Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20230413

Dossiers: 566-02-4291 à 4294

566-02-6300 et 6301

566-02-10192 et 10938

 

Référence: 2023 CRTESPF 36

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations de

travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

entre

 

Terry Dean Casper

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration)

 

employeur

Répertorié

Casper c. Conseil du Trésor (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

Devant : James R. Knopp, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Morgan Rowe, avocate

Pour l’employeur : Marie-France Boyer, avocate

Affaire entendue par vidéoconférence

du 23 au 27 novembre 2020

et du 12 au 16 avril, du 26 au 29 avril et du 21 au 24 juin 2021.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Aperçu et résumé

[1] Terry Casper, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), travaillait comme spécialiste de la prestation des services (SPS) au Centre de traitement des demandes (CTD) de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC ou l’« employeur »), à Vegreville, en Alberta.

[2] Son cas comporte deux parties distinctes. La partie I porte sur les griefs déposés à la suite de trois mesures disciplinaires distinctes imposées par l’employeur. La partie I concerne au total six griefs, car chacun des griefs déposés à l’encontre d’une mesure disciplinaire s’accompagne d’un grief de discrimination déposé en application de la convention collective.

[3] Le fonctionnaire a dûment signifié à la Commission canadienne des droits de la personne son intention de réclamer des dommages en application de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6; LCDP). Comme nous le verrons, d’importantes réparations devront être accordées aux termes de la LCDP.

[4] La première mesure disciplinaire a été imposée le 17 août 2009, parce que le fonctionnaire avait créé des affiches présentant un « compte à rebours » marquant le nombre de jours avant le départ de collègues avec lesquelles il n’était pas en bons termes. La mesure disciplinaire n’était pas justifiée. Les affiches étaient bien cachées à l’intérieur de son bureau à cloisons et, malgré leur caractère certes peu flatteur, le fonctionnaire ne les avait créées que pour sa satisfaction personnelle. Il n’a jamais exposé les affiches et il ne les a montrées à personne. Les cinq jours de suspension sans solde doivent être remboursés, avec intérêts.

[5] Le caractère discriminatoire de ce premier incident disciplinaire n’a pas été démontré, car, durant la période pertinente, aucun lien suffisant n’a été établi entre l’état de santé du fonctionnaire et l’effet préjudiciable des mesures disciplinaires imposées par l’employeur. Ce lien est devenu clair lorsque d’autres renseignements ont été révélés, et il est devenu un facteur important qui aurait dû être pris en compte lorsque les deux mesures disciplinaires subséquentes ont été imposées.

[6] Après l’imposition de la première mesure disciplinaire le 17 août 2009, le fonctionnaire s’est plaint à l’employeur du fait que son état de santé n’avait pas été considéré comme un facteur atténuant. L’employeur avait été informé de l’état de santé du fonctionnaire, mais ces renseignements n’ont jamais été examinés adéquatement ou autrement communiqués au décideur chargé de statuer sur la question disciplinaire. Après que le fonctionnaire l’avait informé de son problème de santé, l’employeur était tenu de prendre les mesures nécessaires pour en savoir plus et de traiter l’information comme il se devait, ce qu’il n’a pas fait. L’employeur n’a pas fait preuve de diligence raisonnable et il n’a pas cherché à en savoir davantage.

[7] L’employeur n’a pas tenu compte de l’état de santé du fonctionnaire lorsqu’il lui a imposé une mesure disciplinaire le 25 janvier 2010, à la suite d’une interaction déplaisante avec une collègue. Comme aucune mesure disciplinaire n’était justifiée en août 2009, ce deuxième incident aurait dû en fait être considéré comme un premier incident dans un dossier disciplinaire par ailleurs vierge. La mesure disciplinaire appropriée, si l’on tient compte de l’état de santé du fonctionnaire comme étant un facteur atténuant, aurait dû être une lettre de réprimande. Par conséquent, les sept jours de suspension sans solde qui ont été imposés pour cet incident doivent être remboursés, avec intérêts.

[8] Le caractère discriminatoire de la mesure disciplinaire imposée le 25 janvier 2010 a été établi. L’employeur, qui était au courant de l’état de santé du fonctionnaire, lui a imposé des mesures disciplinaires pour un comportement qui était attribuable, du moins en partie, à son grave problème de santé. Ces mesures disciplinaires attribuables à son état de santé ont eu un effet préjudiciable sur le fonctionnaire. Une réparation de 1 000 $ par jour pour la suspension non justifiée doit être payée en application de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP, pour un total de 7 000 $.

[9] L’inaction de l’employeur ou son manque de diligence raisonnable à l’égard de l’état de santé du fonctionnaire donnent droit à des dommages spéciaux additionnels de 1 000 $ par jour (pour chaque jour de suspension injustifiée), conformément au paragraphe 53(3) de la LCDP. Par conséquent, une somme supplémentaire de 7 000 $ en dommages doit lui être versée pour la mesure disciplinaire imposée le 25 janvier 2010.

[10] La dernière mesure disciplinaire a été imposée le 20 décembre 2010, après que le fonctionnaire a utilisé un langage grossier lors d’une réunion de groupe organisée pour discuter d’un dîner de Noël proposé. La suspension sans solde de dix jours était une mesure disciplinaire manifestement excessive qui ne tenait pas compte de l’état de santé du fonctionnaire comme étant un facteur atténuant. La mesure disciplinaire appropriée aurait dû être une suspension sans solde d’une journée. Le fonctionnaire a donc droit au remboursement de la différence entre les deux mesures, soit neuf jours de salaire, avec intérêts.

[11] Le caractère discriminatoire de la mesure disciplinaire imposée le 20 décembre 2010 a été établi. À cette date, l’employeur était bien au fait de l’état de santé du fonctionnaire et savait que cet état pouvait se manifester par des comportements désobligeants sur le lieu de travail. Six mois plus tôt, soit le 30 juin 2010, l’employeur avait envoyé une lettre à Santé Canada, dans laquelle il demandait que le fonctionnaire fasse l’objet d’une évaluation médicale et reconnaissait que des incidents disciplinaires antérieurs étaient sans doute des manifestations de l’état de santé du fonctionnaire.

[12] En ce qui concerne l’alinéa 53(2)e) de la LCDP, le fonctionnaire a subi un préjudice moral que l’on peut certainement qualifier d’important. Le fonctionnaire a pensé au suicide. Il est difficile d’envisager un degré d’angoisse plus grand. J’accorde la somme maximale autorisée à l’alinéa 53(2)e), soit 20 000 $.

[13] Pour ce qui est des dommages spéciaux, le comportement de l’employeur était inacceptable et a eu des effets dévastateurs permanents sur le fonctionnaire. Le 20 décembre 2010, l’employeur était parfaitement au courant de l’état de santé du fonctionnaire et du risque que cet état se manifeste par des comportements déplaisants au travail. L’imposition d’une mesure disciplinaire exagérément disproportionnée le 20 décembre 2010 a amené le fonctionnaire à quitter la fonction publique (d’abord dans le cadre d’un congé de maladie prolongé, puis d’un congé pour raisons personnelles). Par conséquent, l’employeur est tenu de payer la somme maximale prévue au paragraphe 53(3) de la LCDP au titre des dommages spéciaux. Une somme supplémentaire de 20 000 $ est accordée à ce titre au fonctionnaire.

[14] La partie II de la présente décision porte sur les efforts déployés par le fonctionnaire pour retourner au travail.

[15] Après un congé de maladie en 2012, le fonctionnaire a pris un congé non payé pour raisons personnelles afin d’explorer les possibilités d’emploi dans le secteur privé. En 2013, il a cherché à réintégrer la fonction publique. L’employeur l’a inscrit à un processus de présentation prioritaire et lui a proposé une mutation. Aucune des présentations n’a abouti et le fonctionnaire a refusé la mutation. Le fonctionnaire n’a pas réintégré la fonction publique. Les deux derniers griefs, qui portent tous les deux sur les efforts infructueux visant à réintégrer le fonctionnaire dans la fonction publique, sont rejetés parce que les efforts d’adaptation déployés par l’employeur pour répondre aux besoins du fonctionnaire et faciliter son retour au travail étaient raisonnables.

[16] Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365; LCRTEFP) est entrée en vigueur (TR/2014-84), créant ainsi la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (CRTEFP) pour remplacer l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) ainsi que l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires contenues dans les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40; la « Loi no 2 sur le PAE ») sont aussi entrées en vigueur (TR/2014‑84). Conformément à l’article 393 de la Loi n2 sur le PAE, une instance engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; LRTFP) avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la LRTFP, dans sa forme antérieure à cette date.

[17] Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la CRTEFP et le titre de la LCRTEFP et de la LRTFP pour qu’ils deviennent respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (LRTSPF).

[18] Les griefs ont été renvoyés à l’arbitrage, et l’affaire a été entendue dans son intégralité, avec prorogations, sur une période de plusieurs mois en 2017, à Edmonton en Alberta. Événement tragique, l’arbitre de grief qui a instruit l’affaire est décédé après la fin des audiences, mais avant de rendre une décision. J’ai été saisi de l’affaire afin qu’elle soit entendue de nouveau dans son intégralité.

[19] J’ai entendu des témoins de Vancouver, en Colombie-Britannique, d’Edmonton et d’Ottawa, en Ontario, ainsi que les arguments des avocats au moyen de la plateforme de vidéoconférence Zoom. L’audience s’est déroulée du 23 au 27 novembre 2020, et du 12 au 16 avril, du 26 au 29 avril et 21 au 24 juin 2021.

II. Partie I : les griefs disciplinaires

[20] Voici les numéros de dossier de la Commission associés aux griefs disciplinaires :

· 566-02-4291 (suspension de cinq jours) et 4292 (clause de non-discrimination);

· 566-02-4293 (suspension de sept jours) et 4294 (clause de non-discrimination);

· 566-02-6300 (suspension de dix jours) et 6301 (clause de non-discrimination).

A. Résumé de la preuve

[21] Le fonctionnaire travaillait dans la fonction publique depuis environ six ou sept ans lorsque, en 2007, il a souffert d’une grave dépression. Durant son témoignage, il a mentionné des problèmes au travail qui ont exacerbé son état déjà dépressif à l’époque. Il se sentait dévalorisé et infructueux au travail, et ses chances d’avancement lui semblaient minces, voire inexistantes. Il a reçu un diagnostic de trouble dépressif majeur et, en 2007, il a obtenu un arrêt de travail de neuf mois pour cause de maladie.

[22] Durant son congé, des prestations d’invalidité de longue durée lui ont été versées. L’employeur était au courant de cette situation; Sue Holden, de la Direction générale de la rémunération et des avantages sociaux, a reçu copie de la correspondance de l’assureur datée du 13 décembre 2007 et a aidé à coordonner le versement des prestations au fonctionnaire.

[23] Durant sa dépression, le fonctionnaire est devenu suicidaire. En octobre 2007, il a été hospitalisé au St. Mary’s Hospital de Camrose, en Alberta, qui se spécialise dans le traitement des problèmes de santé mentale. Celle qui était à l’époque directrice du CTD de Vegreville, Shirley Holmstrom, a été informée de l’état de santé du fonctionnaire et des circonstances entourant son hospitalisation à Camrose.

[24] Lorsque le fonctionnaire a été déclaré apte à retourner au travail, un programme de retour progressif au travail a été discuté avec Mme Holmstrom. Le 25 décembre 2007, Jodi Casper, l’épouse du fonctionnaire, a écrit ce qui suit à Mme Holmstrom :

[Traduction]

 

[…]

 

Terry aimerait beaucoup reprendre un emploi à temps plein dans la fonction publique fédérale. Cependant, compte tenu des circonstances au CTD en ce moment, de l’état de bouleversement actuel, du milieu de travail dans son ensemble et de la période, cela pourrait s’avérer être davantage nuisible que bénéfique. Terry croit que retourner dans un milieu qui réduirait au minimum le risque de réapparition de ses problèmes lui apporterait une stabilité sur le plan de la santé mentale et du bien-être. Je me demande s’il serait possible d’envisager un retour progressif dans un lieu de travail différent, afin d’assurer le succès de son retour à la vie active.

Susan Sereda, travailleuse en réadaptation, m’a demandé de vérifier si vous seriez disponible pour une rencontre le lundi 21 janvier vers 13 h [...]

[…]

 

[25] Tous les témoins à l’audience ont souligné la participation de Mme Casper à tous les aspects des affaires du fonctionnaire, tout au long des périodes visées par l’ensemble de ses griefs. Les Casper ont tous les deux témoigné de la nécessité d’obtenir ce degré d’assistance, en raison des problèmes de santé permanents du fonctionnaire. Mme Casper continue d’aider le fonctionnaire à gérer ses affaires.

[26] Mme Casper travaillait elle aussi au CTD de Vegreville, mais dans un service différent. Durant son témoignage, elle a parlé de son expérience des questions liées aux relations de travail ainsi que de son expérience d’autres questions liées au milieu de travail. Elle était, et continue d’être, bien au fait de l’état de santé de son époux et de ses problèmes au travail.

[27] Le 21 janvier 2008, Mme Holmstrom, Susan Sereda (une spécialiste en réadaptation), le fonctionnaire et Mme Casper se sont rencontrés pour discuter du retour au travail du fonctionnaire. Durant son témoignage, ce dernier a déclaré qu’il avait clairement précisé qu’il souhaitait un retour progressif au travail, ailleurs qu’à Vegreville.

[28] Mme Casper a pris des notes manuscrites sur les sujets abordés lors de cette rencontre :

[Traduction]

 

[…]

 

- Motif de l’absence

- Dépression

- Maladie – dépression

- Humiliation / embarras

- Hospitalisation à Camrose

- Médicaments – Prozac […]

- Difficulté à retourner au travail

- Crainte de traiter avec la direction

- Estime que la direction est responsable des problèmes

- Isolement

- Confiance en soi

- Retour à la case départ

- Doute quant à ses capacités

- Préoccupé par ce que pensent les autres

- Incapable parfois de réagir

- Milieu stable

- Manque de confiance / d’estime de soi

[…]

 

[29] Durant son témoignage, Mme Casper a mentionné certains des commentaires faits par Mme Holmstrom durant la rencontre. Elle a pris les notes suivantes au sujet des commentaires de Mme Holmstrom :

[Traduction]

[…]

N’a pas besoin d’explication. A été infirmière autorisée et elle connaît bien la maladie. Quelles mesures d’adaptation sont jugées nécessaires?

[…]

3/4 mois à envisager – cela représente un temps considérable. Besoins à prendre en compte/outils requis/restrictions et types d’adaptations requis.

[…]

Tous les services sont sous pression; il faudra peut-être prendre du recul avant de pouvoir aller de l’avant. Le fait que Terry ne veut pas que les autres soient au courant pourrait limiter les options disponibles pour le faire connaître ailleurs.

[…]

 

[30] Mme Casper a témoigné qu’elle était convaincue, lors de la rencontre, que Mme Holmstrom semblait parfaitement comprendre l’importance que le fonctionnaire ne retourne pas au CTD de Vegreville. Bien qu’elle n’était pas présente à la réunion du 21 janvier 2008, Mme Holden, de la Direction générale de la rémunération et des avantages sociaux de l’employeur, a fait référence à l’évaluation d’un médecin dans une télécopie qu’elle a envoyée à Mme Sereda, le 24 janvier 2008. La page couverture portait la mention suivante : [traduction] « [...] Je vous transmets par fax des renseignements concernant l’évaluation médicale dont il a été question entre Shirley Holmstrom et vous. Je vous enverrai les documents originaux par courrier ». Ni Mme Holden, ni Mme Holmstrom, ni Mme Sereda n’ont témoigné, et l’évaluation médicale mentionnée dans la lettre d’accompagnement n’a pas été déposée en preuve.

[31] Le 4 février 2008, le Dr Donald Wilson a écrit ce qui suit à Mme Holmstrom et Mme Sereda au sujet du retour au travail possible du fonctionnaire :

[Traduction]

 

[…]

La présente confirme que le patient susmentionné est apte à reprendre le travail, eu égard à son état de santé actuel. Les chances de succès du retour au travail de M. Casper seraient grandement améliorées si celui-ci retournait dans un milieu de travail positif et gratifiant. Le milieu de travail devrait être accueillant et exempt de harcèlement et autres pressions qui pourraient retarder indûment son rétablissement. Il est probable qu’offrir à M. Casper un poste lui permettant d’exécuter un travail gratifiant, avec ou sans mesures d’adaptation appropriées, lui procurera la motivation et le réconfort nécessaires dans un milieu de travail positif. Je recommanderais pour l’instant que son retour au travail se fasse dans un bureau autre que le Centre de traitement des demandes de Vegreville.

