Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a présenté une plainte selon laquelle un ancien agent aux griefs et à l’arbitrage avait agi de manière arbitraire et de mauvaise foi, manquant ainsi à son devoir de représentation équitable – l’agent avait conseillé à la plaignante de retirer ses griefs de l’arbitrage et de présenter plutôt une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) – l’agent négociateur a soutenu que la plainte concernant le devoir de représentation équitable avait été présentée en dehors du délai de 90 jours prévu par la loi – la plaignante a fait valoir que la plainte avait été présentée dans les délais, car elle n’avait pris connaissance de l’acte ou des circonstances qui avaient donné lieu à la plainte que plusieurs mois plus tard, lorsque la CCDP l’a informée qu’elle ne donnerait pas suite à sa plainte à ce moment-là – la Commission a rejeté la plainte au motif qu’elle était hors délai – elle a conclu d’abord que la nature essentielle de la plainte était le mécontentement de la plaignante des conseils de l’agent de retirer ses griefs et de poursuivre plutôt sa plainte directement auprès de la CCDP – la Commission a ensuite conclu qu’il ressortait clairement des éléments de preuve que la plaignante n’était pas satisfaite et qu’elle ne souscrivait pas aux conseils de l’agent dès qu’il les avait fournis et qu’elle disposait d’un délai de 90 jours à compter de ce moment-là pour présenter une plainte relative au devoir de représentation équitable – le délai pour présenter une plainte ne continuait pas à évoluer en fonction des actes ou circonstances qui y avaient donné lieu – la Commission a également rejeté l’argument de la plaignante selon lequel le délai devrait être ajusté en raison de ses problèmes de santé, car il n’y avait aucun élément de preuve indiquant qu’elle n’avait pas été en mesure de comprendre l’acte ou les circonstances qui avaient donné lieu à sa plainte.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date: 20230531

Dossier: 561-02-675

 

Référence: 2023 CRTESPF 56

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

enTRE

 

Claudette Besner

plaignante

 

et

 

Alliance DE LA FONCTION PubliQUE DU Canada

 

défenderesse

Répertorié

Besner c. Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire concernant une plainte présentée en vertu de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Audrey Lizotte, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante : Elle-même

Pour la défenderesse : Mariah Griffin-Angus, Alliance de la Fonction publique du Canada

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les
12 et 16 novembre et le 13 décembre 2021.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Introduction

[1] Le 18 février 2014, Claudette Besner (la « plaignante ») a déposé une plainte auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; LRTFP) contre l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC ou la « défenderesse »). Dans sa plainte, la plaignante allègue qu’un ancien agent aux griefs et à l’arbitrage de l’AFPC (l’« agent de l’AFPC ») a agi de manière arbitraire et de mauvaise foi, manquant ainsi à son devoir de représentation équitable.

[2] Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365; LCRTEFP) a été proclamée en vigueur (TR/2014‑84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (CRTEFP) pour remplacer l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) ainsi que l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014‑84). Conformément à l’article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, une instance engagée au titre de la LRTFP avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la LRTFP, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi n2 sur le plan d’action économique de 2013.

[3] Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la CRTEFP et le titre de la LCRTEFP, de la LRTFP et du Règlement sur les relations de travail dans la fonction publique pour qu’ils deviennent respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi ») et le Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (le « Règlement »).

[4] À toutes les époques pertinentes à la présente plainte, la plaignante occupait un poste de coordonnatrice administrative (classifié AS-02) auprès de la Direction générale de la gestion ministérielle de Ressources humaines et Développement des compétences Canada (l’« employeur »), et l’AFPC était son agent négociateur accrédité.

[5] Bien que l’incident qui est cœur de la plainte soit survenu en octobre 2012, la plaignante affirme dans sa plainte initiale qu’elle n’a eu connaissance que le 5 février 2014 de la mesure ou des circonstances ayant donné lieu à sa plainte.

[6] La défenderesse a soulevé une objection préliminaire au motif que la plainte est hors délai et elle demande qu’elle soit rejetée. La défenderesse soutient en outre que la plainte est devenue théorique.

[7] Selon le paragraphe 190(2) de la Loi, une plainte doit être présentée à la Commission au plus tard dans les 90 jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu ou, de l’avis de la Commission, aurait dû avoir connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

[8] Par conséquent, la question à trancher est celle de savoir quand la plaignante a eu, ou aurait dû avoir, connaissance des mesures ou des circonstances ayant donné lieu à sa plainte.

[9] La présente décision porte uniquement sur l’objection préliminaire.

[10] Les parties ont demandé à la Commission de trancher la présente affaire préliminaire sur la base d’arguments écrits. Comme la présente décision ne porte pas sur le bienfondé réel de la plainte, je me suis abstenue de divulguer le nom de l’agent de l’AFPC en raison de la nature incendiaire des allégations.

[11] Pour les motifs énoncés dans la présente décision, j’ai conclu que l’objection préliminaire doit être accueillie, car la plainte est hors délai.

II. Les détails de la plainte

[12] Le 10 février 2014, la plaignante a amorcé le dépôt de sa plainte en remplissant le formulaire 16 (utilisé pour présenter une plainte en vertu du par. 190 de la Loi). Sur le formulaire, que la Commission a reçu le 18 février 2014, il était indiqué que le 5 février 2014 était la date à laquelle la plaignante avait eu connaissance de l’acte dont elle se plaignait. La plainte est précisée en ces termes : [traduction] « Le premier jour de l’arbitrage (octobre 2012), l’avocat du syndicat m’a avisée de porter les griefs directement à la CCDP [la Commission canadienne des droits de la personne], et tout cela avant que l’arbitrage ait même commencé. Mon avocat a refusé de passer par l’arbitrage. »

[13] Le 18 mars 2014, la plaignante a soumis un formulaire de [traduction] « Demande de précisions » rempli, sur lequel un plaignant est prié d’indiquer la nature de la plainte contre le défendeur ou les défendeurs. La plaignante a rempli le formulaire de la manière suivante :

[Traduction]

[…]

2. Veuillez indiquer la nature de votre plainte contre le défendeur ou les défendeurs :

X Le grief n’a pas été soumis à la procédure de règlement des griefs

_ Le grief a été réglé sans que vous n’ayez donné votre consentement ou votre autorisation

_ Le défendeur ou les défendeurs ne vous ont pas consulté

X Le grief n’a pas été renvoyé à l’arbitrage

_ Le défendeur ou les défendeurs ne vous ont pas communiqué leur décision

X Autre (veuillez préciser ci‑dessous)

L’arbitrage a été annulé par l’avocat de mon syndicat, [l’agent de l’AFPC], avant même que l’arbitre de grief n’ait eu la possibilité d’entendre mon grief. [L’agent de l’AFPC] a affirmé que j’aurais beaucoup plus de chance d’avoir gain de cause si je portais les griefs directement à la CCDP.

3. Votre agent négociateur est‑il au courant de vos préoccupations ou avez‑vous tenté de dissiper vos préoccupations avec l’agent négociateur? Dans l’affirmative, veuillez indiquer la date de la décision finale et le nom du décideur.

La CCDP a fait parvenir une décision rendue le 27 janvier 2014, mais je ne l’ai reçue moi‑même que le 4 février 2014. Ils ont fermé le dossier.

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[14] La plaignante a joint au formulaire un document qui précise sa plainte. Il indique en partie ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Je maintiens que j’ai été incorrectement représentée par [l’agent de l’AFPC] à titre de représentant juridique. Il y a eu beaucoup de signes avant-coureurs pendant que je travaillais avec [l’agent de l’AFPC] sur les griefs en question. Avec le temps, au vu des retards importants dans le système lui‑même, [l’agent de l’AFPC] a souvent mis les dates des griefs en suspens, et il a même annulé temporairement des dates de grief fixées, ce qui a entraîné des retards nuisibles et inutiles et de l’anxiété. Comme si cela ne suffisait pas qu’il y ait déjà eu un délai flagrant avant d’obtenir des dates d’audience, le fait que [l’agent de l’AFPC] ait pris comme mesure de reporter des dates de grief fixées indique en outre qu’il n’était pas compétent pour faire avancer lesdits griefs ou qu’il avait peut-être peur de le faire. Cela s’est révélé vrai plus tard, à mesure que nous approchions de l’audience. Il avait toujours une excuse pour justifier les annulations. Cela m’a été en outre confirmé le jour de l’audience, lorsqu’il a été incapable de mener l’audience de manière exhaustive devant l’arbitre de grief et que, par conséquent, il a abandonné les griefs.

La veille de l’audience relative aux griefs, j’ai rencontré [l’agent de l’AFPC] à sa demande, en pensant qu’il travaillait à des détails de dernière minute importants, afin de présenter mes griefs de manière avantageuse. Il n’avait qu’une seule question pour moi lors de cette réunion qui a duré cinq minutes, et il s’agissait d’une question de statut et d’examen de mon assiduité au travail, qui n’a jamais posé de problème auparavant. J’ai été déçue qu’il me convoque à une réunion de dernière minute ayant pour objet d’aborder des détails apparemment importants pour l’audience fixée au lendemain, seulement pour discuter de mon dossier d’assiduité négligeable.

[L’agent de l’AFPC] n’a pas traité mon dossier avec soin. En fait, il était ignorant. Le jour de l’audience, il s’est révélé incapable de présenter ses faits et conclusions devant l’arbitre de grief et l’avocat du Conseil du Trésor (CT). Je l’ai trouvé extrêmement incompétent.

Quelques minutes avant l’arbitrage, à sa demande, [l’agent de l’AFPC] a rencontré l’avocat du CT seul à seul, sans que je sois présente. Il a mentionné que le motif était de tenter de parvenir à un règlement avec l’avocat du CT avant l’arbitrage. [L’agent de l’AFPC] a seulement pu obtenir du CT le financement d’un téléphone pour malentendants au coût de 125 $. La rencontre de [l’agent de l’AFPC] avec l’avocat du CT a manifestement été peu convaincante et infructueuse. Son seul recours face à un avocat du CT dont il avait peur (il m’a mentionné la veille de l’audience que cet avocat du CT avait la réputation « d’employer les grands moyens ») était d’abandonner le cas. Le CT s’est montré inflexible et [l’agent de l’AFPC] n’a pas été en mesure de donner suite aux griefs, surtout compte tenu de la crainte qu’il semblait éprouver à l’égard de cet avocat du CT.

[L’agent de l’AFPC] a ensuite abandonné le cas devant l’arbitre de grief et avant que des arguments aient pu être avancés à l’égard desdits griefs.

À la suite de sa rencontre seul à seul avec l’avocat du CT, [l’agent de l’AFPC] est revenu à la salle d’audience et il nous a fait face, à Denise Camus et à moi, en disant : « Je n’ai pas d’arguments à l’appui des griefs et le seul recours que je pourrais avoir serait de faire entendre mon cas au niveau des droits de la personne. » Il a ensuite expliqué comment fonctionnerait une audience relative aux droits de la personne […], à savoir que nous serions tous assis dans une salle de réunion pour discuter des griefs. Il m’a encouragée à suivre cette voie et il m’a dit que cela fonctionnerait très bien que mon cas serait instruit adéquatement par la CCDP.

La CCDP a ensuite rejeté notre demande puisque [l’agent de l’AFPC] avait abandonné les griefs, conformément à ses conseils, et comme [l’agent de l’AFPC] avait abandonné le cas, nous n’avions pas de cause relative aux droits de la personne. Il s’agit d’une injustice flagrante qui prouve que [l’agent de l’AFPC] a été incompétent dans le traitement des griefs du début jusqu’à la fin. Il m’a carrément induite en erreur. Il était un représentant juridique qui aurait dû être plus averti. Un représentant juridique ne savait‑il pas que la CCDP n’entendrait pas mon cas, compte tenu du fait qu’il avait abandonné les griefs avant qu’ils n’aient pu faire l’objet d’un arbitrage? [L’agent de l’AFPC] ne savait‑il pas que le processus est tel qu’une audience complète des griefs doit avoir lieu en présence d’un arbitre de grief avant tout dernier recours auprès de la CCDP? [L’agent de l’AFPC] n’a pas expliqué pourquoi il abandonnait l’affaire, hormis le fait qu’il semblait craindre l’avocat du CT et qu’il m’a dit qu’il n’obtiendrait rien d’autre que ce qu’ils avaient offert (un téléphone pour malentendants au coût de 125 $). Je me suis donc retrouvée face à un défaut de représentation équitable (devoir de représentation) et j’ai été erronément amenée à croire que ce que [l’agent de l’AFPC] disait était juste et que j’obtiendrais un recours équitable auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. Plus de temps gaspillé, plus de complications, plus d’anxiété et des griefs abandonnés.

[L’agent de l’AFPC] a fait preuve d’une grande ignorance et/ou il a carrément traité mon dossier de manière frauduleuse, notamment en falsifiant les renseignements qu’il m’a transmis – à savoir que j’obtiendrais un recours auprès de la CCDP alors que ce n’était pas le cas.

