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Date: 20230329

Dossier: 561-02-45121

 

Référence: 2023 CRTESPF 31

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de

l’emploi dans le secteur

public fédéral et Loi sur les

relations de travail dans

le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

Entre

 

Alliance de la Fonction publique du Canada

plaignante

 

et

 

Conseil du Trésor

 

défendeur

Répertorié

Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : David Orfald, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante : Aaron Lemkow, juriste

Pour le défendeur : Pierre Marc Champagne et Stephanie White, avocats

Affaire entendue par vidéoconférence, du 9 au 12 janvier 2023

et par arguments écrits déposés le 8 février 2023.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Plainte devant la Commission

[1] La présente décision a trait à une plainte déposée contre le Conseil du Trésor (l’« employeur ») concernant les négociations sur le renouvellement du Régime de soins dentaires de la fonction publique (le « Régime de soins dentaires »).

[2] La plainte a été présentée le 30 juin 2022 par l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) en vertu de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). Dans la plainte, l’AFPC a allégué que l’employeur avait enfreint l’article 106 de la Loi, qui exige que les parties négocient de bonne foi et fassent tout effort raisonnable pour conclure une convention collective.

[3] La plainte a été présentée auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »). Dans la présente décision, les renvois à la « Commission » englobent généralement ses prédécesseurs, la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP), la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP), ainsi que la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (CRTEFP).

[4] Le Régime de soins dentaires est une caractéristique unique du rapport en matière de négociation collective entre les parties. Le régime est incorporé par renvoi dans les conventions collectives conclues entre l’AFPC et l’employeur pour cinq unités de négociation.

[5] En outre, le Régime de soins dentaires négocié par les parties est également étendu à plus de 20 employeurs distincts avec lesquels l’AFPC a conclu des conventions collectives en vertu de la Loi, ainsi qu’à quelques unités de négociation accréditées en vertu du Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L-2; le « Code »).

[6] Le fait que les membres de l’AFPC et leurs personnes à charge ne constituent qu’une des cinq composantes du régime ajoute à la singularité et à la complexité des négociations relatives au Régime de soins dentaires. Les employés de la fonction publique fédérale qui ne sont pas membres de l’AFPC et leurs personnes à charge sont couverts par la composante du Conseil national mixte (CNM) du régime. Une troisième composante concerne les réservistes des Forces armées canadiennes. Une quatrième composante couvre les personnes à charge des Forces armées canadiennes, et la cinquième composante couvre les personnes à charge et les membres civils de la Gendarmerie royale du Canada. La composante relative à l’AFPC du régime est la plus importante des cinq.

[7] Dans le cadre du Régime de soins dentaires, chaque composante dispose de son propre conseil de gestion chargé de gérer le régime et de résoudre les litiges qui s’y rapportent. L’AFPC, par l’intermédiaire de son conseil de gestion, n’est responsable que de l’administration et de la renégociation des dispositions du régime en ce qui concerne ses membres et leurs personnes à charge.

[8] Toutefois, les modifications apportées au régime à la suite de négociations entre l’AFPC et le Conseil du Trésor ont toujours été étendues aux autres composantes. Ainsi, bien que le Régime de soins dentaires comporte cinq composantes, les règles relatives à l’admissibilité, aux prestations et aux coûts s’appliquent de la même manière aux cinq composantes.

[9] Le Régime de soins dentaires est administré par un tiers, actuellement la Canada-Vie, en fonction de « services administratifs ». Il diffère d’un régime assuré dans lequel le tiers supporte une partie du risque. Le rôle de l’administrateur est d’appliquer les règles et de rembourser les employés au titre du régime, ce pour quoi il perçoit des frais administratifs.

[10] Compte tenu de la structure institutionnelle du régime, dans la présente décision, je parlerai du Régime de soins dentaires de façon générique en renvoyant aux dispositions du régime dans son ensemble et à la négociation des modifications qui y sont apportées entre l’AFPC et le Conseil du Trésor. Dans les rares cas où je renvoie à des négociations avec d’autres composantes, ou à des questions faisant intervenir d’autres composantes du régime, ces autres composantes seront expressément mentionnées.

[11] La structure du Régime de soins dentaires est également particulière par rapport à certaines autres conditions d’emploi qui s’appliquent généralement dans la fonction publique. Par exemple, de nombreux employeurs et agents négociateurs ont accepté d’intégrer diverses directives du CNM dans leurs conventions collectives (p. ex. la Directive sur les voyages et la Directive sur la réinstallation). Le processus de gestion et de renégociation de ces directives est régi par le Règlement du CNM. De même, le Régime de soins dentaires de la fonction publique (RSSFP) est également couvert par une directive du CNM, bien qu’il dispose de ses propres structures de gouvernance et de conception. Néanmoins, comme pour les autres directives du CNM, l’AFPC participe aux côtés des autres agents négociateurs à toute discussion avec l’employeur au sujet du RSSFP.

[12] Je souligne tout cela d’emblée pour deux raisons. Tout d’abord, le caractère unique de la structure régissant la négociation du Régime de soins dentaires est une information contextuelle importante pour l’arbitrage de la présente plainte. Deuxièmement, bien que les parties aient des approches et des intérêts différents quant à la meilleure façon de gérer le régime et de négocier les modifications à y apporter, elles ont exprimé le souhait commun que soit maintenu un régime unique pour l’ensemble de la fonction publique, pour des raisons d’efficacité dans les négociations, d’efficacité administrative, de prestations bonifiées et d’équité. Comme nous le verrons plus loin dans la présente décision, j’estime qu’il convient que la Commission garde à l’esprit cet intérêt commun, en particulier lorsqu’il s’agit d’appliquer les principes relatifs aux relations patronales-syndicales harmonieuses, énoncés dans le préambule de la Loi.

[13] En janvier 2022, l’AFPC a informé le Conseil du Trésor qu’elle souhaitait entamer des négociations en vue du renouvellement du Régime de soins dentaires. À la suite de correspondances entre les parties, décrites plus loin dans la présente décision, en mai 2022, l’employeur a informé l’AFPC qu’il voulait retarder les négociations sur le Régime de soins dentaires jusqu’à ce que les discussions sur le renouvellement du RSSFP soient terminées et jusqu’à ce qu’une étude comparative des régimes de soins dentaires qu’il menait avec la composante du régime relevant du CNM soit achevée. Il a donc refusé de fixer des dates pour un échange de propositions de modifications du régime. La présente plainte fait suite à cette communication.

[14] Il est également important de noter que la présente plainte a été présentée dans le cadre d’une négociation collective plus large faisant intervenir les deux parties. Lorsque la présente plainte a été présentée, les cinq conventions collectives conclues entre les parties avaient expiré et l’AFPC avait signifié des avis de négociation pour chacune d’entre elles. Les cinq unités, les dates d’expiration de leur convention collective et les dates auxquelles l’AFPC avait signifié l’avis de négociation sont les suivantes :

· Services des programmes et de l’administration (PA), date d’expiration : 20 juin 2021, avis de négociation donné le 22 février 2021;

· Services techniques (TC), date d’expiration : 21 juin 2021, avis de négociation donné le 22 février 2021;

· Enseignement et bibliothéconomie (EB), date d’expiration : 30 juin 2021, avis de négociation donné le 26 février 2021;

· Services opérationnels (SV), date d’expiration : 4 août 2021, avis de négociation donné le 6 avril 2021;

· Services frontaliers (FB), date d’expiration : 20 juin 2022, avis de négociation donné le 21 février 2022.

 

[15] À la date de l’audition et à la date de la présente décision, les parties n’avaient encore conclu aucune convention collective relativement à ces cinq unités.

[16] L’employeur a fait valoir que la négociation du Régime de soins dentaires n’avait pas lieu en vertu des dispositions des articles 105 et 106 de la Loi et que, par conséquent, la Commission n’a pas compétence pour instruire une plainte présentée en vertu de l’article 190. À ce titre, il a demandé le rejet de la plainte. À titre subsidiaire, il a fait valoir que la Commission devrait conclure que l’employeur n’avait pas négocié de mauvaise foi et qu’elle devrait rejeter la plainte sur ce fondement.

[17] L’AFPC a fait valoir que les dispositions de l’article 106 avaient été déclenchées par les avis de négociation signifiés pour les cinq unités de négociation entre les parties et que l’obligation de négocier de bonne foi s’étend à la négociation des modifications apportées au Régime de soins dentaires. La Commission a donc compétence pour instruire la présente plainte. L’AFPC a également fait valoir que la compétence de la Commission pouvait être tirée d’une interprétation large et fondée sur l’objectif de la Loi. Enfin, elle a fait valoir que l’employeur n’avait pas négocié de bonne foi le Régime de soins dentaires en posant des conditions préalables aux négociations et en refusant de fixer les dates auxquelles les discussions seraient entamées.

[18] Pour les motifs qui suivent, je rejette l’objection de l’employeur eu égard à la compétence de la Commission. J’estime qu’en dépit de sa nature singulière, le Régime de soins dentaires a été établi dans le cadre du processus de négociation collective entre les parties et qu’il a été maintenu dans le cadre des conventions collectives conclues entre elles. Je conclus que l’article 106 de la Loi s’applique à la négociation du Régime de soins dentaires. En outre, je conclus que l’employeur a violé cet article en refusant de fixer les dates auxquelles les discussions seraient entamées.

[19] Le 3 février 2023, Pierre Marc Champagne, co-avocat de l’employeur dans la présente affaire, a été nommé commissaire à temps plein de la Commission à compter du 13 mars 2023. Il n’y a pas eu de discussion entre la présente formation et lui à ce sujet. Je note également que les arguments écrits de l’employeur du 8 février 2023 et présentés après l’annonce de la nomination de M. Champagne ont été présentés par sa co-avocate, Stephanie White.

II. Résumé de la preuve

[20] Les parties se sont largement appuyées sur un recueil conjoint de documents comportant 32 onglets. Elles ont présenté un énoncé conjoint des faits, sur lequel s’appuie la présente décision. L’employeur a présenté un recueil de documents comportant neuf onglets, qui a été déposé sur consentement. Le recueil de documents de l’AFPC comprend cinq documents et a été déposé lors du témoignage.

[21] L’AFPC a appelé Seth Sazant à témoigner. M. Sazant est employé par l’AFPC en tant que négociateur. Il est le négociateur principal de l’AFPC pour le renouvellement du Régime de soins dentaires, ainsi que le négociateur principal de l’équipe de négociation du groupe TC. Il a également été le principal porte-parole des agents négociateurs dans le cadre du renouvellement du RSSFP. M. Sazant négocie également pour les membres de l’AFPC dans un large éventail d’unités de négociation dans les sphères de compétence fédérale, provinciale et territoriale.

[22] L’employeur a cité les trois témoins suivants :

· David Prest est directeur administratif des prestations, politiques et programmes au Secrétariat du Conseil du Trésor. Agissant à ce titre depuis septembre 2019, M. Prest supervise l’administration et la négociation du Régime de soins dentaires, du RSSFP et des régimes d’assurance-invalidité du gouvernement fédéral.

· William Leffler a été directeur principal des activités liées aux prestations entre le printemps 2017 et le mois d’août 2022, puis directeur principal des prestations et des appels d’offres jusqu’à son départ à la retraite juste avant l’audience. Il était le négociateur principal de l’employeur lorsque les négociations sur le Régime de soins dentaires ont commencé en 2016 et, à ce titre, il était l’homologue de M. Sazant au début de ces négociations.

· Allison Shatford est négociatrice principale au sein de la Direction de la rémunération et des relations de travail du Secrétariat du Conseil du Trésor. Elle est la négociatrice en chef de l’employeur à deux tables de l’AFPC pour la ronde actuelle de négociations de la convention collective.

 

[23] Bien qu’ils n’aient pas comparu en tant que témoins, deux autres employés du Secrétariat du Conseil du Trésor ont été fréquemment mentionnés dans les témoignages et les éléments de preuve documentaires devant moi. Les deux employés et leurs relations de travail avec les témoins qui ont comparu sont les suivants :

· Ashique Biswas est le directeur principal des avantages sociaux, des politiques et des négociations pour l’employeur. Il a remplacé M. Leffler, en tant que négociateur principal dans le cadre les négociations du Régime de soins dentaires et du RSSFP à partir du printemps 2017 et relève de M. Prest. Il était l’homologue de M. Sazant pendant toute la période qui a précédé la présentation de la plainte.

· Marie-Chantal Girard est la sous-ministre adjointe responsable des pensions et des avantages sociaux. M. Prest relève d’elle.

 

[24] La plupart des faits essentiels ne sont pas contestés et sont résumés comme suit sous trois rubriques : le contexte du Régime de soins dentaires et son inclusion dans les conventions collectives conclues entre les parties, les négociations de 2016 à 2018 pour le renouvellement du Régime de soins dentaires, et les événements qui ont conduit à la présentation de la présente plainte. Ces éléments de preuve sont résumés par ordre chronologique, généralement sans qu’il y ait renvoi au témoin qui les a fournis, sauf lorsque les faits sont contestés. Après ces trois rubriques, je résume les éléments de preuve supplémentaires issus du témoignage de chaque témoin.

A. Historique du Régime de soins dentaires

[25] Le Régime de soins dentaires est apparu pour la première fois dans l’ancienne convention-cadre conclue entre les parties, qui a expiré le 30 juin 1988. La convention-cadre contenait des dispositions communes pour ce qui était (à l’époque) près de 40 unités de négociation différentes représentées par l’AFPC. Certaines autres conditions, notamment concernant les salaires, avaient été établies dans des conventions propres à chaque groupe.

[26] Le Régime de soins dentaires a été ajouté à la convention collective à la suite d’une décision rendue le 28 octobre 1986 à la suite d’une « conciliation exécutoire » concernant la convention-cadre. La formation de conciliation exécutoire était composée de Martin Teplitsky, président, et de John Fryer et Bruce Light, représentants des parties.

[27] La décision de la formation (la « décision Teplitsky ») portait sur l’article 44, qui se lisait comme suit : [traduction] « Le Régime de soins dentaires ci-joint et les conditions qui y sont mentionnées s’appliquent aux parties. »

[28] Le règlement initial du Régime de soins dentaires, dont les dispositions étaient énoncées sur cinq pages, était joint à la décision Teplitsky. Ce règlement définit les règles de participation au régime, le niveau des prestations de soins dentaires, les dispositions relatives à la coassurance, les barèmes d’honoraires sur la base desquels les prestations sont versées, ainsi que les taux de cotisation et de participation aux coûts entre les employés et l’employeur. Le règlement établit également un « conseil de gestion » composé de trois membres nommés par l’AFPC, de trois membres nommés par l’employeur et d’un président sans droit de vote. Parmi les attributions du conseil de gestion figurent celles de résoudre les plaintes des membres concernant le régime et d’examiner les modifications des taux, des niveaux de cotisation et du niveau des prestations.

[29] Enfin, le règlement du Régime de soins dentaires annexé à la décision Teplitsky établissait également un comité d’appel composé de trois membres pour trancher toute question sur laquelle le conseil de gestion ne parviendrait pas à se mettre d’accord. Plus précisément, cela devait inclure le niveau des cotisations après le 1er juillet 1988 et le niveau des prestations à fournir dans le cadre du régime. Pendant les trois premières années de fonctionnement du régime, le comité d’appel devait être composé des trois membres du groupe de conciliation exécutoire (MM. Teplitsky, Light et Fryer). Par la suite, le comité d’appel devait être structuré de manière similaire : un membre désigné par l’employeur, un membre désigné par l’AFPC et un président neutre approuvé par les deux autres membres ou, en l’absence d’accord, désigné par le président de la CRTFP (de l’époque).

[30] À la fin des années 1990, les parties ont cessé de négocier une convention-cadre couvrant toutes les unités de négociation de l’AFPC. La convention-cadre a été remplacée par des conventions collectives distinctes pour cinq unités de négociation (dont quatre étaient des unités multiclassifications similaires aux unités PA, SV, TC et EB telles qu’elles sont organisées actuellement). Les conventions collectives conclues entre les parties pour ces unités ont continué à incorporer le Régime de soins dentaires par renvoi. Par exemple, la convention collective de l’unité de négociation PA, signée le 29 décembre 1998 et expirant le 20 juin 1999, contenait l’article suivant :

8.01 Sont réputées faire partie de la présente convention les modalités du Régime de soins dentaires telles qu’énoncées dans la convention-cadre signée entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada, qui est venue à expiration le 30 juin 1988, et telles que modifiées par la suite le 10 mars 1988, le 12 décembre 1991, le 26 novembre 1993, le 2 avril 1996, le 15 janvier 1997 et le 11 mars 1998.

8.01 The Dental Care plan as contained in the Master Agreement between the Treasury Board and the Public Service Alliance of Canada, with an expiry date of June 30, 1988, and subsequently amended on March 10, 1988, December 12, 1991, November 26, 1993, April 2, 1996, January 15, 1997 and March 11, 1998 shall be deemed to form part of this Agreement.

 

[31] En comptant les dates énumérées dans l’article, au moment où la convention collective PA a été signée en 1998, les dispositions du Régime de soins dentaires avaient été modifiées six fois.

[32] Cette structure de l’article sur le Régime de soins dentaires, comportant une liste exacte de chaque date de modification ultérieure du régime, a été renouvelée lors des deux rondes de négociations ultérieures entre les parties (dates d’expiration en 2000 et en 2003) pour chacune des unités de négociation pertinentes de l’AFPC qui existaient à l’époque.

[33] À partir des conventions collectives entre les parties qui ont expiré en 2007, le libellé de l’article a été modifié pour éliminer le renvoi à chaque date précise de modification du Régime de soins dentaires. Par exemple, dans la convention collective du groupe PA signée le 14 mars 2005 et expirant le 20 juin 2007, la clause 8.01 a été modifiée comme suit :

8.01 Sont réputées faire partie de la présente convention les modalités du Régime de soins dentaires telles qu’énoncées dans la convention-cadre signée entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada, qui est venue à expiration le 30 juin 1988, et telles que modifiées de temps à autre.

 

8.01 The Dental Care plan as contained in the Master Agreement between the Treasury Board and the Public Service Alliance of Canada, with an expiry date of June 30, 1988, and as subsequently amended from time to time, shall be deemed to form part of this Agreement.

[Je mets en évidence]

 

[34] Une disposition identique a été incluse dans les conventions collectives qui ont expiré en 2007 pour les groupes SV, TC, FB et EB, à la seule exception que dans la convention collective EB, la clause est numérotée 40.01.

[35] Depuis 2007, les parties ont reconduit ces articles tels quels dans chaque convention collective conclue pour les unités de négociation PA, SV, TC, EB et FB. Il s’agit toujours du libellé des articles des conventions collectives actuellement expirées pour les cinq unités.

B. Négociations pour le renouvellement du Régime de soins dentaires, de 2016 à 2018

[36] Bien que le Régime de soins dentaires ait fait l’objet de nombreuses révisions après sa création en 1986, il n’a pas été révisé pendant plus de huit ans après 2008, jusqu’à ce que l’AFPC demande des négociations, lesquelles ont débuté en 2016 et ont pris fin en 2018.

[37] L’AFPC a demandé ces négociations dans une lettre du 2 mai 2016 adressée à la sous-ministre adjointe chargée des pensions et des avantages sociaux au Conseil du Trésor. La lettre désignait M. Sazant comme négociateur en chef de l’équipe de négociation de l’AFPC et précisait que l’AFPC souhaitait entamer les négociations en septembre 2016.

[38] Les négociations n’ont pas commencé à l’automne 2016 et aucune date de négociation n’a été fixée. Le 11 janvier 2017, le conseiller juridique de l’AFPC a envoyé à M. Leffler ce que les parties ont appelé une [traduction] « mise en demeure » concernant le processus de négociation. La lettre indiquait qu’en l’absence d’une réponse avant le 19 janvier 2017, l’AFPC déposerait une plainte de négociation de mauvaise foi contre l’employeur [traduction] « […] pour son refus de négocier et de divulguer l’information nécessaire à la négociation ».

[39] L’employeur a répondu le 19 janvier 2017, proposant des dates préliminaires en février 2017 et un échange de propositions pour avril 2017. Les données sur les coûts demandées par l’AFPC étaient jointes à cette lettre.

[40] M. Leffler a témoigné que lorsque le conseil de gestion de l’AFPC s’était réuni en février 2017, il avait tenu des discussions [traduction] « exploratoires » sur le renouvellement du Régime de soins dentaires. L’administrateur du régime (la Great-West à l’époque, aujourd’hui appelée Canada Vie) était présent à cette réunion. L’administrateur était présent pour répondre aux questions et fournir des renseignements sur les modifications potentielles du régime qui auraient pu permettre de réaliser des économies sans réduire les prestations.

[41] M. Leffler a d’abord témoigné que l’AFPC avait présenté ses propositions de modification du Régime de soins dentaires le 12 avril 2017 et que l’employeur prévoyait de présenter ses propositions lors de leur réunion de mai 2017. Cependant, après avoir été invité à prendre connaissance d’un courriel qu’il avait rédigé à l’intention de M. Biswas pour résumer la réunion, il a confirmé que les deux parties avaient présenté leurs propositions le 12 avril 2017.

[42] Les parties ont tenu d’autres réunions pour négocier des changements visant le Régime de soins dentaires. Or, le 18 juillet 2017, M. Sazant a écrit à M. Leffler pour lui dire que l’AFPC ne pensait pas que les parties pourraient parvenir à un accord mutuel concernant le Régime de soins dentaires et qu’elle ferait intervenir le comité d’appel prévu dans la décision Teplitsky.

[43] M. Sazant a témoigné que la raison pour laquelle l’AFPC avait demandé la convocation du comité d’appel était que le mandat de l’employeur dans les négociations était celui d’en arriver à la [traduction] « neutralité des coûts », c’est-à-dire que les améliorations apportées à une partie du Régime de soins dentaires devaient être compensées par des économies réalisées ailleurs dans le régime. M. Leffler a confirmé l’existence d’un tel mandat dans son témoignage.

