent pas être satisfaits par les heures d’ouverture normales de l’ARC.

Nous insistons sur le fait que l’horaire proposé pour certains employés, soit du mardi au samedi, ne constitue pas un poste au sens de la convention collective et, en fait, nous soutenons que l’ARC n’a pas de travailleurs par poste, mais plutôt des travailleurs de jour […]

[…]

Nous demandons que l’employeur révise sérieusement sa position dans cette affaire. Sinon, nous n’aurons d’autre choix que de déposer un ou plusieurs griefs de principe sur les questions en litige, ainsi qu’une plainte de pratique déloyale de travail. De plus, nous n’aurons d’autre choix que de communiquer avec nos membres touchés afin de les informer de leurs droits et de les encourager à déposer des griefs, le cas échéant.

Je demeure disponible aux fins d’autres consultations et discussions sur cette question et j’espère que ces questions seront réglées de manière positive et mutuellement acceptable.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[24] Le 17 avril 2021, M. O’Brien a envoyé par courriel un résumé des consultations avec l’ARC au Conseil exécutif et aux sections locales du SEI. Il a déclaré que le SEI avait terminé les consultations avec l’ARC au sujet de la période après la période de production des déclarations de revenus le 30 mars 2021. Il a écrit que, pendant les consultations, « […] nous nous sommes fortement opposés à la mise en œuvre d’heures de travail prolongées en dehors de la période de production des déclarations d’impôt […] ». Le courriel se poursuivait ainsi :

En dépit de nos protestations, le 6 avril 2021, nous avons été informés par un représentant de l’employeur qu’ils avaient l’intention de procéder comme prévu en y apportant quelques modifications mineures. Nous avons depuis répondu par écrit à cet avis, en exposant nos objections. Nous avons également discuté de la question à des niveaux plus élevés de l’Agence et avons ouvert la porte à d’autres consultations, en plus de demander une prolongation des délais pour le dépôt de griefs individuels, collectifs et de politique, si le problème n’est toujours pas réglé. […]

 

[25] M. Honcoop a écrit un courriel à M. O’Brien le 19 avril 2021, résumant ainsi la position de l’ARC sur les heures de travail des centres d’appels :

[Traduction]

[…]

L’employeur a rencontré le SEI à trois reprises pour discuter et consulter sur ce sujet : lors de la séance d’information du 8 janvier, où l’employeur a informé le SEI de l’Énoncé économique de l’automne 2020 et indiqué que les heures de travail de la période de production des déclarations se poursuivraient pour le reste de l’année; lors de la consultation officielle du 2 mars, au cours de laquelle l’employeur a présenté les modifications particulières apportées aux heures de travail pour chaque centre de contact; et lors de la consultation officielle du 30 mars, au cours de laquelle nous nous sommes concentrés sur les préoccupations du SEI concernant les heures de travail après la période de production des déclarations. Au cours de ces réunions, vous n’avez exprimé aucune préoccupation concernant le fait que de telles heures sont nécessaires pour répondre aux besoins du public et/ou à l’efficacité de la prestation de nos services.

L’employeur est d’avis que nous avons clairement démontré, par les moyens de l’orientation du gouvernement fédéral dans l’Énoncé économique de l’automne 2020 et par la lettre de mandat de notre ministre provenant du premier ministre, que ces modifications apportées aux heures de travail sont nécessaires pour répondre aux besoins du public et/ou à l’efficacité de la prestation de services, tel qu’énoncé à l’alinéa 25.11b) de la convention collective.

Au cours de la séance d’information de janvier, l’employeur a indiqué au SEI que l’Énoncé économique de l’automne annonçait l’investissement du gouvernement dans une approche intégrée visant à améliorer l’expérience des clients de l’ARC. L’employeur a également indiqué que cette initiative comporte de nombreux volets, dont l’amélioration du contenu Web et de nouveaux services numériques, mais que la partie la plus importante de cette initiative est l’investissement dans les services des centres de contact de la DGCPS afin d’embaucher un plus grand nombre d’agents d’appel et d’accroître la disponibilité des services. Afin d’accroître la disponibilité des services aux Canadiens, il faut modifier les heures de travail dans les centres de contact afin d’y inclure des heures de service plus longues du lundi au vendredi et des heures de service le samedi. À l’époque, ces renseignements ont été bien reçus par le SEI.

Pour ces raisons, l’employeur croit fermement que les exigences de l’alinéa 25.11b) sont démontrées et satisfaites.

Afin de répondre à votre position concernant le travail par poste, l’employeur a, depuis plusieurs années, des employés qui travaillent selon des horaires qui comprennent le samedi et des heures au-delà de 21 h. Les employés qui travaillent ces heures ont toujours touché les primes pertinentes (poste et fin de semaine). Au cours de nos consultations, vous avez indiqué que vous n’étiez pas d’accord à ce que les employés travaillent le samedi sans recevoir d’heures supplémentaires.

Certains employés ont clairement exprimé le désir de travailler volontairement l’horaire du mardi au samedi pendant certaines périodes de l’année tout en profitant du dimanche et du lundi comme jours de repos. Cette possibilité n’est jamais imposée aux employés par l’employeur. En passant à l’horaire du mardi au samedi, ces employés sont assujettis aux dispositions de la convention collective relatives au travail par poste, et l’employeur leur a donc versé les primes pertinentes. Cette pratique existe depuis des années et n’a pas été contestée dans le passé.

Ce que vous proposez dans votre réponse, c’est que, afin que les employés travaillent le samedi, l’employeur doit attribuer des heures aux travailleurs de jour en tant qu’heures supplémentaires, ce qui signifierait que ces employés devraient travailler six jours consécutifs. Outre le fait que nous ne partageons pas votre interprétation, vous savez que l’année dernière, et plus particulièrement les derniers mois, ont été très intenses pour ces employés. Compte tenu de cela, l’employeur a des préoccupations importantes en ce qui a trait aux répercussions que cette situation aurait sur la santé et le bien-être de ces employés qui sont déjà surchargés de travail.

Enfin, je pense que vous conviendrez qu’il serait avantageux que les dispositions régissant les heures de travail dans la convention collective soient réexaminées au cours du prochain cycle de négociations afin de faciliter leur application et de tenir compte des réalités actuelles et des besoins opérationnels.

Néanmoins, entre-temps, nous sommes disponibles pour poursuivre les discussions sur cette question en vue de trouver un règlement.

 

[26] M. O’Brien a répondu au courriel le 22 avril 2021, comme suit :

[Traduction]

Vous avez raison de dire que la question des heures prolongées pour la période après la période de production des déclarations de revenus a été présentée pour la première fois par vous le 2 mars 2021, malgré le fait que j’aie été informé que la proposition ne contenait aucune modification importante à ce qui avait été proposé au cours des années précédentes. Je suis sûr que vous conviendrez qu’au cours des années précédentes, aucune proposition n’a été faite et aucune consultation n’a eu lieu au sujet d’heures prolongées après la période de production des déclarations de revenus. Comme vous vous en souvenez peut-être, le 2 mars, j’ai dit clairement que je n’étais pas prêt à traiter de la proposition visant la période après la période de production des déclarations.

[…]

Au cours de cette consultation, j’estime avoir indiqué clairement que nous pouvions tenter de trouver une solution à la proposition d’heures prolongées, mais qu’elle devait être soumise aux dispositions de la convention collective et que ni le SEI, ni moi-même n’avions le pouvoir d’écarter les dispositions de la convention collective. J’ai alors pris cet engagement au nom du SEI et je suis toujours fidèle à cet engagement.

[…]

[…] Je reconnais également les restrictions sur les heures de travail dans la convention collective actuelle et je vous rappelle que c’est moi qui ai proposé pour la première fois aux représentants désignés de la Direction générale de la négociation collective, de l’interprétation et des recours de l’employeur que les parties devaient se pencher sur les révisions des articles appropriés de la convention collective au cours du prochain cycle de négociations pour répondre à ces préoccupations et questions. En fait, des représentants du SEI (dont moi-même) et des représentants de l’ARC participent actuellement à des discussions préalables à la négociation afin de discuter des questions et de tenter de trouver des solutions acceptables à proposer à nos dirigeants.

Pour terminer, je réitère notre engagement à poursuivre les consultations sur cette question en vue de déterminer une solution acceptable, mais je dois dire une fois de plus que ni l’employeur ni le SEI n’a le pouvoir d’écarter les dispositions de la convention collective actuellement en vigueur. Nous serions heureux de pouvoir vous rencontrer le plus tôt possible à une date mutuellement acceptable.

 

[27] M. O’Brien a également écrit que si des heures supplémentaires n’avaient pas été payées dans le passé, c’était sans préavis au SEI. Il a également fait remarquer que les ententes individuelles conclues avec les employés travaillant selon un horaire du mardi au samedi étaient contraires à la convention collective et constituaient une pratique déloyale de travail.