Par ailleurs, [l’agent de l’AFPC] avait très mauvais caractère. Alors que nous avions une séance de remue‑méninges environ une semaine avant l’audience, il s’est beaucoup fâché contre moi parce que je posais des questions. Étant donné que [l’agent de l’AFPC] savait que je souffrais d’un trouble anxieux, on se serait attendu à un peu plus de considération et de sensibilité. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un comportement inacceptable de la part d’un soi‑disant professionnel embauché pour représenter légalement les griefs d’une employée. [L’agent de l’AFPC] s’est fâché à un point tel qu’il m’a effrayée. Sa réponse a été la suivante : *Je suis comme ça*. Même sa tenue à l’audience d’arbitrage était douteuse. Il portait une cravate tape‑à‑l’œil, ornée d’un Donald Duck jaune au large sourire, ainsi qu’une chemise et un pantalon décontractés. À tous égards, il n’est pas professionnel. Ce type est un imbécile et un imposteur. Il ne s’agit pas d’une personne qui est en mesure de prendre son travail au sérieux et qui se conduit de manière professionnelle compte tenu de ses fonctions de représentation. Gardez à l’esprit que j’ai un témoin de tout cela (Denise Camus), car je me suis assurée d’avoir auprès de moi une personne qui connaissait très bien la nature de mes griefs.

J’ai déposé ma plainte à l’AFPC, et peu de temps après, j’ai appris que [l’agent de l’AFPC] avait été congédié pour s’être montré incompétent et ne pas avoir rempli ses fonctions. Cela confirmait ce que je savais depuis le début; il m’a fait subir une grande injustice et il n’a pas fait ce pour quoi il avait été embauché. [L’agent de l’AFPC] est un imposteur et je remets en question ses titres de compétence. C’était une perte de temps totale, une perte de ressources totale. Il s’agissait d’incompétence de fraude à tous égards sur le plan de la représentation juridique. Il a mérité ce qui lui est arrivé […] être congédié.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[15] Le 18 mars 2014, la plaignante a également fourni le résumé chronologique suivant des faits pertinents et des circonstances à l’appui de sa plainte :

[Traduction]

[…]

Après avoir passé huit ans à attendre une date d’arbitrage pour faire entendre des griefs remontant à 2006 et 2007, [l’agent de l’AFPC], l’avocat de l’AFPC, devait me représenter. La date de l’arbitrage était fixée en octobre 2012, et toutes les parties étaient présentes, y compris Denise Camus, ma représentante syndicale.

Avant même que l’audience ait commencé, [l’agent de l’AFPC] a déclaré qu’il souhaitait tenter de régler les griefs avec les avocats du CT. De 9 h à midi, il a été en réunion à huis clos (sans que ma représentante syndicale et moi ne soyons présentes). À midi, [l’agent de l’AFPC] m’a avisée qu’il serait préférable de ne pas faire instruire les griefs dans le cadre d’un arbitrage, mais de les porter devant la CCDP. Il a affirmé que j’aurais plus de chance d’obtenir gain de cause auprès de la CCDP. Il a ajouté que le processus judiciaire de la CCDP était moins informel et qu’il avait le sentiment que c’était la meilleure façon de faire.

J’ai été surprise et j’ai demandé à Denise Camus si c’était vrai (que nous pouvions délaisser l’arbitrage et aller directement à la CCDP). Mme Camus n’avait rien à dire.

Les avocats du CT n’ont pas réglé les griefs hors cour et ils ont seulement offert de me fournir un système téléphonique spécial pour les malentendants. Je ne crois pas qu’il s’agissait pour [l’agent de l’AFPC] d’un motif valable pour aller de l’avant et annuler l’arbitrage. J’étais d’avis que l’arbitrage devait procéder comme prévu, mais [l’agent de l’AFPC] pensait le contraire.

[L’agent de l’AFPC] a aussi mentionné qu’il avait déjà eu affaire au juge qui présidait et à l’avocat du CT et qu’il estimait qu’ils « employaient les grands moyens et se montraient difficiles ». Je présume qu’il s’agissait d’un autre motif pour me conseiller de porter mes griefs devant la CCDP au lieu de poursuivre l’arbitrage. [L’agent de l’AFPC] a aussi mentionné que la semaine qui était déjà réservée pour les audiences d’arbitrage ne suffisait pas, et qu’il avait l’impression que nous aurions besoin d’une semaine supplémentaire.

J’ai été très déçue de la conduite de [l’agent de l’AFPC] et de sa décision, mais comme il était mon avocat, j’ai pensé que ce qu’il disait était juste. Par ailleurs, comme Denise Camus, la présidente de ma section locale de l’AFPC, n’a pas commenté ce que [l’agent de l’AFPC] disait, j’ai été laissée à moi‑même pour décider. Nous sommes retournés devant le tribunal et [l’agent de l’AFPC] a dit au juge qui présidait que nous allions fermer le dossier.

À la suite de cela, les deux griefs ont été renvoyés à l’AFPC, où une autre personne, Jean Rodrigue [Yaboua], a repris mon dossier. Jean a communiqué avec moi à plusieurs reprises et il m’a demandé pourquoi [l’agent de l’AFPC] avait choisi d’annuler les griefs. Je n’ai pas cessé de répéter à Jean qu’il ferait mieux de demander ces renseignements directement à [l’agent de l’AFPC], étant donné qu’il s’agissait de sa décision. Malgré cela, Jean s’est adressé à moi à maintes reprises pour me poser des questions auxquelles, à mon avis, [l’agent de l’AFPC] devait répondre aussi. Jean m’a donné l’impression que le processus consistant à porter ces griefs à la CCDP était la bonne façon de procéder, mais que Jean avait des questions qui étaient sans réponse et que je n’étais assurément pas la meilleure personne pour lui en parler. Il ne s’agissait pas de ma décision, mais de celle de mon avocat, [l’agent de l’AFPC]. Je n’arrivais pas à comprendre pourquoi Jean continuait de me poser des questions auxquelles, selon moi, seul [l’agent de l’AFPC] pouvait répondre.

Le 5 février 2014, j’ai reçu la lettre de la CCDP datée du 27 janvier 2014 qui m’annonçait que le dossier était maintenant fermé conformément à l’article 41.

C’est à ce moment‑là que j’ai eu le sentiment que toutes les procédures impliquant l’AFPC étaient erronées au départ. J’ai eu le sentiment que [l’agent de l’AFPC] aurait dû savoir que tous les griefs doivent être renvoyés à l’arbitrage avant d’être renvoyés à la CCDP. Je me suis alors rendu compte que la CCDP accepterait de traiter un grief seulement après que la procédure d’arbitrage a pris fin et qu’elle a échoué.

Témoin principal : Denise Camus, présidente de la section locale de l’AFPC

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[16] La plaignante a expliqué en ces termes les raisons pour lesquelles elle a allégué que la conduite de la défenderesse avait été arbitraire :

[Traduction]

[…]

Je crois que [l’agent de l’AFPC] a agi de manière arbitraire et de mauvaise foi à l’égard de mes droits en vertu de la convention collective, parce que je crois que [l’agent de l’AFPC] a traité mes griefs avec négligence avant la procédure d’arbitrage, juste avant l’audience elle-même. Il aurait dû savoir que les étapes appropriées consistent à passer par la procédure d’arbitrage (le tribunal) et que c’est seulement lorsque ce processus a été suivi et que, conséquemment, il a échoué, que nous pouvons renvoyer toute l’affaire à la CCDP. Essentiellement, j’ai le sentiment que [l’agent de l’AFPC] n’est pas parvenu à un jugement mûrement réfléchi et qu’il ne s’est pas soucié de mes intérêts. Connaissant l’enchaînement des faits et ce qui m’a amenée à déposer la présente plainte, je pense que [l’agent de l’AFPC] était peut‑être paresseux et que, par ailleurs, il ne souhaitait pas avoir affaire au juge qui présidait et à l’avocat du CT, au sujet desquels il a affirmé qu’ils « employaient les grands moyens et se montraient difficiles ».

[…]

 

[17] La plaignante a expliqué en ces termes les raisons pour lesquelles elle a allégué que la conduite de la défenderesse avait été entachée de mauvaise foi :

[Traduction]

[]

Je crois que [l’agent de l’AFPC], l’avocat de l’AFPC, a agi de manière trompeuse et malhonnête.

[L’agent de l’AFPC] n’a pas été honnête en prenant la décision d’annuler l’arbitrage en faveur du renvoi des griefs à la CCDP, et il m’a induite en erreur lorsqu’il a conseillé d’abandonner le renvoi des griefs à l’arbitrage pour privilégier le renvoi des griefs en question directement à la CCDP. [L’agent de l’AFPC] est un avocat, et il aurait dû savoir que ce n’était la bonne façon de procéder.

[L’agent de l’AFPC] est mon avocat, et je m’attends à ce qu’il connaisse l’ensemble des règles et des règlements qui régissent le processus. Je lui faisais confiance et je pensais qu’il faisait ce qu’il fallait et qu’il suivait les procédures adéquates. Ce qu’il a fait est très blessant.

J’ai attendu très longtemps avant d’obtenir une date d’arbitrage (huit ans), seulement pour faire perdre le temps de tout le monde en renvoyant la présente affaire à la CCDP avant que les griefs aient pu être entendus à l’arbitrage et qu’une décision ait pu être rendue.

 

[18] Le 25 mars 2014, la plaignante a écrit à la Commission, en indiquant qu’elle souhaitait ajouter les précisions suivantes :

[Traduction]

[…]

La plainte déposée à la CRTFP contre [l’agent de l’AFPC] est liée à une audience des griefs déposés en 2006 et 2007, que [l’agent de l’AFPC] a décidé d’annuler le jour même de l’audience d’arbitrage fixée en octobre 20112 [sic].

J’ai aussi d’autres griefs remontant à 2008 qui n’ont pas encore été entendus dans le cadre d’un arbitrage.

La lettre et le rapport de la Commission canadienne des droits de la personne, qui portent la date du 27 janvier 2014, mais qui ont été reçus le 4 février 2014, indiquent que « le dossier concernant cette affaire est maintenant fermé et la plainte ne sera pas traitée pour le moment ». Il est également indiqué que « l’une ou l’autre partie à une plainte peut demander à la Cour fédérale d’examiner une décision de la Commission en vertu du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales ».

De plus, dans le compte rendu de décision de la CCDP en vertu des articles 40/41, qui était joint à sa lettre du 27 janvier 2014, celle‑ci indique ce qui suit au titre du paragraphe 41(1) : « La Commission a décidé, pour les motifs énoncés ci‑dessous, de ne pas traiter la plainte en vertu de l’alinéa 41(1)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne pour le moment, puisque la plaignante devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts ».

Sous le titre Motifs de décision, la CCDP indique ce qui suit : « La Commission adopte la conclusion suivante énoncée dans le compte rendu en vertu des articles 40/41 : Même si la procédure de règlement des griefs n’est plus possible à l’égard des allégations présentées de 2006 à 2007, comme le grief semble avoir été réglé, les griefs en cours semblent viser les mêmes questions que celles contestées par la plaignante depuis 2006, et par conséquent, celle‑ci devrait d’abord épuiser la procédure de règlement des griefs. Si ses préoccupations en matière de droits de la personne ne sont pas abordées en vertu de la LRTFP, en ce cas la plaignante peut réactiver sa plainte présentée à la Commission ».

Voici mes réflexions sur la situation. J’avais le droit de faire entendre mes griefs déposés en 2006‑2007 lors de l’audience d’arbitrage d’octobre 2012, mais [l’agent de l’AFPC], l’avocat de l’AFPC, m’a suggéré de m’adresser plutôt à la CCDP. De plus, il a fallu attendre six années complètes avant qu’une date d’arbitrage ne soit fixée pour les griefs susmentionnés, et cela après l’annulation à la dernière minute de nombreuses dates d’arbitrage prévues antérieurement. J’ai dû écrire au président de la CRTFP afin d’accélérer l’obtention d’une date d’arbitrage sans qu’elle ne soit annulée. J’en avais assez d’attendre. [L’agent de l’AFPC] a ensuite décidé d’annuler l’audience d’arbitrage pour les motifs précisés dans la lettre que je vous ai envoyée antérieurement.

Si nous attendons jusqu’à l’instruction des griefs remontant à 2008, qui sont déjà en attente depuis six ans, et qu’une autre période probable de six ans d’attente avant d’obtenir une date d’arbitrage ne soit écoulée, rien ne garantit que je pourrai réclamer, à l’égard des griefs déposés en 2006 et 2007, une décision qui aurait été rendue à l’audience fixée à la date d’arbitrage initiale. Cela veut dire que ma cause remontant à 2006 et 2007 sera encore plus retardée, ainsi que beaucoup d’autres arguments soulevés en cours de route.

