Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s'estimant lésée a déposé un grief concernant la décision de l’employeur de recouvrer un trop-payé de son salaire – le 31 janvier 2019, la fonctionnaire s'estimant lésée a commencé un congé médical – à ce moment-là, elle disposait de suffisamment de crédits de congé de maladie payé pour durer jusqu’au 16 avril 2019 – toutefois, l’employeur a continué de la payer jusqu’au 12 juin 2019 – le 10 mars 2022, l’employeur l’a informée qu’il commencerait à recouvrer le trop-payé, soit un total de 7 673,95 $ – l’employeur a commencé à recouvrer le trop-payé selon un taux de 15 $ par période de paye – la fonctionnaire s'estimant lésée a soutenu que cette cause d’action était frappée de prescription en vertu de l’article 32 de la LRCECA, car elle est survenue entièrement dans la province de l’Ontario et, par conséquent, le délai de prescription de deux ans de cette province s’appliquait – l’employeur a fait valoir que la cause d’action est survenue « ailleurs que dans une province », étant donné qu’il est un employeur national, que la convention collective pertinente avait une portée nationale et que le trop-payé était dû la Couronne fédérale et, par conséquent, le délai de prescription fédéral de six ans s’appliquait – la Commission a conclu que le délai de prescription provincial s’appliquait, car la cause d’action est survenue entièrement dans la province de l’Ontario – selon l’article 32 de la LRCECA, il est présumé que le délai de prescription provincial s’applique à toutes les procédures intentées par la Couronne fédérale ou contre celle-ci, à l’exception des procédures qui surviennent « ailleurs que dans une province » – la question de savoir où une cause d’action survient doit être réglée au moyen d’une analyse des faits – même s’il est tentant de conclure qu’un seul délai de prescription commun devrait s’appliquer dans l’ensemble de la fonction publique, sans égard des faits particuliers de la façon dont la cause d’action est survenue, cette approche n’est pas conforme au libellé non ambiguë de l’article 32 et à la jurisprudence – la Commission a distingué sa décision dans Dansou c. Agence du revenu du Canada, 2020 CRTESPF 100 et la décision de la Cour suprême du Canada dans Markevich c. Canada, 2003 CSC 9 – l’employeur a été ordonné de cesser son recouvrement et de retourner à la fonctionnaire s'estimant lésée les montants qui avaient déjà été déduits de sa paye.

Grief accueilli.

Contenu de la décision

Date: 20230601

Dossier: 566-09-45013

 

Référence: 2023 CRTESPF 57

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

Entre

 

VÉronique St-Onge

fonctionnaire s’estimant lésée

 

et

 

Conseil national de recherches du Canada

 

employeur

Répertorié

St-Onge c. Conseil national de recherches du Canada

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : David Orfald, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée : Christopher Rootham, avocat

Pour l’employeur : Adam C. Feldman, avocat

Décision rendue sur la base d’arguments écrits

déposé les 9, 16 et 20 décembre 2022,

et affaire entendue par vidéoconférence

les 16 et 17 janvier 2023.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Introduction

[1] Il s’agit d’un grief au sujet de la mesure prise par un employeur pour recouvrer un trop-payé qu’il a versé à l’une de ses employés. Le trop-payé a eu lieu en 2019, lorsque l’employeur, le Conseil national de recherches du Canada (CNRC), a continué de verser une rémunération à la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), Véronique St-Onge, pendant huit semaines, même si elle avait commencé une période de congé de maladie non payé.

[2] À l’origine, le grief devait être entendu conjointement avec cinq autres griefs, concernant tous l’employeur et l’Association des employés du Conseil de recherches (l’agent négociateur). Chaque grief portait sur une action de l’employeur visant à recouvrer un trop-payé auprès d’un employé. Les six griefs ont été regroupés pour être entendus ensemble du 16 au 18 janvier 2023, devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »).

[3] Lors d’une conférence de gestion des cas tenue le 1er décembre 2022, les représentants des parties ont proposé de présenter des arguments écrits à la Commission sur une question préliminaire, qu’ils ont appelée [traduction] « la question du délai de prescription », concernant l’interprétation de l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif (L.R.C. (1985), ch. C-50; « LRCECA »). Les parties ont convenu que la perception d’un trop-payé par l’employeur est une procédure qui déclenche l’application de l’article 32 de la LRCECA, mais elles contestaient la façon dont la LRCECA devrait s’appliquer à ces griefs.

[4] Les arguments écrits ont été présentés relativement aux six griefs les 9, 16 et 20 décembre 2022. La Commission n’a pas été en mesure de rendre une décision sur la question préliminaire avant l’audience.

[5] Au début de l’audience, les parties ont informé la Commission que cinq des six griefs avaient été réglés. L’audience n’a eu lieu que sur le sixième grief, celui de la fonctionnaire.

[6] Le 31 janvier 2019, la fonctionnaire a commencé une période de congé de maladie. À cette époque, elle avait suffisamment de congés de maladie payés pour ne pas avoir à travailler avant le 16 avril 2019. Toutefois, le CNRC l’a payée jusqu’au 12 juin 2019. Près de trois ans plus tard, le 10 mars 2022, le CNRC lui a envoyé un courriel l’informant qu’il commencerait à percevoir le trop-payé, qui s’élevait à 7 673,95 $. Elle a déposé un grief au sujet du remboursement, lequel a été renvoyé à l’arbitrage devant la Commission.

[7] En ce qui a trait à la question du délai de prescription, la fonctionnaire a soutenu que l’action de l’employeur de recouvrer son trop-payé s’est déroulée entièrement dans la province de l’Ontario et en vertu des dispositions de l’article 32 de la LRCECA, le délai de prescription provincial en Ontario devrait s’appliquer. La mesure de recouvrement du CNRC a commencé après l’expiration du délai de prescription de l’Ontario et n’a donc pas été prise à temps. Elle a soutenu que son grief devrait être accueilli pour ce motif.

[8] L’employeur a fait valoir qu’il est un employeur national, que le trop-payé est dû à l’État fédéral et que, par conséquent, sa mesure de recouvrement du trop-payé est survenue « ailleurs que dans une province ». Par conséquent, en vertu des dispositions de la LRCECA, un délai de prescription de six ans s’appliquerait, et les mesures de recouvrement ont été prises dans ce délai.

[9] À l’audience, les parties n’ont pas présenté d’autres arguments sur la question du délai de prescription. La Commission a entendu des éléments de preuve et des arguments relatifs à trois autres arguments avancés par la fonctionnaire, chacun présenté comme un argument subsidiaire à celui le précédant.

[10] La structure de la présente décision est la suivante. Je commence par un résumé des seuls faits nécessaires pour analyser la question du délai de prescription. Je discute ensuite de l’article 32 de la LRCECA et j’esquisse la question soumise à la Commission par les parties. Ensuite, j’examine la jurisprudence pertinente à cette question. Enfin, j’analyse les arguments des parties et j’explique mes motifs de décision.

[11] Après avoir examiné les arguments des parties sur la question du délai de prescription, et compte tenu des faits du présent cas, je conclus que le délai de prescription provincial en Ontario s’applique et j’accueille le grief.

[12] Compte tenu de ma décision sur la question du délai de prescription, je n’ai pas besoin d’examiner les autres arguments de la fonctionnaire. Toutefois, dans la dernière section, je les mentionne brièvement.

