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Date: 20230609

Dossiers: 568‑02‑00384 et 00385

XR: 566‑02‑14002 et 14003

 

Référence: 2023 CRTESPF 60

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

Entre

 

Brenda Van de Ven

fonctionnaire s’estimant lésée

 

et

 

Conseil du Trésor

(Agence des services frontaliers du Canada)

 

employeur

Répertorié

Van de Ven c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage et des demandes de prorogation du délai visées à l’alinéa 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : David Orfald, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée : Marie‑Pier Dupont, avocate

Pour l’employeur : Adam C. Feldman, avocat

Affaire entendue par vidéoconférence

le 24 avril 2023.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Introduction

[1] Brenda Van de Ven, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire ») était une employée de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC ou l’« employeur »). Elle a déposé deux griefs en janvier 2015. Après les avoir renvoyés à l’arbitrage, l’employeur s’est opposé à la compétence de la Commission de les entendre, affirmant qu’ils avaient été transmis en retard au dernier palier de la procédure de règlement des griefs prévue dans la convention collective pertinente.

[2] La fonctionnaire a nié que les griefs avaient été transmis en retard au dernier palier; subsidiairement, elle a fait valoir qu’une prorogation du délai devrait être accordée en vertu de l’alinéa 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005‑79, le « Règlement »).

[3] La fonctionnaire était en tout moment pertinent une agente commerciale pour l’ASFC qui travaillait à Vancouver, en Colombie‑Britannique, et classifiée au groupe et au niveau FB‑04 dans l’unité de négociation Services Frontaliers (FB) représentée par l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC ou le « syndicat »). Les griefs portent sur l’interprétation de la convention collective conclue entre les mêmes parties, et dont la date d’expiration est le 20 juin 2014 (la « convention collective »). La fonctionnaire était représentée dans le cadre de la procédure de règlement des griefs interne par un élément de l’AFPC, soit le Syndicat des Douanes et de l’Immigration (SDI ou également le « syndicat »).

[4] Pour les motifs qui suivent, j’accueille les demandes de prorogation du délai de transmission des griefs au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. J’ordonne que le cas soit mis au rôle et soit entendu sur le fond.

[5] Dans la présente décision, la « Commission » fera référence à la fois à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et à ses prédécesseurs.

II. Résumé des faits

[6] Le présent résumé des faits est tiré des documents versés au dossier, du recueil conjoint de documents fourni par les parties et des témoignages des témoins.

[7] Les témoins de la fonctionnaire étaient les suivants :

· elle‑même;

· Carla Busnardo, qui était pendant la période pertinente une agente commerciale de l’ASFC et une déléguée syndicale du SDI, qui a maintenant pris sa retraite des deux rôles.

 

[8] Les témoins de l’employeur étaient les suivants :

· Jonathan Evans, un gestionnaire de la division du commerce dans laquelle la fonctionnaire travaillait;

· Anita Andersson, qui était, pendant la période pertinente, la directrice des opérations commerciales de la Division du Pacifique de l’ASFC.

 

[9] Comme je l’ai indiqué, la présente affaire concerne deux griefs. Le premier grief (portant le numéro interne 117265, maintenant le dossier de la Commission 566‑02‑14002) comprenait une allégation selon laquelle l’employeur n’avait pas pris de mesures d’adaptation à l’égard de la fonctionnaire après avoir rejeté une demande d’arrangement de travail flexible les 15 et 16 janvier 2015. Le deuxième grief (portant le numéro interne 117266, maintenant le dossier de la Commission 566‑02‑14003) était semblable, sauf qu’il concernait le refus d’une demande de mesures d’adaptation le 19 janvier 2015 et le rejet d’une autre demande de prendre un seul jour de congé non payé.

[10] L’arrangement de travail flexible qui a été demandé pour les jours en question était le télétravail. La fonctionnaire a témoigné que ses demandes de mesures d’adaptation étaient fondées sur la situation de famille. Elle a un fils ayant des besoins spéciaux. En 2015, ses besoins exigeaient des visites fréquentes de spécialistes. Elle avait été autorisée antérieurement à travailler de temps à autre à domicile, ce qui facilitait le transport de son fils de l’école aux spécialistes et le retour. Aux dates en litige, la direction avait rejeté ses demandes.

[11] Mme Busnardo était présente au bureau lorsque la fonctionnaire a été informée que ses demandes d’arrangement de travail flexible aux dates pertinentes avaient été rejetées. Elle et la fonctionnaire ont toutes deux témoigné qu’elles croyaient que le refus de l’employeur était erroné. À titre de déléguée, Mme Busnardo a aidé la fonctionnaire à préparer ses griefs à l’aide des formules de l’ASFC.

[12] Puisque les demandes de télétravail de la fonctionnaire avaient été refusées, elle a utilisé un congé non payé pour s’occuper de sa famille afin de prendre un congé. À titre de mesure corrective, elle a demandé à être indemnisée pour la perte de salaire et d’avantages sociaux pour les périodes de congé non payé qu’elle a prises; elle s’est également réservé le droit de demander une indemnisation financière pour la violation présumée de la Loi canadienne sur les droits de la personne par l’employeur (L.R.C. (1985), ch. H‑6; « LCDP »).

[13] Les deux griefs ont été présentés à la direction le 29 janvier 2015. Le premier palier de la procédure de règlement des griefs a été contourné. Au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs, les griefs ont été rejetés par Mme Anderson, le 1er avril 2015. La fonctionnaire a transmis les griefs au troisième palier de la procédure de règlement des griefs le même jour. Elle et Mme Busnardo ont signé les formulaires de transmission des griefs au troisième palier. L’accusé de réception des transmissions a été signé par Sandy Dahka, la gestionnaire intérimaire de la fonctionne, le même jour.

[14] Le troisième palier de la procédure de règlement des griefs applicable à l’ASFC et à son milieu de travail est le directeur général régional (DGR).

[15] Aucune objection concernant le respect des délais n’a été présentée relativement au dépôt initial des griefs ou à leur transmission au troisième palier. Pour des motifs qui seront examinés plus tard, il convient de noter qu’aucune décision n’a été rendue au troisième palier de la procédure de règlement des griefs.

[16] L’objection relative au respect des délais concerne la transmission par la fonctionnaire des griefs au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Les formulaires de transmission utilisés pour porter les griefs au dernier palier (les « formulaires de transmission ») sont en litige.

[17] Le formulaire de transmission pour le premier grief porte les signatures de la fonctionnaire et de Mme Busnardo et la date du 17 avril 2015. Le formulaire de transmission pour le deuxième grief porte leurs signatures et la date du 16 avril 2015.

