Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Dans 2019 CRTESPF 77 (la « décision initiale »), la Commission a rejeté la plainte de dotation de la demanderesse – la demanderesse a par la suite demandé que la décision initiale soit mise sous scellés ou anonymisée – la Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas établi un risque sérieux pour un intérêt public important qui justifierait de restreindre le principe de transparence judiciaire – la Commission a également conclu que tout avantage d’une ordonnance d’anonymisation de la décision initiale ne l’emporterait pas sur les effets négatifs d’une telle ordonnance sur le droit du public à des instances de la Commission qui soient transparentes et accessibles.

Demande rejetée.

Contenu de la décision

Date : 20230627

Dossier : EMP-2016-10822

 

Référence : 2023 CRTESPF 67

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur l’emploi dans la fonction

publique

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

Entre

 

PAMELA MENEGUZZI

plaignante

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(Bureau du directeur des poursuites pénales)

 

intimé

et

AUTRES PARTIES

Répertorié

Meneguzzi c. Administrateur général (Bureau du directeur des poursuites pénales)

Affaire concernant une plainte d’abus de pouvoir déposée en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Devant : David Olsen, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante : Elle-même et Sean McGee, avocat

Pour l’intimé : Richard Fader, avocat

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 13 octobre, les 9 et 16 novembre et le 17 décembre 2021,
et le 29 mars et le 18 août 2022.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Demande devant la Commission

A. Contexte

[1] La plainte pertinente (dossier de la Commission EMP-2016-10822) a été présentée en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; LEFP) et concernait un abus de pouvoir présumé dans l’application du mérite dans un processus de nomination annoncé. Elle a été présentée devant l’ancienne Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique le 15 novembre 2016. Une décision a été rendue le 29 juillet 2019 (2019 CRTESPF 77). La plainte a été rejetée.

[2] Le 13 octobre 2021, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») a reçu de la plaignante, Pamela Meneguzzi, une demande de sceller ou d’anonymiser la décision à la lumière de la décision récente de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25, qui a conclu qu’une mise sous scellés peut être ordonnée lorsqu’un intérêt en matière de vie privée qui touche au cœur de la dignité humaine est touché.

[3] La plaignante a allégué avoir été victime d’abus de pouvoir fondé sur une discrimination de mauvaise foi lorsqu’elle n’a pas été nommée à un poste d’avocate générale au Service des poursuites pénales du Canada. La plaignante a allégué qu’elle avait été victime de discrimination dans le processus de nomination en raison de son sexe.

[4] Dans le processus de nomination, il fallait obtenir une note de [traduction] « Parfaitement capable » était requise pour toutes les qualités essentielles du poste d’avocat général, compte tenu de l’importance du rôle.

[5] À la lumière de son entrevue au cours du processus de nomination et de ses références, la plaignante a obtenu la note Parfaitement capable pour les compétences spécialisées, les connaissances, le professionnalisme, le jugement, la gestion de la pratique et la communication. Elle a obtenu une note [traduction] « Capable » pour les habiletés interpersonnelles et le leadership.

[6] La plaignante a vigoureusement contesté ces deux évaluations.

[7] La Commission a déterminé qu’elle avait établi une preuve prima facie de discrimination fondée sur la preuve circonstancielle produite, y compris la perception d’un attribut qui peut être considéré comme négatif chez une femme. La Commission a néanmoins conclu que l’intimé (le Directeur des poursuites pénales) avait fourni une explication raisonnable et non discriminatoire à la note attribuée à la plaignante lorsqu’il avait évalué ses aptitudes en leadership et ses habiletés interpersonnelles en fonction de son entrevue et de ses références.

[8] La Commission a conclu que le sexe de la plaignante n’avait pas été un facteur dans son évaluation et qu’elle n’avait pas prouvé que le comité d’évaluation avait agi de mauvaise foi.

II. Résumé des arguments

A. Résumé de la plaignante en personne

[9] La plaignante fait cette demande conformément aux responsabilités de gestion de la Commission fondées sur l’arrêt Société RadioCanada c. Manitoba, 2021 CSC 33 où la Cour a déterminé que, même après la fin de l’affaire, il pourrait être nécessaire de prendre des décisions importantes concernant la transparence judiciaire.

[Traduction]

[…]

[La plaignante demande] de sceller ou d’anonymiser la décision à la lumière de la décision récente de la Cour suprême du Canada dans Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25, qui a conclu qu’une mise sous scellés peut être ordonnée lorsqu’un intérêt en matière de vie privée qui touche au cœur de la dignité humaine est touché.

[…]

 

[10] La plaignante a fait référence au paragraphe 72 de Sherman (Succession), qui se lit comme suit :

[72] En cas d’atteinte à la dignité, l’incidence sur la personne n’est pas théorique, mais pourrait entraîner des conséquences humaines réelles, y compris une détresse psychologique (voir de manière générale Bragg, par. 23). Dans l’arrêt Dyment, le juge La Forest a fait remarquer dans ses motifs concordants que la notion de vie privée est essentielle au bienêtre dune personne (p. 427). Vu sous cet angle, un intérêt en matière de vie privée, lorsqu’il protège les renseignements fondamentaux associés à la dignité qui est nécessaire au bienêtre dune personne, commence à ressembler beaucoup à lintérêt relatif à la sécurité physique également soulevé en lespèce, dont la nature importante et publique nest pas débattue, et n’est pas non plus, selon moi, sérieusement discutable. Lorsque le fonctionnement des tribunaux menace le bienêtre physique dune personne, ladministration de la justice en souffre, car un système judiciaire responsable est sensible aux dommages physiques qu’il inflige aux individus et s’efforce d’éviter de tels effets. De même, j’estime qu’un tribunal responsable doit être sensible et attentif aux dommages qu’il cause à d’autres éléments fondamentaux du bienêtre individuel, notamment la dignité individuelle. Ce parallèle aide à comprendre que la dignité est une dimension plus limitée de la vie privée, pertinente en tant qu’intérêt public important dans le contexte de la publicité des débats judiciaires.

 

[11] La plaignante a ensuite déclaré ce qui suit :

[Traduction]

[…]

En tant que participante au processus de plaintes, je peux affirmer sans équivoque que la publicité d’une décision de dotation a un effet très négatif. Je n’ai pas déposé de plainte subséquente. Je crois que [la décision] a porté atteinte à ma candidature pour d’autres postes. De plus, la publication continue de la décision (qui touche au cœur de ma dignité dans le sens où elle a examiné en détail ma personnalité unique – elle portait précisément sur ma personnalité) continue de me causer de la détresse, particulièrement le paragraphe 72.

 

[12] Le paragraphe 72 de la décision fait référence comme suit au témoignage de Todd Gerhart (procureur fédéral en chef de la région de la Colombie-Britannique de l’intimé) et à une discussion avec Rosellina Dattilo (procureure fédérale en chef adjointe de cette même région), qui formaient ensemble le comité d’évaluation du processus pour lequel la plaignante avait posé sa candidature :

[72] M. Gerhart a déclaré à l’audience qu’il avait examiné avec soin les autres arguments de la plaignante et qu’il en avait discuté avec Mme Dattilo, mais qu’ensemble ils avaient conclu que ses arguments ne modifiaient pas leur évaluation du fait qu’elle ne satisfaisait pas à la norme Parfaitement capable pour le leadership et les habiletés interpersonnelles. Ils croyaient que les personnes nommées avaient démontré ces compétences à ce niveau, mais non la plaignante.

 

[13] La plaignante se demande pourquoi ses préoccupations en matière de promotion appartiennent au domaine public.

B. Arguments de l’avocat de la plaignante

[14] L’avocat de la plaignante a fait valoir ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Mme Meneguzzi demande une ordonnance afin que la Commission prenne des mesures pour contrôler la diffusion de [la décision]. La demande est de le faire soit en anonymisant son nom, soit en cessant de donner directement accès au cas et en demandant à CanLII de faire de même.