[…]

 

[32] Aucun élément de preuve n’a été présenté sur quelque autre discussion ou correspondance qui aurait eu lieu avec le Dr Wilson.

[33] Le 20 mars 2008, Mme Holmstrom a envoyé un courriel à Mme Casper. Ce courriel, qui portait en objet la mention [traduction] « Affectation pour Terry », était rédigé comme suit :

[Traduction]

 

Jodi, j’ai le plaisir de vous informer que j’ai pu conclure un accord avec M. Randy Gurlock du bureau de CIC à Edmonton, qui accepte de fournir un emploi à Terry dans le cadre de son programme de retour au travail. L’affectation peut débuter dès le 31 mars 2008 pour une période de trois mois. Après cette période, nous pensons que Terry pourra retourner au CTD de Vegreville pour reprendre ses fonctions à titre de spécialiste de la prestation de services.

[…]

 

[34] Durant son témoignage, le fonctionnaire a déclaré avoir vécu une expérience de travail positive au bureau d’Edmonton. Il redoutait toutefois son retour à Vegreville, car c’était là que tous ses problèmes avaient commencé. Il n’a pas déposé de grief contre la décision de le réintégrer au bureau de Vegreville.

[35] Au début de juillet 2008, le fonctionnaire s’est présenté au CTD de Vegreville, comme on le lui avait demandé, et il a été réintégré dans son poste d’attache. Des conflits sont survenus dans les semaines qui ont suivi. Une superviseure, Michelle Henderson, envisageait de lui confier des demandes de résidence permanente (DRP). Elle a écrit : [traduction] « Si, pour quelque raison, vous êtes incapable de traiter ces demandes, veuillez m’en informer par écrit. Si vous avez besoin d’une formation d’appoint, n’hésitez pas à me le faire savoir [...] ».

[36] Le fonctionnaire s’est offusqué de ces propos et il a écrit à Mme Holmstrom le lendemain :

[Traduction]

 

Shirley, je vous envoie ce courriel, car ma superviseure par intérim m’a informé qu’elle et vous aviez discuté de ma capacité à travailler et que vous ne voyiez aucune raison pour laquelle je serais incapable de traiter des DRP. Permettez-moi d’abord de dire que je suis choqué et humilié que vous ayez eu une telle discussion à mon sujet sans que je sois présent. Je croyais que vous compreniez parfaitement mon état et les raisons de ma « longue » absence de ce bureau.

Comme je suis revenu au bureau il y a seulement moins d’un mois, je crois que vous pouvez savoir et comprendre pourquoi et comment ma capacité à faire ce travail risque d’être altérée. Je ne crois pas qu’il soit déraisonnable de m’autoriser à travailler à mon propre rythme ou à suivre une formation d’appoint, compte tenu des circonstances qui vous sont parfaitement familières.

Cette pression supplémentaire inutile me cause un stress émotionnel et physique important que je suis incapable de supporter en ce moment. Je vous saurais gré de demander à ma chef d’équipe par intérim de trouver quelqu’un d’autre pour l’aider en l’absence de Jeff et d’éviter de me pousser à faire plus que ce dont je suis capable pour l’instant.

[…]

 

[37] Le fonctionnaire a témoigné qu’il n’avait reçu aucune demande de renseignements médicaux supplémentaires de la part de direction à la suite de cet échange avec Mme Holmstrom.

[38] Un autre conflit est survenu en septembre 2008, cette fois-ci concernant le fait que le fonctionnaire fumait le cigare. Des employés s’étaient plaints de l’odeur qui restait imprégnée sur ses vêtements lorsqu’il revenait de ses pauses, pendant lesquelles il allait fumer à l’extérieur. Il a déclaré qu’il se sentait [traduction] « harcelé » par ses collègues et qu’il avait l’impression d’être observé à la loupe au travail.

[39] Encore une fois, le fonctionnaire avait l’impression que sa candidature était écartée pour les affectations intérimaires. À l’extérieur de son bureau à cloisons, il a affiché une nomination intérimaire et une notification de candidature retenue pour une promotion. Il a témoigné comment Sue Neufeld, chef d’une autre équipe que la sienne, est venue à son bureau et, devant deux collègues, lui a montré les affiches et lui a reproché de les avoir exposées. Elle lui a ensuite remis une copie de la page 3 du Code de conduite de CIC avant de s’éloigner. Le fonctionnaire a été convoqué à une rencontre pour discuter de l’incident.

[40] Il a déclaré que Mme Holmstrom l’avait carrément blâmé pour le conflit avec Mme Neufeld. Dans un courriel daté du 26 novembre 2008, Mme Holmstrom a écrit ce qui suit : [traduction] « Vu l’absence de relation de supervision directe, il devrait y avoir peu de contacts quotidiens entre vous. Je profite toutefois de l’occasion pour vous conseiller de faire tout en votre possible pour continuer de réduire au minimum les comportements semblables ».

[41] Le fonctionnaire a écrit à Mme Holmstrom pour se plaindre du comportement de Mme Neufeld et de l’effet que cela avait sur lui :

[Traduction]

 

[…]

Le retour au travail après une absence prolongée pour cause de maladie me rend particulièrement vulnérable, et cette violence verbale et psychologique mine ma confiance en moi et mon moral et nuit à ma productivité ainsi qu’à ma capacité de faire mon travail. Le caractère imprévisible et irrationnel de ce comportement m’oblige à utiliser mes ressources psychologiques et affectives pour tenter de comprendre ce qui se passe et savoir comment me défendre. J’ai l’impression d’avoir été ciblé par Mme Neufeld et d’autres membres de la direction. Je suis bouleversé, et la perspective d’interactions futures avec ces personnes me rend anxieux.

[…]

 

[42] Le 12 novembre 2008, le fonctionnaire a finalement déposé une plainte officielle de harcèlement contre Mme Neufeld. Peu après, soit le 26 novembre, Mme Neufeld a déposé une plainte contre lui. Le 21 mai 2009, la plainte du fonctionnaire a été jugée non fondée. Paul Armstrong, directeur général du Réseau centralisé, a jugé que la plainte contre Mme Neufeld ne répondait pas à la définition de harcèlement au travail. M. Armstrong n’a pas témoigné.

[43] Durant son témoignage, le fonctionnaire a déclaré avoir eu l’impression que Mme Holmstrom n’avait pas pris au sérieux le comportement de Mme Neufeld à son endroit et que les deux cherchaient délibérément à lui rendre la vie difficile. Cela a eu un effet négatif sur sa santé et sa productivité. Le 12 janvier 2009, Donna Harle, sa superviseure, a envoyé un courriel à Joanne Dubuc, directrice des opérations au CTD de Vegreville, pour l’informer que le fonctionnaire avait été malade la semaine précédente et que ses crédits de congés de maladie affichaient un solde négatif. Elle a ajouté ceci : [traduction] « Comme il aura atteint le maximum, je présume que certains congés devront être non payés. Il a un billet du médecin que je vous enverrai également ».

[44] Mme Dubuc a témoigné qu’elle n’avait reçu aucun renseignement médical sur le fonctionnaire de la part de Mme Harle ou de qui que ce soit d’autre. Mme Harle n’a pas pu témoigner à l’audience, car elle est malheureusement décédée.

[45] En mars 2009, le fait que le fonctionnaire fumait le cigare a de nouveau été soulevé auprès de la direction.

[46] Le 19 juin 2009, le fonctionnaire a envoyé un courriel à Mme Dubuc, dans lequel il déclarait ceci : « You and your team leaders have a lot of brass ». Convoqué pour s’expliquer, il a fourni une explication évoquant la hiérarchie dans l’armée. Mme Dubuc a témoigné qu’elle avait interprété son commentaire comme signifiant « Vous et vos chefs ne manquez pas de culot » ou quelque chose du genre. Elle a jugé que son commentaire était irrespectueux, mais elle n’a pas imposé de mesure disciplinaire.

[47] Un courriel du fonctionnaire obtenu à la suite d’une demande d’accès à l’information a révélé qu’en juin 2009, Mme Neufeld a informé Mme Dubuc, chef d’équipe du fonctionnaire, de son intention d’obtenir, au cours des semaines à venir, un engagement de ne pas troubler l’ordre public à l’encontre du fonctionnaire. Ce n’est que longtemps après les faits que le fonctionnaire a été informé des intentions de Mme Neufeld à cet égard.

1. Le premier incident disciplinaire, le 17 août 2009

[48] Le fonctionnaire savait que Mme Neufeld et Mme Holmstrom devaient toutes les deux quitter le bureau et il attendait avec impatience leur départ, car il était constamment en conflit avec elles. Dans ce qu’il a admis être une [traduction] « erreur de jugement », il a fabriqué des affiches sur lesquelles il faisait le décompte des jours à écouler avant leur départ. Au bas de l’une de ces affiches, à côté de la mention [traduction] « 0 jour restant », on pouvait lire [traduction] « Youpi, Shirley H. est partie ». Au bas de l’autre affiche, on pouvait lire [traduction] « Partie, youpi! ».

[49] Le fonctionnaire a déclaré qu’il gardait les affiches à l’abri des regards dans son bureau et qu’il ne les sortait que pour rayer chaque journée passée. Il a dit avoir fait ces affiches pour son amusement personnel, ajoutant qu’il ne les avait jamais exposées et qu’il n’en avait parlé à personne. Lorsque les affiches ont été découvertes, le fonctionnaire marquait le compte à rebours sur l’une d’elles depuis environ huit mois et depuis seulement quelques semaines sur l’autre.

[50] Mme Dubuc a déclaré qu’elle avait été informée de l’existence des affiches et que celles-ci étaient à la vue de tous quand elle les a découvertes, dans le bureau du fonctionnaire. Aucun des témoins n’a été en mesure de dire comment les affiches se sont retrouvées à la vue de tous.

[51] Lors d’une réunion de recherche des faits tenue le 5 août 2009, le fonctionnaire a d’abord menti sur le but des affiches et sur ce à quoi ou à qui elles faisaient référence. Il a finalement reconnu qu’il en avait créé une pour Mme Neufeld et une autre pour Mme Holmstrom, car, selon ses propres mots, elles ne lui avaient causé [traduction] « que des difficultés ». Mme Dubuc a témoigné qu’elle avait d’abord envisagé une suspension de sept jours pour cette inconduite, mais que, puisque le dossier disciplinaire du fonctionnaire était vierge, elle lui a imposé une suspension de cinq jours, dans une lettre datée du 17 août 2009.

[52] Cette mesure disciplinaire a fait l’objet d’un grief déposé le 1er septembre 2009. Le grief contient la phrase suivante : [traduction] « Je dépose ce grief, car j’estime avoir été traité injustement et sans qu’il soit tenu compte de mon état de santé dont l’employeur était parfaitement au courant. »

[53] Lors de son témoignage, Mme Dubuc a répété à plusieurs reprises qu’elle n’était pas au courant de l’état de santé du fonctionnaire. Elle n’avait jamais vu de note d’un médecin ni reçu de demande de mesure d’adaptation. Dans un courriel envoyé au fonctionnaire le 10 septembre 2009, Mme Harle mentionnait ce qui suit :

[Traduction]

 

[…]

Dans votre grief que nous avons reçu le 3 septembre 2009, vous dites que l’employeur n’a pris aucune mesure d’adaptation en réponse à votre état de santé. Cependant, votre dossier ne fait nullement mention de ce problème de santé, ni de quelque mesure d’adaptation dont vous auriez besoin.

Afin que nous puissions satisfaire à nos obligations aux termes de la politique relative à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation, je dois obtenir de votre médecin des renseignements sur vos limitations en milieu de travail afin que je puisse prendre les mesures qui s’imposent.

[…]

 

[54] Le fonctionnaire a témoigné qu’il avait été surpris des commentaires de Mme Harle, car il savait que Mme Holmstrom et Mme Holden avaient reçu la lettre du 4 février 2008 du Dr Wilson. Il a demandé à Mme Harle de communiquer avec la Direction générale des ressources humaines de CIC et de vérifier si les renseignements fournis par le Dr Wilson avaient été versés à son dossier. Le fonctionnaire a déclaré que Mme Harle avait fait ce qu’il lui avait demandé, mais qu’elle n’avait trouvé aucun renseignement à ce sujet dans son dossier.

[55] Le 14 septembre 2009, le fonctionnaire a donc demandé à consulter son dossier d’employé. Il a déclaré avoir constaté avec grand étonnement que son dossier ne contenait aucun renseignement à ce sujet. Dans un courriel adressé le 17 septembre 2009 à Pamela Bunclark, directrice (par intérim) des ressources humaines, la représentante de l’agent négociateur du fonctionnaire, Gail Rowe, a écrit ce qui suit: [traduction] « […] il n’y a aucune note ni aucune correspondance concernant la mesure disciplinaire prise à l’endroit de Terry le 17 août 2009. Il n’y a pas non plus de note sur les discussions avec la direction concernant son retour au travail après son absence. »

[56] Le fonctionnaire était préoccupé du fait que l’employeur n’avait pas été informé de la lettre du Dr Wilson et, le 24 septembre 2009, il a répété la demande de mesures d’adaptation présentée par le Dr Wilson lors de l’audience au deuxième palier, tenue le 3 septembre 2009. Il a écrit ce qui suit :

[Traduction]

 

Je dépose ce grief, car j’estime avoir été traité injustement et sans qu’il soit tenu compte de mon état de santé, dont l’employeur était parfaitement au courant.

[…]

- Terry a été absent du travail pour raison médicale pendant environ huit mois [...]

[…]

- Après son absence de huit mois, plusieurs discussions ont eu lieu en décembre 2007 avec une spécialiste en réadaptation, Shirley [Holmstrom] et la représentante syndicale. Dès le départ, il était manifeste que Shirley était réticente à l’idée de prendre les mesures d’adaptation requises pour Terry et que les négociations s’annonçaient difficiles [...]

[…]

- Bien que la correspondance qui a été envoyée au service était un résumé de la documentation envoyée par la compagnie d’assurance à Shirley, une lettre distincte du médecin de Terry, datée du 4 février 2008, a également été envoyée directement. Cette lettre mentionnait ce qui suit :

[...] Je recommande que son retour au travail ait lieu dans un bureau autre que le Centre de traitement des demandes de Vegreville [...]

- […] Tous ces facteurs examinés dans leur ensemble témoignent d’une discrimination inconsidérée et délibérée envers Terry, son état de santé, la Politique sur la prévention et la résolution du harcèlement du Conseil du Trésor et sa politique sur les mesures disciplinaires [...]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[57] Lors de son témoignage, Mme Dubuc a déclaré qu’il incombait à Mme Harle, en sa qualité de gestionnaire du fonctionnaire, de faire un suivi auprès de lui au sujet de son état de santé et des mesures d’adaptation requises. Mme Dubuc, qui était directrice des opérations à l’époque, a affirmé qu’elle n’avait pas cette responsabilité et qu’elle n’avait pas fait de suivi sur ces questions. Mme Harle, qui est malheureusement décédée, n’a pas pu témoigner.

[58] Mme Dubuc a déclaré qu’elle n’avait jamais discuté de l’état de santé du fonctionnaire avec Mme Holmstrom.

[59] Elle a également témoigné avoir été préoccupée par l’usage que le fonctionnaire faisait des congés de maladie. Elle a reçu en copie le courriel suivant daté du 5 août 2009 et envoyé par Mme Harle en réponse à une demande de renseignements au sujet de l’utilisation faite par le fonctionnaire des congés de maladie :

[Traduction]

 

Terry m’a téléphoné plus tôt cet après-midi. Il m’a dit qu’il avait consulté le médecin et que celui-ci lui avait remis un billet attestant qu’il doit prendre un congé de maladie (pour stress) à partir d’aujourd’hui, jusqu’au 14 août. Il m’a également dit qu’il demandera que les congés qu’il avait prévu de prendre la semaine prochaine (les 11, 12 et 13 août) soient transformés en congés de maladie. Il a dit qu’il doit revoir le médecin le 17 août.

Je crois comprendre qu’on lui a accordé un congé de maladie PAYÉ la semaine dernière.

Ses crédits de congés de maladie sont actuellement de -150,125. Il semble qu’il atteindra le maximum de -187,5 vers le 12 août.