Le fait est que j’avais le droit de faire entendre mes griefs déposés en 2006 et 2007 le jour où cet arbitrage était prévu. J’ai perdu ce droit. Non seulement j’ai perdu cela, mais j’ai aussi perdu la cause possible qui aurait pu être corroborée.

Je suis actuellement à la retraite pour raisons médicales, et si vous en tenez compte en y ajoutant mon âge, je n’ai plus la force de passer au travers une autre argumentation possible au sujet de l’audience relative à la période de 2006 – 2007. De plus, les griefs déposés en 2006 et 2007 sont antérieurs à celui déposé en 2008. Si le grief déposé en 2008 est justifié lorsqu’il sera entendu devant les tribunaux, rien ne garantit que les griefs déposés en 2006 et 2007 pourront y être combinés. Je suis certaine que l’employeur fera valoir son point de vue. En plus, je perdrais les frais et recouvrements que je cherchais à obtenir en 2006 et 2007.

J’espère que vous pouvez comprendre mes préoccupations à cet égard. Encore une fois, le fait est que j’avais le droit de faire entendre mes griefs déposés en 2006 et 2007 le jour de l’arbitrage et que j’ai été dépouillée de ce droit.

[…]

 

[19] Enfin, le 31 mars 2014, la plaignante a écrit à la Commission en joignant la déclaration suivante au sujet de sa plainte :

[Traduction]

[…]

[L’agent de l’AFPC] n’a pas respecté la réglementation adéquate à l’égard de la procédure d’arbitrage. J’ai le droit de faire entendre mes griefs. On m’a dit que la CCDP était la voie appropriée à suivre. Cela était faux et la représentation a été inéquitable, puisque l’affirmation n’était pas vraie. J’ai été faussement représentée. [L’agent de l’AFPC] est un imposteur.

J’ai droit à mon audience équitable et à une indemnisation pour les pertes, les frais et les recouvrements. […]

[…]

 

[20] En guise de mesure corrective, la plaignante demande que la défenderesse [traduction] « suive la procédure appropriée » et qu’une ordonnance soit rendue à cet effet en vertu de l’alinéa 192(1)d) de la Loi.

III. La chronologie des événements pertinente à l’objection préliminaire

[21] La plainte que la Commission a reçue le 18 février 2014 a initialement été mise en suspens, en attendant le règlement des autres dossiers de grief impliquant la plaignante. Le 30 août 2021, après que les autres affaires ont été réglées, la plainte a été mise au rôle du 30 novembre au 2 décembre 2021.

[22] Les parties ont demandé que la Commission rende une décision sur la base d’arguments écrits, sans tenir d’audience. La défenderesse a présenté des arguments écrits le 12 novembre 2021, et la plaignante, les 16 novembre et 13 décembre 2021. Les deux parties ont joint de nombreux documents à l’appui de leurs arguments.

[23] Ce qui suit est un examen chronologique des faits tels qu’ils sont décrits dans les documents qui sont pertinents à l’objection préliminaire. Il est à noter que la plaignante était soit autrice ou destinataire des documents, ou qu’elle en avait reçu une copie.

[24] Le 6 novembre 2012, la plaignante a écrit à la CCDP pour demander que sa plainte relative aux droits de la personne soit rouverte (pièce 6A de la plaignante).

[25] Le 22 novembre 2012, la CCDP a répondu à la plaignante, en lui demandant de remplir un formulaire de plainte pour le 31 décembre 2012 (pièce 6 de la plaignante).

[26] Le 3 décembre 2012, Jean-Rodrigue Yoboua, un nouveau représentant de l’AFPC, a repris le dossier de la plaignante et a écrit à la CCDP. Il a expliqué que le retrait du grief de la plaignante n’était pas imputable à celle‑ci (pièce 5 de la plaignante) :

[Traduction]

[…]

La lettre qui suit fait suite à notre conversation téléphonique du 20 novembre 2012 au cours de laquelle nous avons demandé à la plaignante d’expliquer les circonstances entourant le retrait de son grief de discrimination.

Le 22 octobre 2012, la plaignante a été avisée par le syndicat qu’elle devait retirer son grief et que le syndicat avait l’intention de le faire si elle n’acceptait pas de le retirer.

L’article 42 de la Loi canadienne sur les droits de la personne indique ce qui suit :

42. (1) Sous réserve du paragraphe (2), la Commission motive par écrit sa décision auprès du plaignant dans les cas où elle décide que la plainte est irrecevable.

(2) Avant de décider qu’une plainte est irrecevable pour le motif que les recours ou procédures mentionnés à l’alinéa 41a) n’ont pas été épuisés, la Commission s’assure que le défaut est exclusivement imputable au plaignant.

Comme il est indiqué au paragraphe 42(2), le retrait du grief de Mme Besner n’interdit pas d’enquêter sur sa plainte parce que le défaut d’épuiser la procédure de règlement des griefs ne lui était pas imputable.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[27] Le 31 janvier 2013, la CCDP a écrit à l’employeur afin de l’aviser du dépôt de la plainte (pièce 16 de la plaignante) et du fait qu’elle avait l’intention de la traiter. Elle a avisé l’employeur de son droit de contester la plainte en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6; la « LCDP »). En vertu de ce paragraphe, la CCDP peut refuser de traiter une plainte si, entre autres motifs, il est possible d’avoir recours à une autre procédure telle qu’une procédure de règlement des griefs ou une procédure d’appel (voir l’alinéa 41(1)a)).

[28] Le 14 mars 2013, l’employeur a écrit à la CCDP pour faire part de son objection à la plainte en vertu de l’alinéa 41(1)a). Il soutenait que la CCDP devait refuser de traiter la plainte puisqu’il existait une autre procédure de traitement des plaintes ou d’appel à laquelle il était possible de recourir, plus particulièrement la procédure de règlement des griefs en vertu de la convention collective pertinente (pièce 13 de la plaignante) :

[Traduction]

[…]

Nous sommes d’avis que la procédure appropriée pour traiter cette plainte relève de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), comme le prescrivent les articles 208 à 214. Comme il est indiqué, les employés à titre individuel peuvent présenter des griefs concernant des affaires qui touchent aux conditions d’emploi, y compris des préoccupations liées aux droits de la personne telles que le traitement différent préjudiciable, le défaut de prendre une mesure d’adaptation, le harcèlement lié à un motif de distinction illicite, ou tout autre cas soulevant une contravention alléguée à une disposition de la Loi.

La procédure de règlement des griefs s’offre à la plaignante conformément à l’article 18.15 de la convention collective du groupe Services des programmes et de l’administration (PA). L’employée s’est prévalue de ce mécanisme de recours.

Comme il est indiqué dans le résumé de la plainte, la discrimination dont Mme Besner aurait fait l’objet a eu lieu entre septembre 2005 et 2008. La plaignante avait déposé quatre griefs différents concernant des allégations similaires :

· Le premier grief a été déposé le 7 décembre 2006, et le deuxième le 14 mai 2007. Après avoir épuisé la procédure de règlement des griefs au sein du ministère, Mme Besner et l’Alliance de la Fonction publique du Canada ont renvoyé les griefs à l’arbitrage conformément aux dispositions de la LRTFP. L’arbitrage devait se dérouler du 22 au 26 octobre 2012. Cependant, ces griefs ont été retirés devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique le premier jour de l’audience d’arbitrage.

· Le troisième grief a été déposé le 20 juin 2008, et le quatrième grief le 9 juillet 2008. Ils demeurent tous deux en cours suivant la procédure de règlement des griefs décrite dans la convention collective du groupe PA.

En conclusion, le ministère recommande à la Commission de ne pas traiter la plainte en vertu de l’alinéa 41(1)a) de la Loi parce que la plaignante dispose de la procédure de règlement des griefs pour aborder ses allégations de discrimination.

[…]

 

[29] Le 9 avril 2013, la CCDP a écrit à la plaignante en réponse à sa lettre du 31 mars 2013 (aucune copie n’a été fournie à la Commission). La CCDP a avisé que la plainte serait présentée à la Commission, qui déciderait si elle devait refuser de la traiter au motif que la plaignante n’avait pas épuisé les procédures possibles de règlement des griefs et d’appel. La CCDP invitait aussi la plaignante à lui faire part de sa position sur la question (pièce 7 de la plaignante) :

[Traduction]

[…]

En vertu des articles 40 et 41 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi), la Commission peut refuser de traiter des plaintes dans certaines circonstances. La plainte susmentionnée soulève des questions en vertu de l’alinéa 41(1)a) de la Loi. La plainte sera donc présentée à la Commission. Celle‑ci décidera si elle doit la traiter. Plus particulièrement, la Commission décidera si elle doit refuser de traiter la plainte pour le motif suivant :

· la plaignante n’a pas épuisé toutes les procédures possibles, celle de règlement des griefs et d’autres procédures d’appel;

Avant de présenter la plainte à la Commission, je vous invite à faire part de votre position sur les questions à trancher […]

[…]

 

[30] Le 31 mai 2013, M. Yoboua a répondu à cette lettre au nom de la plaignante (pièce 1A de la plaignante). Il a expliqué qu’en ce qui concernait les griefs déposés par la plaignante en 2006 et 2007, il n’existait aucune autre procédure d’appel, puisque ces griefs avaient été retirés. À ce titre, la seule option qui s’offrait à la plaignante était de présenter la plainte à la CCDP :

[Traduction]

[…]

La présente lettre donne suite à votre lettre portant sur les articles 40/41, en date du 9 avril 2013, dans laquelle vous demandiez si une autre procédure de plainte était ouverte à Mme Besner. Celle‑ci a déposé plusieurs griefs contre Développement des ressources humaines Canada (ci‑après appelé le « défendeur »).

En 2006 et 2007, Mme Besner a déposé deux griefs, qui ont tous deux été déposés en vertu de l’article 19 de la convention collective du groupe Services des programmes et de l’administration, qui indique ce qui suit :

Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un employé-e du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine nationale ou ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, son identité sexuelle et l’expression de celle-ci, sa situation familiale, son état matrimonial, son incapacité mentale ou physique, son adhésion à l’Alliance ou son activité dans celle-ci ou une condamnation pour laquelle l’employé-e a été gracié.

Le 22 octobre 2012, l’AFPC a retiré sa représentation à l’égard des griefs déposés en 2006 et 2007. Comme ces griefs portaient sur l’interprétation d’une question liée à la convention collective, la plaignante ne pouvait pas traiter ces griefs elle‑même. Après le retrait des griefs, Mme Besner a décidé de poursuivre elle‑même sa plainte relative aux droits de la personne et elle a déposé une plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne.

En 2008, Mme Besner a déposé d’autres griefs liés à l’article 19 de la convention collective. Ces griefs demeurent en cours à divers paliers de la procédure de règlement de griefs et aucune décision n’a été prise quant à savoir s’ils seront soumis à la procédure d’arbitrage.

En 2012, Mme Besner a déposé trois griefs de plus. Même si ces trois griefs portent sur une contravention à l’article 19, ils reposent sur un ensemble de faits qui diffèrent de ceux des griefs précédents. Ils portent sur des faits qui sont survenus en 2012, bien après le dépôt des griefs de Mme Besner en 2008. La plaignante y allègue principalement la discrimination dans le cadre du [traduction] « Processus de sélection, de maintien en poste et de mise en disponibilité des employés » ainsi que le défaut de prendre une mesure d’adaptation à son égard en lui fournissant un ordinateur de travail, une imprimante et un compte de messagerie vocale fonctionnel. Dans un des griefs, Mme Besner allègue aussi la discrimination pour ne pas avoir touché une rémunération d’intérim. Ces griefs demeurent en cours à divers paliers de la procédure de règlement de griefs et aucune décision n’a été prise quant à savoir s’ils seront soumis à la procédure d’arbitrage. Mme Besner a l’intention de déposer une plainte relative aux droits de la personne en ce qui concerne ces allégations.

a) Y a-t‑il une autre procédure de traitement des plaintes ou d’appel qui s’offre à la plaignante? Celle‑ci a‑t‑elle pleinement accès à la procédure?

Actuellement, il n’y a aucune autre procédure d’appel ouverte à Mme Besner en ce qui concerne les infractions à la Loi alléguées en 2006‑2007, parce que les griefs déposés en 2006‑2007 ont été retirés. À ce titre, la seule option qui s’offre à Mme Besner est la présente plainte. Il convient également de souligner que les griefs qui ont été déposés en 2012 ne sont pas devant la Commission présentement et qu’ils feront l’objet d’une prochaine plainte relative aux droits de la personne.

En outre, aucun des griefs qui font l’objet de la procédure de règlement des griefs ne peut donner lieu à des mesures correctives rétroactivement à la date des infractions à la Loi commises en 2006‑2007. À ce titre, le seul recours de Mme Besner est d’aborder ces questions dans la présente plainte.

b) Si une autre procédure de traitement des plaintes ou d’appel est possible, a‑t‑elle eu pour résultat une décision finale? Si aucune décision finale n’a été rendue, la plaignante est‑elle responsable du retard?

