Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a allégué avoir fait l’objet d’une expulsion discriminatoire de la part de l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) – le plaignant a fait appel de l’expulsion à l’interne, mais l’affaire était alors toujours en instance et n’avait pas fait l’objet d’une décision – l’AFPC s’est opposée à la plainte, affirmant qu’elle avait été déposée hors délai – la Commission a décidé que la plainte avait été déposée au-delà des délais fixés dans la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi ») – une plainte selon laquelle une organisation syndicale a expulsé, suspendu un membre ou pris des mesures disciplinaires à son encontre de manière discriminatoire, en violation de l’alinéa 188b) ou c) de la Loi, doit être déposée dans l’un des deux délais suivants : 1) 90 jours à compter de la date à laquelle une décision a été prise dans le cadre d’une procédure d’appel interne; 2) dans un délai de 90 jours qui commence à courir six mois après que le plaignant a interjeté appel à l’interne – aucune décision d’appel n’a encore été prise, de sorte que le premier délai n’a pas encore commencé à courir – le deuxième délai a pris fin au plus tard le 12 janvier 2023, peu de temps avant le dépôt de la plainte – dans ce cas, le retard dans le traitement de l’appel du plaignant ne signifie pas qu’il s’est vu refuser la possibilité de facilement recourir à la procédure d’appel conformément à l’alinéa 190(4)b) de la Loi – l’expression « facilement recourir » signifie qu’un agent négociateur doit fournir à ses membres la capacité réelle d’interjeter appel – le traitement tardif d’un appel n’entre pas dans la catégorie des irrégularités qui privent un membre de facilement recourir à une procédure d’appel interne ou l’en empêchent – enfin, les circonstances de la plainte ne justifiaient pas qu’il soit statué sans délai sur celle-ci en vertu de l’alinéa 190(4)a) de la Loi en raison du retard du plaignant à déposer la plainte, des conséquences de son examen sur d’autres appels connexes et des actes du plaignant qui ont retardé son appel.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date: 20230620

Dossier: 561-02-46457

 

Référence: 2023 CRTESPF 63

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

Entre

 

Jonathan Ross

plaignant

 

et

 

Alliance de la Fonction publique du Canada

 

défenderesse

Répertorié

Ross c. Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire concernant une plainte présentée en vertu de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Christopher Rootham, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Lui-même

Pour la défenderesse : Kim Patenaude, avocate

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les 2, 11 et 27 février, le 6 mars et les 15 et 16 mai 2023.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Objection relative au respect du délai de dépôt de la plainte

[1] L’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC ou la « défenderesse ») a expulsé le plaignant de ses membres le 24 mars 2022. Le plaignant a interjeté appel de son expulsion à l’interne au plus tard le 13 avril 2022 en recourant à la procédure d’appel prévue dans la constitution de l’AFPC. L’appel déposé à l’interne n’a pas encore été tranché. Le plaignant a déposé une plainte le 16 janvier 2023 alléguant que l’AFPC avait fait preuve de discrimination en l’expulsant de ses membres, ce qui va à l’encontre des alinéas 188b) et c) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). L’AFPC s’oppose à la plainte au motif qu’elle est hors délai.

[2] La plainte est hors délai. Une plainte selon laquelle une organisation syndicale a expulsé, suspendu ou pris d’autres mesures disciplinaire à l’encontre d’un membre de manière discriminatoire, contrairement aux alinéas 188b) ou c) de la Loi, doit être déposée dans l’un des deux délais suivants : 1) 90 jours à compter de la date à laquelle une décision a été rendue dans le cadre d’un processus d’appel interne ou 2) un délai de 90 jours commençant six mois après le dépôt de l’appel interne par le plaignant. Aucune décision d’appel n’a encore été rendue, de sorte que le premier délai n’a pas encore commencé à courir. Le deuxième délai a expiré au plus tard le 12 janvier 2023, peu avant le dépôt de la plainte.

[3] Par conséquent, je dois rejeter la plainte.

II. La présente décision a été rendue sur la base d’arguments écrits

[4] La Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») est habilitée à statuer sur une plainte sur la base d’arguments écrits, car elle a le pouvoir de trancher « […] toute affaire ou question dont elle est saisie sans tenir d’audience » conformément à l’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365); voir aussi Andrews c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2021 CRTESPF 141, au paragraphe 3, confirmé dans 2022 CAF 159 au paragraphe 10. La présente décision est fondée sur le caractère opportun de la plainte plutôt que sur son bien-fondé, et j’ai tranché la présente affaire uniquement en me fondant sur les arguments écrits des parties et les documents qu’elles m’ont fournis à ce sujet.

[5] J’ai invité les parties à présenter des arguments sur le cadre de la « cause défendable » ou « l’analyse de la cause défendable » de la présente plainte. Ce cadre ou cette analyse m’aurait obligé à présumer que les faits fournis par le plaignant étaient vrais en examinant à la fois le formulaire de plainte et les documents fournis par les parties dans leurs échanges après le dépôt de la plainte (voir Corneau c. Association des juristes de Justice, 2023 CRTESPF 16, aux par. 17, 27 et 29), puis à déterminer si le résultat de la présente plainte est « évident et manifeste » (voir Sganos c. Association canadienne des agents financiers, 2022 CRTESPF 30, au par. 77). Si j’avais évalué le bien-fondé de la présente plainte, j’aurais utilisé le cadre de la cause défendable; toutefois, étant donné que les parties s’entendent généralement sur les faits pertinents au caractère opportun de la plainte, cette approche était inutile.