[…]

 

[60] Le fonctionnaire a déclaré avoir été très perturbé par l’absence de renseignements médicaux dans les dossiers de l’employeur, ainsi que par la situation conflictuelle persistante sur le lieu de travail. Il a fait part de ses préoccupations à Teresa Williams (qui remplacerait Mme Holmstrom plus tard) lors d’une réunion tenue le 6 octobre 2009. Il lui a dit qu’il était [traduction] « sur le point de faire une rechute et qu’il continuerait de souffrir si la situation ne se réglait pas ».

[61] Le fonctionnaire a déclaré n’avoir reçu aucune demande de renseignements médicaux de qui que ce soit après cette rencontre du 6 octobre 2009.

2. Le deuxième incident disciplinaire, le 25 janvier 2010

[62] En 2010, Sandra Humeniuk travaillait comme conseillère en prestation de services au CTD de Vegreville depuis environ quatre ans. Lors de son témoignage, elle a déclaré avoir connu les Casper socialement pendant un certain temps et qu’ils étaient au début plus que de bonnes connaissances; ils étaient des amis. Leur amitié n’a pas duré.

[63] Le travail de Mme Humeniuk l’obligeait à consulter à l’occasion des spécialistes de la prestation des services, comme le fonctionnaire, pour leur demander conseil sur des dossiers. Le 12 janvier 2010, elle est allée consulter le fonctionnaire au sujet d’un problème qu’elle avait dans un dossier. Elle a déclaré que le fonctionnaire était devenu bourru et d’un abord difficile. Elle a donc d’abord tenté de trouver quelqu’un d’autre pour l’aider. Voyant qu’il n’y avait personne d’autre, elle est allée voir le fonctionnaire.

[64] Mme Humeniuk a déclaré que le fonctionnaire avait été impoli avec elle et qu’il avait cherché à la rabaisser. Il lui a dit [traduction] « Tu ne sais pas lire? » en parlant d’une annotation particulière dans le dossier. Elle a dit que son ton était dur et méprisant. Elle était visiblement bouleversée lorsqu’elle a témoigné à ce sujet.

[65] Après cet incident, Mme Humeniuk est allée parler à un collègue de ce qui venait de se passer, puis elle s’est assise à son bureau et a consigné des notes sur l’incident. Elle a remis les notes à son chef d’équipe intérimaire le lendemain.

[66] Une enquête a été ouverte sur les événements du 12 janvier 2010. Les allégations de Mme Humeniuk ont été exposées au fonctionnaire, qui a été invité à y répondre. C’est ce qu’il a fait, lors d’une rencontre de recherche des faits tenue le 14 janvier 2010, ainsi que dans une déclaration écrite datée du 19 janvier 2010. Il a déclaré qu’il estimait n’avoir rien fait de mal.

[67] Le 25 janvier 2010, Mme Dubuc a envoyé une lettre disciplinaire au fonctionnaire, dans laquelle elle lui exposait les allégations formulées et mentionnait que sa suspension antérieure de cinq jours pour les affiches constituait un facteur aggravant. Elle a témoigné que l’absence de remords de la part du fonctionnaire constituait un facteur supplémentaire, bien qu’elle n’en ait pas fait mention dans la lettre disciplinaire. Elle lui a imposé une suspension de sept jours dans le cadre des mesures disciplinaires progressives. Sur la deuxième page de la lettre, elle a écrit ce qui suit :

[Traduction]

 

[…]

En plus de la mesure disciplinaire décrite précédemment, je conclus qu’il vous serait bénéfique d’assister à une séance d’information ou de formation sur les comportements respectueux en milieu de travail. Lorsque nous aurons trouvé des cours disponibles, je m’attends à ce que vous y participiez pleinement et activement.

[…]

 

[68] Mme Dubuc et le fonctionnaire ont déclaré qu’aucune formation du genre ne lui avait jamais été offerte.

[69] Le fonctionnaire a déposé un grief contre la deuxième mesure disciplinaire, grief que Mme Dubuc a reçu le 8 février 2010. Dans ce grief, le fonctionnaire reprochait à l’employeur d’avoir enfreint les dispositions de sa convention collective relatives à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation et de le traiter [traduction] « [...] sans égard à son état de santé ».

[70] Mme Dubuc a répété qu’elle ignorait encore tout des problèmes de santé du fonctionnaire ou des mesures d’adaptation dont il avait besoin. Elle a également répété qu’il aurait été de la responsabilité de Mme Harle, la chef d’équipe du fonctionnaire, de faire un suivi.

[71] Compte tenu de la nature des deux mesures disciplinaires qui avaient été imposées jusque-là, une évaluation de l’aptitude au travail (EAT) a été demandée à Santé Canada. Une lettre datée du 30 juin 2010 et signée par Mme Williams (qui avait alors remplacé Mme Holmstrom comme directrice du CTD de Vegreville) exposait les préoccupations que M. Casper avait exprimées le 11 février 2010, après l’imposition de sa deuxième mesure disciplinaire. Mme Williams a cité les propos du fonctionnaire à ce sujet. Elle a écrit qu’il lui avait dit ceci :

[Traduction]

 

[…]

« Je suis tellement stressé, inquiet et déprimé du fait que les gens parlent de moi et cherchent des raisons de me bouleverser encore plus. J’ai peur de travailler dans cet environnement où mes moindres faits et gestes sont scrutés à la loupe [...]

Je ne sais pas ce qui pourrait être fait pour rétablir mes relations de travail et réparer le tort évident causé à ma réputation dans ce bureau et je ne sais pas ce que je pourrais faire de plus. Je quitte le bureau maintenant pour la journée, car toute cette situation est trop difficile à gérer pour moi dans mon état. »

[…]

 

[72] Dans sa lettre adressée à Santé Canada, Mme Williams mentionnait également que le fonctionnaire avait été informé à plusieurs reprises qu’il devait avoir un comportement respectueux sur le lieu de travail, ajoutant ce qui suit dans un paragraphe distinct : [traduction] « À la lumière des renseignements précités, veuillez confirmer si M. Casper est apte à exercer ses fonctions ou s’il a des limitations ou des restrictions au travail. »

[73] Mme Williams a joint à sa lettre une chronologie des questions relatives aux ressources humaines, en précisant que le grief déposé le 3 septembre 2009 contre la première mesure disciplinaire faisait référence à un problème de santé dont l’employeur n’avait pas été informé.

[74] Ni Mme Williams ni Mme Dubuc n’ont fait enquête sur l’état de santé du fonctionnaire pendant qu’étaient attendus les résultats de l’évaluation de l’aptitude au travail de Santé Canada.

3. Le troisième incident disciplinaire, le 20 décembre 2010

[75] Durant son témoignage, le fonctionnaire a déclaré que la situation au travail avait continué de se détériorer tout au long de l’année civile 2010. Il avait l’impression qu’on lui refusait des occasions professionnelles, alors que l’évaluation de son aptitude au travail par Santé Canada était toujours en attente et que rien n’avait encore été résolu.

[76] Holley Palley est devenue directrice des opérations, alors que Mme Harle était toujours chef d’équipe du fonctionnaire. Mme Palley a déclaré avoir eu des discussions avec Mme Harle au sujet du fonctionnaire, mais a précisé qu’il n’avait pas été question de son état de santé.

[77] Une lettre datée du 31 mars 2010 a été rédigée à l’intention de Santé Canada, mais elle n’a pas été envoyée, car le fonctionnaire voulait y joindre des renseignements supplémentaires. Ses modifications ont été ajoutées à la lettre du 10 juin 2010. Dans la section intitulée [traduction] « Annexe 1 : questions relatives aux ressources humaines », le fonctionnaire a mentionné l’absence de renseignements médicaux dans les dossiers de l’employeur.

[78] Mme Palley a déclaré qu’il s’agissait des seules questions liées à la santé du fonctionnaire dont elle avait été informée. C’est également à ce moment qu’elle a appris que le fonctionnaire avait déposé des griefs à l’encontre des deux premières mesures disciplinaires. Mme Palley a déclaré n’avoir trouvé aucun renseignement médical ni renseignement sur les mesures d’adaptation requises dans le dossier. Elle a ajouté qu’il avait été décidé d’attendre les résultats de l’évaluation de l’aptitude au travail de Santé Canada avant de déterminer s’il fallait examiner la question des mesures d’adaptation.

[79] Le 6 octobre 2010, le Dr Errol Vernon de Santé Canada a écrit ce qui suit à l’employeur : [traduction] « Il m’est actuellement impossible de remplir le rapport d’évaluation de l’aptitude au travail, car j’attends toujours d’autres documents médicaux. »

[80] Le 20 octobre 2010, le fonctionnaire a reçu une liste des attentes que l’on avait à son égard. Selon le fonctionnaire, bon nombre des lacunes décrites par l’employeur par rapport aux comportements souhaitables étaient directement attribuables à la dégradation de son état de santé mentale et étaient indépendantes de sa volonté. Il a déclaré avoir eu une vive réaction négative lorsqu’on lui a présenté cette liste et qu’il a de nouveau eu des idées suicidaires. Il a demandé l’aide d’un professionnel, mais l’a fait discrètement, car il ne voulait pas que quelqu’un à Vegreville le sache.

[81] Le 27 octobre 2010, Mme Casper a envoyé à Mme Harle et à d’autres personnes, au nom du fonctionnaire, un document intitulé [traduction] « La dépression sur le lieu de travail – Les causes de l’état dépressif et de la dépression », afin de tenter d’expliquer les causes sous-jacentes des comportements mentionnés dans la liste des attentes.

[82] Lors de son témoignage, Mme Humeniuk a déclaré que le fonctionnaire avait déposé une plainte de harcèlement contre elle en novembre 2010. Elle ne savait pas ce qu’elle avait fait pour mériter cette plainte et elle a témoigné que le jour où elle en a été informée avait été le pire jour de sa vie. Elle a également déclaré que l’affaire n’a jamais été résolue. En décembre 2016, elle a finalement été informée que la plainte avait été [traduction] « abandonnée » parce qu’il avait fallu trop de temps pour résoudre l’affaire.

[83] Lors d’une réunion du personnel tenue le 8 décembre 2010, Mme Palley, alors directrice des opérations, a soulevé la question d’un dîner de Noël organisé pour le personnel, en précisant que les employés auraient une heure pour y participer. Durant son témoignage, elle a cité des notes qu’elle avait prises immédiatement après cette rencontre, au cours de laquelle le fonctionnaire avait notamment fait les commentaires suivants :

[Traduction]

 

[…]

« [...] Ce dîner pour le personnel est une plaisanterie. Le fait de n’avoir qu’une heure est une véritable insulte. Je n’assisterai pas à ce dîner en signe de protestation et vous verrez que bien d’autres personnes du bureau feront de même. D’autres bureaux accordent beaucoup plus de temps que nous. »

[…]

 

[84] Mme Harle, qui était présente à la réunion, a noté que le fonctionnaire s’était également plaint des [traduction] « pleurnichards » au sein de son équipe.

[85] Ces observations ont été portées à l’attention du fonctionnaire, lors d’une réunion de recherche des faits tenue le 13 décembre 2010. Il n’a pas nié avoir fait ces commentaires, mais il a reconnu que son comportement était inapproprié et il s’est excusé des propos qu’il avait tenus lors de cette réunion.

[86] Dans une lettre de suspension datée du 20 décembre 2010, Mme Palley a énuméré les facteurs dont elle avait tenu compte :

· la gravité de l’inconduite;

· les antécédents professionnels du fonctionnaire;

· son dossier disciplinaire;

· ses excuses;

· d’autres facteurs (non précisés).

 

[87] Le fonctionnaire a été suspendu pour une période de dix jours. Il a déposé un grief le même jour.

[88] Le fonctionnaire a continué d’obtenir de l’aide professionnelle et il a consulté le Dr Nur Parker, à la Cape Medi-Clinic de Vegreville, le 17 décembre 2010. Le Dr Parker a envoyé la lettre suivante datée du 6 janvier 2011 :

[Traduction]

 

[…]

La présente lettre est rédigée en réponse à la lettre ci-jointe [non produite en preuve] et répond, dans l’ordre, à chacune des questions posées :

1. Oui, le fonctionnaire a un problème de santé qui a une incidence sur son travail.

2. Il s’agit d’un trouble dépressif majeur.

3. Aucun autre diagnostic médical n’a d’incidence pour l’instant sur son travail.

4. Non, il n’est pas apte à exercer des fonctions sans restriction.

5. Oui, il sera en mesure d’exercer ses fonctions moyennant la mise en place de certaines restrictions ou limitations relatives au travail.

6. et 7.

Restrictions sous la forme d’une limitation de tout facteur de stress ou facteur aggravant susceptible de causer à Terry une anxiété ou un stress excessifs. Il faudrait éviter les facteurs tels que des collègues insistants ou tenter d’éviter les situations dans lesquelles Terry serait soumis à un stress. Il faudrait également examiner des moyens d’adapter ses heures de travail. En raison de l’état hautement dépressif de ce patient, je crois que celui-ci devrait tout au moins être affecté à un service ou un domaine où il sera exposé à un minimum de « stress » et d’anxiété.

[…]

 

[89] Le Dr Parker a également autorisé l’absence du fonctionnaire pour raisons médicales du 21 décembre 2010 au 21 janvier 2011.

[90] Aucun des témoins de l’employeur n’a interrogé le Dr Parker. Mme Dubuc et Mme Palley ont toutes les deux déclaré avoir préféré attendre les résultats de l’évaluation de l’aptitude au travail de Santé Canada.

[91] Mme Palley n’a pas réévalué la plus récente mesure disciplinaire à la lumière de la note du 17 décembre 2010 du Dr Parker.

[92] Finalement, le fonctionnaire n’est jamais retourné travailler au CTD de Vegreville. Le Dr Parker et par la suite les Drs Satar et Rona Ribeiro ont chacun autorisé une série d’absences successives d’un mois, de janvier 2011 au 1er mars 2012.

B. Argumentation et décisions

[93] Les parties ont invoqué plusieurs cas pour étayer leur position respective. J’ai lu et examiné avec soin chacun de ces cas. Je ne ferai toutefois pas référence à chacun d’entre eux dans la présente décision, car il y a beaucoup de répétitions et certains sont plus directement liés que d’autres au présent cas.

[94] Le fonctionnaire a admis que chaque incident avait un caractère disciplinaire et il n’a pas contesté le fait que certaines des mesures disciplinaires étaient justifiées. Il estime toutefois que, dans chacun des trois incidents, les mesures étaient excessives et disproportionnées par rapport à l’inconduite en cause. L’employeur, pour sa part, affirme que les mesures disciplinaires étaient raisonnables dans chaque cas et qu’elles ne devraient pas être remises en cause.

[95] Wm. Scott & Company Ltd. v. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P-162, [1976] C.L.R.B.R. no 98 (QL) (« Scott »), a été invoquée dans Touchette c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2019 CRTESPF 72, et Parent c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2019 CRTESPF 125. Dans l’examen de griefs à l’encontre de mesures disciplinaires, le rôle de l’arbitre de grief n’est pas d’évaluer le caractère raisonnable de la décision de l’employeur. L’arbitre de grief doit tenir une nouvelle audience. Son rôle consiste à évaluer les critères énoncés dans Scott, qui sont les suivants :

1) Existait-il un fondement factuel permettant d’imposer une mesure disciplinaire?

2) Si oui, la mesure disciplinaire imposée était-elle excessive?

3) Si oui, quelle aurait dû être la mesure appropriée?

 

[96] Ce n’est que s’il est établi qu’il existait au départ un fondement factuel permettant d’imposer une mesure disciplinaire que l’on peut ensuite se pencher sur le caractère approprié de la mesure disciplinaire imposée. Les deuxième et troisième critères énoncés dans Scott font ressortir l’importance de bien évaluer les facteurs aggravants et atténuants qui entrent en jeu.

1. Le premier incident disciplinaire
a. L’argumentation du fonctionnaire concernant le premier incident disciplinaire

[97] Le fonctionnaire a reconnu qu’il n’avait pas eu une bonne idée de créer les affiches montrant un compte à rebours sur le lieu de travail, mais il a affirmé avoir délibérément gardé ces affiches à l’abri des regards. Les affiches n’étaient à la vue de personne. Il a dit ignorer qui a pu informer Mme Dubuc de leur existence et qui a pu les révéler. Les affiches étaient sarcastiques, mais non malveillantes, et son intention n’a jamais été de causer du tort à autrui.

[98] Durant son témoignage, Mme Dubuc a déclaré qu’il n’existait, à son avis, aucun facteur atténuant autre que le dossier disciplinaire vierge du fonctionnaire en 19 ans de carrière.

