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Date: 20230530

Dossier: 569-32-40842

 

Référence:  2023 CRTESPF 55

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

enTRE

 

Alliance DE LA FONCTION PubliQUE DU Canada

agent négociateur

 

et

 

AgencE CanadiENNE D’Inspection DES ALIMENTS

 

employeur

Répertorié

Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence canadienne d’inspection des aliments

Affaire concernant un grief de principe renvoyé à l’arbitrage

Devant : Bryan R. Gray, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour l’agent négociateur : Kourosh Farrokhzad, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l’employeur : Jena Montgomery, avocate

Affaire entendue par vidéoconférence

les 6 et 7 septembre 2022.

(Traduction de la CRTESPF


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Résumé

[1] L’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur ») a déposé un grief contre la création de [traduction] l’« Outil national d’interprétation de la paye pour services supplémentaires et kilométrage » (l’« outil ») au nom de ses membres qui travaillent comme inspecteurs à l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’« employeur »). Il est allégué dans ce grief de principe que l’outil et l’introduction des mots [traduction] « prévu » et [traduction] « imprévu » qui y est faite enfreignent les articles 27 à 31 qui visent les heures supplémentaires, les indemnités de rappel au travail, de disponibilité et de rentrée au travail, ainsi que les jours fériés désignés payés dans la convention collective conclue entre l’employeur et l’agent négociateur, qui a expiré le 31 décembre 2014 (la « convention »).

[2] L’agent négociateur a soutenu dans son argumentation que cette mesure avait influé de façon très néfaste sur le paiement des avantages stipulés dans la convention collective. Dans le grief, il est demandé à la Commission d’ordonner que les mots litigieux dans l’outil soient supprimés.

[3] L’agent négociateur assumait le fardeau de la preuve dans cette affaire. Il a produit relativement peu d’éléments de preuve à l’appui de son grief, outre la citation d’un témoin qui a présenté surtout des opinions selon lesquelles l’outil était contraire à la convention. L’agent négociateur a aussi déclaré que certains membres anonymes de l’association s’étaient vu refuser des avantages qui leur étaient dus en vertu de la convention, mais il a fourni des précisions insuffisantes pour étayer ces exemples.

[4] L’employeur a affirmé que les mots en litige dans l’outil, à savoir [traduction] « prévu » et [traduction] « imprévu », sont conformes aux articles de la convention collective et n’altèrent pas son application, qui est demeurée inchangée depuis des années, au dire de l’employeur.

[5] Compte tenu de l’absence de preuve claire et convaincante, je conclus que le grief est rejeté, puisque l’agent négociateur ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait.

II. Preuve

[6] Le présent cas porte sur l’interprétation du texte de l’outil et des articles en litige de la convention collective.

[7] L’outil se présente ainsi :

 

[8] L’agent négociateur a cité un témoin à témoigner, soit Milton Dyck. Celui‑ci a déclaré être un membre de longue date de l’exécutif du syndicat. Il a réitéré à plusieurs reprises que l’employeur n’avait pas consulté l’agent négociateur avant de mettre l’outil en œuvre. Pour plus de clarté, cette affaire de consultation n’a pas eu de suite dans l’argumentation finale.

[9] M. Dyck était d’avis que l’outil avait été créé en réaction à la pratique de certaines régions de l’employeur à travers le pays, lesquelles adoptaient de nouvelles interprétations de la convention collective qui avaient pour effet de refuser certains droits aux employés. M. Dyck a affirmé penser que l’outil offrait un moyen de justifier ces refus antérieurs, et il a ajouté qu’à son avis, l’outil avait pour effet de rendre les employés inadmissibles à leurs avantages liés à la convention collective.

[10] M. Dyck a expliqué que l’outil introduisait les mots [traduction] « prévu » et [traduction] « imprévu » dans les articles de la convention qui sont contestés dans le présent grief. À son avis, cet ajout de ces deux mots n’était pas compatible avec la convention et l’enfreignait.