[18] Dans la section des formulaires de transmission où la réception de la transmission doit être confirmée par la direction, le nom de Mme Dahka est inscrit, ainsi que les dates des 17 et 16 avril 2015, respectivement, pour les premier et deuxième griefs.

[19] Toutefois, sur la version définitive des deux formulaires de transmission, le nom de Mme Dahka et ces dates sont rayés. À leur place, le nom de Mme Andersson et la date du 5 juin 2015 sont écrits à la main.

[20] Le vice‑président des Ressources humaines de l’ASFC a répondu aux griefs au dernier palier le 22 mars 2017. La réponse au dernier palier a rejeté les griefs au motif qu’ils étaient hors délai parce qu’ils avaient été transmis au dernier palier plus de 15 jours après avoir été transmis au troisième palier. Les griefs ont également été rejetés sur le fond.

[21] Les griefs ont été renvoyés à l’arbitrage le 20 avril 2017. Le 24 mai 2017, l’employeur s’est opposé au renvoi en raison de son objection relative au respect des délais en ce qui concerne la transmission des griefs au dernier palier. L’AFPC a présenté sa position le 6 juin 2017, affirmant que l’employeur ne pouvait pas présenter l’objection en raison de la pratique antérieure en matière de gestion des délais de griefs entre l’ASFC et le SDI. Par ailleurs, l’AFPC a demandé à la Commission d’exercer ses pouvoirs en vue de proroger les délais. L’employeur a présenté sa réponse le 27 juin 2017.

[22] À la suite de cet échange, la Commission a ouvert les demandes correspondantes de prorogation du délai (dossiers 568‑02‑00384 et 00385).

[23] À titre de renseignements généraux supplémentaires, il convient de noter que le 15 avril 2015, la fonctionnaire a présenté sa démission de l’ASFC et la direction l’a acceptée. Son dernier jour de travail à l’ASFC était le 17 avril 2015.

III. L’objection concernant le respect des délais

A. Les positions préliminaires des parties relatives au respect des délais des griefs

[24] Je commencerai par les positions des parties dans l’échange qui a eu lieu après le renvoi à l’arbitrage. Cet échange fournit des renseignements importants qui constituent le contexte de mon examen des éléments de preuve et des arguments présentés à l’audience.

[25] Comme je l’ai indiqué, selon l’objection de l’employeur relative au respect des délais (du 24 mai 2017), les griefs n’ont pas été transmis au dernier palier dans les délais prescrits par la convention collective des FB. Les clauses 18.16 et 18.17 se lisent comme suit :

18.16 Un employé‑e s’estimant lésé peut présenter un grief à chacun des paliers de la procédure de règlement des griefs qui suit le premier :

18.16 A grievor may present a grievance at each succeeding level in the grievance procedure beyond the first level either:

a. lorsque la décision ou la solution ne lui donne pas satisfaction, dans les dix (10) jours qui suivent la date à laquelle la décision ou la solution lui a été communiquée par écrit par l’Employeur,

a. where the decision or settlement is not satisfactory to the grievor, within ten (10) days after that decision or settlement has been conveyed in writing to the grievor by the Employer,

ou

or

b. lorsque l’Employeur ne lui a pas communiqué de décision au cours du délai prescrit dans la clause 18.17, dans les quinze (15) jours qui suivent la présentation de son grief au palier précédent.

b. where the Employer has not conveyed a decision to the grievor within the time prescribed in clause 18.17, within fifteen (15) days after presentation by the grievor of the grievance at the previous level.

18.17 À tous les paliers de la procédure de règlement des griefs sauf le dernier, l’Employeur répond normalement à un grief dans les dix (10) jours qui suivent la date de présentation du grief, et dans les vingt (20) jours si le grief est présenté au dernier palier, sauf s’il s’agit d’un grief de principe, auquel l’Employeur répond normalement dans les trente (30) jours. L’Alliance répond normalement à un grief de principe présenté par l’Employeur dans les trente (30) jours.

18.17 The Employer shall normally reply to a grievance at any level of the grievance procedure, except the final level, within ten (10) days after the grievance is presented, and within twenty (20) days where the grievance is presented at the final level except in the case of a policy grievance, to which the Employer shall normally respond within thirty (30) days. The Alliance shall normally reply to a policy grievance presented by the Employer within thirty (30) days.

 

[26] Dans sa lettre d’opposition, l’employeur a fait remarquer que les griefs avaient été transmis au troisième palier le 1er avril 2015. L’employeur a déclaré qu’étant donné qu’une décision n’avait pas été rendue au troisième palier, le renvoi au dernier palier aurait dû être effectué dans les 15 jours prévus à la clause 18.16b). Il a affirmé que les griefs ont été transmis le 5 juin 2015, bien au‑delà de la période de 15 jours prévue dans la convention collective. Pour cette raison, l’employeur a rejeté les griefs comme étant hors délai dans sa réponse au dernier palier. Par conséquent, il a contesté la compétence de la Commission d’entendre les griefs, conformément à l’article 95 du Règlement.

[27] Dans sa lettre, l’employeur a souligné que [traduction] « deux erreurs administratives » avaient été commises dans sa réponse au dernier palier. Selon cette réponse, les griefs avaient été transmis au troisième palier le 1er mars 2015 et au dernier palier le 17 avril 2015. L’employeur a expliqué que la réponse au dernier palier aurait dû être la suivante : [traduction] « Vos griefs ont été transmis au troisième palier le 1er avril 2015, puis au quatrième palier le 5 juin 2015 (en l’absence d’une réponse au troisième palier), ce qui dépasse le délai de quinze (15) jours. » [le passage en évidence l’est dans l’original]

[28] Dans sa réponse (le 6 juin 2017) à l’objection concernant le respect des délais, l’AFPC a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

[…]

L’employeur a soutenu que le grief est hors délai puisqu’il n’a pas été transmis au quatrième palier dans les délais impartis. L’agent négociateur fait respectueusement valoir que l’employeur ne peut pas soulever une objection quant au respect des délais, puisque ses pratiques actuelles et ses actes tout au long de la procédure de règlement des griefs en général indiquent qu’il a toujours accepté – et continue d’accepter – que les délais sont considérés comme « suspendus » tant que la réunion au troisième palier des parties, également appelée « réunion de consultation », n’a pas été tenue.

Lors d’une audience d’arbitrage, l’agent négociateur serait plus que disposé à fournir de nombreux éléments de preuve des nombreux exemples passés et actuels de l’entente mutuelle des parties quant au processus de consultation au troisième palier décrit ci‑dessus et de la façon dont il a été appliqué au fil des ans. Par conséquent, et en toute déférence, l’agent négociateur soutient qu’il est malhonnête de soulever soudainement une objection relative au respect des délais et de faire valoir que la direction avait eu l’impression que ces deux griefs joints avaient été abandonnés.