[99] Le dossier disciplinaire mentionne [traduction] « [...] une attitude marquée par la défiance, l’absence de coopération et l’absence de remords », bien que le fonctionnaire ait reconnu les raisons pour lesquelles il avait créé ces affiches lors de la réunion de recherche des faits. Certes, il ne les a pas reconnues tout de suite, mais il estime qu’il serait trop sévère de dire que son attitude était marquée par la défiance, l’absence de coopération et l’absence de remords.

[100] Le fonctionnaire a invoqué plusieurs circonstances atténuantes qui n’ont pas été prises en compte, la plus importante étant le caractère discriminatoire de la mesure disciplinaire. Son état de santé n’a pas du tout été pris en compte. Puisque Mme Holmstrom était présente lors des réunions tenues en janvier 2008 pour discuter de son retour au travail et que la lettre du 4 février 2008 du Dr Wilson lui était adressée, elle avait entre les mains d’importants renseignements médicaux qui étaient révélateurs de l’état d’esprit du fonctionnaire lorsque les affiches ont été mises au jour. Ces renseignements médicaux avaient également été communiqués à Mme Holden, de la Direction générale de la rémunération de CIC. Cependant, il semble que ni Mme Holden ni Mme Holmstrom n’aient consigné ces importants renseignements médicaux dans le dossier d’employé du fonctionnaire ou qu’elles les aient communiqués à quiconque était en position d’établir si des mesures disciplinaires étaient justifiées. Le fonctionnaire a fait valoir qu’on peut difficilement lui imputer la faute de cette inaction de l’employeur.

[101] L’environnement de travail était un autre facteur atténuant très important qui, selon le fonctionnaire, a été complètement écarté. Les cibles de son sarcasme n’ont pas été choisies au hasard. Les affiches servaient à marquer les jours avant le départ de deux personnes avec lesquelles il était en mauvais termes. Il avait été impliqué dans une dispute acerbe avec Mme Neufeld, incident dont la direction était parfaitement au courant. Aussi, son animosité envers Mme Holmstrom tenait au fait que cette dernière n’avait rien fait, selon lui, pour régler ce conflit.

[102] Le fonctionnaire a présenté des cas dans lesquels la suspension a été considérée comme une mesure disciplinaire appropriée pour des fautes commises en milieu de travail. Les suspensions dans Touchette et Parent, de même que dans Trillium Health Partners v. Ontario Nurses’ Association (2017), 274 L.A.C. (4th) 143, ont été imposées à la suite d’accès de colère verbale en milieu de travail (dans le dernier cas, il s’agissait de remarques homophobes offensantes) que d’autres personnes avaient pu entendre. Dans le présent cas, toutefois, le fonctionnaire n’a jamais eu l’intention de rendre ses affiches publiques. Ses actions ne justifiaient pas une suspension. La mesure disciplinaire appropriée aurait été une lettre de réprimande.

b. L’argumentation de l’employeur concernant le premier incident disciplinaire

[103] L’employeur a fait valoir que le fonctionnaire était bien au fait de ce qui constitue une conduite appropriée et une conduite non appropriée au travail, puisqu’il avait reçu une formation sur la question à différentes occasions. Il savait que ce qu’il avait fait était mal, parce qu’il a d’abord menti sur la nature des affiches. Il ne s’est jamais excusé de les avoir exposées.

[104] L’employeur a souligné que le fonctionnaire n’avait invoqué aucune circonstance atténuante. Par conséquent, aucune n’a été mentionnée dans la lettre disciplinaire. Mme Dubuc a déclaré avoir tenu compte du dossier disciplinaire vierge du fonctionnaire comme circonstance atténuante.

[105] Le caractère répétitif de l’action consistant à marquer, jour après jour, le compte à rebours avant le départ de Mme Holmstrom et de Mme Neufeld constitue un facteur aggravant dont il faut tenir compte. Les actions du fonctionnaire ne peuvent pas être considérées comme un cas isolé de manque de jugement. Pendant des mois, le fonctionnaire a marqué les affiches, jour après jour.

[106] Dans Bahniuk c. Agence du revenu du Canada, 2012 CRTFP 107, une suspension de trois jours avait été imposée pour conduite irrespectueuse, mais le fonctionnaire dans cette affaire s’était excusé, ce que le fonctionnaire dans le présent cas n’a pas fait.

[107] L’employeur a affirmé qu’il ne peut pas être tenu responsable de renseignements qui ne lui ont pas été communiqués, invoquant à l’appui Boivin c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada, 2017 CRTEFP 8. Mme Dubuc a déclaré qu’elle n’était pas au courant de l’état de santé du fonctionnaire et que ce dernier ne lui avait présenté aucune demande de mesures d’adaptation.

[108] L’employeur a soutenu que le degré de sévérité de la mesure disciplinaire imposée était raisonnable dans les circonstances. La suspension de cinq jours ne devrait pas être modifiée et le grief devrait être rejeté.

c. Décision et motifs relatifs au premier incident disciplinaire

[109] J’accepte les critères définis dans Scott comme fondement de la présente analyse. La première étape consiste donc à déterminer s’il existait un fondement factuel permettant d’imposer une mesure disciplinaire. Le fonctionnaire a reconnu sa faute, mais il a insisté sur le fait que la mesure disciplinaire était disproportionnée. Bien que j’accepte son aveu, je ne suis pas d’accord pour dire que ses actions justifiaient l’imposition d’une mesure disciplinaire de la part de l’employeur. Le contexte dans lequel les affiches ont été créées et le fait que le fonctionnaire les ait cachées sont des facteurs pertinents.

[110] Il ne fait aucun doute que le fonctionnaire a créé ces affiches et qu’il les a marquées, jour après jour. Je ne souscris toutefois pas aux propos de l’employeur lorsqu’il dit que le fonctionnaire les a [traduction] « affichées » ou [traduction] « exposées » dans son bureau. Les arguments de l’employeur sont cohérents, en ce qu’il a simplement présumé que le fonctionnaire avait exposé les affiches. Cependant, aucun élément de preuve n’indique qu’il l’a fait.

[111] Les éléments de preuve du fonctionnaire sont quant à eux sans équivoque : il a créé les affiches pour son plaisir personnel. Lors de son témoignage, il a insisté sur le fait qu’il ne les avait jamais exposées. Il les conservait à l’abri des regards. Je crois le fonctionnaire sur ce point important. Je crois également Mme Dubuc lorsqu’elle dit que, dès qu’elle a été informée de l’existence des affiches, elle s’est rendue au bureau du fonctionnaire et les a vues. Cependant, il ne s’ensuit pas automatiquement que le fonctionnaire les avait exposées à la vue de tous. Manifestement, quelqu’un l’a fait, mais rien ne prouve qu’il s’agisse du fonctionnaire.

[112] L’absence manifeste de mépris ou de manque de respect distingue le présent cas de tous ceux qui ont été invoqués par le fonctionnaire et par l’employeur. De fait, dans chacun des cas où il y a eu suspension, il y avait eu manifestation ouverte, parfois publique, de mépris ou de manque de respect, avec parfois des propos ou gestes obscènes, ou les deux. Dans un de ces cas, il y avait eu des propos injurieux homophobes. Aucun propos injurieux de la sorte n’a été tenu dans le présent cas.

[113] Il ne va pas de soi que le fonctionnaire ait exposé les affiches. Le fonctionnaire marquait l’une de ces affiches depuis huit mois. S’il l’avait exposée ouvertement, il aurait été rappelé à l’ordre beaucoup plus tôt. Je crois le fonctionnaire lorsqu’il dit qu’il a délibérément caché ces affiches faites pour son propre amusement, et qu’il n’a jamais voulu que quelqu’un d’autre les voit.

[114] Le fonctionnaire a été puni pour ses pensées désobligeantes. Le seul moment où ces pensées se sont transformées en actions, c’est lorsqu’il a pris quelques secondes chaque jour pour rayer les jours sur les affiches. Il est clair que cette activité n’était pas liée au travail, mais elle ne met pas en cause le degré de turpitude morale justifiant l’imposition d’une mesure disciplinaire.

[115] Comme le premier volet du critère Scott n’est pas rempli, il n’y a pas lieu de poursuivre l’analyse plus loin. Toute mesure disciplinaire imposée était injustifiée.

[116] Le premier grief, qui porte le numéro de dossier de la Commission 566-02-4291, est accueilli. En guise de réparation, les sommes qui ont été retirées au fonctionnaire, aux termes de sa suspension sans solde de cinq jours doivent lui être remboursées, moins les retenues applicables.

[117] Comme le grief porte sur une suspension sans solde, l’alinéa 226(2)c) de la LRTSPF m’autorise à accorder des intérêts sur les sommes dues au fonctionnaire. Lorsque les retenues applicables auront été calculées sur les cinq jours de salaire payables au fonctionnaire, des intérêts cumulatifs calculés au taux de la Banque du Canada seront appliqués. Les intérêts sont exigibles à partir de la date à laquelle la mesure disciplinaire a été imposée, soit le 17 août 2009, jusqu’à la date à laquelle l’employeur versera l’indemnité. Comme la suspension a été imposée à Vegreville, le règlement provincial qui s’applique est le Judgment Interest Regulation, Alberta Regulation 215/2011, à jour en septembre 2022. Le paragraphe qui suit indique les taux d’intérêt qui doivent s’appliquer selon ce règlement.

[118] Du mois d’août jusqu’à la fin de l’année civile 2009 : 2,75 % par an. Les taux d’intérêt pour les années en cause sont les suivants :

2010 : 0,825 %

2011 : 1,85 %

2012 : 1,2 %

2013 : 1,4 %

2014 : 1,10 %

2015 : 1,05 %

2016 : 0,55 %

2017 : 0,53 %

2018 : 0,87 %

2019 : 2,2 %

2020 : 1,5 %

2021 : 0,2 %

2022 : 0,2 %

 

[119] En ce qui concerne maintenant le caractère discriminatoire de la mesure disciplinaire, j’examinerai si le fonctionnaire a établi une preuve à première vue de discrimination, en répondant aux trois questions suivantes :

i) Le fonctionnaire a-t-il établi l’existence d’une invalidité?

ii) Les actions de l’employeur lui ont-elles causé un préjudice?

iii) Existe-t-il un lien entre son invalidité et cet effet préjudiciable?

 

[120] Premièrement, je conclus que les éléments de preuve démontrent clairement que le fonctionnaire avait une invalidité et que l’employeur le savait. Je trouve surprenant que Mme Holmstrom n’ait pas été appelée à témoigner, apparemment parce qu’elle n’avait rien à voir avec le premier incident disciplinaire et qu’elle n’était pas présente lors des deuxième et troisième incidents.

[121] J’estime, au contraire, que Mme Holmstrom a joué un rôle important. Les témoignages crédibles du fonctionnaire et de Mme Casper, ainsi que les notes corroborantes prises par Mme Casper à la réunion du 21 janvier 2008, montrent que Mme Holmstrom et Mme Holden étaient toutes les deux en possession d’importants renseignements médicaux concernant le grave problème de santé du fonctionnaire.

[122] Mme Holden savait que le fonctionnaire avait reçu des prestations d’invalidité de longue durée lorsqu’il avait été hospitalisé dans un hôpital de Camrose pour un trouble mental. Elle était la personne-ressource de l’employeur pour le versement de ces prestations.

[123] Les circonstances de l’hospitalisation du fonctionnaire à l’hôpital de Camrose et la lettre du Dr Wilson montrent clairement qu’il présentait une invalidité et qu’il avait besoin de mesures d’adaptation au travail. La seule mesure d’adaptation mentionnée par le Dr Wilson était un retour au travail ailleurs qu’à Vegreville, ce dont l’employeur n’a pas tenu compte.

[124] Les témoignages non contestés des Casper indiquent clairement que Mme Holmstrom et Mme Holden étaient toutes les deux au fait de la gravité de l’invalidité du fonctionnaire. Mme Casper a même pris note d’une observation de Mme Holmstrom qui a déclaré qu’elle connaissait bien le problème de santé du fonctionnaire, car elle avait été infirmière autorisée. Aucune objection n’a été soulevée à l’audience au sujet des notes prises par Mme Casper à ce sujet. Il s’agit clairement d’une déclaration extrajudiciaire produite pour établir la véracité de son contenu. Une déclaration contre intérêt constitue toutefois une claire exception à la règle du ouï-dire.

[125] Il est clair que cette déclaration allait à l’encontre des intérêts de l’employeur. Mme Holmstrom avait l’obligation de protéger les renseignements médicaux qui lui avaient été communiqués au sujet du fonctionnaire et de traiter ces renseignements comme il se doit. Elle n’a fait ni l’un ni l’autre. Alors que le Dr Wilson lui avait clairement demandé de ne pas retourner le fonctionnaire au CTD de Vegreville, elle a fait exactement le contraire. La lettre du 4 février 2008, que le Dr Wilson a adressée à Mme Holmstrom, n’a jamais été versée au dossier d’employé du fonctionnaire. Il semble par ailleurs que ni Mme Holden ni Mme Holmstrom n’aient communiqué quelque renseignement médical important concernant le fonctionnaire, que ce soit à Mme Dubuc, Mme Harle, Mme Palley ou, semble-t-il, à qui que ce soit d’autre.

[126] Deuxièmement, le défaut de l’employeur de tenir compte de l’état de santé du fonctionnaire a eu sur ce dernier des effets préjudiciables évidents. Dans un premier temps, le fonctionnaire n’aurait jamais dû retourner au CTD de Vegreville, parce que ce milieu de travail exacerbait ses problèmes de santé, en partie à cause des très fortes tensions qui régnaient au travail, qui l’ont rendu suicidaire et ont mené à son hospitalisation à Camrose. Le fonctionnaire n’a toutefois pas déposé de grief contre la décision de le réintégrer à Vegreville. Comme nous le verrons, son défaut de déposer un grief a d’importantes incidences pour ce qui est de déterminer la mesure de réparation appropriée.

[127] L’état de santé du fonctionnaire n’a pas été pris en compte lorsqu’il a été décidé de lui imposer une mesure disciplinaire. Or, vu la nature de cet état, la décision d’imposer une suspension importante était malheureuse.

[128] Bien que Mme Dubuc ait déclaré qu’elle ne savait pas que le fonctionnaire avait un problème de santé particulier, elle avait certainement des raisons de soupçonner que quelque chose n’allait pas chez lui. Il était en train d’épuiser ses congés de maladie. Sa négativité et son attitude devenaient insoutenables.

[129] Mme Dubuc a conservé les notes de sa conversation avec Mme Harle le 13 janvier 2009, soit huit mois environ avant le premier incident disciplinaire. Ses notes soulignaient ceci : [traduction] « Donna m’a dit que Terry n’est pas impoli, mais pas amical – il ne lui parle pas et ne la regarde pas dans les yeux », qu’il [traduction] « intervient rarement lors des réunions d’équipe, baisse les yeux », et un nouveau collègue a déclaré qu’il [traduction] « s’adresse rarement à lui parce qu’il est trop grincheux ».

[130] Lors de son témoignage, le fonctionnaire a longuement parlé de l’impact émotionnel de sa mesure disciplinaire. Il avait déjà de la difficulté à gérer les conflits au travail, et la suspension de cinq jours n’a fait qu’aggraver la situation. Il a déclaré s’être senti humilié à la suite de la mesure disciplinaire et que celle-ci lui avait causé un préjudice moral et avait miné son estime de soi.

[131] Ainsi, à la lumière du témoignage du fonctionnaire, je conclus que la mesure disciplinaire a manifestement causé des effets préjudiciables à celui-ci, tant sur le plan financier que sur le plan psychologique.

[132] La troisième étape de l’analyse sur la discrimination m’apparaît plus problématique. Il s’agit de déterminer si les effets préjudiciables sont directement liés à l’état de santé du fonctionnaire.

[133] Il aurait été idéal d’avoir le témoignage d’un médecin établissant un lien direct entre les effets préjudiciables et un problème de santé diagnostiqué. En l’absence d’un tel témoignage, je ne peux qu’extrapoler. Le fonctionnaire a témoigné au sujet de son état de santé, mais il n’est pas médecin. Comme Mme Holmstrom n’a pas témoigné, je ne peux que faire des conjectures sur ce qu’elle savait de l’état de santé du fonctionnaire et du fait que cet état pouvait se manifester par des comportements subversifs sur le lieu de travail. Avant que le fonctionnaire attire l’attention sur son état de santé dans son grief déposé à l’encontre de la mesure disciplinaire, il était impossible d’établir objectivement un lien entre l’état de santé du fonctionnaire et les effets préjudiciables de la mesure disciplinaire (à ce moment précis).