[13] Le 3 février 2023, Christopher Rootham, avocat de la fonctionnaire et de son agent négociateur, a été nommé commissaire à temps plein à compter du 3 avril 2023. Aucune discussion n’a eu lieu et n’aura lieu entre la présente formation de la Commission et M. Rootham au sujet de l’affaire.

II. Faits concernant le grief relatif à la question du délai de prescription

[14] Ce résumé des faits se limite à ceux qui se rapportent à la question du délai de prescription.

[15] Au début de ces événements, la fonctionnaire était une employée du CNRC classée au groupe et au niveau AS-03; en mai 2022, son poste a été reclassifié AS-04.

[16] Après un diagnostic de cancer en 2018, la fonctionnaire a commencé une période de congé de maladie payé le 31 janvier 2019.

[17] Les 21 et 22 mars 2019, une discussion sur le congé de la fonctionnaire s’est déroulée par courriel entre elle et un conseiller en ressources humaines du CNRC. Le conseiller a fourni à la fonctionnaire un calcul de ses droits en matière de congé, étant entendu que son congé de maladie payé a commencé le 9 janvier 2019; la fonctionnaire a précisé que son congé a commencé le 31 janvier 2019 et a demandé un nouveau calcul de son congé avec les nouvelles dates.

[18] La fonctionnaire a reçu en copie conforme un autre courriel du 20 juin 2019, indiquant qu’elle était en congé de maladie payé du 1er au 12 avril 2019. Elle a ensuite reçu une lettre du 27 juin 2019 qui indiquait qu’elle avait pris un congé non payé à compter du 17 avril 2019. La lettre donnait ensuite des renseignements sur les prestations d’invalidité.

[19] Malgré les communications susmentionnées, le CNRC a continué de verser à la fonctionnaire une rémunération bimensuelle jusqu’au 12 juin 2019. Elle savait qu’elle avait été payée jusqu’à cette date, mais elle a témoigné qu’en raison de la confusion dans les courriels qui lui avaient été envoyés, ainsi que des effets de sa maladie et de son traitement, elle ne s’était pas rendu compte à l’époque que son congé de maladie était épuisé et qu’elle avait eu un trop-payé.

[20] En juillet 2019, la demande de prestations d’invalidité de longue durée de la fonctionnaire a été approuvée, rétroactive au 2 mai 2019. Elle a commencé un retour progressif au travail en février 2020.

[21] Le CNRC n’a pris aucune mesure pour demander le recouvrement du trop-payé avant le 10 mars 2022. La mesure qu’il a prise a eu la forme d’un courriel à la fonctionnaire, indiquant que le trop-payé s’est produit entre le 17 avril 2019 et le 12 juin 2019 et s’élevait à un total de 7 673,95 $.

[22] Le grief a été déposé le 15 mars 2022. Il a été renvoyé à l’arbitrage le 17 juin 2022. Après le dépôt du grief, le CNRC a accepté de commencer à recouvrer le montant dû au taux de 15 $ par période de paye.

[23] Il n’est pas contesté que le CNRC est un employeur distinct en vertu de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »), ayant des employés partout au pays, et qu’il a son siège social à Ottawa, en Ontario. Il n’est pas non plus contesté que l’administration de la paye du CNRC se fait en Ontario, l’auteur de la demande de recouvrement du trop-payé travaillait en Ontario, et la fonctionnaire a vécu et travaillé en Ontario. Bien qu’il y ait eu des témoignages contradictoires à l’audience au sujet de la date à laquelle la fonctionnaire aurait dû savoir qu’elle avait été surpayée, il n’est pas contesté que le CNRC n’ait pas présenté de demande de recouvrement du trop-payé avant le 10 mars 2022.

III. La LRCECA et la question devant la Commission

[24] L’article 32 de la LRCECA se lit comme suit :

Règles applicables

Provincial laws applicable

32 Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent lors des poursuites auxquelles l’État est partie pour tout fait générateur survenu dans la province. Lorsque ce dernier survient ailleurs que dans une province, la procédure se prescrit par six ans.

32 Except as otherwise provided in this Act or in any other Act of Parliament, the laws relating to prescription and the limitation of actions in force in a province between subject and subject apply to any proceedings by or against the Crown in respect of any cause of action arising in that province, and proceedings by or against the Crown in respect of a cause of action arising otherwise than in a province shall be taken within six years after the cause of action arose.

 

[25] Les parties ont convenu que l’article 32 de la LRCECA s’applique à la présente affaire. Plus précisément, elles ont convenu que la mesure de l’employeur visant à recouvrer le trop-payé qu’il a versé à la fonctionnaire était une procédure de l’État et constituait un « fait générateur » contre la fonctionnaire. Elles ont également convenu qu’aucune autre loi du Parlement ne prévoit un délai de prescription qui s’applique dans cette situation.

[26] Leur différend porte sur la question de savoir si le recouvrement du trop-payé était un fait générateur qui « survient ailleurs que dans une province ». Leurs arguments écrits à l’intention de la Commission portaient sur cette question.

[27] Selon la position de la fonctionnaire, le fait générateur est survenu dans une province et la loi provinciale devait s’appliquer. Dans le présent cas, il s’agirait du délai de prescription énoncé dans la Loi de 2002 sur la prescription des actions de l’Ontario (L.O. 2002, chap. 24, annexe B) à l’art. 4 : deux ans. Toutefois, pendant la pandémie de COVID-19, le gouvernement de l’Ontario a adopté un règlement prolongeant le délai de prescription de 183 jours. Par conséquent, si le délai de prescription de l’Ontario s’applique dans la présente affaire, il serait de deux ans plus 183 jours. Par conséquent, la fonctionnaire a soutenu que le délai de prescription aurait pris fin le 13 décembre 2021 et que la mesure prise par le CNRC pour recouvrer le trop-payé le 10 mars 2022 était hors délai.

[28] L’employeur était d’avis que le fait générateur était survenu ailleurs que dans une province, étant donné qu’il est un employeur national, que la convention collective a une portée nationale et que le recouvrement a été entrepris pour recouvrer une dette due au receveur général du Canada, qui est une entité fédérale qui n’existe pas dans une province. Par conséquent, le délai de prescription de six ans énoncé à l’article 32 de la LRCECA s’appliquerait et, par conséquent, la mesure prise par le CNRC pour recouvrer le trop-payé qu’il a versé à la fonctionnaire respecte le délai.

IV. Jurisprudence relative à l’application de l’article 32 de la LRCECA

[29] La plupart des arguments des parties concernant l’interprétation correcte de l’article 32 de la LRCECA ont été faits en relation avec la jurisprudence qu’elles ont présentée. À mon avis, la façon la plus simple de présenter ces arguments est de les examiner au cas par cas. Je n’examinerai pas tous les cas mentionnés par les parties; je me concentrerai plutôt sur ceux qui ont le plus à voir avec la question devant la Commission.

[30] Je note que certains des cas cités par les parties font référence à l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales (L.R.C. (1985), ch. F-7), qui contient une disposition presque identique à l’article 32 de la LRCECA, sauf qu’il est divisé en deux paragraphes, comme suit :

39 (1) Sauf disposition contraire d’une autre loi, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent à toute instance devant la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale dont le fait générateur est survenu dans cette province.