[…]

Au moment de l’audition de la présente affaire, l’Association [des juristes de justice] n’avait généralement pas soutenu ses membres en ce qui concerne les plaintes relatives à la dotation, mais elle appuie la demande de mise sous scellés du genre demandé par la plaignante.

L’ordonnance est demandée à la lumière des déclarations de la Cour suprême du Canada dans Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25. Comme la Commission le sait, la Cour a clairement fait savoir qu’il fallait trouver un équilibre entre les principes associés à une approche de « publicité des débats judiciaires » et la protection des intérêts en matière de dignité liés aux renseignements sur les personnes qui touchent leur identité fondamentale (paragraphe 71). Cela comprend des questions et des conclusions liées à la personnalité.

L’arrêt Sherman a confirmé que l’exercice exige de trouver un équilibre entre différents intérêts qui doit inclure cet accent sur les intérêts de la personne en matière de vie privée. L’observation ne prétend pas que des cas comme Sierra Club et Dagenais ne font plus autorité. Elle précise que la protection de la vie privée et les intérêts liés à l’identité fondamentale font partie des intérêts importants qui doivent être pris en considération lorsqu’il s’agit de déterminer dans quelle mesure les renseignements fournis à une audience devraient ou doivent être diffusés. C’est pourquoi la Cour a toujours exigé que le décideur passe à la deuxième partie du critère et évalue la proportionnalité liée aux intérêts de divulgation et à la protection d’autres intérêts personnels d’un plaideur. On ne peut pas non plus les rejeter sans les avoir examinés attentivement.

L’Association des juristes de justice appuie la demande soit de contrôler la diffusion de la manière demandée, soit d’anonymiser la décision afin de protéger les intérêts en matière de dignité susmentionnés.

[…]

 

C. Arguments de l’avocat de l’intimé

[15] L’intimé a soutenu ce qui suit :

[Traduction]

[…]

2. L’intimé s’oppose à cette demande pour les raisons suivantes.

3. La publication des décisions rendues par la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») est au cœur du principe de publicité des débats judiciaires. La Politique sur la transparence et la protection de la vie privée de la Commission avertit les parties qu’elles s’engagent dans un processus où il est entendu que le différend qui les oppose sera débattu en public. La Politique indique en particulier que : « La publication de l’identité d’une partie ou d’un témoin a un impact positif sur la fiabilité des témoignages. Les décisions de la Commission comprennent le nom des parties et des témoins et toute information à leur sujet qui est pertinente et nécessaire pour décider du différend. »

4. Il existe une forte présomption de publicité de toutes les procédures judiciaires. La Cour suprême du Canada a reconnu que cette présomption est inextricablement liée à la liberté d’expression garantie par la Charte canadienne des droits et libertés, et qu’on ne peut la modifier à la légère.

5. L’application du principe de publicité des débats judiciaires aux tribunaux quasi judiciaires a été examinée dans Lukacs c. Canada (Transports, Infrastructure et Collectivités). Les mêmes principes qui ont été énoncés pour les tribunaux s’appliquent aux procédures quasi judiciaires, y compris les plaintes relatives à la dotation déposées auprès de la Commission en vertu de l’article 77 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique.

6. La plaignante invoque l’arrêt Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25, au paragraphe 72. Il est important de noter que la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Donovan, traitait de l’application de principes bien établis à un modèle de faits particulier (paragraphes 30 et 31). La Cour suprême ne prétendait pas modifier le droit dans ce domaine.

7. Une partie qui demande une restriction au principe de publicité des débats judiciaires doit satisfaire au critère établi par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Dagenais/Mentuck, reformulé ultérieurement dans Sierra Club du Canada c. Canada (ministre des Finances), et démontrer que :

a) elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d’un litige, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque;

b) ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

Application du critère Dagenais/Mentuck

8. La Cour suprême a insisté sur le fait que pour prouver l’élément de « risque sérieux » du premier volet du critère, la partie doit démontrer que la menace de dommage est « réel[le] et important[e], en ce qu’[elle] est bien étayé[e] par la preuve ».

9. La déclaration de la plaignante concernant l’effet négatif possible sur son employabilité attribuable à la publication de la décision est fondée sur des hypothèses, des spéculations et des conjectures sans fondement probant véritable. Même s’il est possible qu’un employeur potentiel puisse prendre connaissance de cette décision, rien de « réel, d’important et de bien étayé par la preuve » ne laisse entendre qu’il y aurait un risque sérieux pour un intérêt important. Comme il est indiqué dans la décision Abi‑Mansour 2018 [au par. 37] « [l]e préjudice auquel renvoie le plaignant et son risque d’être inapte au travail sont de nature conjecturale ».

10. Le deuxième volet du critère porte sur la proportionnalité, soit l’équilibre entre les répercussions positives et négatives qu’entraînerait l’ordonnance. L’effet bénéfique de ne pas publier la décision ne l’emporte pas sur l’intérêt public. Comme il est indiqué dans la décision Abi-Mansour 2018, « les effets bénéfiques de l’ordonnance ne l’emporteraient très certainement pas sur les effets préjudiciables sur le droit du public à des procédures d’arbitrage publiques et accessibles ».

11. Il convient également de noter que la décision a été publiée le 29 juillet 2019 et est disponible sur de nombreuses plateformes non contrôlées par la Commission, comme QuickLaw et CanLII. La plaignante n’a fourni aucune explication quant à la raison pour laquelle cette requête n’a pas été présentée en temps opportun. Les principes de base appliqués dans Donovan ont été établis au moins depuis l’arrêt Sierra Club du Canada en 2002.

12. Comme il est énoncé dans la Politique sur la transparence et la protection de la vie privée de la Commission : « le principe de la publicité des débats judiciaires est un principe important dans notre système juridique. Suivant ce principe, garanti par la Constitution, la Commission tient ses audiences en public, sauf dans des circonstances exceptionnelles. En raison de son mandat et de la nature des affaires qu’elle entend, la Commission pratique une politique d’ouverture qui favorise la transparence de ses procédures, la responsabilisation et l’équité dans la conduite de ses audiences. »

Conclusion

13. Il n’y a rien dans la décision Meneguzzi c. Directeur des poursuites pénales, 2019 CRTESPF 76 qui relève du niveau de gravité décrit par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Donovan. La Commission a récemment rejeté une demande similaire : « Comme il a été souligné récemment dans l’arrêt Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25, au par. 7, la diffusion de renseignements personnels très sensibles, laquelle entraînerait non seulement un désagrément ou de l’embarras pour la personne touchée, mais aussi une atteinte à sa dignité, constitue une exception justifiable au principe de la publicité des débats judiciaires. »

14. Meneguzzi 2019 est une décision simple qui ressemble à des centaines d’autres décisions accessibles sur le site Web de la Commission. Il n’y a rien dans la décision qui pourrait causer un malaise ou un embarras, et encore moins une atteinte à la dignité personnelle de la plaignante, comme le dit la Cour suprême du Canada.

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

D. Réponse de la plaignante au sujet de la question du respect des délais

[16] La plaignante a présenté les arguments suivants en réponse à la question du respect des délais :

[Traduction]

[…]

Cette demande est présentée conformément aux responsabilités de gestion de la Commission et se fonde sur l’arrêt Société RadioCanada c. Manitoba, 2021 CSC 33 où le juge Kasirer a dit que même après la fin du cas, « d’importantes décisions au sujet de la publicité du dossier judiciaire peuvent devoir être prises ».