[134] Bien sûr, tout cela a changé lorsque les superviseurs du fonctionnaire ont pris conscience de la nécessité d’examiner plus à fond l’état de santé du fonctionnaire.

[135] Par conséquent, le grief de discrimination, dans le dossier de la Commission portant le numéro 566-02-4293, est rejeté. Le fonctionnaire n’a pas su établir une preuve à première vue de discrimination dans ce grief particulier.

2. Mesure disciplinaire imposée le 25 janvier 2010
a. L’argumentation du fonctionnaire concernant l’incident disciplinaire du 25 janvier 2010

[136] Le fonctionnaire a reconnu avoir manqué de respect envers Mme Humeniuk et que cela justifiait une réponse disciplinaire, mais il estime que la suspension de sept jours était exagérément sévère.

[137] Bien que les opinions du fonctionnaire et de Mme Humeniuk divergent quant à ce qui a été dit et au ton qui a été employé, il n’existe aucune donnée précise nous permettant de savoir sur quoi s’est fondé l’employeur pour tirer ses conclusions de fait ou comment il a concilié les éléments de preuve contradictoires. La lettre disciplinaire ne fait qu’énoncer la conclusion et justifie la mesure sur la base de mesures disciplinaires progressives.

[138] Le fonctionnaire a fait valoir que Touchette souligne l’importance de fournir suffisamment de détails. Il y est indiqué ce qui suit aux paragraphes 70, 72 et 73 :

[70] Les décideurs, pour ce qui est des affaires concernant des mesures disciplinaires professionnelles portant sur un langage insultant, coloré ou grossier, ont malheureusement tendance à rester évasifs sur les mots qui ont réellement été employés. Ce n’est pas utile. La personne visée par une mesure disciplinaire doit pouvoir connaître la nature précise de sa transgression. C’est la seule manière d’examiner la question de savoir si la sanction imposée était équitable, juste, convenable ou raisonnable. En l’espèce, la lettre ne précise pas ce pour quoi le fonctionnaire est sanctionné.

[…]

[72] Les conclusions de la procédure de recherche des faits doivent être clairement indiquées pour donner un avis clair de la nature de l’inconduite en question.

[73] La formulation des facteurs aggravants et atténuants est tout aussi vague. La gamme de sanctions que pouvait imposer M. Hewson était très large, allant d’une réprimande verbale à une suspension de cinq jours. Celle qu’il imposera à partir de cet éventail dépend entièrement du poids à accorder aux facteurs aggravants et atténuants, il s’agit donc d’une partie très importante de l’analyse. Cette gamme est également essentielle à la deuxième étape de l’analyse Scott, parce que les facteurs aggravants et atténuants pris en compte détermineront si la mesure disciplinaire imposée était excessive ou non.

 

[139] Mme Dubuc a déclaré qu’elle n’avait tenu compte d’aucun facteur atténuant. La lettre mentionne la suspension antérieure de cinq jours pour une faute comparable comme étant un facteur aggravant, et Mme Dubuc a aussi mentionné d’autres facteurs aggravants durant son témoignage, notamment l’absence de remords et le défaut de présenter des excuses.

[140] Le fonctionnaire a fait valoir que plusieurs facteurs atténuants auraient dû être pris en compte. D’abord et avant tout, il convient de mentionner les turbulences constantes auxquelles il a été exposé au travail dès qu’il a repris le travail au bureau de Vegreville. Il était difficile pour lui de rester calme dans un tel environnement, et c’est ce qui explique sa réaction excessive à la demande d’aide de Mme Humeniuk.

[141] Ses actions étaient spontanées. Il n’a pas été violent et il n’a pas proféré de jurons ni tenu de propos choquants. Il a été brusque et impoli. Rien n’indique qu’il a menti sur ses actions, et son récit des faits diffère simplement de celui de Mme Humeniuk. Il a affirmé que ses actions ne justifiaient pas une suspension de sept jours. Une suspension d’au plus un à trois jours aurait été suffisante pour sanctionner son comportement.

[142] En toile de fond de cet incident disciplinaire figure le problème de santé persistant du fonctionnaire. Selon le fonctionnaire, son utilisation des congés de maladie et les tensions sur le lieu de travail auraient dû être suffisantes pour amener l’employeur à mieux se renseigner sur son état de santé. Cependant, aucune enquête n’a été lancée avant juin 2010, lorsqu’une évaluation de l’aptitude au travail a été demandée.

[143] Le cadre d’analyse de la discrimination s’applique également à ce deuxième incident disciplinaire, a soutenu le fonctionnaire. Il ne suffit pas pour l’employeur de dire que les superviseurs n’étaient pas au courant d’un problème de santé qui nécessitait des mesures d’adaptation. Selon lui, la question est de savoir si l’employeur savait, ou aurait dû savoir, qu’il avait une invalidité susceptible d’influer sur son comportement.

[144] Selon le fonctionnaire, vu l’existence de plusieurs [traduction] « signaux d’alarme » sur le lieu de travail, le présent cas s’apparente à Mellon c. Canada (Développement des Ressources humaines), 2006 TCDP 3, aux paragraphes 97 et 98, où il est expliqué ce qui suit :

97 Tous les évènements décrits ci-dessus auraient dû susciter des soupçons. Je conclus, compte tenu de tous ces évènements que l’intimé savait, ou aurait dû savoir que la plaignante souffrait d’anxiété occasionnée par du stress lié au travail. Le fait qu’elle ne l’ait pas dit expressément à l’intimé ne lui fait pas perdre la protection de la Loi (voir Mager c. Louisiana-Pacific Canada Ltd., [1998] B.C.H.R.T.D. no 36). Pour sa part, si l’intimé croyait que le stress occasionné par le travail ne constitue pas une déficience, il aurait dû soumettre la plaignante à une évaluation professionnelle.

98 Il ne suffit pas pour l’intimé d’affirmer qu’il n’a pas été informé ou qu’il n’était pas au courant de l’état de santé de la plaignante. Certes, compte tenu de la preuve présentée, il est manifeste qu’il devait savoir qu’elle se trouvait dans ce qui pourrait être décrit comme étant un état émotionnel fragile. Sachant ce qu’il savait, il appartenait à l’employeur d’établir si l’état de santé de la plaignante avait une incidence sur son rendement. Il lui incombait à tout le moins de se demander si l’état de santé de la plaignante pourrait avoir une incidence sur sa décision de congédier la plaignante.

 

[145] Le fonctionnaire a fait valoir que les tensions avec ses collègues au travail étaient une manifestation de son trouble dépressif majeur, un problème de santé qui était connu de l’employeur depuis la tenue des discussions sur son retour au travail en janvier 2008 et la lettre du Dr Wilson du 4 février 2008. Son invalidité était donc un facteur évident dans la mesure disciplinaire qui lui a été imposée, et on ne peut lui reprocher le fait que Mme Holmstrom et Mme Holden n’aient communiqué à personne ces importants renseignements médicaux le concernant. La Commission des droits de la personne de l’Alberta a déclaré ce qui suit dans Warren v. West Canadian Industries Group Limited, 2007, CSHG para 95,527, aux paragraphes 174 à 176 :

[Traduction]


174 La Commission est d’avis que les problèmes de comportement et les absences pour cause de maladie observés après la présentation du certificat médical auraient dû déclencher un suivi auprès du Dr Badenhorst et de M. Warren au sujet du trouble mental. Cependant, aucune action de ce genre n’a été prise
[…]

175 Mme Lewis n’a informé personne que M. Warren avait reçu un diagnostic de trouble mental, pas même Mme Mugford qui a déclaré avoir « autorisé » le licenciement de M. Warren.

176 La Commission est d’avis que le trouble mental de M. Warren a joué dans son licenciement. Le problème d’attitude de M. Warren et son incapacité à s’entendre avec ses collègues ont été les motifs invoqués par West Canadian pour justifier son licenciement. Or il s’agit de symptômes du trouble mental de M. Warren.

 

[146] Dans cette même décision, le défaut de l’employeur de communiquer les renseignements est examiné plus en détail aux paragraphes 190 à 192 :

[Traduction]

190 Cependant, lorsque M. Warren a révélé son trouble mental en présentant le certificat médical du Dr Badenhorst, ni West Canadian ni sa représentante, Mme Lewis, n’en ont pris acte. De fait, aucun élément de preuve n’indique que Mme Lewis a transmis ces renseignements à qui que ce soit au sein de l’entreprise ou qu’elle a cherché des solutions.

191 La Commission estime que l’initiative de M. Warren de révéler sa maladie était une demande de mesures d’adaptation. Des solutions auraient pu être trouvées si la défenderesse s’était sérieusement renseignée sur les mesures d’adaptation possibles.

192 Bien que la recherche d’une mesure d’adaptation s’inscrive dans une démarche multipartite, il n’incombe pas à M. Warren de trouver une solution après avoir révélé sa maladie. La défenderesse n’a fait aucun effort sérieux pour trouver des mesures d’adaptation pour M. Warren après qu’il a révélé sa maladie. Par conséquent, la Commission estime que la défenderesse n’a pas pris de mesures d’adaptation à l’égard de l’invalidité de M. Warren au point que cela constitue une contrainte excessive.

 

[147] Selon le fonctionnaire, Sears v. Honda of Canada Mfg., a division of Honda Canada Inc., 2014 HRTO 45 (« Honda »), renforce l’obligation de l’employeur de mener une enquête. Il est énoncé ce qui suit aux paragraphes 114 et 115 de cette décision :

[Traduction]


[114] La preuve montre que le demandeur n’a pas présenté de demande officielle de mesures d’adaptation. Cependant, selon l’obligation procédurale d’adaptation, l’employeur ne peut attendre passivement qu’un employé demande une mesure d’adaptation s’il a connaissance de faits qui donnent à penser que l’employé pourrait avoir des difficultés causées par une invalidité. L’employeur a l’obligation de prendre l’initiative et de s’informer dans ces circonstances.

[115] Différentes décisions du tribunal, et d’autres tribunaux appliquant des lois sur les droits de la personne, ont examiné la question de savoir à quel moment il peut être établi que le défendeur a une connaissance suffisante de l’invalidité du demandeur pour que ses responsabilités aux termes des lois sur les droits de la personne soient engagées. La plupart de ces décisions ont été rendues dans un contexte où il s’agissait de déterminer à quel moment entre en jeu l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation. La plupart des décisions montrent que le demandeur n’est pas tenu à une norme de clarté élevée en termes de communication. Cette approche est conforme aux principes énoncés par la Cour suprême du Canada quant au besoin d’interpréter les lois sur les droits de la personne d’une manière généreuse et téléologique. Une responsabilité a été établie même dans des cas où l’employeur n’était pas au courant de l’invalidité [...]

 

[148] Honda va plus loin et fait valoir que l’employeur ne peut pas invoquer le fait que des gestionnaires ont omis de lui transmettre des renseignements pertinents pour prétendre ne pas avoir été informé de l’invalidité d’un employé. Il y est expliqué ce qui suit aux paragraphes 130, 139 et 149 :

[Traduction]

[130] Plusieurs personnes au sein de la société défenderesse étaient bien au fait des déficiences du demandeur. Mme Maxim-Redfern a déclaré qu’elle avait eu pleinement accès aux dossiers médicaux du demandeur, tout comme le médecin de l’entreprise. M. Moulding, du Service des ressources humaines, était au courant des déficiences visuelles du demandeur, y compris de son daltonisme, depuis au moins 2009. Durant son témoignage, M. Moulding a déclaré que, même si son travail consistait notamment à traiter les questions de rendement au travail et les mesures disciplinaires éventuelles, il ne croyait pas que cela englobait les mesures d’adaptation [...]

[…]

[139] […] Le système utilisé par la société défenderesse pour traiter les problèmes de santé des employés comporte également plusieurs silos d’information que les employés ne connaissent peut-être pas. Cela complique la charge qui incombe à l’employé et nuit aux chances d’obtenir une réponse adéquate de la société défenderesse [...]

[…]

[149] Pour présenter une demande de mesures d’adaptation pour cause d’invalidité, l’employé doit bien sûr être prêt à divulguer, à une personne en situation d’autorité, des renseignements sur la déficience en question. L’employé qui a déjà révélé ses déficiences à l’employeur ne sait peut-être pas qu’il devra le faire de nouveau. Dans le présent cas, le demandeur avait des raisons de croire, et de fait il croyait réellement, que son employeur était au courant des déficiences qui lui compliquaient la tâche au travail [...]

 

[149] Dans Warren, la Commission des droits de la personne de l’Alberta a invoqué cet extrait de Gibbs v. Battlefords & District Cooperative Ltd., 1996 CarswellSask 602, tiré du paragraphe 31 :

[Traduction]


[...] La maladie mentale est l’une des maladies les moins comprises et les moins acceptées. Elle suscite la crainte et des réactions stéréotypées chez les gens. Mais qui sont les personnes souffrant de maladie mentale? Il peut s’agir de personnes atteintes à des degrés divers, certaines présentant une maladie de courte durée causant une invalidité temporaire, et d’autres présentant une maladie à long terme nécessitant une aide et une attention constantes. Les déficiences psychiatriques peuvent avoir de nombreuses causes, qui sont parfois d’ordre physique, et parfois d’ordre psychologique ou social. Bon nombre de personnes éprouvent de la honte et de l’embarras face à leur maladie et sont, de ce fait, très réticentes à revendiquer leurs droits ou à protester lorsqu’elles ont été victimes d’une injustice [...]

 

[150] Le fonctionnaire a fait valoir qu’il ne devrait pas être tenu responsable du fait que son employeur a omis de communiquer des informations vitales sur son état de santé et sur les mesures d’adaptation recommandées par le Dr Wilson.

[151] Il a affirmé que l’employeur aurait dû se renseigner davantage sur son état de santé. Dans ses notes prises durant une rencontre avec Mme Harle (la superviseure du fonctionnaire) le 13 janvier 2009, Mme Dubuc a noté ce qui suit :

[Traduction]

 

[…]

Donna [Harle] a déclaré que Terry n’est pas impoli, mais pas amical – il ne lui parle pas et ne la regarde pas dans les yeux.

- Cela a commencé à peu près à l’époque de son dernier grief.

- Il intervient rarement lors des réunions d’équipe, baisse les yeux.

- Le nouveau PM-03 au sein de l’équipe [...] dit qu’il s’adresse rarement à lui parce qu’il est trop grincheux.

 

[152] Mme Dubuc a témoigné au sujet du solde négatif de congés de maladie du fonctionnaire. De quel autre signe indiquant un possible trouble médical l’employeur avait-il besoin, a demandé le fonctionnaire? Pourtant, aucune enquête n’a été faite. L’employeur s’est contenté d’attendre les résultats de l’évaluation de l’aptitude au travail de Santé Canada.

[153] Durant son témoignage, le fonctionnaire a clairement dit que la suspension de sept jours avait eu un effet préjudiciable et que cet effet était directement lié à son état de santé. Il se sentait déjà dévalorisé dans son travail, et la mesure disciplinaire n’a fait qu’exacerber son état mental déjà fragile. La suspension de sept jours l’a plongé dans une profonde dépression. Il a déclaré qu’il en avait discuté avec Mme Harle, qui l’avait dirigé vers le Programme d’aide aux employés (PAE). Il a également indiqué qu’il prenait à l’époque des médicaments que son médecin lui avait prescrit pour traiter sa dépression.

b. L’argumentation de l’employeur concernant l’incident disciplinaire du 25 janvier 2010

[154] L’employeur a attiré l’attention sur la description de poste du fonctionnaire. Un volet important du travail du fonctionnaire consistait à donner des conseils et à apporter une aide aux conseillers en prestation de services comme Mme Humeniuk. Le fonctionnaire avait reçu une formation sur les comportements appropriés et respectueux au travail. Il savait donc qu’il ne devait pas répondre à la demande d’aide de Mme Humeniuk comme il l’a fait.

[155] Les commentaires du fonctionnaire étaient délibérément blessants. Il a dit : [traduction] « Tu ne sais pas lire? » et [traduction] « Tu devrais aller en chercher, du renseignement ». Invité à commenter la déclaration de Mme Humeniuk, le fonctionnaire a déclaré à l’audience qu’il n’avait pas l’impression d’avoir été grossier, mais qu’il aurait peut-être pu formuler ses observations d’une manière plus polie.