La procédure de règlement des griefs qui devait être renvoyée à l’arbitrage en octobre 2012 a été retirée. À ce titre, la procédure de règlement des griefs est terminée et aucune autre procédure n’est ouverte à Mme Besner en ce qui concerne les infractions à la Loi commises en 2006-2007. En outre, le retrait du grief n’était pas imputable à Mme Besner.

c) La plaignante devrait‑elle être priée de suivre une autre procédure d’appel?

Aucune autre procédure de traitement des plaintes ou d’appel n’est ouverte à Mme Besner. Celle‑ci a attendu plus de six ans avant que sa plainte ne puisse être entendue et aucun autre recours ne s’offre à elle en ce qui concerne les infractions à la Loi commises en 2006‑2007.

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[31] Le 1er octobre 2013, la CCDP a écrit à la plaignante afin de lui fournir une copie du rapport établi en vertu de l’article 41, dont la Commission tiendrait compte au moment de décider si elle devait refuser de traiter sa plainte (pièce 4 de la défenderesse). La lettre indique ce qui suit :

[Traduction]

[…]

La présente fait suite à notre lettre du 9 avril 2013 concernant votre plainte contre Ressources humaines et Développement des compétences Canada.

Voici une copie du rapport établi en vertu de l’article 41 qui a été rédigé à l’égard de cette plainte. La Commission tiendra compte de ce rapport lorsqu’elle examinera votre plainte et qu’elle rendra sa décision.

Veuillez lire ce rapport attentivement. Si vous n’êtes pas d’accord avec les renseignements qu’il renferme, il est important que vous y rétorquiez.

[…]

 

[32] Le rapport joint concluait que même si la procédure de règlement des griefs n’était plus ouverte en ce qui concernait les allégations faites de 2006 à 2007, il y avait des griefs en cours qui semblaient porter sur les mêmes questions. Par conséquent, il était recommandé à la CCDP de ne pas traiter la plainte pour le moment, et la plaignante devait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui étaient normalement ouverts. Cependant, si ces procédures étaient achevées ou qu’elles n’étaient pas normalement ouvertes, la CCDP avisait qu’elle conservait le pouvoir discrétionnaire de traiter la plainte à la demande de la plaignante :

[Traduction]

[…]

La question que la Commission doit trancher est celle de savoir si elle doit refuser de traiter la plainte en vertu de l’alinéa 41(1)a) de la Loi.

La Commission peut prendre l’une des décisions suivantes :

a) Traiter la plainte en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, ou

b) Ne pas traiter pour le moment la plainte en vertu de l’alinéa 41(1)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, puisque la plaignante devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts. À la fin de la procédure d’appel ou de règlement des griefs, la plaignante peut demander à la Commission de réactiver la plainte.

[…]

Facteurs pertinents à une décision en vertu de l’alinéa 41(1)a)

[…]

Cela veut dire que la Commission peut décider de ne pas traiter une plainte en vertu de l’alinéa 41(1)a) de la Loi si elle estime que la plaignante a choisi de ne pas suivre une autre procédure qui lui était normalement ouverte. Par conséquent, il est important que les plaignants aient recours à toutes les procédures de traitement des plaintes ou de règlement des griefs qui leur sont ouvertes et qu’ils s’efforcent d’obtenir une décision finale dans le cadre de cette procédure. Autrement, la Commission pourrait refuser de traiter leur plainte.

[…]

Analyse

[…]

24. Même si le syndicat a retiré deux griefs déposés par la plaignante, il semble qu’il y ait quatre griefs en suspens à l’égard desquels aucune décision finale n’a été rendue. À ce titre, il semble que la plaignante n’a pas épuisé les autres voies de recours.

25. Les griefs en suspens semblent porter sur les mêmes allégations de harcèlement. La procédure de règlement des griefs semble être encore aisément accessible pour la plaignante, et celle‑ci n’a pas démontré l’existence d’un motif justifiant de ne pas épuiser d’abord cette procédure. Les griefs de la plaignante pourraient être traités en vertu de la LRTFP et, à la fin, par la CRTFP. Les mesures de réparation que la Commission pourrait offrir seraient similaires à celles prévues par la CRTFP.

Conclusion

26. Même si la procédure de règlement des griefs n’est plus ouverte en ce qui concerne les allégations faites de 2006 à 2007, puisqu’il semble que le grief a été conclu, les griefs en cours semblent porter sur les mêmes questions que la plaignante conteste depuis 2006 et, par conséquent, celle‑ci devrait d’abord épuiser la procédure de règlement des griefs. Si les préoccupations de la plaignante en matière de droits de la personne ne sont pas réglées en vertu de la LRTFP, en ce cas la plaignante peut réactiver sa plainte à la Commission.

Recommandation

27. Il est recommandé à la Commission, conformément à l’alinéa 41(1)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de ne pas traiter la plainte pour le moment pour la raison suivante :

· La plaignante devrait épuiser les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont par ailleurs ouvertes. Au terme de ces procédures, ou s’il s’avère que celles‑ci ne sont pas normalement ouvertes, la Commission peut exercer son pouvoir discrétionnaire de traiter la demande de la plaignante.

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[33] Le 4 novembre 2013, M. Yoboua a écrit à la CCDP au nom de la plaignante afin de s’opposer à la conclusion et à la recommandation présentées dans le rapport établi en vertu de l’article 41 (pièce 9 de la plaignante). La lettre indique ce qui suit :

[Traduction]

[…]

La présente lettre est une réponse au rapport établi en vertu des articles 40/41 daté du 1er octobre 2013. Nous exprimons respectueusement notre désaccord avec les conclusions du rapport selon lesquelles Mme Besner devrait suivre la procédure de règlement des griefs relativement à ses allégations et griefs déposés en 2006 -2007. Le rapport conclut avec justesse qu’aucun recours n’est ouvert à Mme Besner en ce qui concerne ses allégations et griefs déposés en 2006‑2007, mais que ces allégations devraient être mises en suspens en attendant l’issue des griefs déposés en 2008 avant de faire l’objet d’une enquête.

Dans le deuxième paragraphe du rapport, l’enquêteur indique que Mme Besner est retournée à la Commission malgré le fait que la procédure de règlement des griefs n’ait pas été menée à son terme. Cette conclusion n’est pas entièrement exacte, puisque Mme Besner n’a plus de recours par voie de grief à l’égard des allégations et griefs déposés en 2006‑2007 et des faits qui les entourent. À ce titre, le retour à la Commission était la mesure qu’il convenait de prendre dans les présentes circonstances.

Une audience devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique ne peut pas remédier aux allégations présentées en 2006‑2007. Même si Mme Besner obtient certaines réparations à l’égard des griefs déposés en 2008, un arbitre de grief n’aurait pas le pouvoir d’accorder des réparations pour les griefs déposés en 2006‑2007. À ce titre, pour Mme Besner, le report de l’enquête sur ces procédures ne fera que retarder la possibilité que cette partie de sa plainte soit examinée par la Commission. Mme Besner attend depuis 2006 de pouvoir obtenir une réparation, et le renvoi de la plainte à la procédure de règlement des griefs signifierait que cela prendrait encore plusieurs années avant que les griefs de Mme Besner puissent être entendus.

En outre, selon l’alinéa 41(1)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, il ne peut y avoir de renvoi de l’affaire lorsqu’une procédure de règlement des griefs est normalement ouverte. Étant donné qu’aucune procédure de règlement des griefs n’est ouverte en ce qui concerne les allégations et griefs déposés en 2006‑2007, nous soutenons respectueusement que les allégations déposées en 2006‑2007 devraient faire l’objet d’une enquête.

[…]

 

[34] Le 4 novembre 2013, l’employeur a aussi écrit à la CCDP, en réponse au rapport établi en vertu de l’article 41, afin d’exprimer son accord avec sa recommandation (pièce 15A de la plaignante) :

[Traduction]

[…]

La présente donne suite à votre lettre du 1er octobre 2013 concernant le rapport établi en vertu de l’article 41 qui a été rédigé pour la plainte que Mme Besner a déposée à la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) contre Emploi et Développement social Canada (EDSC) [anciennement appelé Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC)].

Étant donné que Mme Besner a encore quatre (4) griefs en suspens qui remontent à 2008, EDSC souscrit à la recommandation de la Commission, en vertu de l’alinéa 41(1)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de ne pas traiter cette plainte à la CCDP en ce moment. Les allégations de discrimination de Mme Besner peuvent être abordées dans le cadre de la procédure de règlement des griefs, comme il est précisé dans la convention collective du groupe PA.

[…]

 

[35] Le 27 janvier 2014, la CCDP a écrit à la plaignante afin de l’aviser qu’elle avait décidé de ne pas traiter sa plainte pour le moment (pièce 7C de la plaignante). La CCDP avisait aussi la plaignante qu’elle pouvait revenir devant la CCDP après avoir épuisé les autres procédures qui lui étaient ouvertes, si elle estimait que ses préoccupations en matière de droits de la personne n’avaient pas été abordées adéquatement et souhaitait réactiver sa plainte. La communication de la CCDP est ainsi rédigée :

[Traduction]

[…]

Je vous écris afin de vous aviser de la décision prise par la Commission canadienne des droits de la personne à l’égard de votre plainte (20080756) contre Ressources humaines et Développement des compétences Canada.

Avant de rendre la décision, la Commission a examiné le rapport qui vous a été communiqué antérieurement et les arguments déposés en réponse au rapport. Après avoir examiné ces renseignements, la Commission a décidé, conformément à l’alinéa 41(1)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de ne pas traiter la plainte pour le moment.

La décision de la Commission est ci‑jointe.

Par conséquent, le dossier concernant cette affaire est maintenant fermé.

Vous pouvez revenir devant la Commission dans les 30 jours suivant l’achèvement des autres procédures si vous estimez que les questions liées aux droits de la personne n’ont pas été abordées adéquatement et souhaitez que la Commission réactive votre plainte. La Commission vérifiera à ce moment‑là si les autres procédures ont permis de traiter adéquatement les questions liées aux droits de la personne, afin de décider si elle doit traiter la plainte ou non.

[…]

 

IV. Résumé de l’argumentation

A. L’objection préliminaire de la défenderesse

[36] La défenderesse soutient que la plainte est hors délai puisqu’elle n’a pas été présentée dans les 90 jours qui suivaient « […] la date à laquelle [la plaignante] a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu », comme l’exige le paragraphe 190(2) de la Loi.

[37] La défenderesse soutient que pour déterminer la date à laquelle la période de 90 jours a débuté, il faut évaluer la « nature essentielle » de la plainte. Elle invoque Tyler c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2021 CRTESPF 107, au paragraphe 158, où la Commission a affirmé ce qui suit :

[158] Comme la Cour d’appel fédérale l’a affirmé dans Boshra, je dois déterminer la nature essentielle de la plainte. Autrement dit, quels sont les actes que le syndicat a posés ou n’a pas posés qui forment le fondement de ce qui a causé la violation alléguée du devoir de représentation équitable, comme le prétend Mme Tyler?

 

[38] La défenderesse soutient qu’un examen des arguments de la plaignante révèle que la nature essentielle de sa plainte est son insatisfaction à l’égard de l’agent de l’AFPC en 2012. Elle donne les exemples suivants :

a. « L’arbitrage a été annulé par l’avocat de mon syndicat, [l’agent de l’AFPC], avant même que l’arbitre de grief n’ait eu la possibilité d’entendre mon grief » […]

b. « Les avocats du CT n’ont pas réglé les griefs hors cour et ils ont seulement offert de me fournir un système téléphonique spécial pour les malentendants. Je ne crois pas qu’il s’agissait pour [l’agent de l’AFPC] d’un motif valable pour aller de l’avant et annuler l’arbitrage. J’étais d’avis que l’arbitrage devait procéder comme prévu […] » […]

c. « J’ai été très déçue de la conduite de [l’agent de l’AFPC] et de sa décision […] » […]

d. « […] je pense que [l’agent de l’AFPC] était peut‑être paresseux […] » […]

e. « [L’agent de l’AFPC] a abandonné le cas au moment de ce qui était censé être l’audience de grief […] Avant même de comparaître devant le juge chargé de l’audience, il nous a dit, à moi et à Denis [sic] Camus (mon témoin), que je n’avais pas d’arguments […] Pourquoi a‑t‑il abandonné mon cas? » […]

f. « Je maintiens que [l’agent de l’AFPC] a agi de manière malhonnête […] a été incompétent pour traiter mes griefs jusqu’au moment qui était censé être une audience d’arbitrage […] » […]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[39] La défenderesse soutient que ces exemples indiquent clairement que la nature essentielle de la présente plainte porte sur les faits survenus en 2012 qui mettent en cause l’audience et le retrait des griefs de la plaignante. La défenderesse soutient que la plaignante aurait dû présenter sa plainte dans les 90 jours qui suivaient cette date et non 16 mois plus tard.