Le délai pour présenter la demande n’a pas été retardé. La demande a été présentée dès que possible après que la décision Sherman (Succession) a été rendue et a clarifié le droit concernant l’importance du respect de la dignité des plaideurs. Les questions de dignité soulevées par la publication de la décision ne sont apparues que lorsque j’ai cherché à obtenir d’autres postes, en particulier lorsque j’ai déposé ma demande de nomination judiciaire. Dans la demande, j’ai dû me référer à cette décision publique, ce qui rend ma nomination improbable. Je subis un préjudice continu. Il n’est pas clair que les fonctionnaires qui poursuivent la seule voie officielle qu’ils ont pour assurer l’équité en matière d’embauche doivent être identifiés publiquement dans l’intitulé lorsque l’employeur est nommé de façon générique (p. ex., le Directeur des poursuites pénales).

[…]

 

E. Position de la Commission de la fonction publique

[17] La Commission de la fonction publique (« CFP ») n’a pris aucune position sur la demande de la plaignante en vue d’obtenir une ordonnance de mise sous scellés et a informé la Commission qu’elle ne présenterait pas d’observations.

III. Analyse

A. Dispositions constitutionnelles et législatives

[18] L’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés (adoptée comme annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.)) et le préambule de la LEFP sont les dispositions constitutionnelles et législatives pertinentes à la présente décision. Elles disposent ce qui suit :

2 Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

[…]

b) liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication […]

[…]

Préambule

Attendu :

[…]

qu’il demeure avantageux pour le Canada de pouvoir compter sur une fonction publique non partisane et axée sur le mérite et que ces valeurs doivent être protégées de façon indépendante;

[…]

que le gouvernement du Canada souscrit au principe d’une fonction publique inclusive qui reflète la diversité de la population canadienne, qui incarne la dualité linguistique et qui se distingue par ses pratiques d’emploi équitables et transparentes, le respect de ses employés, sa volonté réelle de dialogue et ses mécanismes de recours destinés à résoudre les questions touchant les nominations […]

[Je mets en évidence]

 

B. Jurisprudence

1. Le principe de transparence judiciaire

[19] Dans Vancouver Sun (Re), 2004 CSC 43, la Cour suprême du Canada a souligné l’importance du principe de transparence judiciaire et lié le principe aux dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés relatives à la liberté d’expression, comme suit :

[…]

23 La Cour a souligné à de nombreuses reprises que le « principe de la publicité des débats en justice » est une caractéristique d’une société démocratique et s’applique à toutes les procédures judiciaires : Procureur général de la NouvelleÉcosse c. MacIntyre, [1982] 1 R.C.S. 175, p. 187; Société RadioCanada c. NouveauBrunswick (Procureur général), [1996] 3 R.C.S. 480, par. 21-22; Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326. « En effet, il ne peut y avoir de démocratie sans la liberté d’exprimer de nouvelles idées et des opinions sur le fonctionnement des institutions publiques. La notion d’expression libre et sans entraves est omniprésente dans les sociétés et les institutions vraiment démocratiques. On ne peut trop insister sur l’importance primordiale de cette notion » : Edmonton Journal, précité, p. 1336.

24 Le principe de la publicité des débats en justice est depuis longtemps reconnu comme une pierre angulaire de la common law : Société RadioCanada c. NouveauBrunswick (Procureur général), précité, par. 21. Le droit du public d’avoir accès aux tribunaux est [TRADUCTION] « une question de principe […] fondée sur la nécessité et non sur des considérations d’ordre pratique » : Scott c. Scott, [1913] A.C. 417 (H.L.), vicomte Haldane, lord chancelier, p. 438. [TRADUCTION] « La justice ne se rend pas derrière des portes closes » : Ambard c. Attorney-General for Trinidad and Tobago, [1936] A.C. 322 (C.P.), lord Atkin, p. 335. [TRADUCTION] « La publicité est le souffle même de la justice. Elle est la plus grande incitation à l’effort et la meilleure des protections contre l’improbité » : J. H. Burton, dir., Benthamiana : Or, Select Extracts from the Works of Jeremy Bentham (1843), p. 115.

25 L’accès du public aux tribunaux assure l’intégrité des procédures judiciaires en démontrant « que la justice est administrée de manière non arbitraire, conformément à la primauté du droit » : Société RadioCanada c. NouveauBrunswick (Procureur général), précité, par. 22. La publicité est nécessaire au maintien de l’indépendance et de l’impartialité des tribunaux. Elle fait partie intégrante de la confiance du public dans le système de justice et de sa compréhension de l’administration de la justice. En outre, elle constitue l’élément principal de la légitimité du processus judiciaire et la raison pour laquelle tant les parties que le grand public respectent les décisions des tribunaux.

26 Le principe de la publicité des débats en justice est inextricablement lié à la liberté d’expression garantie par l’al. 2b) de la Charte et sert à promouvoir les valeurs fondamentales qu’elle véhicule : Société RadioCanada c. NouveauBrunswick (Procureur général), précité, par. 17. La liberté de la presse de faire rapport sur les instances judiciaires constitue une valeur fondamentale. De même, le droit du public d’être informé est également protégé par la garantie constitutionnelle de la liberté d’expression : Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712; Edmonton Journal, précité, p. 1339-40. Étant donné que c’est elle qui véhicule au public l’information concernant le fonctionnement des institutions publiques, la presse joue un rôle vital : Edmonton Journal, p. 1339-40. Par conséquent, le moins qu’on puisse dire est qu’il ne faut pas modifier à la légère le principe de la publicité des débats en justice.

[…]

 

2. Équilibrer la liberté d’expression et d’autres droits et intérêts importants du critère Dagenais/Mentuck

[20] Dans l’arrêt Vancouver Sun (Re), la Cour suprême du Canada a réitéré le critère Dagenais/Mentuck pour équilibrer la liberté d’expression et d’autres droits importants comme suit :

[…]

28 La Cour a élaboré le critère souple des arrêts Dagenais/Mentuck afin de pondérer la liberté d’expression avec d’autres droits et intérêts, incorporant ainsi l’essence de la pondération selon le critère de l’arrêt Oakes : Dagenais et Mentuck, précités; R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103. Les droits et intérêts examinés sont plus vastes que la simple administration de la justice et comportent le droit à un procès équitable : Mentuck, précité, par. 33; ils peuvent comprendre les droits qui touchent à la vie privée et à la sécurité.

29 Dans Dagenais et Mentuck, la Cour affirme qu’une ordonnance de nonpublication ne doit être rendue que si :

a) elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour la bonne administration de la justice, vu l’absence d’autres mesures raisonnables pouvant écarter ce risque;

b) ses effets bénéfiques sont plus importants que ses effets préjudiciables sur les droits et les intérêts des parties et du public, notamment ses effets sur le droit à la libre expression, sur le droit de l’accusé à un procès public et équitable, et sur l’efficacité de l’administration de la justice.

(Mentuck, précité, par. 32)

30 Le premier volet du critère de Dagenais/Mentuck reflète l’exigence de l’atteinte minimale de l’arrêt Oakes et le deuxième volet, l’exigence de proportionnalité. Le juge est tenu non seulement de déterminer « s’il existe des mesures de rechange raisonnables, mais aussi [de] limite[r] l’ordonnance autant que possible sans pour autant sacrifier la prévention du risque » : Mentuck, précité, par. 36.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[21] Dans l’arrêt Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), [2002] 2 RCS 522 (« Sierra Club »), la Cour suprême du Canada a reformulé le critère d’une ordonnance de confidentialité énoncée dans des décisions antérieures, y compris Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 RCS 835 et R. c. Mentuck, [2001] 3 RCS 442, et a appliqué les décisions antérieures qui avaient été prises dans le cadre d’affaires pénales à une affaire civile comme suit :

[…]

53 Pour appliquer aux droits et intérêts en jeu en l’espèce l’analyse de Dagenais et des arrêts subséquents précités, il convient d’énoncer de la façon suivante les conditions applicables à une ordonnance de confidentialité dans un cas comme l’espèce :

Une ordonnance de confidentialité en vertu de la règle 151 ne doit être rendue que si :

a) elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d’un litige, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque;

b) ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

[…]

 

[22] La Cour a ensuite ajouté ce qui suit :

54 Comme dans Mentuck, j’ajouterais que trois éléments importants sont subsumés sous le premier volet de l’analyse. En premier lieu, le risque en cause doit être réel et important, en ce qu’il est bien étayé par la preuve et menace gravement l’intérêt commercial en question.