[28] Mme Sherry a été directrice des opérations nationales du 26 avril 2021 au 30 mai 2022. Elle relevait de M. Honcoop. Son rôle consistait, entre autres, à fixer les heures de travail pour tous les centres d’appels. Elle a participé pour la première fois aux consultations avec le SEI en avril 2021. Elle a témoigné que de nouvelles heures de travail prolongées de 8 h à 20 h et le samedi de 8 h à 18 h ont été mises en œuvre à compter du 1er mai 2021. Elle a témoigné que les heures prolongées incluses dans la matrice de 2021 ont été mises en œuvre sans le consentement du SEI. Elle n’a pas participé aux consultations avec le SEI sur la matrice de 2021. Elle a témoigné que l’ARC ne croyait pas avoir besoin de l’accord du SEI pour les heures de travail prolongées compte tenu des directives du gouvernement et de la haute direction concernant la prolongation des heures de service. Elle a également témoigné que l’argent nécessaire pour payer les heures de service prolongées était disponible pour l’exercice 2021-2022.

[29] Trixie Gorzo, chef d’équipe au centre d’appels de Calgary, a témoigné au sujet des heures de travail dans ce centre. Le 3 mai 2021, Adrienne Ingleton, sa directrice adjointe, a envoyé un courriel à tous les employés qui y travaillaient, leur annonçant que les heures de service prolongées seraient en vigueur du 1er mai au 31 décembre 2021, avec des heures du lundi au vendredi de 7 h à 20 h et le samedi de 9 h à 17 h. Elle a affirmé que seuls ceux qui se sont portés volontaires à travailler ces heures auraient dû communiquer avec leur chef d’équipe. Elle a également fait observer que toutes les autres dispositions de la convention collective, y compris les primes de fin de semaine et de poste, seraient appliquées, selon le cas.

[30] Mme Sherry a témoigné que le courriel de Mme Ingleton n’avait pas été [traduction] « vérifié » par l’ARC au niveau national et que les heures prolongées étaient indéfinies et pas seulement jusqu’à la fin de décembre 2021. Elle a également témoigné que le paiement des heures supplémentaires pour travailler le samedi n’était pas uniforme dans toutes les régions de l’organisation. Elle a témoigné qu’elle estimait avoir pris connaissance de cette disparité au début de 2022. Elle a témoigné que le centre d’appels de Hamilton, en Ontario, payait également des heures supplémentaires pour le travail du samedi.

[31] Le SEI et l’ARC se sont rencontrés pour discuter des heures de travail le 13 mai 2021. M. Honcoop a écrit ce qui suit à M. O’Brien le 17 mai 2021, à la suite de cette réunion de consultation :

[Traduction]

[…]

En réponse à la rétroaction du SEI, je peux vous dire que la direction est prête à abandonner le recours aux employés permanents qui se sont portés volontaires pour travailler selon un horaire du mardi au samedi et que nous allons recourir à des employés nommés pour une période déterminée dont la lettre d’offre comporte une clause portant sur le travail par poste.

La direction aura besoin de quatre à six semaines pour effectuer la transition, car les horaires ont déjà été mis en œuvre et une formation supplémentaire devra être offerte.

De plus, la direction pourrait, à l’avenir, organiser un processus de sélection interne pour l’emploi permanent du poste du mardi au samedi.

La direction n’utilisera les heures supplémentaires que le samedi dans des circonstances exceptionnelles (par exemple, une personne a appelé pour signaler qu’elle était malade et une ressource supplémentaire est nécessaire à la dernière minute).

Pour plus de contexte, il est important de reconnaître qu’environ 100 employés permanents de l’effectif total du centre de contact, soit environ 5 000 employés, se portent actuellement volontaires pour travailler selon l’horaire du mardi au samedi.

J’espère que cela répondra aux préoccupations soulevées par le SEI à la réunion.

 

[32] M. O’Brien a témoigné que la référence dans le courriel de M. Honcoop à la « transition » lui a donné l’impression que l’ARC n’avait pas prolongé les heures de la période après la période de production des déclarations de revenus. En contre-interrogatoire, il a convenu que M. Honcoop n’avait pas dit que les heures de travail avaient changé. M. O’Brien a témoigné que certains centres d’appels avaient utilisé les heures prolongées et que certains ne les avaient pas utilisé. Il a affirmé que Calgary était revenu aux heures de travail traditionnelles et qu’il y avait des heures de travail différentes pour différents secteurs d’activité. Il a également témoigné que certains centres d’appels ont réduit le recours aux heures de travail le samedi. En contre‑interrogatoire, il a témoigné que ce n’est qu’après le 15 octobre 2021 que l’employeur a cessé de payer des heures supplémentaires pour travailler le samedi.

[33] Le 9 juin 2021, la Coordination nationale du trafic, qui coordonne certaines des fonctions du centre d’appels, a envoyé un courriel concernant l’horaire de travail à venir, y compris les heures de travail après 18 h et le samedi. Les employés ont été informés qu’ils étaient tous tenus d’indiquer au moins 10 quarts de travail qui se terminaient à 20 h. Même si le courriel indiquait que la direction choisirait ceux qui se sont portés volontaires pour travailler jusqu’à 20 h, elle a averti qu’elle pourrait devoir modifier ces préférences, selon le nombre de volontaires. Mme Sherry a témoigné que ce courriel n’avait pas non plus été vérifié à l’échelle nationale et que, même si les heures de travail étaient correctes, la méthode d’établissement de l’horaire n’était pas la bonne.

[34] Le SEI a publié une mise à jour sur les heures de travail dans les centres d’appels le 13 juillet 2021. M. O’Brien a témoigné qu’il avait rédigé le message aux fins de signature du président du SEI. Le message faisait état de l’entente de principe conclue avec l’ARC, comme suit :

[Traduction]

[…] les parties sont parvenues à une entente de principe qui répond efficacement à nos préoccupations et qui permet à l’employeur, dans les limites de la convention collective, d’établir des horaires de travail qui répondent à ses besoins opérationnels. Plus précisément, les parties ont convenu que l’instrument le plus efficace pour répondre à chacune de nos questions et préoccupations était les dispositions de la clause 25.23 de la convention collective concernant les Aménagements d’horaires de postes variables (AHPV).

 

Afin de conclure nos discussions sur cette question et d’exécuter les conditions de notre entente de principe, les parties ont convenu de créer un groupe de travail conjoint chargé d’examiner et d’analyser les questions entourant la mise en œuvre d’AHPV, y compris, mais sans s’y limiter, les dispositions de la convention collective, les préférences des employé-e-s, les besoins opérationnels de l’employeur en ce qui concerne les volumes d’appels, les exigences de service et les heures prolongées, et d’autres questions similaires. Les parties ont également convenu de collaborer à l’élaboration de lignes directrices pour la mise en œuvre et l’administration des dispositions de la convention collective relatives aux AHPV.

 

Même si le paragraphe relatif aux horaires des AHPV fait partie de la convention collective depuis un certain temps, il n’a pas été appliqué à nos membres auparavant et il faudra un certain temps pour identifier toutes les problématiques et les détails concernant cette question avant sa mise en œuvre. Les parties se sont engagées à traiter cette question en priorité et s’en occuperont sérieusement au cours des prochains mois.

 

[35] Le processus relatif aux ententes sur les postes à horaires variables (EPHV) est énoncé dans la convention collective aux dispositions portant sur le travail par poste. La clause 25.23 décrit un processus de consultation au niveau local pour établir des horaires de postes différents des horaires de postes autorisés en vertu de la convention collective.

[36] Mme Gorzo a témoigné qu’après le 13 juillet 2021, les employés du centre d’appels de Calgary ont continué de travailler des heures prolongées jusqu’à 20 h, mais que les heures de 18 h à 20 h ont été payées à titre d’heures supplémentaires et que le travail de ces heures était volontaire. Elle a également déclaré que les personnes dont la lettre d’offre comportait un avis de travail par poste étaient affectées à l’horaire du mardi au samedi. En contre-interrogatoire, elle a convenu que l’entente conclue au centre d’appels de Calgary portait sur la rémunération et sur la question de savoir qui travaillerait les heures prolongées.

[37] Mme Gorzo a envoyé un courriel à Mme Ingleton le 4 août 2021, dans lequel elle incluait le message du 13 juillet 2021 du SEI. Dans le courriel, Mme Gorzo a fait remarquer qu’il semblait que les horaires étaient passés à 20 h sans faire appel à des volontaires et que la section locale de l’agent négociateur n’avait pas été consultée. Elle a demandé une réunion pour discuter de l’aménagement des horaires de travail par poste en vertu de la convention collective. Elle a également demandé le nombre d’employés qui travaillent volontairement en dehors des heures de travail normales. Mme Ingleton a répondu que la couverture du soir était rémunérée au moyen de la rémunération d’heures supplémentaires et de la prime d’heures tardives. Elle a fait remarquer que certains employés ont choisi de commencer à travailler plus tard et de travailler jusqu’à 20 h, tandis que d’autres ont travaillé leurs heures normales plus des heures supplémentaires. Pour les employés qui ont choisi de travailler du mardi au samedi, aucune rémunération d’heures supplémentaires n’a été versée pour le travail du samedi. Mme Ingleton a ensuite précisé que sur les 33 employés qui travaillaient du mardi au samedi, il s’agissait d’une condition contractuelle pour 28 et cinq ont demandé ces jours de travail.