[156] L’employeur a soutenu que la suspension de sept jours était conforme au principe des mesures disciplinaires positives progressives, étant donné la suspension récente de cinq jours qui avait été imposée au fonctionnaire pour un comportement similaire. Tanciu c. Conseil du Trésor (Anciens combattants Canada), dossier de la CRTFP 166-02-27712 (19970805), [1997] CRTFP n80 (QL), offre un exemple de l’application de mesures disciplinaires progressives pour tenter de corriger une faute de conduite au travail.

[157] L’employeur a pris acte de la plainte formulée par le fonctionnaire dans son grief déposé à l’encontre de la première mesure disciplinaire, plainte selon laquelle l’employeur n’avait pas tenu compte de l’état de santé du fonctionnaire, dont il était censé être au courant. Le grief a été signé le 1er septembre 2009.

[158] Mme Harle, qui était la superviseure du fonctionnaire à l’époque, lui a envoyé le courriel suivant le 10 septembre 2009 :

[Traduction]

 

[…]

Dans votre grief que nous avons reçu le 3 septembre 2009, vous dites que l’employeur n’a pris aucune mesure d’adaptation en réponse à votre état de santé. Cependant, votre dossier ne fait nullement mention de ce problème de santé, ni de quelque mesure d’adaptation dont vous auriez besoin.

Afin que nous puissions satisfaire à nos obligations aux termes de la politique relative à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation, je dois obtenir de votre médecin des renseignements sur vos limitations en milieu de travail afin que je puisse prendre les mesures qui s’imposent.

[…]

 

[159] Le fonctionnaire n’a pas fourni le billet médical demandé. L’employeur a prétendu que, puisqu’il n’était pas au courant des besoins du fonctionnaire en matière d’adaptation, il ne peut pas être tenu responsable du défaut d’avoir pris des mesures d’adaptation. Dans Canada (Procureur général) c. Gatien, 2016 CAF 3, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit aux paragraphes 47 et 48 :

[47] À cet égard, contrairement à ce que le juge de la Cour fédérale a conclu, l’arbitre disposait d’éléments de preuve lui permettant de conclure raisonnablement que l’employeur n’était pas au courant du problème de santé mentale de Mme Gatien lorsqu’il avait imposé une mesure disciplinaire. Le simple fait qu’elle ait fondu en larmes ou ait déclaré qu’elle était stressée était loin de prouver qu’elle souffrait d’un trouble psychiatrique reconnu. De même, le court billet de son médecin, qui faisait simplement état de facteurs récents de stress pour justifier un bref congé de maladie, était loin d’indiquer à l’employeur que Mme Gatien souffrait ou était susceptible de souffrir d’un état de stress post-traumatique.

[48] Comme l’appelant le souligne à juste titre, la jurisprudence reconnaît qu’on ne peut assimiler le stress à une invalidité : Halfacree c. Canada (Procureur général), 2014 CF 360, au paragraphe 37, conf. par 2015 CAF 98, au paragraphe 15; Riche c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2013 CRTFP 35, aux paragraphes 130 et 131; Crowley c. Liquor Control Board of Ontario, 2011 HRTO 1429, aux paragraphes 57 à 63. Ainsi, il existait un fondement rationnel à la conclusion de l’arbitre selon laquelle l’employeur ne disposait d’aucun renseignement médical au sujet du problème de Mme Gatien lorsqu’il avait décidé d’imposer une mesure disciplinaire. La Cour fédérale a donc commis une erreur en concluant que cette conclusion était déraisonnable.

 

[160] Le fonctionnaire avait l’obligation de collaborer. L’employeur a demandé un billet du médecin, et le fonctionnaire n’en a pas fourni. Leclair c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 97, énonce ce qui suit au paragraphe 125 :

[125] Tel qu’il a été mentionné dans Taticek et dans Kirby c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2015 CRTEFP 41, la CSC a indiqué, dans Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970 Renaud »), que les employés qui demande[nt] une mesure d’adaptation sont tenus de collaborer avec leur employeur en lui fournissant des renseignements quant à la nature et l’étendue de leur présumée invalidité qui permettront à l’employeur de déterminer les mesures d’adaptation nécessaires [...]

 

[161] L’employeur a soutenu que, si une preuve à première vue de discrimination est établie, l’obligation de faire une enquête plus poussée sur l’état de santé du fonctionnaire n’a pas été déclenchée. Williams v. Elty Publications Ltd., [1992] B.C.C.H.R.D. no 25 (QL), mentionne ce qui suit au paragraphe 85 :

[Traduction]


85 Je ne vois aucun élément de preuve permettant d’étayer la prétention de l’avocat de la plaignante selon laquelle le défendeur connaissait, ou aurait dû connaître, la déficience de la plaignante. Même si Mme Wilson savait que la plaignante était une alcoolique rétablie, j’accepte le témoignage selon lequel Mme Wilson ne savait pas que la plaignante craignait de retomber dans l’alcoolisme. De même, même si Mme Wilson savait que la plaignante était bouleversée par sa rupture amoureuse (ce qui est assez fréquent), rien ne permet de conclure que Mme Wilson (ou M. Collison) savait, ou aurait dû savoir, que la plaignante était à ce point bouleversée qu’elle présentait une déficience mentale (si tel était vraiment le cas). En tirant cette conclusion, j’ai accordé de la crédibilité au témoignage de Mme Wilson selon lequel la plaignante était connue pour sa tendance à « s’emporter », ainsi qu’aux éléments de preuve de M. Collison montrant que la plaignante était « irritable et ne s’entendait pas avec les autres ».

 

[162] L’employeur a affirmé que dans le présent cas, bien que le fonctionnaire avait pris un grand nombre de journées de maladie et qu’il avait été en conflit avec des collègues au travail, ces faits ne l’obligeaient pas à pousser plus loin l’examen des troubles de santé du fonctionnaire. Il a été libéré de son obligation lorsqu’il a demandé au fonctionnaire de lui fournir un billet du médecin et que celui-ci ne l’a pas fait. L’employeur était préoccupé par le comportement du fonctionnaire, puisque, le 30 juin 2010, il a demandé à Santé Canada d’évaluer l’aptitude au travail du fonctionnaire. Dans cette demande, l’employeur énumérait de manière précise les divers incidents au travail qui avaient donné lieu à des mesures disciplinaires.

c. Décision et motifs relatifs à l’incident disciplinaire du 25 janvier 2010

[163] La principale distinction pouvant être faite entre l’échange avec Mme Humeniuk et la création des affiches illustrant un compte à rebours tient au caractère non secret de l’échange. Le fonctionnaire a eu un échange en tête-à-tête avec une collègue au sujet d’une question liée au travail et il a reconnu avoir utilisé un langage offensant qui a blessé Mme Humeniuk. Une mesure disciplinaire est justifiée en pareilles circonstances.

[164] Le fonctionnaire a prétendu que l’employeur n’avait rien fait pour soupeser les différentes versions de l’événement. J’estime qu’il n’était nécessaire de le faire, car son récit ne différait pas vraiment de celui de Mme Humeniuk. Je n’ai donc pas à analyser la crédibilité des témoins, car je conclus que les témoignages des deux témoins concernant l’échange qui a eu lieu au bureau du fonctionnaire le 12 janvier 2010 étaient crédibles. Le fonctionnaire ne pouvait pas se rappeler textuellement les mots qu’il avait prononcés, mais il a reconnu qu’il avait été impoli et il s’en est excusé. Mme Humeniuk avait l’avantage d’avoir consigné sur le champ les commentaires du fonctionnaire dans des notes qu’elle a présentées à sa superviseure le lendemain, lorsqu’elle s’est plainte du comportement du fonctionnaire.

[165] La prise contemporaine de notes confère une importante garantie circonstancielle de fiabilité. Mme Humeniuk a pris des notes sur ce que le fonctionnaire lui avait dit, immédiatement après leur échange. Elle les a par la suite dactylographiées et présentées à sa superviseure, et y a joint une plainte au sujet du comportement du fonctionnaire. Durant son témoignage, elle a déclaré que le fonctionnaire avait tenu les propos suivants :

[Traduction]

 

· « Quel renseignement? Il n’y a pas de renseignement au gouvernement. »

· « Tu devrais aller en chercher, du renseignement. »

· « Je n’ai jamais vu pareille connerie. »

· « Eh bien, c’est écrit “prêt pour le droit d’établissement”. Tu ne sais pas lire? »

· Alors qu’elle s’éloignait, il a répété, « Tu ne sais pas lire? »

 

[166] Je conclus que le fonctionnaire a effectivement tenu ces propos à l’endroit de Mme Humeniuk lorsqu’elle l’a questionné sur la pratique et la procédure à suivre dans un dossier prêt pour l’obtention du droit d’établissement (il s’agit d’un terme technique décrivant l’état d’un dossier, et sa définition précise n’aurait aucune incidence sur le bien-fondé du grief).

[167] L’employeur a souligné, à juste titre, que les spécialistes de la prestation des services et les conseillers en prestation de services doivent discuter entre eux des dossiers. Conformément au Code de conduite de CIC, [traduction] « la politesse et la courtoisie sont de mise dans les échanges avec vos collègues, afin de garantir que CIC demeure un milieu de travail caractérisé par le respect ».

[168] Je conclus, conformément au premier volet du critère Scott, que la conduite du fonctionnaire justifiait une mesure disciplinaire. Son intention était peut-être d’exprimer simplement une opinion sur la nature ou la qualité de la collecte de renseignements opérationnels à propos desquels Mme Humeniuk demandait conseil, mais cela s’est transformé en une attaque personnelle lorsqu’il lui a dit [traduction] « Tu devrais aller en chercher, du renseignement ». Ces commentaires, si on y ajoute le commentaire « Tu ne sais pas lire? », étaient délibérément blessants et constituaient une attaque personnelle contre Mme Humeniuk. En utilisant ce langage injurieux, le fonctionnaire a franchi la ligne qui sépare le comportement respectueux et approprié du comportement irrespectueux et inapproprié.

[169] Par conséquent, à la lumière des éléments de preuve qui ont été présentés, je conclus que la mesure disciplinaire était justifiée. La dernière étape du cadre d’analyse Scott consiste à déterminer si la sévérité de la mesure disciplinaire était justifiée.

[170] Les arguments de l’employeur sur les mesures disciplinaires positives progressives ne tiennent pas la route. Comme la création d’affiches illustrant un compte à rebours ne justifiait pas l’imposition d’une mesure disciplinaire, cet échange disgracieux avec Mme Humeniuk doit être considéré comme un premier incident disciplinaire dans un dossier professionnel par ailleurs sans tache.

[171] Le seul facteur aggravant pertinent dont l’employeur a tenu compte pour imposer une suspension sans solde de sept jours était l’absence d’excuses. Dans une certaine mesure, je suis d’accord avec l’employeur sur ce point. Le fonctionnaire savait qu’il avait contrarié Mme Humeniuk. Il ne lui a présenté aucune excuse et, jusqu’à son témoignage à l’audience, il a fait preuve de peu d’introspection. À l’audience, il a reconnu les effets que cela avait pu avoir sur Mme Humeniuk et a admis qu’il aurait pu agir différemment. Dans sa réponse écrite du 19 janvier 2010, il n’a présenté aucune excuse et il a jeté le blâme sur Mme Humeniuk [traduction] « pour avoir dérangé un SPS alors qu’elle n’avait absolument aucune raison de le faire ».

[172] Je conclus que l’absence d’excuses constitue un facteur aggravant.

[173] L’employeur a complètement fait abstraction des circonstances atténuantes. Aucune n’a été mentionnée dans la lettre de suspension du 25 janvier 2010 et aucune n’a été reconnue dans les témoignages des témoins de l’employeur. Pourtant, plusieurs auraient dû être prises en compte.

[174] Le fait qu’il s’agissait d’un emportement spontané constitue clairement une circonstance atténuante. Le comportement du fonctionnaire n’avait rien de prémédité. Celui-ci a réagi de manière excessive à des questions qu’il jugeait non pertinentes de la part d’une conseillère en prestation de services qui, selon lui, aurait pu régler les problèmes elle-même. Le fait qu’il s’agissait d’une erreur de jugement isolée constitue, selon moi, une circonstance atténuante.

[175] L’employeur était manifestement au courant du stress que vivait le fonctionnaire sur le lieu de travail. Des plaintes de harcèlement avaient été déposées. D’autres personnes s’étaient plaintes de l’odeur de cigare sur les vêtements du fonctionnaire et celui-ci a déclaré qu’il se sentait observé à la loupe. Le contexte est important. Le milieu de travail stressant ne peut pas excuser le comportement du fonctionnaire, mais il constitue un élément convaincant pouvant en expliquer les raisons. Le milieu de travail stressant doit être considéré comme une circonstance atténuante. Il ne l’a pas été.

[176] Cependant, le principal facteur atténuant est l’état de santé du fonctionnaire, un facteur dont l’employeur était au courant depuis que Mme Holmstrom et Mme Holden avaient participé aux discussions sur le retour au travail du fonctionnaire, en janvier 2008. Mme Holmstrom et Mme Holden ont reçu la lettre du 4 février 2008 du Dr Wilson, dans laquelle celui-ci recommandait des mesures d’adaptation et en expliquait clairement les raisons. On peut difficilement blâmer le fonctionnaire du fait qu’aucune mesure n’a jamais été prise à la suite de la recommandation du médecin ou que cette recommandation n’a pas été portée à l’attention des personnes exerçant une fonction de supervision.

[177] En janvier et en février 2008, l’employeur a été informé que certaines manifestations du trouble dépressif majeur rendraient difficile le maintien de relations de travail harmonieuses, en particulier dans un milieu de travail déjà stressant. Par conséquent, l’état de santé du fonctionnaire était un important facteur atténuant qui aurait dû être pris en compte au moment d’imposer une mesure disciplinaire liée à l’incident du 12 janvier 2010.

[178] Mme Dubuc et Mme Harle s’étaient toutes les deux dites préoccupées par l’usage que le fonctionnaire faisait des congés de maladie. Elles savaient que quelque chose n’allait pas. Le 9 septembre 2009, le fonctionnaire a signalé un problème de santé qui aurait dû faire l’objet d’un examen plus approfondi, et l’employeur n’a pas fait preuve de diligence raisonnable. L’état de santé du fonctionnaire est un facteur important dans le conflit avec Mme Humeniuk, le 12 janvier 2010, et il aurait dû être pris en compte en tant qu’important facteur atténuant au moment de déterminer la mesure disciplinaire appropriée. Cela est d’autant plus vrai que l’employeur disposait alors de nombreux éléments de preuve indiquant que l’état de santé du fonctionnaire était très probablement lié aux tensions constantes avec ses collègues.

[179] Le volet suivant du critère Scott consiste à mesurer le degré de sévérité de la mesure disciplinaire. Si la mesure est excessive, l’imposition d’une mesure moins sévère doit être justifiée.

[180] Je conclus que la suspension de sept jours était exagérément disproportionnée par rapport à l’écart de conduite en cause. Les cas invoqués font état de suspensions de l’ordre de trois à cinq jours pour des écarts de conduite faisant intervenir un usage important de jurons ou d’autres menaces. Lors de son échange avec Mme Humeniuk, le fonctionnaire n’a utilisé qu’un seul juron, soit le mot [traduction] « connerie », sauf qu’il ne parlait pas d’elle en disant cela. Il faisait référence au dossier à propos duquel elle lui avait posé une question. J’estime que son comportement n’avait rien de menaçant.

[181] Il convient de répéter qu’il s’agissait, selon moi, du premier incident disciplinaire mettant en cause le fonctionnaire. D’après une analyse des cas invoqués par l’avocat, lesquels décrivent tous des comportements bien plus graves, j’estime qu’une lettre de réprimande est la mesure appropriée pour sa première faute de conduite. En guise de réparation, il doit donc y avoir remboursement des sept jours de suspension sans solde, avec intérêts (calculés conformément à mon analyse précédente).

[182] En ce qui concerne la question de la discrimination, je conclus que l’employeur avait remarqué que le fonctionnaire utilisait de plus en plus de congés de maladie. L’employeur était à ce point préoccupé par l’état de santé du fonctionnaire que plus tard, en mars 2010, il a commencé à préparer une lettre détaillée à l’intention de Santé Canada afin de demander une évaluation de l’aptitude au travail. Cette lettre a finalement été envoyée le 30 juin 2010. Cependant, aucun des témoins de l’employeur n’a mentionné une inclinaison à réexaminer la mesure disciplinaire imposée le 25 janvier 2010, en dépit de motifs impérieux laissant croire qu’un problème de santé sous-jacent était à l’origine de problèmes sur le lieu de travail.