 

[23] Dans la décision Lukács c. Canada (Transports, Infrastructure et Collectivités), 2015 CAF 140, la Cour d’appel fédérale a discuté de l’applicabilité du principe de publicité des débats judiciaires aux tribunaux quasi judiciaires au paragraphe 37 comme suit, citant R. v. Canadian Broadcasting Corporation, 2010 ONCA 726, au par. 22 :

[37] […]

[22] Le principe de la publicité des débats judiciaires, qui permet au public d’avoir accès aux renseignements relatifs aux juridictions, est solidement ancré dans le système judiciaire canadien. Le principe cardinal d’intérêt public qui consiste à favoriser la transparence et le « maximum de responsabilité et d’accessibilité » quant aux actes judiciaires et quasi judiciaires est antérieur à la Charte : Nouvelle-Écosse (Procureur général) c. MacIntyre, [1982] 1 R.C.S. 175, [1982] A.C.S. no 1, à la page 184). Ainsi que l’a déclaré le juge Dickson, aux pages 186 et 187 : « À chaque étape, on devrait appliquer la règle de l’accessibilité du public […] »

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

3. La Commission et le principe de transparence judiciaire

[24] La Commission et ses prédécesseurs, la Commission des relations de travail dans la fonction publique et le Tribunal de la dotation de la fonction publique (« TDFP »), ont suivi le principe de transparence judiciaire et ont appliqué le critère Dagenais/Mentuck pour établir un équilibre entre ce principe et d’autres droits importants. Voir Basic c. Association canadienne des employés professionnels, 2012 CRTFP 120, aux paragraphes 9 à 11.

[25] La Commission a adopté une Politique sur la transparence et la protection de la vie privée qui est affichée sur son site Web public et qui se lit en partie comme suit :

TRANSPARENCE JUDICIAIRE

La Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») est un tribunal quasi judiciaire indépendant qui gère les affaires dont elle est saisie en vertu de diverses lois liées au travail, dont la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, la Loi sur les relations de travail au Parlement, la Loi sur l’emploi dans la fonction publique et la Partie II du Code canadien du travail. En raison de son mandat, les décisions rendues par la Commission peuvent avoir un impact sur l’ensemble du secteur public fédéral et la population canadienne en général. Le présent document décrit la politique de la Commission à l’égard de la transparence de ses procédures et explique comment la Commission traite les questions de protection de la vie privée.

Le principe de transparence judiciaire occupe une place importante dans notre système de justice. Suivant ce principe, garanti par la Constitution, la Commission tient ses audiences en public, sauf dans des circonstances exceptionnelles. En raison de son mandat et de la nature des affaires qu’elle entend, la Commission pratique une politique d’ouverture qui favorise la transparence de ses procédures, la responsabilisation et l’équité dans la conduite de ses audiences.

Sur son site Web, de même que dans ses avis, formulaires, bulletins d’information et autres publications, la Commission informe les parties et la communauté des relations de travail que ses audiences et ses processus sont ouverts au public. Les parties qui ont recours aux services de la Commission doivent savoir qu’elles s’engagent dans un processus où il est entendu que le différend qui les oppose sera débattu en public et que leurs dossiers de cas et les décisions rendues par la Commission seront eux aussi publics.

Les parties et leurs témoins sont assujettis à l’examen du public lorsqu’ils témoignent devant la Commission. La publication de l’identité d’une partie ou d’un témoin a un impact positif sur la fiabilité des témoignages. Les décisions de la Commission comprennent le nom des parties et des témoins et toute information à leur sujet qui est pertinente et nécessaire pour décider du différend.

Parallèlement, la Commission reconnaît que, dans certains cas, la mention de renseignements personnels au cours d’une audience ou dans une décision écrite peut avoir des répercussions sur la vie de la personne concernée.

Des préoccupations liées à la protection de la vie privée surviennent le plus souvent lorsque des renseignements sur certains aspects de la vie d’une personne deviennent publics (par exemple l’adresse domiciliaire de la personne, son adresse électronique personnelle, son numéro de téléphone personnel, sa date de naissance, son numéro de compte bancaire, son NAS, son CIDP, son numéro de permis de conduire, ou encore des renseignements figurant sur sa carte de crédit ou son passeport). La Commission s’efforce de ne mentionner ce genre de renseignements que s’ils sont pertinents et nécessaires pour décider du différend.

Devant les progrès de la technologie et la possibilité d’afficher électroniquement des documents, y compris ses propres décisions, la Commission reconnaît que, dans certaines circonstances, il peut être approprié de limiter le concept de transparence en ce qui concerne les circonstances de personnes qui sont parties ou témoins à des affaires dont la Commission est saisie.

La politique de la Commission est conforme à la déclaration du Forum pour les présidents des tribunaux administratifs fédéraux (endossée par le Conseil des tribunaux administratifs canadiens) et aux principes du Protocole sur l’usage de renseignements personnels dans les jugements, lequel a été approuvé par le Conseil canadien de la magistrature.

LES RESPONSABILITÉS DES PARTIES

On recommande aux parties de caviarder les renseignements qui ne sont pas pertinents à leur affaire avant de les envoyer à la Commission et avant de les présenter en preuve à l’audience. Voici des exemples de renseignements à caviarder : un CIDP, de l’information au sujet d’une personne qui n’est pas une partie à l’affaire (les informations financières d’un individu ou d’une entreprise, l’information médicale d’un membre de la famille, etc.), de l’information médicale (numéro de la carte d’assurance-maladie, date de naissance, etc.), des renseignements de sécurité ou financiers (renseignements fiscaux, NAS, numéro de compte bancaire, salaire, etc.), l’adresse domiciliaire ou l’adresse électronique personnelle d’un individu.

Dans des circonstances exceptionnelles, la Commission déroge à son principe de transparence judiciaire pour accéder à des demandes visant la protection de la confidentialité de renseignements et d’éléments de preuve spécifiques, et adapter ses décisions au besoin pour protéger la vie privée d’une personne (notamment en tenant une audience à huis clos, en scellant des pièces présentées en preuve qui contiennent des renseignements médicaux ou personnels de nature délicate ou en protégeant l’identité de témoins ou de tierces parties et des renseignements les concernant).

Il incombe à la partie de demander une ordonnance de confidentialité si elle souhaite que le public n’ait pas accès à ces renseignements. La Commission peut accorder de telles demandes lorsqu’elles respectent les normes applicables reconnues dans la jurisprudence.

[…]

 

a. Sherman (Succession)

[26] Dans l’arrêt Sherman (Succession), la Cour suprême du Canada a reconnu, aux fins du critère énoncé dans l’arrêt Sierra Club, que la diffusion de renseignements personnels très sensibles, laquelle entraînerait non seulement un désagrément ou de l’embarras pour la personne touchée, mais aussi une atteinte à sa dignité, constitue une exception justifiable au principe de transparence judiciaire.

[27] Il importe de préciser le contexte dans la décision dans laquelle cette exception a été examinée comme suit, aux paragraphes 1 à 3 et 7 :

[1] La Cour a toujours fermement reconnu que le principe de la publicité des débats judiciaires est protégé par le droit constitutionnel à la liberté d’expression, et qu’il représente à ce titre un élément fondamental d’une démocratie libérale. En règle générale, le public peut assister aux audiences et consulter les dossiers judiciaires, et les médias — les yeux et les oreilles du public — sont libres de poser des questions et de formuler des commentaires sur les activités des tribunaux, ce qui contribue à rendre le système judiciaire équitable et responsable.