[44] En août 2017, les parties ont entamé des discussions sur la manière de procéder avec le comité d’appel. C’est à peu près à cette époque que M. Biswas a remplacé M. Leffler en tant que négociateur principal de l’employeur.

[45] Étant donné que c’était la première fois que les parties convoquaient un comité d’appel depuis la décision Teplitsky, elles ont mis plusieurs mois à négocier son fonctionnement. Finalement, le 4 mai 2018, les parties ont signé un protocole d’entente (le « protocole d’entente sur le comité d’appel ») concernant l’établissement et le fonctionnement du comité d’appel. La structure du comité d’appel décrit dans le protocole d’entente était la même que ce que prévoyait la décision Teplitsky : un membre désigné par l’employeur, un membre désigné par l’AFPC et un président indépendant approuvé par l’employeur et par les représentants des employés.

[46] Le comité d’appel avait pour mandat de rendre une décision sur les modifications apportées au Régime de soins dentaires, sous réserve qu’elles aient fait l’objet d’une négociation entre les parties. L’entente définissait les facteurs que le comité d’appel devait prendre en compte pour rendre sa décision. Je souligne que certains des facteurs figurant dans le protocole d’entente sont formulés de manière semblable à ceux que les conseils d’arbitrage constitués pour résoudre les conflits liés aux négociations collectives doivent prendre en compte en vertu de l’article 148 de la Loi.

[47] Le protocole d’entente sur le comité d’appel contenait également la disposition suivante : [traduction] « 15. Le comité d’appel doit déterminer la durée de sa décision et l’indiquer dans celle-ci. »

[48] Après la signature du protocole d’entente sur le comité d’appel, un comité d’appel composé de Morton Mitchnick, président, Patti Bordeleau (personne désignée par l’employeur) et Joe Herbert (personne désignée par l’AFPC) a été constitué. Celui-ci a tenu des audiences et des discussions en groupe les 19 juin et 21 août 2018. Chaque partie a présenté des mémoires détaillés à l’appui des modifications qu’elle proposait.

[49] Le comité d’appel a publié son rapport le 1er octobre 2018. Il n’a pas adopté la neutralité des coûts comme principe directeur, bien qu’il ait accordé certaines des mesures de réduction des coûts proposées par l’employeur. Il a également accepté plusieurs des propositions de l’AFPC. Les détails de ce qu’il a accordé n’ont pas d’importance aux fins de la présente décision, sauf en ce qui concerne la durée du Régime de soins dentaires, qu’il avait le mandat d’établir. Sa décision sur cette question se lit comme suit : [traduction] « Toutes les modifications apportées au régime par la Commission entreront en vigueur le 1er janvier 2019, sauf disposition contraire dans la présente décision. La présente décision couvre la période allant du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2021. »

[50] À la suite de la décision, les modifications apportées au Régime de soins dentaires ont été intégrées dans un document intitulé « Règlement du Régime de soins dentaires de la fonction publique du Canada » (daté du 20 décembre 2018; le « Règlement du Régime de soins dentaires »).

[51] Tel qu’il a déjà été expliqué précédemment, le règlement du Régime de soins dentaires comportait cinq pages dans le cadre de la décision Teplitsky. À la suite de modifications et d’ajouts successifs, le règlement du Régime de soins dentaires comptait 36 pages en décembre 2018. Le règlement s’applique aux cinq composantes du Régime de soins dentaires, bien qu’il énumère les différents conseils de gestion qui existent pour gérer les différentes composantes du régime.

[52] Je souligne que le règlement du Régime de soins dentaires ne prévoit pas lui-même une durée ou une date d’échéance. Toutefois, le document énumère certains changements qui entreront en vigueur le 1er janvier 2019, 2020 et 2021.

C. Événements qui ont mené à la présente plainte

[53] Le 6 janvier 2022, M. Sazant a écrit à M. Biswas pour demander à l’employeur de fournir à l’AFPC des données démographiques et des renseignements sur les coûts liés aux éventuelles augmentations des prestations envisagées par l’AFPC, en vue de [traduction] « […] notre prochaine ronde de négociations sur le Régime de soins dentaires de l’AFPC […] ».

[54] Le 10 janvier 2022, une lettre du président de l’AFPC, Chris Aylward, a été envoyée à Mme Girard et précisait que l’AFPC [traduction] « […] signifie par la présente un avis de négociation des modalités du Régime de soins dentaires de la fonction publique ». Il était mentionné dans la lettre que [traduction] « [l]e régime actualisé conformément à la décision arbitrale stipulait que le régime ne pouvait être renégocié qu’après le 31 décembre 2021 ». La lettre précisait que M. Sazant serait le président de l’équipe de négociation de l’AFPC.

[55] Les parties ont échangé plusieurs courriels au sujet de la demande de données entre le 7 janvier et le 8 mars 2022. Le 10 février, M. Sazant a déclaré que cela faisait plus d’un mois que la demande de données avait été faite et qu’aucune information n’avait été reçue. M. Biswas a répondu le jour même en promettant que les données seraient fournies au plus tard le 21 février. Les données démographiques et les informations sur les demandes de remboursement ont été communiquées à l’AFPC le 22 février. Après quelques échanges supplémentaires, les données sur les coûts des propositions potentielles ont été fournies à l’AFPC le 8 mars 2022.

[56] Le 14 avril 2022, M. Sazant a envoyé un courriel à M. Biswas afin de convenir de dates pour l’échange de propositions concernant le Régime de soins dentaires. Il mentionnait que l’AFPC souhaitait que les dates précèdent la fin du mois de mai et qu’elle était prête à présenter ses premières propositions. Il demandait également la tenue d’une réunion avec l’employeur et la Canada Vie pour aborder des questions concernant les données sur les coûts. M. Biswas a répondu quelques jours plus tard pour demander du temps pour répondre.

[57] Le 2 mai, M. Sazant a réitéré sa demande de dates et a prévenu que l’AFPC [traduction] « explorerait d’autres options » si les dates n’étaient pas communiquées.

[58] Le 13 mai 2022, M. Biswas a répondu en expliquant que l’employeur n’avait pas encore le mandat de négocier le Régime de soins dentaires, et que l’employeur s’était engagé à conclure d’abord les négociations sur le RSSFP. Il a toutefois dit être prêt à entendre les propositions de l’AFPC. Il a également dit qu’il souhaitait sonder l’intérêt de l’AFPC pour que soit réalisée une [traduction] « étude comparative conjointe afin de comprendre la comparabilité du régime avec le marché actuel ». Il a déclaré que le conseil de gestion du Régime de soins dentaires du CNM avait demandé une telle étude [traduction] « […] afin que les négociations soient fondées sur les mêmes éléments de preuve et les mêmes données, scientifiques ou autres ».

[59] La demande du CNM avait été formulée dans une lettre adressée au président du Conseil du Trésor le 16 mars 2022, au nom des agents négociateurs inclus dans la composante du CNM du régime. Dans cette lettre, les agents négociateurs du CNM avaient demandé à l’employeur de créer un mandat pour entamer des discussions sur le Régime de soins dentaires, en particulier pour permettre la réalisation d’une étude comparative de régimes de soins dentaires comparables, et pour examiner différents aspects pouvant être améliorés. Dans la lettre, il était également demandé au Conseil du Trésor de reconnaître que le Régime de soins dentaires du CNM est indépendant du régime de l’AFPC, ce qui pourrait conduire à une conception différente, mais comparable, du régime.

[60] Le 20 mai 2022, M. Sazant a répondu au courriel de M. Biswas du 13 mai. Il s’est dit frustré que plus de quatre mois s’étaient écoulés depuis que l’AFPC avait signifié son souhait d’entamer des négociations. Il a déclaré que l’AFPC ne ferait pas ses propositions à moins que l’employeur n’accepte également de faire les siennes et qu’il n’avait [traduction] « […] jamais participé au style de négociation que vous proposez ». Il a déclaré qu’il était inapproprié que l’employeur attende près de cinq mois après l’expiration du Régime de soins dentaires pour proposer une étude comparative conjointe, ce qui retarderait indûment le début des négociations. Il a demandé à M. Biswas de proposer des dates de négociation au plus tard le 3 juin, faute de quoi l’AFPC entamerait les démarches nécessaires pour constituer le comité d’appel.

[61] Après quelques discussions internes avec M. Prest, M. Biswas a envoyé une réponse à M. Sazant en date du 27 mai 2022, qui se lisait comme suit :

[Traduction]

 

Nous vous remercions de votre réponse dans laquelle vous exposez le point de vue de l’AFPC sur la négociation collective et demandez des informations sur les prochaines étapes des négociations concernant le Régime de soins dentaires de la fonction publique (RSDFP). L’employeur reste déterminé à poursuivre les négociations de bonne foi et à moderniser les régimes d’avantages sociaux de la fonction publique.

Du point de vue de l’employeur, les discussions sur le renouvellement du RSDFP ont été entamées quand nous nous sommes engagés auprès de vous au sujet des données et de l’analyse du RSDFP propres à l’AFPC. L’employeur a également entamé des discussions avec d’autres agents négociateurs représentés par le Conseil de gestion du régime de soins dentaires dans le cadre du Conseil national mixte.

Comme je l’ai mentionné dans mon courriel du 13 mai 2022, l’employeur sera en mesure de fixer des dates de négociation officielles une fois que le renouvellement du Régime de soins de santé de la fonction publique aura été conclu et une fois qu’il aura reçu un mandat de négociation du RSDFP de la part du président du Conseil du Trésor. Le renouvellement du RSDFP doit être fondé sur des données et des connaissances scientifiques, ce qui est une considération fondamentale pour le président.

C’est pourquoi une étude comparative sera entreprise conjointement par l’employeur et par les agents négociateurs dirigés par le Conseil national mixte, dans le but de cerner les aspects à moderniser. Nous souhaitons de nouveau inviter l’AFPC à participer à cette étude.

 

[62] Comme il a été mentionné précédemment, la présente plainte a été présentée le 30 juin 2022.

[63] À la date de l’audience, les parties n’avaient pas encore fixé de dates pour échanger leurs propositions concernant le Régime de soins dentaires.

D. Points supplémentaires découlant du témoignage de M. Sazant

[64] Je vais maintenant aborder quelques points supplémentaires découlant des témoignages qui ne s’intègrent pas facilement dans la chronologie des événements, en commençant par celui de M. Sazant.

[65] M. Sazant a témoigné du caractère unique du processus de négociation avec le Conseil du Trésor. Avec de nombreux employeurs, l’AFPC est en mesure de négocier toutes les conditions d’emploi de ses membres à une seule table, mais ce n’est pas le cas du Conseil du Trésor. Pour les groupes PA, SV, TC et EB, les parties ont créé une « table de concertation » afin de négocier certaines dispositions de la convention collective qui seront communes aux quatre unités. D’autres conditions figurent dans les directives du CNM, et sont négociées par l’intermédiaire du CNM. D’autres conditions, telles que le régime de pension de la fonction publique, sont établies par la loi et ne sont pas négociées. Le Régime de soins dentaires est également négocié à une table distincte.

[66] Au moment de l’audience, M. Sazant siégeait au Conseil de gestion du Régime de soins dentaires de l’AFPC depuis sept ans. Il a déclaré qu’à ce titre, il avait entendu l’employeur déclarer à plusieurs reprises qu’il souhaitait que l’AFPC et les autres composantes soient réunies sous un conseil de gestion unique et que les dispositions soient les mêmes pour l’ensemble des composantes.

[67] M. Sazant a témoigné que plus de 150 000 membres de l’AFPC sont couverts par le Régime de soins dentaires, y compris les employés du Conseil du Trésor et ceux de nombreux autres employeurs du secteur public fédéral. Il peut être difficile d’équilibrer les intérêts des membres dans toutes ces unités, mais l’AFPC n’a pas voulu négocier des régimes différents pour chaque unité de négociation, a-t-il témoigné. L’AFPC n’a pas non plus voulu négocier le Régime de soins dentaires avec d’autres agents négociateurs, comme elle le fait pour le RSSFP. Il a déclaré qu’il en résulterait une perte d’autonomie pour l’AFPC.

[68] M. Sazant a témoigné que l’AFPC avait consacré environ six mois à la préparation des négociations concernant le Régime de soins dentaires de 2022. En octobre et novembre 2021, l’AFPC a invité ses membres à donner leur avis sur les modifications à apporter au Régime de soins dentaires sur son site Web. Il a déclaré que plus de 10 000 réponses avaient été reçues à la suite de cette demande. L’AFPC a dû les trier et les évaluer pour établir ses priorités aux fins des négociations. Il a déclaré que ces informations ont servi de base à la demande de données qu’il a adressée à M. Biswas en janvier 2022.

[69] En contre-interrogatoire, M. Sazant a été invité à dire pourquoi l’affichage sur le site Web de l’AFPC indiquait que le Régime de soins dentaires était négocié [traduction] « séparément de la négociation collective ». Il a témoigné qu’il s’agissait pour l’AFPC d’une façon d’expliquer en termes simples que le Régime de soins dentaires est négocié à une table distincte, et non aux tables principales.

[70] En contre-interrogatoire, on a également demandé à M. Sazant pourquoi, si l’AFPC travaillait à la préparation des négociations concernant le Régime de soins dentaires six mois avant janvier 2022, il n’avait pas envoyé d’avis préalable à l’employeur. Il a déclaré que la décision du comité d’appel rendue en 2018 signifiait que les parties ne devaient pas entamer de nouvelles négociations avant le 31 décembre 2021, et que la date d’expiration du régime était connue bien à l’avance. Il a témoigné qu’il ne pensait pas que c’était à l’AFPC de rappeler ces échéances à l’employeur.

[71] En ce qui concerne la proposition de M. Biswas de réunir les parties afin que l’AFPC puisse présenter ses propositions avant celles de l’employeur, M. Sazant a déclaré qu’il considérait cette proposition comme inhabituelle et injuste. Presque toutes les négociations relatives au Régime de soins dentaires portent sur des questions monétaires, a-t-il déclaré. D’après son expérience de négociateur, les parties échangent toujours leurs premières propositions lors de la même séance. Il a déclaré que cela permettait de veiller à ce que les parties soient sur un pied d’égalité pour négocier.

[72] En ce qui concerne la proposition de M. Biswas de retarder les négociations concernant le Régime de soins dentaires jusqu’à l’achèvement des négociations concernant le RSSFP, M. Sazant a témoigné ne pas comprendre pourquoi les deux processus ne pouvaient pas se dérouler en même temps. Il était le principal porte-parole des agents négociateurs du CNM dans le cadre des négociations sur le RSSFP, et ce n’était pas un problème pour lui ou pour l’AFPC de faire les deux en même temps. Il a témoigné que, bien que l’employeur et l’agent négociateur avaient conclu ces négociations en août 2022, rien ne permettait de savoir quand les négociations sur le RSSFP se termineraient au moment où M. Biswas a exprimé cette position (les 13 et 27 mai 2022).

[73] En ce qui concerne la demande de l’employeur de retarder les négociations jusqu’à ce qu’ait eu lieu une étude comparative, M. Sazant a déclaré que, d’après son expérience, de telles études pouvaient prendre de 9 à 12 mois, ce qui entraînerait un retard important dans les négociations. Il a déclaré que l’AFPC aurait peut-être accepté une telle étude si elle avait été proposée un an plus tôt, mais qu’elle n’accepterait pas de retarder les négociations d’une telle durée en mai 2022. Il a témoigné que l’étude comparative réalisée pour le RSSFP n’était pas une étude conjointe, mais qu’elle appartenait à l’autorité administrative du RSSFP, bien que les agents négociateurs aient contribué à sa conception.

[74] M. Sazant a témoigné qu’il n’était pas d’accord avec l’idée que le Régime de soins dentaires puisse être négocié en fonction de la « science ». Les parties entament des négociations sur la base d’intérêts différents. Même lorsque les parties ont accès à une étude comparative, elles peuvent ne pas être d’accord sur la conception du régime, a-t-il ajouté. Il a également témoigné que l’AFPC et le Conseil du Trésor sont des parties bien informées, capables de faire leurs propres recherches sur d’autres régimes. Il a fait référence aux mémoires fournis en 2018 au comité d’appel pour étayer la capacité des parties à effectuer leurs propres recherches.

[75] Je souligne à ce stade que l’employeur s’est opposé au dépôt de ces mémoires en tant qu’éléments de preuve, au motif qu’ils n’étaient pas pertinents au regard des questions soumises à la Commission. Puisque ces mémoires ont constitué un élément clé des récentes négociations relatives au Régime de soins dentaires, j’ai accepté de les accepter en tant que pièces, sous réserve des arguments qui seraient présentés quant aux conclusions que je devrais en tirer, le cas échéant.

[76] En ce qui concerne la mise en place du comité d’appel dans le cadre des négociations sur le Régime de soins dentaires de 2018, M. Sazant a témoigné que c’était la première fois depuis la création du régime qu’avait lieu la mise en place d’un comité d’appel comme le prévoyait la décision Teplitsky. Il a témoigné qu’il avait fallu un certain temps pour se mettre d’accord sur le rôle et le pouvoir du comité d’appel, car ceux-ci n’étant pas établis par la loi.

[77] Néanmoins, selon la procédure établie dans le protocole d’entente sur le comité d’appel, ce dernier fonctionne comme un conseil d’arbitrage classique. D’après l’expérience de M. Sazant, un conseil d’arbitrage s’attend à ce que les parties aient négocié avant d’être convoquées et à ce qu’elles aient délimité les questions en litige avant de présenter leurs mémoires.

[78] Interrogé sur les raisons pour lesquelles l’AFPC n’a pas déclenché le processus du comité d’appel en juin 2022, lorsque l’employeur a refusé d’entamer des négociations, M. Sazant a témoigné que si l’AFPC allait directement à l’arbitrage, le comité demanderait pourquoi on lui demande de rendre une décision alors qu’il n’y avait pas eu de négociations. Il a témoigné qu’à son avis, le comité d’appel serait lésé par la partie qui a invoqué la formation de membres dans de telles circonstances.

[79] Enfin, M. Sazant a confirmé dans son témoignage qu’il n’était pas au courant d’une discussion sur le renouvellement du Régime de soins dentaires dans le cadre de la ronde actuelle de négociations de la convention collective avec le Conseil du Trésor pour les groupes PA, SV, TC, EB ou FB. Il a indiqué que les parties avaient accepté de négocier le Régime de soins dentaires à une seule table, plutôt qu’à 30 endroits différents.

E. Points supplémentaires découlant du témoignage de M. Prest

[80] M. Prest a témoigné qu’il supervisait un certain nombre d’unités du Secrétariat du Conseil du Trésor chargées de l’administration des prestations, de l’élaboration des politiques, de la supervision du travail des administrateurs de prestations tels que la Sun Life et la Canada Vie, et de l’établissement de contrats avec ces administrateurs.

[81] Il a témoigné que c’est en 2022 qu’il a été impliqué pour la première fois dans les négociations relatives au Régime de soins dentaires. Il ne savait pas que l’AFPC avait menacé de déposer une plainte pour pratiques déloyales de travail au sujet des négociations concernant le Régime de soins dentaires en 2017. Il n’a pas été impliqué dans la procédure du comité d’appel de 2018, si ce n’est pour communiquer les modifications apportées au régime aux participants du régime après la publication de la décision du comité d’appel.

[82] M. Prest a travaillé en étroite collaboration avec M. Biswas et Mme Girard pour répondre aux demandes de données de l’AFPC en janvier 2022 et pour entamer les négociations.

[83] En ce qui concerne l’exécution de la demande de données, M. Prest a témoigné que la Canada Vie avait dû effectuer un travail considérable pour extraire les données concernant uniquement la composante AFPC du Régime de soins dentaires. Il a indiqué qu’il avait prévu un délai de six à huit semaines pour répondre à la demande et a confirmé que les résultats avaient été envoyés à l’AFPC en deux fois, le 22 février 2022 et le 8 mars 2022.

[84] Il a témoigné de sa surprise lorsque Mme Girard a reçu la lettre du 10 janvier 2022 demandant d’entamer des négociations, car l’employeur venait juste de recevoir la demande de données. Il a également été surpris parce que les parties étaient au milieu d’une période intense de négociations relatives au RSSFP, M. Sazant agissant comme porte-parole des agents négociateurs.

[85] En ce qui concerne la raison pour laquelle l’employeur n’a pas prévu l’avis de négociation, M. Prest a témoigné que, contrairement à une convention collective, le Régime de soins dentaires n’expire pas. Selon lui, la décision du comité d’appel prévoyait que les parties ne devaient pas commencer à renégocier avant le 31 décembre 2021. Il n’a pas compris qu’il s’agissait d’une date d’expiration, mais d’un délai de réflexion. Le régime lui-même continuerait d’exister après cette date. À tout moment par la suite, une partie peut demander à entamer des négociations. Par conséquent, le Régime de soins dentaires est différent des négociations collectives, a‑t‑il déclaré. En contre-interrogatoire, il a reconnu qu’il avait peu d’expérience directe en matière de négociation collective.

[86] M. Prest a témoigné que, peu après que la demande de données de l’AFPC a été satisfaite, à la mi-mars 2022, l’employeur avait également reçu la demande d’entamer des discussions sur le Régime de soins dentaires avec la composante CNM du régime. Il a témoigné qu’il soutenait la proposition du CNM d’effectuer une étude comparative et que le gouvernement fédéral avait demandé que la prise de décision soit fondée sur des [traduction] « données, scientifiques ou autres ». Une étude comparative a été réalisée pour préparer les négociations relatives au RSSFP, et il a déclaré qu’elle avait contribué à l’obtention d’un mandat pour négocier des améliorations en ce qui a trait aux soins de santé. Il a reconnu que l’étude relative au RSSFP avait pris trois ans. Il a indiqué que le Régime de soins de santé est plus complexe et qu’il n’a pas été mis à jour depuis un certain temps, et il ne s’attend pas à ce que l’étude du Régime de soins dentaires prenne autant de temps. Il a également témoigné qu’en l’absence d’une étude comparative visant à recueillir des données sur les autres régimes de soins dentaires, il prévoyait qu’il lui serait difficile d’obtenir un mandat pour négocier des améliorations avec l’AFPC.