39 (1) Except as expressly provided by any other Act, the laws relating to prescription and the limitation of actions in force in a province between subject and subject apply to any proceedings in the Federal Court of Appeal or the Federal Court in respect of any cause of action arising in that province.

(2) Le délai de prescription est de six ans à compter du fait générateur lorsque celui-ci n’est pas survenu dans une province.

(2) A proceeding in the Federal Court of Appeal or the Federal Court in respect of a cause of action arising otherwise than in a province shall be taken within six years after the cause of action arose.

[…]

 

[31] La fonctionnaire a soutenu que, compte tenu de leur libellé identique, les cas interprétant l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales ont été utilisés pour interpréter l’article 32 de la LRCECA et vice versa, ce que l’employeur n’a pas contesté.

[32] Dans le présent examen de la jurisprudence, je commencerai par la décision rendue en 2003 par la Cour suprême du Canada (CSC) dans Markevich c. Canada, 2003 CSC 9. En tant que décision de la CSC, il s’agit d’un cas de premier plan concernant l’application de l’article 32 et est mentionné dans bon nombre des autres cas cités par les parties.

[33] Markevich portait sur une action intentée en 1998 par ce qui était alors Revenu Canada (maintenant l’Agence du revenu du Canada) à l’égard de l’impôt dû par un contribuable de la Colombie-Britannique pour les années 1980 à 1985. Le gouvernement fédéral a soutenu qu’en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.); « LIR »), il n’existait pas de prescription. La CSC a rejeté cet argument. Elle a conclu que le recouvrement de l’impôt impayé était une procédure régie par l’article 32 de la LRCECA. Elle a ensuite examiné la question de savoir si le recouvrement était un fait générateur survenu dans une province ou ailleurs que dans une province. En ce qui concerne la perception de l’impôt fédéral, elle a conclu ce qui suit à ce sujet, aux paragraphes 39 et 40 :

39 Les dettes fiscales contractées en vertu de la LIR découlent d’une loi fédérale et créent des droits et des obligations entre l’État fédéral et les résidants [sic] du Canada ou les personnes qui ont gagné un revenu au Canada. La dette peut découler d’un revenu gagné dans plusieurs provinces ou dans un autre pays. Il s’agit d’une dette envers le gouvernement fédéral, qui n’est situé dans aucune province et qui ne prend pas de province particulière comme point de repère pour l’établissement de ses cotisations. En conséquence, selon le sens clair de l’art. 32, le fait générateur en l’espèce est survenu « ailleurs que dans une province ».

40 Une interprétation téléologique de l’art. 32 appuie cette conclusion. Si on concluait que le fait générateur est survenu dans une province, le délai de prescription applicable au recouvrement par le gouvernement fédéral de créances fiscales pourrait varier considérablement selon la province dans laquelle le revenu a été gagné et ses délais de prescription. En plus des difficultés administratives qui pourraient survenir à cause de l’obligation de répartir les dettes fiscales selon la province où elles ont été contractées, l’application différente des délais de prescription aux contribuables canadiens pourrait porter atteinte à l’équité en matière de recouvrement des créances fiscales. Des disparités entre les délais de prescription provinciaux pourraient, de façon prévisible, donner lieu à des systèmes de recouvrement fiscal plus sévères dans certaines provinces et moins sévères dans d’autres. La Cour peut seulement présumer que, lorsqu’il a prévu qu’un délai de prescription de six ans s’appliquerait aux procédures relatives à un fait générateur survenu ailleurs que dans une province, le législateur voulait que les dispositions en matière de prescription s’appliquent de manière uniforme partout au pays en ce qui concerne les procédures du type de celle en cause en l’espèce.

 

[34] En ce qui a trait aux mesures prises par Revenu Canada au nom de la province de la Colombie-Britannique pour recouvrer la dette fiscale provinciale du contribuable, la CSC a conclu que le délai de prescription provincial devrait s’appliquer. Cela dit, je note que le délai de prescription en Colombie-Britannique était également de six ans, de sorte que la distinction n’a pas d’application pratique aux faits de ce cas. La CSC a conclu que la mesure de recouvrement de l’impôt impayé a été prise bien au-delà de la période de six ans prévue à l’article 32 de la LRCECA et à la loi de la C.-B., Revenu Canada n’a donc pas été autorisé à recouvrer l’une ou l’autre de ces dettes.

[35] L’employeur a soutenu que le raisonnement de la CSC dans Markevich devrait s’appliquer aux trop-payés en cause dans le présent cas. Le secteur public fédéral est composé d’employés de l’État fédéral partout au pays. Le trop-payé était exigible en vertu d’une convention collective qui s’appliquait à l’ensemble du Canada. Comme pour la LIR, l’employeur recouvre le trop-payé selon la procédure d’une loi fédérale, à savoir le paragraphe 155(3) de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. (1985), ch. F-11; « LGFP »); voir Gardner c. Canada (Agence des services frontaliers du Canada), 2009 CF 1156, aux paragraphes 38 à 41. Cette disposition de la LGFP donne au receveur général du Canada le pouvoir de recouvrer tout trop-payé effectué auprès du Trésor. Ces deux entités sont des entités fédérales qui ne sont situées dans aucune province particulière.

[36] L’employeur a également soutenu que la Commission devrait appliquer l’approche ciblée adoptée par la CSC dans Markevich. Si des délais de prescription provinciaux s’appliquaient, les employeurs fédéraux seraient confrontés à des difficultés administratives lorsqu’ils recouvreraient des trop-payés qui varieraient d’une province à l’autre. Le résultat ne serait pas équitable pour des centaines de milliers d’employés de la fonction publique fédérale parce que certaines administrations ont des délais de prescription beaucoup plus courts.

[37] La fonctionnaire a soutenu que le recouvrement de l’impôt est sensiblement différent du recouvrement d’un trop-payé auprès d’un employé. Elle a également fait remarquer que le Parlement avait répondu à la décision de la CSC dans Markevich en modifiant la LIR en 2004 afin de fixer un délai de prescription de 10 ans pour tous les recouvrements d’impôt au Canada, quelle que soit la province du contribuable; voir l’alinéa 222(4)b) de la LIR et Canada c. Gibson, 2005 CAF 180, aux paragraphes 10 à 13.

[38] En d’autres termes, à la suite de la décision rendue par la CSC dans Markevich, le législateur a eu l’occasion de répondre à toute préoccupation concernant les iniquités des différents délais de prescription provinciaux en vertu de la LRCECA. Il a décidé de ne le faire qu’en ce qui concerne le recouvrement de l’impôt à payer, a soutenu la fonctionnaire.

[39] Le deuxième cas que je vais examiner est Dansou c. Agence du revenu du Canada, 2020 CRTESPF 100. Il s’agit de la seule décision de la Commission (ou de ses prédécesseurs), citée par les parties ou que je connais, qui porte directement sur l’application de l’article 32 de la LRCECA dans le contexte d’un grief en vertu de la Loi.