[2] Par conséquent, il existe une forte présomption en faveur de la publicité des débats judiciaires. Il est entendu que cela permet un examen public minutieux qui peut être source d’inconvénients, voire d’embarras, pour ceux qui estiment que leur implication dans le système judiciaire entraîne une atteinte à leur vie privée. Cependant, ce désagrément n’est pas, en règle générale, suffisant pour permettre de réfuter la forte présomption voulant que le public puisse assister aux audiences, et que les dossiers judiciaires puissent être consultés et leur contenu rapporté par une presse libre.

[3] Malgré cette présomption, il se présente des circonstances exceptionnelles où des intérêts opposés justifient de restreindre le principe de la publicité des débats judiciaires. Lorsqu’un demandeur sollicite une ordonnance judiciaire discrétionnaire limitant le principe constitutionnalisé de la publicité des procédures judiciaires – par exemple, une ordonnance de mise sous scellés, une interdiction de publication, une ordonnance excluant le public d’une audience ou une ordonnance de caviardage –, il doit démontrer, comme condition préliminaire, que la publicité des débats en cause présente un risque sérieux pour un intérêt opposé qui revêt une importance pour le public. Le fait que cette condition soit considérée comme un seuil élevé vise à assurer le maintien de la forte présomption de publicité des débats judiciaires. En outre, la protection accordée à la publicité des débats ne s’arrête pas là. Le demandeur doit encore démontrer que l’ordonnance est nécessaire pour écarter le risque et que, du point de vue de la proportionnalité, les avantages de cette ordonnance restreignant la publicité l’emportent sur ses effets négatifs.

[…]

[7] Pour les motifs qui suivent, je propose de reconnaître qu’un aspect de la vie privée constitue un intérêt public important pour l’application du test pertinent énoncé dans l’arrêt Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41, [2002] 2 R.C.S. 522. La tenue de procédures judiciaires publiques peut mener à la diffusion de renseignements personnels très sensibles, laquelle entraînerait non seulement un désagrément ou de l’embarras pour la personne touchée, mais aussi une atteinte à sa dignité. Dans les cas où il est démontré que cette dimension plus restreinte de la vie privée, qui me semble tirer son origine de l’intérêt du public à la protection de la dignité humaine, est sérieusement menacée, une exception au principe de la publicité des débats judiciaires peut être justifiée.

[…]

[33] […] Un tribunal peut faire une exception au principe de la publicité des débats judiciaires, malgré la forte présomption en faveur de son application, si l’intérêt à protéger les aspects fondamentaux de la vie personnelle des individus qui se rapportent à leur dignité est sérieusement menacé par la diffusion de renseignements suffisamment sensibles. La question est de savoir non pas si les renseignements sont « personnels » pour la personne concernée, mais si, en raison de leur caractère très sensible, leur diffusion entraînerait une atteinte à sa dignité que la société dans son ensemble a intérêt à protéger

[…]

[75] S’il porte essentiellement sur la protection de la dignité d’une personne, cet intérêt sera miné dans le cas de renseignements qui révèlent quelque chose de sensible sur elle en tant qu’individu, par opposition à des renseignements d’ordre général révélant peu ou rien sur ce qu’elle est en tant que personne. Par conséquent, les renseignements qui seront révélés en raison de la publicité des débats judiciaires doivent être constitués de détails intimes ou personnels concernant une personne — ce que notre Cour a décrit, dans sa jurisprudence relative à l’art. 8 de la Charte, comme le cœur même des « renseignements biographiques » — pour qu’un risque sérieux pour un intérêt public important soit reconnu dans ce contexte (R. c. Plant, [1993] 3 R.C.S. 281, p. 293; R. c. Tessling, 2004 CSC 67, [2004] 3 R.C.S. 432, par. 60; R. c. Cole, 2012 CSC 53, [2012] 3 R.C.S. 34, par. 46). La dignité transcende les inconvénients personnels en raison de la nature très sensible des renseignements qui pourraient être révélés. Notre Cour a tracé dans l’arrêt Cole une ligne de démarcation similaire entre le caractère sensible des renseignements personnels et l’intérêt du public à protéger ces renseignements en ce qui a trait au cœur même des renseignements biographiques. Elle a conclu que « les Canadiens raisonnables et bien informés » seraient plus disposés à reconnaître l’existence d’un intérêt en matière de vie privée lorsque les renseignements pertinents concernent le cœur même des « renseignements biographiques » ou, « [a]utrement dit, plus les renseignements sont personnels et confidentiels » (par. 46). La présomption de publicité des débats signifie que le simple désagrément associé à des atteintes moindres à la vie privée sera généralement toléré. Cependant, il est dans l’intérêt public de veiller à ce que cette publicité n’entraîne pas indûment la diffusion de ces renseignements fondamentaux qui menacent la dignité — même s’ils sont « personnels » pour la personne touchée.

[76] […] Reconnaître que la vie privée, considérée au regard de la dignité, n’est sérieusement menacée que lorsque les renseignements contenus dans le dossier judiciaire sont suffisamment sensibles permet d’établir un seuil compatible avec la présomption de publicité des débats. Ce seuil est tributaire des faits. Il répond à la préoccupation, mentionnée précédemment, portant que les dossiers judiciaires comportent fréquemment des renseignements personnels, mais conclure que cela suffit à franchir le seuil du risque sérieux dans tous les cas mettrait en péril la structure du test. Exiger du demandeur qu’il démontre le caractère sensible des renseignements comme condition nécessaire à la conclusion d’un risque sérieux pour cet intérêt a pour effet de limiter le champ d’application de l’intérêt aux seuls cas où la justification de la nondivulgation des aspects fondamentaux de la vie privée dune personne, à savoir la protection de la dignité individuelle, est fortement en jeu.

[…]

 

4. Renonciation au droit à la vie privée

[28] Dans le cadre de son raisonnement dans l’arrêt Sherman (Succession), le juge Kasirer a discuté des limites au droit à la vie privée au paragraphe 58, comme suit :

[58] Bien qu’il ait rendu sa décision avant le prononcé de l’arrêt Dagenais et qu’il ne commente donc pas les étapes précises de l’analyse telles que nous les comprenons aujourd’hui, j’estime que le juge Dickson a, à juste titre, reconnu que le principe de la publicité des débats judiciaires apporte des limites nécessaires au droit à la vie privée. Quoique les particuliers puissent s’attendre à ce que les renseignements qui les concernent ne soient pas révélés dans le cadre de procédures judiciaires, le principe de la publicité des débats judiciaires s’oppose par présomption à cette attente. Par exemple, dans l’arrêt Lac d’Amiante du Québec Ltée c. 28580702 Québec Inc., 2001 CSC 51, [2001] 2 R.C.S. 743, le juge LeBel a conclu que la « partie qui engage un débat judiciaire renonce, à tout le moins en partie, à la protection de sa vie privée » (par. 42). L’arrêt MacIntyre et les jugements similaires reconnaissent — en affirmant que la publicité est la règle et le secret, l’exception — que le droit à la vie privée, quelle qu’en soit la définition, cède le pas, dans une certaine mesure, à l’idéal de la publicité des débats judiciaires. Je partage le point de vue selon lequel le principe de la publicité des débats suppose que cette limite au droit à la vie privée est justifiée.

 

5. La façon dont la Commission a appliqué le principe de transparence judiciaire

[29] Dans Basic, au par. 11, un prédécesseur de la Commission, la Commission des relations de travail dans la fonction publique, a adopté le critère raffiné énoncé dans l’arrêt Sierra Club pour une ordonnance de confidentialité, qui est répété au paragraphe 20 de la présente décision.

[30] Dans Wepruk c. Administrateur général (ministère de la Santé), 2021 CRTESPF 75, la fonctionnaire s’estimant lésée dans ce cas a renvoyé à l’arbitrage son grief de cessation d’emploi. Dans ce cas, l’employeur a invoqué une menace qu’elle avait formulée à l’égard de son gestionnaire pour justifier son licenciement.