[11] En réponse à la dernière question qui lui a été posée, M. Dyck a reconnu, dans le recueil conjoint de documents, une pièce qui contenait la réponse présentée par l’employeur au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs, le 4 juillet 2019. Bien que M. Dyck n’ait reconnu que brièvement ce document, il ressort de ma propre lecture que la pratique antérieure alléguée de l’employeur a été examinée en détail, et qu’il s’y trouve une prétention de préclusion ayant pour objet d’empêcher l’employeur de retenir le paiement des droits stipulés dans la convention. Pour plus de clarté, l’agent négociateur n’a pas approfondi cette affaire de pratique antérieure de manière importante, que ce soit dans son interrogatoire des deux témoins qui ont comparu à l’audience ou dans son argumentation finale, sinon pour réitérer l’allégation selon laquelle l’outil avait entraîné la perte ce qui correspondait antérieurement au paiement des avantages liés aux articles en litige.

[12] En contre-interrogatoire, M. Dyck a ajouté que la rémunération et le remboursement du kilométrage parcouru pour travailler un jour de repos avaient régulièrement été versés jusqu’à l’adoption de l’outil. Lorsqu’on l’a renvoyé à la clause 25.03, M. Dyck a admis que des listes d’employés disponibles pour travailler des heures supplémentaires étaient effectivement utilisées, et que parfois les heures supplémentaires étaient réservées des jours ou éventuellement des semaines à l’avance. M. Dyck a aussi convenu que la convention collective était restée stable depuis la version de 1999.

[13] Le seul autre témoin qui a témoigné est Richard Wiaz, qui a été convoqué par l’employeur. M. Wiaz possède plusieurs années d’expérience comme conseiller en relations de travail et il a collaboré à l’élaboration de l’outil. Il a donné son avis selon lequel rien n’avait changé avec l’adoption de l’outil et que rien n’y était incompatible avec le texte de la convention collective. M. Wiaz a aussi fait remarquer que dans chacun des articles en litige dans le grief, le mot [traduction] « prévu » ne faisait que confirmer ou préciser ce qui avait toujours été la situation existante. M. Wiaz a affirmé que cela suppose un préavis raisonnable indiquant que les employés se verront attribuer des heures supplémentaires accolées à leurs jours de travail prévus. Il a offert un exemple dans lequel une personne est informée à l’avance (jusqu’à deux jours avant et au moins au milieu de la journée de travail).

[14] M. Wiaz s’est ensuite penché sur la clause de rappel au travail, et il a affirmé que le rappel imprévu fait renvoi à une situation où une personne qui a déjà quitté le travail après son horaire habituel est ensuite rappelée au travail, sans préavis. M. Wiaz a ajouté des descriptions similaires pour les autres clauses, qui indiquent qu’une personne reçoit un préavis raisonnable du fait qu’elle est affectée au travail un jour de repos.

[15] En contre-interrogatoire, M. Wiaz a affirmé que personnellement, il ignorait si l’agent négociateur avait été consulté avant la promulgation de l’outil. Il a affirmé ignorer si l’agent négociateur avait fortement réagi à l’outil, mais il a dit qu’il savait que 108 griefs concernant des affaires qui en relevaient étaient encore en suspens au moment de l’audience.

[16] Interrogé sur la question des mots [traduction] « prévu » et [traduction] « imprévu » dans la clause visant les heures supplémentaires, M. Wiaz a essentiellement réitéré l’exemple qu’il avait déjà présenté et il a affirmé que s’il est convenu plusieurs jours à l’avance qu’il faut travailler des heures supplémentaires, en ce cas ce travail serait prévu. Il a ensuite comparé cet exemple à un autre, où une personne est avisée à la dernière minute qu’elle doit travailler plus longtemps, ce qui constituerait des heures supplémentaires imprévues.

III. La convention collective

[17] Dans le grief, il est contesté que l’outil enfreint le texte des clauses 27 à 31 de la convention (qui portent sur la rémunération des heures supplémentaires, les indemnités de rappel au travail, de disponibilité et de rentrée au travail et les jours fériés désignés payés, respectivement). Le texte précis des articles mentionnés par les parties dans leurs arguments est reproduit ci‑dessous.

[18] L’article 27 prévoit les droits et obligations liés aux heures supplémentaires. La clause 27.01 stipule le taux de rémunération des heures supplémentaires lorsque le préavis est donné conformément à la clause 27.03, qui indique ce qui suit :

27.03 Sous réserve des nécessités du service, l’Employeur doit faire tout effort raisonnable :

27.03 Subject to the operational requirements of the service, the Employer shall make every reasonable effort:

a) pour répartir les heures supplémentaires de façon équitable entre les employé-e-s qualifiés, immédiatement disponibles,

(a) to avoid excessive overtime work and to offer overtime work on an equitable basis amongst readily available, qualified employees;

et

and

b) pour donner aux employé-e-s tenus de faire des heures supplémentaires un préavis raisonnable concernant cette exigence.