[38] Le 5 août 2021, le gestionnaire des services à la clientèle pour la région de l’Ouest, James Bell, a envoyé un courriel au personnel de cette région, annonçant les modifications à venir dans l’établissement des horaires à la suite de l’entente de principe entre le SEI et l’ARC concernant l’application de la disposition sur les EPHV de la convention collective « […] pour régler les horaires en dehors de nos heures normales du lundi au vendredi de 7h à 18h. » Il a poursuivi comme suit :

[Traduction]

[…]

Étant donné que cette entente de principe est conclue, nous devons maintenant attendre le plan de mise en œuvre négocié pour l’établissement des horaires au centre d’appels. Jusqu’à ce que cette entente soit conclue à l’échelle nationale, nous reviendrons à notre approche consistant à couvrir les appels téléphoniques à l’aide d’horaires volontaires et d’heures supplémentaires après 18 h du lundi au vendredi.

Cela signifie ce qui suit :

1. […] les modifications apportées pour couvrir la fermeture à 20 h reviendront à l’horaire soumis à l’origine. Les personnes qui ont offert de travailler jusqu’à 20h [à l’origine] […] ne seront pas changées et continueront d’être admissibles à la prime d’heure tardive après 18 h.

2. La disponibilité pour des heures supplémentaires sera de nouveau demandée.

3. L’approbation des heures supplémentaires pour la couverture des lignes téléphoniques après 18 h du lundi au vendredi

Les horaires seront changés du 9 août au 26 octobre pour ne retenir que les personnes qui travaillent volontairement après 18 h. Le Trafic se concentrera sur l’ajustement des horaires pour la semaine prochaine aujourd’hui et s’efforcera de mettre à jour le reste du cycle d’ici lundi. Des heures supplémentaires seront prévues pour couvrir les heures de notre centre d’appels après 18 h. Soyez également aux aguets de cette approbation.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[39] M. O’Brien a témoigné que l’ARC ne lui avait pas dit avant le 15 octobre 2021 que des heures prolongées après la période de production des déclarations de revenus avaient été mises en œuvre. Il a également témoigné qu’il avait reçu des garanties du SEI selon lesquelles l’imposition d’heures prolongées avait été [traduction] « suspendue ». Il a témoigné avoir reçu des plaintes parce que les horaires de travail n’étaient pas appliqués uniformément partout au pays.

B. Les mesures prises par l’employeur après la signification de l’avis de négocier (le 15 octobre 2021)

[40] Le 15 octobre 2021, l’agent négociateur a signifié un avis de négocier.

[41] La première réunion du groupe de travail sur l’EPHV a été tenue le 19 octobre 2021. Une réunion subséquente a été tenue le 16 novembre 2021. Mme Sherry était la représentante de l’ARC aux fins de ces consultations. L’ARC a préparé un diaporama qui comprenait l’« Énoncé de l’approche globale » suivant : « Les horaires prédéterminés avec des heures en dehors de 7 h 00 à 18 h 00 heure locale du lundi au vendredi seront déterminés en fonction des besoins opérationnels. » [Le passage en évidence l’est dans l’original] Mme Sherry a témoigné que les réunions portant sur l’EPHV n’étaient pas destinées à traiter de la matrice, mais seulement à discuter de la façon dont l’ARC établissait les horaires selon les heures de service prolongées. Elle a témoigné que les parties essayaient de trouver une solution pour établir l’horaire des employés de manière à couvrir les heures prolongées.

[42] Lors des deux réunions, l’ARC a affirmé qu’en vertu d’une EPHV, l’employeur se réservait le droit d’affecter des heures prolongées ou du travail le samedi aux employés s’il n’y avait pas suffisamment de volontaires. Lors d’une réunion finale le 13 décembre 2021, le SEI a indiqué qu’elle se retirait des consultations parce qu’elle ne pouvait pas soutenir les horaires involontaires.

[43] M. O’Brien a témoigné qu’après l’échec des discussions sur l’EPHV, l’approche des centres d’appels était incohérente. Certains centres sont revenus aux heures normales et d’autres ont continué d’imposer les heures prolongées.

[44] Un projet de matrice des heures de travail pour 2022 a été préparé pour le 8 décembre 2021, et une réunion a été organisée avec le SEI aux fins des consultations. Le 9 décembre 2021, M. Honcoop a demandé à l’organisateur de la réunion de suspendre la communication de la matrice, car l’ARC [traduction] « pourrait avoir besoin d’apporter des ajustements ». La version définitive a été fournie à M. O’Brien le 14 décembre 2021. M. Honcoop et Mme Sherry (et d’autres) ont rencontré M. O’Brien le 21 décembre 2021. La matrice ne contenait que des heures prolongées pour l’ensemble de l’année civile. M. O’Brien a témoigné qu’une entente aurait pu être conclue sur les heures prolongées pour la période de production des déclarations de revenus.

[45] Mme Sherry a envoyé un courriel à M. O’Brien le 23 décembre 2021, auquel elle a joint une matrice révisée des heures de travail; elle a écrit ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Selon les points que vous avez soulevés, nous avons apporté les modifications suivantes […]

· Étant donné que le besoin de traiter des appels dans la file d’attente après 21 h est très limité et afin de respecter les heures prolongées prévues à l’alinéa 25.11b) de la convention collective, nous avons ajusté l’heure de fin des heures de travail à Edmonton à 21 h, du lundi au vendredi.

· Reconnaissant le fait que ces heures de travail sont permanentes, nous avons modifié le renvoi aux dates pour indiquer qu’elles entraient en vigueur le 1er janvier 2022, et nous avons changé le renvoi au 1er août à la longue fin de semaine d’août.

Nous avons pris note de vos commentaires sur les heures de travail le samedi. Il y a un besoin démontré de fournir des services le samedi, car nous recevons des milliers d’appels de Canadiens toute l’année le samedi. Selon notre interprétation, un horaire comprenant un samedi est irrégulier et, par conséquent, les employés dont l’horaire comprend un samedi seront considérés comme des travailleurs par postes et rémunérés en conséquence.

En ce qui concerne les heures de travail et les ententes relatives à la Coordination nationale du trafic à Ottawa, nous fournirons des renseignements supplémentaires dans un proche avenir.

L’ARC demeure fermement engagée à l’approche syndicale-patronale et aux consultations, en cas de besoin. Si vous le demandez, ou si des modifications sont apportées aux heures de travail à l’avenir, nous serons heureux de participer à des discussions de consultation.

 

[46] Mme Sherry a témoigné que la matrice révisée jointe à ce courriel n’était qu’à des fins de discussion et n’a jamais été publiée, car le SEI n’avait pas donné son accord. Elle a témoigné que les heures de travail étaient alors revenues à celles avant le 15 octobre 2021.

[47] M. O’Brien a témoigné que le courriel du 23 décembre 2021 était son premier avis selon lequel les heures prolongées s’appliqueraient à l’année civile suivante et à celles qui suivraient. En contre-interrogatoire, M. O’Brien a témoigné qu’il lui avait été très clair que les consultations avaient concerné l’année civile suivante et que son argument était fondé non seulement sur la pratique antérieure, mais également sur le titre de la matrice fournie aux fins de la consultation (janvier-décembre 2021). Mme Sherry a témoigné qu’elle ne savait pas quand ni comment M. O’Brien a été informé du fait que les modifications apportées aux heures de travail étaient permanentes.

[48] Dans un communiqué publié sur le site Web du SEI le 23 décembre 2021, le président du SEI a écrit que « […] si l’employeur tente d’imposer des heures prolongées ou le travail le samedi à nos membres […] », le SEI soutiendrait le dépôt de griefs et déposerait une plainte de gel prévu par la loi.

[49] M. O’Brien a témoigné qu’il n’avait aucune idée du moment où l’employeur a mis en œuvre les heures prolongées indiquées dans la matrice qui lui a été envoyée en décembre 2021. Il a témoigné que certains centres d’appels avaient mis en œuvre ces heures prolongées avant le 23 décembre 2021.

[50] Le 10 janvier 2022, M. O’Brien a répondu au courriel de Mme Sherry du 23 décembre 2021, affirmant que le SEI s’opposait aux heures de travail indiquées dans la matrice et qu’il avait demandé à l’AFPC de déposer un grief de principe et une plainte de gel prévu par la loi.

[51] Les parties ont échangé des propositions de négociation en janvier 2022. Les propositions de l’employeur contenaient des modifications proposées aux dispositions de la convention collective relatives aux heures de travail. Morgan Gay, le négociateur de l’agent négociateur, a témoigné que les heures de travail avaient constitué une question litigieuse à la table de négociation. Il a témoigné que les propositions de négociation de l’employeur comprenaient l’élimination de l’obligation de consulter l’agent négociateur au sujet des heures de travail. La contre-proposition de l’agent négociateur était de maintenir le statu quo. M. Gay a témoigné que les parties étaient parvenues à une impasse dans le cadre des négociations et qu’une audience de la Commission de l’intérêt public avait été prévue en février et en mars 2023.