[31] La fonctionnaire s’estimant lésée dans Wepruk avait demandé que la décision concernant son licenciement soit anonymisée. Elle s’était dit préoccupée par le fait que certains éléments de preuve pertinents étaient très personnels. Elle craignait que l’utilisation de son nom puisse être embarrassante à l’avenir sur le plan professionnel et qu’elle nuise à sa capacité de se trouver un emploi.

[32] Au paragraphe 22 de Wepruk, la Commission a appliqué le critère Dagenais/Mentuck tel qu’il a été affiné dans l’arrêt Sierra Club comme suit :

[22] Dans le présent cas, les risques graves indiqués par la fonctionnaire comprennent ceux à sa réputation personnelle, à ses perspectives d’emploi […] L’incidence d’une décision sur une réputation personnelle ou sur des perspectives d’emploi ne constitue pas un risque important qui justifierait l’anonymisation. Tous les fonctionnaires s’estimant lésés savent que les audiences et les décisions de la Commission respectent le principe de transparence judiciaire et que leurs noms seront rendus publics. Dans le présent cas, les effets bénéfiques d’une ordonnance de confidentialité ne l’emportent pas sur ses effets préjudiciables.

 

[33] Dans Abi-Mansour c. Sous-ministre des Pêches et des Océans, 2018 CRTESPF 53 (« Abi-Mansour (2018) »), une décision a été rendue sur une plainte d’abus de pouvoir en vertu des alinéas 77(1)a) et b) de la LEFP dans laquelle le plaignant alléguait que le défendeur avait abusé de son pouvoir dans ce cas lorsqu’il a pourvu deux postes d’analyste de programme. L’allégation portait sur l’abus de pouvoir causé par le choix de processus non annoncés, en permettant au favoritisme personnel d’influencer les nominations, en établissant les qualités essentielles pour les deux postes et en nommant deux candidats qui ne satisfaisaient pas aux qualités essentielles. La Commission a conclu que le plaignant dans ce cas ne s’était pas acquitté de son fardeau de prouver qu’il y avait eu abus de pouvoir.

[34] Le plaignant dans Abi-Mansour (2018) a demandé que la décision soit anonymisée, au motif qu’on lui avait dit que les gestionnaires responsables de l’embauche refusaient de prendre sa candidature en considération pour des nominations parce qu’il était reconnu comme un plaideur fréquent devant la Commission et que les décisions de la Commission et du TDFP précédent qui relevaient du domaine public étaient injustement retenues contre lui.

[35] Le plaignant dans Abi-Mansour (2018) a laissé entendre qu’il risquait sérieusement de ne pas pouvoir trouver d’emploi entre le moment de l’audience et son départ à la retraite.

[36] Dans Abi-Mansour (2018), la Commission a examiné la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, le critère Dagenais/Mentuck, tel qu’il a été affiné dans Sierra Club, et le fait que le principe de transparence judiciaire s’applique aux tribunaux quasi judiciaires.

[37] La CFP n’a pas assisté à l’audience dans Abi-Mansour (2018); elle a toutefois présenté des arguments écrits sur la demande du plaignant d’anonymiser la décision dans ce cas, notant que le TDFP avait examiné cette question dans Boivin c. le président de l’Agence des services frontaliers du Canada, 2010 TDFP 6, et déterminé au paragraphe 157 ce qui suit :

157 Le Tribunal estime que, compte tenu de son mandat et de sa nature quasi judiciaire, il est lié par les règles qui encadrent le principe de l’audience publique. Le Tribunal applique les principes juridiques pertinents et tient compte de la preuve lorsqu’il formule ses conclusions. Les audiences sont également publiques. Les plaintes sont présentées au Tribunal par des employés à titre individuel, et les décisions qu’il rend présentent un intérêt pour toutes les parties au conflit. De plus, d’autres intervenants ont un intérêt valable en ce qui a trait à ces décisions. Compte tenu de son mandat, les questions en litige et les intérêts en jeu entre les différentes parties ont une incidence sur la fonction publique et sur le public dans son ensemble. Les valeurs énoncées dans le préambule de la LEFP définissent l’esprit et la lettre de la loi, et le Tribunal assume un rôle prépondérant lorsqu’il s’agit de démontrer au public que ces valeurs sont respectées.

 

[38] Dans Abi-Mansour (2018), après avoir soupesé les intérêts requis dans une demande d’anonymisation, comme indiqué dans le critère Dagenais/Mentuck, la Commission a conclu comme suit aux paragraphes 36 à 39 et 42 :

[36] […] je n’hésite aucunement à conclure qu’une telle ordonnance ne devrait pas être accordée en vertu des deux volets du critère. Une ordonnance limitant le principe de la publicité des débats est inutile dans le contexte du présent litige pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important. En outre, les effets bénéfiques de l’ordonnance ne l’emporteraient très certainement pas sur les effets préjudiciables sur le droit du public à des procédures d’arbitrage publiques et accessibles. Le préjudice pour l’intérêt public à l’égard de la publicité des débats devant la Commission l’emporte de loin sur l’avantage que demande le plaignant pour échapper à la notoriété qu’il a lui-même créé en raison de ses comparutions fréquentes devant la Commission.

[37] Le préjudice auquel renvoie le plaignant et son risque d’être inapte au travail sont de nature conjecturale. Plus important encore, s’il subit effectivement une perte de possibilités d’emploi, cette situation ne peut être rectifiée rétroactivement.

[38] Je me fonde sur des années de jurisprudence constante de la Cour suprême, de la Cour d’appel fédérale et de pratique de la Commission en matière de tenue d’audiences et de publication de décisions qui sont accessibles au public, transparentes et responsables pour orienter ma décision de rejeter les arguments du plaignant portant sur la mise sous scellé des documents de la présente audience et de rendre anonyme la présente décision.

[39] Le plaignant est conscient du fait que, chaque fois qu’il dépose une plainte en vertu de la Loi, elle donnera lieu à une audience publique et à une décision publique de la Commission. Il n’a aucun droit à la vie privée concernant l’objet de sa plainte et de la décision qui en découle.

[…]

[42] Par ailleurs, si je devais accueillir la demande du plaignant, alors littéralement tout plaignant qui comparaît devant la Commission pourrait raisonnablement demander que son affaire ne soit pas publiée de crainte qu’un préjudice quelconque puisse découler du fait d’assujettir des gestionnaires de la fonction publique à un processus d’audience.

 

[39] M. Abi-Mansour a déposé une requête devant la Cour d’appel fédérale en vue d’obtenir une ordonnance de suspension de la publication de la décision, l’autorisation de présenter une demande sous le pseudonyme de « M. P. » et d’autres suspensions. La requête a été rejetée par un juge siégeant seul le 24 août 2018 (dossier 18-A-32). M. Abi-Mansour a ensuite déposé une requête en ordonnance lui permettant de déposer un avis d’appel de la décision du 24 août 2018 devant une formation complète de cette Cour. La demande a été rejetée (dossier 18-A-32).

[40] M. Abi-Mansour a ensuite présenté une demande d’autorisation d’interjeter appel de la décision rendue le 24 août 2018 à la Cour suprême du Canada, qui a rejeté la demande le 18 novembre 2019. La requête en anonymisation de l’intitulé a également été rejetée, tout comme les autres requêtes de M. Abi-Mansour (dossier 38728).

6. Décisions rendues par la Commission depuis l’arrêt Sherman (Succession)
a. Tarek-Kaminker

[41] Dans Tarek-Kaminker c. Procureur général du Canada, 2021 CRTESPF 120, la fonctionnaire s’estimant lésée dans ce cas contestait la décision de sa direction d’annuler les mesures d’adaptation, son comportement de harcèlement présumé et son défaut de prendre des mesures d’adaptation à son égard. La fonctionnaire s’estimant lésée alléguait qu’elle avait fait l’objet de discrimination de la part de l’employeur dans ce cas en raison de son affiliation à une religion, de son statut familial et de son incapacité mentale ou physique, ce qui contrevenait à l’article de la convention collective pertinente sur l’élimination de la discrimination. Le grief a été rejeté.