[183] Le fonctionnaire a témoigné que Mme Harle lui avait dit s’inquiéter de son bien-être mental et qu’elle l’avait orienté vers le PAE.

[184] Dans un courriel daté du 10 septembre 2009, Mme Harle mentionnait le premier grief du fonctionnaire, dans lequel il disait avoir un problème de santé, et ajoutait qu’elle n’avait trouvé dans son dossier aucun document à ce sujet ni aucun document faisant état d’éventuelles mesures d’adaptation requises. Ce fait, ainsi que les observations de Mme Harle au sujet du solde négatif de congés de maladie du fonctionnaire, sa recommandation que le fonctionnaire demande l’aide du PAE et ses observations au sujet du comportement du fonctionnaire (que Mme Dubuc a consignées dans des notes manuscrites), donnent tous clairement à penser que Mme Harle savait parfaitement que quelque chose n’allait pas.

[185] La sonnette d’alarme tirée par le fonctionnaire au sujet des renseignements médicaux manquants aurait dû justifier une enquête plus approfondie. Lorsqu’on ajoute cela aux autres indicateurs contemporains d’un mauvais état de santé, je conclus que l’employeur a manqué à son obligation de s’informer davantage sur l’état de santé du fonctionnaire. Il ne suffisait pas de demander une évaluation de l’aptitude au travail par Santé Canada et d’en rester là, d’autant plus que les comportements en cause ont mené à d’autres mesures disciplinaires.

[186] Je suis d’avis que Honda est particulièrement convaincante et qu’elle correspond tout à fait aux circonstances du fonctionnaire dans le présent cas. La principale distinction à faire tient au fait que, dans Honda, les renseignements n’avaient pas été communiqués en raison des pratiques générales de l’entreprise en matière d’échange d’information. Comme ni Mme Holmstrom ni Mme Holden n’ont témoigné, il n’existe aucune preuve tangible expliquant pourquoi les renseignements recueillis en janvier 2008 durant les discussions sur le retour au travail du fonctionnaire, de même que la lettre du Dr Wilson de février 2008, n’ont pas été mis à la disposition d’autres personnes.

[187] Je conclus que l’employeur était, à ce moment-là, au courant d’une invalidité qui était directement liée à l’incident en milieu de travail qui avait mené à l’imposition d’une mesure disciplinaire le 25 janvier 2010. L’employeur soupçonnait que des problèmes de santé avaient joué un rôle dans l’inconduite du fonctionnaire au travail et a documenté ses soupçons dans une lettre rédigée à l’intention de Santé Canada, qui a été envoyée ultérieurement en 2010.

[188] La différence entre cette mesure disciplinaire et celle imposée le 17 août 2009 est que, le 25 janvier 2010, il existait, selon moi, un lien direct entre l’état de santé du fonctionnaire et l’imposition d’une mesure disciplinaire indûment sévère. Lorsque la suspension sans solde de sept jours a été imposée, le 25 janvier 2010, l’employeur était parfaitement au courant de l’existence d’un problème de santé qui, sans l’ombre d’un doute, avait joué dans les tensions entre le fonctionnaire et des collègues au travail.

[189] Par conséquent, je conclus que le fonctionnaire a établi une preuve à première vue de discrimination. Il a un problème de santé que l’employeur connaissait. Il s’agit d’un motif de distinction illicite. Un examen objectif de l’ensemble des faits et du contexte permet de conclure que l’emportement du fonctionnaire envers Mme Humeniuk avait un lien avec son problème de santé.

[190] J’accepte l’argument de l’employeur selon lequel la prise de mesures d’adaptation est la responsabilité des deux parties, comme le confirme la jurisprudence qu’il a présentée. Le fonctionnaire doit assumer une part de responsabilité pour en arriver à des mesures d’adaptation satisfaisantes. Je reconnais que le fonctionnaire, après avoir appris que ni la lettre du Dr Wilson ni aucun renseignement concernant son diagnostic et son retour au travail ne figuraient dans son dossier d’employé, n’a fourni à l’employeur aucun renseignement concernant un nouveau diagnostic. Il aurait pu le faire, car il consultait un psychiatre à l’époque, mais il ne l’a pas fait.

[191] Cependant, l’employeur n’a fait aucun effort pour tenter d’adapter le lieu de travail du fonctionnaire, parce qu’il n’a pas admis l’existence d’une invalidité au départ.

[192] Je conclus que l’insouciance de l’employeur à l’égard de la lettre du Dr Wilson du 4 février 2008 et de tous les renseignements relatifs au retour au travail du fonctionnaire a eu un effet préjudiciable continu. Si ces importants renseignements médicaux avaient été transmis comme il se devait à des superviseurs qui auraient pu y donner suite, l’état de santé du fonctionnaire aurait été considéré comme un facteur atténuant.

[193] Quant à la réparation, l’alinéa 53(2)e) et le paragraphe 53(3) de la LCDP énoncent ce qui suit :

53(2) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve de l’article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire :

53(2) If at the conclusion of the inquiry the member or panel finds that the complaint is substantiated, the member or panel may, subject to section 54, make an order against the person found to be engaging or to have engaged in the discriminatory practice and include in the order any of the following terms that the member or panel considers appropriate:

[…]

e) d’indemniser jusqu’à concurrence de 20 000 $ la victime qui a souffert un préjudice moral.

 

 

 

 

 

[…]

(e) that the person compensate the victim, by an amount not exceeding twenty thousand dollars, for any pain and suffering that the victim experienced as a result of the discriminatory practice.

 

(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le membre instructeur peut ordonner à l’auteur d’un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de 20 000 $, s’il en vient à la conclusion que l’acte a été délibéré ou inconsidéré.

(3) In addition to any order under subsection (2), the member or panel may order the person to pay such compensation not exceeding twenty thousand dollars to the victim as the member or panel may determine if the member or panel finds that the person is engaging or has engaged in the discriminatory practice wilfully or recklessly.

 

[194] Les cas invoqués par les deux avocats sont peu instructifs quant à la réparation appropriée. Aucun avocat n’a débattu énergiquement de la question de la réparation, mais certains des cas invoqués présentent des analyses utiles au regard des dommages compensatoires. Par souci de clarté, je qualifierai les dommages accordés aux termes de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP de « dommages pour préjudice moral » et ceux prévus au paragraphe 53(3) de « dommages spéciaux ».

[195] Le fonctionnaire plaide en faveur d’une réparation cumulative sous la forme d’une réintégration dans la fonction publique. Je ne peux toutefois pas envisager cette option, car la réparation doit être liée au grief. La décision de réintégrer le fonctionnaire au CTD de Vegreville, contre la recommandation du Dr Wilson, était regrettable et a eu de graves conséquences pour le fonctionnaire, mais elle n’a jamais fait l’objet d’un grief particulier. Le fonctionnaire n’a déposé de griefs qu’à l’encontre des trois mesures disciplinaires, et ces griefs ont été déposés séparément. Par conséquent, chaque réparation ne peut être examinée qu’au regard de la mesure disciplinaire pour laquelle une réparation a été demandée et est exigible.

[196] En ce qui concerne cette mesure disciplinaire particulière, je conclus que le témoignage du fonctionnaire et celui de son épouse sont des comptes rendus convaincants du préjudice moral que les pratiques discriminatoires de l’employeur ont directement causé au fonctionnaire. Il est mentionné ce qui suit aux paragraphes 68 et 69 de Tanzos c. AZ Bus Tours Inc., 2007 TCDP 33 (QL) :

68 La plaignante réclame également une indemnité pour préjudice moral en vertu de l’alinéa 53(2)e). Encore une fois, je dois dire que la preuve soumise à l’appui de cette réclamation est quelque peu faible et ne suffit certainement pas à justifier un montant figurant aux échelons les plus élevés prévus par la [LCDP]. Bien que le paragraphe 53(2) de la [LCDP] confère au Tribunal le pouvoir discrétionnaire d’accorder différentes réparations lorsqu’une plainte est jugée fondée, le Tribunal doit exercer judicieusement ce pouvoir discrétionnaire à la lumière de la preuve dont il dispose. En l’espèce, la plainte est accueillie et il ne se dégage du témoignage de la plaignante aucune raison de lui refuser une indemnité pour préjudice moral (voir Dumont c. Transport Jeannot Gagnon, 2002 CFPI 1280).

69 Je conviens que la décision de l’intimée a bel et bien causé à la plaignante un préjudice moral, ne serait-ce que de l’anxiété. Par conséquent, j’accorde 3 000 $ à titre d’indemnité pour préjudice moral.

 

[197] Tanzos ne précise pas l’ampleur du préjudice moral, mais une indemnité de 3 000 $ a été accordée dans ce cas. Dans le présent cas, le fonctionnaire et son épouse ont tous les deux témoigné du préjudice psychologique causé par la suspension sans solde de sept jours, une mesure disciplinaire que j’ai jugée nettement disproportionnée par rapport à l’écart de conduite en cause. Il est important de rappeler que Mme Holmstrom et Mme Holden savaient toutes les deux que le fonctionnaire reprenait le travail après avoir été hospitalisé pour un trouble dépressif majeur si grave qu’il avait envisagé le suicide et qui était en partie dû au fait qu’il se sentait dévalorisé au travail. Je conclus que la suspension de sept jours lui a causé un grave préjudice moral et qu’une indemnité substantielle est indiquée. Par conséquent, j’ordonne le paiement de dommages pour préjudice moral de 7 000 $ en application de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP, ce qui équivaut à une indemnité de 1 000 $ par journée de suspension non justifiée.

[198] Les témoins de l’employeur n’ont, à aucun moment, pris en compte les effets que les conflits sur le lieu de travail ont eus sur le fonctionnaire, compte tenu de son état de santé. Bien qu’il soit vrai qu’aucun des témoins qui ont témoigné n’était au courant de son état de santé, il est également vrai que l’on peut difficilement blâmer le fonctionnaire pour cette situation déplorable. Le défaut de l’employeur de consigner comme il se doit les renseignements médicaux, notamment la lettre du Dr Wilson, constitue une conduite délibérée et inconsidérée qui commande l’octroi de dommages spéciaux en guise de réparation aux termes du paragraphe 53(3) de la LCDP.

[199] Bien qu’aucun avocat n’ait invoqué Hare c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2019 CRTESPF 59 (Hare), je trouve cette affaire instructive sur la question des dommages spéciaux que prévoit le paragraphe 53(3) de la LCDP.

[200] Dans Hare, il a été conclu que l’employeur était au courant du problème de santé, mais qu’il n’a pris aucune mesure d’adaptation. Il a été déterminé qu’il s’agissait d’un comportement délibéré et inconsidéré, et l’indemnité maximale de 20 000 $ a été accordée aux termes du paragraphe 53(3). Dans le présent cas, l’employeur était au courant de l’état de santé du fonctionnaire, mais il n’a pas communiqué cette information au personnel de gestion qui aurait certainement dû en être informé. Il était crucial de prendre en compte l’état de santé du fonctionnaire pour évaluer la mesure disciplinaire appropriée en réponse à un comportement au travail clairement lié à son état mental.

[201] Il s’agissait d’un comportement délibéré et inconsidéré de la part de l’employeur, qui a eu des effets très préjudiciables sur le fonctionnaire. Par conséquent, j’accorde la somme de 1 000 $ par jour pour chacun des sept jours de la suspension non justifiée, pour un total de 7 000 $ en guise de dommages spéciaux en application du paragraphe 53(3) de la LCDP.

[202] Comme le grief porte sur une suspension sans solde, l’alinéa 226(2)c) de la LRTSPF m’autorise à accorder des intérêts sur les sommes dues au fonctionnaire. Lorsque les retenues applicables auront été calculées sur les sept jours de salaire payables au fonctionnaire, des intérêts cumulatifs calculés au taux de la Banque du Canada seront appliqués. Les intérêts sont exigibles à partir de la date à laquelle la mesure disciplinaire a été imposée, soit le 25 janvier 2010, jusqu’à la date à laquelle l’employeur versera l’indemnité. Comme la suspension a été imposée à Vegreville, le règlement provincial qui s’applique est le Judgment Interest Regulation, Alberta Regulation 215/2011, à jour en septembre 2022. Le paragraphe qui suit indique les taux d’intérêt qui doivent s’appliquer selon ce règlement.

[203] Du mois d’août jusqu’à la fin de l’année civile 2009 : 2,75 % par an. Les taux d’intérêt pour les années en cause sont les suivants :

2010 : 0,825 %

2011 : 1,85 %

2012 : 1,2 %

2013 : 1,4 %

2014 : 1,10 %

2015 : 1,05 %

2016 : 0,55 %

2017 : 0,53 %

2018 : 0,87 %

2019 : 2,2 %

2020 : 1,5 %

2021 : 0,2 %

2022 : 0,2 %

 

[204] Il m’est interdit d’ordonner le paiement d’intérêts sur des dommages accordés en application de la LCDP.

[205] Les griefs portant les numéros de dossier de la Commission 566-02-4293 et 4294 visent tous les deux la même série d’événements ayant mené à la deuxième mesure disciplinaire. Ils sont tous les deux accueillis.

3. Le dernier incident disciplinaire, le 20 décembre 2010
a. L’argumentation du fonctionnaire concernant l’incident disciplinaire du 20 décembre 2010

[206] Le fonctionnaire a reconnu que ses commentaires du 8 décembre 2010 étaient déplacés et il s’en est excusé lors d’une réunion tenue le 13 décembre 2010 en présence de Mme Palley et Mme Harle. Il a également reconnu qu’une mesure disciplinaire était justifiée, mais a fait valoir qu’une suspension sans solde de dix jours était largement disproportionnée.

[207] Les excuses du fonctionnaire et les remords qu’il a exprimés sont les seuls facteurs atténuants qui ont été pris en compte dans la lettre de suspension du 20 décembre 2010. La gravité de la faute et l’existence d’incidents disciplinaires antérieurs ont été les facteurs aggravants mentionnés dans la lettre et par les témoins de l’employeur.

[208] Le fonctionnaire s’est opposé à l’idée que la gravité de l’inconduite soit considérée comme un facteur aggravant. Par définition, un facteur aggravant est un facteur qui accompagne la faute de conduite et qui commande une mesure disciplinaire plus sévère, et non la faute en soi.

[209] À la lumière des cas déjà invoqués, la suspension de dix jours était largement disproportionnée par rapport à la faute en cause, a fait valoir le fonctionnaire. Selon l’analyse fondée sur Scott, une suspension d’un à trois jours serait plus appropriée.

[210] Comme lors des incidents précédents, de nombreux facteurs atténuants importants n’ont pas été pris en compte pour déterminer la sévérité de la mesure disciplinaire. Les commentaires du fonctionnaire étaient spontanés et témoignaient d’un très bref manque de jugement dû à une réaction émotive. Ils ne s’adressaient pas à une personne en particulier. Ils ont été prononcés à une période où le fonctionnaire subissait un stress important au travail, stress dont l’employeur était également bien conscient, mais dont il n’a pas tenu compte.

[211] Le fonctionnaire a soutenu que, là encore, le principal facteur atténuant que l’employeur a omis dans son analyse est son état de santé, dont l’employeur était au courant depuis janvier et février 2008. Ces renseignements n’ont tout simplement pas été communiqués ou versés dans son dossier du personnel, ce qui aurait permis aux gestionnaires d’y avoir accès.

b. L’argumentation de l’employeur concernant l’incident disciplinaire du 20 décembre 2010

[212] L’employeur a de nouveau souligné l’importance du travail en équipe et le fait que ce volet faisait partie intégrante de la description de poste du fonctionnaire.

[213] Comme pour les autres incidents mettant en cause un comportement irrespectueux, l’employeur a invoqué Bahniuk, dont les paragraphes 261 à 263 sont reproduits ci-après :

[261] Selon le Code de déontologie et de conduite de l’employeur, tous les employés de l’ARC doivent se conformer aux valeurs fondamentales que sont le respect et le professionnalisme, et les gestionnaires doivent illustrer ces valeurs. Selon son dossier de formation, le fonctionnaire [...] connaissait le Code de déontologie et de conduite. Selon la Charte des gestionnaires, les gestionnaires doivent illustrer les valeurs fondamentales de l’ARC par leurs paroles et leurs actions.