[40] Dans Dansou, l’Agence du revenu du Canada (ARC) avait versé un trop-payé à la fonctionnaire lorsqu’elle l’a convertie d’une norme de classification à une autre. L’ARC était d’avis que la Commission n’avait pas compétence pour trancher un grief au sujet d’un trop-payé. Toutefois, la Commission a conclu qu’elle avait compétence (voir les paragraphes 23 à 27). La Commission a ensuite examiné l’application de l’article 32 de la LRCECA. Dans ce cas, la fonctionnaire s’estimant lésée a soutenu que le délai de prescription du Québec devrait s’appliquer, parce que c’est là qu’elle vivait et travaillait. La Commission a conclu que le trop-payé était survenu ailleurs que dans une province, étant donné l’emplacement de la fonctionnaire s’estimant lésée au Québec, « […] compte tenu du caractère centralisé du système de paye (le courriel détaillant le recouvrement provient du service de rémunération situé à Ottawa) et de l’application générale de la convention collective à l’échelle du Canada » (voir le paragraphe 31).

[41] Ensuite, après avoir examiné la décision rendue par la CSC dans Markevich, la Commission a également déclaré ce qui suit, au par. 33 :

[33] Le raisonnement dans l’arrêt Markevich, qui prévoit l’uniformité dans l’application des créances fiscales, me semble s’appliquer également ici, contrairement à ce que soutient la fonctionnaire. Il paraîtrait inique, et contraire à des relations de travail harmonieuses, que le délai de recouvrement de trop-payés varie d’une province à l’autre. En l’absence d’une stipulation contraire dans la convention collective ou la loi (on pense au régime d’accident de travail qui est expressément délégué à l’autorité provinciale pour les fonctionnaires fédéraux), il me semble préférable d’adopter le raisonnement de Markevich et prévoir une approche uniforme pour le recouvrement de trop-payés.

 

[42] Dans le présent cas, l’employeur a soutenu que la Commission devrait suivre le raisonnement de la Commission dans Dansou. Selon lui, une approche uniforme du recouvrement des trop-payés serait équitable et harmonieuse dans le contexte des relations de travail du gouvernement fédéral. Les employés fédéraux qui ont été surpayés sont endettés envers leur employeur, l’État fédéral. La Commission devrait suivre Markevich et Dansou et éviter les complications administratives qui découleraient des délais de prescription provinciaux. En outre, l’utilisation de délais de prescription provinciaux entraînerait une approche de loterie pour le recouvrement des trop-payés; les employés fédéraux qui résident dans un [traduction] « paradis de prescription » obtiendraient un enrichissement injuste par rapport à leurs collègues, selon l’employeur.

[43] La fonctionnaire a soutenu que Dansou pouvait être distinguée en fonction des faits. Dans Dansou, la fonctionnaire s’estimant lésée travaillait au Québec, mais le trop‑payé a été réclamé par l’Administration centrale de l’ARC à Ottawa. Selon ces indications, le fait générateur est survenu « ailleurs que dans une province » et le délai de prescription de six ans prévu à l’article 32 de la LRCECA devrait s’appliquer.

[44] Pour les raisons déjà mentionnées, la fonctionnaire a soutenu que la Commission avait tort dans Dansou de suivre Markevich parce que le recouvrement de l’impôt est d’une nature différente du recouvrement d’un trop-payé salarial. La Commission dans Dansou ne savait peut-être pas que le législateur avait modifié la LIR pour prévoir un délai de prescription de 10 ans en dehors des limites de la LRCECA, a‑t‑elle soutenu.

[45] La fonctionnaire a également soutenu que, dans Dansou, la Commission a commis une erreur en appliquant une [traduction] « analyse corrélative » pour interpréter la LRCECA afin d’en arriver à son interprétation préférée. La Commission peut appliquer une analyse corrélative à l’interprétation des conventions collectives pour s’assurer qu’elle atteint un résultat « équitable » (voir Exportations Consolidated Bathurst c. Mutual Boiler, [1980] 1 R.C.S. 888, à la p. 901). Toutefois, une analyse corrélative n’a pas sa place dans l’interprétation législative, en l’absence d’ambiguïté dans la loi; voir R. v. Huggins, 2010 ONCA 746 (CA), au par. 17 et Bedwell c. McGill, 2008 BCCA 526, au par. 31. Dans le présent cas, il n’y a aucune ambiguïté dans l’article 32 de la LRCECA selon la fonctionnaire.

[46] La fonctionnaire a ajouté que la Commission a aggravé son erreur en invoquant, au par. 33 de Dansou, des « relations de travail harmonieuses » comme principe pour son interprétation de la LRCECA. On peut sans doute se fier à ce principe pour interpréter la Loi, mais il n’y a aucune autorité pour interpréter une loi d’application générale comme la LRCECA sur cette base. La LRCECA ne porte pas sur les relations de travail, et on ne peut présumer que le législateur a eu les relations de travail harmonieuses à l’esprit lors de la rédaction de cette loi, selon la fonctionnaire.

[47] La fonctionnaire a soutenu que la Commission ne devrait pas être guidée par Markevich ou Dansou, mais devrait procéder à une analyse factuelle du fait générateur pour déterminer si le délai de prescription provincial ou fédéral s’applique. C’est l’approche qu’ont adoptée des décisions judiciaires que la fonctionnaire a invoquées, que je vais maintenant examiner. Elle a déclaré qu’aucun de ces cas ne semblait avoir été présenté ou examiné par la Commission dans Dansou.

[48] En appliquant la logique de ces cas au présent cas, la fonctionnaire a soutenu que la Commission devrait conclure que tous les éléments du fait générateur sont survenus en Ontario parce qu’elle vivait en Ontario, travaillait en Ontario et était payée en Ontario, que le CNRC a son siège social en Ontario, que ses services d’indemnisation sont basés en Ontario et que l’auteur de la demande de remboursement travaillait en Ontario.

[49] La fonctionnaire a cité ces quatre cas qui ont fait l’objet d’une analyse factuelle du fait générateur dans des situations qui ne comportaient pas de problème d’emploi ou de trop-payés :

· Dans Brazeau v. Attorney General of Canada, 2019 ONSC 1888, au par. 385 (confirmé en partie par la Cour d’appel de l’Ontario dans 2020 ONCA 184), dans une action collective au nom de détenus atteints de troubles mentaux placés en isolement administratif, on a conclu que le fait générateur était survenu « ailleurs que dans une province » parce que, même si le siège social du Service correctionnel du Canada se trouvait en Ontario, les détenus ont été déplacés des pénitenciers d’une province à une autre, et leurs cas examinés par un comité national situé dans plusieurs provinces.

· Dans Apotex Inc. c. Astrazeneca Canada Inc., 2017 CAF 9, aux paragraphes 109 à 116 (autorisation d’appel à la CSC refusée, 2017 CanLII 32937), des violations des droits de brevet ont été constatées dans une province si l’incitation à commettre une infraction et l’acte d’infraction ont eu lieu dans la même province mais « ailleurs que dans une province » si les actes ont eu lieu dans des provinces distinctes.

· Une plainte alléguant une violation des droits en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés (Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (RU), 1982, ch. 11) dans le cadre d’une enquête criminelle a été estimée avoir été déposée dans une province même si l’enquête a été menée par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et comprenait des agents d’autres provinces; voir Pearson c. Canada, 2006 CF 931, au par. 58 (autorisation d’appel à la CSC refusée, 2008 CanLII 48610).