[42] Au cours de l’audience, la fonctionnaire s’estimant lésée a soumis des copies des dossiers médicaux et des rapports signés par le pédiatre de ses enfants concernant les problèmes de santé de certains de ses enfants. Les parties ont convenu de mettre ces documents sous scellés.

[43] La Commission a fait référence à Basic, aux paragraphes 9 à 11, où l’on faisait référence au critère Dagenais/Mentuck et où on le citait.

[44] La Commission a ensuite renvoyé à la décision Sherman (Succession), comme suit au paragraphe 154 :

[154] Comme il a été souligné récemment dans l’arrêt Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25, au par. 7, la diffusion de renseignements personnels très sensibles, laquelle entraînerait non seulement un désagrément ou de l’embarras pour la personne touchée, mais aussi une atteinte à sa dignité, constitue une exception justifiable au principe de la publicité des débats judiciaires.

 

[45] Au paragraphe 155, la Commission a conclu que les dossiers médicaux relatifs aux enfants de la fonctionnaire s’estimant lésée ne devraient pas être du domaine public, car cela constituait un risque sérieux pour la protection de leur vie privée et leur dignité.

[46] À la suite de la clôture de l’audience, dans une réponse écrite à l’exposé de l’employeur sur son argumentation orale, la fonctionnaire s’estimant lésée a demandé que la Commission anonymise la décision.

[47] En réponse à la question, la Commission a fait référence aux décisions Reynolds c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2019 CRTESPF 47, et Olynik c. Agence du revenu du Canada, 2020 CRTESPF 80.

[48] La Commission a fait référence au paragraphe 6 de la décision Olynik, qui résume comme suit les circonstances exceptionnelles pouvant justifier une dérogation au principe de transparence judiciaire :

[…]

Dans des circonstances exceptionnelles, la Commission déroge à son principe de transparence judiciaire pour accéder à des demandes de protection de la confidentialité d’éléments spécifiques de la preuve et adapter ses décisions au besoin de protection de la vie privée d’une personne (notamment en tenant une audience à huis clos, en scellant des pièces présentées en preuve qui contiennent des renseignements médicaux ou personnels de nature délicate ou en protégeant l’identité de témoins ou de tierces parties). La Commission peut accorder de telles demandes lorsqu’elles respectent les normes applicables reconnues dans la jurisprudence.

 

[49] La Commission a ensuite fait référence aux paragraphes 65 et 67 de Reynolds, qui précisaient en partie ce qui suit :

65 Le fonctionnaire a demandé que les pièces qui contenaient ses renseignements médicaux soient scellées. Je suis d’accord et j’ordonne que ces pièces énoncées à l’annexe A soient scellées. Il a également demandé que son nom soit anonymisé, ce qui a été rejeté au motif qu’il n’a pas démontré la raison pour laquelle la Commission devrait déroger à sa pratique de respecter le principe de transparence judiciaire et de publier le nom du fonctionnaire.

[…]

67 […] L’anonymisation est rare dans la jurisprudence de la Commission, plus particulièrement quand ces droits peuvent être protégés par d’autres moyens tels qu’en scellant des pièces. Je suis convaincu que les droits à la vie privée du fonctionnaire peuvent être suffisamment protégés en scellant les pièces, et je n’ai pas entendu d’arguments contraires.

 

[50] Après avoir cité ce passage, la Commission a fait remarquer ce qui suit au paragraphe 163 :

[163] Chaque cas doit être examiné en fonction de son bienfondé. Il n’est pas nécessaire de publier des renseignements qui sont de toute évidence de nature délicate, privés et non pertinents pour les conclusions. C’est pour cette raison que de nombreux documents contiennent des renseignements caviardés, car le grand public n’a pas besoin de connaître certains éléments comme l’adresse domiciliaire ou le numéro de téléphone d’une personne. Il est par ailleurs courant que des personnes jouent un rôle dans le récit plus vaste d’une affaire; toutefois, leur identité n’a pas besoin d’être divulguée, car elle n’est pas pertinente pour la décision. Souvent, ces personnes sont désignées de manière neutre comme « M. A. » ou « Mme B. » […]

 

[51] Dans Tarek-Kaminker, après avoir fait référence aux déclarations faites dans Reynolds, la Commission a déclaré que le principe de transparence judiciaire est un principe important de notre système juridique et que la tenue d’audiences publiques favorise la transparence des processus, ainsi que la responsabilisation et l’équité des procédures. La Commission a conclu qu’aucun argument ne lui avait été présenté pour s’écarter de la pratique habituelle d’identifier les parties à sa procédure.

b. Abi-Mansour c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2022 CRTESPF 48

[52] Dans Abi-Mansour c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2022 CRTESPF 48 (« Abi-Mansour (2022) »), M. Abi-Mansour a présenté une plainte dans laquelle il a allégué que l’Union canadienne des employés des transports, un élément de l’Alliance de la Fonction publique du Canada, avait commis une pratique déloyale en omettant de le représenter, car son employeur lui avait interdit d’entrer dans les bâtiments d’Emploi et Développement social Canada.

[53] M. Abi-Mansour a demandé que toute décision ayant trait à sa plainte ne soit pas rendue publique.

[54] Dans ce cas, la défenderesse a contesté la demande, faisant valoir qu’il était dans l’intérêt public de publier la décision, étant donné les fréquentes comparutions de M. Abi-Mansour devant la Commission. On a fait observer qu’il avait présenté de multiples demandes d’anonymisation devant la Commission et les tribunaux et qu’elles avaient toutes été rejetées.

[55] La Commission a déclaré ce qui suit au paragraphe 16 :

[16] [Elle] […] exerce ses activités selon le principe de transparence judiciaire, ce qui constitue un élément important du système juridique canadien et ne devrait pas être écarté que dans des circonstances exceptionnelles; voir Doe c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2018 CRTESPF 89, aux paragraphes 13 et 14.

 

[56] La Commission a cité un extrait de sa Politique sur la transparence et la protection de la vie privée, qui a été reproduite plus tôt dans la présente décision.

[57] La Commission a renvoyé à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sherman (Succession), dans laquelle la Cour a examiné le principe de transparence judiciaire au paragraphe 3, comme suit :

[3] […] Lorsqu’un demandeur sollicite une ordonnance judiciaire discrétionnaire limitant le principe constitutionnalisé de la publicité des procédures judiciaires – par exemple, une ordonnance de mise sous scellés, une interdiction de publication, une ordonnance excluant le public d’une audience ou une ordonnance de caviardage –, il doit démontrer, comme condition préliminaire, que la publicité des débats en cause présente un risque sérieux pour un intérêt opposé qui revêt une importance pour le public. Le fait que cette condition soit considérée comme un seuil élevé vise à assurer le maintien de la forte présomption de publicité des débats judiciaires. En outre, la protection accordée à la publicité des débats ne s’arrête pas là. Le demandeur doit encore démontrer que l’ordonnance est nécessaire pour écarter le risque et que, du point de vue de la proportionnalité, les avantages de cette ordonnance restreignant la publicité l’emportent sur ses effets négatifs.

 

[58] La Commission a déclaré que le principe de transparence judiciaire s’applique à tous les tribunaux qui exercent des fonctions quasi judiciaires et a noté que le préambule de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) stipule que le régime de relations patronales-syndicales de la fonction publique « […] doit s’appliquer dans un environnement où la protection de l’intérêt public revêt une importance primordiale […] » La Commission a conclu : « La transparence est dans l’intérêt public et le principe de transparence judiciaire renforce cette transparence. »

[59] M. Abi-Mansour a soutenu que la Commission était assujettie à la Loi sur la protection des renseignements personnels. La Commission a déclaré qu’elle n’était pas assujettie à cette loi puisqu’elle s’applique aux « institutions gouvernementales ». Selon l’article 3 de la Loi, une « institution fédérale » s’entend de tout organisme, figurant à l’annexe. La Commission ne figure pas à l’annexe.