[87] L’annonce faite par le gouvernement fédéral dans le budget 2022 (en avril 2022) qu’il lancerait un programme national de soins dentaires a également motivé la réalisation d’une étude comparative, selon le témoignage de M. Prest. Il a précisé que le Régime de soins dentaires est un fournisseur secondaire et qu’il devra être adapté si les provinces doivent fournir certaines prestations dans le cadre du nouveau programme national, en particulier pour les personnes à charge âgées de moins de 12 ans. Il a également déclaré qu’une étude comparative était nécessaire parce que le secteur avait subi des changements importants, compte tenu de la pandémie de COVID-19.

[88] Sur la question de savoir pourquoi les négociations relatives aux RSSFP ont joué un rôle si important dans l’approche de la négociation relative au Régime de soins dentaires, M. Prest a témoigné que l’employeur avait procédé à un nouvel appel d’offres pour l’administrateur de ce régime, ce qui avait entraîné un changement de Sun Life à Canada Vie. Pour être prêtes à mettre en œuvre ce changement important d’ici le 1er juillet 2023, les parties ont dû mettre au point les changements apportés à la conception du RSSFP. M. Prest a déclaré que les parties avaient adopté une approche collaborative des négociations et qu’il pensait que les agents négociateurs, y compris l’AFPC, accordaient la priorité à l’achèvement des discussions. L’employeur ne pouvait s’appuyer que sur quelques experts, et il ne disposait que d’une [traduction] « bande passante limitée » pour participer en même temps à une conversation totalement distincte (sur le Régime de soins dentaires). Tout en admettant qu’il ne fût pas présent au comité technique du RSSFP, où les négociations ont eu lieu, il a témoigné qu’il avait été tenu pleinement informé de ces discussions et qu’il assistait régulièrement au comité des partenaires du RSSFP.

[89] M. Prest a témoigné que tous ces facteurs ont été pris en compte lorsque l’employeur a dit à l’AFPC en mai 2022 qu’il ne voulait pas fixer les dates auxquelles seraient entamées les négociations visant le Régime de soins dentaires. Il a indiqué que l’employeur avait envisagé de fixer des dates pour l’automne 2022, mais qu’il avait choisi de communiquer à l’AFPC son objectif de terminer d’abord les négociations sur le RSSFP et de mener à bien une étude comparative conjointe avec les agents négociateurs de la composante CNM du régime. L’employeur a de nouveau invité l’AFPC à participer à cette étude. Il a déclaré qu’il savait qu’il y avait un risque que l’AFPC déclenche la procédure de règlement des différends prévue par le régime, c’est‑à-dire la convocation d’un comité d’appel. Ce qui s’est passé, c’est que l’AFPC a présenté cette plainte, a-t-il dit.

[90] Lors du contre-interrogatoire, on a demandé à M. Prest s’il accepterait de négocier des régimes de soins dentaires individuels pour les unités de négociation de l’AFPC. Il a témoigné que ce n’était pas à lui de décider, mais qu’il ne recommanderait pas un résultat impliquant des plans propres à chaque table. Selon lui, il est logique d’avoir un seul régime pour tous les employés d’un employeur.

F. Points supplémentaires découlant du témoignage de M. Leffler

[91] M. Leffler a témoigné principalement de sa participation aux négociations relatives au Régime de soins dentaires de 2016 à 2018, dont l’essentiel est reflété dans le résumé chronologique des faits présenté ci-dessus dans la présente décision.

[92] Il a déclaré que l’employeur avait été surpris lorsque l’AFPC avait envoyé une lettre en mai 2016 indiquant qu’elle souhaitait entamer des négociations à l’automne 2016. Il a témoigné qu’en règle générale, les agents négociateurs faisaient part de leur intérêt pour la négociation de changements aux différents conseils de gestion. Il a également été surpris par le libellé de cette lettre, qui indique que l’AFPC [traduction] « […] signifie par la présente un avis de négociation des modalités du Régime de soins dentaires de la fonction publique ». Il a précisé que cette formulation est celle que l’employeur voit normalement à la [traduction] « table des salaires ».

[93] M. Leffler a témoigné du contenu des notes qu’il a prises au sujet de la réunion du 12 avril 2017, au cours de laquelle les parties ont échangé des propositions. Dans ces notes, il a écrit que l’employeur avait fait part de son désir de négocier de bonne foi, ce qui a [traduction] « réduit la tension qui existait au début » de la réunion. Il a également témoigné en contre-interrogatoire que l’engagement de négocier de bonne foi lui avait été communiqué dans une lettre de mandat du président du Conseil du Trésor.

[94] Les notes de M. Leffler concernant cette réunion indiquaient également que l’employeur avait clairement indiqué que l’une de ses principales priorités était de conserver un régime unique. Le résumé indiquait que l’AFPC avait accepté que l’employeur fasse part de ses revendications aux conseils de gestion pour les autres composantes du Régime de soins dentaires. Le résumé indiquait également que l’AFPC avait déclaré qu’elle n’accepterait jamais un conseil de gestion unique pour les soins dentaires.

G. Points supplémentaires découlant du témoignage de Mme Shatford

[95] Mme Shatford a témoigné qu’au cours de la ronde actuelle de négociations de la convention collective, elle est la négociatrice principale de l’employeur à la table de négociation PA et à la table de concertation établie par les parties pour traiter certaines questions pour les groupes PA, SV, EB et TC. Elle a également été négociatrice pour l’employeur du groupe PA lors de la précédente ronde de négociations entre les parties, qui a abouti aux conventions collectives actuelles.

[96] Comme elle fait partie de la division du Secrétariat du Conseil du Trésor responsable des négociations des conventions collectives, elle comprend que le Régime de soins dentaires fait partie de l’ensemble de la rémunération. Elle a précisé que les régimes d’avantages sociaux sont gérés par une autre division. De même, les directives du CNM font partie de la rémunération totale, mais ne sont pas non plus négociées par sa division.

[97] Mme Shatford a témoigné que l’AFPC n’avait fait aucune proposition concernant le Régime de soins dentaires, que ce soit à la table du groupe PA ou à la table de concertation, au cours de la présente ronde de négociations ou lors de l’échange de propositions en 2018. Elle a également témoigné qu’aucune discussion concernant le Régime de soins dentaires n’avait eu lieu aux tables du groupe PA ou aux tables de concertation. Elle a déclaré qu’elle n’avait eu connaissance d’aucune discussion sur le Régime de soins dentaires à l’une ou l’autre des tables de négociation au cours de la ronde actuelle de négociations.

[98] Interrogée sur ce qui se passerait si l’employeur était prêt à conclure un accord de principe et que le Régime de soins dentaires n’avait pas été réglé, Mme Shatford a témoigné qu’il n’y aurait pas de répercussions. Interrogée en contre-interrogatoire sur le fait si elle accepterait de négocier un régime de soins dentaires uniquement pour le groupe PA, Mme Shatford a témoigné que le Régime de soins dentaires était négocié par un autre groupe.

III. Dispositions législatives

[99] Avant de présenter les arguments des parties et les motifs de ma décision, je présenterai les principales dispositions législatives en litige.

[100] Il s’agit d’une plainte présentée en vertu de l’article 190 de la Loi, qui dispose que la Commission « […] instruit toute plainte dont elle est saisie […] » pour, entre autres, une plainte énumérée à l’alinéa 190(1)b) selon laquelle « […] l’employeur ou l’agent négociateur a contrevenu à l’article 106 (obligation de négocier de bonne foi) […] ».

[101] L’obligation de négocier de bonne foi prévue à l’article 106 de la Loi découle directement des dispositions de l’article 105 relatives à la notification d’un avis de négocier. Ensemble, ces deux dispositions se lisent comme suit :

Négociation des conventions collectives

Negotiation of Collective Agreements

Avis de négocier collectivement

Notice to bargain collectively

105 (1) Une fois l’accréditation obtenue par l’organisation syndicale et le mode de règlement des différends enregistré par la Commission, l’agent négociateur ou l’employeur peut, par avis écrit, requérir l’autre partie d’entamer des négociations collectives en vue de la conclusion, du renouvellement ou de la révision d’une convention collective.

105 (1) After the Board has certified an employee organization as the bargaining agent for a bargaining unit and the process for the resolution of a dispute applicable to that bargaining unit has been recorded by the Board, the bargaining agent or the employer may, by notice in writing, require the other to commence bargaining collectively with a view to entering into, renewing or revising a collective agreement.

Date de l’avis

When notice may be given

(2) L’avis de négocier collectivement peut être donné :

(2) The notice to bargain collectively may be given

a) n’importe quand, si aucune convention collective ni aucune décision arbitrale n’est en vigueur et si aucune des parties n’a présenté de demande d’arbitrage au titre de la présente partie;

(a) at any time, if no collective agreement or arbitral award is in force and no request for arbitration has been made by either of the parties in accordance with this Part; or

b) dans les quatre derniers mois d’application de la convention ou de la décision qui est alors en vigueur.

(b) if a collective agreement or arbitral award is in force, within the four months before it ceases to be in force.

Copie à la Commission

Copy of notice to Board

(3) Copie de l’avis est adressée à la Commission par la partie qui a donné l’avis.

(3) A party that has given a notice to bargain collectively to another party must send a copy of the notice to the Board.

Effet de l’avis

Effect of Notice

Obligation de négocier de bonne foi

Duty to bargain in good faith

106 Une fois l’avis de négociation collective donné, l’agent négociateur et l’employeur doivent sans retard et, en tout état de cause, dans les vingt jours qui suivent ou dans le délai éventuellement convenu par les parties :

106 After the notice to bargain collectively is given, the bargaining agent and the employer must, without delay, and in any case within 20 days after the notice is given unless the parties otherwise agree,

a) se rencontrer et entamer des négociations collectives de bonne foi ou charger leurs représentants autorisés de le faire en leur nom;

(a) meet and commence, or cause authorized representatives on their behalf to meet and commence, to bargain collectively in good faith; and

b) faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective.

(b) make every reasonable effort to enter into a collective agreement.

 

[102] Étant donné que l’article 105 renvoie à la négociation d’une convention collective, la définition énoncée au paragraphe 2(1) de la Loi est pertinente à la présente plainte :

convention collective Convention écrite conclue en application de la partie 1 entre l’employeur et un agent négociateur donné et renfermant des dispositions relatives aux conditions d’emploi et à des questions connexes. (collective agreement)

collective agreement means an agreement in writing, entered into under Part 1 between the employer and a bargaining agent, containing provisions respecting terms and conditions of employment and related matters. (convention collective)

 

[103] Il est également important de noter que les articles 105 et 106 sont contenus dans la partie 1 de la Loi, qui concerne les relations de travail en général. Cette partie de la Loi définit le cadre de la négociation collective dans la fonction publique fédérale, en commençant par l’établissement des unités de négociation, l’accréditation des agents négociateurs, le choix de la procédure de règlement des différends et le processus de négociation collective. Les dispositions relatives aux services essentiels, à l’arbitrage, à la conciliation et aux votes de grève figurent également dans cette partie.

IV. Questions soumises à la Commission

[104] La Commission est saisie de deux questions.

[105] La première question concerne l’objection de l’employeur selon laquelle la Commission n’a pas compétence pour instruire la présente plainte.

[106] Si je décide que la Commission a compétence pour instruire la présente plainte, la deuxième question est de savoir si l’employeur a violé l’article 106 de la Loi en négociant de mauvaise foi ou en ne faisant pas tous les efforts raisonnables pour conclure une convention collective.

A. Question 1 : Compétence de la Commission pour instruire la présente plainte

1. Les arguments de l’employeur

[107] Je commencerai par les arguments de l’employeur, car c’est lui qui a soulevé l’objection concernant la compétence.

[108] L’employeur a fait valoir que la compétence de la Commission pour instruire la présente plainte est limitée par l’article 190 de la Loi. Plus précisément, l’alinéa 190(1)b) charge la Commission d’instruire toute plainte selon laquelle une partie n’a pas respecté les obligations énoncées à l’article 106. Selon le libellé de l’article 106, l’obligation de négocier de bonne foi prend effet lorsqu’un avis de négociation d’une convention collective a été donné, comme le prévoit l’article 105. Si aucun avis de négociation d’une convention collective n’a été donné, l’article 106 ne s’applique pas, selon l’employeur, et aucune plainte ne peut être présentée en vertu de l’alinéa 190(1)b).

[109] Lorsque l’AFPC a écrit à l’employeur le 10 janvier 2022 pour lui faire part de son intention d’entamer des négociations relatives au Régime de soins dentaires, elle n’a pas signifié un avis de négociation satisfaisant aux exigences de l’article 105, a fait valoir l’employeur. Le Régime de soins dentaires n’est pas une convention collective entre les parties. Il s’agit d’un accord distinct négocié par les parties en dehors de la procédure de négociation collective prévue par la Loi. Bien que le Régime de soins dentaires soit incorporé par renvoi dans les conventions collectives de l’AFPC, les parties ont convenu d’une procédure distincte régissant la négociation du régime et le règlement des différends à son sujet.

[110] Pour étayer ses arguments, l’employeur a renvoyé à un certain nombre de faits concernant la lettre du 10 janvier 2022. Tout d’abord, il a utilisé les mots en anglais « notice to negotiate », et non « notice to bargain ». Lorsque l’AFPC souhaite négocier une convention collective, elle envoie une lettre qui utilise les mots [traduction] « avis de négociation » et mentionne expressément l’article 105 de la Loi, le nom de l’unité de négociation et le certificat d’accréditation. Sa lettre de négociation du Régime de soins dentaires n’a rien fait de tout cela, et ne pouvait pas le faire, car le Régime de soins dentaires n’est pas une convention collective, a déclaré l’employeur.

[111] Deuxièmement, la lettre de négociation n’a pas été envoyée dans les quatre mois précédant l’expiration d’une convention collective, comme l’exige l’alinéa 105(2)b). Elle a été envoyée bien après les dates d’expiration des conventions collectives PA, SV, TC et EB en 2021 et avant le début de la période de quatre mois précédant la convention collective FB en juin 2022.

[112] Troisièmement, une copie de la lettre n’a pas été envoyée à la Commission, ce qui est une exigence du paragraphe 105(3). La Loi ne prévoit pas qu’il s’agit d’une possibilité, mais plutôt d’une obligation, a fait valoir l’employeur.

[113] Comme l’avis de négociation du Régime de soins dentaires ne satisfait pas aux exigences de l’article 105, l’employeur a soutenu que l’article 106 ne s’appliquait pas. L’obligation de négocier de bonne foi et de faire tous les efforts raisonnables pour entamer des négociations commence [traduction] « [a]près que l’avis de négocier collectivement a été donné […] ». Selon l’employeur, la Commission n’a pas compétence pour instruire une plainte en vertu de l’article 190 si l’article 106 ne s’applique pas.

[114] L’historique de la négociation du Régime de soins dentaires montre qu’il n’est pas négocié selon la même ronde que les conventions collectives des parties, a fait valoir l’employeur. Les conventions collectives intègrent le Régime de soins dentaires, mais ce régime n’a pas de date fixe, il est [traduction] « modifié de temps à autre ». Le 14 juin 2017, les parties ont signé des conventions collectives expirant en 2018 pour les groupes PA, SV, TC et EB, alors qu’elles étaient encore au milieu des négociations sur le Régime de soins dentaires qui ont eu lieu entre 2016 et 2018. Les négociations relatives au Régime de soins dentaires se sont déroulées selon un calendrier distinct et se sont terminées par la décision du comité d’appel le 1er octobre 2018.

[115] Les avis de négociation signifiés par l’AFPC pour ses cinq unités de négociation n’ont pas non plus déclenché l’obligation de négocier de bonne foi le Régime de soins dentaires parce qu’ils n’ont pas été signifiés conformément à la ronde de négociation du Régime de soins dentaires, a soutenu l’employeur. Les avis relatifs aux groupes PA, SV, TC et EB ont été envoyés bien avant le 31 décembre 2021, et l’avis de négociation pour le groupe FB a été envoyé plusieurs semaines après l’avis de négociation du régime. Ces avis ne mentionnent pas le régime, et M. Sazant n’est désigné comme président des négociations que dans un seul de ces avis (pour le groupe TC).

[116] Il y a plus de 30 ans, les parties ont décidé en connaissance de cause de négocier le Régime de soins dentaires en dehors du processus de négociation collective, pour des raisons d’efficacité et d’amélioration des prestations, a fait valoir l’employeur. Ce processus distinct se reflète dans la manière dont l’AFPC explique le processus sur son site Web, qui indique que le plan est négocié [traduction] « séparément de la négociation collective ». Le régime lui-même définit les règles de gestion et de règlement des différends. Le régime est examiné par le conseil de gestion, qui est historiquement le point de départ des discussions sur les modifications du régime. L’AFPC a modifié le processus en 2016 en publiant un avis officiel de négociation qui a surpris l’employeur. Après seulement six mois de discussions, l’AFPC a déclaré une impasse et a convoqué le comité d’appel. Toutefois, ce système ne relève pas de la Loi, a fait valoir l’employeur. Il ne s’agit pas d’une négociation collective au sens des articles 105 et 106 et, par conséquent, la Commission ne devrait pas statuer sur une plainte présentée au titre de l’alinéa 190(1)b).

[117] La procédure du comité d’appel a été mise en place en tant que mode substitutif de règlement des différends concernant le Régime de soins dentaires, a fait valoir l’employeur. Elle a été établie pour la première fois dans la convention-cadre. L’accord des parties d’avoir recours au comité d’appel pour résoudre les différends est attesté dans le courriel que M. Sazant a envoyé à M. Biswas le 20 mai 2022. Dans ce courriel, M. Sazant écrit non seulement que le comité d’appel a été accepté par les parties, mais aussi qu’il s’agit de la seule option pour résoudre un différend concernant le moment où seront entamées les négociations. Étant donné que les parties ont convenu d’utiliser cette procédure, la Commission ne peut se déclarer compétente en la matière, a fait valoir l’employeur.

[118] L’établissement de la compétence de la Commission est un exercice simple qui suppose l’application des dispositions claires des articles 105 et 106, a indiqué l’employeur. L’AFPC a soutenu que la Commission devrait tirer sa compétence de ceci et de cela et a réuni des bouts de la jurisprudence et des lois pour en arriver à la compétence de la Commission. C’est simple : l’article 106 ne s’applique pas dans la présente affaire parce que les parties ont créé un substitut au processus de négociation collective aux fins de la négociation du Régime de soins dentaires et du règlement des différends à ce sujet. Lorsque le texte de la loi est clair, il n’est pas nécessaire de se livrer à un exercice d’interprétation compliqué.

[119] Si l’AFPC souhaite maintenant s’écarter du processus historique et contractuel convenu par les parties, il n’appartient pas à la Commission de rendre la décision, a fait valoir l’employeur. Le recours approprié pour l’AFPC est de renégocier le Régime de soins dentaires à la table des négociations collectives, en acceptant et en comprenant qu’elle devra composer avec l’inefficacité et les coûts qui en résulteront pour ses membres.

[120] La Commission devrait s’inspirer du préambule de la Loi, selon lequel « l’intérêt public revêt une importance primordiale », et reconnaître que l’objectif de l’employeur est de maintenir le Régime de soins dentaires en tant que régime d’assurance collective unique dans l’ensemble de la fonction publique. Il y a trente ans, les parties ont décidé en toute connaissance de cause de négocier ce régime en dehors du processus de négociation collective, et la Commission ne devrait pas ouvrir la porte à l’imposition des exigences strictes de la Loi là où elles n’étaient pas censées s’appliquer, a fait valoir l’employeur.

[121] En ce qui concerne la jurisprudence appuyant l’exigence d’un lien clair entre l’avis de négociation et l’obligation de négocier de bonne foi, l’employeur a invoqué les décisions Canadian Union of Public Employees, Local 70, v. City of Lethbridge, [2001] Alta. LRBR 116, au paragr. 52 (« Lethbridge »), et General Teamsters, Local Union No. 362, v. Burnco Rock Products Ltd., [2002] Alta. LRBR 271, au par. 14 (« Burnco Rocks »).

[122] En ce qui concerne le principe selon lequel les parties peuvent conclure divers arrangements contractuels qui ne sont pas des conventions collectives et qui ne nécessitent pas l’intervention d’une commission du travail, l’employeur a invoqué la décision International Association of Fire Fighters, Local 255 v. Calgary (City), 1997 CanLII 16893 (AB LRB) (« IAFF »), dans laquelle la Commission des relations de travail de l’Alberta (la « Commission de l’Alberta ») a déclaré que [traduction] « [d]ans le cours normal des choses, on ne s’attend pas à ce que la Commission ait un rôle à jouer dans l’interprétation et l’application de ces divers contrats ».

[123] En ce qui concerne le principe selon lequel les ententes négociées pendant la durée d’une convention collective n’englobent pas l’obligation de négocier de bonne foi, l’employeur a invoqué la décision de la Commission de règlement des griefs de l’Ontario (CSG) dans Ontario Public Service Employees Union v. Ontario (Management Board Secretariat), 2000 CanLII 20550 (ON GSB) (« OPSEU »).

2. Les arguments de l’AFPC

[124] Lorsqu’elle a présenté sa plainte, l’AFPC a posé pour thèse que la Commission devrait interpréter la Loi de manière large et ciblée, donner effet au préambule de la Loi et se déclarer compétente pour les différends en matière de négociation [traduction] « qui ne s’inscrivent pas parfaitement » dans la structure de la Loi.