· De même, une action en dommages contre l’État fédéral a été jugée avoir été intentée dans la province de Terre-Neuve-et-Labrador, étant donné que le demandeur a mené ses activités de pêche, a demandé des permis et que le bureau local du ministère des Pêches et des Océans lui a refusé des permis; Genge c. Canada, [1995] A.C.F. no 1086 (CF 1re inst.) (QL), au par. 7.

 

[50] L’employeur n’a présenté aucun argument à l’égard de ces quatre cas.

[51] La fonctionnaire a invoqué six cas dans lesquels les tribunaux ont appliqué l’article 32 de la LRCECA de la façon qu’elle a plaidée, dans le contexte de trop‑payé ou de situations d’emploi.

[52] Les trois premiers cas ont appliqué un délai de prescription provincial fondé sur les faits générateurs :

· Dans Canada c. Parenteau, 2014 CF 968, un ancien membre des Forces armées canadiennes qui avait suivi des cours d’enseignements et de formation a été invité à rembourser certains coûts, et il a ensuite signé une entente pour reporter le remboursement de ces coûts. Au paragraphe 45, la Cour fédérale a conclu que tous les éléments du fait générateur se sont produits dans la province de Québec et y a appliqué le délai de prescription de trois ans (ce qui a fait en sorte que le recouvrement était permis).

· Dans Kyssa c. R., [1995] A.C.F. no 1220, un employé de la fonction publique fédérale a intenté une action en prétendant qu’on lui avait promis une reclassification. Au paragraphe 22, la Cour fédérale a rejeté la demande sur le fond, concluant qu’une reclassification n’avait pas été promise, mais a également conclu que le délai de prescription applicable était provincial (Ontario) et que, par conséquent, la demande était hors délai.

· Dans Rouleau c. Canada (Procureur général), 2016 QCCS 4887, les Forces armées canadiennes ont affirmé que des prestations de quelque 50 000 $ avaient été versées en trop à un militaire à la retraite. Lorsqu’il a perdu un grief à l’égard du trop-payé, le militaire à la retraite a intenté une action en justice visant le recouvrement. Le procureur général a fait valoir que la demande était hors délai. La Cour supérieure du Québec, au par. 103, a déterminé que les lois du Québec s’appliquaient, y compris une règle de la suspension de la prescription pendant la période au cours de laquelle le processus de règlement des griefs a été mené, et a conclu que l’action respectait le délai.

 

[53] Deux cas sur six ont appliqué le délai de prescription fédéral de six ans :

· Le cas de Plumadore c. Canada (Procureur général), 2016 CF 553, concernait un employé qui avait été exclu de son unité de négociation à titre d’employé gestionnaire et qui n’avait donc plus droit aux heures supplémentaires. Toutefois, il n’a pas été informé de l’exclusion et a donc continué à déclarer et à se voir payer des heures supplémentaires, pour un montant de plus de 145 000 $ sur une période de trois ans. L’employé a prétendu qu’un délai de prescription provincial devrait s’appliquer, et la mesure de recouvrement de l’employeur n’était pas en place. Toutefois, les faits importants sur lesquels le recouvrement a été demandé concernaient un contrat conclu et modifié en Ontario, mais auquel il a été contrevenu au Québec, et la Cour a conclu que le fait générateur était survenu dans plus d’une province et a appliqué le délai de prescription fédéral de six ans (voir le paragraphe 90). Toutefois, il convient de noter que la Cour a effectivement accueilli la demande de l’employé sur la base de la préclusion.

· Dans Canada (Attorney General) v. Zucchiatti, 2016 BCSC 1483, le gouvernement fédéral a cherché à recouvrer quelque 27 000 $ en trop-payé pour les services fournis par un médecin de Santé Canada. Le défendeur a déposé une requête en rejet de la demande au motif qu’elle avait été introduite en dehors du délai de prescription de deux ans prévu dans la Limitations Act de la Colombie-Britannique (SBC 2012, chap. 13). La Cour suprême de la C.-B. a rejeté la requête en se fondant sur les faits de la demande, mais a poursuivi en affirmant que le délai de prescription fédéral de six ans prévu dans la LRCECA s’appliquait parce que le médecin était basé en Colombie-Britannique, mais la privation de l’État avait eu lieu à Ottawa (voir le paragraphe 18).

 

[54] Le dernier de ces six cas portait sur une allégation de fausses déclarations négligentes de certains agents de la GRC au sujet du transfert de service ouvrant droit à pension d’un autre service de police; voir MacKenzie c. Canada (Procureur général), 2017 CF 462 (décision non publiée), aux paragraphes 26 à 30 et 32. La Cour fédérale a conclu que, parce que tous les plaignants nommés travaillaient à l’extérieur de l’Ontario et que la fausse déclaration alléguée avait été faite en Ontario, le fait générateur était survenu « ailleurs que dans une province » et le délai de prescription de six ans devrait s’appliquer. Toutefois, pour tout demandeur établi en Ontario, la Cour a conclu que le délai de prescription provincial s’appliquerait.

[55] L’employeur a présenté des arguments pour faire la distinction entre plusieurs de ces cas et celui devant la Commission, comme suit :

· Dans Parenteau, l’employeur a soutenu que le fait générateur était un billet à ordre signé par le militaire à la retraite, plutôt qu’une action de recouvrement qui tirait son origine dans une convention collective nationale ou les droits de l’employeur en vertu de la LGFP.

· Pour ce qui est de Kyssa, l’employeur a soutenu que l’affaire avait été tranchée sur le fond de la demande et que les observations de la Cour fédérale au sujet du délai de prescription étaient des remarques incidentes (c’est-à-dire une expression d’opinion qui n’était pas essentielle à la décision).

· L’employeur a fait valoir que la Cour supérieure du Québec a tranché Rouleau en se fondant sur une confiance préjudiciable plutôt que sur des trop-payés de l’État.

· L’employeur a soutenu que Plumadore est en contradiction avec le traitement de la dette envers l’État dans Markevich. De plus, comme la Cour avait déjà conclu que l’employeur n’avait pas les motifs de recouvrer les trop-payés d’heures supplémentaires qu’il avait versés, la conclusion selon laquelle les délais de prescription provinciaux devaient s’appliquer représentait une remarque incidente.

 

[56] À l’appui de ses arguments en faveur d’un délai fédéral unique et équitable, l’employeur a cité la décision de la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans Authorson v. Canada (Attorney General), 2003 CanLII 4120 (CS Ont.). Il s’agissait d’une action collective nationale intentée au nom d’anciens combattants qui alléguaient une mauvaise gestion de leurs pensions. L’employeur a fait valoir que la Cour dans Authorson a décidé de ne pas contester les particularités de chaque membre de l’action collective. Il a examiné la situation dans son ensemble, a noté que les membres de l’action collective étaient situés partout au Canada et a noté que certains d’entre eux auraient pu résider dans plus d’une province tout au long de leur carrière, a déclaré l’employeur. Il s’est appuyé sur Markevich et a cherché à éviter les différentes lois provinciales de limitation et [traduction] « leurs divers termes »; voir les paragraphes 13 et 14. L’employeur a soutenu que la Commission devrait faire de même dans le présent cas.