[60] La Commission a décrit en détail les motifs sur lesquels M. Abi-Mansour s’était appuyés pour demander l’anonymisation et une ordonnance de mise sous scellés au paragraphe 25 de la décision. Elles étaient fondées « sur la [traduction] “nature délicate de la situation” et parce que les questions liées à [l’]interdiction [de M. Abi-Mansour] étaient [traduction] “[…] considérées [comme] extrêmement sérieuses par les gestionnaires de la fonction publique et toute publication de ces questions signifierait la fin de la carrière du plaignant” ».

[61] M. Abi-Mansour a fait valoir que le fait de révéler le nom d’une partie dans le dossier public entraîne des conséquences graves, notamment « […] l’exposition à la discrimination, la privation d’emploi, les attaques à la réputation, les représailles et l’invasion de renseignements hautement privés (comme les renseignements médicaux) ».

[62] La défenderesse avait fait remarquer que M. Abi-Mansour avait des antécédents de demandes d’anonymisation et d’ordonnances de mise sous scellés à la Commission, qui avaient été rejetées. La Commission a ensuite exposé en détail la nature de ces demandes et les décisions qu’elle-même et que les tribunaux ont rendues à leur égard, comme nous l’avons précédemment dans la présente décision.

[63] La Commission a mentionné le fait que, dans Abi-Mansour (2018), la Cour suprême du Canada avait refusé l’autorisation d’interjeter appel et rejeté la demande d’anonymisation, entre autres.

[64] La Commission a conclu que le rejet de la demande d’anonymisation dans Abi‑Mansour (2018) et les motifs de ce rejet demeurent une jurisprudence faisant autorité de la Commission.

[65] Dans Abi-Mansour (2022), au par. 30, M. Abi-Mansour a allégué que la situation s’était aggravée, comme suit : « La défenderesse a soutenu que les décisions de la Commission dans les trois cas concernant ce plaignant devraient être déterminantes. Elle a déclaré que sa demande dans la présente plainte n’est pas différente de ses demandes antérieures. »

[66] M. Abi-Mansour a soutenu que ces décisions ne liaient pas la Commission. Il a également soutenu que la plainte était différente quant aux faits des décisions relatives à l’anonymisation dans ses plaintes relatives à la dotation.

[67] Aux paragraphes 32, 33 et 36, la Commission a conclu comme suit :

[32] Je conviens que les rejets antérieurs des demandes d’anonymisation du plaignant par la Commission ne me lient pas. Chaque demande d’anonymisation doit être tranchée selon les faits et les circonstances qui lui sont propres. Toutefois, le raisonnement de ces décisions est convaincant et le refus de la Cour d’appel fédérale et de la Cour suprême du Canada d’accorder l’anonymisation est également convaincant.

[33] La Commission n’a pas reconnu la réputation personnelle et l’incidence sur les perspectives d’emploi en tant que questions d’importance publique (voir Wepruk c. Administrateur général (ministère de la Santé), 2021 CRTESPF 75, au par. 22). Je conviens que dans le présent cas, la réputation et les perspectives d’emploi ne sont pas des questions d’importance publique.

[…]

[36] Je conclus que le plaignant n’a pas établi un risque sérieux pour un intérêt d’importance publique. Je conclus également que les effets négatifs d’une ordonnance d’anonymisation et de mise sous scellés l’emportent sur tout avantage. Par conséquent, la demande d’anonymisation et d’une ordonnance de mise sous scellés est rejetée.

 

C. Application du critère Dagenais/Mentuck, tel que reformulé dans l’arrêt Sherman (Succession), aux faits du présent cas

[68] Selon le premier volet du critère énoncé dans l’arrêt Sierra Club, une partie qui demande une restriction au principe de transparence judiciaire, dans le présent cas, une ordonnance d’anonymisation, doit prouver qu’une telle ordonnance est nécessaire pour éviter un risque réel et important, bien étayé par la preuve et menace gravement un intérêt public important.

[69] La plaignante soutient que, du point de vue d’un participant, un processus de plainte relative à la dotation qui rend la décision accessible au public a un effet extrêmement négatif. Elle croit que cela a nui à sa candidature pour d’autres postes. Elle fait valoir que la publication continue de la décision, qui parle de sa dignité fondamentale en ce sens qu’elle traite en détail de sa personnalité et de son identité individuelle, continue de causer de la détresse. En conclusion, elle affirme qu’elle ne comprend pas bien pourquoi ses préoccupations en matière de promotion sont des préoccupations publiques.

[70] L’intimé soutient que l’affirmation de la plaignante quant à l’effet négatif possible sur son employabilité à la suite de la publication de la décision est fondée sur des hypothèses, des spéculations et des conjectures et qu’elle n’a pas de fondement probant véritable et que, même s’il est possible qu’un employeur potentiel puisse prendre connaissance de cette décision, rien de réel, d’important et de bien étayé par la preuve ne laisse croire qu’il y aurait un risque grave pour un intérêt important.

[71] Les décisions de la Commission, avant et après la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sherman (Succession), ont toujours établi que la réputation personnelle et l’incidence sur les perspectives d’emploi ne sont pas des questions d’importance publique qui justifieraient une restriction du principe de transparence judiciaire.

[72] À mon avis, la plaignante, d’après les faits du présent cas et selon la prépondérance des probabilités, n’a pas démontré l’existence d’un risque sérieux pour un intérêt d’importance publique qui est réel, important et bien étayé par la preuve.

[73] Je conclus aussi que les effets bénéfiques d’une ordonnance d’anonymisation de la décision ne l’emporteraient très certainement pas sur les effets préjudiciables sur le droit du public à des procédures d’arbitrage publiques et accessibles.

D. Le respect des délais pour le dépôt de la demande

[74] L’intimé fait remarquer que la décision a été rendue le 29 juillet 2019. Il fait valoir que la plaignante n’a fourni aucune explication quant aux raisons pour lesquelles cette requête n’a pas été présentée en temps opportun, étant donné que les principes de base appliqués dans l’arrêt Sherman (Succession) ont été établis au moins depuis l’arrêt Sierra Club en 2002.

[75] La plaignante affirme qu’elle a présenté sa demande en vertu des responsabilités de gestion de la Commission et en se fondant sur l’arrêt Société Radio‑Canada, dans laquelle le juge Kasirer a déclaré que, même après la fin d’un cas, d’importantes décisions au sujet de la publicité du dossier judiciaire peuvent devoir être prises.

[76] Dans Tarek-Kaminker, la demande d’anonymisation de la décision a été déposée après la fin de l’audience et dans une réponse écrite à l’exposé du défendeur sur un argument oral qui n’avait pas encore été présenté. Au paragraphe 159, la Commission a fait les observations suivantes :

[159] Toutefois, la demande en question n’empêche pas la Commission de mettre sous scellés un document, d’ordonner qu’une version caviardée soit produite pour remplacer une version non caviardée ou d’anonymiser l’identité d’une personne, si cela n’est pas pertinent pour trancher le grief. Il n’est pas rare que les parties à une procédure omettent de se pencher sur la question de l’anonymisation des personnes ou du caviardage de renseignements contenus dans des documents déposés et qui seront rendus accessibles au grand public. La Commission est maître de sa procédure et a certainement le pouvoir de régler ces questions, si elle le souhaite et si c’est indiqué.

 

[77] Dans les circonstances du présent cas, je ne suis pas prêt à conclure que la demande était hors délai.

[78] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


IV. Ordonnance

[79] La demande est rejetée.

Le 27 juin 2023.

(Traduction de la CRTESPF)

 

David Olsen,

une formation de la Commission des relations de travail

et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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