(b) to give employees who are required to work overtime reasonable advance notice of the requirement.

[Je mets en évidence]

 

[19] La clause 27.05 accorde, de la manière suivante, un nombre minimal d’heures supplémentaires prévues le même jour :

27.05 a) Si un-e employé-e reçoit l’instruction, avant le début de sa pause-repas ou avant le milieu de sa journée de travail, soit celui des deux (2) moments qui se produit le plus tôt, d’effectuer des heures supplémentaires ce même jour et se présente au travail dans une période qui n’est pas accolée à sa période de travail, il ou elle a droit à la plus élevée des rémunérations suivantes : soit celle qui s’applique aux heures réellement effectuées, soit une rémunération minimale de deux (2) heures au tarif normal.

27.05 (a) If an employee is given instructions before the beginning of the employee’s meal break or before the midpoint of the employee’s work day whichever is earlier, to work overtime on that day and reports for work at a time which is not contiguous to the employee’s work period, the employee shall be paid for the time actually worked, or a minimum of two (2) hours’ pay at straight time, whichever is the greater;

b) Si un-e employé-e reçoit l’instruction à celui des deux (2) moments suivants qui se produit le plus tôt, soit après le milieu de sa journée de travail, soit après le début de sa pause-repas, d’effectuer des heures supplémentaires ce même jour et se présente au travail dans une période qui n’est pas accolée à sa période de travail, il ou elle a droit à la plus élevée des deux (2) rémunérations suivantes : soit celle qui s’applique aux heures réellement effectuées, soit une rémunération minimale de trois (3) heures de travail au tarif normal.

(b) If an employee is given instructions, after the midpoint of the employee’s work day or after the beginning of his or her meal break whichever is earlier, to work overtime on that day and reports for work at a time which is not contiguous to the employee’s work period, the employee shall be paid for the time actually worked, or a minimum of three (3) hours’ pay at straight time, whichever is the greater;

c) Lorsque l’employé-e est tenu de se présenter au travail et se présente effectivement au travail dans les conditions énoncées en a) ou b) ci-dessus […]

(c) When an employee is required to report for work and reports under the conditions described in (a) or (b) above ….

[Je mets en évidence]

 

[20] Les conditions de l’admissibilité à l’indemnité de rappel au travail sont prévues à la clause 28.01 :

28.01 Si l’employé-e est rappelé au travail

28.01 If an employee is called back to work:

a) un jour férié désigné payé qui n’est pas un jour de travail prévu à son horaire,

(a) on a designated paid holiday which is not the employee’s scheduled day of work;

ou

or

b) un jour de repos,

(b) on the employee’s day of rest;

ou

or

c) après avoir terminé son travail de la journée et avoir quitté les lieux de travail, et rentre au travail, il ou elle touche le plus élevé des deux montants suivants […]

(c) after the employee has completed his or her work for the day and has left his or her place of work, and returns to work, the employee shall be paid the greater of ….

[Je mets en évidence]

 

[21] L’article 29 stipule en ces termes les fonctions de disponibilité :

29.01 Lorsque l’employeur exige d’un-e employé-e qu’il ou elle soit disponible, en l’absence d’un avis d’annulation accepté, en dehors des heures normales de travail, cet-te employé-e a droit à une indemnité de disponibilité au taux équivalant à une demi-heure (0,5) de travail pour chaque période entière ou partielle de quatre (4) heures durant laquelle il ou elle est en disponibilité.

29.01 Where the Employer requires an employee to be available on standby, without the agreed notice of cancellation, during off-duty hours, such employee shall be compensated at the rate of one-half (0.5) hour for each four (4) hour period or part thereof for which the employee has been designated as being on standby duty.

29.02 L’employé-e désigné par une lettre ou un tableau pour remplir des fonctions de disponibilité, doit pouvoir être atteint au cours de cette période à un numéro téléphonique connu et pouvoir rentrer au travail aussi rapidement que possible s’il ou elle est appelé à le faire. Lorsqu’il désigne des employé-e-s pour des périodes de disponibilité, l’Employeur s’efforce de prévoir une répartition équitable des fonctions de disponibilité.