III. Questions à trancher

[6] La principale question abordée dans la présente décision est de savoir si la plainte est hors délai. Pour ce faire, il convient d’évaluer quatre questions :

1) si la plainte a été déposée en dehors du délai prescrit en vertu de l’effet combiné du sous-alinéa 190(3)b)(ii) et de l’alinéa 190(3)c) de la Loi;

2) si le traitement dilatoire de l’appel du plaignant par la défenderesse signifie qu’il a été « statué […] d’une manière que le plaignant estime inacceptable […] » aux fins du sous-alinéa 190(3)b)(i);

3) si le retard de la défenderesse dans le traitement de l’appel signifie que le plaignant n’a pas pu « facilement recourir » au processus d’appel comme l’exigent les alinéas 190(3)a) et 190(4)b) de la Loi;

4) si je dois exercer mon pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 190(4) de la Loi pour entendre cette affaire malgré l’appel en cours.

IV. Motifs à la conclusion selon laquelle la plainte est hors délai

[7] Le caractère opportun de la présente plainte repose sur l’interprétation de l’article 190 de la Loi. Étant donné que les mots utilisés dans cet article sont d’une importance capitale dans le présent cas, j’ai exposé les parties pertinentes de ces dispositions dans leur intégralité après ce paragraphe. Les mots clés sont le verbe « statué », l’expression « facilement recourir » et l’utilisation du mot « peut » pour montrer où la Commission a le pouvoir discrétionnaire de déroger aux délais; par conséquent, j’ai mis ces mots en évidence dans le texte suivant :

Plaintes à la Commission
190 (1)
La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

Complaints
190 (1)
The Board must examine and inquire into any complaint made to it that

[…]

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

(g) the employer, an employee organization or any person has committed an unfair labour practice within the meaning of section 185.

Délai de présentation
(2)
Sous réserve des paragraphes (3) et (4), les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu – ou, selon la Commission, aurait dû avoir – connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

Time for making complaint
(2)
Subject to subsections (3) and (4), a complaint under subsection (1) must be made to the Board not later than 90 days after the date on which the complainant knew, or in the Board’s opinion ought to have known, of the action or circumstances giving rise to the complaint.

Restriction relative aux plaintes contre une organisation syndicale
(3)
Sous réserve du paragraphe (4), la plainte reprochant à l’organisation syndicale ou à toute personne agissant pour son compte d’avoir contrevenu aux alinéas 188b) ou c) ne peut être présentée que si les conditions suivantes ont été remplies :

Limitation on complaints against employee organizations
(3)
Subject to subsection (4), no complaint may be made to the Board under subsection (1) on the ground that an employee organization or any person acting on behalf of one has failed to comply with paragraph 188(b) or (c) unless

a) le plaignant a suivi la procédure en matière de présentation de grief ou d’appel établie par l’organisation syndicale et à laquelle il a pu facilement recourir;

(a) The complainant has presented a grievance or appeal in accordance with any procedure that has been established by the employee organization and to which the complainant has been given ready access;

b) l’organisation syndicale a :

b) l’organisation syndicale a soit

(i) soit statué sur le grief ou l’appel, selon le cas, d’une manière que le plaignant estime inacceptable,

(i) has dealt with the grievance or appeal of the complainant in a manner unsatisfactory to the complainant, or

(ii) soit omis de statuer sur le grief ou l’appel, selon le cas, dans les six mois qui suivent la date de première présentation de celui-ci;

(ii) has not, within six months after the date on which the complainant first presented their grievance or appeal under paragraph (a), dealt with the grievance or appeal; and

c) la plainte est adressée à la Commission dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date à partir de laquelle le plaignant était habilité à le faire aux termes des alinéas a) et b).

(c) the complaint is made to the Board not later than 90 days after the first day on which the complainant could, in accordance with paragraphs (a) and (b), make the complaint.

Exception
(4)
La Commission peut, sur demande, statuer sur la plainte visée au paragraphe (3) bien que celle-ci n’ait pas fait l’objet d’un grief ou d’un appel si elle est convaincue :

Exception
(4)
The Board may, on application to it by a complainant, determine a complaint in respect of an alleged failure by an employee organization to comply with paragraph 188(b) or (c) that has not been presented as a grievance or appeal to the employee organization, if the Board is satisfied that

a) soit que les faits donnant lieu à la plainte sont tels qu’il devrait être statué sans délai sur celle-ci;

(a) the action or circumstance giving rise to the complaint is such that the complaint should be dealt with without delay; or

b) soit que l’organisation syndicale n’a pas donné au plaignant la possibilité de recourir facilement à une procédure de grief ou d’appel.

(b) the employee organization has not given the complainant ready access to a grievance or appeal procedure.

[Je mets en évidence]

 

A. La plainte a-t-elle été déposée en dehors du délai prescrit à l’alinéa 190(3)c) de la Loi? La réponse est oui.

[8] Le plaignant allègue que la défenderesse a commis une pratique déloyale de travail au sens de l’article 185 de la Loi.