[125] Devant moi, elle a concédé que le Régime de soins dentaires n’est pas une convention collective au sens de l’article 105 de la Loi, mais que l’obligation de le négocier de bonne foi émane du fait que l’AFPC a dûment signifié au Conseil du Trésor l’avis de négociation pour ses unités de négociation PA, SV, TC, EB et FB et qu’elle a présenté cette plainte pendant le processus de négociation collective pour ces unités. Elle a soutenu que l’employeur a l’obligation de négocier de bonne foi, ce qui s’étend au Régime de soins dentaires et, à ce titre, la Commission a compétence pour instruire la plainte.

[126] Quant à la raison pour laquelle elle a signifié un avis distinct de négociation relative au Régime de soins dentaires, le 10 janvier 2022, l’AFPC a déclaré que les faits dont la Commission dispose montrent que le Régime de soins dentaires est incorporé aux conventions collectives conclues entre les parties, que le régime contient des dispositions relatives à la convocation d’un comité d’appel chargé de régler les différends concernant le régime, et qu’en 2018, le comité d’appel a fixé la date de fin du Régime de soins dentaires au 31 décembre 2021. L’avis de début des négociations envoyé par l’AFPC était conforme à cette échéance.

[127] L’AFPC a déclaré qu’aucune décision antérieure de la Commission n’aborde directement la question de la compétence de la Commission à l’égard d’une plainte portant sur la négociation du Régime de soins dentaires. Elle a donc présenté une série d’arguments supplémentaires pour expliquer pourquoi la Commission devrait se saisir de la présente plainte.

[128] Tout d’abord, l’AFPC a déclaré que la Commission devrait prendre en considération le préambule de la Loi pour décider de sa compétence. La Loi d’interprétation (L.R.C (1985), ch. I-21), à l’article 12, dispose que chaque texte « […] s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet », et elle prévoit à l’article 13 que « [l]e préambule fait partie du texte et en constitue l’exposé des motifs […] ». La Commission a reconnu qu’elle était tenue de respecter les dispositions du préambule pour rendre ses décisions; voir Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2016 CRTEFP 61, au par. 89 (« AFPC/Transferts entre employeurs distincts »).

[129] Dans le présent cas, la Commission devrait se pencher en particulier sur les éléments du préambule de la Loi qui mettent l’accent sur la protection de l’intérêt public, sur l’importance de relations patronales-syndicales efficaces et sur l’engagement « […] à résoudre de façon juste, crédible et efficace les problèmes liés aux conditions d’emploi […] ». Selon l’AFPC, ces principes devraient aider la Commission à s’acquitter de sa tâche.

[130] En outre, l’AFPC a fait valoir que la Cour suprême du Canada (CSC) a souligné l’importance de lire une loi dans son contexte global lorsqu’on l’interprète; voir l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), au par. 24 (« Rizzo Shoes »). Au paragraphe 27, la CSC reconnaît un autre principe d’interprétation des lois, à savoir que le législateur n’a pas l’intention de produire des conséquences absurdes. Il serait absurde, selon l’AFPC, de tracer une ligne de démarcation entre les principales tables de négociation collective, y compris la table de concertation, et la table à laquelle le Régime de soins dentaires est négocié. Le Régime de soins dentaires est en définitive l’enjeu commun.

[131] Deuxièmement, l’AFPC a fait valoir que les conventions doivent être interprétées selon leur fondement factuel; voir Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53. Le fondement factuel dans la présente plainte comprend la réalité globale des négociations avec le Conseil du Trésor, qui ne sont ni simples ni directes. Plutôt, elles sont complexes et se déroulent à de nombreuses tables différentes. La Commission doit garder cette réalité à l’esprit lorsqu’elle se prononce sur sa compétence. Elle doit également garder à l’esprit que cette structure de négociation du Régime de soins dentaires sert les intérêts des deux parties.

[132] Troisièmement, l’AFPC a fait valoir que la CSC avait clairement confirmé le droit constitutionnel à la négociation collective; voir Health Services and Support - Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, 2007 CSC 27 (« Health Services »). En outre, dans une décision sur l’obligation de négocier de bonne foi en vertu du Code, la CSC a statué que « [l]’obligation des parties de négocier de bonne foi et de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention constitue une importante condition préalable de la réalisation des objectifs généraux du Code »; voir Royal Oak Mines Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail), 1996 CanLII 220 (CSC), au par. 64 (« Royal Oak Mines »). Il n’y a pas de différence substantielle entre l’article 106 de la Loi et son équivalent, le paragraphe 99(2) du Code. En rendant ces deux décisions, la CSC affirme donc que les travailleurs ont un droit constitutionnel à la négociation collective et que l’obligation de négocier de bonne foi est une condition préalable importante pour atteindre cet objectif, a déclaré l’AFPC. Pour ces motifs, l’article 106 doit être interprété de manière libérale, même si la Commission n’est pas tenue de l’interpréter de manière libérale pour se déclarer compétente.

[133] Quatrièmement, l’AFPC a fait valoir que toute action du gouvernement peut faire l’objet d’un examen et que si la Commission n’a pas compétence pour instruire la présente plainte, l’AFPC n’a plus qu’à porter l’affaire devant la Cour fédérale. Le législateur a créé des tribunaux administratifs comme la Commission pour qu’ils tranchent des questions relevant de leurs domaines d’expertise respectifs; voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, aux paragraphes 24 et 29. Cela ne signifie pas que la Commission a compétence sur tout ce qui concerne les relations de travail. Cela dit, les principes énoncés dans Vavilov doivent être gardés à l’esprit lors de l’interprétation de l’étendue des pouvoirs conférés à la Commission.

[134] À titre d’exemple, l’AFPC a invoqué la décision de la Cour fédérale de se déclarer non compétente dans un litige portant sur la question de savoir si certains employés avaient droit à un salaire rétroactif à la suite du règlement de certains griefs de reclassification; voir Alliance de la Fonction publique du Canada c. Canada (Procureur général), 2020 CF 481 (« AFPC/Recours en reclassification »). Même si le litige concernant la résolution de nombreux griefs portait sur la classification, qui ne sont pas arbitrables en vertu de la Loi, la Cour fédérale a déterminé qu’une interprétation libérale devait être donnée à la Loi et à d’autres lois sur les relations de travail, de sorte qu’il faille « […] examiner […] les différends en matière d’emploi conformément à ces régimes » (au par. 57). La Cour s’est rangée du côté du défendeur dans cette affaire (il s’agissait du Conseil du Trésor également) et a déterminé que l’AFPC devait épuiser la procédure de règlement des griefs prévue par la Loi plutôt que de demander une révision par la Cour. Pour ce faire, elle s’est appuyée sur les principes énoncés dans les décisions Alliance de la Fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor), 2001 A.C.F. no 568, au par. 61; Alliance de la Fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor), 2002 CAF 239, au par. 3; Vaughan c. Canada, 2005 CSC 11.

[135] Cinquièmement, la Commission devrait procéder à une analyse textuelle et contextuelle de la Loi pour aborder la présente plainte et sa compétence. La définition d’une convention collective est suffisamment large pour englober le Régime de soins dentaires, a fait valoir l’AFPC. Le régime est peut-être un document annexe, mais il fait partie de la convention collective et constitue un accord écrit qui énonce les conditions d’emploi.

[136] L’article 12 donne à la Commission une large compétence pour atteindre les objets de la Loi, a fait valoir l’AFPC. L’article 67 explique l’effet de l’accréditation, qui consiste à donner aux agents négociateurs le « droit exclusif de négocier collectivement ». L’article 162, qui porte sur la création de commissions de l’intérêt public (CIP), exige que les parties aient négocié « suffisamment et sérieusement », ce que l’AFPC souhaite faire avant de décider si elle doit convoquer un comité d’appel. L’article 182 permet aux parties de recourir à un mode substitutif de règlement des différends, ce en quoi consiste le comité d’appel. La compétence de la Commission pour instruire une plainte concernant l’application de l’article 106 doit être établie à la lumière de cette analyse contextuelle globale.

[137] En gardant à l’esprit l’objet général et la structure de la Loi, la Commission a interprété sa compétence de manière large, même lorsque la Loi ne contenait pas de dispositions expresses lui donnant compétence, a fait valoir l’AFPC. Dans Amos c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2008 CRTFP 74, aux paragraphes 62, 63, 97, 98 et 112, la Commission s’est déclarée compétente pour déterminer si une partie avait rompu une entente de règlement, malgré l’absence de disposition expresse dans la Loi (confirmée par 2011 CAF 38, aux paragraphes 44, 67 et 69).

[138] Dans un autre cas, l’AFPC a déclaré que la Commission avait compétence pour trancher les questions pouvant être incluses dans une entente sur les services essentiels, même si les parties avaient déjà renouvelé leur convention collective; voir Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (groupes Services frontaliers, Services des programmes et de l’administration et Services de l’exploitation), 2009 CRTFP 37, au par. 24. La Commission s’est également déclarée compétente et a ordonné une demande de production liée à une entente sur les services essentiels, malgré le libellé ferme de l’article 120 de la Loi qui confère à l’employeur le pouvoir exclusif de déterminer le niveau des services essentiels; voir Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (groupe Services des programmes et de l’administration), 2010 CRTFP 88, au par. 135 (« AFPC/Service Canada (ESE) »).

[139] L’AFPC a également invoqué Association professionnelle des agents du Service extérieur c. Conseil du Trésor, 2013 CRTFP 110 (« APASE »), dans laquelle la Commission s’est inspirée du préambule de la Loi et de sa structure générale pour déterminer que la disposition relative au règlement alternatif des différends prévue à l’article 182 de la Loi fait partie du processus global de négociation collective. À ce titre, l’article 182 fait également entrer en jeu les obligations de négocier de bonne foi prévues à l’article 106, ce qui a conduit la Commission à se saisir d’une plainte déposée par l’agent négociateur dans cette décision.

[140] Sixièmement, les commissions du travail au Canada se sont montrées enclines à encourager des structures de négociation souples; voir United Food & Commercial Workers International Union, Local 1288P v. Pepsi Bottling Group (Canada) Co., 2007 CanLII 71258 (NB LEB), au par. 15, et Utility Workers of Canada v. Public Utilities Commission of the Borough of Scarborough, 1982 CanLII 888 (ON LRB), au par. 14. La façon dont le Régime de soins dentaires est négocié correspond à une forme de négociation souple, mais celle-ci s’inscrit néanmoins dans le processus de négociation collective, a fait valoir l’AFPC.

[141] Septièmement, l’AFPC a fait valoir que les employés sont autorisés à déposer des griefs visant les conventions accessoires qui sont incorporées dans les conventions collectives; voir Kramer c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères et du Commerce international), 2010 CRTFP 116. Selon l’AFPC, il serait insensé d’autoriser les griefs visant le Régime de soins dentaires tout en excluant ce régime de l’obligation de négocier de bonne foi.

[142] Huitièmement, les commissions du travail d’autres compétences ont appliqué l’obligation de négocier de bonne foi aux ententes accessoires et aux clauses de réouverture, a soutenu l’AFPC, et la Commission devrait suivre leur exemple; voir Saskatchewan Joint Board, Retail, Wholesale and Department Store Union v. Prairie Hotels Inc., 2008 CanLII 61402 (SK LRB), aux paragraphes 124, 134 et 135 (« Prairie Hotels »), qui concernait une entente de retour au travail, et United Nurses of Alberta v. Alberta Health Services, 2019 CanLII 120251 (AB LRB), aux paragraphes 19 et 24 (« United Nurses of Alberta »), qui concernait une réouverture relative aux salaires. La Commission des relations de travail de la Saskatchewan et la Commission de l’Alberta ont toutes deux déterminé que l’obligation de négocier de bonne foi s’appliquait à ces situations, a fait valoir l’AFPC.

[143] Neuvièmement, l’AFPC a souligné que les tribunaux avaient déterminé que les commissions du travail pouvaient se voir accorder la compétence au regard des plaintes, en dépit de l’absence de disposition expresse. La Cour suprême du Yukon a rejeté une plainte relative au devoir de représentation équitable déposée devant elle par un membre du Syndicat des employés du Yukon (un élément de l’AFPC), parce qu’elle a estimé que, malgré l’absence de disposition expresse dans la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique du Yukon (LRY 2002, ch. 185) imposant le devoir de représentation équitable, la Commission des relations de travail du Yukon avait [traduction] « implicitement » compétence pour instruire la plainte; voir Kornelsen v. Yukon Employees’ Union, 2020 YKSC 1.

[144] Pour rendre cette décision, la Cour suprême du Yukon s’est appuyée sur une décision de la Cour d’appel fédérale dans Association canadienne du contrôle du trafic aérien c. La Reine du chef du Canada représentée par le Conseil du Trésor, 1985 CanLII 5595 (CAF; « ACCTA »), qui avait conclu que la CRTFP devait assumer la compétence sur les plaintes relatives au devoir de représentation équitable, même si la loi applicable à l’époque ne contenait pas de disposition expresse en ce sens (c’est le cas de l’actuelle Loi, à l’article 187).

[145] Enfin, l’AFPC a souligné que les faits relatifs au présent cas renforcent son affirmation selon laquelle la négociation du Régime de soins dentaires fait partie du processus de négociation collective. Le régime a d’abord été ajouté à la convention collective dans le cadre d’une procédure de conciliation exécutoire qui a abouti par la décision Teplitsky. M. Teplitsky y saluait la conclusion de la convention-cadre comme une avancée importante en matière de négociation collective. La décision contenait les premières modalités du Régime de soins dentaires, qui établissaient le conseil de gestion et créaient la structure du comité d’appel. Le Régime de soins dentaires en sa version modifiée a été incorporé dans les conventions collectives successives conclues entre les parties.

[146] De 2016 à 2018, les dispositions du régime contenues dans les conventions collectives conclues entre les parties ont été utilisées pour négocier des modifications et invoquer le recours au comité d’appel, qui est une forme d’arbitrage d’intérêts sans en avoir le nom. La décision du comité d’appel a entraîné des modifications du régime qui sont désormais incorporées dans les conventions collectives conclues entre les parties. Le comité d’appel a fixé un délai, et l’AFPC souhaite maintenant entamer des négociations. Ces faits ne sont pas modifiés par le fait que l’AFPC déclare sur son site Web que les négociations concernant le Régime de soins dentaires « se déroulent indépendamment de celles pour les conventions collectives ». S’exprimant ainsi, l’AFPC souhaitait expliquer à ses membres la raison pour laquelle leur avis sur la négociation du Régime de soins dentaires était sollicité à un moment différent que pour les tables de négociation principales. L’AFPC a dit avoir reçu plus de 10 000 réponses de la part de ses membres à la suite de cette demande.

[147] Compte tenu de tout ce qui précède, la Commission devrait se déclarer compétente pour instruire la présente plainte, a fait valoir l’AFPC. L’AFPC ne veut pas se retrouver dans une situation où le seul mécanisme dont elle dispose pour engager la compétence de la Commission est de commencer à négocier le Régime de soins dentaires à chaque table de façon individuelle. Elle ne pense pas non plus qu’il soit approprié qu’en l’absence de compétence de la Commission, elle doive intenter un recours devant la Cour fédérale, devant laquelle elle pourrait se heurter à une nouvelle objection relative à la compétence de la part de l’employeur; voir AFPC/Recours en reclassification, au par. 53.

3. Motifs

[148] Je suis d’accord avec l’AFPC pour dire que la négociation relative au Régime de soins dentaires ne s’inscrit pas parfaitement dans la structure de la Loi.

[149] En soi, il est clair pour moi que le Régime de soins dentaires n’est pas une « convention collective » au sens de la Loi. La section 5 de la Loi prévoit l’accréditation des agents négociateurs pour les unités de négociation établies par la Commission, qui doivent tenir compte des groupes professionnels définis par l’employeur (voir l’article 57). La section 6 donne à l’agent négociateur le droit de choisir, pour chaque unité de négociation, s’il souhaite résoudre les conflits de négociation collective par renvoi à l’arbitrage ou par renvoi à la conciliation (voir les articles 103 et 104). La section 7 définit le cadre des négociations collectives et des conventions collectives, et l’article 105 s’ouvre comme suit :

105 (1) Une fois l’accréditation obtenue par l’organisation syndicale et le mode de règlement des différends enregistré par la Commission, l’agent négociateur ou l’employeur peut, par avis écrit, requérir l’autre partie d’entamer des négociations collectives en vue de la conclusion, du renouvellement ou de la révision d’une convention collective.

105 (1) After the Board has certified an employee organization as the bargaining agent for a bargaining unit and the process for the resolution of a dispute applicable to that bargaining unit has been recorded by the Board, the bargaining agent or the employer may, by notice in writing, require the other to commence bargaining collectively with a view to entering into, renewing or revising a collective agreement.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[150] Le libellé de l’article 105 est clair : les conventions collectives sont directement liées à une unité de négociation particulière, et l’avis de négociation peut être signifié une fois que l’agent négociateur a choisi la procédure de règlement des différends pour cette unité.

[151] Le Régime de soins dentaires conclu entre les parties n’est manifestement pas une convention collective pour une unité de négociation particulière. Le régime s’applique non seulement aux cinq unités de négociation entre ces parties (PA, SV, TC, EB et FB), mais aussi à bon nombre d’autres unités de négociation de l’AFPC en vertu de la Loi, par exemple les unités de l’AFPC à l’Agence du revenu du Canada, à Parcs Canada et à l’Agence canadienne d’inspection des aliments, pour n’en nommer que quelques-unes. Il s’applique également aux membres de l’AFPC dans certaines unités de négociation accréditées en vertu du Code, comme le Musée canadien pour les droits de la personne, le Musée canadien de la nature et le Musée canadien de l’histoire, entre autres.

[152] Étant donné que le Régime de soins dentaires n’est pas une convention collective au sens de la Loi, l’AFPC ne pourrait pas signifier un « avis de négociation » aux termes de l’article 105. En fait, l’AFPC n’a pas affirmé que la lettre que M. Aylward a adressée à Mme Girard le 10 janvier 2022 était un avis de négociation (notice to bargain) en vertu de l’article 105. Comme l’a fait valoir l’employeur, l’AFPC a désigné cette lettre autrement (notice to negociate), n’a pas déposé la lettre dans les quatre mois précédant l’expiration d’une convention collective et n’a pas envoyé de copie de la lettre à la Commission.

[153] La question en litige est de savoir si l’obligation de négocier de bonne foi prévue à l’article 106 de la Loi s’applique néanmoins à la négociation du Régime de soins dentaires, et si la Commission a compétence pour instruire une plainte en vertu de l’article 190 selon laquelle l’employeur a violé l’article 106, malgré le fait que la lettre envoyée par M. Aylward n’était pas un avis de négociation.

[154] Je suis d’accord avec l’employeur pour dire qu’à première vue, l’article 106 n’est déclenché que lorsqu’un avis de négociation a été donné. Il se lit comme suit :

106 Une fois l’avis de négociation collective donné, l’agent négociateur et l’employeur doivent sans retard et, en tout état de cause, dans les vingt jours qui suivent ou dans le délai éventuellement convenu par les parties :

106 After the notice to bargain collectively is given, the bargaining agent and the employer must, without delay, and in any case within 20 days after the notice is given unless the parties otherwise agree,

a) se rencontrer et entamer des négociations collectives de bonne foi ou charger leurs représentants autorisés de le faire en leur nom;

(a) meet and commence, or cause authorized representatives on their behalf to meet and commence, to bargain collectively in good faith; and

b) faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective.

 

(b) make every reasonable effort to enter into a collective agreement.

[Je mets en évidence]

 

[155] De plus, l’alinéa 190(1)b) dispose clairement que la Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle « […] l’employeur ou l’agent négociateur a contrevenu à l’article 106 (obligation de négocier de bonne foi) […] ». La présente plainte a été présentée en vertu de cet article. Aucune disposition explicite de l’article 190 ne permet à la Commission de statuer sur une plainte concernant l’obligation de négocier de bonne foi dans des situations où l’article 106 ne s’applique pas.

[156] L’objection de l’employeur à la compétence de la Commission était fondée sur cette interprétation stricte du libellé des articles 105, 106 et 190. Toutefois, l’objection de l’employeur partait également de l’idée que les parties négocient le Régime de soins dentaires en dehors du processus de négociation collective. Au paragraphe 11 de sa réponse initiale à la plainte, déposée le 26 août 2022, il a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

 

11. L’employeur n’a pas enfreint l’article 106 de la [Loi], car ces dispositions relatives aux négociations collectives en vertu de la [Loi] ne s’appliquent pas aux négociations relatives au Régime de soins dentaires. Bien que les conventions collectives conclues entre l’AFPC et le Conseil du Trésor contiennent des dispositions sur le Régime de soins dentaires, celui-ci n’est pas négocié dans le cadre du processus de négociation collective.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[157] Ce point est demeuré au cœur de l’argumentation de l’employeur lors de l’audience devant moi. L’employeur a fait reposer son argumentation sur le fait que le Régime de soins dentaires est négocié séparément et sur le fait que l’AFPC a accepté une telle approche dans le libellé même du régime, ce qu’elle confirme sur son site Web à l’intention des membres, qui précise que les négociations concernant le Régime de soins dentaires « se déroulent indépendamment de celles pour les conventions collectives ». À ce titre, l’employeur n’a présenté qu’une critique générale des arguments beaucoup plus larges de l’AFPC. Il n’a pas répondu précisément aux arguments de l’AFPC concernant l’application du préambule de la Loi, les principes d’interprétation des lois et le concept de jurisprudence implicite ou dérivée, ni à la plupart des cas de jurisprudence invoqués par l’AFPC.

[158] Ma principale réticence concernant l’argument de l’employeur est que, bien que les parties aient clairement convenu et peaufiné un processus unique de négociation du Régime de soins dentaires, l’historique du régime et son incorporation dans la convention collective montrent qu’il est entièrement ancré dans le processus de négociation collective entre les parties.

[159] Le Régime de soins dentaires a été mis en place pour la première fois à la suite de négociations menées en 1985 et 1986 dans le cadre de la convention-cadre conclue entre les parties. N’arrivant pas à conclure elles-mêmes les négociations relatives à la convention-cadre, les parties ont convenu de nommer un bureau de « conciliation exécutoire », ce qui a donné naissance à la formation présidée par M. Teplitsky.