[52] Le 1er mars 2022, Mme Sherry a fourni des renseignements supplémentaires à M. O’Brien au sujet de la section de la Coordination nationale du trafic, comme elle l’avait promis. Elle a indiqué que l’horaire de travail pour cette section était en vigueur depuis avril 2021. Elle a souligné certaines révisions à la matrice, qui comprenaient des périodes plus courtes pour certains bureaux, car les employés ne travaillaient pas dans l’éventail d’heures indiquées dans la matrice, des modifications apportées aux heures de début pour les lieux où les employés avaient commencé plus tôt avant octobre 2021 et des changements rédactionnels pour tenir compte des changements du nom des centres d’appels. M. O’Brien a témoigné qu’il ne se rappelait pas avoir reçu ce courriel. Il n’était pas d’accord avec le fait que la matrice pour 2021 et la matrice pour 2022 contiennent les mêmes heures prolongées.

[53] Le 7 mars 2022, l’agent négociateur a déposé un grief de principe auprès de l’ARC, alléguant ce qui suit :

[Traduction]

[…]

L’employeur contrevient à l’article 25, surtout aux clauses 25.06, 25.07, 25.08, 25.11, 25.12, 25.13, 25.16, 25.17, 25.23, ainsi qu’aux articles 27 et 28 et à tout autre article applicable de la convention collective de l’ARC.

L’employeur a modifié les heures de travail des employés de l’Agence du revenu du Canada en contravention de la clause 25.06 en prolongeant leurs heures de travail après 18 h du lundi au vendredi et en mettant en œuvre des heures de travail régulières le samedi pour certains employés, sans rémunération au taux des heures supplémentaires applicable.

Le 23 décembre 2021, l’employeur a informé l’agent négociateur par courriel qu’il prolongeait de façon permanente les heures de travail de certains employés du centre d’appels (de contact) jusqu’à 21 h, du lundi au vendredi et le samedi. L’employeur a modifié les heures de travail des employés pendant la période de gel prévu par la loi, puisque l’agent négociateur a signifié un avis de négocier à l’employeur le 15 octobre 2021.

De plus, rien n’indique que l’employeur entend verser à ces employés la prime d’heures tardives, comme l’exige la clause 25.12 b), ou la rémunération des heures supplémentaires applicable, telle qu’elle s’applique en vertu de l’article 28.

 

[54] Comme je l’ai déjà mentionné, ce grief de principe n’a pas encore été mis au rôle.

[55] M. O’Brien a témoigné que le SEI avait accepté de prolonger les heures de travail de façon temporaire pour plusieurs programmes d’indemnisation concernant la pandémie et pour la crise en Afghanistan en 2021. Il a témoigné que le SEI avait accepté les heures prolongées pendant une courte période et à condition que ces heures de travail prolongées demeuraient volontaires.

[56] Mme Sherry a témoigné qu’il n’y avait pas de centres d’appels ayant des heures de travail différentes de celles qui sont indiquées dans la matrice de 2022. Elle a témoigné que les centres d’appels devaient respecter rigoureusement ces heures de service. Elle a témoigné que, selon ses souvenirs, elle n’a jamais dit au SEI que les heures contenues dans la matrice de 2021 étaient temporaires.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la plaignante

[57] La plaignante a soutenu que la présente plainte porte sur le traitement par les parties des heures de travail prolongées (après 18 h et le samedi). Essentiellement, la plainte concerne la consultation sur les heures prolongées qui, dans le présent cas, ne s’est pas terminée avant décembre 2021. Par le passé, le SEI et l’ARC avaient tenu des consultations sur les heures de travail et étaient parvenus à une entente sur les heures de travail au cours de la période de production des déclarations de revenus, y compris en 2021. Selon la tendance, les heures de travail étaient approuvées par le SEI. Cela est démontré par le fait que les employés touchaient une rémunération d’heures supplémentaires pour les heures prolongées travaillées de la mi-février jusqu’au 2 mars 2021 (date à laquelle la consultation a commencé). Rien n’indiquait que les parties ne poursuivraient pas les consultations sur les heures prolongées pour chaque année civile. Les consultations sur les heures prolongées se sont poursuivies entre les parties jusqu’en 2021, et ce n’est qu’à l’échec des négociations en décembre 2021 que l’employeur a indiqué que les heures prolongées étaient permanentes. M. O’Brien a témoigné qu’il s’agissait de la première fois qu’il avait été informé que les heures prolongées seraient permanentes. Cela s’est produit après le début de la période de gel.

[58] La plaignante a fait remarquer que la première indication selon laquelle la défenderesse envisageait des heures prolongées après la période de production des déclarations de revenus a été donnée le 2 mars 2021, date à laquelle le SEI a été consulté pour la première fois au sujet de ces heures. Lorsque M. O’Brien a reçu la matrice de 2021, il était clair que les heures prolongées après la période de production des déclaration de revenus étaient toujours assujetties à des consultations en cours. La consultation sur ces heures prolongées n’a donné lieu à aucune entente, mais l’employeur a laissé la porte ouverte à d’autres consultations. Ces consultations ont eu lieu dans le cadre des discussions sur l’EPHV ainsi que dans le cadre des discussions préalables à la négociation.

[59] La plaignante a fait remarquer que, dans un courriel du 5 août 2021, M. Bell a déclaré que le centre d’appels de Calgary reviendrait à l’approche de l’horaire volontaire des heures supplémentaires après 18 h, du lundi au vendredi. La plaignante a soutenu qu’il était incroyable de penser que M. Bell n’avait pas obtenu ces renseignements d’une source officielle. Elle a soutenu que cet engagement pris par M. Bell était révélateur de l’entente entre M. O’Brien et M. Honcoop. Le témoignage de Mme Sherry constitue un ouï-dire, et face au témoignage direct de M. O’Brien, il ne devrait pas être pris en considération.

[60] La plaignante a soutenu que la matrice fournie par Mme Sherry en décembre 2021 était très différente des versions précédentes, ce qui a signalé une approche différente de la part de l’employeur et donné lieu à la présente plainte de gel prévu par la loi.

[61] La plaignante a soutenu que les modalités et les conditions qui sont assujetties aux dispositions sur le gel prévu par la loi comprennent des modalités fondées sur des pratiques antérieures qui pourraient être incluses dans une convention collective (voir Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2013 CRTFP 46, aux par. 163 et 169). La présente plainte ne porte pas sur l’interprétation d’une convention collective – le grief de principe est en attente. La condition en litige dans la présente plainte est une modalité fondée sur une pratique antérieure – la consultation constante sur les heures de travail.

[62] La plaignante a soutenu que l’article 107 de la Loi est une disposition de responsabilité stricte : il importe peu que l’employeur ait eu de bonnes raisons de mettre en œuvre le changement, et il n’y a aucune obligation de constater un sentiment antisyndical (voir Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTESPF 11, aux par. 60 et suivants).

[63] La plaignante a soutenu que l’analyse en deux étapes dans les cas concernant le gel prévu par la loi a été confirmée par la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Fédération de la police nationale, 2022 CAF 80, (« FPN no 2 »). La première étape comporte quatre éléments, comme suit :

1) La condition d’emploi existait le jour où le gel a commencé. Dans le présent cas, la condition d’emploi était la consultation et l’entente sur les heures de travail annuelles dans les centres d’appels.

2) La condition d’emploi a été modifiée sans le consentement de l’agent négociateur. Dans le présent cas, le changement a été imposé unilatéralement par l’employeur le 21 décembre 2021.

3) La modification a été apportée pendant la période de gel; c’est-à-dire après que l’avis de négocier a été signifié.

4) La condition d’emploi peut être incluse dans une convention collective. Dans le présent cas, il ne devrait y avoir aucun doute que l’établissement des horaires constitue une question de négociation litigieuse.

 

[64] La plaignante a fait valoir qu’une fois ces quatre éléments réunis, la deuxième étape consiste à examiner la défense de l’employeur selon laquelle il ne faisait que suivre le cours normal des affaires. Une autre façon d’analyser les mesures prises par l’employeur est l’approche des « attentes raisonnables » décrite dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTESPF 11, au paragraphe 63. La plaignante m’a renvoyé à l’élaboration plus poussée du critère énoncée dans Fédération de la police nationale c. Conseil du Trésor, 2020 CRTESPF 44 (« FPN no 1 ») aux paragraphes 53 et suivants.

[65] La plaignante a soutenu que le [traduction] « cours normal des affaires » constituait une tendance de consultation sur les heures de travail. La porte relative à cette pratique n’a pas été fermée avant la signification de l’avis de négocier. La consultation n’a pas été achevée avant que la consultation sur l’EPHV ait pris fin après le début de la période de gel.