[9] Le plaignant était un membre de l’AFPC. Lui et quatre autres membres auraient enfreint le serment professionnel de l’AFPC. L’AFPC a enquêté sur cette allégation. En fin de compte, le 24 mars 2022, son Conseil national d’administration a expulsé le plaignant et les quatre autres membres de l’AFPC. L’expulsion devait être réexaminée tous les cinq ans.

[10] Les Statuts de l’AFPC (les « Statuts ») prévoient qu’un membre peut interjeter appel d’une mesure disciplinaire devant un tribunal. Le règlement stipule que le tribunal doit être créé dans les deux mois suivant le début d’un appel, à moins que le délai de deux mois ne soit prolongé par l’accord mutuel des parties ou une décision du Comité exécutif de l’Alliance (CEA) selon laquelle « […] des circonstances atténuantes empêchent la création du tribunal […] » dans les délais prescrits.

[11] Le plaignant, ainsi que les autres membres expulsés, ont interjeté appel en vertu des Statuts. Le plaignant a envoyé son appel par courriel le 10 avril 2022, puis en a envoyé une copie par courrier recommandé le 11 avril 2022, qui a été livrée le 13 avril 2022. Le CEA a accordé une série de prorogations du délai d’appel, et il est prévu que l’appel soit entendu le 27 juin 2023.

[12] Les délais prévus à l’article 190 de la Loi sont obligatoires en raison de l’utilisation par le législateur de l’expression « […] doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours […] » et de l’absence d’une autre disposition de la Loi conférant à la Commission une compétence étendue pour proroger les délais prévus dans la Loi (voir Castonguay c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CRTFP 78, au par. 55, et Corneau, au par. 14).

[13] Le délai de 90 jours prévu au paragraphe 190(2) est « sous réserve » des paragraphes 190(3) et (4) de la Loi. Ces paragraphes ne s’appliquent qu’aux plaintes alléguant une violation de l’alinéa 188b) ou c). Le paragraphe 190(3) prévoit qu’aucune plainte pour violation de l’alinéa 188b) ou c) ne peut être présentée à moins que ces trois conditions n’aient été remplies :

1) le plaignant a suivi la procédure en matière de présentation de grief ou d’appel établie par l’organisation syndicale;

2) l’organisation syndicale a soit :

i) statué sur le grief ou l’appel,

ii) omis de statuer sur le grief ou l’appel dans les six mois qui suivent la date de première présentation de celui-ci;

3) la plainte doit être adressée à la Commission dans les quatre-vingt-dix jours suivant l’un ou l’autre de ces deux événements.

 

[14] La Commission a déclaré ce qui suit dans Myles c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2017 CRTESPF 30 (« Myles ») au paragraphe 91 :

91 Si une procédure de l’organisation syndicale permet le dépôt d’un grief ou d’un appel et qu’une décision est rendue dans les six mois de la date à laquelle le plaignant a présenté son grief ou appel, le délai de 90 jours pour déposer une plainte en vertu de l’article190 de la Loi commence à la date de décision rendue dans le cadre de la procédure de présentation de grief ou d’appel que le plaignant juge insatisfaisante. Si aucune décision n’est rendue pendant ces six premiers mois, le délai de 90 jours commence le premier jour suivant ces six premiers mois. Ces six mois commencent à la date à laquelle le plaignant dépose son grief ou sa plainte.

 

[15] J’aborderai sous peu le sens du verbe à particule « dealt with » dans la version anglaise de la Loi; cependant, en résumé, « dealt with » signifie « tranché ». Par conséquent, la présente plainte relève de la deuxième des deux catégories de la deuxième condition énoncée plus haut dans la présente décision parce que la défenderesse n’a pas encore « tranché » l’appel du plaignant. Cela veut dire que la date limite pour déposer la présente plainte était de 6 mois plus 90 jours à compter de la date à laquelle le plaignant a présenté son appel à la défenderesse.

[16] Le plaignant a présenté son appel par courriel le 10 avril 2022, mais l’a également envoyé par courrier recommandé, qui est arrivé le 13 avril 2022. J’ai choisi de traiter l’appel comme s’il avait été présenté le 13 avril 2022 parce que c’est la date la plus avantageuse pour le plaignant, mais le résultat de la présente plainte est le même, quelle que soit la date que j’utilise. Le sous-alinéa 190(3)b)(ii) de la Loi utilise l’expression « dans les six mois qui suivent la date » [je mets en évidence] de l’appel, ce qui signifie que la période ne comprend pas le 13 avril 2022 (voir la Loi d’interprétation (L.R.C. (1985), ch. I-21), au par. 27(5)). Par conséquent, six mois après la date à laquelle le plaignant a présenté son appel, nous étions le 14 octobre 2022. Quatre-vingt-dix jours après le 14 octobre 2022 nous étions le 12 janvier 2023.

[17] La présente plainte a été déposée le 16 janvier 2023, ce qui était par conséquent en dehors du délai prescrit à l’alinéa 190(3)c) de la Loi. Je dois rejeter la plainte.

B. L’appel a-t-il été « statué […] d’une manière que le plaignant estime inacceptable […] » en raison du retard de la défenderesse à statuer sur celui-ci ou de ses autres actions liées à son traitement? La réponse est non.