[57] La fonctionnaire a soutenu que la Commission ne devrait pas s’en remettre à Authorson puisque cette décision a été infirmée et annulée en totalité en appel devant la Cour d’appel de l’Ontario; voir 2007 ONCA 501 et 2007 ONCA 599. La Cour d’appel n’a pas eu à décider quel délai de prescription s’appliquait et n’a donc pas approuvé le délai de prescription fédéral. En tout état de cause, même la décision de la Cour supérieure n’est pas utile à l’employeur, a soutenu la fonctionnaire, parce que les faits du cas concernaient une action collective dont les membres se trouvaient partout au Canada et que l’action a donc franchi les frontières provinciales. La fonctionnaire a convenu qu’un fait générateur qui traverse les frontières provinciales engendre le délai de prescription fédéral.

V. Analyse et motifs

[58] Dans le présent grief, les parties ont convenu que la première question à trancher par la Commission est l’interprétation et l’application de l’article 32 de la LRCECA. Si je détermine que le fait générateur est survenu dans la province de l’Ontario, le délai de prescription provincial de l’Ontario s’appliquerait, soit, dans le présent cas, deux ans plus 183 jours. Le grief serait accueilli au motif que la demande du CNRC visant à recouvrer le trop-payé a été faite à l’extérieur de cette fenêtre. Si je détermine que le fait générateur est survenu « ailleurs que dans une province », le délai de prescription fédéral s’appliquerait : six ans. J’examinerai ensuite les autres arguments de la fonctionnaire pour trancher le grief.

[59] Je souscris à l’argument de la fonctionnaire selon lequel l’article 32 de la LRCECA prévoit la présomption que des délais de prescription provinciaux s’appliquent à toutes les procédures intentées par ou contre l’État fédéral, à l’exception des procédures qui surviennent « ailleurs que dans une province ». Cela est évident à la lumière d’une interprétation littérale de l’article. Cette interprétation est appuyée par la note marginale de l’article 32, qui est rédigée comme suit, en anglais : « Provincial laws applicable » (Règles applicables); voir Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e édition, aux pages 466 à 468. L’employeur n’a pas contesté cet argument.

[60] La fonctionnaire a soutenu qu’un « […] fait générateur survient dans une province si tous les éléments qui le constituent surviennent dans cette province […] »; voir Apotex Inc., au par. 114. L’exception ne se produit que dans des circonstances où le fait générateur survient dans plus d’une province, dans une combinaison de provinces ou à l’extérieur d’une province (c’est-à-dire à l’étranger); voir Vu v. Attorney General of Canada, 2020 ONSC 2447, aux paragraphes 65 et 66.

[61] La fonctionnaire a soutenu que, pour déterminer où le fait générateur est survenu dans le présent cas, la Commission devrait examiner les faits incontestés, soit qu’elle a vécu en Ontario, qu’elle a travaillé en Ontario, que le CNRC a son siège social en Ontario, que son système d’indemnisation est géré en Ontario et que l’auteur de la demande de remboursement du trop-payé du 10 mars 2022 se trouvait également en Ontario. Tous ces éléments devraient amener la Commission à conclure que le fait générateur est entièrement survenu dans la province de l’Ontario et que le délai de prescription provincial devrait être appliqué.

[62] Je conclus que la jurisprudence citée par la fonctionnaire appuie l’utilisation d’une analyse factuelle pour déterminer si le fait générateur en cause est survenu dans une province ou ailleurs que dans une province. Voir le paragraphe 27 de Markevich, où la CSC a défini un « fait générateur » comme « un état de fait qui fonde une action en justice ».

[63] Dans les cas concernant l’application de l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales, un délai de prescription provincial a été appliqué malgré la participation des institutions fédérales (Pearson, concernant la GRC, et Genge, concernant le ministère fédéral des Pêches et des Océans). Dans Brazeau, un délai de prescription fédéral a été appliqué parce qu’il s’agissait d’une action collective visant des détenus de partout au pays et un comité national situé dans plusieurs provinces. Néanmoins, la décision était fondée sur les faits précis du cas.

[64] Dans Apotex, l’analyse factuelle a mené à l’application du délai de prescription fédéral si le fait générateur est survenu dans plus d’une province, et du délai de prescription provincial si tous les éléments du fait générateur étaient situés en Ontario.

[65] En ce qui concerne les cas qui ont trait à l’un ou l’autre des articles 32 de la LRCECA ou 39 de la Loi sur les Cours fédérales dans les situations d’emploi, les tribunaux dans Parenteau, Kyssa et Rouleau ont tous fait remarquer que les faits mèneraient à l’application d’un délai de prescription provincial, tandis que les tribunaux dans Plumadore et Zucchiatti ont conclu que le délai de prescription fédéral devrait s’appliquer. Bien que certains de ces cas aient été tranchés pour d’autres motifs, et par conséquent, les conclusions sur le fait générateur ont été effectivement formulées dans une remarque incidente (Kyssa, Plumadore et Rouleau), dans chacun de ces cas, les tribunaux ont approuvé une analyse factuelle. Chacune de ces situations d’emploi concernait le gouvernement fédéral en tant que demandeur ou défendeur.

[66] La décision de 2017 de la Cour fédérale dans MacKenzie est similaire à Apotex. La Cour, dans MacKenzie, a conclu que le délai de prescription fédéral devrait s’appliquer aux membres de la GRC basés dans des provinces autres que l’Ontario, tandis que le délai provincial s’appliquerait à tous ceux qui travaillaient en Ontario. S’appuyant sur Pearson, la Cour a déclaré ce qui suit au paragraphe 32 :

[32] En l’espèce, seulement lorsque tous les éléments de la prétendue fausse déclaration par négligence de la GRC, y compris la déclaration alléguée et la réception de la déclaration alléguée, se sont produits en Ontario, où la GRC a son siège social, on pourrait dire que le fait générateur a pu survenir dans la même province. […]

 

[67] Comme je l’ai mentionné, l’employeur a présenté des arguments précis sur les raisons pour lesquelles la Commission ne devrait pas s’appuyer sur certains de ces six cas dans la présente affaire.

[68] Toutefois, la position de l’employeur se résume à ces deux principaux arguments :

· parce que le trop-payé a été effectué à partir d’une entité fédérale (le Trésor) et que son remboursement était dû à une entité fédérale (le receveur général du Canada), le fait générateur est donc survenu ailleurs que dans une province;

· à la suite de Markevich et de Dansou, la Commission devrait adopter une approche ciblée et appliquer le délai de prescription fédéral de sorte que tous les employés fédéraux qui font face à un remboursement en trop soient traités uniformément, pour des raisons d’équité et d’uniformité.

 

[69] Pour ce qui est du premier de ces arguments, je conviens qu’en fin de compte, la rémunération de la fonctionnaire provient du Trésor et que le trop-payé est dû au receveur général du Canada. Ce sont deux entités fédérales qui, comme l’État fédéral, ne sont pas situées dans une province particulière. L’employeur a fait valoir que, étant donné que ces entités sont de nature fédérale, la Commission devrait conclure que le fait générateur est survenu ailleurs que dans une province, et que le délai de prescription fédéral devrait s’appliquer.

[70] Toutefois, l’existence même et le libellé de l’article 32 de la LRCECA sape cet argument.

[71] La LRCECA est une loi du Parlement canadien. Elle s’intitule « Loi relative à la responsabilité civile de l’État et aux procédures applicables en matière de contentieux administratif » et, à l’article 2, « État » est défini comme « Sa Majesté du chef du Canada ». En d’autres termes, la LRCECA régit les mesures prises par ou contre l’État fédéral, qui est le gouvernement du Canada. L’article 32 doit être lu sous cet angle.