[66] La plaignante a soutenu que l’argument éventuel de la défenderesse selon lequel la [traduction] « machine était en marche » n’est pas étayé par les faits – ce qui importe sont les attentes raisonnables de M. O’Brien, le négociateur au nom des employés. L’employeur a fait valoir à M. O’Brien que les consultations se poursuivraient comme par le passé et il s’agissait de son attente jusqu’en décembre 2021, lorsqu’il a été informé que l’employeur avait pris une décision finale.

[67] La plaignante a fait valoir que le témoignage de Mme Sherry était principalement du ouï-dire parce qu’elle n’a participé aux heures prolongées que bien plus tard dans le processus. Dans la mesure où son témoignage diffère de celui de M. O’Brien, la version de ce dernier devrait être préférée.

B. Pour la défenderesse

[68] La défenderesse a soutenu que la condition en litige dans la présente plainte devrait être tirée de la plainte telle qu’elle a été formulée. Dans la plainte, l’agent de la plaignante a affirmé que la condition était l’acceptation par le SEI des modifications apportées aux heures de travail. La plainte ne porte ni sur la rémunération ni sur les consultations, et ce n’est qu’à l’audience que la plaignante tente de redéfinir la condition comme étant par rapport à la consultation.

[69] La défenderesse a fait valoir que si la condition en litige concernait les consultations, la Commission serait alors tenue de déterminer le sens du mot « consultation » afin de déterminer quand ce processus a été achevé. Cette démarche nécessiterait une interprétation de la convention collective, qui est l’objet du grief de principe qui n’a pas encore été mis au rôle. La défenderesse a fait valoir que la plaignante a confondu le grief de principe avec la plainte.

[70] La défenderesse a soutenu qu’il était clair que M. O’Brien avait supposé à tort que si des discussions sur les heures de travail étaient en cours, cela signifiait que la défenderesse n’avait pris aucune décision ferme concernant les heures prolongées. La défenderesse a fait valoir que la condition d’emploi avait été modifiée au plus tard en mai 2021, lorsque les employés ont continué à travailler des heures prolongées après la fin de la période de production des déclarations de revenus. Ils ont continué à travailler ces heures.

[71] Subsidiairement, la défenderesse a fait valoir que toute modification apportée aux heures de travail après la période de gel était conforme à la pratique normale. La plaignante était au courant de la décision de l’employeur de prolonger les heures en dehors de la période de production des déclarations de revenus à compter du 8 janvier 2021. En d’autres termes, la pratique consistant à fixer les heures de travail prolongées par consentement a pris fin lorsque l’employeur a affirmé en janvier 2021 qu’il prolongerait les heures pour l’ensemble de l’année civile.

[72] La défenderesse a soutenu que, depuis au moins la mi-avril 2021, les employés savaient que les heures prolongées se poursuivraient après la fin de la période de production des déclarations de revenus. Cela a été confirmé par des courriels envoyés par M. O’Brien et dans son témoignage selon lequel il avait été assiégé de courriels provenant de ses membres. La défenderesse a fait valoir que les heures de travail étaient fermement établies et que les discussions en cours portaient sur la méthode d’établissement de l’horaire et la façon dont la convention collective serait appliquée en ce qui concerne la rémunération. Ces discussions, qui en fin de compte n’ont pas été fructueuses, ont été tenues dans le cadre de la consultation sur l’EPHV.

[73] M. O’Brien a témoigné qu’il existait une approche incohérente à l’égard des heures prolongées dans trois centres d’appels. Toutefois, la défenderesse a soutenu que seulement des éléments de preuve concernant le centre d’appels de Calgary ont été déposés. Elle a soutenu que le bulletin de juillet 2021 indiquait que l’entente de principe se limitait à l’établissement des horaires et à l’application de la convention collective et non aux heures de travail prolongées elles-mêmes.

[74] La défenderesse a soutenu que même si la matrice pour 2022 qui a été envoyée à l’agent négociateur en décembre 2021 contenait des heures prolongées supplémentaires, Mme Sherry a témoigné que ces heures n’ont jamais été mises en œuvre. La défenderesse a fait valoir que le témoignage de Mme Sherry constituait le seul élément de preuve à cet égard et qu’il devrait être accepté.

[75] La défenderesse a fait remarquer que la matrice révisée pour 2022 envoyée en mars 2022 contenait les mêmes heures que celles dans la matrice de 2021. Le seul changement était un ajustement des heures du Centre national du trafic afin de correspondre aux heures réelles en vigueur à partir de 2021. Les heures énoncées dans la matrice de mars 2022 ont été mises en œuvre et demeurent en place à ce jour.

[76] La défenderesse m’a renvoyé à la décision de la Cour suprême du Canada dans Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 503 c. Compagnie WalMart du Canada, 2014 CSC 45 (« Walmart »), aux paragraphes 39 et 57. La défenderesse a fait valoir que la Cour suprême a indiqué clairement qu’un gel ne paralyse pas le milieu de travail, mais permet d’apporter des changements qui sont conformes aux règles et aux pratiques opérationnelles de l’employeur. La défenderesse m’a également renvoyé au critère des « attentes raisonnables » et a soutenu que ces attentes étaient du point de vue de l’employeur, qui ne tient pas compte des attentes raisonnables des employés.

[77] La défenderesse a fait valoir qu’elle adoptait la même position qu’elle avait adoptée dans FPN no 1 et dans le contrôle judiciaire de cette décision (FPN no 2). La défenderesse a affirmé que l’autorisation d’interjeter appel de la décision de la Cour d’appel fédérale devant la Cour suprême du Canada avait été demandée. Après l’audience de la présente plainte, l’autorisation d’interjeter appel a été rejetée par la Cour suprême du Canada (2023 CanLII 14937).

[78] Toutefois, la défenderesse a fait valoir que la présente plainte ne nécessite pas l’application du critère des attentes raisonnables parce qu’il ne fait aucun doute que la plaignante et les employés étaient au courant de la modification apportée aux heures de travail bien avant le gel prévu par la loi.

[79] La défenderesse m’a renvoyé à Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2016 CRTEFP 104 (« Firebird ») et a soutenu que les faits du présent cas devraient donner lieu à la même conclusion selon laquelle il n’y a eu aucune contravention à la disposition portant sur le gel prévu par la loi.

[80] La défenderesse a soutenu que, même si elle ne souscrivait pas à l’articulation du critère énoncé dans FPN no 1, elle avait satisfait au critère dans le présent cas. L’employeur a également fait valoir que les modifications énoncées dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence du revenu du Canada, 2019 CRTESPF 110 (« Bureau fiscal de Sudbury »), ont été apportées des mois après le début de la période de gel, ce qui n’est pas le cas dans la présente plainte. Dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence du revenu du Canada, 2017 CRTESPF 16, la Commission a déterminé que la décision de l’employeur n’était pas définitive tant qu’elle n’avait pas été mise en œuvre et qu’elle devait se limiter aux faits de cette plainte.

[81] La défenderesse a soutenu que la décision dans Association canadienne des employés professionnels c. Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2016 CRTEFP 68, n’appliquait pas le critère relatif au cours normal des affaires.

[82] La défenderesse a soutenu que la plainte devrait être rejetée.

[83] Si la plainte est accueillie, la défenderesse a fait valoir que la réparation devrait se limiter à une déclaration. Elle a fait valoir qu’il n’est pas nécessaire d’afficher la décision, car la plaignante peut envoyer les renseignements à ses membres. La défenderesse a soutenu que le but de l’affichage est d’informer, et non de faire honte.

[84] La défenderesse a fait valoir que la Commission n’a pas compétence pour ordonner aux parties de se consulter, car la Commission ne peut pas rendre une ordonnance qui aurait pour effet de modifier la convention collective. La défenderesse a soutenu que la permanence de la modification d’une condition d’emploi ne fait pas partie du critère de la violation d’un gel prévu par la loi et n’est pas un facteur à prendre en considération dans l’élaboration d’une réparation.

[85] La défenderesse a soutenu qu’il n’est pas approprié de rejeter le témoignage de Mme Sherry uniquement au motif qu’il constituait un ouï-dire. Son témoignage était fiable et a été corroboré par des échanges de courriels.

C. La réponse de la plaignante

[86] La plaignante a soutenu que la plainte ne porte pas seulement sur les heures de travail, mais aussi sur la façon dont ces heures de travail ont été mises en œuvre. M. O’Brien a indiqué franchement que la mise en œuvre unilatérale de modifications aux heures de travail aurait une incidence sur le paiement de ces heures. La plaignante a fait valoir qu’il n’y a eu aucune discussion sur les heures de travail obligatoires aux réunions de janvier et de février 2021.

[87] La plaignante a soutenu que la Commission n’a pas accepté l’argument de l’employeur selon lequel la loi a changé à la suite de la décision Walmart. Elle a également fait remarquer que la Cour d’appel fédérale avait souscrit à l’approche adoptée par la Commission dans le cadre du contrôle judiciaire de FPN no 1. La plaignante a soutenu que je devrais appliquer la loi existante et que je devrais rejeter les nouveaux arguments présentés par l’employeur. La plaignante a également soutenu que les cas invoqués par la défenderesse se distinguent par les faits.