[…]

[…] l’employeur, par sa conduite au fil des ans, a toujours assuré aux sections locales du syndicat que les délais sont réputés suspendus tant que la réunion de consultation au troisième palier de la procédure de règlement des griefs ne s’est pas concrétisée. En raison de cette pratique et de ces assurances, les sections locales du syndicat ont toujours accepté de ne pas procéder au dernier palier sans avoir eu l’occasion de discuter et d’échanger d’abord leurs points de vue au cours de cette réunion de consultation. Il est regrettable de voir l’employeur « revenir sur sa parole » et agir comme si l’entente mutuelle concernant la « réunion de consultation » au troisième palier n’avait pas été conclue. L’employeur ne peut donc pas soutenir que le grief avait été abandonné.

[…]

 

[29] Dans sa réponse (le 27 juin 2017), l’employeur a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] Selon la pratique régionale, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) ne respecte pas historiquement les délais décrits à la clause 18.17 au troisième palier, parce qu’il est difficile de « […] répondre normalement à un grief […] dans les dix jours suivant la présentation du grief […] » […] En outre, l’employeur et l’AFPC travaillent à « trier » les griefs lorsqu’ils sont présentés; certains griefs peuvent avoir préséance en matière de mise au rôle sur les autres griefs en raison de [leur] nature […] Étant donné qu’il s’agit d’un processus « officieux » et convenu d’un commun accord entre les deux parties, cette compréhension ou ce processus n’a jamais été officialisé par écrit, mais il s’agit en fait d’une pratique.

[…]

 

[30] L’employeur a ensuite ajouté ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] L’employeur ne souscrit pas à l’argument de l’AFPC selon lequel cette entente de « suspension » des délais s’étend à la transmission des griefs d’un palier à l’autre, conformément à la clause 18.16b). Habituellement, une fois qu’un grief est en instance au troisième palier, il demeure au troisième palier jusqu’à ce qu’une réponse soit rendue […] décider de passer outre le troisième niveau, comme dans le présent cas, après qu’il a été transmis à ce palier et sans justification ni consultation, n’a pas normalement lieu […] Comme l’a mentionné l’AFPC, « [e]n raison de cette pratique et de ces assurances, les sections locales ont toujours accepté de ne pas procéder au dernier palier sans avoir eu l’occasion de discuter et d’échanger d’abord leurs points de vue au cours de cette réunion de consultation ». C’est pourtant ce que le syndicat a fait dans le présent cas, à savoir, porter le dossier au dernier palier sans consultation et sans informer l’employeur qu’il souhaitait passer outre le troisième palier. Contrairement à l’argument de l’AFPC, l’employeur n’est pas « reven[u] sur sa parole ».

[…] Même s’il est généralement entendu que les délais peuvent être suspendus tant que la réunion de consultation au troisième palier n’a pas eu lieu, l’employeur soutient qu’aucune entente officielle n’a certainement été conclue pour ces dossiers et qu’il n’existe non plus aucun élément de preuve que le SDI a tenté de mettre au rôle ces griefs au troisième palier, avant de décider de les transmettre.

[…]

 

B. Éléments de preuve concernant l’objection relative au respect des délais

[31] Les témoignages des témoins à l’audience et le recueil conjoint de documents n’ont guère permis de mettre en lumière les pratiques générales des parties en ce qui concerne la gestion des délais aux troisième et quatrième paliers de la procédure de règlement des griefs, en mettant plutôt l’accent sur les faits de ces griefs.

[32] La fonctionnaire a témoigné qu’elle se rappelait avoir signé les formulaires de transmission le 17 avril 2015, soit son dernier jour de travail à l’ASFC. Elle a témoigné que Mme Busnardo lui avait demandé de signer les formulaires de transmission. Elle s’est souvenue que Mme Busnardo s’était levée par la suite, puis elle a déclaré qu’elle estimait que les formulaires de transmission avaient été placés dans un plateau sur le bureau de Mme Dahka. Toutefois, elle n’en a pas été témoin, car son bureau se trouvait de l’autre côté de la pièce par rapport à celui de Mme Dahka.

[33] Mme Busnardo a témoigné que, dans sa carrière de déléguée syndicale, elle a offert une représentation dans le cadre d’environ 100 griefs. Lorsqu’elle effectuait une transmission, elle préparait souvent les formulaires de transmission à l’avance. Elle a dit qu’elle aurait dû laisser ces formulaires de transmission à la gestionnaire (Mme Dahka) le jour même où ils ont été signés. Toutefois, elle ne se rappelait pas spécifiquement l’avoir fait. Elle a témoigné qu’elle ne pouvait pas se souvenir, compte tenu du temps écoulé, exactement de ce qui est arrivé aux formulaires de transmission entre le 17 avril et le 5 juin 2015. Elle a pu les avoir donnés à quelqu’un d’autre pour les soumettre.

[34] Les formulaires de transmission non signés ont été portés à l’attention de Mme Busnardo le 5 juin 2015. Elle ne se souvenait pas exactement de la façon dont cela s’était produit. Un courriel de Mme Andersson à Mme Busnardo, daté du 5 juin 2015, à 15 h 12, et portant la mention [traduction] « Formulaires de transmission de grief au 4e palier – VanDeVen [sic] » a été déposé en preuve. Toutefois, le courriel ne comportait aucun contenu ni aucune indication d’une pièce jointe. Mme Busnardo a acheminé ce courriel à 15 h 16 à David Knoblauch, président de la section locale du SID, en indiquant que les formulaires de transmission avaient été signés par la fonctionnaire en avril, mais qu’ils ne les ont reçus que la veille, [traduction] « […] donc [elle] a changé la date pour qu’Anita les signe ». Dans le courriel, elle a dit qu’il y avait un nouveau gestionnaire dans l’équipe et que Mme Andersson [traduction] « […] souhaitait s’assurer qu’il était convenable de les accepter à cette date tardive ».

[35] La chaîne de courriels a refait surface dans un échange daté du 31 mars 2017 entre Mme Busnardo et Laurel Randle, une agente nationale des relations de travail du SDI. D’après la séquence des événements, je conclus que cet échange de courriels s’est produit peu après que l’employeur a rendu sa réponse au dernier palier rejetant les griefs au motif qu’ils étaient hors délai (le 22 mars 2017). Dans le courriel, Mme Busnardo a expliqué à Mme Randle que M. Knoblauch ne se souvenait pas des griefs, que la transmission au troisième palier avait été faite en temps opportun, qu’aucune audience n’avait eu lieu au troisième palier, que [traduction] « malheureusement, nous n’obtenons pas beaucoup de représentation au troisième palier en temps opportun » et que l’audience de troisième palier [traduction] « […] n’a pas eu lieu en temps opportun et nous avons alors abandonné et demandé à ce qu’il soit présenté au quatrième palier […] ». Elle a ajouté que le directeur général régional [traduction] « […] n’a pas tenu de réunion pour discuter du grief (conformément à la norme), alors comment peut‑il être hors délai? Nous lui accordons une grande marge de manœuvre et lorsque nous abandonnons parce que l’audience n’a jamais été tenue, il n’y a pas de délai à suivre ».