[72] Malgré le fait que la LRCECA s’applique à l’État fédéral, l’article 32 précise clairement que les délais de prescription provinciaux s’appliqueront lorsque le fait générateur survient dans une province. Pour plus de précisions sur ce point, voir M. Morris et J. Brongers, The 2019 Annotated Crown Liability and Proceedings Act, aux pages 1 à 6, cité par la fonctionnaire.

[73] Si le législateur avait voulu que le délai de six ans s’applique à toute action impliquant l’État fédéral, ou même à toute action concernant une dette envers l’État fédéral, il aurait pu le dire très simplement. Au lieu de cela, l’article 32 s’applique par défaut aux délais de prescription en vigueur dans une province, qui s’appliquent à l’État fédéral « pour tout fait générateur survenu dans la province ». Si j’acceptais l’argument de l’employeur, ces mots seraient dénués de tout leur sens. Si toutes les actions du gouvernement fédéral sont ailleurs que dans une province, l’article 32 tel qu’il est libellé serait entièrement redondant.

[74] Je crois que dans le présent cas, l’employeur confond la nature nationale de l’une des parties avec le fait générateur. Dans les cas portant sur l’article 32 de la LRCECA et l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales examinés plus tôt, c’est le dernier article que les tribunaux ont examiné et appliqué. Comme je l’ai mentionné, la plupart des cas cités par la fonctionnaire portaient sur des demandes de l’État fédéral ou contre lui. Aucun des cas cités ne s’appliquait automatiquement au délai de prescription fédéral parce que l’État fédéral était concerné. Même dans Markevich, le délai de prescription fédéral a été appliqué non pas parce que Revenu Canada était une institution nationale ou parce que les montants étaient dus au receveur général du Canada, mais parce que le fait générateur concernait le recouvrement de l’impôt fédéral sur le revenu, qui, par sa nature même, comprend le revenu gagné n’importe où au Canada. La CSC a expressément dit ceci, au paragraphe 40 :

40 […] La Cour peut seulement présumer que, lorsqu’il a prévu qu’un délai de prescription de six ans s’appliquerait aux procédures relatives à un fait générateur survenu ailleurs que dans une province, le législateur voulait que les dispositions en matière de prescription s’appliquent de manière uniforme partout au pays en ce qui concerne les procédures du type de celle en cause en l’espèce.

[Je mets en évidence]

 

[75] La procédure en cause dans Markevich était le recouvrement de l’impôt fédéral sur le revenu. La décision de la CSC a établi que le délai de prescription pour une procédure de recouvrement de l’impôt impayé était de six ans. Toutefois, l’effet de cette décision n’a duré qu’un an, puisque le Parlement a adopté une loi visant à modifier la LIR et à prévoir un délai de prescription de dix ans pour le recouvrement de l’impôt, supprimant ainsi de la portée de la LRCECA une telle procédure.

[76] Markevich ne dit pas que le délai de prescription fédéral prévu à l’article 32 s’applique à toutes les dettes de l’État fédéral. Au paragraphe 1, la CSC a déclaré que :

1 […] La question en litige dans le présent pourvoi est restreinte et facile à énoncer : les délais de prescription prévus dans la loi fédérale et la loi provinciale, lorsqu’ils sont expirés, s’appliquentils à lexercice par l’État des pouvoirs de recouvrement de créances fiscales que lui confère la loi? […]

[…]

[Je mets en évidence]

 

[77] Je ne suis pas convaincu que la décision de la CSC dans Markevich stipule que le délai de prescription fédéral devrait s’appliquer à toutes les dettes envers l’État fédéral. Aucun des nombreux cas cités par la fonctionnaire qui suivent Markevich ne s’applique à cette fin (Zucchiatti, Plumadore, MacKenzie, Parenteau ou Rouleau). En fait, un seul de ces cas – Plumadore – mentionne Markevich, et pour des raisons déjà citées, la Cour dans ce cas a conclu que le délai de prescription fédéral devrait s’appliquer sur la base des faits du cas, et non parce que la dette était de nature fédérale.

[78] Je suis sensible au deuxième argument de l’employeur, à savoir qu’un seul délai de prescription fédéral devrait s’appliquer aux trop-payés dans le secteur public fédéral, pour des raisons d’uniformité et d’équité. Par conséquent, il est tentant de suivre la Commission au paragraphe 33 de Dansou et de conclure qu’un seul délai de prescription commun dans l’ensemble de la fonction publique est dans l’intérêt de l’équité et de l’harmonie des relations de travail, indépendamment des faits précis sur la façon dont le fait générateur est survenu. Le résultat invoqué par la fonctionnaire signifie que les faits de chaque demande visant un trop-payé devraient être évalués pour déterminer si un délai de prescription provincial s’applique ou si le délai de prescription de six ans prévu à l’article 32 de la LRCECA s’applique. Cela signifie que deux employés, faisant le même travail, pour le même employeur, et étant dans la même situation de trop-payé pourraient faire face à des délais de prescription différents, selon les faits précis de leur situation.

[79] Toutefois, de tous les cas cités par les parties, sauf Dansou, seul Authorson a appliqué le délai de prescription fédéral dans le but d’éviter les [traduction] « divers termes » des différentes lois de limitation provinciales. Je ne trouve pas qu’Authorson soit une excellente autorité pour cette conclusion, étant donné qu’il s’agissait d’un recours collectif dont les membres sont répartis dans tout le Canada, dont certains, selon la Cour, auraient pu résider dans plus d’une province. Par conséquent, elle reposait sans doute sur les faits du cas, plutôt que sur une interprétation téléologique de la LRCECA dans un souci d’équité. De plus, comme l’a fait valoir la fonctionnaire, la décision a été annulée en appel (et l’autorisation d’appel à la CSC a été refusée, 2008 CanLII 1388).

[80] Il ne faut pas perdre de vue le souci d’équité. J’estime que l’employeur est allé trop loin lorsqu’il a soutenu que l’application d’un délai de prescription provincial entraînerait dans certains cas un [traduction] « paradis de prescription ». Il est vrai que le délai de prescription de deux ans de l’Ontario est un peu plus court que le délai de prescription fédéral de six ans. Mais un délai de deux ans pour qu’un employeur perçoive son trop-payé n’est pas un paradis pour l’employé concerné. Il laisse encore à l’employeur suffisamment de temps pour commencer à recouvrer son trop-payé.

[81] De plus, un délai de prescription de deux ans applicable à l’employeur ne peut guère être considéré comme un paradis, étant donné qu’un employé n’a que 25 jours pour déposer un grief s’il a été sous-payé. (Dans un cas cité par la fonctionnaire, un arbitre de différends a déterminé qu’un employeur était assujetti au même délai de prescription que celui qui s’appliquait aux griefs; voir Montréal (Ville) c. Assoc. des pompiers de Montréal inc., 2007 CarswellQue 14529, au par. 26).

[82] Toutefois, le principal problème que me pose cet argument de l’employeur, c’est que je ne suis tout simplement pas convaincu qu’il soit loisible à la Commission de décider, dans un souci d’équité, qu’un délai de prescription fédéral devrait s’appliquer à toutes les situations de trop-payé concernant des employés fédéraux.