IV. Motifs

[88] La plaignante a également déposé un grief de principe concernant l’imposition d’heures de travail prolongées en dehors de la période de production des déclarations de revenus. Ce grief de principe n’a pas encore été mis au rôle et, par conséquent, je ne l’ai pas abordé. Le seul rôle de la Commission dans la présente plainte consiste à déterminer si l’employeur a contrevenu à l’article 107 de la Loi.

[89] L’objet d’une disposition de gel prévu par la loi comme l’article 107 de la Loi consiste à fournir aux deux parties un « […] cadre de référence constant et stable servant de point de départ pour les négociations » (voir La Reine c. L’Association canadienne du contrôle du trafic aérien [1982] 2 C.F. 80, à la p. 91).

[90] Les parties conviennent qu’une plainte concernant le gel prévu par la loi nécessite une analyse en deux étapes. Dans Bureau fiscal de Sudbury, la Commission a résumé l’analyse en deux étapes comme suit (au par. 137) :

[137] […] En premier lieu, la Commission vérifie si un plaignant s’est acquitté du principal fardeau de présentation lui incombant, soit d’établir qu’un avis de négocier a été signifié, qu’un employeur a subséquemment modifié une condition d’emploi qui pouvait faire partie d’une convention collective et qui était en vigueur à la date de la signification d’un avis de négocier, et que le plaignant n’y consentait pas. À la deuxième étape, la Commission examine la défense présentée par l’employeur selon laquelle, bien qu’une condition d’emploi ait été modifiée au sens de l’art. 107, ses actes n’ont donné lieu à aucune violation dudit article, le plus souvent parce que l’employeur maintenait ses pratiques habituelles. Dans certains cas, la Commission assimile les pratiques habituelles à une approche qui autorise un plaignant à s’acquitter du fardeau de la preuve en démontrant qu’une condition d’emploi était en place avant la signification d’un avis de négocier, mais que l’employeur l’a modifiée subséquemment, en violation de l’art. 107.

 

[91] Le fardeau de la preuve incombe à la plaignante aux deux étapes de l’analyse.

1. Une modification a-t-elle été apportée à une condition d’emploi pendant la période de gel?

[92] Il n’est pas contesté que l’avis de négocier a été signifié par la plaignante le 15 octobre 2021. Il n’est pas non plus contesté que les heures de travail prolongées après la fin de la période de production des déclarations de revenus ont été mises en œuvre sans le consentement de la plaignante. Il n’est pas non plus contesté que les dispositions relatives aux heures de travail peuvent, en général, être incluses dans une convention collective (et, évidemment, elles sont déjà incluses dans la convention collective expirée conclue entre les parties). Le désaccord entre les parties porte sur la question de savoir si la modification apportée à la condition a eu lieu avant ou après le 15 octobre 2021.

[93] La détermination cruciale de la date de la modification dépend de la condition d’emploi que la plaignante allègue avoir été modifiée. Le point de départ pour déterminer la condition en litige est un examen de la plainte déposée par la plaignante et des caractéristiques de cette condition. Dans la plainte, la plaignante a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

[…]

26. […]

· Une condition d’emploi existait par la pratique antérieure lorsque l’avis de négocier a été signifié, plus particulièrement que les heures et les jours de travail, autres que les heures et les jours réguliers de travail prévus dans la convention collective, ne seraient prévus que sur l’accord mutuel de l’ARC et du SEI […]

[…]

 

[94] Dans sa réfutation de la réponse de la défenderesse à la plainte, la plaignante a précisé davantage la condition en litige dans la présente plainte, comme suit :

[Traduction]

[…]

[…] Les jours et les heures de travail réguliers prévus dans la convention collective n’ont été écartés que par l’accord exprès du SEI à titre temporaire au cours d’années particulières, ce qui n’a pas été prévu dans le cas présent […]

7. De plus, sauf pendant la période de gel en cours, l’employeur n’a jamais prévu d’heures prolongées permanentes tout au long de l’année, y compris les quarts obligatoires du samedi. Même si la convention collective autorisait l’imposition unilatérale de ces quarts, l’employeur ne pouvait s’écarter du modèle de comportement établi pendant la période de gel.

[…]

9. Selon la position de la plaignante, il y avait une condition d’emploi qui existait au moyen d’un modèle de comportement établi lorsque l’avis de négocier a été signifié : plus particulièrement, les heures et les jours de travail autres que les heures et les jours de travail réguliers prévus dans la convention collective ne seraient prévus à l’horaire que temporairement, et seulement avec l’accord mutuel de l’ARC et du SEI. Il s’agit de la condition d’emploi qui a été modifiée par l’imposition unilatérale par l’employeur d’heures de service prolongées permanentes et de quarts obligatoires le samedi en janvier 2022 pour la durée de l’année civile, malgré les objections du SEI et sans le consentement ou l’approbation du SEI.

[…]

16. […] même si l’employeur avait un pouvoir discrétionnaire absolu unilatéral (ce que l’AFPC maintient ne pas être le cas dans ce contexte), il ne peut pas, pendant la période de gel, prévoir des heures prolongées permanentes tout au long de l’année, y compris les quarts obligatoires du samedi, car il n’y a pas d’antécédents où l’employeur a agi ainsi.

 

[95] Dans ses arguments à l’audience de la présente plainte, la plaignante s’est concentrée sur la consultation portant sur les heures de travail prolongées et sur la permanence de la modification apportée aux heures de travail prolongées.

[96] Je conclus de la plainte, de la réfutation et des arguments présentés à l’audience que la condition d’emploi que la plaignante a allégué avoir été modifiée après le début de la période de gel était la modification permanente apportée aux heures de travail, sans le consentement du SEI. Selon la position de la plaignante, cette modification a été apportée lors de l’imposition d’heures prolongées à compter de janvier 2022. Selon la position de la défenderesse, la modification des heures de travail a été apportée avant le début du gel prévu par la loi.

[97] Après avoir examiné la preuve documentaire et les témoignages, je parviens aux conclusions suivantes :

· Avant mai 2021, les heures de travail prolongées étaient convenues par le SEI et ne s’appliquaient qu’à la période de production des déclarations de revenus ou à d’autres périodes limitées dans le temps.

· Les heures de service prolongées ont été soulevées lors des réunions de janvier ou de février 2021 relatives à l’Énoncé économique de l’automne, mais la défenderesse a affirmé explicitement à ces réunions que les modifications étaient assujetties aux consultations avec le SEI.

· Le résumé des réunions de janvier et de février 2021 indiquait que la défenderesse avait l’intention de prolonger les heures de service pour le reste de l’année (2021).

· La matrice proposée fournie au SEI en mars 2021 ne concernait que l’année civile 2021.

· Le 6 avril 2021, M. Honcoop a déclaré que les heures de service prolongées se poursuivraient après la période de production des déclarations de revenus et, le 19 avril 2021, il a réitéré la position de la défenderesse selon laquelle les heures prolongées se poursuivraient [traduction] « pour le reste de l’année ».

· La directrice adjointe du centre d’appels de Calgary a indiqué en mai 2021 que les heures de service prolongées seraient en vigueur du 1er mai au 31 décembre 2021.

· Après le 1er mai 2021 (après la période de production des déclarations de revenus), les heures de service prolongées ont été mises en œuvre dans tous les centres d’appels.

· Le 17 mai 2021, M. Honcoop a déclaré (en faisant référence à une réunion tenue le 13 mai 2021) que la défenderesse [traduction] « délaissait » la planification des horaires avec les employés qui se sont portés volontaires pour travailler les heures prolongées, mais il n’a pas indiqué de modifications apportées aux heures de services prolongées (en d’autres termes, les heures de travail prolongées sont demeurées en vigueur).

· Après l’entente visant à discuter de l’EPHV (avant le 15 octobre 2021), les heures de service prolongées se sont poursuivies, même si, au moins au centre d’appels de Calgary, la défenderesse a recommencé à faire appel à des volontaires ou à des personnes dont la lettre d’offre comportait des exigences en matière de travail par poste.

· L’ébauche de la matrice pour l’année civile 2022 a été communiquée au SEI en décembre 2021, après le début de la période de gel.

· À l’origine, la matrice provisoire ne visait que l’année civile 2022, et les dates n’ont été modifiées que le 23 décembre 2021 pour tenir compte d’une modification permanente apportée aux heures de travail (en d’autres termes, pour l’année 2022 et les suivantes).

· Les heures de travail prolongées à compter du 1er janvier 2022 et par la suite étaient les mêmes heures de travail prolongées qui ont été mises en œuvre à compter du 1er mai 2021.

 

[98] Selon ces conclusions, je conclus que la défenderesse a mis en œuvre des heures de travail prolongées sans le consentement du SEI avant le début de la période de gel. Toutefois, cette modification apportée à une condition d’emploi avant la période de gel n’a été mise en œuvre que pour l’année civile 2021. M. Honcoop a indiqué clairement avant le début de la période de gel que les heures prolongées devaient être en vigueur seulement pour [traduction] « le reste de l’année »; c’est-à-dire jusqu’au 31 décembre 2021.