[18] Le sous-alinéa 190(3)b)(i) de la Loi, ainsi que l’alinéa 190(3)c), permettent à un employé de porter plainte au plus tard 90 jours après que l’organisation syndicale a « statué » sur son appel. Dans le présent cas, la défenderesse n’a pas statué sur l’appel. Elle a commencé à traiter l’appel, mais l’a fait de façon dilatoire, et le plaignant se plaint de la lenteur de la procédure d’appel.

[19] Cette situation m’oblige à déterminer si le verbe à particule « dealt with » est synonyme de « tranché » ou, autrement, de « traité ». Si « dealt with » signifie « tranché », le sous-alinéa 190(3)b)(i) ne peut donc pas s’appliquer, car il n’y a pas eu de décision. Subsidiairement, si « dealt with » signifie « traité », le sous-alinéa 190(3)b)(i) pourrait s’appliquer, parce que le retard dans le traitement de l’appel signifie qu’il a été statué d’une manière que le plaignant estime inacceptable. Un tel défaut de traiter l’appel en temps opportun constituerait une violation continue des obligations d’une organisation syndicale et recommencerait effectivement la période de 90 jours chaque fois que le « plaignant estime inacceptable » le délai.

[20] Dans Myles, au paragraphe, 91, la Commission a assimilé le terme « dealt with » au terme [traduction] « décidé » et a déclaré que la période de 90 jours prévue au sous-alinéa 190(3)b)(i) commence « […] à la date de décision rendue dans le cadre de la procédure de présentation de grief ou d’appel que le plaignant juge insatisfaisante ». Aucune des parties dans le présent cas n’a présenté d’arguments sur le caractère opportun de la plainte. Par conséquent, bien que je parvienne à la même conclusion que la Commission dans Myles, je vais l’étayer de motifs plus étoffés.

[21] Le sens de l’alinéa 190(3)b) de la Loi doit être déterminé en tenant compte de la trinité de l’interprétation des lois : le texte, le contexte et l’objet de cette disposition (voir Bernard c. Canada (Institut professionnel de la fonction publique), 2019 CAF 236, au par. 7).

[22] Lorsque les mots d’une disposition sont précis et sans équivoque, leur sens ordinaire l’emporte. Toutefois, s’ils peuvent appuyer plus d’un sens raisonnable, le contexte et le but ont une plus grande incidence sur leur interprétation (voir Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, au par. 10).

[23] Dans le présent cas, le verbe à particule « deal with » dans la version anglaise peut signifier soit « décidé », soit « traité ». Par exemple, le Collins English Dictionary, 13e éd., définit « deal with » d’une manière qui a ces deux significations, en disant ce qui suit : « When you deal with something or someone that needs attention , you give your attention to them, and often solve a problem or make a decision concerning them » [je mets en évidence].

[24] Cette double signification est également démontrée dans la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (L.C. 1995, ch. 18), qui contient deux utilisations de ce terme, comme suit :

[…]

27 (1) L’appel est entendu par un comité composé d’au moins trois membres désignés par le président.

27 (1) An appeal shall be heard, determined and dealt with by an appeal panel consisting of not fewer than three members designated by the Chairperson.

[…]

29 (1) Le comité d’appel peut […] encore déférer à cette personne ou à ce comité toute question non examinée par eux.

29 (1) An appeal panel may

(c) refer any matter not dealt with in the decision back to that person or review panel for a decision.

[…]

 

[25] Le terme « dealt with » à l’article 27 de la version anglaise de cette loi doit signifier autre chose que « décidé » (autrement, il serait redondant avec le mot précédent « determined »), mais le même terme à l’article 29 signifie « décidé » (comme la question doit être « dans la décision »). Cette loi permet de démontrer comment le terme « dealt with » peut signifier des choses différentes et, par conséquent, de démontrer pourquoi une interprétation purement textuelle est inutile dans le présent cas.

[26] C’est pourquoi le contexte légal est particulièrement important. Quatre éléments de ce contexte m’amènent à conclure que le verbe à particule « dealt with » signifie « décidé » et non « traité ».

[27] Premièrement, le fait d’interpréter le verbe à particule « dealt with » comme signifiant « traité » de telle sorte qu’un retard dans le traitement de l’appel déclenche le sous-alinéa 190(3)b)(i) rendrait le sous-alinéa 190(3)b)(ii) dénué de sens. Le même mot doit avoir le même sens dans une loi; voir R. c. Zeolkowski, [1989] 1 R.C.S. 1378 à la p. 1387. Si « dealt with » signifie « traité » au sous-alinéa 190(3)b)(ii), alors ce sous-alinéa ne serait jamais appliqué. Le remplacement du terme « statué » par « traité » dans ces deux dispositions sert à démontrer ce point, comme suit :

190(3) Sous réserve du paragraphe (4), la plainte reprochant à l’organisation syndicale ou à toute personne agissant pour son compte d’avoir contrevenu aux alinéas 188b) ou c) ne peut être présentée que si les conditions suivantes ont été remplies :

[…]

b) l’organisation syndicale a :
(i) soit [traité] le grief ou l’appel, selon le cas, d’une manière que le plaignant estime inacceptable,
(ii) soit omis de
[traiter] le grief ou l’appel, selon le cas, dans les six mois qui suivent la date de première présentation de celui-ci;

[…]

[Je mets en évidence]

 

[28] Si un employé pouvait se plaindre du retard dans le traitement d’un appel en vertu du sous-alinéa 190(3)b)(i), il n’y aurait alors pas lieu d’invoquer le sous-alinéa 190(3)b)(ii). Au risque d’abuser d’une métaphore, au sous-alinéa 190(3)b)(ii), le législateur a construit une fenêtre qui s’ouvre 6 mois après le dépôt d’un appel et qui se referme 90 jours plus tard. Puisqu’il a construit cette fenêtre, il est impossible que le législateur ait voulu que le sous-alinéa 190(3)b)(i) signifie qu’il n’y avait pas de mur dans lequel installer cette fenêtre.