[40] La défenderesse invoque Nemish c. King, 2020 CRTESPF 76, et Esam c. Alliance de la Fonction publique du Canada (Syndicat des employées et employés nationaux), 2014 CRTFP 90, à l’appui de son argumentation selon laquelle le délai a commencé à s’écouler en 2012, et non en 2014.

[41] En invoquant Boshra c. Association canadienne des employés professionnels, 2011 CAF 98, la défenderesse soutient que la plaignante ne peut pas faire valoir qu’elle attendait que la CCDP rende sa décision pour déposer sa plainte. Elle souligne qu’elle n’a relevé aucune mesure précise que l’AFPC aurait prise après octobre 2012 et dont la plaignante serait insatisfaite.

[42] La défenderesse estime également que la plainte est théorique en raison d’une entente de règlement que la plaignante et son ancien employeur ont conclue en 2017. La défenderesse affirme que cette entente réglait tous les griefs en suspens et les plaintes déposées à la CCDP. La Commission n’en a pas reçu copie.

B. La réplique de la plaignante à l’objection préliminaire

[43] La plaignante se représente elle‑même. Dans une argumentation écrite de 35 pages, elle a répliqué à chacun des arguments de la défenderesse. En conséquence, son argumentation est extrêmement redondante, ce qu’elle a reconnu d’emblée.

[44] Pour tenter de m’assurer que les arguments de la plaignante sont saisis avec exactitude, j’ai décidé de reproduire des extraits de ses arguments qui, à mon avis, reflètent les principaux points pertinents de son argumentation à l’encontre de l’objection préliminaire. Ces extraits sont ainsi rédigés :

[Traduction]

[…]

L’arbitrage des griefs déposés en 2006‑2007 était mis au rôle le 22 octobre 2012. [L’agent de l’AFPC] était mon représentant. Le jour de l’audience relative au grief, [l’agent de l’AFPC] a voulu s’adresser à l’avocat du CT avant l’arbitrage. Il a dit qu’il voulait régler le cas avec le CT dans le cadre de cette rencontre. Je n’ai pas assisté à cette rencontre. Après sa rencontre avec l’avocat du CT, et sans que je sache de quoi ils avaient parlé, [l’agent de l’AFPC] s’est adressé à moi et à Denise Camus, la présidente de la section locale de l’AFPC, et ils nous a assurées, Mme Camus et moi, « que l’issue serait la même sinon meilleure qu’à l’arbitrage » (pièce 10 [en date du 31 décembre 2019]) – en empruntant la voie de la CCDP pour faire entendre les griefs déposés en 2006‑2007 et en combinant les griefs déposés en 2008 et ultérieurement qui n’avaient pas encore été tranchés. Il a dit que j’aurais recours à la CCDP et que celle‑ci tiendrait une médiation informelle. Il m’a encouragée à emprunter cette voie et il m’a dit que cela fonctionnerait très bien. Il a ensuite procédé à l’abandon du cas présenté en 2006-2007 et il a mis fin à l’arbitrage du grief susmentionné. J’ai cru [l’agent de l’AFPC] lorsqu’il m’a dit de passer par la CCDP pour obtenir une meilleure issue, que la CCDP entendrait les griefs déposés en 2006‑2007 parallèlement aux griefs ultérieurs, et qu’en plus, comme il l’a dit, « il y aurait des recours auprès de la CCDP ». [L’agent de l’AFPC] ne m’a jamais fourni le moindre motif afin d’expliquer pourquoi il abandonnait le cas, et comme je n’avais pas assisté à la rencontre entre lui et le CT, je n’en avais aucune idée. Il semblait que passer par la CCDP constituait une solution de rechange à l’arbitrage.

[…] J’ai donc suivi les conseils de [l’agent de l’AFPC]. À aucun moment le jour de l’arbitrage je n’ai pensé que ce que [l’agent de l’AFPC] me disait au sujet de la voie de la CCDP était erroné.

[…]

Quelques jours après que [l’agent de l’AFPC] a mis fin à l’arbitrage susmentionné, j’ai parlé à quelqu’un à l’AFPC qui m’a dit que [l’agent de l’AFPC] avait été congédié. Cette personne a dit que son congédiement était attribuable à son incompétence et au fait qu’il ne s’était pas acquitté de ses obligations. Peu de temps après (environ deux semaines), un autre agent aux griefs et à l’arbitrage de l’AFPC a repris mon dossier. Il s’appelait Jean‑Rodrigue Yoboua.

[…]

[…] Je m’en tiens encore à l’argument du devoir de représentation équitable invoqué en février 2014, au motif que j’ai reçu des conseils faux et inexacts de [l’agent de l’AFPC] en déplaçant toute l’affaire à la CCDP. Il existait une procédure à la CCDP et j’ai dû attendre. J’ai rouvert mon dossier de plainte dans les 30 jours qui ont suivi la date à laquelle [l’agent de l’AFPC] m’a donné les renseignements sur le déplacement de l’affaire à la CCDP, et j’ai donc clairement suivi ses conseils juridiques, en croyant ce qu’il m’avait dit. On ne peut pas me reprocher le fait que cela ait pris plus d’un an après la réouverture de mon dossier de plainte à la CCDP pour obtenir un rapport final. Si j’avais eu le sentiment qu’il était arbitraire de renvoyer l’affaire à la CCDP au moment où [l’agent de l’AFPC] me l’a conseillé, en ce cas j’aurais pu déposer une plainte relative au devoir de représentation équitable à ce moment‑là, mais je n’en savais pas plus, car ce qu’il m’avait dit semblait crédible.

[…]

[…] l’AFPC est responsable des retombées des griefs du 22 octobre 2012 et des décisions que [l’agent de l’AFPC] m’a conseillé de prendre, surtout quand on songe que l’avocat n’a pas été correct, compétent, et qu’en fait, la décision était arbitraire.

La plainte relative au devoir de représentation équitable est légitime et elle a été déposée dans le délai imparti, en fonction du fait que [l’agent de l’AFPC] m’a conseillé de suivre la voie de la CCDP où, m’a‑t‑il assurée, « l’issue serait la même sinon meilleure qu’en passant par l’arbitrage ». À ce titre, tous les arguments fournis par [l’agent de l’AFPC] à l’égard des griefs peuvent constituer un seul argument pour déposer une plainte relative au devoir de représentation équitable. J’ai décidé d’invoquer comme argument le conseil de [l’agent de l’AFPC] de m’adresser à la CCDP, puisque je n’avais aucun motif de déposer une plainte relative au devoir de représentation équitable avant de savoir que ce que [l’agent de l’AFPC] m’avait conseillé était arbitraire […]

[…]

La plainte relative au devoir de représentation équitable ne porte pas sur le retrait des griefs, puisque j’ignorais pourquoi ce retrait avait été fait et que j’ai commencé à réunir tous les éléments en fonction du présent exercice d’examen de l’ensemble des documents. J’étais seulement impliquée dans un accident, incapable de tout comprendre hormis ce que [l’agent de l’AFPC] m’avait dit, soit de présenter ma plainte à la CCDP avec une assurance que « l’issue serait la même sinon meilleure qu’à l’arbitrage ». Cela démontre encore que le devoir de représentation équitable fondé sur le conseil de [l’agent de l’AFPC] de m’adresser à la CCDP est également arbitraire. L’AFPC a eu tort de retirer ces griefs, mais elle a aussi eu tort de fournir des conseils juridiques erronés concernant la CCDP. À partir de là, M. Yoboua a essayé de m’appuyer dans la procédure de la CCDP par suite des conseils inexacts que [l’agent de l’AFPC] m’avait donnés, ce qui démontre encore que M. Yoboua et l’AFPC essayaient d’« atténuer » la difficulté découlant du fait que [l’agent de l’AFPC] avait retiré les griefs et que, peut‑être, ces griefs n’auraient pas dû être retirés d’après les éléments de preuve que je viens tout juste de découvrir en réunissant tous les documents.

Et si, comme l’affirme M. Yoboua, « le retrait n’est pas imputable à la plaignante », en ce cas je ne peux pas être tenue responsable de ne pas avoir présenté une plainte relative au devoir de représentation équitable à l’égard du retrait des griefs, puisque [l’agent de l’AFPC] est coupable sur les deux points.

En rétrospective, si les griefs déposés en 2006‑2007 visent les mêmes questions que les griefs ultérieurs, et comme il s’agissait des premiers griefs d’une série, en ce cas [l’agent de l’AFPC] a eu tort et s’est montré négligent en retirant lesdits griefs. J’avais tout ce qu’il fallait pour répondre aux exigences relatives au dépôt d’un grief en tout premier lieu. J’avais des documents qui indiquaient que j’avais des lettres médicales (d’un psychologue et d’un médecin) qui précisaient mes limites fonctionnelles remontant à 2003 (pièces 17 et 20).

Cela étant dit, on ne peut pas me reprocher de ne pas avoir déposé de plainte relative au devoir de représentation équitable contre [l’agent de l’AFPC] au motif qu’il a retiré lesdits griefs, et ce, pour les raisons suivantes :

1) [L’agent de l’AFPC] ne m’a pas dit pourquoi il retirait les griefs.

2) Il m’a proposé une solution de rechange qui semblait meilleure que l’arbitrage – en me conseillant de passer par la CCDP avec l’assurance que l’issue serait la même sinon meilleure qu’à l’arbitrage.

3) Je n’ai eu connaissance des motifs du retrait des griefs qu’au moment de me préparer au présent exercice, et dans le cadre de cet exercice, j’ai pris connaissance du motif lié à la convention collective pour lequel [l’agent de l’AFPC] a retiré les griefs, alors que pendant tout ce temps je satisfaisais à l’exigence prévue dans la convention collective selon laquelle je devais détenir des lettres médicales indiquant mes limitations à partir de 2003.

4) M. Yoboua, de l’AFPC, reprenait apparemment le dossier de la CCDP qui étaye maintenant ce que [l’agent de l’AFPC] me disait de faire.

[…]

[…] Par conséquent, la plainte relative au devoir de représentation équitable est valide et elle a été déposée dans le délai prévu, en fonction de l’assurance que [l’agent de l’AFPC] m’a donnée. Je n’avais aucun motif de déposer une plainte contre [l’agent de l’AFPC] au moment de l’audience, puisqu’il m’avait assurée d’une issue meilleure en suivant son conseil de passer par la CCDP […]

Confiante du fait que [l’agent de l’AFPC] « m’avait assurée que l’issue serait la même, sinon meilleure qu’en passant par l’arbitrage et que j’aurais des recours », le rapport final de la CCDP m’est parvenu en février 2014. Il est devenu évident que le moment était venu de déposer une plainte relative au devoir de représentation équitable contre [l’agent de l’AFPC]. Je disposais de la période de 90 jours qui est prévue pour le faire. La période de 90 jours pour déposer une plainte relevait de la procédure de la CCDP selon laquelle je devais attendre de recevoir une réponse finale. [L’agent de l’AFPC] a agi de manière arbitraire en me conseillant erronément de passer par la CCDP, par suite de quoi il m’a fait perdre mon temps. Cela étant dit, je n’avais aucune idée que cette décision était erronée au moment où [l’agent de l’AFPC] a retiré lesdits griefs, puisque son conseil de suivre la voie de la CCDP avec l’assurance que j’obtiendrais « une meilleure issue, sinon meilleure qu’à l’arbitrage et que j’aurais des recours » semblait être un conseil honnête. J’avais accordé ma confiance à [l’agent de l’AFPC] à l’époque. [L’agent de l’AFPC] est un agent aux griefs et à l’arbitrage accrédité, et l’on serait porté à croire que tout ce qu’il conseille est juste.

[…]

[L’agent de l’AFPC] est responsable du conseil juridique concernant le recours à la CCDP. Ce n’est qu’après avoir reçu le rapport final de la CCDP transmis par le président intérimaire le 15 janvier 2014, y compris une autre lettre de David Langtry, président intérimaire, en date du 27 janvier 2014 (pièces 7C et 7D), que je me suis rendue compte que j’avais été induite en erreur et que j’avais été faussement représentée par [l’agent de l’AFPC]. Je devais encore passer par la procédure de la CCDP pour savoir si les conseils juridiques de [l’agent de l’AFPC] étaient avisés. Comme c’était [l’agent de l’AFPC] qui avait pris l’initiative de me conseiller de passer par la CCDP pour obtenir la médiation de tous les griefs, en ce cas il y a lieu d’affirmer que [l’agent de l’AFPC] est responsable de ses conseils erronés et du fait que je devais encore attendre le rapport final de la CCDP, puisque je suivais les conseils juridiques de [l’agent de l’AFPC] et qu’il faut accorder le bénéfice du doute, surtout quand on ne sait pas mieux. Ce n’est pas ma faute si la procédure prend autant de temps, comme cela semble être le cas pour toutes les autres voies (l’AFPC, la CRTFP […]) […] La période de 16 mois qui a été nécessaire pour déposer la plainte correspond à ma confiance en ce que [l’agent de l’AFPC] m’avait assuré. Par conséquent, j’ai respecté le délai.