[99] La matrice pour 2022 a été préparée par la défenderesse et communiquée au SEI après le début de la période de gel. Ce n’est que lorsque le SEI a reçu pour la première fois la nouvelle matrice qu’elle a appris que la défenderesse proposait des heures prolongées en dehors de la période de production des déclarations de revenus pour 2022. Ce n’est que le 23 décembre 2021 que le SEI a pris connaissance du fait que les heures de service prolongées étaient permanentes – c’est-à-dire pour l’année civile 2022 et les années suivantes.

[100] L’imposition d‘heures de travail prolongées sans le consentement du SEI a eu lieu avant le début de la période de gel (en mai 2021). Par conséquent, l’imposition d‘heures de travail prolongées avec le consentement du SEI ne constituait plus la pratique qui existait avant le gel. La pratique qui existait avant le gel consistait à tenir des consultations sur les heures de travail prolongées tous les ans pour l’année civile à venir. Cette pratique a été modifiée unilatéralement par la défenderesse après le début de la période de gel (en décembre 2021), lorsqu’elle a modifié l’horaire des heures de travail prolongées de manière permanente et non seulement pour 2022.

[101] Je n’accepte pas l’argument de la défenderesse selon lequel la permanence d’une modification n’est pas prise en compte dans la détermination de l’existence d’une contravention aux dispositions sur le gel prévu par la loi. Dans le présent cas, la modification apportée à la condition consistait à passer d’une consultation annuelle à aucune autre consultation, ce qui, à mon avis, constitue une modification importante.

[102] Par conséquent, je conclus qu’une modification unilatérale a été apportée à une condition d’emploi après le début de la période de gel.

2. La modification constituait-elle « le cours normal des affaires » ou était-elle conforme aux « attentes raisonnables »?

[103] Je passe maintenant à la deuxième étape de l’analyse. Il est admis depuis longtemps par la Commission et d’autres organismes de relations de travail qu’un gel prévu par la loi n’oblige pas l’employeur à maintenir un environnement de travail complètement statique. Par conséquent, certaines modifications peuvent être apportées sans contrevenir à la disposition sur le gel si celles-ci sont conformes au cours normal des affaires ou si elles correspondent aux attentes raisonnables des employés ou les deux (FPN no 1, au par. 49).

[104] Je fais remarquer d’abord que la Cour d’appel fédérale, dans FPN no 2, a fermement rejeté la position de la défenderesse selon laquelle l’analyse dans Walmart a modifié de manière fondamentale l’interprétation des dispositions relatives au gel prévu par la loi. Au paragraphe 43, la Cour fait remarquer que la position de la défenderesse [traduction] « […] représenter[ait] un changement radical par rapport à la façon dont la plupart des tribunaux du travail appliquent les dispositions législatives de gel depuis les dernières décennies. » La Cour a poursuivi comme suit aux paragraphes 90 à 95 :

[90] Deuxièmement, l’interprétation qu’a faite la Commission de l’arrêt Wal-Mart est tout à fait conforme à la jurisprudence en droit des relations de travail antérieure et postérieure à l’arrêt Wal-Mart. Il s’agit d’indices forts, voire décisifs, du caractère raisonnable de son interprétation.

[91] En fait, si l’interprétation que propose le demandeur de l’arrêt Wal-Mart était retenue, elle affaiblirait considérablement les dispositions législatives de gel des lois sur les relations du travail et elle permettrait aux employeurs d’apporter des modifications sans précédent aux salaires et conditions d’emploi des employés pendant une période de gel, tant que la décision serait motivée par des considérations administratives qui ne seraient pas entachées de sentiment antisyndical et que la direction avait pris la décision à l’interne avant le début du gel. Cependant, d’autres dispositions des lois sur les relations du travail interdisent les actions des employeurs qui sont entachées d’un sentiment antisyndical (dans la Loi, par exemple, les paragraphes 186(1) et 186(2)). Si on suivait l’interprétation du demandeur, la portée des dispositions de gel serait à peu près la même que celle des autres dispositions, ce qui mènerait à l’issue déraisonnable que les dispositions de gel seraient en grande partie superflues.

[92] Troisièmement, j’estime que le demandeur a sorti de leur contexte certaines des observations formulées aux paragraphes 55 à 57 de l’arrêt Wal-Mart et qu’il a accordé trop d’importance à quelques-uns des termes utilisés par les juges majoritaires de la Cour suprême dans ces paragraphes. Comme il a été noté plus haut, les faits dans l’affaire Wal-Mart portaient sur la fermeture d’un magasin. Les arguments de l’employeur dans l’arrêt Wal-Mart étaient axés sur ce qui était soi-disant un principe fondamental, selon lequel l’employeur ne peut pas être contraint de poursuivre l’exploitation d’une entreprise contre son gré et qu’il possède le droit fondamental de mettre fin à cette entreprise. Par définition, il ne peut pas exister de tendance antérieure concernant la cessation de l’exploitation d’une entreprise. Ainsi, l’exception du cours normal des affaires relativement au gel prévu par la loi cadrait mal avec la situation dans l’arrêt Wal-Mart.

[93] La Cour suprême a conclu que Wal-Mart avait violé le gel puisqu’il était déraisonnable que l’entreprise ferme un magasin rentable après l’accréditation alors qu’elle n’avait pas eu au préalable l’intention de le faire. Pour tirer cette conclusion, la Cour suprême a appliqué un critère objectif qui n’est pas sans ressembler au critère des attentes raisonnables des employés.

[94] Que l’on se place du point de vue de l’employeur ou des employés, l’élément à examiner est la question de savoir si la décision d’imposer une modification est raisonnable à la lumière de l’interdiction d’apporter des modifications unilatérales aux conditions d’emploi des employés pendant la période de gel. En d’autres termes, la Cour suprême a en fait examiné si un employeur raisonnable, averti et soucieux de se conformer aux dispositions de gel aurait fermé le magasin. Elle a répondu par la négative, notamment parce qu’en agissant de la sorte, l’employeur serait allé à l’encontre des attentes raisonnables de ses employés.

[95] En résumé, je suis d’accord avec la Commission pour dire que, dans l’arrêt Wal-Mart, la Cour suprême avait l’intention de suivre, et non de modifier fondamentalement, les décennies de jurisprudence issue des tribunaux du travail. Les nombreux passages cités plus haut de l’arrêt Wal-Mart […]

[…]

 

[105] Dans Walmart, la Cour suprême a exposé les deux façons de déterminer si une modification particulière d’une condition d’emploi est autorisée pendant une période de gel (aux par. 55 et 56), comme suit :

· le décideur doit être convaincu que la modification a été faite en conformité avec les pratiques antérieures de gestion de la défenderesse; ou, à défaut,

· la défenderesse doit continuer de pouvoir s’adapter à l’évolution du milieu de travail, conformément à ce qu’aurait fait un « employeur raisonnable placé dans la même situation ».

 

[106] Dans le présent cas, la défenderesse n’avait pas une pratique de gestion antérieure consistant à imposer des heures de travail prolongées de manière permanente. Tel que cela a été examiné antérieurement, la pratique antérieure consistait à tenir des consultations sur les heures de travail prolongées pour l’année civile à venir, suivies de la mise en œuvre des heures prolongées pour l’année civile, avec ou sans le consentement du SEI. Au cours de la période de gel, la défenderesse a commencé par agir conformément à la pratique de gestion habituelle lorsqu’elle a proposé à l’origine un horaire d’heures prolongées uniquement pour 2022. Si elle s’était arrêtée à ce stade et avait unilatéralement mis en œuvre des heures prolongées pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2022, comme elle l’avait fait avant la période de gel prévu par la loi, les mesures qu’elle a prises auraient relevé de la pratique de gestion normale (même s’il reste à déterminer, dans le cadre du grief de principe, si cette pratique de gestion est conforme à la convention collective) et n’aurait pas constitué une contravention de l’article 107 de la Loi. Toutefois, lorsque la défenderesse a modifié la matrice et a informé le SEI le 23 décembre 2021 que les heures prolongées seraient permanentes, c’est-à-dire, pour l’année 2022 et les suivantes, elle s’est écartée de sa pratique de gestion normale.

[107] Une modification peut être apportée à une condition d’emploi pendant une période de gel sans contrevenir à la disposition sur le gel si le changement correspondait aux attentes raisonnables des employés (voir FPN no 1, au par. 78). Pour être conforme aux attentes raisonnables des employés, il doit y avoir eu une décision ferme d’apporter le changement qui a été communiquée aux employés avant le début de la période de gel, ou un changement doit faire partie d’une tendance établie de telle sorte que les employés s’y attendaient raisonnablement (voir, par exemple, FPN no 1 et les décisions qu’elle cite au par. 78).