[36] À la question de savoir si elle avait des éléments de preuve selon lesquels le syndicat avait demandé une réunion de consultation au troisième palier de la procédure de règlement des griefs, Mme Busnardo a témoigné qu’elle n’avait vu aucun document à ce sujet. Toutefois, elle a dit qu’il s’agissait de l’intention du syndicat.

[37] Mme Busnardo a également témoigné que le SDI ne rencontrait pas très souvent le décideur au troisième palier. Elle a dit qu’il était rare d’avoir un délai strict à ce palier, étant donné que le directeur général régional est une personne très occupée. Elle a dit que les échéanciers étaient gérés de manière fluide.

[38] M. Evans a témoigné qu’il ne se souvenait pas d’une entente générale visant à suspendre les délais après la réception d’un formulaire de transmission. Il a dit qu’à l’époque en litige, il recevait environ quatre transmissions par année. Il a dit que l’équipe de gestion répondait dans un délai d’une heure pour accuser réception de la transmission et la soumettait ensuite aux Ressources humaines. En contre‑interrogatoire, il a confirmé que son expérience se limitait à la transmission des griefs au premier et au deuxième paliers et qu’il ne savait pas combien de temps il fallait habituellement pour qu’une réponse soit rendue au troisième palier.

[39] M. Evans a témoigné qu’il avait travaillé avec Mme Busnardo à titre de déléguée syndicale et qu’elle était disponible et disposée à régler les problèmes par des discussions collaboratives, mais qu’elle ne tenait pas compte des détails.

[40] M. Evans n’a pas participé directement aux griefs de la fonctionnaire, mais il était le gestionnaire en fonction lorsqu’elle a présenté sa lettre de démission. Il a dit qu’il avait été déconcerté par la lettre et qu’il l’avait rencontrée parce qu’il souhaitait s’assurer qu’elle ne se précipitait à la démission et qu’elle prenait une décision éclairée. Il a témoigné qu’elle semblait très positive, qu’elle se réjouissait du changement et qu’elle semblait y avoir pleinement réfléchi. Il a ensuite préparé une lettre d’acceptation, datée du 15 avril 2015, acceptant la démission à compter du 17 avril 2015.

[41] Mme Andersson a témoigné qu’elle avait signé les formulaires de transmission le 5 juin 2015, et que sa signature ne signifiait pas qu’elle acceptait les griefs comme respectant les délais, mais seulement qu’ils avaient été reçus ce jour‑là. Elle a témoigné que c’était Mme Busnardo qui avait radié le nom de Mme Dahka et l’avait remplacé par le sien et avait modifié la date. Elle ne se souvenait pas de la raison pour laquelle le syndicat souhaitait passer outre le troisième palier et aller directement au dernier palier. Après avoir signé la transmission, elle a acheminé les formulaires de transmission aux Ressources humaines. Elle a aussi rédigé ce qui suit :

[Traduction]

[…] Veuillez noter que la fonctionnaire a manqué la date limite pour le dépôt au troisième palier et même si on lui a dit qu’elle pouvait encore les présenter après coup, elle a indiqué qu’elle ne souhaitait pas qu’ils soient entendus au troisième palier et souhaitait passer directement au quatrième palier. Dans le présent cas, le grief n’a pas été déposé en temps opportun au quatrième palier.

[…]

 

[42] En contre‑interrogatoire, Mme Andersson n’a pas pu préciser si la transmission au troisième palier était en retard ou si son courriel contenait une coquille. Elle n’estimait pas que les formulaires de transmission étaient restés dans la boîte de réception de Mme Dahka; elle se souvient d’avoir rencontré Mme Busnardo le 5 juin 2015 et d’avoir obtenu les formulaires de transmission d’elle.

[43] Elle a témoigné qu’aucune entente générale n’avait été conclue pour proroger les délais des transmissions au troisième palier. Elle a témoigné qu’elle ne se souvenait pas combien de temps il fallait normalement pour recevoir une réponse au grief au troisième palier et que les griefs à ce palier étaient traités par le directeur général régional, soit un palier supérieur au sien.

C. Arguments concernant l’objection relative au respect des délais

[44] La fonctionnaire a soutenu que la transmission au dernier palier n’était pas hors délai. Les griefs avaient été transmis au troisième palier le 1er avril 2015. Aucune réponse n’a été reçue à ce palier. Selon le libellé de la convention collective, la transmission au palier suivant doit être effectuée dans les 15 jours, mais le libellé de la convention collective indique que les samedis et les dimanches sont exclus de ce calcul. Les formulaires de transmission ont été signés le 17 avril 2015, soit dans les délais prévus dans la convention collective.

[45] Le fait que la direction n’ait pas signé les formulaires de transmission avant le 5 juin 2015 est une erreur qui n’est pas attribuable à la fonctionnaire ni au syndicat. Selon les témoignages de la fonctionnaire et de Mme Busnardo, les formulaires de transmission ont été signés le 17 avril 2015 et ils auraient dû être remis à la direction ce jour‑là.

[46] La fonctionnaire a également fait valoir que Mme Busnardo avait témoigné que les réunions de consultation au troisième palier étaient souvent très difficiles à prévoir, et que cela prenait souvent six mois ou plus. Le syndicat était au gré de la direction et a fait preuve d’une approche fluide en permettant des prorogations pour répondre à ce palier. Si la transmission n’a eu lieu que le 5 juin, elle n’était en retard que de 30 jours ouvrables, ce qui ne devrait pas donner lieu à une objection quant au respect des délais de la part de l’employeur étant donné les pratiques des parties en ce qui concerne l’organisation des réunions de consultation au troisième palier.

[47] L’employeur a fait valoir qu’après que la fonctionnaire a fait le renvoi au troisième palier, rien n’indiquait que le syndicat avait déployé des efforts pour organiser une réunion de consultation. Dans les arguments du syndicat du 6 juin 2017, ce dernier a soutenu que les parties avaient convenu de suspendre les délais tant que la réunion de consultation n’aurait pas eu lieu. Toutefois, selon les éléments de preuve dont dispose la Commission, la fonctionnaire a décidé de passer directement au dernier palier. S’il s’agit de ce que la fonctionnaire souhaitait faire, elle et son syndicat étaient tenus de transmettre les griefs à temps.