[160] Dans sa décision, M Teplitsky a décrit les efforts menés pour parvenir à une convention-cadre comme un mode de négociation « à deux niveaux ». Il a qualifié de [traduction] « gargantuesque » la tâche consistant à convertir 39 conventions collectives en une convention-cadre. Il a décrit comment lui et les personnes désignées par les parties ont travaillé ensemble pour aider les parties à mener à bien leurs négociations. Il a déclaré que la convention était [traduction] « […] le produit de leurs efforts de négociation et des efforts de leurs représentants ». Il a conclu son rapport en félicitant les parties et leurs représentants, déclarant : [traduction] « [i]ls ont prouvé une fois de plus que rien n’est impossible s’agissant des relations humaines. »

[161] À la suite de ces négociations et de la décision Teplitsky, la convention-cadre conclue entre les parties a intégré un article sur le Régime de soins dentaires directement dans la convention collective. Le libellé de cet article intégrait le texte du régime dans la convention collective. La première version du règlement du Régime de soins dentaires était jointe à cette décision.

[162] Lorsque les parties ont repris les négociations après la suspension des droits de négociation de 1991 à 1996, les premières conventions collectives signées par les parties (en 1998) contenaient un article sur le Régime de soins dentaires qui renvoyait au régime intégré dans la convention-cadre. L’article énumérait également six dates auxquelles ce régime avait été modifié. Ce modèle d’article a été repris dans les conventions collectives signées en 2000 et en 2004. Ainsi, chaque fois que les parties concluaient une convention collective, elles devaient négocier l’article relatif au Régime de soins dentaires à la table et convenir que le régime avait été modifié à ces dates.

[163] Lorsqu’elles ont négocié les conventions collectives qui ont expiré en 2007, les parties ont modifié l’article relatif au Régime de soins dentaires comme suit (en utilisant comme exemple la convention collective applicable au groupe PA qui a expiré le 20 juin 2007) :

**ARTICLE 8

** ARTICLE 8

RÉGIME DE SOINS DENTAIRES

DENTAL CARE PLAN

8.01 Sont réputées faire partie de la présente convention, les modalités du Régime de soins dentaires telles qu’énoncées dans la convention-cadre signée entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada, qui est venue à expiration le 30 juin 1988, et telles que modifiées de temps à autre.

 

8.01 The Dental Care plan as contained in the Master Agreement between the Treasury Board and the Public Service Alliance of Canada, with an expiry date of June 30, 1988, and as subsequently amended from time to time, shall be deemed to form part of this Agreement.

[Je mets en évidence]

 

[164] Les deux astérisques précédant l’article signalent un changement de libellé par rapport à la convention collective précédente. Cette modification a été apportée pour éliminer la liste de plus en plus longue des dates auxquelles le régime a été modifié, et a remplacé cette liste par les mots mis en évidence. Ainsi, toute modification du Régime de soins dentaires apportée après la signature de la convention collective serait désormais considérée, de manière non équivoque, comme faisant partie de la convention collective. Pour le reste, je considère que le changement de format n’est rien d’autre qu’une modification administrative permettant aux parties de reconduire l’article sans changement lors des rondes de négociation ultérieures.

[165] Bien que M. Sazant et Mme Shatford aient tous deux témoigné que les parties n’avaient pas fait de propositions concernant l’article relatif au Régime de soins dentaires ou n’avaient pas discuté du Régime de soins dentaires à la table des négociations collectives, que ce soit au cours de la présente négociation collective ou des précédentes, les parties doivent néanmoins renouveler cet article chaque fois qu’elles signent une convention collective. L’article demeure dans les conventions collectives actuelles entre les parties. Par conséquent, tant que les parties n’en conviendront pas autrement, le Régime de soins dentaires est [traduction] « réputé faire partie » des conventions collectives conclues entre elles.

[166] Rien dans cet exposé ne vise à nier le fait que les parties ont mis en place une forme tout à fait unique de négociation du Régime de soins dentaires. Les parties ont intégré dans le régime un conseil de gestion chargé de superviser l’administration du régime et de négocier des changements afférents, elles ont modifié les dispositions du régime au moins huit fois. Depuis, pendant les quelque 30 années d’existence du régime, elles n’ont dû recourir qu’une seule fois à la procédure de comité d’appel que prévoit celui-ci.

[167] Les témoignages et les arguments présentés devant moi révèlent que les parties accordent une très grande valeur au Régime de soins dentaires tel qu’il est structuré actuellement. Ni M. Sazant ni M. Prest ne pensaient qu’il serait utile de commencer à négocier des régimes de soins dentaires différents pour les différentes unités de négociation. Les deux témoins, dans leurs témoignages, et les deux parties, dans leurs arguments, ont reconnu qu’un régime unique pour toutes les composantes du régime permet de réaliser des gains d’efficience et des économies qui profitent aussi bien aux employeurs qu’aux membres. Malgré quelques divergences évidentes sur la question de savoir si le régime devrait continuer à prévoir des conseils de gestion distincts pour les agents négociateurs de l’AFPC et du CNM, les parties ont négocié ensemble le régime pendant plus de 30 ans, l’ont maintenu en tant que régime de soins dentaires unique commun à toutes les composantes et ont continué à l’offrir à quelque 30 employeurs distincts.

[168] Cette structure particulière est semblable à certains égards aux directives du CNM, mais elle s’en distingue également. Les similitudes tiennent au fait que le régime prévoit une procédure distincte pour l’examen des plaintes des membres et que sa renégociation ne suit pas le même cycle que les conventions collectives. Toutefois, le processus de négociation des directives du CNM et le règlement des différends afférents sont visés par le Règlement du CNM, qui existe de manière indépendante et en dehors du processus de négociation collective. Contrairement aux directives du CNM, le cadre de négociation du Régime de soins dentaires existe entièrement dans les règles du Régime de soins dentaires, qui sont réputées faire partie des conventions collectives conclues entre les parties.

[169] En empruntant un terme à la décision de la CSC dans Sattva Capital Corp., cet historique constitue le « fondement factuel » en fonction duquel j’examine la relation entre le Régime de soins dentaires et la négociation collective.

[170] En bref, le Régime de soins dentaires a été mis en place parce que les parties l’ont négocié dans le cadre du processus de négociation collective et que, ce faisant, elles l’ont considéré comme faisant partie de leurs conventions collectives. Elles ont renouvelé cette convention à de nombreuses reprises dans le cadre de la négociation collective. Je ne peux que conclure que le Régime de soins dentaires n’existe pas en dehors du processus de négociation collective.

[171] Ceci étant dit, la question demeure néanmoins : l’obligation de négocier de bonne foi prévue à l’article 106 s’étend-elle à la négociation du Régime de soins dentaires, et la Commission a-t-elle compétence pour instruire une plainte selon laquelle l’employeur n’a pas respecté cette obligation en vertu de l’article 190? Et si oui, de quelle façon?

[172] Je tiens à souligner ici que l’employeur a clairement exprimé son désir de négocier de bonne foi le Régime de soins dentaires et qu’il a maintenu l’avoir fait dans le présent cas. Toutefois, il a estimé que la Loi ne lui impose pas cette obligation et qu’elle ne confère pas à la Commission la compétence de statuer sur une plainte selon laquelle l’employeur aurait manqué à cette obligation. M. Leffler a témoigné que le mandat de négocier le Régime de soins dentaires de bonne foi lui avait été confié sous la forme d’une lettre de mandat du président du Conseil du Trésor. M. Prest a témoigné que pour négocier de bonne foi, il devait être en mesure de prendre des décisions fondées sur des données, scientifiques ou autres, principe qui se reflète également dans les lettres de mandat ministérielles.

[173] Étant donné que l’existence et le maintien du Régime de soins dentaires sont ancrés dans le processus de négociation collective, je ne pense pas que l’employeur puisse tirer son mandat de négocier de bonne foi uniquement des lettres de mandat ministérielles.

[174] Pour les motifs qui suivent, j’estime que l’obligation de négocier de bonne foi s’étend au Régime de soins dentaires et que la Commission a compétence pour statuer sur cette plainte.

[175] C’est particulièrement le cas compte tenu des faits dont je dispose, selon lesquels l’AFPC avait dûment signifié les avis de négociation pour chacun des groupes PA, SV, TC et EB lorsqu’elle a envoyé son avis de négociation du Régime de soins dentaires, et qu’au moment où la plainte a été déposée, elle avait également signifié l’avis de négociation pour le groupe FB. Les parties ne contestent pas que ces avis de négociation ont été signifiés en vertu de l’article 105, qu’ils ont déclenché l’obligation de négocier ces conventions collectives de bonne foi en vertu de l’article 106 et qu’ils permettent de présenter une plainte en vertu de l’alinéa 190(1)b). Étant donné que le Régime de soins dentaires est réputé faire partie de la convention collective, sa négociation au cours du processus de négociation collective signifie que les négociations doivent également respecter l’obligation de négocier de bonne foi, malgré le fait que l’AFPC a envoyé un avis distinct visant la négociation du Régime de soins dentaires et le fait que les parties n’ont pas mentionné ce régime à la table principale.

[176] Je reconnais qu’il peut y avoir une certaine ambiguïté quant à l’application de la disposition énoncée dans l’article 106, selon laquelle les parties doivent être prêtes à entamer des négociations dans les 20 jours, compte tenu de ces faits. En application de la décision du comité d’appel, les parties ne devaient pas entamer de négociations relatives au Régime de soins dentaires avant le 31 décembre 2021. De toute évidence, il n’était pas prévu que les avis de négociation pour les unités PA, TC, EB et SV envoyés en février et en avril 2021 déclencheraient un délai de 20 jours pour entamer les négociations relatives au Régime de soins dentaires. Toutefois, étant donné que l’AFPC n’a pas soutenu que l’avis de négociation du Régime de soins dentaires avait déclenché un délai de 20 jours, je ne suis pas certain qu’il soit nécessaire de dissiper cette ambiguïté.

[177] Ayant conclu que l’obligation de négocier de bonne foi s’applique dans cette situation de fait, cela signifie-t-il que l’obligation ne s’appliquerait pas à un moment où toutes les conventions collectives entre les parties seraient en vigueur? Ou, par hypothèse, l’obligation de négocier de bonne foi le Régime de soins dentaires en vertu de l’article 106 prendrait-elle fin si les parties signaient les conventions collectives qu’elles sont actuellement en train de négocier?

[178] Je suis d’avis que la réponse à ces deux questions est non, pour bon nombre des raisons invoquées par l’AFPC. Dans les paragraphes qui suivent, je n’examinerai pas chacun de ces arguments. Je me concentrerai plutôt sur les arguments et la jurisprudence qui me semblent les plus convaincants.

[179] Premièrement, en ce qui concerne le principe selon lequel la Commission devrait s’inspirer du préambule de la Loi pour l’interpréter de manière large et utile, l’AFPC a invoqué les articles 12 et 13 de la Loi d’interprétation et la décision de 2016 de la Commission dans AFPC/Transferts entre employeurs distincts, qui, au paragraphe 89, énonce ce qui suit :

89 En tant que formation de la nouvelle Commission, ma compétence m’est accordée par la LRTFP, entre autres autorités. Même si les parties ne l’ont pas fait valoir, je suis tout de même obligé de respecter les dispositions de cette loi, y compris son préambule, qui fait la promotion de la collaboration, de la communication et du dialogue soutenu, ainsi que de la résolution juste, crédible et efficace des problèmes liés aux conditions d’emploi. De plus, il reconnaît que les agents négociateurs « représentent les intérêts des fonctionnaires ». J’ai gardé à l’esprit ces notions importantes pendant mon examen de ce grief de principe.

 

[180] Le préambule de la Loi se lit comme suit :

Attendu :

Recognizing that

que le régime de relations patronales-syndicales de la fonction publique doit s’appliquer dans un environnement où la protection de l’intérêt public revêt une importance primordiale;

the public service labour-management regime must operate in a context where protection of the public interest is paramount;

que des relations patronales-syndicales fructueuses sont à la base d’une saine gestion des ressources humaines, et que la collaboration, grâce à des communications et à un dialogue soutenu, accroît les capacités de la fonction publique de bien servir et de bien protéger l’intérêt public;

effective labour-management relations represent a cornerstone of good human resource management and that collaborative efforts between the parties, through communication and sustained dialogue, improve the ability of the public service to serve and protect the public interest;

que la négociation collective assure l’expression de divers points de vue dans l’établissement des conditions d’emploi;

collective bargaining ensures the expression of diverse views for the purpose of establishing terms and conditions of employment;

que le gouvernement du Canada s’engage à résoudre de façon juste, crédible et efficace les problèmes liés aux conditions d’emploi;

the Government of Canada is committed to fair, credible and efficient resolution of matters arising in respect of terms and conditions of employment;

que le gouvernement du Canada reconnaît que les agents négociateurs de la fonction publique représentent les intérêts des fonctionnaires lors des négociations collectives, et qu’ils ont un rôle à jouer dans la résolution des problèmes en milieu de travail et des conflits de droits;

the Government of Canada recognizes that public service bargaining agents represent the interests of employees in collective bargaining and participate in the resolution of workplace issues and rights disputes;

que l’engagement de l’employeur et des agents négociateurs à l’égard du respect mutuel et de l’établissement de relations harmonieuses est un élément indispensable pour ériger une fonction publique performante et productive,

commitment from the employer and bargaining agents to mutual respect and harmonious labour-management relations is essential to a productive and effective public service;

Sa Majesté, sur l’avis et avec le consentement du Sénat et de la Chambre des communes du Canada, édicte :

NOW, THEREFORE, Her Majesty, by and with the advice and consent of the Senate and House of Commons of Canada, enacts as follows ….

 

[181] Dans Amos, la Commission a décidé qu’elle devait se saisir de la question de savoir si un règlement de griefs négocié était définitif et exécutoire et, par conséquent, rendre une décision sur l’allégation selon laquelle une partie ne respectait pas le règlement. Pour ce faire, elle s’est largement inspirée du préambule de la Loi, en déclarant ce qui suit au paragraphe 63 :

63 Compte tenu des objets énoncés dans le préambule de la nouvelle Loi, j’estime qu’il est de mon devoir en l’espèce de faire en sorte que la nouvelle Loi « […] s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large […] » qui soit conforme avec la promotion de « […] la collaboration [entre les parties] […] » tout en contribuant « […] à résoudre de façon juste, crédible et efficace les problèmes […] » et en encourageant le « […] respect mutuel et […] l’établissement de relations harmonieuses […] ».

 

[182] Comme nous l’avons vu ci-dessus, malgré la présente plainte et certaines différences d’approche dans la gestion du régime, les deux parties à la présente plainte considèrent le concept du Régime de soins dentaires comme une forme très efficace de relations patronales-syndicales. Les parties ont adopté une approche collaborative pour le concevoir. Elles ont entretenu un dialogue à ce sujet pendant plus de 30 ans. Le régime prévoit une condition d’emploi importante qui concilie l’intérêt des employés (bénéficier des avantages) et l’intérêt public (disposer d’un régime efficace et rentable).

[183] En d’autres termes, on peut conclure que le processus de négociation du Régime de soins dentaires et le résultat du régime lui-même répondent à de nombreux éléments du préambule de la Loi.

[184] Je m’appuierai également sur la décision rendue par la CSC en 1998 dans Rizzo Shoes, qui énonce que l’interprétation d’une loi ne doit pas aboutir à un résultat absurde. L’AFPC a fait valoir qu’il serait absurde d’établir une distinction entre la compétence de la Commission en matière de négociation aux tables principales et à la table des enjeux communs, et la négociation relative au Régime de soins dentaires. Citant encore le préambule, si la Commission est le lieu approprié pour « […] résoudre de façon juste, crédible et efficace les problèmes liés […] » aux conflits de négociation collective aux tables principales, elle devrait également être le lieu approprié pour résoudre les conflits relatifs à la négociation du Régime de soins dentaires, étant donné ses racines dans le processus de négociation collective.

[185] Deuxièmement, je suis également d’accord avec l’argument de l’AFPC concernant l’effet combiné des arrêts de la CSC (Health Services rendu en 2007 et Royal Oak Mines rendu en 1996), une jurisprudence souvent invoquée dans de nombreux cas de la Commission en ce qui concerne l’obligation de négocier de bonne foi. L’arrêt Health Services soutient le droit à la négociation collective en tant que droit protégé par la Constitution. L’arrêt Royal Oak Mines déclare que l’obligation de négocier de bonne foi est une condition préalable importante au rapport en matière de négociation collective. Bien que la situation de fait dans Royal Oak Mines concernait une violation particulièrement flagrante de l’obligation de l’employeur de négocier de bonne foi, cette décision signifie que l’obligation est une partie inhérente des lois qui régissent les relations de travail au Canada. Il ne s’agit pas d’une obligation qui découle simplement des lettres de mandat ministérielles.

[186] Troisièmement, je m’appuierai sur la décision de la Commission dans APASE, qui me semble être l’une des décisions les plus solides pour appuyer la conclusion à laquelle je parviens. Dans APASE, l’agent négociateur avait opté pour la conciliation, avait participé à des négociations collectives et avait entamé une mesure de grève. Il avait proposé de soumettre certaines questions, à savoir les salaires, à l’arbitrage exécutoire d’un tiers indépendant, comme le prévoit l’article 182 de la Loi. Le défendeur (le Conseil du Trésor) était d’accord, mais souhaitait poser certaines conditions préalables au processus, en particulier une condition stipulant que le conseil d’arbitrage ne pouvait pas utiliser de comparaisons salariales avec certaines autres classifications pour rendre sa décision en matière de rémunération. L’agent négociateur avait présenté une plainte en vertu de l’article 190 et avait fait valoir que la condition préalable de l’employeur violait l’obligation de négocier de bonne foi. Par analogie avec la présente plainte, le défendeur, dans APASE, soutenait que l’article 182 était un processus totalement volontaire, indépendant de tous les autres articles de la Loi se rapportant à la négociation collective. Selon lui, l’article 106 ne s’appliquait pas à l’article 182 et la Commission devait se déclarer incompétente pour statuer sur la plainte.

[187] À titre de référence, l’article 182 se lit en partie comme suit :

Mode substitutif de règlement

Alternate dispute resolution process

182 (1) Malgré les autres dispositions de la présente partie, l’employeur et l’agent négociateur représentant une unité de négociation peuvent, à toute étape des négociations collectives, convenir de renvoyer à toute personne admissible, pour décision définitive et sans appel conformément au mode de règlement convenu entre eux, toute question concernant les conditions d’emploi des fonctionnaires de l’unité pouvant figurer dans une convention collective.

182 (1) Despite any other provision of this Part, the employer and the bargaining agent for a bargaining unit may, at any time in the negotiation of a collective agreement, agree to refer any term or condition of employment of employees in the bargaining unit that may be included in a collective agreement to any eligible person for final and binding determination by whatever process the employer and the bargaining agent agree to.

Maintien du mode normal de règlement

Alternate process applicable only to terms referred to it

(2) Le mode de règlement des différends applicable à toute condition d’emploi non renvoyée à la personne en question pour décision définitive et sans appel demeure la conciliation.

(2) If a term or condition is referred to a person for final and binding determination, the process for resolution of a dispute concerning any other term or condition continues to be conciliation.

Effet du choix

Agreement not unilaterally changeable

(3) Sauf accord des parties, le choix fait au titre du paragraphe (1) est irrévocable jusqu’au règlement du différend.

(3) Unless both parties agree, the referral of a term or condition to a person for final and binding determination remains in force until the determination is made.

[…]

(4) La décision visée au paragraphe (1) est rédigée, dans la mesure du possible, de façon à :

(4) The form of the final and binding determination must, wherever possible, permit the determination to be

a) pouvoir être lue et interprétée par rapport à toute convention collective statuant sur d’autres conditions d’emploi des fonctionnaires de l’unité de négociation à laquelle elle s’applique, ou être jointe à une telle convention et publiée en même temps;

(a) read and interpreted with, or annexed to and published with, a collective agreement dealing with other terms and conditions of employment of the employees in the bargaining unit in respect of which the determination applies; and

b) permettre son incorporation dans les documents que l’employeur ou l’agent négociateur compétent peuvent être tenus d’établir à son égard, ainsi que sa mise en œuvre au moyen de ceux-ci.

(b) incorporated into and implemented by any instrument that may be required to be made by the employer or the relevant bargaining agent in respect of the determination.

Obligation des parties

Binding effect

(5) La décision visée au paragraphe (1) lie l’employeur, l’agent négociateur et les fonctionnaires de l’unité concernée et est réputée faire partie de la convention collective régissant ces derniers. À défaut d’une telle convention, la décision est réputée en tenir lieu.

(5) The determination is binding on the employer, the bargaining agent and the employees in the bargaining unit and is deemed to be incorporated into any collective agreement binding on the employees in the bargaining unit in respect of which the determination applies or, if there is no such agreement, is deemed to be such an agreement.

[…]

 

[188] Sur la question de savoir si l’article 182 existait indépendamment du processus de négociation collective, dans APASE, la Commission s’est prononcée en faveur de l’agent négociateur, comme suit au paragraphe 44, en s’inspirant en partie des principes énoncés dans le préambule de la Loi :

44 En dépit de l’argument du défendeur et peu importe que le mécanisme décrit à l’article 182 de la Loi soit inscrit sous une rubrique intitulée Mode substitutif de règlement des différends, je conclus que cet article n’est pas indépendant du processus de négociation. À titre d’exemple, l’article 182, qui traite du règlement définitif et sans appel, et l’article 183, qui traite des directives du ministre visant la tenue d’un scrutin sur les dernières offres que l’employeur a faites à l’agent négociateur, figurent chacun sous un titre de rubrique différent. Pourtant, chacun de ces articles prévoit un mode substitutif de règlement par rapport au mode de règlement traditionnel des impasses lors d’une négociation collective. L’article 182 est l’un des nombreux outils dont les parties peuvent se prévaloir pour résoudre des différends ou des litiges qui peuvent survenir durant la période continue comprise entre le moment où l’avis de négocier a été donné et la signature d’une nouvelle convention collective. Dans l’affaire qui nous occupe, il s’agit d’un outil dont les parties peuvent se prévaloir pour résoudre l’impasse dans laquelle elles se trouvent, compte tenu de la grève qui se poursuit et de leur incapacité actuelle à conclure les négociations. Cette interprétation concorde avec les principes énoncés dans le préambule de la Loi.