[29] Deuxièmement, ce sens du verbe « dealt with » est également compatible avec la façon dont la Commission a traité le même terme au paragraphe 209(1) de la Loi. Dans sa version anglaise, cet article prévoit qu’un employé peut renvoyer un grief à l’arbitrage lorsqu’il a été porté jusqu’au dernier palier de la procédure de règlement des griefs et n’a pas été traité à la satisfaction de l’employé (has not been dealt with to the employee’s satisfaction) [je mets en évidence]. La Commission a conclu qu’elle n’a pas compétence pour entendre une allégation selon laquelle l’employeur a enfreint les règles d’équité procédurale pendant la procédure de règlement des griefs (voir Tudor Price c. Administrateur général (ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire), 2013 CRTFP 57; confirmé dans Price c. Conseil du Trésor (Canada), non déclaré, dossier de la Cour no T-1074-13). Si le verbe à particule « dealt with » au paragraphe 209(1) de la version anglaise signifie « traité », alors la Commission aurait compétence pour examiner le processus suivi pendant la procédure de règlement des griefs; cependant, elle n’a pas cette compétence. Par conséquent, le terme « dealt with » est plus conforme au terme « décidé » au paragraphe 209(1). Comme il a été dit plus haut, le principe « mêmes mots, même sens » signifie que dans la version anglaise, le terme « dealt with » doit être interprété de la même façon au paragraphe 209(1) qu’il l’est au sous-alinéa 190(3)b)(i), c’est-à-dire qu’il s’agit de « décidé » et non de « traité ».

[30] Troisièmement, la version française de l’alinéa 190(3)b) utilise le verbe statuer, qui signifie « prendre une décision » (Le Petit Robert de la langue française, Paris : Dictionnaires Le Robert, 2022, sous l’entrée « statuer »). S’il y a ambiguïté dans une version de la disposition et pas dans l’autre, il faut « […] chercher le sens qui est commun aux deux versions […] Le sens commun favorisera la version qui n’est pas ambiguë, la version qui est claire […] »; voir R. c. Daoust, 2004 CSC 6, au paragraphe 28. Dans le présent cas, le français est clair, et l’anglais est ambigu. Par conséquent, je préfère une interprétation de la version anglaise qui est compatible avec le sens clair de la version française, à savoir que « dealt with » signifie décidé.

[31] Quatrièmement, et enfin, cette interprétation est plus conforme à deux principes plus généraux qui s’appliquent à l’examen des affaires syndicales internes. Le premier principe est que les membres d’un syndicat doivent épuiser les recours internes du syndicat avant de contester leur mesure disciplinaire devant une commission des relations de travail ou un tribunal. Comme l’indique l’ouvrage de référence dans ce domaine, [traduction] « [l]es lois sur la common law et plusieurs lois sur les relations de travail prescrivent l’exigence d’épuiser les recours internes » (MacNeil, Lynk & Engelmann, Trade Union Law in Canada, au par. 9.41; voir aussi Kuzych v. White (No. 3), 1951 CanLII 373 (UK JCPC) et, plus récemment, Brown v. Hanley, 2018 ONSC 1112, au par. 59).

[32] Ce principe est conforme à la règle plus générale selon laquelle une cour de révision ne considérera pas une contestation du processus suivi par un tribunal avant que le tribunal n’ait rendu sa décision finale (voir C.B. Powell Limited c. Canada (Agence des services frontaliers du Canada), 2010 CAF 61). Le fait de permettre une contestation immédiate du processus suivi par l’organe d’appel d’un syndicat avant de trancher l’appel en interprétant que « dealt with » signifie « traité » irait à l’encontre de ce principe.

[33] Le deuxième principe est que les tribunaux — et non les commissions des relations de travail — conservent la compétence de déterminer si un syndicat a enfreint les règles de la justice naturelle en imposant une mesure disciplinaire à l’un de ses membres en l’absence d’un libellé législatif spécifique qui accorde cette compétence à une commission des relations de travail. Comme la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse l’a affirmé dans Ernst v. Federal Government Dockyard Trades and Labour Council (East), 2007 NSSC 82 au paragraphe 15, [traduction] « les questions de justice naturelle qui sont la manifestation de l’application discriminatoire des normes de discipline sont visées par la loi […] », mais d’autres violations de la justice naturelle dans les décisions syndicales internes ne sont pas visées par la Loi.

[34] Ce principe selon lequel les commissions des relations de travail n’ont pas la compétence inhérente pour examiner le processus d’appel interne d’un syndicat est également bien démontré par les dispositions des lois sur les relations de travail dans d’autres administrations qui accordent expressément aux commissions des relations de travail la compétence d’entendre les plaintes concernant les mesures disciplinaires syndicales qui enfreignent les règles de l’équité procédurale et de la justice naturelle. Comme le mentionne Ruth Sullivan, [traduction] « […] lorsque des lois [dans d’autres administrations] qui autrement sont semblables utilisent des mots différents ou adoptent une approche différente, cela donne à penser que l’on cherchait à donner un sens ou un but différent » [le passage en évidence l’est dans l’original] (The Construction of Statutes, 7e éd., au par. 13.06[2]).