[48] L’employeur a fait valoir que l’argument de la fonctionnaire selon lequel les griefs ont été transmis le 17 avril 2015 n’est pas du tout crédible et qu’ils étaient peut‑être perdus ou égarés ou qu’ils étaient simplement dans la boîte de réception d’un gestionnaire. M. Evans et Mme Andersson ont témoigné que l’équipe de gestion prenait au sérieux les transmissions de griefs et les traitait toujours rapidement. La fonctionnaire et sa représentante n’ont pas agi avec diligence pour s’assurer que les délais étaient respectés. Selon les éléments de preuve dont dispose la Commission, les formulaires de transmission n’ont pas été acheminés à Mme Andersson avant le 5 juin 2015, soit la date à laquelle elle les a signés. Il s’agissait de sept semaines en dehors des délais prévus dans la convention collective et les griefs devraient être jugés hors délai.

D. Analyse et motifs

[49] Compte tenu des éléments de preuve dont je dispose, j’estime qu’il est très difficile d’évaluer si la transmission des griefs au dernier palier a été faite en temps opportun. L’audience a été tenue près de huit ans jour pour jour après les événements en litige, de sorte qu’il a été très difficile pour les témoins de se souvenir exactement de ce qui s’est passé.

[50] Toutefois, mon examen de ces éléments de preuve m’amène directement à conclure que si la transmission était hors délai, il serait dans l’intérêt de l’équité de proroger les délais dans le présent cas.

[51] Selon les éléments de preuve dont je dispose, et selon la prépondérance des probabilités, je conclus que la fonctionnaire et Mme Busnardo ont signé les formulaires de transmission le 17 avril 2015. Malgré le temps écoulé, la fonctionnaire et Mme Busnardo se souvenaient clairement que les formulaires de transmission ont été signés le dernier jour de travail de la fonctionnaire. La lettre acceptant sa démission confirme que la date était le 17 avril 2015.

[52] Ce qui s’est passé après cela est beaucoup moins clair. La fonctionnaire a témoigné qu’elle croyait que Mme Busnardo avait transmis les formulaires de transmission ce jour‑là, et Mme Busnardo a témoigné qu’elle aurait dû les remettre ce jour‑là, mais qu’elle ne se rappelait pas l’avoir fait. Compte tenu des témoignages de Mme Busnardo et de Mme Andersson, du contenu des formulaires de transmission eux‑mêmes et des courriels déposés en preuve, je dois conclure que les formulaires de transmission n’ont pas été remis à la direction avant qu’ils ne soient en possession de Mme Andersson le 5 juin 2015. Ce qui s’est passé entre le 17 avril et le 5 juin n’est pas clair.

[53] Les dispositions de la convention collective sont claires. La clause 18.17 énonce que l’employeur doit « normalement » répondre à un grief dans les 10 jours qui suivent la date de présentation du grief à ce palier, sauf au dernier niveau, où il doit normalement répondre dans les 20 jours. La clause 18.16b) énonce que lorsqu’aucune réponse au grief n’est donnée au cours du délai prescrit dans la clause 18.17, à un certain palier de la procédure de règlement des griefs, le délai pour transmettre le grief au prochain palier est de 15 jours ouvrables. Si les griefs avaient été transmis le 17 avril 2015, leur transmission aurait été faite dans les délais. Leur transmission le 5 juin 2015 était en dehors des délais prévus par la convention collective.

[54] Toutefois, je ne crois pas que l’histoire se termine là. Le respect des délais de transmission doit également être examiné par rapport aux pratiques générales des parties en ce qui concerne la gestion des délais de la procédure de règlement des griefs. Afin de résumer les arguments des parties qui ont été présentés à la suite du renvoi des griefs à l’arbitrage, je conclus ce qui suit :

· malgré la disposition à la clause 18.17 qui énonce que l’employeur répondra normalement aux griefs au troisième palier dans les 10 jours, ce n’est pas le cas, étant donné le volume et les autres pressions exercées sur les ressources;

· les parties n’ont pas un système qui s’applique en fonction de chaque cas pour demander et accorder des prorogations du délai pour la réponse de la direction;

· les parties ont plutôt convenu, dans la pratique, que les griefs transmis au troisième palier sont mis en suspens en attendant l’organisation d’une réunion de « consultation »;

· une fois qu’une réponse est donnée au troisième palier, un grief peut être renvoyé au dernier palier;

· il s’agit d’une pratique officieuse et non écrite.

 

[55] J’ai entendu très peu de témoignages à l’audience permettant de mettre en lumière ces pratiques. Mme Busnardo a témoigné que cela pouvait prendre au moins six mois pour tenir une réunion de consultation avec le directeur général régional au troisième palier. Elle a confirmé qu’il y avait une entente générale visant à suspendre les griefs jusqu’à ce qu’on puisse y répondre à ce palier. M. Evans et Mme Andersson ont témoigné qu’ils n’avaient aucune connaissance d’une politique générale visant à proroger les délais au troisième palier, mais que leur expérience se limitait à la gestion des griefs au premier et au deuxième paliers. Ils n’ont pas pu témoigner du temps qu’il fallait normalement pour qu’une réponse soit rendue au troisième palier.

[56] J’ai entendu le témoignage de M. Evans selon lequel Mme Busnardo ne faisait pas attention aux détails en ce qui concerne la gestion des griefs. En même temps, j’ai également constaté deux incidents manifestes d’erreurs de la part de la direction, à savoir : le courriel de Mme Andersson aux Relations de travail le 5 juin 2015, indiquant que la transmission des griefs au troisième palier avait été tardive (ce qui était incorrect), et la réponse l’employeur au dernier palier, qui indiquait que la transmission au troisième palier avait été faite le 1er mars 2015, et la transmission au dernier palier le 17 avril 2015 (tous deux incorrects).

[57] Après avoir apprécié les éléments de preuve et les arguments dans leur ensemble, je conclus que ce qui était vraiment erroné dans la transmission par la fonctionnaire au dernier palier n’était pas qu’elle était tardive, mais qu’elle était hâtive. Si la fonctionnaire avait simplement attendu une réponse du directeur général régional au troisième palier et transmis par la suite les griefs au dernier palier dans les 10 jours de cette réponse, il semble qu’il n’y aurait eu aucun motif pour que l’employeur présente une objection quant au respect des délais.

[58] Il s’agit de spéculer sur le temps que la fonctionnaire aurait dû attendre pour obtenir une réponse à ce palier. Le 5 juin 2015, elle avait déjà attendu deux mois, ce qui était bien plus que la période « normale » de 10 jours ouvrables prévue par la convention collective. Le seul témoignage que j’ai entendu à ce sujet était celui de Mme Busnardo, qui a dit qu’il fallait normalement au moins six mois pour recevoir une réponse au troisième palier.