 

[189] En conséquence, la Commission a conclu que l’obligation de négocier de bonne foi prévue à l’article 106 s’appliquait dès que l’employeur acceptait de recourir à l’article 182, déclarant ce qui suit au paragraphe 52 :

52 Étant donné que les parties peuvent se prévaloir des dispositions de l’article 182 à toute étape des négociations collectives, et que ces dispositions visent à aider les parties à conclure une convention collective et à régler les questions non résolues qui empêchent la conclusion de la convention collective, il est évident que ces obligations s’y attachent et demeurent jusqu’à la conclusion d’une entente. Le défendeur n’était pas obligé de consentir à participer à un règlement définitif et sans appel sous le régime de l’article 182, mais une fois qu’il s’est engagé dans des négociations portant sur les conditions dans le cadre desquelles la décision devait être rendue, il avait alors l’obligation de négocier ces conditions de bonne foi et de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective, comme le prévoit l’article 106. L’article 182, le recours aux dispositions de cet article ainsi que la négociation des conditions encadrant le recours à ce mode de règlement, sont tous partie intégrante du processus de négociation.

 

[190] La Commission a ensuite analysé la question de savoir si l’employeur avait enfreint l’article 106 et a conclu qu’il l’avait fait, pour des raisons sur lesquelles je reviendrai plus tard dans la partie de la décision portant sur le fond de l’affaire.

[191] Comme dans APASE, lorsque les parties négocient le Régime de soins dentaires, elles s’engagent dans des négociations qui sont ancrées dans le processus de négociation collective. Pour résoudre les différends qui surviennent dans le cadre de ce processus, elles ont également convenu de recourir à un mode substitutif de règlement des différends, à savoir le comité d’appel. L’AFPC et l’employeur ont tous deux fait référence au comité d’appel comme forme alternative de règlement des différends. Bien que l’article 182 n’existait pas au moment de la signature de la convention-cadre, la procédure de conciliation exécutoire qui a abouti à la décision Teplitsky était clairement une forme alternative de règlement des différends. En outre, bien que le protocole d’entente sur le comité d’appel signé par les parties le 4 mai 2018 ne fasse pas expressément référence à l’article 182, il crée, à l’instar de cet article, une tribune pour la résolution exécutoire des différends qui sont réputés être incorporés dans la convention collective.

[192] De plus, le protocole d’entente sur le comité d’appel reconnaît expressément que les parties peuvent s’adresser à la Commission pour obtenir de l’aide. Dans ce document, les parties ont convenu de ce qui suit : [traduction] « L’une ou l’autre des parties peut demander à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (CRTESPF), Services de règlement des différends, d’assister les parties dans l’administration du protocole d’entente. »

[193] Si les parties ne parviennent pas à se mettre d’accord sur la nomination d’un président neutre pour le comité d’appel, le protocole d’entente sur le comité d’appel indique ce qui suit :

[Traduction]

 

[…]

4. Si le poste vacant mentionné ci-dessus est celui du président, les membres du conseil de chaque partie conviennent de la nomination d’un nouveau président dans les plus brefs délais. Si les parties ne parviennent pas à se mettre d’accord sur un nouveau président, l’une ou l’autre des parties peut demander au président de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral de nommer un président.

[…]

 

[194] M. Sazant a témoigné que les parties avaient dû négocier le protocole d’entente sur le comité d’appel parce qu’il n’y avait rien dans la loi qui prévoyait quel était son mandat ou son format précis. Cela dit, le protocole d’entente contient à la fois des éléments tirés de l’article 182 et certains éléments applicables aux conseils d’arbitrage, tels que les facteurs ayant une incidence sur la prise de décisions (article 148 de la Loi, point 7 du protocole d’entente) et les restrictions relatives au contenu de la décision (article 150 de la Loi, points 10 et 11 du protocole d’entente).

[195] Par la voie de la procédure du comité d’appel, les parties ont mutuellement convenu d’une forme alternative de règlement des différends et ont accepté d’utiliser les services de la Commission pour les aider à résoudre les différends qui pourraient survenir dans le cadre de cette procédure. Le protocole d’entente sur le comité d’appel ne mentionne pas expressément l’article 182 de la Loi, mais cela ne change rien à ma conclusion selon laquelle la présente procédure est visée par cet article, et le fait que les parties conviennent de faire appel aux services de la Commission appuie cette conclusion. Bien que la décision APASE ait été rendue en relation avec le recours à l’article 182 avant la signature d’une convention collective, et que la procédure du comité d’appel puisse être utilisée pendant une période de négociation collective ou en dehors de celle-ci, le comité d’appel existe en tant que procédure de résolution de différends liés à la négociation collective qui peuvent entraîner des modifications qui sont réputées faire partie de la convention collective. Suivant APASE, j’estime qu’il est raisonnable de conclure que l’obligation de négocier de bonne foi s’ensuit, de même que la compétence de la Commission de statuer sur une plainte qui s’y rapporte.

[196] Quatrièmement, dans sa décision AFPC/Service Canada (ESE) rendue en 2010, la Commission a suivi une voie similaire à celle que j’emprunte dans le présent cas pour se déclarer compétente sur un différend relatif aux services essentiels, malgré le libellé de l’article 120 de la Loi, qui donne à l’employeur le droit exclusif de déterminer le niveau auquel un service essentiel doit être fourni au public. Dans cette décision, la Commission a estimé qu’elle avait compétence pour vérifier si le droit exclusif de l’employeur avait été exercé de bonne foi. Par conséquent, elle a déterminé qu’une demande d’ordonnance de production de documents de la part de l’AFPC était vraisemblablement pertinente pour une affaire dont elle pourrait être saisie.

[197] En menant son analyse dans AFPC/Service Canada (ESE), la Commission a suivi un raisonnement qui présente plusieurs ressemblances avec celui que l’AFPC me demande d’adopter dans le présent cas. La Commission s’est largement inspirée du préambule de la Loi pour trancher la question de sa compétence. Au paragraphe 112, elle renvoie à la décision rendue par la CSC dans Rizzo Shoes pour conclure que la Loi doit être interprétée de manière libérale et, au paragraphe 164, elle renvoie à la décision de la CSC dans Vaughan pour conclure que la Loi établit un régime exhaustif de règlement des conflits en matière de relations de travail dans la fonction publique fédérale. Plus important encore, la Commission a examiné en profondeur un argument que l’AFPC n’avait que brièvement invoqué, pour établir sa compétence sur ce qui était à l’époque l’article 36 de la loi précédente et qui est aujourd’hui l’article 12 de la Loi, qui se lit comme suit :

[Je mets en évidence]

 

[198] La conclusion de la Commission au sujet de cet article est énoncée en détail au paragraphe 166 :

166 Les pouvoirs de surveillance que l’article 36 de la Loi confère à la Commission lui permettent-ils d’aller un peu plus loin en intervenant si, par exemple, la communication de renseignements sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire que l’article 120 donne à l’employeur incite une partie touchée à alléguer que la décision de l’employeur était entachée d’une violation d’un important principe de droit administratif? En dépit des solides arguments avancés par le défendeur pour le nier, j’en suis venu en dernière analyse à souscrire à la position de la demanderesse. Si exceptionnelles que puissent être les circonstances qui justifieraient l’intervention de la Commission, je ne crois pas, tout bien pesé, qu’il soit conforme aux objets de la Loi, pris globalement, que la Commission se cantonne dans l’inaction si un conflit portant sur un principe fondamental de droit administratif et concernant une détermination fondée sur l’article 120 éclate au beau milieu d’un processus de négociation d’une ESE. L’alternative consisterait à laisser le règlement d’un tel conflit aux tribunaux, avec les délais incontournables d’une demande de règlement judiciaire. Je serais peut-être d’un autre avis si les tribunaux plutôt que la Commission avaient les connaissances spécialisées nécessaires pour comprendre la dynamique d’une situation de grève et la mesure dans laquelle une détermination du « niveau de service » est liée aux autres éléments d’une ESE. Les choses étant ce qu’elles sont, j’estime qu’il existe d’importantes raisons stratégiques compatibles avec les objets de la Loi pour justifier ma conclusion qu’il est plus logique que la Commission commence par se prononcer sur un conflit quant à l’exercice du pouvoir discrétionnaire reconnu par l’article 120, sous réserve que sa décision puisse faire l’objet d’un contrôle judiciaire s’il y a lieu. En outre, et c’est une question de droit, je crois que la Commission peut invoquer l’article 36 au besoin pour régler ce conflit parce qu’agir de la sorte est rationnellement et donc implicitement lié à la réalisation des objets de la Loi, régler les conflits avec efficience et maintenir des relations patronales-syndicales fructueuses.

[Je mets en évidence]

 

[199] Comme l’a fait valoir l’AFPC, la décision rendue par la Commission dans AFPC/Service Canada (ESE) a été confirmée aux paragraphes 40 et 41 de 2011 CAF 257.

[200] Si la Commission peut invoquer ce qui est aujourd’hui l’article 12 de la Loi pour se déclarer compétente pour trancher une question qui, selon la Loi, relève du pouvoir exclusif de l’employeur, je crois alors qu’il est également raisonnable pour moi d’invoquer l’article 12 pour accepter ma compétence à statuer sur une plainte fondée sur le processus de négociation collective entre les parties, lequel relève clairement de la compétence de la Commission.

[201] Je n’estime pas qu’il soit nécessaire d’analyser plus en détail chacun des autres arguments ou éléments de jurisprudence qui ont été invoqués par l’AFPC, puisque l’employeur n’a pas formulé d’arguments précis. Je me contenterai de dire que les principes sur lesquels l’AFPC s’est fondée, lesquels sont tirés des décisions Vavilov, Vaughan, AFPC/Recours en reclassification, Kornelsen et ACCTA, corroborent tous la conclusion à laquelle j’en suis arrivé.

[202] Je souligne que l’employeur a fait valoir qu’il existe d’importantes différences entre la Loi et les régimes législatifs concernés dans Prairie Hotels et United Nurses of Alberta. Je n’analyserai pas ces arguments en détail, puisque je ne me suis pas fondé sur ces cas pour étayer les motifs de ma décision au regard de la compétence.

[203] Je note par ailleurs que les cas invoqués par l’employeur (Lethbridge, Burnco Rocks, IAFF et OPSEU) relèvent tous eux aussi d’autres ressorts. Les décisions Lethbridge et Burnco Rocks reposent sur la thèse selon laquelle il doit y avoir un lien entre l’avis de négociation et l’obligation de négocier de bonne foi, un point qui a déjà été pleinement examiné dans la présente décision.

[204] Il est vrai que, dans IAFF, l’Alberta Labour Relations Board (ALRB) a déclaré que [traduction] « [d]ans le cours normal des choses, on ne s’attend pas à ce que l’ALRB ait un rôle à jouer dans l’interprétation et l’application […] de divers contrats » qui ne font pas partie d’une convention collective. Cependant, comme l’a souligné l’AFPC, l’ALRB a fait preuve d’une très grande prudence en formulant cette conclusion. L’ALRB a également déclaré qu’elle ne croyait pas [traduction] « […] qu’il soit conforme à la politique publique telle qu’elle est énoncée dans les dispositions du Code de conclure qu’il est possible pour un agent négociateur de faire en sorte que des conditions d’emploi soient écartées de la table de négociation de manière irrévocable ». Ce n’est pas ce que l’AFPC a fait dans le présent cas, puisqu’elle continue de négocier un régime de soins dentaires qui est réputé faire partie des conventions collectives.

[205] Dans OPSEU, la Commission de règlement des griefs (CRG) de l’Ontario a déclaré que les parties ne s’attendaient vraisemblablement pas à ce que son processus de mise sur pied d’un comité de règlement des griefs de classification enclenche l’obligation de négocier de bonne foi, et qu’il serait inhabituel qu’une telle obligation s’applique à un processus qui se déroule pendant qu’une convention collective est encore en vigueur. Il convient toutefois d’établir une distinction avec la présente affaire, car la décision OPSEU portait sur un grief et non sur une plainte et, à cet égard, faisait intervenir un comité de règlement des griefs de classification dont le statut différait de celui du Régime de soins dentaires, qui est réputé faire partie des conventions collectives liant les parties.

[206] Quoi qu’il en soit, la CRG a accueilli le grief dans cette affaire et a ordonné à l’employeur de cesser d’établir des conditions préalables et de s’en abstenir. Au mieux, je suis d’avis que l’affaire OPSEU donne à penser que l’AFPC aurait pu déposer un grief de principe contre le refus de l’employeur de s’asseoir à la table, plutôt que déposer la présente plainte. Cependant, puisque l’employeur n’a pas fait valoir que c’est ce que l’AFPC aurait dû faire, je n’examinerai pas cette question plus en profondeur.

[207] En conclusion, je suis d’avis que le Régime de soins dentaires est un mécanisme important par lequel les parties négocient collectivement un ensemble particulier de conditions d’emploi. Les négociations visant ce régime s’inscrivent dans le processus de négociation collective que mènent les parties sous le régime de la Loi. Compte tenu des faits du présent cas, l’obligation de négocier de bonne foi prévue à l’article 106 de la Loi s’applique. Qui plus est, en me fondant sur le préambule de la Loi, sur les décisions rendues par la CSC dans Health Services et Royal Oak Mines, ainsi que sur les décisions de la Commission dans APASE et AFPC/Service Canada (ESE), je conclus qu’il est indiqué et conforme à la Loi que la Commission statue sur la présente plainte. J’ai été en mesure d’établir une distinction entre la présente plainte et les cas invoqués par l’employeur. Je me pencherai maintenant sur le bien-fondé de la plainte.

B. Question 2 : L’employeur a-t-il enfreint l’article 106 de la Loi?

[208] Une semaine après la fin de l’audition de la présente plainte, la Commission a rendu publique sa décision à l’égard d’une plainte de négociation de mauvaise foi déposée par l’employeur; voir Conseil du Trésor c. Guilde de la marine marchande du Canada, 2023 CRTESPF 7 (« GMMC »). Dans cette plainte, l’employeur alléguait que l’agent négociateur (la « Guilde ») avait contrevenu à l’article 106 de la Loi en ne négociant pas de bonne foi du fait de sa conduite durant les négociations, en retardant ou en abrégeant plusieurs séances de négociation et en demandant prématurément l’arbitrage de la convention collective. La Commission a rejeté la plainte après avoir passé en revue la jurisprudence et l’avoir appliquée aux faits du cas, concluant au paragraphe 83 qu’elle n’était pas convaincue que la Guilde « […] n’avait pas vraiment l’intention de conclure une convention collective ni qu’elle espérait détruire ses rapports de négociation collective avec le Conseil du Trésor ».

[209] En raison de l’objet de la décision de la Commission dans GMMC et du moment où cette décision a été rendue, j’ai invité les parties à me faire part, si elles le souhaitaient, de leurs arguments sur l’application de cette décision à la présente plainte. C’est ce qu’ont fait les deux parties le 8 février 2023.

[210] Le résumé des arguments et les motifs qui suivent s’appuient sur les arguments invoqués par les parties à l’audience, ainsi que sur leurs arguments écrits concernant GMMC.

1. Les arguments de l’AFPC

[211] L’AFPC a fait valoir que l’article 106 comporte deux éléments distincts, à savoir : l’obligation de négocier de bonne foi, qui doit être appréciée selon une norme subjective, et l’obligation de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective, qui doit être évaluée selon une norme objective : voir Royal Oak Mines, au par. 42.

[212] Selon l’AFPC, l’établissement de conditions préalables à la négociation est incompatible avec l’obligation de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective; voir Alliance de la Fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor), 1991 CarswellNat 1574 (CRTFPC), au par. 19 (« AFPC 1991 »).

[213] L’employeur a subordonné les négociations visant le Régime de soins dentaires au respect de trois conditions préalables : il voulait conclure les négociations sur le RSSFP avant d’entreprendre les négociations sur le Régime de soins dentaires; il devait solliciter un mandat avant d’entreprendre les négociations et il voulait réaliser une étude comparative avant de solliciter ce mandat. L’AFPC ne pouvait accepter ces conditions préalables lorsque la présente plainte a été présentée, au motif que cela aurait considérablement retardé le début et la conclusion des négociations. Le fait que les négociations n’avaient toujours pas commencé au moment de l’audience ne fait que le confirmer.

[214] Dans APASE, la Commission a conclu que l’employeur avait manqué à l’obligation de négocier de bonne foi en subordonnant le mandat du conseil d’arbitrage au respect d’une condition préalable : voir les paragraphes 54 à 56 et 58 à 61. Étant donné les conditions préalables imposées dans le présent cas, l’AFPC a fait valoir que la Commission devrait rendre une conclusion similaire.

[215] Les parties doivent être disposées à négocier, même si elles doivent pour ce faire affecter des ressources supplémentaires, a soutenu l’AFPC; voir Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2008 CRTFP 78, aux paragraphes 65 et 69 à 71 (« IPFPC/ACIA 2008 »).

[216] L’employeur n’aurait pas dû être surpris par la lettre du 10 janvier 2022 dans laquelle l’AFPC disait souhaiter entamer les négociations. L’AFPC a suivi le même processus qu’elle a utilisé en 2016 lorsqu’elle a signifié un avis de négocier et demandé la production de données. En janvier 2017, lorsque l’employeur a refusé de fixer des dates, l’AFPC a menacé de déposer une plainte de négociation de mauvaise foi. Peu après, l’employeur a confié à M. Leffler le mandat de négocier de bonne foi.

[217] Lorsque les parties en sont arrivées à une impasse dans le processus de négociation, elles ont conjointement demandé que le comité d’appel fixe la durée du Régime de soins dentaires. Le comité d’appel a alors déterminé que le Régime de soins dentaires serait en vigueur du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2021. L’employeur n’aurait pas dû être surpris de l’existence de cette durée. Ce ne fut pas une surprise pour la composante du CNM, qui a lui aussi demandé que des négociations soient lancées, et ce deux mois seulement après que l’AFPC l’a demandé.

[218] Il ne s’agit pas ici d’un dialogue de sourds entre deux parties, a soutenu l’AFPC. En faisant abstraction de l’existence de la durée d’application, l’employeur ferme délibérément les yeux sur ses obligations ou fait preuve d’amnésie institutionnelle. Ce n’est pas à l’AFPC de rappeler à l’employeur la durée d’application du Régime de soins dentaires ou d’expliquer à M. Prest les procédures de la négociation collective. Les deux parties à la présente plainte sont des négociateurs avertis et le Régime de soins dentaires fait partie de leurs conventions collectives et de leur rapport en matière de négociation. L’employeur devrait comprendre les lois et aurait dû prévoir l’établissement d’un mandat pour entamer des négociations.

[219] L’AFPC a fait valoir qu’exiger la réalisation d’une étude comparative avant de solliciter un mandat de négociation n’est pas une condition préalable raisonnable. Bien que l’employeur puisse souhaiter la réalisation d’une étude comparative, il n’était pas raisonnable qu’il attende l’expiration du Régime de soins dentaires et la présentation d’une demande de négociations par l’AFPC avant de demander à cette dernière de participer à l’étude. De même, il n’était pas raisonnable pour l’employeur d’insister pour terminer l’étude avant d’entamer les négociations. L’étude sur le RSSFP a duré trois ans et il ne s’agissait pas d’une étude conjointe. L’AFPC ne s’oppose pas à l’idée de participer à une étude comparative, mais elle ne pouvait accepter la proposition qui a été faite en mai 2022 et qui, selon elle, aurait vraisemblablement retardé les négociations de plus d’un an.

[220] La négociation de bonne foi exige des employeurs qu’ils reconnaissent et qu’ils respectent le statut légal des agents négociateurs en tant que représentants exclusifs des unités de négociation pour lesquelles ils sont accrédités, a fait valoir l’AFPC. Cette exigence doit être satisfaite avant d’entreprendre une analyse pour déterminer si les parties négocient de bonne foi. L’employeur s’obstine depuis longtemps à traiter l’AFPC et le CNM comme une seule et même composante, et cela va à l’encontre de cette obligation, a affirmé l’AFPC. L’AFPC a clairement communiqué son intention de demeurer une composante distincte.

[221] La composante du CNM a aussi dit souhaiter être traitée de façon distincte, et elle n’a pas demandé la conduite d’une étude comparative conjointe avec l’AFPC. Malgré cela, l’employeur a invité l’AFPC à participer à l’étude comparative et a continué d’insister pour que l’étude qu’il mène avec la participation de la composante du CNM soit terminée avant d’entreprendre des négociations avec elle. En réalité, l’employeur a demandé à l’AFPC de rester en retrait pendant plus d’un an, le temps qu’il termine l’étude qu’il mène avec la composante du CNM.

[222] Quoi qu’il en soit, il n’est pas nécessaire de mener une étude comparative pour négocier le Régime de soins dentaires, a affirmé l’AFPC. Les parties ont accepté de négocier le régime et d’en saisir le comité d’appel si elles ne peuvent parvenir à un accord. Dans le cadre d’un processus d’arbitrage de différends, chaque partie doit justifier sa position auprès du comité d’appel. Si une partie ne parvient pas à bien le faire, il est probable que c’est l’autre partie qui aura gain de cause. En 2018, les deux parties ont mené des analyses sectorielles et économiques et ont relevé certains problèmes concernant le régime. La capacité des parties de mener de telles recherches se reflète dans le caractère très poussé des mémoires qu’elles ont présentés au comité d’appel. Certaines propositions étaient fondées sur des données, d’autres simplement sur des besoins. Durant ces négociations, l’employeur avait un mandat axé sur la neutralité des coûts. Ce mandat était dicté par des intérêts, et non par la science, a affirmé l’AFPC. Même si les parties ont accès à une étude comparative, elles peuvent invoquer des arguments différents selon leurs intérêts propres.