[35] Il convient de mentionner la loi en l’Alberta qui accorde expressément à la commission des relations de travail de l’Alberta la compétence d’entendre les allégations selon lesquelles un syndicat a contrevenu aux règles d’équité procédurale dans un appel interne (voir le Labour Relations Code, RSA 2000, ch. L-1, art. 26, et la Public Service Employee Relations Act, RSA 2000, ch. P-43, art. 7 et 47 de l’Alberta). Si le législateur avait voulu que la Commission ait compétence pour entendre une plainte au sujet du processus suivi dans le cadre d’un appel interne au cours de cet appel, il l’aurait dit de façon explicite, comme c’est le cas en Alberta.

[36] Pour ces raisons, le verbe à particule « dealt with » à l’alinéa 190(3)b) de la version anglaise de la Loi signifie « décidé » et non « traité ». Cette interprétation s’inscrit mieux dans le contexte de l’alinéa 190(3)b) en soi, de l’utilisation du même terme à l’article 209, de la version française de la Loi et des principes généraux de révision des affaires syndicales internes qui exigent des membres qu’ils épuisent les recours internes et qu’ils réservent les questions de procédure aux tribunaux en l’absence d’une disposition législative expresse accordant à une commission des relations de travail la compétence d’entendre ces questions. Cela signifie que le retard dans le traitement de l’appel du plaignant n’entre pas dans le sens de verbe « statué » au sous-alinéa 190(3)b)(i). C’est plutôt le délai prévu au sous-alinéa 190(3)b)(ii) qui s’applique et, comme il a déjà été décrit, ce délai a expiré avant que le plaignant ne présente sa plainte.

C. Le retard de la défenderesse dans le traitement de l’appel signifie-t-il que le plaignant n’a pas pu « facilement recourir » au processus d’appel comme l’exigent les alinéas 190(3)a) et 190(4)b) de la Loi? La réponse est non.

[37] Le plaignant s’est dit préoccupé par le retard dans le traitement de son appel. Le plaignant soutient que la défenderesse n’a pas respecté [traduction] « l’exigence » qui lui incombe aux termes du sous-alinéa 190(3)b)(ii) de la Loi. Il soutient en outre que la défenderesse a agi de mauvaise foi en ignorant ses communications au sujet de son appel et en ignorant les délais prévus par les Statuts. Il affirme que l’inaction de la défenderesse a eu des répercussions négatives sur lui, mais que la défenderesse n’a toujours pas agi.

[38] Il ne fait aucun doute que le traitement de l’appel du plaignant a été retardé. Il a interjeté appel au plus tard le 13 avril 2022. Le président national de l’AFPC a accusé réception de l’appel le 22 juin 2022, fourni des renseignements sur le processus d’appel et demandé le nom du représentant du plaignant. Le 15 septembre 2022, l’AFPC a nommé un président du tribunal, qui était l’un de ses anciens présidents. Le plaignant s’y est opposé le lendemain. Par conséquent, le président s’est entretenu avec le Congrès du travail du Canada et a communiqué avec lui au sujet de la nomination d’un président pour le tribunal. Entre-temps, le CEA a adopté des motions visant à proroger le délai d’appel le 18 juillet 2022, le 14 novembre 2022, puis à un certain moment en février 2023. Le 28 février 2023, le Congrès du travail du Canada a nommé un président pour le tribunal. Cet appel doit enfin être entendu le 27 juin 2023.

[39] Ce retard soulève la question essentielle de savoir si un retard signifie que le plaignant n’a pas pu « facilement recourir » au processus d’appel. J’ai conclu qu’un retard dans le traitement de l’appel ne fait pas partie de la catégorie des irrégularités qui empêchent un membre de « facilement recourir » à un processus d’appel interne.

[40] D’autres commissions des relations de travail ont interprété que l’expression « facilement recourir » signifie qu’un syndicat doit fournir à ses membres la capacité réelle d’amorcer un appel. La commission des relations de travail de la Nouvelle-Écosse (NSLB), par exemple, a interprété l’expression « facilement recourir » dans une loi pratiquement identique à l’alinéa 190(4)b) de la Loi dans MA v. Union, 2019 NSLB 89, au paragraphe 11, comme suit :

[Traduction]

[11] La présente affaire soulève également la question de savoir ce qu’on entend par « facilement recourir » au sens du paragraphe 55 (3) de la Loi […] Lorsqu’un syndicat a établi des processus d’appel et que ceux-ci ne sont pas utilisés, l’employé doit montrer à la Commission [la NSLB] qu’il n’a pas pu facilement recourir à ces processus d’appel afin d’éviter l’obligation de les utiliser […] Il ne suffit pas à l’employé de dire qu’il ignorait l’existence de ces processus. Les employés ont le devoir de se renseigner et d’apprendre sur les processus d’appel disponibles, tout comme ils le font au sujet des processus de la Commission [la NSLB]. S’ils peuvent démontrer, par exemple, que le syndicat les a empêchés d’accéder à ces processus ou a refusé d’accepter leur appel, la Commission [la NSLB] peut ne pas conclure qu’un tel employé a pu « facilement recourir » à ceux-ci […]

 

[41] Par conséquent, la NSLB se préoccupait de la capacité d’un employé à interjeter appel et a interprété l’expression « facilement recourir » comme signifiant que l’employé doit avoir la capacité d’amorcer un processus d’appel.