29.02 An employee designated by letter or by list for standby duty shall be available during his or her period of standby at a known telephone number and be available to return for work as quickly as possible if called. In designating employees for standby, the Employer will endeavour to provide for the equitable distribution of standby duties.

29.03 Il n’est pas versé d’indemnité de disponibilité si l’employé-e est incapable de se présenter au travail lorsqu’il ou elle est tenu de le faire.

29.03 No standby payment shall be granted if an employee is unable to report for work when required.

[…]

 

[22] L’admissibilité à l’indemnité de rentrée au travail est stipulée en ces termes à la clause 30.01 :

30.01 a) Lorsque l’employé-e est tenu de rentrer au travail et qu’il ou elle s’y présente un jour de repos, il ou elle a droit à un minimum de trois (3) heures de rémunération au tarif des heures supplémentaires applicable […]

30.01 (a) When an employee is required to report and reports to work on the employee’s day of rest, the employee is entitled to a minimum of three (3) hours’ compensation at the applicable overtime rate ….

[Je mets en évidence]

 

[23] L’obligation de se présenter au travail est prévue à la clause 31.06, qui est ainsi libellée :

31.06 L’employé-e qui est tenu de se présenter au travail un jour férié désigné et qui s’y présente touche la plus élevée des deux rémunérations suivantes :

31.06 When an employee is required to report for work and reports on a designated paid holiday, the employee shall be paid the greater of:

a) une rémunération équivalant à trois (3) heures de rémunération calculée au tarif des heures supplémentaires applicable pour chaque rentrée jusqu’à concurrence de huit (8) heures de rémunération au cours d’une période de huit (8) heures […]

(a) compensation equivalent to three (3) hours’ pay at the applicable overtime rate of pay for each reporting to a maximum of eight (8) hours’ compensation in an eight (8) hour period ….

[Je mets en évidence]

 

IV. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’agent négociateur

[24] Au début de 2016, l’employeur a adopté unilatéralement une nouvelle politique, soit l’outil, qui a eu un effet négatif considérable sur ses employés. L’outil a été adopté sans qu’il n’y ait eu de preuve d’une consultation importante avec l’agent négociateur, et cela a donné lieu à plus de 100 griefs qui étaient encore en suspens au moment de l’audience.

[25] L’agent négociateur a soutenu que le libellé de la convention collective ne corrobore pas cette interprétation. Il a ajouté que l’outil constitue une contravention à première vue des dispositions de la convention collective, et plus particulièrement des articles 27 à 31.

[26] Alors que les clauses 27.05a) et b) établissent le taux horaire minimal en fonction du moment où les heures supplémentaires sont prévues, il est clair que ces clauses ont pour objet de s’appliquer uniquement aux dispositions sur les heures supplémentaires de l’article 27, plutôt qu’à l’ensemble des articles subséquents qui traitent des indemnités de rappel au travail, de disponibilité et de rentrée au travail, ainsi que des jours fériés désignés payés.

[27] L’agent négociateur a soutenu que l’outil avait introduit les définitions des mots [traduction] « prévu » et [traduction] « imprévu » dans les dispositions de ces articles, alors qu’il n’existait pas de pareilles définitions. Cela a eu pour effet d’enlever éventuellement tout sens à une bonne partie des primes d’heures supplémentaires et de kilométrage stipulées aux articles 28 à 31, parce que si l’employeur « prévoit » le travail à l’avance, comme l’indique la définition énoncée dans l’outil, en ce cas ses employés n’ont plus accès aux primes d’heures supplémentaires qui étaient décrites précédemment.

[28] L’agent négociateur a aussi fait valoir qu’à vrai dire, le libellé de ces articles n’étaye pas cette situation. Si les parties avaient eu l’intention de faire reposer les primes d’heures supplémentaires sur la définition du terme [traduction] « prévu » qui figure dans l’outil, en ce cas ce libellé apparaîtrait dans les articles.

[29] L’agent négociateur a demandé ce qui suit :

· que les mots [traduction] « prévues ou » soient supprimés dans le renvoi aux heures supplémentaires;

· que les mots [traduction] « un [rappel] imprévu » soient supprimés dans le renvoi au rappel;

· que le mot [traduction] « imprévue » soit supprimé dans le renvoi à l’indemnité de rentrée au travail;

· que le mot [traduction] « imprévu » soit supprimé dans le renvoi à un jour férié désigné payé.