[59] Je ne dispose pas de suffisamment d’éléments de preuve pour me permettre de parvenir à une conclusion quant à la raison pour laquelle la fonctionnaire n’a pas attendu la réponse au troisième palier – comme je l’ai indiqué plus tôt dans la présente décision, elle croyait que la transmission au dernier palier avait eu lieu le 17 avril 2015. Dans l’ensemble, il semble que la fonctionnaire et son syndicat n’aient pas souhaité attendre une réponse et qu’ils aient demandé que les griefs soient traités plutôt au dernier palier.

[60] Ce qui est clair est qu’après avoir fait la transmission au dernier palier le 5 juin 2015, la fonctionnaire a dû attendre jusqu’au 22 mars 2017 pour que l’employeur rende sa décision au dernier palier. Il s’agissait d’une période de plus de 20 mois, bien au‑delà de la période « normale » de 20 jours pour une réponse à ce palier, tel qu’elle était prévue dans la convention collective à la clause 18.17.

[61] Il est probable que si la fonctionnaire avait perdu patience en attendant la réponse au dernier palier et tenté de renvoyer les griefs à l’arbitrage, l’employeur aurait présenté la même objection quant au respect des délais. Toutefois, ce n’est pas ce que la fonctionnaire a fait. Elle a attendu 20 mois pour obtenir la réponse au dernier palier et n’a renvoyé ses griefs à l’arbitrage qu’à ce moment‑là.

[62] En raison de son objection relative au respect des délais, l’employeur semble exiger que la fonctionnaire respecte strictement les délais prévus dans la convention collective qui s’appliquent à son égard, tout en profitant de prorogations indéfinies des dispositions relatives aux délais qui s’appliquent à son égard.

[63] Je n’ai aucun doute que les pratiques des parties consistant à mettre les griefs en suspens au troisième et au dernier paliers de la procédure de règlement des griefs, en attendant un triage aux fins de consultation, rendent les relations de travail plus efficaces que d’avoir à négocier des prorogations du délai pour chaque grief sur une base individuelle, conformément à ce qui est prévu à la clause 18.22. Toutefois, compte tenu des pratiques des parties et du libellé de la convention collective, la fonctionnaire n’avait effectivement d’autre choix que de décider dans les 15 jours de faire passer ses griefs au palier suivant sans réponse, conformément à la clause 18.16b), ou d’attendre pendant une période non précisée que l’employeur rende une décision afin de pouvoir transmettre son grief au palier suivant dans les 10 jours, conformément à la clause 18.16a).

[64] Dans le cadre de cette entente officieuse, il y a une lacune évidente pour ceux qui choisissent d’abord de faire entendre leurs griefs au troisième palier, mais décident plus tard de passer directement au dernier palier afin d’éviter d’autres retards non précisés. Les parties bénéficieraient évidemment de quelque chose d’autre qu’une pratique non écrite officieuse, qui pourrait régler ce qui se passe dans une situation comme celle‑ci, lorsqu’un employé et son syndicat souhaitent porter un grief au palier suivant dans une situation où le délai de réponse de l’employeur devient déraisonnable.

[65] J’hésite à déclarer simplement que la transmission de ces griefs au dernier palier a été faite dans les délais, de peur que cela ne soit considéré comme un feu vert pour les autres fonctionnaires s’estimant lésés et le syndicat de se retirer du processus de triage que les parties soutiennent avoir en place. En même temps, même si l’objection relative au respect des délais peut être conforme aux dispositions strictes de la convention collective, elle ne semble guère équitable. Cette conclusion éclaire mon examen des demandes de prorogation du délai de la fonctionnaire.

IV. Les demandes de prorogation du délai

[66] Les demandes de prorogation du délai pour déposer ou transmettre un grief sont présentées en vertu de l’article 61 du Règlement, qui se lit comme suit :

Prorogation de délai

Extension of time

61 Malgré les autres dispositions de la présente partie, tout délai, prévu par celle‑ci ou par une procédure de grief énoncée dans une convention collective, pour l’accomplissement d’un acte, la présentation d’un grief à un palier de la procédure applicable aux griefs, le renvoi d’un grief à l’arbitrage ou la remise ou le dépôt d’un avis, d’une réponse ou d’un document peut être prorogé avant ou après son expiration :

61 Despite anything in this Part, the time prescribed by this Part or provided for in a grievance procedure contained in a collective agreement for the doing of any act, the presentation of a grievance at any level of the grievance process, the referral of a grievance to adjudication or the providing or filing of any notice, reply or document may be extended, either before or after the expiry of that time,

a) soit par une entente entre les parties;

(a) by agreement between the parties; or

b) soit par la Commission ou l’arbitre de grief, selon le cas, à la demande d’une partie, par souci d’équité.

(b) in the interest of fairness, on the application of a party, by the Board or an adjudicator, as the case may be.

 

[67] Les parties ont convenu qu’afin d’évaluer une demande de prorogation du délai en vertu de l’article 61 du Règlement, la Commission devrait appliquer les critères établis dans Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, tel qu’ils sont énoncés au paragraphe 75, comme suit :

[…]

· le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;

· la durée du retard;

· la diligence raisonnable du fonctionnaire s’estimant lésé;

· l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur si la prorogation est accordée;

· les chances de succès du grief.

[…]

 

[68] La fonctionnaire a soutenu que tous les critères énoncés dans Schenkman sont satisfaits dans le présent cas, sauf le critère no 5, qui est un facteur qui ne peut pas être évalué avant d’entendre le cas et qui devrait être réservé uniquement pour rejeter les demandes de prorogation dans les situations où le grief, à première vue, est totalement dénué de fondement.

[69] La fonctionnaire a également fait valoir que la Commission n’est pas tenue d’appliquer rigoureusement les critères énoncés dans Schenkman et qu’elle devrait tenir compte du fait que la considération primordiale est d’accorder des demandes dans un souci d’équité; Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228 c. Conseil du Trésor, 2013 CRTFP 144 (« FIOE »), aux paragraphes 44 et 62.

[70] La fonctionnaire a également soutenu que la majorité des décisions de la Commission concernant les demandes de prorogation du délai se rapportent à des demandes de prorogation du délai pour déposer un grief ou le renvoyer à l’arbitrage. Peu de cas portent sur une demande de prorogation du délai d’une transmission dans le cadre de la procédure de règlement des griefs, ce qui est en litige dans le présent cas.

[71] En plus de Schenkman et de FIOE, la fonctionnaire a invoqué Lessard‑Gauvin c. Conseil du Trésor (École de la fonction publique du Canada), 2022 CRTESPF 40, aux paragraphes 36 à 44; Barbe c. Conseil du trésor (Service correctionnel du Canada), 2022 CRTESPF 42, aux paragraphes 25 et 50; Gee c. Administrateur général (ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2022 CRTESPF 58; et Slusarchuk c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2023 CRTESPF 22.