[42] Le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) s’est penché sur le délai de traitement d’un appel en appliquant l’alinéa 97(5)a) du Code canadien du travail (l’équivalent du paragraphe 190(4)a) de la Loi), et non les alinéas 97(4)a) ou 97(5)b) (l’équivalent des alinéas 190(3)a) ou 190(4)b) de la Loi). Par exemple, dans Section locale 847 de la Fraternité internationale des Teamsters c. Guilde de la marine marchande du Canada, 2011 CCRI 605 (confirmé dans 2012 CAF 210), le CCRI a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’alinéa 97(5)a) du Code canadien du travail, en partie parce que « […] le Conseil [le CCRI] ne disposait d’aucun élément de preuve qui lui aurait permis de conclure que les appels allaient être entendus rapidement ». Il s’agit d’une indication selon laquelle un retard dans l’examen d’un appel est pertinent en vertu de l’alinéa 190(4)a) de la Loi, mais pas en vertu du paragraphe 190(3) ou de l’alinéa 190(4)b) – c’est-à-dire qu’un retard ne consiste pas à empêcher de « facilement recourir » au processus d’appel.

[43] Dans Clark v. Air Line Pilots Association, 2022 FCA 217, la Cour d’appel fédérale a confirmé une décision du CCRI qui avait rejeté la demande d’un plaignant en vertu du Code canadien du travail de faire entendre sa plainte alors que son appel interne était toujours en cours. M. Clark a soutenu que le CCRI devrait entendre l’affaire en vertu du paragraphe 97(5) du Code canadien du travail (l’équivalent du paragraphe 190(4) de la Loi) à cause du harcèlement par son syndicat et du retard dans le traitement de l’appel. La Cour d’appel fédérale a rejeté cet argument, affirmant que le CCRI ne peut intervenir, même si un appel interne est en cours, que dans deux circonstances : [traduction] « dans les cas urgents et dans les cas où le syndicat entrave l’accès à la procédure d’appel » (au par. 45). Le plaignant dans Clark a soulevé la question du retard, mais le CCRI (dans une lettre de décision citée comme 2020 CIRB LD 4421) et la Cour d’appel fédérale ont tous deux estimé que le retard ne constituait pas un obstacle à l’accès au processus d’appel (notamment parce que le retard était attribuable à la demande de M. Clark).

[44] Le CCRI a adopté une approche similaire à la signification de l’expression « facilement recourir » dans Thibeault c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2014 CCRI 711. Dans ce cas, un membre du syndicat avait été suspendu pour six mois. Le membre a interjeté appel contre cette suspension à l’interne, mais le syndicat a simplement ignoré l’appel. Par conséquent, le membre a déposé une plainte auprès du CCRI. Dans cette affaire, le syndicat a soutenu que l’appel interne du membre était hors délai. Le CCRI n’était pas d’accord. Toutefois, le CCRI a ajouté que, même si l’appel interne était hors délai, le syndicat avait empêché le plaignant de « facilement recourir » au processus d’appel, ce qui a déclenché l’exception prévue au paragraphe 97(5) du Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L-2) (l’équivalent du paragraphe 190(4) de la Loi). Au paragraphe 47, le CCRI a déclaré ce qui suit : « Bien que le STTP n’ait pas explicitement empêché M. Thibeault de recourir facilement au processus d’appel, de l’avis du Conseil, le mutisme du STTP de même que son inaction à la suite de la réception de la lettre d’appel ont eu le même effet. »

[45] Pour être plus clair, Thibeault ne portait pas sur le retard, mais bien sur un refus total d’entendre un appel. Ce refus complet signifiait qu’il était impossible de facilement recourir au processus d’appel. De même, Clark portait aussi sur la question de savoir si le retard avait pour effet d’entraver l’accès au processus d’appel.

[46] Pour ces motifs, le retard dans le traitement de l’appel du plaignant ne peut pas signifier que la défenderesse a empêché le plaignant de « facilement recourir » au processus d’appel. Le retard dans le présent cas ne constitue pas un obstacle à l’accès au processus d’appel.

D. Les circonstances qui ont donné lieu à la plainte sont-elles telles qu’elle devrait être examinée sans délai en vertu de l’alinéa 190(4)a) de la Loi? La réponse est non.

[47] Le paragraphe 190(4) de la Loi prévoit deux exceptions aux délais de prescription énoncés au paragraphe 190(3) : premièrement, lorsque l’employé n’a pas pu « facilement recourir » au processus d’appel (alinéa 190(4)b)); et deuxièmement, lorsque les faits donnant lieu à la plainte sont tels que la Commission devrait statuer sans délai sur celle-ci (alinéa 190(4)a)). J’ai déjà abordé la question de l’expression « facilement recourir » et, par conséquent, je limiterai mes motifs sur cette question à l’alinéa 190(4)a) de la Loi.