Avant la présentation du rapport du président le 24 janvier 2014, des lettres ont été envoyées à divers représentants officiels tels que celui des Relations de travail, ainsi qu’à Jean-Rodrigues, de l’AFPC (pièces 7A et 7B). Cette lettre indiquait ce qui suit : « La Commission examinera le formulaire de plainte, le rapport, les arguments et les observations sur ces arguments à sa prochaine réunion. Lorsque la Commission aura terminé son examen, elle prendra une décision. Nous vous écrirons à ce moment‑là afin de vous annoncer ce que la Commission aura décidé. » Encore une fois, je suis liée par la période prévue pour le dépôt en raison de la procédure. Le rapport final est le dernier mot. Par conséquent, le dépôt de la plainte relative au devoir de représentation équitable n’est pas hors délai et il se situe dans la période de 90 jours qui suit la date à laquelle j’ai eu connaissance du fait que [l’agent de l’AFPC] m’avait donné des conseils erronés de manière arbitraire. J’ai dû m’assurer que [l’agent de l’AFPC] m’avait représentée faussement et cela est ressorti du rapport final du président […]

[…]

Il n’y a pas de retour possible à la CCDP afin d’épuiser l’autre procédure. La procédure a été tenue en 2017 lorsque les autres griefs ont été soumis à la médiation sans que le soient les griefs déposés en 2006‑2007 qui leur étaient similaires. Ces griefs déposés en 2006‑2007 sont des dossiers fermés, et ils ne peuvent pas être réactivés quelles que soient les circonstances, puisque j’ai épuisé ce que la CCDP demandait. Les réparations rétroactives à ces griefs fermés ne peuvent pas être rétablies, pas même à la CCDP, puisque les préoccupations en matière de droits de la personne ont fait l’objet d’un examen lors de la médiation en 2017 et du règlement des griefs ultérieurs. Cela est clair. Par conséquent, j’ai épuisé tous les autres griefs et il n’est pas possible de retourner devant la CCDP, puisque les autres griefs ont été épuisés et que les griefs déposés en 2006‑2007 qui sont fermés le restent, puisqu’ils sont similaires à ceux qui font l’objet de la médiation, ce qui constitue le fondement de la décision de la CCDP selon laquelle il fallait épuiser les griefs qui étaient similaires. Cela devrait satisfaire la CCDP. Il n’y a rien d’autre que la CCDP puisse faire pour moi, et je savais au moment où j’ai pris ma décision de déposer la plainte relative au devoir de représentation équitable que [l’agent de l’AFPC] m’avait mal conseillée et qu’il aurait dû appliquer sa connaissance de la procédure de la CCDP avant de m’assurer du contraire. [L’agent de l’AFPC] n’a pas examiné le risque que la CCDP pouvait poser du fait que j’avais des griefs similaires qui n’avaient pas encore été entendus. Il a agi de manière arbitraire. Il mérite de faire l’objet de la plainte relative au devoir de représentation équitable.

[…]

Si l’équipe juridique de la CRTFP souhaite voir le protocole d’entente (PE), je peux vous le fournir. La CCDP serait satisfaite d’entendre que les griefs déposés en 2008 et ultérieurement ont été entendus, réglés et médiés, puisqu’ils étaient similaires à ceux déposés en 2006‑2007 et que cela établirait le fait que j’ai épuisé la procédure d’arbitrage à l’égard des griefs déposés en 2008 et ultérieurement. La CCDP serait également satisfaite que les questions liées aux droits de la personne soient visées, puisqu’il s’agit de questions qui auraient été visées dans les griefs déposés en 2006‑2007, étant donné qu’ils sont similaires aux griefs ultérieurs. Les griefs déposés en 2006‑2007 demeurent des dossiers de grief fermés quelles que soient les circonstances, et aucune réparation ne peut être obtenue rétroactivement. Il n’existe aucun recours à l’égard des griefs déposés en 2006‑2007 qui sont perdus.

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[45] La plaignante soutient aussi que le délai ne devrait pas s’appliquer à son cas, pour des raisons médicales. Elle affirme ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Quelques jours avant ou après l’arbitrage prévu le 22 octobre 2012, lors d’un accident où un véhicule a embouti l’arrière de ma voiture, je me suis frappé la tête contre le volant et j’ai reçu un coup de fouet cervical. Je n’ai pas tardé à avoir de la difficulté à travailler ou à me concentrer, puisque j’ai subi une légère commotion cérébrale. Une série de rendez‑vous de réadaptation a débuté le 26 octobre 2012. La réadaptation avait pour but de traiter des troubles physiques et psychologiques, y compris une commotion cérébrale et un syndrome comportant des migraines sévères. J’ai également sombré dans une profonde dépression, et brusquement, j’ai été atteinte de fibromyalgie. J’ai épuisé mes jours de congé de maladie puis j’ai été mise en congé d’invalidité de longue durée. Je ne pouvais pas effectuer la moindre tâche –pas même mes travaux ménagers. Je recevais des services d’auxiliaires pour assumer mes activités courantes de la vie quotidienne. Mon esprit était tellement confus par suite de la commotion cérébrale que, des mois plus tard, j’ai communiqué avec Denise Camus afin qu’elle me rappelle les détails de l’audience d’arbitrage et les conseils que [l’agent de l’AFPC] m’avait fournis. À la suite de cela, j’ai pris ma retraite pour raisons médicales le 31 décembre 2013.

[…]

[…] J’ai déposé la plainte dans les 90 jours qui ont suivi le moment où j’ai eu connaissance des actes qui y avaient donné lieu. De plus, il faut tenir compte du fait que je venais d’avoir un accident de voiture et que j’avais subi de nombreuses blessures, notamment une commotion cérébrale qui m’avait forcée à prendre mes jours de congé de maladie, afin de récupérer et de demeurer alitée la plupart du temps ou de participer à des séances quotidiennes de réadaptation.

[…]

Compte tenu de ma confusion au sujet des griefs déposés en 2006‑2007 qui ont été retirés, de la procédure et de ses répercussions – comme vous pouvez le constater aux pièces 18, 18A et 19 –, je demande que la plainte relative au devoir de représentation équitable soit jugée valide. L’accident de voiture par suite duquel j’ai subi des blessures à l’époque de l’arbitrage n’a pas aidé les choses.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[46] La plaignante n’a fourni aucun document à la Commission pour corroborer ces affirmations. Toutefois, elle a présenté l’explication qui suit : [traduction] « Moyennant des frais qui doivent être payés d’avance, je peux vous fournir des notes cliniques afin de corroborer l’accident de voiture, qui est survenu quelques jours seulement avant la période de l’arbitrage fixé au 22 octobre 2012, ainsi que mes blessures (commotion cérébrale et autres). »

V. Motifs

A. Le délai applicable

[47] Il est allégué dans la plainte présentée en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi, sur le fondement d’une conduite arbitraire et de mauvaise foi, que l’agent de l’AFPC s’est livré à une pratique déloyale de travail et qu’il a manqué à son devoir de représentation équitable.

[48] L’alinéa 190(1)g) de la Loi est ainsi libellé :

190 (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

190 (1) The Board must examine and inquire into any complaint made to it that

[…]

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

(g) the employer, an employee organization or any person has committed an unfair labour practice within the meaning of section 185.

 

[49] L’article 185 de la Loi définit une pratique déloyale de travail comme étant tout ce qui est interdit par le paragraphe 186(1) ou (2), l’article 187 ou 188, ou le paragraphe 189(1).

[50] La disposition de la Loi à laquelle fait renvoi l’article 185 qui s’applique à la présente plainte est l’article 187, qui prévoit ce qui suit :

187 Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

187 No employee organization that is certified as the bargaining agent for a bargaining unit, and none of its officers and representatives, shall act in a manner that is arbitrary or discriminatory or that is in bad faith in the representation of any employee in the bargaining unit.

 

[51] Le paragraphe 190(2) de la Loi prévoit en ces termes le délai de présentation d’une plainte lorsqu’un plaignant ou une plaignante allègue une infraction à l’article 187 :

190 (2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

190 (2) Subject to subsections (3) and (4), a complaint under subsection (1) must be made to the Board not later than 90 days after the date on which the complainant knew, or in the Board’s opinion ought to have known, of the action or circumstances giving rise to the complaint.

 

[52] La Commission et ses prédécesseurs ont affirmé à maintes reprises le caractère obligatoire du paragraphe 190(2) de la Loi. Le délai prescrit pour déposer une plainte doit être respecté, et la Commission n’a pas compétence pour le proroger (voir, par exemple, Boshra, Nemish, Esam et Éthier c. Service correctionnel du Canada, 2010 CRTFP 7).

[53] La compétence de la Commission se limite à déterminer, en fonction des éléments de preuve, la date à laquelle la période de 90 jours a commencé, ou, autrement dit, la date à laquelle la plaignante a eu – ou, selon la Commission, aurait dû avoir – connaissance des mesures ou des circonstances ayant donné lieu à sa plainte. Cela est purement une question de fait (voir Mohid c. Brossard, 2012 CRTFP 36, aux par. 35 et 36).

[54] La défenderesse soutient que la plainte devrait être rejetée puisque la plaignante a eu ou aurait dû avoir connaissance des mesures ou des circonstances ayant donné lieu à sa plainte le 22 octobre 2012, soit plus de 90 jours avant la date à laquelle elle a déposé sa plainte.

[55] La plaignante, quant à elle, soutient qu’elle ne s’est rendu compte que le 5 février 2014 – le jour où elle a reçu la décision de la CCDP de ne pas procéder au traitement de sa plainte à ce moment‑là – que la conduite de l’agent de l’AFPC était arbitraire et de mauvaise foi.

[56] La plaignante a déposé sa plainte à la Commission le 18 février 2014. Par conséquent, pour que l’objection préliminaire soit accueillie, il doit être établi qu’elle avait – ou, selon la Commission, aurait dû avoir – connaissance des mesures ou des circonstances ayant donné lieu à sa plainte avant le 16 novembre 2013, date qui correspond à 90 jours avant la date à laquelle elle a déposé sa plainte.

B. La nature essentielle de la plainte

[57] Comme la Cour fédérale l’a soutenu dans Boshra, lorsqu’elle tire une conclusion au sujet du respect des délais en vertu du paragraphe 190(2) de la Loi, la Commission doit d’abord déterminer la nature essentielle de la plainte. Dans Tyler, il a été expliqué que cela consiste à déterminer quels sont les actes que le syndicat a posés ou n’a pas posés qui forment le fondement de ce que la plaignante soutient être une violation alléguée du devoir de représentation équitable (au par. 158).

[58] Il est expliqué dans la plainte, que la Commission a reçue le 18 février 2014, que cette plainte se fonde sur ce qui suit : [traduction] « Le premier jour de l’arbitrage (octobre 2012), l’avocat du syndicat m’a conseillé de renvoyer les griefs directement à la CCDP, et tout cela avant même que l’arbitrage n’ait débuté. Mon avocat a refusé de passer par l’arbitrage. »

[59] En mars 2014, la plaignante a fourni des précisions très détaillées quant aux motifs pour lesquels elle est d’avis que cette décision était inappropriée.

[60] La défenderesse soutient que la nature essentielle de la plainte est l’insatisfaction de la plaignante à l’égard de l’agent de l’AFPC en 2012. À l’appui de son affirmation, la défenderesse fait renvoi à plusieurs déclarations qui apparaissent dans les arguments de la plaignante et qui témoignent de son insatisfaction à l’égard de l’agent. La défenderesse soutient que ces exemples indiquent clairement que la nature essentielle de la plainte porte sur les faits survenus en 2012, qui mettent en cause l’audience et le retrait des griefs de la plaignante.

[61] Un examen attentif de la plainte initiale que la Commission a reçue le 18 février 2014 ainsi que les précisions détaillées que la plaignante a fournies à la Commission en mars 2014 permettent de conclure que la nature essentielle de la plainte porte sur les actes que l’agent de l’AFPC a posés en octobre 2012. Voici quelques extraits pertinents des précisions concernant la plainte :

[Traduction]

[…]

[…] je crois que [l’agent de l’AFPC] a traité mes griefs avec négligence avant la procédure d’arbitrage, juste avant l’audience elle-même. Il aurait dû savoir que les étapes appropriées consistent à passer par la procédure d’arbitrage (le tribunal) et que c’est seulement lorsque ce processus a été suivi et que, conséquemment, il a échoué, que nous pouvons renvoyer toute l’affaire à la CCDP […] je pense que [l’agent de l’AFPC] était peut‑être paresseux, et que par ailleurs, il ne souhaitait pas avoir affaire au juge qui présidait et à l’avocat du CT, au sujet desquels il a affirmé qu’ils « employaient les grands moyens et se montraient difficiles ».