[72] L’employeur a fait valoir que les critères énoncés dans Schenkman ne sont pas satisfaits. Il a soutenu que si la fonctionnaire souhaitait passer directement au dernier palier, elle et son syndicat étaient tenus de respecter les délais prévus dans la convention collective. Il a fait valoir qu’elle n’a pas fourni une raison claire et logique pour ne pas avoir respecté ces délais et qu’elle ne peut pas invoquer une erreur commise par son syndicat; voir Copp c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères et du Commerce international), 2013 CRTFP 33; Martin c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2021 CRTESPF 62; N.L. c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2022 CRTESPF 82; et Barbe.

[73] J’estime qu’il y a deux tendances dans la jurisprudence, bien décrites dans Barbe au paragraphe 48. D’une part, une partie de la jurisprudence de la Commission laisse entendre que le premier critère énoncé dans Schenkman, soit une raison claire et logique du retard, a préséance sur les autres critères et que les erreurs commises par l’agent négociateur ne constituent pas des raisons logiques et convaincantes d’un retard (voir Martin et Copp). D’autre part, la jurisprudence la plus récente suggère une approche plus équilibrée de l’application des critères énoncés dans Schenkman et une approche plus souple pour déterminer si un fonctionnaire s’estimant lésé doit être tenu responsable des erreurs commises par son syndicat; voir Lessard‑Gauvin, au paragraphe 32; Barbe; et Slusarchuk.

[74] Je souscris à la décision de la Commission dans FIOE selon laquelle, compte tenu du libellé de l’article 61, la considération générale est celle de l’équité. Je souscris également à l’affirmation de la Commission dans N.L., au paragraphe 28, qui énonce ce qui suit : « Les circonstances de chaque cas influencent l’importance et le poids qui seront accordés à chacun des critères. » Je souscris également à l’argument du syndicat selon lequel le cinquième critère énoncé dans Schenkman (« les chances de succès du grief ») est difficile à évaluer à ce stade. Il est plus approprié d’appliquer ce critère comme moyen de ne pas accorder une demande de prorogation du délai lorsqu’un fonctionnaire s’estimant lésé ne présente pas une cause défendable de violation ou si la Commission juge un grief frivole ou vexatoire; voir N.L., au paragraphe 45; Barbe, au paragraphe 38; et Lessard‑Gauvin, au paragraphe 50.

[75] Compte tenu de ces considérations, je reformulerais légèrement les critères énoncés dans Schenkman et j’emprunterais de la décision de la Commission dans Bastien c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2023 CRTESPF 34, au paragraphe 10, pour les reformuler en tant que questions, comme suit :

Afin de déterminer s’il est dans l’intérêt de l’équité d’accorder une demande de prorogation du délai dans le cadre de la procédure de règlement des griefs, la Commission tiendra compte des questions suivantes :

1) Existe‑t‑il des raisons claires, logiques et convaincantes pour expliquer le retard?

2) Quelle était la durée du retard et à quelle étape de la procédure de règlement des griefs a‑t‑il eu lieu?

3) Le fonctionnaire s’estimant lésé a‑t‑il fait preuve de diligence raisonnable?

4) Qui subirait le pire préjudice, l’employeur si la prorogation est accordée ou l’employé si elle n’est pas accordée?

5) La prorogation ne servirait‑elle à rien parce que le grief n’a aucune chance de succès ou est frivole ou vexatoire?

 

[76] Je vais maintenant appliquer ces critères aux demandes de prorogation du délai de la fonctionnaire.

A. Existe‑t‑il des raisons claires, logiques et convaincantes pour expliquer le retard?

[77] Dans le présent cas, le temps écoulé rend difficile la détermination des raisons du retard. Comme je l’ai indiqué antérieurement, j’estime que la fonctionnaire et sa représentante syndicale ont signé les formulaires de transmission le dernier jour de travail de la fonctionnaire à l’ASFC, soit le 17 avril 2015. Cette date était dans les délais prévus en vertu de la convention collective. La fonctionnaire croyait que Mme Busnardo avait fourni les formulaires de transmission à son gestionnaire. Cependant, les formulaires de transmission n’ont pas été signés par un gestionnaire avant le 5 juin 2015. Il n’est pas clair s’il s’agissait d’une erreur de la part du syndicat de la fonctionnaire ou s’il y a eu une erreur de la part de la direction pendant une période de transition. Dans l’ensemble, il semble que la fonctionnaire et son syndicat aient pris la décision de porter ses griefs au dernier palier dans le contexte où l’employeur ne répond normalement pas aux griefs au troisième palier dans les délais prévus par la convention collective, mais cette transmission n’a été confirmée que le 5 juin 2015.

[78] L’employeur a soutenu que les raisons du retard dans la transmission relèvent du syndicat de la fonctionnaire et que « [l]es erreurs administratives commises par un agent négociateur ne constituent pas nécessairement des raisons claires, logiques et convaincantes […] » d’un retard; voir N.L., au paragraphe 30. Toutefois, je ne suis pas convaincu qu’une erreur administrative a été commise par le syndicat de la fonctionnaire. J’ai également conclu que la transmission des griefs n’était pas conforme aux pratiques de l’ASFC et du SDI non pas parce qu’ils étaient en retard, mais parce qu’ils étaient en avance.

[79] Les raisons pour lesquelles la direction n’a pas signé les formulaires de transmission avant le 5 juin 2015 ne sont peut‑être pas claires, mais je les trouve convaincantes dans la mesure où le délai était assez limité dans le temps. Je conclus également que les raisons pour lesquelles la fonctionnaire souhaitait transmettre ses griefs au dernier palier étaient convaincantes, étant donné qu’elle aurait pu attendre plusieurs mois pour obtenir une réponse aux griefs au troisième palier.

B. Quelle était la durée du retard et à quelle étape de la procédure de règlement des griefs a‑t‑il eu lieu?

[80] Contrairement à bon nombre des demandes devant la Commission en vertu de l’article 61 du Règlement, le retard dans le présent cas n’était pas dans le dépôt initial des griefs ni dans leur renvoi à l’arbitrage, mais dans leur transmission du troisième palier au dernier palier dans un contexte où l’employeur n’avait pas encore fourni sa réponse. Il s’agit sans doute d’une étape moins préjudiciable pour demander une prorogation, étant donné que l’examen par l’employeur des questions soulevées dans les griefs avait déjà commencé et n’était pas encore terminé.