[108] La clé pour déterminer les attentes raisonnables consiste à déterminer ce que les employés des centres d’appels de l’ARC et le SEI savaient au moment de la signification de l’avis de négocier (Firebird, au par. 50). Dans Firebird, le prédécesseur de la Commission a conclu qu’au moment de la signification de l’avis de négocier, toute tendance qui avait existé concernant les activités du navire était déjà déstabilisée et on ne pouvait pas s’attendre à ce qu’elle se poursuive. Toutefois, dans le présent cas, les employés et le SEI avaient reçu des garanties, avant la notification de l’avis de négocier, que les heures de travail prolongées ne seraient en vigueur que pour 2021. Même si il a pu être clair dans l’esprit de Mme Sherry que la modification devait être permanente, aucune preuve n’indique que cette modification n’ait jamais été communiquée au SEI ou aux employés. Le fait que la modification s’appliquerait à 2022 et aux années suivantes a été communiqué pour la première fois au SEI après la signification de l’avis de négocier (le 23 décembre 2021).

[109] La position de la défenderesse selon laquelle la modification consistant à prolonger de manière permanente les heures faisait partie d’une tendance établie ou qu’elle était [traduction] « en cours » avant le début de la période de gel n’est pas non plus étayée par les faits. Comme je l’ai mentionné, la tendance récente consistait à modifier les heures de travail tous les ans, ce qui constituait une attente raisonnable des employés des centres d’appels. Conformément à ce qui est indiqué dans FPN no 1, au paragraphe 82, afin d’être crédible, « […] le concept de [traduction] “machine mise en marche” doit signifier un travail effectué pour mettre en œuvre une décision définitive dont les employés sont au courant. Une machine en marche silencieusement à la connaissance d’un groupe exclusif seulement ne signifie rien ».

[110] Dans les communications provenant de M. Honcoop et dans le témoignage de Mme Sherry, il a été proposé que l’imposition des heures prolongées a été faite en raison de l’Énoncé économique de l’automne du gouvernement et de la lettre de mandat du ministre. J’ai déjà déterminé que M. Honcoop (qui n’a pas témoigné) n’a fait référence qu’aux heures de service prolongées pour 2021. Comme dans Bureau fiscal de Sudbury, les répercussions de l’article 107 de la Loi n’étaient probablement pas au premier plan de l’esprit de la défenderesse lorsqu’elle a mis en œuvre les heures de travail prolongées permanentes. J’accepte également le raisonnement qui a été exposé comme suit dans Bureau fiscal de Sudbury concernant la raison pour laquelle une conclusion selon laquelle l’employeur aurait pu apporter la même modification en l’absence d’un avis de négocier n’est pas pertinente :

[…]

[169] Selon mon approche de l’application de l’art. 107 de la Loi, la défenderesse ne peut pas jouir d’une liberté d’action absolue; dans le même ordre d’idées, je dois attribuer au gel prévu par la loi son sens et sa force véritables. Assurément, sous l’angle de la compétence de la Commission, l’art. 12 de la Loi d’interprétation (L.R.C. 1985, ch. I‑21) impose précisément l’exigence que j’attribue à l’art. 107 de la Loi, c’est‑à‑dire, aux termes de l’art. 12, qu’il : « […] s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet ».

[170] […] Laisser entendre que M. Bouchard pouvait continuer à exercer ses pouvoirs et modifier passablement la pratique de gestion antérieure après la signification d’un avis de négocier, comme si rien n’avait changé, reviendrait à dire exactement ce qui ne doit pas arriver selon Walmart : « Or, lui permettre de continuer à utiliser ses pouvoirs de gestion comme si rien n’avait changé reviendrait en définitive à lui permettre de faire ce que la loi vise pourtant à prohiber » [je souligne]. La conclusion selon laquelle la défenderesse aurait pu procéder au réaménagement de l’horaire de travail comme elle l’a fait si la plaignante n’avait pas signifié d’avis de négocier — conclusion qui peut même n’être ni nécessaire ni appropriée compte tenu de la prémisse indiquée au paragraphe 56 de Walmart — est, à mon avis, loin d’être un motif impérieux de ne pas appliquer l’art. 107 de la Loi de façon large et libérale, comme il se doit.

[171] Si le régime de négociation collective qui est au cœur de la Loi doit effectivement s’appliquer conformément à l’objet énoncé dans le préambule de la Loi, il est essentiel qu’un employeur respecte l’injonction à l’égard des modifications unilatérales des conditions d’emploi durant la période de gel prévue à l’art. 107. Les motifs justifiant l’exception aux pratiques habituelles doivent être interprétés sans exagérations, à mon avis, afin de ne pas aller à l’encontre de l’objet impérieux de l’art. 107. […]

[172] […] La défenderesse a modifié une condition d’emploi qui aurait pu être intégrée à la convention collective après la signification d’un avis de négocier, sans le consentement de l’agent négociateur. Le changement n’était pas conforme à la pratique de gestion antérieure. D’après la preuve, on ne peut conclure avec certitude qu’un employeur raisonnable aurait agi de la même façon dans des circonstances identiques ou analogues. Même si on peut admettre que M. Bouchard et son équipe auraient mis en œuvre les mêmes changements en l’absence de l’avis de négocier, maintenir que, par conséquent, la défenderesse était libre d’exercer ses pouvoirs comme elle l’a fait comme si rien ne s’était passé, risquerait de vider de son sens l’art. 107 de la Loi.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[111] Je conclus que la modification apportée à la condition d’emploi ne faisait pas partie d’une pratique de gestion cohérente et ne constituait pas une attente raisonnable des employés des centres d’appels de l’ARC. Par conséquent, la plainte est accueillie.

V. Réparations

[112] Étant donné que la condition d’emploi qui a été modifiée pendant la période de gel était limitée à la consultation sur les heures de travail prolongée tous les ans, je conclus que la réparation devrait se limiter à une déclaration.

[113] L’imposition d’heures prolongées sans le consentement de la plaignante a eu lieu en dehors de la période de gel et toute question liée à cette imposition peut être traitée dans le cadre du grief de principe. De même, étant donné que l’imposition d’heures prolongées a été faite avant le début de la période de gel, il serait inapproprié d’ordonner à la défenderesse de cesser d’imposer les heures prolongées qu’elle avait imposées avant la période de gel ou d’ordonner les autres réparations demandées par la plaignante. Il convient de noter que la présente plainte ne porte que sur la question de savoir si une modification apportée à une condition constituait une contravention de l’article 107 de la Loi et non de savoir si la défenderesse avait le pouvoir, en vertu de la convention collective, de prolonger les heures sans le consentement du SEI.

[114] Même si le fait d’ordonner que l’employeur maintienne sa pratique de gestion cohérente consistant à tenir des consultations sur la modification des heures de travail constitue la réparation habituelle en cas de contravention de la Loi, je conclus qu’elle n’est pas appropriée dans les circonstances. Dans la détermination d’une réparation appropriée en vertu de la Loi, le préambule de cette dernière peut fournir une certaine orientation. Le préambule comprend l’énoncé suivant : « […] l’établissement de relations harmonieuses est un élément indispensable pour ériger une fonction publique performante et productive ».

[115] Dans le cadre de la présente plainte, la présente formation de la Commission n’est pas saisie du grief de principe renvoyé à l’arbitrage par l’agent négociateur. Toutefois, les parties l’ont inclus dans leur recueil conjoint de documents. Les mesures correctives demandées dans ce grief de principe comprennent ce qui suit :

1. une déclaration selon laquelle l’employeur a contrevenu aux articles 25, 27 et 28 de la convention collective et l’affichage de cette déclaration;

2. le rétablissement immédiat des employés dans leurs heures de travail normales en attendant la consultation et l’accord de l’agent négociateur;

3. la consultation avec l’agent négociation en vue d’obtenir un consensus sur toute modification proposée aux horaires de travail.

 

[116] L’agent négociateur a allégué dans son grief de principe que toute consultation doit donner lieu à un [traduction] « consensus » ou à une [traduction] « entente » sur la modification des heures de travail. L’employeur ne souscrit clairement pas à cette interprétation de la convention collective. Dans ces circonstances, le fait d’ordonner un retour aux consultations pour les heures de travail prolongées au-delà du 31 décembre 2022 constituerait un exercice vide. De plus, le fait d’ordonner que les parties se consultent maintenant au sujet des heures de travail en litige dans la présente plainte ne constituerait pas une utilisation productive des ressources des parties dans le cadre du processus de négociation collective où les heures de travail font déjà l’objet de négociations.

[117] Par conséquent, je conclus qu’il ne servirait à rien, du point de vue des relations de travail, d’ordonner une consultation sur les heures de travail prolongées pour la période après 2022.

[118] Je refuse également d’ordonner que l’ordonnance de la Commission soit affichée dans les centres d’appels et sur le site Web interne de l’ARC. La plaignante n’a pas déterminé un besoin démontrable d’afficher l’ordonnance de la Commission.

[119] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)

VI. Ordonnance

[120] La plainte est accueillie en partie.

[121] Je déclare que l’employeur a contrevenu à l’article 107 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral lorsqu’il a mis en œuvre unilatéralement des heures prolongées permanentes pour la période après le 31 décembre 2022, et ce, sans consultation.

Le 17 avril 2023.

Traduction de la CRTESPF

Ian R. Mackenzie,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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