[…]

[L’agent de l’AFPC] n’a pas été honnête en prenant la décision d’annuler l’arbitrage en faveur du renvoi des griefs à la CCDP […] il m’a induite en erreur lorsqu’il a conseillé d’abandonner le renvoi des griefs à l’arbitrage pour privilégier le renvoi des griefs en question directement à la CCDP […]

[…]

J’ai attendu très longtemps avant d’obtenir une date d’arbitrage (huit ans), seulement pour faire perdre le temps de tout le monde en renvoyant la présente affaire à la CCDP avant que les griefs aient pu être entendus à l’arbitrage et qu’une décision ait pu être rendue.

[…]

Le fait est que j’avais le droit de faire entendre mes griefs déposés en 2006 et 2007 le jour où cet arbitrage était prévu. J’ai perdu ce droit […]

[…]

[…] Encore une fois, le fait est que j’avais le droit de faire entendre mes griefs déposés en 2006 et 2007 le jour de l’arbitrage et que j’ai été dépouillée de ce droit.

[…]

[L’agent de l’AFPC] n’a pas respecté la réglementation adéquate à l’égard de la procédure d’arbitrage. J’ai le droit de faire entendre mes griefs. On m’a dit que la CCDP était la voie appropriée à suivre. Cela était faux et la représentation a été inéquitable, puisque l’affirmation n’était pas vraie. J’ai été faussement représentée. [L’agent de l’AFPC] est un imposteur.

J’ai droit à mon audience équitable et à une indemnisation pour les pertes, les frais et les recouvrements […]

[…]

 

[62] Ces déclarations m’amènent à conclure que la nature essentielle de la plainte est l’insatisfaction de la plaignante à l’égard des conseils de l’agent de l’AFPC, selon lesquels elle devait retirer ses griefs déposés en 2006 et 2007 afin de poursuivre plutôt sa plainte directement devant la CCDP. C’est cet acte que l’agent de l’AFPC a posé qui a « donné lieu » à la plainte, comme il est précisé au paragraphe 190(2) de la Loi.

C. Le respect des délais par la plaignante

[63] Il n’est pas contesté que le 22 octobre 2012, la plaignante avait connaissance des conseils lui suggérant de retirer ses griefs et de poursuivre plutôt sa plainte devant la CCDP.

[64] La défenderesse soutient qu’étant donné que la nature essentielle de la plainte porte sur des faits qui ont eu lieu le 22 octobre 2012, le délai de présentation de la plainte a commencé à s’écouler à cette date, et non en 2014.

[65] La plaignante soutient toutefois que sa plainte a été déposée dans le délai prescrit, puisqu’elle n’a eu connaissance que le 4 février 2014 du fait que le conseil de l’agent de l’AFPC constituait une déclaration erronée, selon ses allégations. Elle soutient qu’elle n’a pas déposé de plainte en 2012 parce qu’elle croyait que les conseils qu’elle avait reçus étaient des conseils juridiques avisés. Elle affirme que ce n’est qu’au moment où elle a reçu la décision de la CCDP, soit le 4 février 2014, qu’elle s’est rendu compte qu’elle n’avait pas reçu de bons conseils.

[66] Si l’on se réfère à la jurisprudence afin d’obtenir une orientation, la plaignante dans Nemish avait déposé une plainte relative au devoir de représentation équitable qui visait à contester la décision de son agent négociateur de ne pas poursuivre un grief. Mme Nemish soutenait que le délai de 90 jours aurait dû commencer seulement le jour où elle avait reçu une réponse finale du président de son unité de négociation, qui maintenait une décision rendue à un palier inférieur au sein de l’unité de négociation selon laquelle il ne fallait pas déposer de grief. La plaignante a soutenu que jusqu’à ce qu’elle ait reçu cette décision finale, elle ne connaissait pas toutes les circonstances à l’origine de sa plainte. Lorsque la Commission a rejeté la plainte au motif qu’elle était hors délai, elle a déclaré ce qui suit :

[…]

[32] La date limite prévue par la loi est obligatoire, ce qui est indiqué clairement par le libellé de la Loi qui énonce que les plaintes « […] doivent être présentées dans les quatre‑vingt‑dix jours qui suivent la date […] ». Étant donné ce libellé obligatoire et l’absence de toute autre disposition législative conférant à la Commission un pouvoir discrétionnaire, la Commission a régulièrement conclu qu’elle ne dispose d’aucun pouvoir discrétionnaire en vertu de la Loi pour proroger le délai de 90 jours prévu au par. 190(2) (voir Castonguay c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CRTFP 78, au par. 55, Paquette c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2018 CRTESPF 20, au par. 36, Boshra c. Association canadienne des employés professionnels, 2011 CAF 98, et de nombreuses autres décisions).

[…]

[35] Toutefois, cela dit, le par. 190(2) confère à la Commission le pouvoir discrétionnaire de déterminer la date à laquelle un plaignant a eu connaissance, ou aurait dû avoir connaissance, des mesures ou des circonstances ayant donné lieu à la plainte.

[…]

[37] Je n’accepte pas l’argument de la plaignante selon lequel elle ne connaissait que les mesures prises par le SEN (la lettre de Mme Sanderson), et non la totalité des circonstances (que M. Aylward ne modifierait pas la décision du SEN). En premier lieu, le libellé du par. 190(2) de la Loi est disjonctif – le délai est calculé à compter de la date à laquelle le plaignant a connaissance des mesures ou des circonstances ayant donné lieu à sa plainte. En outre, le délai ne continue pas d’évoluer en fonction des mesures ou des circonstances qui surviennent après qu’une décision a été prise et communiquée.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original et je mets en évidence]

 

[67] De même, dans Esam, la plaignante avait déposé une plainte de pratique déloyale de travail contre son agent négociateur, en alléguant un manquement à son devoir de représentation équitable pour avoir omis de déposer un grief en son nom et avoir omis de la conseiller adéquatement au sujet des répercussions de l’omission de poursuivre un grief à la fois avant et après une enquête en matière de harcèlement. Lorsque l’ancienne Commission a rejeté la plainte au motif qu’elle était hors délai, elle a conclu ce qui suit :

[…]

35 L’élément essentiel de la plainte dont je suis saisie consiste en le fait que le syndicat a manqué à son obligation de représentation équitable en vertu de l’article 187 de la LRTFP lorsqu’il a omis de déposer un grief au nom de la plaignante avant et après l’enquête en matière de harcèlement qui a été effectuée entre 2010 et 2012. La plaignante a soutenu que sa plainte n’est pas hors délai, car elle n’avait pas eu connaissance du manquement du syndicat de son obligation de représentation équitable avant le 3 août 2013 lorsqu’elle a été informée des répercussions de l’omission de déposer un grief.

36 Je suis d’avis que le délai pour déposer une plainte n’a pas commencé à courir lorsque la plaignante a compris pour la première fois les répercussions de l’omission de déposer un grief entre 2010 et 2012; il a commencé à courir lorsqu’elle a eu – ou aurait dû avoir – connaissance du fait qu’aucun grief n’avait été déposé parce qu’il s’agit de la nature fondamentale de la plainte.

[…]

40 Toutefois, même si j’accepte le fait que le délai n’a pas commencé à courir avant que la plaignante n’ait pris connaissance des répercussions du non-dépôt d’un grief, elle a pris connaissance de ces répercussions au plus tard le 3 août 2013 (de son propre aveu), date qui est hors délai pour déposer une plainte […]

[…]

[Je mets en évidence]

 

[68] La décision rendue dans Nemish fait renvoi à Éthier, qui est également pertinente au présent cas selon moi. Dans Éthier, le plaignant était insatisfait de son agent négociateur après que celui‑ci eut conclu une entente avec son employeur, qui a eu pour effet de modifier l’interprétation de la convention collective de telle façon qu’elle lui était défavorable. M. Éthier a exprimé son insatisfaction à ses représentants syndicaux, et il a décidé de poursuivre la procédure de règlement des griefs par lui‑même, puisque son agent négociateur refusait de l’appuyer. M. Éthier a déposé une plainte relative au devoir de représentation équitable après avoir reçu, au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, la confirmation de l’employeur qu’il n’obtiendrait pas la réparation qu’il avait demandé. Lorsque l’ancienne Commission a rejeté la plainte au motif qu’elle était hors délai, elle a conclu ce qui suit :

[…]

20 Le fait que le plaignant poursuive son grief à tous les paliers ne change en rien le fait que le syndicat a refusé d’appuyer le litige qui fait l’objet de la présente plainte et que le plaignant en a été avisé dès la fin de juin 2006.

21 De façon générale, les circonstances qui donnent lieu à une plainte ne peuvent être prolongées en invoquant d’autres circonstances qui débordent le cadre du premier refus de procéder avec le grief ou le litige en question. En l’espèce, le délai de 90 jours pour déposer une plainte à la Commission a commencé à s’écouler à partir de la date de ce refus, soit à la fin de juin 2006, et non à partir de la date à laquelle le plaignant considérait qu’il avait une preuve suffisante pour présenter sa plainte le 13 décembre 2006. Le délai pour déposer une plainte n’est pas pour autant prolongé par les tentatives d’un plaignant de convaincre le syndicat de revenir sur sa décision. Dans la mesure où il y a une violation de la loi, il n’y a pas de norme minimale ou maximale pour ce qui est du degré de connaissance que doit avoir un plaignant avant de déposer sa plainte.

22 L’essence de la plainte est le refus du syndicat d’exercer les droits et recours en matière de représentation auquel le plaignant dit avoir droit. En conséquence, la connaissance du plaignant du refus du syndicat d’appuyer son litige est l’élément déclencheur d’une violation de l’article 190 de la LRTFP et du délai de 90 jours pour déposer la plainte. Les délais commençaient donc à s’écouler au moment où le plaignant s’est rendu compte que son désaccord n’allait pas se régler avec l’aide du syndicat. La LRTFP ne contient aucune disposition voulant qu’un plaignant doive épuiser tous ses autres recours avant de déposer une plainte.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[69] En appliquant les principes énoncés dans Nemish, Esam et Éthier, je conclus également que la présente plainte est hors délai. La nature essentielle de la présente plainte est l’insatisfaction de la plaignante à l’égard des conseils de l’agent de l’AFPC, selon lesquels elle devait retirer ses griefs et poursuivre plutôt sa plainte devant la CCDP. Il n’est pas contesté que le 22 octobre 2012, la plaignante avait connaissance de ces conseils. Comme il est indiqué dans Nemish, le délai ne continue pas d’évoluer en fonction des mesures ou des circonstances qui surviennent après les actes ou les circonstances ayant donné lieu à la plainte.

[70] L’argument invoqué par la plaignante pour avoir omis de déposer une plainte en 2012 repose sur son allégation selon laquelle, à l’époque, elle croyait que les conseils qui lui étaient fournis étaient des conseils juridiques avisés. Cela n’est pas étayé par les précisions détaillées. À vrai dire, contrairement à ce qui est allégué dans les arguments de la plaignante en date du 13 décembre 2021, il ressort clairement des précisions fournies en mars 2014 que la plaignante a été insatisfaite des conseils de l’agent de l’AFPC et qu’elle n’y a pas souscrit dès le moment où ils lui ont été fournis, soit le 22 octobre 2012.

[71] Dans ses précisions en date du 18 mars 2014, la plaignante indique ce qui suit :

[Traduction]

[…] Il y a eu beaucoup de signes avant-coureurs pendant que je travaillais avec [l’agent de l’AFPC] sur les griefs en question. […] le fait que [l’agent de l’AFPC] ait pris comme mesure de reporter des dates de grief fixées indique en outre qu’il n’était pas compétent pour faire avancer lesdits griefs ou qu’il avait peut‑être peur de le faire. Cela s’est révélé vrai plus tard, à mesure que nous approchions de l’audience. Il avait toujours une excuse pour justifier les annulations. Cela m’a été en outre confirmé le jour de l’audience, lorsqu’il a été incapable de mener l’audience de manière exhaustive devant l’arbitre de grief et que, par conséquent, il a abandonné les griefs.

La veille de l’audience relative aux griefs […] J’ai été déçue qu’il me convoque à une réunion de dernière minute ayant pour objet d’aborder des détails apparemment importants pour l’audience fixée au lendemain, seulement pour discuter de mon dossier d’assiduité négligeable […]

[L’agent de l’AFPC] n’a pas traité mon dossier avec soin. En fait, il était ignorant. Le jour de l’audience, il s’est révélé incapable de présenter ses faits et conclusions devant l’arbitre de grief et l’avocat du Conseil du Trésor (CT). Je l’ai trouvé extrêmement incompétent.