[81] En outre, le retard était relativement court. Selon la convention collective, la transmission au troisième palier ayant eu lieu le 1er avril 2015, la transmission au dernier palier aurait dû être faite dans un délai 15 jours, à l’exclusion des samedis, des dimanches et des jours fériés désignés payés. Il a plutôt été confirmé que les griefs ont été transmis le 5 juin 2015. En d’autres termes, la transmission a été faite avec un retard d’environ six semaines, soit d’environ 30 jours.

[82] Ce retard doit être pris en considération dans un contexte où il faut régulièrement beaucoup de temps à l’employeur pour répondre au troisième palier de la procédure de règlement des griefs, comme le confirment les arguments de l’employeur et le témoignage incontesté de Mme Busnardo selon lequel l’employeur prend régulièrement au moins six mois pour répondre à ce palier.

[83] On peut soutenir que la transmission des griefs au dernier palier a épargné à l’employeur le temps de préparer une réponse aux griefs au troisième palier. En outre, un retard de 30 jours dans la transmission constitue un court retard par rapport aux 20 mois qu’il a fallu à l’employeur pour rendre sa réponse au dernier palier.

C. La fonctionnaire a‑t‑elle fait preuve de diligence raisonnable?

[84] La fonctionnaire a signé les formulaires de transmission le 17 avril 2015, son dernier jour de travail, et estimait qu’ils avaient été fournis à la direction ce jour‑là. Peu après, elle a commencé un nouvel emploi à l’extérieur du gouvernement fédéral. À titre de représentante de la fonctionnaire, Mme Busnardo s’est assurée que Mme Andersson avait signé les formulaires de transmission le 5 juin 2015 et l’a immédiatement signalé au président de la section locale, M. Knoblauch.

[85] L’employeur a soutenu que la fonctionnaire n’avait pas fait preuve de diligence raisonnable parce qu’elle et son syndicat n’ont pas demandé une séance de consultation au troisième palier. Après que la fonctionnaire a témoigné qu’elle avait occupé son nouveau poste après avoir quitté l’ASFC, il a soutenu que cela montrait qu’elle n’était pas disponible pour une telle consultation. Je n’en suis pas du tout convaincu. Les parties étaient d’avis qu’elles s’engageaient dans un processus de « triage » pour déterminer l’échéancier des consultations, ce qui laisse entendre une responsabilité égale plutôt qu’une responsabilité exclusive de la fonctionnaire et de son syndicat. De plus, on ne m’a présenté aucun élément de preuve selon lequel l’employeur avait cherché directement à consulter la fonctionnaire avant de lui donner sa réponse au dernier palier.

[86] En fait, rien n’indique que l’employeur ait soulevé une objection quant au respect des délais avant le 22 mars 2017, date à laquelle il a répondu aux griefs au dernier palier. Une fois que cela s’est produit, la fonctionnaire et son syndicat ont agi avec diligence en renvoyant les griefs à l’arbitrage. Il n’y avait aucune raison pour la fonctionnaire de faire quoi que ce soit entre juin 2015 et mars 2017, sauf attendre une réponse. Outre l’écart inexpliqué de transmission entre le 17 avril et le 5 juin 2015, je conclus que la fonctionnaire a agi avec diligence raisonnable pour faire valoir ses griefs.

[87] Après que la fonctionnaire a témoigné que son syndicat lui avait demandé à quelques reprises si elle souhaitait renvoyer ses griefs à l’arbitrage, l’employeur a soutenu que cela démontrait un manque de diligence raisonnable de la part du syndicat. Il a soutenu que cela équivalait au fait que le syndicat souhaitait abandonner les griefs, ce qui n’est pas conforme aux bonnes pratiques en matière de relations de travail.

[88] Je ne suis pas du même avis. Après de nombreuses années, il était tout à fait approprié que le syndicat de la fonctionnaire lui demande si elle souhaitait procéder à une audience. Cela permet de s’assurer que les parties consacrent du temps aux griefs qui comptent pour le fonctionnaire s’estimant lésé concerné. Dans le présent cas, la fonctionnaire a dit qu’elle souhaitait poursuivre, et son syndicat lui a fourni une avocate à titre de représentante. Elle et son syndicat ont agi avec diligence.

D. Qui subirait le pire préjudice, l’employeur si la prorogation est accordée ou l’employé si elle n’est pas accordée?

[89] L’employeur a fait valoir qu’il subit un préjudice en raison de la nécessité de présenter une cause aussi éloignée des événements en litige. Il a dit qu’à un moment donné, il devrait avoir le confort de savoir si les griefs ont été abandonnés et qu’il est difficile d’appeler des témoins après une telle période prolongée. Il a mentionné expressément que Mme Dahka, la superviseure directe de la fonctionnaire, est maintenant à la retraite et n’est pas disponible.

[90] Je conviens qu’il est difficile pour l’employeur et, en fait, pour la fonctionnaire, de procéder à une audience de la présente affaire plus de huit ans après les événements en litige. Toutefois, la prorogation demandée dans la présente demande ne vise que les quelque 30 jours pour transmettre les griefs au dernier palier. Il s’agit d’une prorogation extrêmement courte par rapport aux retards subséquents qui ont touché cette question : une période de 20 mois pour que l’employeur rende sa réponse au dernier palier, et une période de six ans avant de mettre au rôle l’audience de la présente affaire.

[91] Je n’accepte pas qu’une prorogation de 30 jours soit préjudiciable à l’employeur, qui, en raison de la transmission directe au dernier palier, n’a plus eu à entreprendre les travaux de réponse au troisième palier.

E. La prorogation ne servirait‑elle à rien parce que le grief n’a aucune chance de succès ou est frivole ou vexatoire?

[92] Aucun argument selon lequel les griefs n’avaient aucune chance de succès ou étaient frivoles ou vexatoires ne m’a été présenté.

V. Conclusion

[93] Après avoir reformulé légèrement les critères énoncés dans Schenkman et examiné chacun de ces critères, je conclus qu’il est dans l’intérêt de l’équité d’accorder à la fonctionnaire une prorogation jusqu’au 5 juin 2015 pour transmettre ses griefs au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Le critère le plus important sur lequel je me suis fié est le fait que la prorogation demandée n’est que d’environ 30 jours pour la transmission des griefs au dernier palier, dans un contexte où le temps de réponse prévu de l’employeur aux griefs à ce palier était beaucoup plus long.

[94] Les griefs doivent être entendus sur le fond au cours du prochain bloc d’audience disponible.

[95] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[96] Les demandes de prorogation du délai (dans les dossiers 568‑02‑384 et 385 de la Commission) sont accueillies.

[97] Les griefs (dans les dossiers 566‑02‑14002 et 14003 de la Commission) doivent être mis au rôle des audiences de la Commission au cours du prochain bloc d’audience disponible.

Le 9 juin 2023.

Traduction de la CRTESPF

David Orfald,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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