 

[30] L’agent négociateur a invoqué Borgedahl c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2020 CRTESPF 34, au paragraphe 29, où il est indiqué qu’il faut interpréter une convention collective en accordant aux mots en question leur sens ordinaire et en tenant compte du contexte de l’ensemble de la convention, sauf si ce sens donne lieu à un résultat absurde.

[31] L’agent négociateur a aussi mentionné la décision rendue il y a 46 ans dans Graham c. Le Conseil du Trésor (ministère du Revenu national - Douanes et Accise), dossiers de la CRTFP 166-02-2735 à 2737 (19770119). Sans se prononcer sur la ressemblance éventuelle entre la convention collective en litige dans cette décision rendue en 1977 et celle en litige devant moi, l’agent négociateur a souligné le fait que cette décision indiquait qu’il était important que les mots « tenu de se présenter au travail » soient interprétés dans leur contexte (voir page 8). L’agent négociateur a aussi souligné la partie des motifs qui indique ce qui suit :

[…]

[…] Les témoins de l’employeur ont donné une raison beaucoup plus censée, à savoir que le remboursement des dépenses de transport se fait lorsque l’employé est incapable de prévoir un autre moyen de transport à l’avance, c’est-à-dire lorsqu’il est tenu inopinément de se présenter au travail soir parce qu’il est rappelé au travail, qu’il demeure en disponibilité ou qu’il doit faire des heures supplémentaires non accolées à son poste de travail […]

[…]

 

[32] Étrangement, le recueil de jurisprudence de l’agent négociateur comprenait aussi Helm c. Conseil du Trésor (Santé Canada), 2003 CRTFP 96, au paragraphe 32, où il a été conclu que : « [l]’esprit de la convention collective est telle [sic] que, de façon générale, un avis ne peut pas être donné dans le cas d’un rappel au travail, mais il peut être donné dans le cas d’heures supplémentaires […] ». Je dis étrangement, parce que cette décision étaye les mots litigieux utilisés par l’employeur dans l’outil, puisqu’il a ajouté le mot [traduction] « imprévu » à la disposition traitant du rappel au travail. Dans son argumentation, l’agent négociateur a expressément mentionné le paragraphe 31 de Helm, qui présentait un examen de la clause 9.03 de la convention collective en litige dans cette décision, et il a souligné que cette clause indiquait ce qui suit : « Sauf dans les cas d’urgence, de rappel au travail, de disponibilité ou d’accord mutuel, l’employeur donne, lorsque cela est possible, un préavis d’au moins douze (12) heures de toute nécessité d’effectuer des heures supplémentaires. » L’agent négociateur a ensuite opposé ce libellé à la convention en litige dans la présente décision, et il a affirmé qu’un libellé de ce genre n’y existe pas.

[33] Dans le grief dont je suis saisi, je ne vois pas la pertinence du renvoi que l’agent négociateur a fait à l’extrait cité au paragraphe 31 de Helm.

[34] Quant aux autres conclusions que la Commission des relations de travail dans la fonction publique a tirées dans Helm, dont j’ai fait mention, je souscris aux arguments de l’employeur selon lesquels s’il n’est pas possible de présenter un avis de rappel, il s’agit essentiellement d’un rappel imprévu. Encore là, si un événement survient sans préavis, en ce cas je conviens qu’il est imprévu.

[35] Enfin, l’agent négociateur a mentionné Jefferies c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2003 CRTFP 55, à l’appui de la proposition selon laquelle ce cas concernait une affaire de remboursement demandé pour le kilométrage effectué au moyen d’un véhicule personnel pour se déplacer, lorsqu’un employé était tenu de se présenter au travail un jour férié désigné payé, ce qui n’exigeait pas d’utiliser un outil d’interprétation. L’agent négociateur a aussi fait valoir qu’avec l’outil, l’employeur peut éviter de payer le déplacement de l’employé jusqu’à son lieu de travail un jour férié, en prévoyant le travail avant le milieu de la journée ou à la pause‑repas de l’employé, privant ainsi ce dernier des primes d’heures supplémentaires et de kilométrage. Je ne trouve pas convaincant cet argument selon lequel le libellé litigieux dans l’outil contrevient à la convention.