[83] Je suis d’accord avec la fonctionnaire pour dire que la déclaration de la Commission au paragraphe 33 de Dansou a effectivement été faite dans une remarque incidence, puisqu’elle avait déjà conclu que le fait générateur était survenu dans deux provinces (voir le paragraphe 31).

[84] Je suis également d’accord avec la fonctionnaire pour dire que l’article 32 de la LRCECA n’est pas ambigu. Les autorités qu’elle a fournies n’indiquent pas que je peux appliquer le principe d’équité à une tâche d’interprétation légale si le libellé de la loi est clair; voir aussi Bedwell, au par. 31.

[85] La fonctionnaire a également soutenu que rien ne permet d’interpréter une loi d’application générale comme la LRCECA sur la base de relations de travail harmonieuses, comme l’a fait la Commission au paragraphe 33 de Dansou. À mon avis, le préambule de la Loi accorde une grande priorité à l’établissement de relations de travail harmonieuses, et il peut servir à déterminer une interprétation téléologique de la Loi. Comme Dansou, il s’agit d’un grief qui est tranché en vertu de la Loi, et il n’est pas inapproprié que la Commission garde à l’esprit des relations de travail harmonieuses lorsqu’elle tranche les questions dont elle est saisie.

[86] Toutefois, la LRCECA énonce les dispositions qui régissent les procédures intentées par et contre l’État fédéral et l’article 32 prévoit par défaut des délais de prescription provinciaux; voir Morris et Brongers. Il n’y a pas d’ambiguïté dans la LRCECA qui exige une interprétation téléologique.

[87] Comme je l’ai mentionné, la structure et le libellé de l’article 32 de la LRCECA et la prépondérance de la jurisprudence exigent que la Commission procède à une analyse factuelle des faits générateurs. Je souscris à la décision de 2017 de la Cour d’appel fédérale dans Apotex, qui est rédigée comme suit au paragraphe 113 :

[113] Bien que je sois sensible à l’aspect pratique d’une telle interprétation [d’un délai de prescription de six ans] […] lorsque les règles de droit sont formulées dans un texte législatif, les tribunaux doivent les énoncer telles qu’elles y sont exprimées. En l’espèce, la loi exige de déterminer le lieu où chaque fait générateur est survenu.

 

[88] Si le législateur voulait établir un délai de prescription unique pour le recouvrement de tous les trop-payés versés aux employés fédéraux, à des fins d’uniformité, il pourrait le faire par l’entremise de la législation – la Loi, la LGFP ou d’autres lois. Compte tenu du libellé de l’article 32 de la LRCECA, ces trop-payés seraient donc visés par une autre loi du Parlement et exemptés de l’application de l’article 32, comme c’est actuellement le cas pour la LIR.

[89] Dans la présente affaire, pour les motifs exposés plus tôt dans la présente décision, mon enquête sur l’endroit où chaque fait générateur est survenu m’amène à conclure que le recouvrement du trop-payé a été fait en Ontario. Étant donné que le délai de prescription de l’Ontario était de deux ans (plus 183 jours en raison des prorogations adoptées à cause de la pandémie de COVID-19) et que la situation de trop-payé s’est terminée le 12 juin 2019, le délai de prescription de l’Ontario a expiré le 13 décembre 2021. Comme la demande de recouvrement du trop-payé n’a été présentée que le 10 mars 2022, elle a été présentée hors délai. Par conséquent, le grief est accueilli.

[90] Après le dépôt du grief, l’employeur a commencé à recouvrer le trop-payé au taux de 15 $ par période de paye. La mesure corrective appropriée est que l’employeur cesse le recouvrement et rembourse à la fonctionnaire les montants déjà déduits de sa paye. Je m’attends à ce que les parties puissent déterminer le montant exact sans l’aide de la Commission, mais cette dernière conservera sa compétence pendant une période de 90 jours dans le cas où elles ne le pourraient pas.

VI. Arguments subsidiaires

[91] Comme je l’ai mentionné, à l’audience, la fonctionnaire a présenté trois arguments subsidiaires, dans l’éventualité où la Commission ne souscrivait pas à sa position sur la question du délai de prescription. Chacun a été présenté comme un argument subsidiaire à celui qui l’a précédé, ce qui signifie que si le grief était accueilli conformément à cet argument, la Commission n’avait pas besoin d’examiner le suivant.

[92] Le premier argument subsidiaire était celui de la préclusion promissoire. Elle a soutenu que le trop-payé de l’employeur représentait une promesse, sur laquelle elle s’appuyait, à son détriment. À ce titre, elle a soutenu que l’employeur devrait être empêché de percevoir le trop-payé.

[93] L’employeur a reconnu qu’il avait commis certaines erreurs au sujet de la rémunération de la fonctionnaire. Toutefois, il a soutenu que les exigences relatives à la préclusion promissoire ne sont pas respectées dans le présent cas. Il a fait valoir que le trop‑payé qu’il a versé ne représentait pas une promesse claire et sans équivoque. Il a également soutenu que la fonctionnaire aurait dû être au courant du trop-payé bien avant que la demande ne soit présentée et qu’elle aurait dû prendre des mesures pour ne pas s’en prévaloir.

[94] Le deuxième argument subsidiaire était celui de la faute de la victime : le trop‑payé et un retard à informer la fonctionnaire étaient de la responsabilité de l’employeur, en tout ou en partie. Dans la mesure où le trop-payé était la faute de l’employeur, ce dernier ne pouvait pas le recouvrer, ou pas tout, argumente-t-elle.

[95] Le troisième et dernier argument subsidiaire était que la fonctionnaire souffrait de détresse mentale en raison des erreurs de l’employeur dans le traitement de son passage du travail rémunéré au congé non payé, puis à une invalidité de longue durée, pour lequel elle devrait recevoir des dommages. Elle a fait valoir que si un remboursement restait après que la Commission eut examiné ses autres arguments, le montant des dommages devrait être fixé à un niveau requis pour compenser le remboursement requis.

[96] L’employeur a soutenu que la Commission n’a jamais appliqué le principe de la faute de la victime à un grief dont elle est saisie et qu’elle ne devrait pas le faire dans le présent cas. Il a également fait valoir qu’un cas comme celui-ci ne devrait pas entraîner le paiement de dommages pour détresse mentale, qui devrait être réservé aux cas graves impliquant des licenciements ou une discrimination. Il a demandé à la Commission de rejeter le grief pour chacun des autres motifs invoqués par la fonctionnaire.

[97] Étant donné que j’ai déjà accueilli le grief parce que la demande de remboursement a été présentée après l’expiration du délai de prescription de l’Ontario, je ne ferai pas état de la preuve présentée au sujet de ces autres arguments; je ne prendrai pas non plus de décision sur les arguments des parties.

[98] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VII. Ordonnance

[99] Le grief est accueilli.

[100] Les retenues sur la paye pour le trop-payé doivent cesser et le CNRC doit rembourser à la fonctionnaire la somme totale des retenues qu’il a faites jusqu’au moment de la cessation, et ce dans les 90 jours suivant la présente décision.

[101] La Commission conservera sa compétence à l’égard de la mesure corrective susmentionnée pendant une période de 90 jours si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur le montant.

Le 1er juin 2023.

Traduction de la CRTESPF

David Orfald,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

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