[48] Le paragraphe 190(4) de la Loi stipule que la Commission a la capacité d’entendre une plainte « bien que celle-ci n’ait pas fait l’objet d’un grief ou d’un appel ». À première vue, cela semble signifier que le dépôt d’un grief ou d’un appel fait en sorte que la Commission n’a pas compétence en vertu du paragraphe 190(4). Toutefois, le CCRI a appliqué la disposition équivalente du Code canadien du travail dans Thibeault et Clark, malgré le fait que le plaignant avait interjeté appel. Étant donné qu’aucune des parties dans le présent cas n’a demandé si le fait que le plaignant ait interjeté appel signifie que le paragraphe 190(4) de la Loi ne peut pas s’appliquer, j’ai examiné cette disposition, même si je doute qu’elle puisse s’appliquer dans le présent cas.

[49] Le paragraphe 190(4) est une disposition discrétionnaire parce qu’il stipule que la Commission « peut » entendre une plainte si l’une des deux exceptions est établie. L’alinéa 190(4)a) est également discrétionnaire : il accorde à la Commission le pouvoir discrétionnaire d’entendre une plainte en vertu des alinéas 188b) ou c) de la Loi malgré le processus d’appel interne d’une organisation syndicale si les faits sont tels « qu’il devrait être statué sans délai sur celle-ci » [je mets en évidence].

[50] J’ai conclu que, dans le présent cas, le retard dans le traitement du présent appel ne justifie pas l’exercice du pouvoir discrétionnaire pour trois raisons.

[51] Premièrement, le plaignant a été expulsé de l’AFPC le 24 mars 2022 et a déposé son appel au plus tard le 13 avril 2022. Il a ensuite attendu plus de neuf mois avant de déposer la présente plainte. Une partie qui se plaint d’un retard doit le faire en temps opportun; c’est particulièrement important à la lumière du sous-alinéa 190(3)b)(ii) de la Loi, qui ouvre un délai de 90 jours six mois après le dépôt d’un appel pendant lequel un employé peut porter plainte devant la Commission. L’employé qui invoque l’alinéa 190(4)a) devrait, dans tous les cas sauf les plus rares, porter plainte avant que la fenêtre offerte au sous-alinéa 190(3)b)(ii) ne s’ouvre.

[52] Deuxièmement, le plaignant était l’un des cinq membres de l’AFPC qui ont fait l’objet de mesures disciplinaires de la part de la défenderesse. Tous les cinq (y compris le plaignant) ont interjeté appel, mais seul le plaignant l’a fait devant la Commission. Dans ces circonstances, le plaignant n’a pas expliqué pourquoi sa plainte devrait avoir préséance sur la procédure d’appel des quatre autres membres.

[53] Troisièmement, le plaignant est en partie responsable du retard, car il s’est opposé au choix du premier président du tribunal d’appel de la défenderesse. Même s’il avait tout à fait le droit de s’y opposer, il doit accepter le retard qui était la conséquence inévitable de l’insistance pour que le tribunal d’appel soit présidé par une personne d’une autre organisation syndicale.

[54] Pour ces motifs, je conclus que les circonstances dans le présent cas ne sont pas telles qu’il devrait être statué sans délai sur la plainte. Je refuse d’exercer mon pouvoir discrétionnaire pour entendre cette plainte.

[55] En résumé, aucune des conditions préalables à l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 190(4) de la Loi n’existe dans le présent cas. La défenderesse a permis de « facilement recourir » à son processus d’appel, et les circonstances de la présente plainte ne sont pas telles qu’il devrait être statué sans délai sur celle-ci. Même si ces conditions préalables existaient, j’aurais quand même exercé mon pouvoir discrétionnaire de ne pas trancher la présente plainte à la lumière du retard du plaignant à déposer la plainte, des conséquences de l’audience de la plainte sur les appels connexes et des actions du plaignant qui ont retardé son appel.

V. Limites de la présente décision

[56] Rien dans les présents motifs ne devrait être interprété comme une approbation de la façon dilatoire dont la défenderesse a traité l’appel du plaignant. La défenderesse a indiqué dans ses arguments écrits qu’il suffisait d’avoir [traduction] « pris des mesures » à l’égard de l’appel dans les six mois suivant son dépôt. Comme il a été indiqué plus tôt, une organisation syndicale doit statuer sur un appel dans un délai de six mois, et pas seulement prendre des mesures pour rendre cette décision. Si le plaignant avait déposé sa plainte quatre jours plus tôt, la Commission l’aurait entendue. Le législateur a créé une fenêtre au cours de laquelle un employé peut déposer une plainte de ce genre, qui s’ouvre six mois après que l’employé a déposé son appel interne auprès du syndicat. Les organisations syndicales devraient s’assurer que ces appels sont tranchés avant l’ouverture de la fenêtre de six mois.

[57] Enfin, les parties ont présenté des arguments sur la question de savoir si la plainte soulève une cause défendable selon laquelle la défenderesse a contrevenu aux alinéas 188b) ou c) de la Loi. Compte tenu de ma décision quant au caractère opportun de la plainte, je n’ai pas examiné ces arguments. Je ne veux pas commenter le bien-fondé de l’appel du plaignant ni préjuger d’une plainte qui pourrait être déposée dans le délai de 90 jours suivant la décision sur l’appel du plaignant.

[58] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[59] La plainte est rejetée.

Le 20 juin 2023.

Traduction de la CRTESPF

Christopher Rootham,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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