[…] La rencontre de [l’agent de l’AFPC] avec l’avocat du CT a manifestement été peu convaincante et infructueuse. Son seul recours face à un avocat du CT dont il avait peur (il m’a mentionné la veille de l’audience que cet avocat du CT avait la réputation « d’employer les grands moyens ») était d’abandonner le cas. Le CT s’est montré inflexible et [l’agent de l’AFPC] n’a pas été en mesure de donner suite aux griefs, surtout compte tenu de la crainte qu’il semblait éprouver à l’égard de cet avocat du CT.

[…] [L’agent de l’AFPC] a été incompétent dans le traitement des griefs du début jusqu’à la fin. […] [L’agent de l’AFPC] n’a pas expliqué pourquoi il abandonnait l’affaire, hormis le fait qu’il semblait craindre l’avocat du CT […] Je me suis donc retrouvée face à un défaut de représentation équitable (devoir de représentation) […]

[L’agent de l’AFPC] a fait preuve d’une grande ignorance […]

[…] Même sa tenue à l’audience d’arbitrage était douteuse. Il portait une cravate tape‑à‑l’œil, ornée d’un Donald Duck jaune au large sourire, ainsi qu’une chemise et un pantalon décontractés. À tous égards, il n’est pas professionnel. Ce type est un imbécile et un imposteur. Il ne s’agit pas d’une personne qui est en mesure de prendre son travail au sérieux et qui se conduit de manière professionnelle compte tenu de ses fonctions de représentation. […]

J’ai déposé ma plainte à l’AFPC, et peu de temps après, j’ai appris que [l’agent de l’AFPC] avait été congédié pour s’être montré incompétent et ne pas avoir rempli ses fonctions. Cela confirmait ce que je savais depuis le début; il m’a fait subir une grande injustice et il n’a pas fait ce pour quoi il avait été embauché. [L’agent de l’AFPC] est un imposteur et je remets en question ses titres de compétence. […]

[…] Je ne crois pas qu’il s’agissait pour [l’agent de l’AFPC] d’un motif valable pour aller de l’avant et annuler l’arbitrage. J’étais d’avis que l’arbitrage devait procéder comme prévu, mais [l’agent de l’AFPC] pensait le contraire.

[…] De plus, il a fallu attendre six années complètes avant qu’une date d’arbitrage ne soit fixée pour les griefs susmentionnés, et cela après l’annulation à la dernière minute de nombreuses dates d’arbitrage prévues antérieurement. J’ai dû écrire au président de la CRTFP afin d’accélérer l’obtention d’une date d’arbitrage sans qu’elle ne soit annulée. J’en avais assez d’attendre. [L’agent de l’AFPC] a ensuite décidé d’annuler l’audience d’arbitrage pour les motifs précisés dans la lettre que je vous ai envoyée antérieurement.

 

[72] Toutes ces déclarations appuient une conclusion factuelle selon laquelle la plaignante avait de sérieuses préoccupations à l’égard des conseils fournis par l’agent de l’AFPC dès le moment où ils ont été fournis. Comme il est indiqué dans Éthier, dans la mesure où il y a eu violation de la Loi, il n’existe aucune norme minimale ou maximale pour définir le degré de connaissance qu’un plaignant doit posséder afin de pouvoir déposer une plainte. En outre, aucune disposition de la Loi ne contraint un plaignant à épuiser tous les recours possibles avant de pouvoir déposer une plainte. Dans le présent cas, la plaignante connaissait les conseils et elle en a été insatisfaite dès le moment où ils ont été fournis. À ce titre, elle disposait de 90 jours à compter de ce moment (le 22 octobre 2012) pour déposer une plainte relative au devoir de représentation équitable. Cependant, la plainte a été déposée bien après l’expiration de ce délai.

[73] Même si je devais accepter l’argument de la plaignante selon lequel le délai aurait dû commencer à s’écouler lorsque les fausses déclarations alléguées de l’agent de l’AFPC sont devenues évidentes pour elle, je ne pourrais pas statuer en sa faveur, parce que je ne crois pas qu’il soit possible dans le présent cas d’établir s’il y a eu ou non une fausse représentation.

[74] Dans son argumentation en date du 13 décembre 2021, la plaignante soutient qu’elle n’avait aucun motif de déposer une plainte contre l’agent de l’AFPC au moment de l’audience, puisque celui‑ci lui avait donné l’« assurance » que l’issue de sa plainte devant la CCDP [traduction] « […] serait la même sinon meilleure qu’à l’arbitrage ». La plaignante soutient qu’elle n’a pas déposé de plainte contre l’agent plus tôt, puisqu’elle devait d’abord s’assurer que ce qu’il lui avait dit était faux. Elle indique que pour ce faire, elle a dû attendre que la CCDP rende sa décision sur la question de savoir si elle entendrait sa plainte. La plaignante soutient qu’elle ne devrait pas être pénalisée par le fait qu’il a fallu plus d’un an pour que cette procédure soit achevée.

[75] Autrement dit, la plaignante soutient que le délai n’aurait dû commencer à s’écouler que le jour où la représentation a constitué, dans son esprit, une fausse représentation.

[76] La représentation, ou la fausse représentation alléguée, en question est ainsi décrite dans le formulaire de [traduction] « Demande de précisions » qui a été soumis le 18 mars 2014 : [traduction] « L’arbitrage a été annulé par l’avocat de mon syndicat, [l’agent de l’AFPC], avant même que l’arbitre de grief n’ait eu la possibilité d’entendre mon grief. [L’agent de l’AFPC] a affirmé que j’aurais beaucoup plus de chance d’avoir gain de cause si je portais les griefs directement à la CCDP » [je mets en évidence].

[77] De plus, dans les précisions supplémentaires fournies le 18 mars 2014, la plaignante fait allusion en ces termes aux déclarations de l’agent de l’AFPC : [traduction] « Il a dit que j’aurais plus de chance d’avoir gain de cause auprès de la CCDP. » [je mets en évidence]

[78] D’après les éléments de preuve présentés, la plaignante a suivi les conseils de la défenderesse et, initialement, cela a semblé fructueux puisque la CCDP a écrit à la plaignante et à son employeur le 31 janvier 2013 afin de les informer qu’une médiation pourrait être organisée pour régler le différend. Cependant, le 14 mars 2013, l’employeur a soulevé une objection au motif qu’une autre procédure était ouverte et que, à ce titre, la plaignante était tenue d’attendre jusqu’à ce que tous ses autres griefs aient été tranchés avant que sa plainte ne puisse être entendue devant la CCDP.

[79] Cette objection a conduit à la décision que la CCDP a rendue le 27 janvier 2014. Il est important de noter que cette décision n’a pas eu pour effet de fermer le dossier de la plaignante. Elle lui offrait plutôt la possibilité de retourner devant la CCDP si elle n’était pas satisfaite de l’issue de ses autres griefs. Par conséquent, après avoir épuisé ses autres griefs, la plaignante avait encore la possibilité de retourner devant la CCDP pour obtenir une réparation. En conséquence, la décision permettant de savoir si les conseils de l’agent de l’AFPC avaient été avisés (c’est‑à‑dire, la déclaration selon laquelle la plaignante avait [traduction] « plus de chance d’avoir gain de cause » ou [traduction] « beaucoup plus de chance d’avoir gain de cause ») ne serait connue que si la plaignante retournait devant la CCDP après avoir épuisé la procédure de règlement applicable à ses autres griefs.

[80] Je suis consciente du fait qu’en grande partie, la déception de la plaignante par suite de la décision rendue par la CCDP venait du fait que cela représentait un autre délai pour traiter ses différends en cours avec son employeur. Cependant, la plaignante n’a rien indiqué dans ses allégations pour démontrer que l’agent de l’AFPC avait fait de fausses déclarations selon lesquelles la procédure de la CCDP serait plus rapide. Les seules allégations indiquent plutôt que l’agent de l’AFPC a fait des déclarations concernant ses chances d’avoir gain de cause.

[81] Dans ses arguments écrits en date du 13 décembre 2021, la plaignante indique que la voie de la CCDP ne lui est plus ouverte, puisque toutes ses questions liées aux droits de la personne ont été abordées dans un règlement conclu avec son employeur en 2017. Par conséquent, la conclusion véritable et finale sur le bien‑fondé des conseils de l’agent de l’AFPC ne sera jamais connue, parce que la plaignante a choisi de régler ses plaintes au lieu de se prévaloir de son droit de retourner devant la CCDP.

[82] Pour tous ces motifs, et en appliquant les principes énoncés dans Boshra, Nemish, Esam et Éthier, je conclus que la plainte est hors délai.

D. Le délai devrait‑il être rajusté en raison des problèmes de santé de la plaignante?

[83] La plaignante affirme qu’au cours de la période qui précède ou qui suit l’audience du 22 octobre 2012, elle a été impliquée dans un accident de voiture et elle a subi une légère commotion cérébrale. Dans les conclusions finales de ses arguments écrits présentés en décembre 2021, la plaignante indique que sa plainte devrait être jugée valide, en raison de sa confusion au sujet des griefs déposés en 2006 et 2007, et elle ajoute ce qui suit : [traduction] « L’accident de voiture par suite duquel j’ai subi des blessures à l’époque de l’arbitrage n’a pas aidé les choses. »

[84] La Commission s’est penchée sur une situation similaire dans Tyler, où la plaignante prétendait qu’elle n’avait pas pu respecter la limite de 90 jours pour cause de maladie. Au paragraphe 209, la Commission a conclu ce qui suit :

[…]

[209] Malheureusement pour Mme Tyler, le législateur n’a pas donné à la Commission le pouvoir discrétionnaire de modifier l’application du délai en vertu du paragraphe 190(2) pour déposer des plaintes. Je suis donc incapable d’accepter sa demande de mesure d’adaptation à cause de sa maladie afin de permettre d’accueillir sa plainte même si elle a été présentée hors délai.

[…]

 

[85] De même, la Commission a indiqué ce qui suit dans Nemish :

[…]

[39] Je n’accepte pas non plus l’argument selon lequel la capacité de la plaignante à déposer une plainte en temps opportun a été compromise par la commotion cérébrale qu’elle a malheureusement subie le 5 septembre 2018. Aucune preuve médicale n’a été déposée établissant que sa connaissance des mesures ou des circonstances ayant donné lieu à sa plainte avait été compromise par cette blessure, et son témoignage a démontré clairement que ce n’était pas le cas.

[…]

 

[86] Il se trouve que nécessairement, j’en arrive moi‑même à la même conclusion que la Commission dans Tyler et Nemish.

[87] La plaignante n’a pas fourni de documents médicaux établissant que ses blessures l’avaient rendue incapable d’apprécier les mesures ou les circonstances ayant donné lieu à sa plainte, et elle ne l’a pas prétendu non plus.

[88] Je conclus que le 22 octobre 2012, la plaignante était au courant du fait que ses griefs étaient retirés et qu’on lui conseillait plutôt de poursuivre l’affaire devant la CCDP. Le fait qu’elle ait agi suivant les conseils reçus et qu’elle a pris des mesures pour réactiver sa plainte à la CCDP le 11 novembre 2012 témoigne de cette compréhension.

[89] De plus, les déclarations détaillées de la plaignante concernant les faits survenus le 22 octobre 2012 et par la suite démontrent clairement que la plaignante possédait la capacité nécessaire pour comprendre les faits du jour ainsi que ses interactions avec M. Yoboua au cours des semaines subséquentes.

[90] Enfin, je souligne qu’au cours de l’année qui a suivi le retrait de ses griefs en octobre 2012, la plaignante a activement poursuivi sa plainte à la CCDP. Par conséquent, elle aurait également dû être capable de déposer une plainte contre la défenderesse.

[91] Comme il est souligné dans Esam, il est bien établi que la Commission n’a pas la capacité de proroger le délai de 90 jours en vertu de la Loi. Le seul pouvoir discrétionnaire dont elle jouit consiste à déterminer si, « de l’avis de la Commission », la plaignante aurait dû avoir connaissance des mesures ou des circonstances ayant donné lieu à la plainte (voir Nemish). Je conclus que le 22 octobre 2012, la plaignante possédait la connaissance nécessaire de la nature essentielle de la plainte ainsi que des faits qui ont suivi.

E. La plainte est‑elle devenue théorique?

[92] La défenderesse soutient qu’en plus d’être hors délai, la plainte est aussi devenue théorique. Elle se fonde sur une entente de règlement que la plaignante et son ancien employeur ont conclu en 2017. La défenderesse prétend que cette entente de règlement réglait tous les griefs en suspens et les plaintes déposées à la CCDP.

[93] Les deux parties ont offert de fournir à la Commission une copie de l’entente de règlement, si elle en faisait la demande.

[94] Comme il a été établi que la plainte est hors délai, il n’est pas nécessaire d’approfondir la question de savoir si l’affaire est également devenue théorique.

[95] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[96] La plainte est rejetée parce qu’elle est hors délai.

Le 31 mai 2023.

Traduction de la CRTESPF

Audrey Lizotte,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

 

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