[223] Si l’on présume, sans toutefois l’accepter, que l’employeur a été pris par surprise en janvier 2022, il a mis beaucoup trop de temps à se ressaisir, a fait valoir l’AFPC. L’AFPC s’est préparée aux négociations en sollicitant l’avis de ses membres plusieurs mois avant l’expiration du Régime de soins dentaires. M. Sazant a dû passer en revue 10 000 suggestions de membres avant de présenter la demande de production de données, le 6 janvier 2022. L’employeur n’a pas eu à faire ce travail. Malgré cela, l’AFPC était prête à entamer les négociations en mars 2022 et elle a demandé que des dates de négociation soient fixées en mai 2022. M. Sazant a réussi à faire cela tout en présidant les négociations visant le RSSFP au nom des agents négociateurs et en menant d’autres négociations pour le compte de l’AFPC. Bien qu’il faille reconnaître que la culture du Conseil du Trésor diffère, il incombe en dernier ressort à l’employeur de se préparer aux négociations. Lorsque la présente plainte a été présentée, l’employeur n’était pas prêt.

[224] L’AFPC a fait valoir que, lorsque la Commission est saisie d’une plainte de négociation de mauvaise foi, elle doit examiner l’ensemble du processus de négociation, y compris ce qui s’est produit avant et après le dépôt de la plainte; voir IPFPC/ACIA 2008, au par. 56 et GMMC, au par. 64. Non seulement l’employeur n’était pas prêt à commencer les négociations en mai 2022, mais il ne l’était toujours pas lors de l’audition, en janvier 2023. Plus d’un an avait passé et il n’était toujours pas prêt. Ce n’est pas ce qu’on peut appeler négocier de bonne foi ou faire tout effort raisonnable pour conclure une convention, a fait valoir l’AFPC.

[225] Quant à GMMC, l’AFPC a fait valoir qu’elle présente des résumés utiles des principes régissant l’obligation de négocier, mais qu’une partie de la jurisprudence qui y est mentionnée est antérieure à Royal Oak Mines de la CSC. Parmi les cas mentionnés par la Commission au paragraphe 65 de ses motifs figure la décision Hodges v. Dominion Glass Co. Ltd., [1964] 2 O.R. 239, dans laquelle la distinction entre la négociation de bonne foi et tout effort raisonnable a été qualifiée de [traduction] « […] si ténue et si vague qu’elle n’a aucune importance juridique ». Selon l’AFPC, ce cas n’est plus valable en droit depuis Royal Oak Mines, qui précise que l’obligation de négocier de bonne foi doit être appréciée selon une norme subjective, alors que l’obligation de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective doit être évaluée en regard d’une norme objective. L’AFPC a soutenu que ce point est important, car le principal témoin de l’employeur (M. Prest) a déclaré qu’il avait peu ou pas de connaissance, d’expérience ou de compréhension de la négociation collective ou de l’arbitrage de différends. Il n’est pas une défense en droit que de dire « je ne savais pas mieux », alors que l’article 106 énonce une exigence objective distincte et que les parties à la plainte sont des institutions averties qui négocient depuis longtemps entre elles, a soutenu l’AFPC.

[226] Enfin, l’AFPC a fait valoir que la jurisprudence invoquée au paragraphe 65 de GMMC met l’accent sur la conclusion d’une convention collective et que l’on pourrait être tenté de se concentrer sur les questions de négociation qui mènent à la ratification et à la signature d’une convention collective. En excluant le fait que la négociation des conventions collectives des groupes PA, SV, TC, EB et FB n’est pas encore terminée, pareille tentation serait déplacée, a soutenu l’AFPC.

[227] Selon le libellé de chacune de ces conventions collectives, le Régime de soins dentaires, tel que modifié de temps à autre, est réputé faire partie de la convention collective. Le régime a été modifié pour la dernière fois par une décision du comité d’appel qui prévoyait notamment que le régime serait en vigueur du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2021. À l’expiration de cette échéance, les dispositions pertinentes de la convention collective n’étaient plus conclues. Tout comme lors de l’application d’une clause de réexamen des salaires, l’expiration du Régime de soins dentaires a réactivé l’obligation de négocier de bonne foi, laquelle a débuté lorsque les avis ont été signifiés pour les groupes PA, SV, TC, EB et FB et existe toujours, malgré l’existence d’une disposition relative à l’arbitrage de différends; voir United Nurses of Alberta, aux paragraphes 17, 19 et 24 et APASE, aux paragraphes 54 à 56 et 58 à 61.

2. Arguments de l’employeur

[228] L’employeur a souscrit à la thèse de l’AFPC quant à l’application de Royal Oak Mines, lequel exige à la fois une appréciation subjective de la volonté des parties de négocier de bonne foi, ainsi qu’une évaluation objective visant à déterminer si les parties font des efforts raisonnables pour conclure une convention. Il a affirmé qu’une partie sera réputée contrevenir à l’article 106 si elle ne se conforme pas à ces deux exigences.

[229] Toutefois, l’employeur a fait valoir que l’obligation de négocier de bonne foi n’impose pas aux parties l’obligation de parvenir à une entente, mais l’obligation d’en avoir l’intention. Voir Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2009 CRTFP 102, au par. 84 (« Négociations IPFPC/CS 2009 »).

[230] L’obligation de négocier de bonne foi n’exclut pas la négociation « serrée », soit « […] l’adoption d’une ligne dure dans l’espoir de pouvoir forcer l’autre partie à accepter les conditions qui lui sont offertes », a fait valoir l’employeur; voir Health Services, aux paragraphes 103 et 104. La négociation serrée n’est pas la même chose que la négociation « de façade », quand la partie feint de négocier alors qu’en réalité elle n’a pas l’intention de signer de convention collective. Voir Négociations IPFPC/CS 2009, au par. 85.

[231] L’employeur a fait valoir que le manquement à l’obligation de négocier de bonne foi ne doit pas être constaté à la légère et doit être bien étayé par le dossier dont dispose la Commission; voir Health Services, au par. 107.

[232] Dans le présent cas, l’employeur a fait valoir que le dossier dont dispose la Commission montre qu’il a négocié de bonne foi en procédant comme suit :

· en suivant la procédure distincte de règlement des différends convenue entre les parties;

· en fournissant à l’AFPC les données détaillées sur les coûts dans les semaines suivant la demande;

· en invitant l’AFPC à faire part de ses propositions pour le renouvellement du Régime de soins dentaires, malgré qu’il n’était pas prêt à présenter les siennes;

· en invitant l’AFPC à participer à l’étude comparative conjointe avec le CNM;

· en expliquant qu’il ne disposait pas de ressources suffisantes pour négocier simultanément deux importants régimes d’avantages sociaux : le RSSFP et le Régime de soins dentaires.

 

[233] L’employeur a fait valoir que son souhait de réaliser une étude comparative était raisonnable compte tenu de la pandémie de COVID-19 et de son incidence sur les pratiques de soins dentaires, des taux d’inflation record et de l’instauration d’un régime national de soins dentaires par le gouvernement fédéral. Ces facteurs ont fondamentalement modifié le contexte économique dans lequel le Régime de soins dentaires s’inscrit, a-t-il déclaré. Il n’est pas déraisonnable que l’employeur veuille avoir des données indépendantes concernant le marché, puisqu’il doit avoir à l’esprit l’intérêt public, tenir compte des facteurs économiques généraux et évaluer les conséquences financières de modifications apportées aux cinq composantes du Régime de soins dentaires.

[234] L’employeur a invité de bonne foi l’AFPC à participer à l’étude comparative. L’AFPC n’aurait pas dû s’en étonner, puisque les parties venaient de réaliser une étude similaire pour le RSSFP. Même si l’AFPC ne pense pas que l’étude soit nécessaire, cela ne signifie pas que la position de l’employeur est déraisonnable ou que le retard qui en résulte est considéré comme une négociation de mauvaise foi. Au contraire, la mauvaise foi a été constatée dans des circonstances où l’employeur n’a pas fourni de justification économique ou commerciale pertinente pour étayer ses décisions de négociation; voir Canadian Union of Public Employees (Airline Division), Local 4027 v. Iberia Airlines of Spain, (1990) 13 CLRBR (2e) 224, au par. 125.

[235] En revanche, selon l’employeur, c’est l’AFPC qui a agi de mauvaise foi en agissant comme suit :

• en s’écartant unilatéralement d’une pratique de longue date favorisant un dialogue ouvert et informel au sein du conseil de gestion avant d’entamer des négociations en vue de modifier le Régime de soins dentaires;

• en insistant pour que l’employeur obtienne un mandat du président du Conseil du Trésor en l’absence de coûts comparables pertinents;

• en refusant de reconnaître le bien-fondé d’une analyse comparative, en ne tenant pas compte des préoccupations légitimes de l’employeur quant à l’évolution du contexte économique;

• en insistant pour que l’employeur consacre ses ressources humaines limitées au lancement des négociations sur le Régime de soins dentaires alors que les négociations sur le RSSFP devaient être achevées d’urgence.

 

[236] L’employeur a fait valoir que la présente plainte n’est rien d’autre qu’une tentative de l’AFPC de contourner la procédure de règlement des différends convenue (le comité d’appel) dans l’espoir d’obtenir un avantage stratégique dans le cadre des négociations collectives plus larges en cours avec l’employeur.

[237] Selon l’employeur, pour évaluer ces arguments, la Commission devrait examiner l’ensemble du processus de négociation; voir GMMC, aux paragraphes 64 à 68. La Commission devrait également tenir compte de l’histoire des parties et de leurs relations; voir GMMC, aux paragraphes 71 et 72. Dans le présent cas, l’employeur a démontré que les parties avaient convenu d’une procédure de négociation indépendante pour le régime de soins dentaires, en marge du processus de négociation collective. Le libellé de la convention collective en tient compte, puisqu’il renvoie au régime, et à ses modifications successives.

[238] L’employeur a été étonné de recevoir les lettres de l’AFPC en janvier 2022. En 2018, les parties ont eu recours pour la première fois à la procédure du comité d’appel pour négocier le régime de soins dentaires. Il n’a pas semblé à l’employeur que le 31 décembre 2021 était une « date d’expiration » pour négocier le régime. Si l’AFPC y travaillait six mois avant la date d’expiration, il aurait été raisonnable qu’elle en informe l’employeur. L’employeur s’est fié à 30 ans d’expérience et de pratique des négociations pour orienter son approche de la négociation des modifications au régime. Il lui était raisonnable d’agir comme il l’a toujours fait. En outre, compte tenu de la longue relation des parties, il est normal que l’employeur se soit attendu à ce que l’AFPC suive la procédure indépendante de règlement des différends du comité d’appel plutôt que de présenter une plainte auprès de la Commission.

[239] L’employeur a également fait valoir que les ressources limitées et les priorités concurrentes des parties avaient été reconnues par la Commission dans GMMC, aux paragraphes 82 et 83. Dans le présent cas, l’employeur a démontré qu’il devait respecter un calendrier strict pour mener à bien les négociations du RSSFP avant le changement d’administrateur prévu en juillet 2023. L’annonce d’un programme national de soins dentaires a également détourné l’attention de M. Prest et de son équipe. L’employeur a fait valoir qu’il avait expliqué cette réalité à l’AFPC et qu’il avait réitéré son engagement à conclure une entente relative au Régime de soins dentaires dès qu’il serait raisonnablement possible de le faire.

3. Motifs

[240] Dans la jurisprudence citée par les parties, il est difficile de faire un condensé concis des principes régissant l’obligation de négocier de bonne foi et de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective. Les principes résumés dans GMMC, aux paragraphes 65 à 68, couvrent près de cinq pages. Dans la section 10.25 (« Rational discussion and reasonable efforts ») de son ouvrage Canadian Labour Law, 2e éd., George Adams fait un résumé de sept pages, exclusion faite des notes de bas de page.

[241] Comme point de départ succinct, mais utile, on peut se reporter au paragraphe 66 de GMMC, qui contient la citation ci-dessous tirée des lignes directrices établies dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor), dossier de la CRTFP 148-02-16 (19770630), [1977] C.R.T.F.P.C. no 16 (QL), au par. 11 :

[…]

a) L’employeur doit reconnaître le syndicat comme l’agent négociateur de ses employés.

b) L’employeur et l’agent négociateur doivent avoir tous deux l’intention de conclure une convention collective, même si les parties sont en désaccord sur le contenu de la convention.

c) L’employeur doit fournir suffisamment de renseignements pour faire en sorte que les discussions soient documentées et rationnelles. La raison sous-jacente à une telle obligation a été exprimée comme suit :

En tant que question générale de politique, si les parties sont sur le point de s’engager dans un conflit économique, leurs divergences doivent être réelles et bien définies.

d) Le processus de la négociation collective doit être considéré comme un tout.

 

[242] Je conviens que l’élément de reconnaissance est essentiel, et lorsqu’il est conclu que les actions d’un employeur visaient à saper la reconnaissance d’un syndicat ou d’un agent négociateur, il a été conclu au manquement à l’obligation de négocier de bonne foi; voir Royal Oak Mines. L’intention de conclure une convention collective est également essentielle. Lorsque la Commission a estimé qu’un manquement allégué à l’obligation n’équivalait pas à une intention d’éviter de conclure une convention collective, les plaintes présentées en vertu de l’article 106 ont été rejetées; voir GMMC, au par. 83, et Négociations IPFPC/CS 2008, aux paragraphes 84 et 92.

[243] Les dialogues et discussions rationnels sont également des éléments clés de l’obligation de négocier de bonne foi. Pour résumer l’importance de ce principe, je m’appuierai sur GMMC, au par. 65, où l’on cite une succession de cas remontant jusqu’à United Steelworkers of America on behalf of Local 13704 v. Canadian Industries Limited, [1976] OLRB Rep., May 199, au par. 19 (« United Steelworkers »), dans laquelle la Commission des relations du travail de l’Ontario (CRTO) a conclu ce qui suit :

[Traduction]

19. L’exigence de tenir une discussion rationnelle impose aux parties l’obligation de communiquer entre elles, de reconnaître qu’une négociation collective adéquate repose sur des communications efficaces. Bien que le défaut de communiquer puisse ne pas sembler être le même genre de faute que le refus de reconnaître l’autre partie, en réalité il a des conséquences très graves pour le processus de négociation collective dans son ensemble. L’interruption des rapports de négociation établis, en raison du refus de s’engager dans une discussion exhaustive avec l’autre partie, est susceptible de favoriser le recours plus fréquent aux sanctions pécuniaires et d’entraîner une plus grande insatisfaction à l’égard du processus de négociation collective. L’obligation de négocier de bonne foi reconnaît l’importance de la négociation collective en tant que structure permettant à un syndicat et un employeur de dialoguer pleinement.

 

[244] Il a également été constaté que les conditions préalables imposées par l’une ou l’autre des parties équivalent à des négociations de mauvaise foi, car elles mettent fin au dialogue. Dans AFPC 1991, l’employeur a insisté pour que l’agent négociateur accepte une position de restriction salariale introduite par voie législative avant d’accepter de revenir à la table de négociation. La Commission a conclu, au paragraphe 19, qu’il s’agissait d’un manquement à l’obligation de négocier de bonne foi. Dans un cas où l’employeur a refusé de fournir les données salariales nécessaires à une discussion rationnelle des propositions de négociation, la Commission a également conclu à un manquement à l’obligation de négocier de bonne foi; voir IPFPC/ACIA 2008, au par. 68.

[245] Dans APASE, l’employeur a déclaré qu’il accepterait que l’affaire soit renvoyée à l’arbitrage exécutoire si l’agent négociateur acceptait de renoncer à soumettre les salaires de groupes comparateurs au groupe d’arbitrage. Au paragraphe 63, la Commission a conclu que cette condition préalable avait franchi la ligne entre la négociation « serrée » et la négociation « de façade », ce qui montrait l’intention de ne pas conclure de convention collective.

[246] Enfin, les deux parties se sont entendues sur l’application des principes énoncés comme suit par la CSC dans Royal Oak Mines, au par. 42 :

42. […] Non seulement les parties doivent négocier de bonne foi, mais encore elles doivent faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective. Les deux éléments sont d’égale importance et une partie déroge à cette disposition si elle ne remplit pas les deux obligations. Il peut fort bien y avoir des exceptions, mais en règle générale, l’obligation d’entamer des négociations de bonne foi doit être appréciée selon une norme subjective alors que celle de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention doit être évaluée selon une norme objective, le Conseil prenant en considération les normes et pratiques comparables dans le secteur d’activités. C’est la deuxième partie de l’obligation qui empêche une partie de se dérober en prétendant qu’elle tente sincèrement de conclure une entente alors qu’objectivement ses propositions sont tellement éloignées des normes acceptées dans le secteur d’activités qu’elles doivent être tenues pour déraisonnables.

 

[247] Dans la présente plainte, les allégations de l’AFPC selon lesquelles l’employeur a violé l’article 106 peuvent se résumer comme suit :

· l’employeur a refusé de fixer les dates auxquelles seraient entamées les négociations;

· l’employeur a tardé à fournir les données relatives à la négociation du Régime de soins dentaires;

· l’insistance de l’employeur pour terminer les négociations du RSSFP avant d’entamer les négociations du Régime de soins dentaires constituait une condition préalable déraisonnable à la négociation collective;

· l’insistance de l’employeur pour réaliser une étude comparative avec la composante du CNM du Régime de soins dentaires avant de demander un mandat ou d’entamer des négociations constituait également une condition préalable déraisonnable à la négociation;

· il était déraisonnable de la part de l’employeur de proposer que l’AFPC dépose ses propositions relatives au Régime de soins dentaires alors qu’il n’était pas prêt à présenter les siennes;

· en rapport avec ces allégations, l’AFPC a également fait valoir qu’il était déraisonnable de la part de l’employeur de ne pas reconnaître ni respecter l’existence d’une durée pour le Régime de soins dentaires, étant donné que le comité d’appel en avait fait clairement mention dans la décision d’octobre 2018.

 

[248] Je répondrai rapidement à l’allégation de l’AFPC concernant l’achèvement des négociations visant le RSSFP. J’estime que les motifs invoqués par l’employeur pour donner la priorité à ces négociations en mai 2022 étaient clairs et raisonnables. Il avait été décidé de remplacer l’administrateur du RSSFP d’ici juillet 2023, et les parties participant au régime ont dû terminer les modifications du régime afin de se préparer à ce changement.

[249] Même si M. Sazant se sentait apte à mener de front les négociations du RSSFP et entamer celles visant le Régime de soins dentaires, je retiens le témoignage de M. Prest selon lequel les pressions exercées sur l’équipe de l’employeur étaient telles que son équipe disposait d’une [traduction] « bande passante limitée » pour gérer les deux processus en parallèle. Je trouve cela raisonnable d’un point de vue subjectif et objectif.

[250] En outre, cette condition préalable à la négociation a cessé d’exister quand les parties ont annoncé, en août 2022, qu’elles étaient parvenues à une entente sur les modifications à apporter au RSSFP. Après cela, ces négociations n’étaient plus un obstacle au début des négociations.

[251] J’estime que l’employeur a également agi de bonne foi en fournissant assez rapidement à l’AFPC les données relatives à la négociation du Régime de soins dentaires. L’AFPC a présenté sa demande le 6 janvier 2022. M. Prest a témoigné que Canada Vie a dû effectuer un travail considérable pour extraire les données et les coûts se rapportant uniquement à l’AFPC. Le 22 février 2022, l’employeur a fourni les données démographiques demandées. Le 8 mars 2022, l’employeur a fourni les données sur les coûts. M. Sazant a peut-être ressenti le besoin de rappeler à plusieurs reprises à M. Biswas que l’AFPC attendait les données, mais l’employeur n’a pris que huit semaines pour répondre entièrement à la demande de données de l’AFPC. Selon moi, l’employeur a respecté le principe selon lequel l’échange de données est une composante importante de la négociation de bonne foi; voir IPFPC/ACIA 2008, au par. 68.

[252] Je rejette également l’allégation selon laquelle l’employeur a agi de mauvaise foi lorsqu’il a invité l’AFPC à déposer ses propositions de modification du Régime de soins dentaires, même s’il n’avait pas le mandat de déposer lui-même des propositions. Il s’agirait d’une manière peu conventionnelle d’entamer des négociations, mais je ne vois pas de mauvaise foi dans cette invitation. M. Sazant a expliqué à M. Biswas pourquoi l’AFPC n’accepterait pas de négocier de cette manière. Une fois que cela a été fait, M. Biswas n’a pas insisté.

[253] En ce qui concerne l’étude comparative, les parties ont présenté des arguments contraires quant à son utilité ou à sa pertinence dans le cadre des négociations. Je ne pense pas qu’il appartienne à la Commission de se prononcer sur ces arguments. L’employeur souhaitait obtenir une étude pour fournir des données comparables et fiables sur les régimes dentaires dans un contexte en évolution rapide, compte tenu des répercussions de la pandémie sur l’industrie, du taux d’inflation actuel et de la possible incidence du nouveau programme national de soins dentaires. Il a invité l’AFPC à participer, en bonne foi. Par principe, l’AFPC ne s’opposait pas non plus à l’idée d’une étude, même si elle ne la trouvait pas nécessaire pour que les parties négocient ou se présentent éventuellement devant un comité d’appel. Toutefois, elle a fait valoir que la conclusion d’une entente relative au régime de soins dentaires était une question d’intérêts et que les données et la science ne peuvent en déterminer l’issue. En bref, je ne conclus pas que l’employeur est de mauvaise foi en demandant une étude comparative, mais je ne suis pas non plus d’accord avec lui lorsqu’il affirme que l’AFPC a agi de mauvaise foi en refusant de participer à l’étude.