B. Pour l’employeur

[36] L’employeur a soutenu que les mots qui apparaissent dans une disposition doivent être interprétés selon leur sens ordinaire, sauf si cette interprétation donne lieu à un résultat absurde ou si elle est incompatible avec l’ensemble de la convention collective (voir Donald Brown, Canadian Labour Arbitration, 5e édition, ch. 4.III.B, par. 4:21 [traduction] « Sens habituel ou ordinaire », EBA; Association des juristes de Justice c. Conseil du Trésor, 2015 CRTEFP 18, au par. 89).

[37] Les mots doivent être lus dans leur contexte global, en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la convention, son objet et l’intention des parties (voir Donald Brown, Canadian Labour Arbitration, 5e édition, ch. 4.III.B, par. 4:27 [traduction] « Le contexte de la convention », EBA; Chafe c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2010 CRTFP 112, au par. 51).

[38] Les mots qui apparaissent aux clauses 27.03 (heures supplémentaires), 28.01 (rappel au travail), 30.01 (indemnité de rentrée au travail) et 31.06 (jours fériés désignés payés) incorporent clairement et sans ambiguïté les mots [traduction] « prévu » et [traduction] « imprévu ».

[39] La Cour fédérale et la Commission ont toutes deux reconnu et confirmé cette compréhension. Le libellé des clauses est demeuré inchangé depuis la signature de la première convention collective à la fin des années 1990, même après que des décisions indiquant clairement que le libellé incorporait les mots [traduction] « prévu » et [traduction] « imprévu » ont été rendues. Ce contexte jurisprudentiel soulève la question suivante : si les parties avaient l’intention de donner un autre sens aux mots, en ce cas pourquoi ne les ont‑elles pas modifiés? La raison en est simplement que les parties ont toujours eu l’intention que le libellé comprenne les mots [traduction] « prévu » et [traduction] « imprévu ».

[40] L’employeur a soutenu que les mots de la convention collective sont clairs et bien compris et qu’ils ont déjà fait l’objet d’un examen approfondi de la Commission. Il a également fait remarquer qu’un arbitrage de la Commission ne permet pas de modifier concrètement une convention collective, et que lorsqu’un avantage comportant un coût financier pour l’employeur est demandé, il doit avoir été clairement indiqué dans la convention collective puisqu’on ne peut pas conclure à son existence par simple déduction ou implication (voir Wamboldt c. Agence du revenu du Canada, 2013 CRTFP 55, au par. 27). L’avocate de l’employeur a soutenu que les mots utilisés aux clauses 27.03 (heures supplémentaires), 28.01 (rappel au travail), 30.01 (indemnité de rentrée au travail) et 31.06 (jours fériés désignés payés) incorporent clairement et sans ambiguïté les mots [traduction] « prévu » et [traduction] « imprévu ».

[41] Dans son argumentation, l’employeur a souligné que l’expression [traduction] « fixer à l’avance » s’entend au sens d’un préavis raisonnable. Le rappel au travail d’un employé serait fixé à l’avance si l’avis était présenté assez longtemps avant le rappel pour permettre à l’employeur et à l’employé d’élaborer chacun leurs plans, de façon à pouvoir dire que l’employé devait travailler à une heure indiquée, comme s’il était « prévu » qu’il voit un médecin (aux par. 549 et 550). AGC v. Tucker, [1979] 1 FC 543Tucker »).

[42] L’employeur a aussi soutenu que Canada (Treasury Board — Transport) and McGregor, Re, 1992 CanLII 14655 (PSSRB) a reconnu que Tucker (et Re Reid Dominion Packaging Ltd. and Teamsters Union, Loc. 879 (1981), 1 L.A.C. (3e éd.) 314) tenait compte du sens du « préavis raisonnable » et a reconnu qu’il supposait que le travail soit prévu assez longtemps d’avance pour que les employés puissent planifier leur vie (au par. 341).

[43] L’employeur a aussi soutenu qu’il a été conclu que les mots « [l]orsqu’un employé est rappelé au travail » exigent qu’un appel soit fait (par. 31), et que l’esprit de la convention collective est tel que, de façon générale, un préavis ne peut pas être donné dans le cas d’un rappel au travail, mais il peut être donné dans le cas d’heures supplémentaires. Compte tenu de l’existence d’un préavis de six semaines, la situation de rappel au travail ne s’applique pas (Helm c. Conseil du Trésor, 2003 CRTFP 96, au par. 32). De plus, sauf disposition contraire, les dispositions relatives à l’indemnité de rappel au travail visent à faire référence à une situation dans laquelle un employé doit retourner au lieu de travail pour exécuter un service supplémentaire à la demande de l’employeur. Cette situation comprend la nécessité de se déplacer du domicile de l’employé au lieu de travail (Borgedahl c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2020 CRTESPF 34, aux par. 66 et 70).