[254] La véritable question est de savoir si le fait que l’employeur a insisté pour mener l’étude comparative avant de demander un mandat pour entamer les négociations du Régime de soins dentaires démontrait de la mauvaise foi.

[255] L’AFPC a affirmé que si l’employeur voulait une étude comparative pour guider les négociations, il aurait dû en entamer une bien avant l’expiration du Régime de soins dentaires. L’employeur n’aurait pas dû s’étonner que l’AFPC lui signifie l’avis de négocier le Régime de soins dentaires. Les parties connaissaient la date d’expiration du régime bien avant le 31 décembre 2021. Si l’employeur avait communiqué avec l’AFPC avant la date d’expiration, l’AFPC aurait peut-être accepté de participer à l’étude, a déclaré M. Sazant. Elle ne pouvait pas y consentir en mai 2022, car cela aurait retardé de plus d’un an le début des négociations.

[256] L’AFPC a fait valoir que M. Prest n’était peut-être pas familier avec le processus de négociation collective, mais que son expérience subjective ne devrait pas servir à statuer sur la présente plainte. Le Conseil du Trésor, en tant qu’institution, connaît très bien le processus de négociation collective et n’aurait pas dû être étonné que l’AFPC veuille entamer des négociations.

[257] En réponse, l’employeur a argumenté que, contrairement à une convention collective, le Régime de soins dentaires n’a pas de date d’expiration. Il a fait valoir qu’au cours des 30 dernières années, les parties ont toujours eu des discussions informelles, au sein du conseil de gestion, concernant les modifications à apporter au régime et que c’est l’AFPC qui a agi de manière déraisonnable en s’écartant de cette pratique et en envoyant un avis officiel de négociation en 2016, puis de nouveau en 2022.

[258] Hormis le témoignage de M. Leffler, on m’a fourni très peu d’éléments de preuve sur les 30 ans de négociation du régime de soins dentaires entre les parties. Parmi les témoins que j’ai entendus, M. Sazant est celui qui a siégé le plus longtemps au conseil de gestion, soit sept ans. Aucun élément ne m’a été présenté pour étayer la fréquence des réunions de ce conseil et les questions qui y sont abordées. Je n’ai aucune raison de douter que, pendant la majeure partie des 30 années d’existence du conseil, les modifications du régime ont été apportées de manière informelle avant d’être officialisées, mais je ne sais pas exactement comment cela s’est passé dans la pratique.

[259] Les éléments de preuve concernant l’histoire récente de la négociation des régimes de soins dentaires étaient beaucoup plus détaillés. L’AFPC a déposé un avis de négociation le 2 mai 2016, alors qu’aucune modification n’avait été apportée au régime depuis 2008. Quelque huit mois plus tard, le 11 janvier 2017, le conseiller juridique de l’AFPC a envoyé une [traduction] « mise en demeure » à M. Leffler, menaçant de présenter une plainte pour négociation de mauvaise foi si le Conseil du Trésor ne fournissait pas de données et ne fixait pas de dates. Le 19 janvier 2017, l’employeur a fourni les données demandées et a proposé des discussions informelles au conseil de gestion en février, ainsi qu’un échange de propositions formelles en avril 2017. Les parties ont ensuite entamé des négociations et, le 18 juillet 2017, l’AFPC a invoqué la procédure devant le comité d’appel. À peu près à la même époque, M. Biswas a remplacé M. Leffler en tant que négociateur principal de l’employeur, et les parties ont consacré plusieurs mois à négocier pour s’entendre sur le fonctionnement du comité d’appel. Le protocole d’entente du comité d’appel a été signé par MM. Sazant et Biswas le 4 mai 2018.

[260] Le protocole d’entente sur le comité d’appel énonce clairement les attentes des parties en ce qui concerne la durée du Régime de soins dentaires. Le point 15 est rédigé comme suit : [traduction] « Le comité d’appel doit déterminer la durée de sa décision et l’indiquer dans celle-ci. »

[261] La décision du comité d’appel du 1er octobre 2018 contenait les dispositions pertinentes suivantes : [traduction] « Toutes les modifications apportées au régime par la Commission entreront en vigueur le 1er janvier 2019, sauf disposition contraire dans la présente décision. La présente décision couvre la période allant du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2021. »

[262] J’ai noté que les règles du Régime de soins dentaires, datées du 20 décembre 2018, ne prévoient pas de durée ou de date d’expiration. La seule référence qui y est faite concernant la période de décision se trouve à l’alinéa 6.(5)c), qui fixe les montants de remboursement maximaux entrant en vigueur les 1er janvier 2019, le 1er janvier 2020 et 1er janvier 2021.

[263] L’employeur a fait valoir qu’étant donné que l’AFPC a consacré six mois à la préparation des négociations, M. Sazant aurait dû lui faire connaître à l’avance ses intentions quant au calendrier de négociation. Je reconnais que cela aurait peut-être été idéal. Le conflit qui sous-tend la présente plainte aurait pu être évité si les parties avaient discuté du processus de négociation et de son calendrier, soit directement, soit au conseil de gestion, avant janvier 2022. Cela dit, je suis d’accord avec l’AFPC pour dire qu’elle n’avait pas l’obligation de fournir un tel avis.

[264] Tout compte fait, je conclus que le Conseil du Trésor n’aurait pas dû s’étonner que l’AFPC veuille renégocier le Régime de soins dentaires le plus tôt possible après le 31 décembre 2021. Le Conseil du Trésor et l’AFPC avaient ensemble demandé au comité d’appel de fixer une échéance, et le comité d’appel avait inclus une échéance dans sa décision. Les témoins des deux parties ont témoigné qu’ils avaient compris que la décision du comité d’appel signifiait qu’ils ne rouvriraient pas les négociations avant le 31 décembre 2021. L’AFPC a envoyé sa demande de données le 6 janvier 2022, et son avis de négociation le 10 janvier 2022.

[265] Si l’employeur avait quelque raison d’être surpris par le contenu de la lettre du 10 janvier 2022, son étonnement aurait dû être dissipé en mai 2022. Dans un courriel interne envoyé à M. Prest le 24 mai 2022, dans lequel il était question du contenu proposé d’une réponse à la demande de calendrier de l’AFPC, M. Biswas a mentionné comme élément à prendre en considération que [traduction] « [l]a décision arbitrale de 2018 sur le Régime de soins dentaires a pris effet le 1er janvier 2019 et a cessé d’être en vigueur le 31 décembre 2021 […] » et que [traduction] « les dispositions actuelles demeurent en place jusqu’à ce que l’issue des nouvelles négociations soit approuvée ». Il a également été mentionné que si les dates n’étaient pas fixées au début du mois de juin, l’AFPC pourrait déposer une plainte pour pratiques déloyales de travail, lancer la procédure de règlement des différends (le comité d’appel), ou effectuer les deux à la fois.

[266] Trois jours plus tard, le 27 mai 2022, M. Biswas a envoyé à M. Sazant le courriel à l’origine de la présente plainte, informant l’AFPC que l’employeur n’avait pas encore de mandat pour entamer des négociations, qu’un tel mandat devait être fondé sur des données, scientifiques ou autres, et que l’employeur entreprendrait donc une étude comparative conjointement avec les agents négociateurs du CNM.

[267] Compte tenu de ces faits, il est difficile de comprendre pourquoi M. Prest a témoigné que, selon lui, le Régime de soins dentaires est différent d’une convention collective. Lorsqu’une convention collective expire, elle reste en vigueur. Il en va de même pour le Régime de soins dentaires. Si les parties ne parviennent pas à se mettre d’accord sur les modalités d’une nouvelle convention collective, une procédure de règlement des différends est engagée (conciliation-grève ou arbitrage). Il en va de même pour le Régime de soins dentaires, pour lequel il existe un comité d’appel. Je ne suis pas certain que cela équivaut à un aveuglement volontaire de la part de l’employeur, comme le soutient l’AFPC, mais d’après le courriel de M. Biswas daté du 27 mai 2022, il est clair que l’employeur était conscient des conséquences que pourrait avoir son refus de fixer des dates pour entamer les négociations.

[268] L’AFPC est allée plus loin dans ses arguments, en faisant valoir que le projet de l’employeur de retarder les négociations jusqu’à ce qu’il puisse entreprendre une étude comparative avec les agents négociateurs du CNM revenait à ne pas reconnaître l’AFPC comme un agent négociateur légitime ayant le pouvoir exclusif de négocier au nom des employés de ses unités de négociation. Elle a déclaré que le souhait [traduction] « de longue date et tenace » de l’employeur de traiter les agents négociateurs de l’AFPC et du CNM comme une seule composante dans le cadre du Régime de soins dentaires est incompatible avec ses obligations en vertu de l’article 106 de la Loi. Elle a déclaré que le comportement de l’employeur équivalait à un ultimatum : il fallait se mettre d’accord sur des comparateurs avec l’employeur et la composante du CNM, ou attendre pendant plus d’un an avant de s’asseoir pour négocier le renouvellement du Régime de soins dentaires.

[269] Comme il a été mentionné précédemment, il est bien établi que l’obligation de négocier de bonne foi repose sur la reconnaissance par l’employeur de l’autorisation légale des agents négociateurs à négocier au nom de leurs membres. Toutefois, je ne suis pas d’accord pour dire que le souhait de l’employeur de voir les composantes de l’AFPC et du CNM réunies au sein d’un seul et même conseil de gestion équivaut à une non‑reconnaissance de l’AFPC.

[270] Il s’agit d’un environnement complexe pour l’employeur. Celui-ci a déclaré que le maintien d’un régime unique pour toutes les composantes présente des avantages importants pour ce qui est du rapport coût-efficacité et de l’amélioration des prestations. Les éléments de preuve et les arguments présentés par l’AFPC le reconnaissent et vont en ce sens. Toutefois, contrairement au RSSFP ou aux directives du CNM, l’employeur doit négocier séparément avec les agents négociateurs de l’AFPC et avec ceux du CNM. Les parties m’ont dit qu’au cours des 30 années d’existence du régime, les changements négociés avec l’AFPC ont été étendus aux autres composantes du régime. L’AFPC s’est ainsi retrouvée dans une position l’obligeant à [traduction] « définir le modèle ».

[271] Dans leur propre demande d’ouverture de négociations, déposée en mars 2022, les agents négociateurs du CNM ont fait savoir qu’ils aimeraient jouer un rôle plus important, indépendamment de l’AFPC, dans l’établissement des conditions du Régime de soins dentaires. Que l’employeur ait ou non envers les autres agents négociateurs la même obligation de négocier de bonne foi en vertu de la Loi que celle envers l’AFPC à laquelle j’ai conclu dans le présent cas, il reste qu’il a envers ces agents négociateurs des obligations au titre du Régime de soins dentaires et du conseil de gestion du CNM.

[272] En bref, si je comprends l’intérêt de l’AFPC à préserver son indépendance en ce qui concerne la négociation du Régime de soins dentaires, je comprends aussi pourquoi l’employeur a intérêt à ce qu’il n’y ait qu’une seule composante. Ces intérêts divergents ne traduisent pas de mauvaise foi. Je ne pense pas que la thèse de l’employeur, qui souhaite achever l’étude comparative qu’il avait convenu de réaliser avec les agents négociateurs du CNM, revienne à imposer ses intérêts à l’AFPC. Je ne pense pas que l’employeur ait eu l’intention de mettre l’AFPC à l’écart. En fait, M. Biswas a invité l’AFPC à participer à l’étude non pas une, mais deux fois.

[273] En résumé, je conclus que l’employeur n’a pas pleinement reconnu ce que signifiait que l’échéance du Régime de soins dentaires soit établie en 2018, ce qui a contribué au fait qu’il n’était pas prêt à entamer les négociations en vue de son renouvellement lorsque l’AFPC le lui a demandé, en janvier 2022. Cependant, à la fin du mois de mai, l’employeur n’était toujours pas prêt à entamer les négociations. Il a dit à l’AFPC qu’il devait d’abord terminer les négociations visant le RSSFP et mener à bien une étude comparative avec les agents négociateurs du CNM. Par conséquent, il a refusé de demander un mandat pour entamer des négociations et également de fixer des dates à cet effet. Même après la fin des négociations visant le RSSFP, il est resté sur cette position et l’a défendue lors de l’audition de la présente plainte.

[274] Comme nous l’avons vu précédemment, les principes qui sous-tendent l’obligation de négocier de bonne foi reposent fermement sur l’exigence d’entamer un dialogue, une communication et une discussion rationnelle. Comme l’a déclaré la CRTO dans la décision United Steelworkers, [traduction] « l’obligation de négocier de bonne foi reconnaît l’importance de la négociation collective en tant que structure permettant à un syndicat et un employeur de dialoguer pleinement ». Sans dialogue, les négociations sont rompues et le risque de sanctions économiques et de détérioration du processus de négociation augmente.

[275] Qu’il soit mesuré subjectivement ou objectivement, le dialogue ne peut pas commencer si l’une des parties refuse même de fixer des dates pour entamer les discussions. Bien que j’aie trouvé raisonnable le souhait de l’employeur de réaliser une étude comparative, l’imposer comme condition préalable à l’ouverture de négociations et retarder le début des négociations de plus d’un an n’est pas raisonnable. Cette partie ne négocie pas de bonne foi et doit donc être déclarée en situation de violation de l’article 106.

[276] L’employeur a raison de dire que l’AFPC aurait pu choisir d’engager la procédure du comité d’appel plutôt que de déposer la présente plainte. Toutefois, le point 11 du protocole d’entente sur le comité d’appel prévoit clairement que le comité d’appel ne rendra des ordonnances que sur des propositions ayant fait l’objet de négociations entre les parties. En l’absence d’un échange de positions, même si le mandat de l’employeur était de renouveler le Régime de soins dentaires tel quel, je ne vois pas comment le comité d’appel pourrait rendre une décision, car celle-ci est subordonnée à l’existence d’un dialogue dans le processus de négociation.

[277] Je me dois de souligner que rien ne prouve que le refus de l’employeur de fixer des dates pour entamer les négociations sur le Régime de soins dentaires a une incidence sur la capacité des parties à conclure une convention collective pour les unités de négociation PA, SV, TC, EB ou FB. M. Sazant et Mme Shatford ont tous deux témoigné qu’aucune proposition concernant le Régime de soins dentaires n’avait été faite à la table de négociation pour ces unités, et que les parties n’avaient pas non plus discuté du Régime de soins dentaires à ces tables. Mme Shatford a témoigné que si les parties étaient prêtes à conclure une convention collective pour le groupe PA, il en serait ainsi peu importe si la question du Régime de soins dentaires était réglée. Rien dans le témoignage de M. Sazant ne contredit ce point de vue. L’AFPC a clairement indiqué tout au long de ses arguments que les parties négocient le Régime de soins dentaires à une table distincte et selon un calendrier distinct.

[278] Toutefois, compte tenu des conclusions que j’ai tirées précédemment dans la présente décision au regard de la compétence de la Commission, le fait que les parties puissent conclure ces conventions collectives avant que soit conclu un accord sur le Régime de soins dentaires ne les dispense pas de l’obligation de négocier le régime de bonne foi et de faire tous les efforts raisonnables pour mener à bien ces négociations.

V. Observations finales

[279] Dans la présente décision, j’ai reconnu que le Régime de soins dentaires constitue un élément unique, mais important, dans le rapport en matière de négociation collective entre l’AFPC et l’employeur. Le Régime de soins dentaires a été ajouté aux conventions collectives conclues entre les parties dans le cadre des négociations collectives. Depuis 30 ans, les parties ont renouvelé leur accord selon lequel le Régime de soins dentaires est réputé faire partie de leurs conventions collectives. Elles ont jusqu’à présent trouvé un moyen de s’entendre sur les modifications apportées au régime.

[280] J’ai noté que le caractère unique du Régime de soins dentaires incarne plusieurs principes énoncés dans le préambule de la Loi. Les parties ont adopté une approche collaborative pour l’élaborer. Elles ont entretenu un dialogue à ce sujet pendant plus de 30 ans. Le régime prévoit une condition d’emploi importante qui concilie l’intérêt des employés (bénéficier des avantages) et l’intérêt public (disposer d’un régime efficace et rentable).

[281] Je me suis fié à ces faits, au préambule de la Loi, à mon analyse de la Loi et à mon analyse de la jurisprudence pour déterminer que la Commission a compétence pour statuer sur la présente plainte.

[282] À mon avis, il convient donc que la Commission s’inspire du préambule de la Loi et reconnaisse que, dans l’intérêt de relations patronales-syndicales harmonieuses et d’une résolution efficace des problèmes, les parties ont exprimé un intérêt commun à maintenir le Régime de soins dentaires en tant que régime d’avantages sociaux valable pour l’ensemble de la fonction publique plutôt que d’en arriver à une situation dans laquelle elles pourraient en arriver à négocier Régime de soins dentaires à des tables particulières.

[283] L’employeur avait demandé à la Commission de tenir compte du préambule de la Loi et de rejeter la présente plainte sur ce fondement. Il a fait valoir ce qui suit :

[Traduction]

 

[…]

Le préambule de la [Loi] prévoit que le régime de relations patronales-syndicales de la fonction publique doit s’appliquer dans un environnement où la protection de l’intérêt public revêt une importance primordiale. L’objectif de l’employeur en maintenant un Régime de soins dentaires pour ses employés est de favoriser le recrutement et le maintien en poste des meilleurs talents dans la fonction publique, améliorant ainsi la qualité des services qu’il fournit à la population canadienne. Bien que l’employeur négocie le [Régime de soins dentaires] avec l’AFPC séparément des autres agents négociateurs, il reste que le régime est, en substance, un régime d’assurance collective unique pour l’ensemble de la fonction publique. Le Régime de soins dentaires de l’AFPC fait partie d’un régime complexe d’avantages sociaux qui repose sur le principe de l’universalité afin d’offrir les meilleurs avantages aux membres, de la manière la plus efficace possible.

Il y a plus de trente ans, les parties ont décidé en toute connaissance de cause de négocier le [Régime de soins dentaires] en dehors du processus de négociation collective, reconnaissant les avantages et les gains d’efficience qu’elles tireraient collectivement d’un tel système. Elles se sont régies conformément à cet accord tout au long de la durée du [Régime de soins dentaires]. Afin de préserver de bonnes relations de travail, la Commission doit respecter les choix faits par les parties. Elle n’est pas habilitée par la loi à entendre la présente plainte en fonction des faits de l’espèce, et toute décision contraire pourrait ouvrir la voie à l’imposition des exigences strictes de la [Loi] à des circonstances dans lesquelles elles n’ont jamais été censées s’appliquer, ce qui pourrait modifier fondamentalement la nature et la portée de toutes les discussions qui ont lieu entre les parties en dehors des négociations collectives.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[284] Bien que je sois d’accord avec l’employeur (et l’AFPC) pour dire qu’il y a une grande utilité au fait que le Régime de soins dentaires est un régime d’avantages sociaux universel, je ne peux accepter l’idée que le régime existe en dehors du processus de négociation collective. Comme je l’ai conclu, le Régime de soins dentaires convenu entre les parties existe parce qu’elles l’ont négocié dans le cadre de la procédure de négociation collective. Il continue d’exister et est réputé faire partie des conventions collectives parce que les parties continuent de renouveler les articles des conventions collectives qui l’établissent comme tel. Le fait que les parties aient choisi de bonne foi de négocier les modifications du régime à une table distincte, en dehors du processus de négociation collective normal, et de résoudre les désaccords à ce sujet au moyen d’un mode alternatif de règlement des différends, n’y change rien. À tout moment, les parties auraient pu choisir de présenter des propositions sur les prestations dentaires à la table de négociation habituelle. Cela aurait pu mettre fin à l’universalité du régime.

[285] À mon avis, le fait que la Commission se saisisse de la présente plainte n’augmente pas la probabilité de ce résultat, mais la diminue. Si l’article 106 ne s’appliquait pas au Régime de soins dentaires, les parties devraient présenter des propositions à la table de négociation habituelle pour obtenir les protections que leur confère l’article 106.

[286] L’obligation des parties de négocier de bonne foi n’est pas une [traduction] « exigence stricte » destinée à restreindre la capacité des parties à trouver des solutions créatives; elle vise plutôt à soutenir leurs efforts. Comme l’a déclaré M. Teplitsky dans sa décision de 1986 sur la convention-cadre, avec le dialogue et les négociations, [traduction] « […] rien n’est impossible s’agissant des relations humaines ».

[287] J’ai conclu que l’employeur a violé l’article 106 de la Loi en n’acceptant pas d’entamer des négociations en vue du renouvellement du Régime de soins dentaires, parce qu’il insistait pour qu’une étude comparative soit d’abord lancée et achevée. Comme les parties n’ont pas été en mesure d’entamer des négociations, elles n’ont pas pu engager le dialogue rationnel dont elles ont besoin pour mener à bien le renouvellement du régime.

[288] Compte tenu de ces faits, j’estime que le redressement approprié est une déclaration de violation. Il appartient aux parties d’entamer des négociations et d’ouvrir ce dialogue.

[289] Ce message n’est pas nouveau pour les parties. Dans trois rapports récents des CIP pour les groupes SV, TC et EB, les CIP ont unanimement souligné l’importance du dialogue dans les négociations et comment, sans dialogue, le rapport en matière de négociation collective entre les parties en souffre; voir Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, dossier de la Commission 590-02-44770 (groupe EB), au par. 19; Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, dossier de la Commission 590-02-44771 (groupe SV), en date du 26 janvier 2023, aux paragraphes 22 et 23; Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, dossier de la Commission 590-02-44769 (groupe TC), en date du 13 janvier 2023, au par. 14.

[290] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[291] L’objection préliminaire de l’employeur selon laquelle la Commission n’a pas compétence pour instruire la présente plainte est rejetée.

[292] La plainte est accueillie en partie. Je déclare que l’employeur n’a pas respecté l’article 106 de la Loi en refusant d’entamer de bonne foi des négociations visant le Régime de soins dentaires.

Le 29 mars 2023.

Traduction de la CRTESPF

David Orfald,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

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