[44] L’employeur a aussi soutenu que les mots « qui est tenu de se présenter au travail [...] et qui s’y présente », aux clauses relatives à l’indemnité de disponibilité, à l’indemnité de rentrée au travail, aux heures supplémentaires et aux jours fériés désignés payés, visent les cas où un employé se présente au travail en dehors de l’horaire de travail habituel prévu (par. 35). Ces mots s’appliquent aux cas où l’employeur a besoin des services d’un employé à court préavis et une prime est donc payée (Jefferies c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2003 CRTFP 55 , par. 38). L’employeur a aussi soutenu qu’il a été confirmé que les heures supplémentaires prévues et affichées deux semaines à l’avance (par. 1) diffèrent des heures supplémentaires prévues et imprévues dans la convention collective, ce qui est conforme à Graham (dossiers de la CRTFP 166-2-2735 à 2737) et Jefferies. Il a aussi été confirmé que l’expression « qui est tenu de se présenter au travail [...] et qui s’y présente » fait référence aux cas où un employé est tenu de se présenter au travail à court préavis et n’est pas affecté au préalable (par. 3 et 4).

V. Motifs

[45] Le présent grief de principe a été déposé en vertu du paragraphe 220(1) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) et il a été renvoyé à la Commission pour arbitrage au titre de l’article 221. L’employeur a correctement souligné que la Commission a conclu qu’il incombe à l’agent négociateur de démontrer clairement, selon la prépondérance des probabilités, que l’employeur a enfreint la convention collective, et que lorsque le grief fait valoir un droit à un avantage pécuniaire, l’agent négociateur doit démontrer qu’il existe dans la convention collective un libellé clair qui impose ce fardeau à l’employeur (voir Arsenault c. Agence Parcs Canada, 2008 CRTFP 17, au par. 29; Allen c. Conseil national de recherches du Canada, 2016 CRTEFP 76, au par. 180).

[46] Les deux parties ont fait renvoi aux sources jurisprudentielles qui traitent de l’interprétation contractuelle prudente, ayant pour objet de déterminer l’intention des parties et d’attribuer aux mots leur sens ordinaire, tout en préservant la cohérence dans le contexte de l’ensemble de la convention, sauf si cette interprétation donne lieu à un résultat absurde. Il a aussi été mentionné que l’interprétation d’une convention collective ne peut pas avoir pour effet de la modifier (voir Borgedahl, au par. 29; Graham, au par. 8).

[47] Je conclus que les éléments de preuve et la jurisprudence qui ont été présentés à l’appui du présent grief sont insuffisants. L’argumentation de l’agent négociateur repose sur des allégations itératives et des éléments de preuve insuffisants pour corroborer son avis selon lequel les mots litigieux dans l’outil contredisent d’une certaine façon les mots utilisés dans les articles litigieux de la convention.

[48] L’agent négociateur a indiqué qu’un grand nombre de griefs personnels ont été déposés et que des contraventions à diverses dispositions de la convention citée dans la présente affaire y étaient alléguées. J’espère que ces griefs individuels fourniront à la Commission des précisions et des éléments de preuve supplémentaires qui éclairciront mieux les préoccupations de l’agent négociateur à l’égard de l’adoption de l’outil.

[49] En outre, j’estime que la jurisprudence citée par l’employeur a démontré de façon convaincante en quoi les mots litigieux [traduction] « prévu » et [traduction] « imprévu » qui apparaissent dans l’outil cadrent bien avec les clauses pertinentes de la convention.

[50] Je souscris à la jurisprudence pertinente que l’employeur a citée, selon laquelle le texte des clauses 27.03 et 27.05 (heures supplémentaires), 28.01 (rappel au travail), 30.01 (indemnité de rentrée au travail) et 31.06 (jours fériés désignés payés) sous‑entend clairement les mots [traduction] « prévu » et [traduction] « imprévu », comme il en a été conclu dans la jurisprudence précitée par l’employeur.

[51] À ce titre, je conclus que l’agent négociateur ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait dans cette affaire et je rejette le grief.

[52] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[53] Le grief est rejeté.

Le 30 mai 2023.

Traduction de la CRTESPF

 

Bryan R. Gray,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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