[262] En me fondant sur les éléments de preuve, je conclus que le fonctionnaire a adopté une conduite non professionnelle et irrespectueuse à l’endroit de Mme Bauer le 2 mai 2008, ce qui constituait une infraction aux politiques de l’employeur. Le fonctionnaire a avoué sa conduite en présentant des excuses à Mme Bauer. Le comportement incontrôlé du fonctionnaire, comme il est décrit par Mme Bauer, était répréhensible et n’avait pas sa place dans un environnement de travail, particulièrement de la part d’un gestionnaire.

[263] Pour ce qui est du caractère adéquat de la mesure disciplinaire, le dossier disciplinaire du fonctionnaire consistait alors en une réprimande écrite et une suspension d’une journée pour des incidents similaires. Mme Bauer a renvoyé à la grille de l’employeur, qui comprend des exemples d’inconduite et les mesures disciplinaires suggérées à l’annexe C de la Politique sur la discipline. Elle a choisi [traduction] « Emploi d’un langage offensant », une inconduite dans le groupe 1, comme étant la catégorie correspondant à l’inconduite du fonctionnaire. Il est clairement indiqué à la page d’introduction de l’annexe que l’information n’est pas exhaustive et est présentée en guise de lignes directrices. Comme le fonctionnaire avait un dossier disciplinaire, la Politique sur la discipline suggérait d’imposer une suspension de trois à cinq jours. Mme Bauer a déclaré qu’elle aurait imposé au fonctionnaire la suspension la plus longue (cinq jours), mais qu’elle a décidé de lui imposer la suspension la plus courte (trois jours), parce qu’il s’était excusé, ce qu’elle a considéré comme une circonstance atténuante. Pendant le contre‑interrogatoire, Mme Bauer a déclaré qu’il fallait imposer une mesure disciplinaire au fonctionnaire même s’il s’était excusé, car les gestionnaires doivent donner l’exemple aux employés, et il était important de faire comprendre ce principe au fonctionnaire.

 

[214] L’employeur a fait valoir que, comme il y avait déjà eu deux incidents d’inconduite au travail, le principe des mesures disciplinaires positives progressives a été appliqué. L’imposition de mesures disciplinaires de plus en plus sévères devrait avoir un effet dissuasif sur les fautes futures.

[215] L’employeur a fait valoir que la sévérité de la présente mesure disciplinaire ne devrait pas être modifiée, pas plus que celle des deux autres. Il a renvoyé au paragraphe 13 de Cooper c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 119 :

13 Je suis convaincue d’après les éléments de preuve dont je dispose que le défendeur a démontré à première vue sa prétention que la mesure disciplinaire était justifiée dans les circonstances. La mesure disciplinaire imposée respecte l’Entente globale entre les parties, et je ne vois aucune raison d’intervenir. Dans Hogarth, l’arbitre de grief définit comme suit, à la page 6, les cas où un arbitre de grief devrait intervenir lorsqu’il s’agit de mesures disciplinaires :

J’approuve […] comme quoi un arbitre ne doit mitiger une mesure disciplinaire que lorsque celle-ci est manifestement déraisonnable ou erronée. Selon moi, l’arbitre ne doit pas intervenir même s’il estime qu’une peine légèrement moins sévère aurait été suffisante. Il est évident que la détermination d’une mesure disciplinaire appropriée est un art et non une science […]

 

[216] Relativement à l’argument de la discrimination, l’employeur a répété que l’obligation de prendre des mesures d’adaptation va dans les deux sens. Après avoir informé le fonctionnaire que son dossier d’employé ne contenait aucun renseignement médical, l’employeur a demandé au fonctionnaire de lui fournir ces renseignements, mais celui-ci ne l’a pas fait. L’employeur a agi raisonnablement en demandant à Santé Canada de faire une évaluation de l’aptitude au travail, le 30 juin 2010.

[217] L’employeur a répété son argument concernant l’obligation de collaborer au processus de prise de mesures d’adaptation, tel qu’il est énoncé dans Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 RCS 970 (« Central Okanagan »). En d’autres termes, la recherche de mesures d’adaptation s’inscrit dans une démarche multipartite et l’employé qui demande ces mesures doit lui aussi faire sa part.

[218] L’employeur a fait remarquer que Mme Dubuc avait expressément demandé au fonctionnaire de lui fournir un rapport du médecin dans son courriel daté du 10 septembre 2009 :

[Traduction]

 

[…]

Dans votre grief que nous avons reçu le 3 septembre 2009, vous dites que l’employeur n’a pris aucune mesure d’adaptation en réponse à votre état de santé. Cependant, votre dossier ne fait nullement mention de ce problème de santé, ni de quelque mesure d’adaptation dont vous auriez besoin.

Afin que nous puissions satisfaire à nos obligations aux termes de la politique relative à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation, je dois obtenir de votre médecin des renseignements sur vos limitations en milieu de travail afin que je puisse prendre les mesures qui s’imposent.

[…]

 

[219] Le fonctionnaire n’a pas fourni les renseignements médicaux demandés. L’employeur ne peut pas être tenu de prendre des mesures d’adaptation en réponse à une invalidité dont il n’a pas été informé.

c. Décision et motifs relatifs à l’incident disciplinaire du 20 décembre 2010

[220] Je suis d’avis que Cooper ne s’applique pas dans le présent cas. En premier lieu, Cooper est unique et particulière en ce que, dans cette affaire, l’arbitre de grief n’a pas entendu la fonctionnaire s’estimant lésée puisque celle-ci ne s’est pas présentée à l’audience. En pareilles circonstances, lorsque le fonctionnaire s’estimant lésé ne présente aucun témoignage, l’arbitre de grief n’a d’autre choix que de fonder sa décision sur le caractère raisonnable de l’évaluation que l’employeur a faite au sujet du caractère approprié de la mesure disciplinaire. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

[221] Une audience contestée est un nouveau procès. L’étape préliminaire, selon le critère Scott, consiste à établir si les commentaires du fonctionnaire lors de réunion d’équipe du 8 décembre 2010 justifiaient une mesure disciplinaire. De son propre aveu, le fonctionnaire a tenu les propos suivants :

· « Il y a une bande de pleurnichards dans l’équipe »;

· « Ce dîner pour le personnel est une plaisanterie. Le fait de n’avoir qu’une heure est une véritable insulte. »

 

[222] Mme Harle, la superviseure du fonctionnaire, a pris des notes lors de la réunion du 13 décembre 2010 tenue pour discuter des événements survenus le 8 décembre 2010. Ses notes contiennent le paragraphe suivant :

[Traduction]

 

[…]

Holly [Palley] a dit qu’il avait ajouté ceci : « J’en ai assez des conneries qui se passent ici. Il y a beaucoup de gens qui travaillent dans cette équipe, dont certains s’en tirent (pardonnez mon langage) en faisant n’importe quoi sans que quiconque dise un mot. Il y a une bande de pleurnichards dans l’équipe ». Holly lui a demandé s’il avait dit cela. Terry a répondu qu’il ne se souvenait pas de la première partie, mais qu’il se rappelait avoir parlé des « pleurnichards ».

[…]

 

[223] Comme je l’ai mentionné précédemment, Mme Harle n’a pas témoigné à l’audience, car elle est malheureusement décédée. Ses notes font partie du dossier. Aucune objection relative à la preuve par ouï-dire n’a été soulevée. Ses notes sont clairement une preuve par ouï-dire. Il s’agit de déclarations extrajudiciaires destinées à être présentées pour la véracité de leur contenu.

[224] La preuve par ouï-dire peut être admise, s’il y a lieu, à condition qu’elle soit pertinente et qu’elle ait une valeur probante. Les notes sont à la fois pertinentes et probantes, et elles sont certainement nécessaires, étant donné le décès malheureux de la personne qui les a prises. Par conséquent, je conclus que le fonctionnaire a, le 8 décembre 2010, prononcé les phrases qui lui sont attribuées dans les paragraphes qui précèdent.

[225] Je suis d’avis que les réserves exprimées au sujet de l’heure accordée pour le dîner de Noël ne sont pas suffisamment irrespectueuses pour justifier une mesure disciplinaire. Le fonctionnaire jugeait qu’offrir une heure était un peu mesquin. Il avait peut-être raison et, en tenant ces propos, il n’a fait qu’exprimer son opinion sur un sujet lié au travail. Il a peut-être été un peu brusque en qualifiant cette proposition de [traduction] « plaisanterie », mais ce commentaire, en soi, ne méritait pas une mesure disciplinaire.

[226] En revanche, qualifier ses collègues de pleurnichards durant une réunion d’équipe est suffisamment provocateur et irrespectueux pour justifier une réponse disciplinaire. Les injures sont délibérément blessantes et n’ont pas leur place dans un milieu de travail respectueux. De même, l’utilisation de jurons est inacceptable. Une mesure disciplinaire était justifiée dans ce cas.

[227] L’étape suivante du cadre d’analyse Scott consiste à déterminer la sévérité de la mesure disciplinaire.

[228] Les cas invoqués par les parties ont déjà été examinés et analysés, et il n’y a pas lieu d’y revenir. Je me contenterai de dire que chaque cas qui a été invoqué portait sur des fautes de conduite beaucoup plus graves que celle commise par le fonctionnaire le 8 décembre 2010. Or, dans aucun de ces cas il n’y a eu imposition d’une suspension de plus de cinq jours.

[229] Selon les cas invoqués, l’éventail des mesures disciplinaires pour des écarts de conduite relativement mineurs va d’une lettre de réprimande à une suspension d’un ou de deux jours, selon le poids accordé aux facteurs aggravants et atténuants.

[230] Le fonctionnaire avait déjà été sanctionné pour son langage utilisé sur le lieu de travail, lorsqu’il a fait l’objet d’une mesure disciplinaire à la suite de son accès de colère envers Mme Humeniuk, le 12 janvier 2010. Par conséquent, j’accepte à titre de facteur aggravant l’existence d’une mesure disciplinaire antérieure (pour une faute à peu près comparable) imposée plus tôt la même année. Je suis d’avis qu’il s’agit du seul facteur aggravant. La gravité de la faute de conduite, comme l’a souligné à juste titre le fonctionnaire, n’est pas un facteur aggravant.

[231] Il existe en revanche d’importants facteurs atténuants. Lors de la réunion de recherche des faits tenue le 13 décembre 2010, le fonctionnaire s’est excusé du comportement qu’il avait eu à la réunion du 8 décembre 2010. Ses propos avaient alors été spontanés et ils ne s’adressaient pas à une personne en particulier. Son éclat s’est produit dans un lieu de travail qui était devenu de plus en plus stressant pour lui.

[232] Cependant, ce qui est le plus important, c’est que ces propos étaient la manifestation d’un problème de santé dont l’employeur était parfaitement au courant, selon mon analyse précédente. Le fonctionnaire a demandé à l’employeur de chercher une lettre du Dr Wilson datée du 4 février 2008. Après vérification, aucune lettre n’a été trouvée. Cependant, l’employeur s’inquiétait suffisamment au sujet du bien-être mental du fonctionnaire pour demander à Santé Canada de faire une évaluation de son aptitude au travail. Des réserves avaient aussi été exprimées du fait qu’il avait épuisé ses congés de maladie. Des plaintes avaient été déposées auprès de la direction en raison de son comportement étrange. L’employeur avait amplement de quoi établir un lien entre les propos tenus et la santé mentale du fonctionnaire, dont il s’inquiétait grandement. Cela aurait dû être considéré comme un facteur atténuant, ce qui n’a pas été le cas.

[233] Comme une lettre de réprimande était la mesure disciplinaire appropriée en réponse à l’incident du 25 janvier 2010, je juge raisonnable de considérer qu’une période de suspension est une mesure appropriée dans ce cas. Compte tenu du poids des facteurs atténuants, une suspension sans solde d’une journée est la mesure disciplinaire appropriée. Je répète que les cas invoqués par les deux parties portaient sur des écarts de conduite bien plus graves que celui commis par le fonctionnaire le 8 décembre 2010.

[234] En ce qui concerne la question de la discrimination, mon analyse demeure la même que pour les deux précédents incidents disciplinaires. Le fonctionnaire ne peut pas être tenu responsable du fait que Mme Holmstrom et Mme Holden n’ont pas transmis d’importants renseignements médicaux le concernant aux personnes qui en avaient besoin pour prendre des décisions cruciales concernant son travail.

[235] Mme Harle et Mme Dubuc ont toutes les deux dit avoir été préoccupées par l’usage que le fonctionnaire faisait des congés de maladie. Dans sa lettre adressée à Santé Canada le 30 juin 2010, Mme Williams a mentionné qu’elle soupçonnait fortement que la santé mentale du fonctionnaire ait joué un rôle dans ses écarts de conduite sur le lieu de travail. Malgré de nombreux signaux d’alarme, l’employeur n’a nullement tenu compte de l’état de santé du fonctionnaire lorsqu’il lui a imposé une mesure disciplinaire exagérément sévère en le suspendant sans solde pendant dix jours.

[236] Le fonctionnaire a témoigné de l’effet dévastateur que cette dernière mesure disciplinaire a eu sur lui. Il a immédiatement consulté son médecin qui, pour des raisons liées à sa santé mentale, l’a mis en congé de maladie prolongé. Le fonctionnaire n’est finalement jamais retourné à son lieu de travail. En termes d’effets préjudiciables, rien n’aurait su être plus grave.

[237] Le fonctionnaire a établi une preuve à première vue de discrimination. Il a été sanctionné sévèrement pour un écart de conduite qui était clairement lié à la dégradation de son état mental, un fait qui n’a pas été pris en compte en tant que facteur atténuant.

[238] Je conclus que, le 20 décembre 2010, l’employeur a fait preuve envers le fonctionnaire de discrimination fondée sur une déficience dont il était au courant. Ses gestes discriminatoires ont eu des effets préjudiciables sur le fonctionnaire, et l’invalidité a clairement joué à cet égard.

[239] En guise de réparation, en conformité avec le raisonnement que je viens d’exposer, j’ordonne le remboursement des jours de salaire perdus, en sus de la suspension sans solde d’un jour. Une suspension de dix jours a été imposée au fonctionnaire, alors qu’il ne méritait qu’une seule journée de suspension. Le solde net est de neuf jours de salaire. Comme dans le cas précédent, le calcul doit tenir compte de toutes les retenues applicables que je laisserai aux parties le soin de calculer. Des intérêts calculés selon le barème présenté précédemment seront également accordés.

[240] En ce qui concerne la réparation en application de l’alinéa 52(2)e) de la LCDP, il est important de tenir compte du fait que l’imposition de cette dernière mesure disciplinaire indûment sévère a entraîné le départ du fonctionnaire de son lieu de travail.

[241] Demandant à être réintégré, le fonctionnaire a invoqué Fair v. Hamilton-Wentworth District School Board, 2013 HRTO 440 (recueil de documents du fonctionnaire, onglet 20B). Il est mentionné ce qui suit au paragraphe 13 de cette décision qui porte sur la réintégration d’une employée dans des circonstances comparables :

[Traduction]


[13] La demanderesse demande à être réintégrée. L’objectif des lois sur les droits de la personne en matière de réparation est de veiller à ce que le demandeur soit remis dans sa position antérieure. En l’espèce, la réintégration est une mesure appropriée pour réaffecter la demanderesse au poste qu’elle aurait occupé s’il n’y avait pas eu discrimination. Si le défendeur avait pris les mesures d’adaptation qui s’imposent à son égard, la demanderesse aurait retrouvé un emploi à temps plein
[...]

 

[242] Dans le paragraphe suivant, le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario souscrit aux principes en matière de réparation énoncés par la Cour suprême du Canada, au paragraphe 341 de McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 RCS 229 :

[14] […] il convient de souligner que les droits des appelants qui ont été violés se rapportent à leur dignité, à leur valorisation personnelle et à leur estime de soi comme membres appréciés de la collectivité, et donc à des valeurs qui sont au cœur même de la Charte. À mon avis, il ne suffirait pas de rendre une ordonnance qui ne cherche pas à réparer le préjudice qui découle des violations de ce droit. La réintégration est certainement le moyen le plus efficace de corriger le tort qui a été causé [...]

 

[243] Le fonctionnaire à également renvoyé à Nicol c. Conseil du Trésor (Service Canada), 2014 CRTEFP 3, dont l’applicabilité est résumée comme suit au paragraphe 1 :

[1] Cette affaire concerne un employé qui a tenté d’effectuer un retour au travail à la suite d’un congé de maladie et qui n’a pas été accommodé par l’employeur. Cette histoire s’est terminée tristement près de quatre ans plus tard lorsque l’employé a choisi de prendre sa retraite pour des raisons médicales plutôt que de continuer à attendre que des mesures d’adaptation soient prises [...]

 

[244] Dans Nicol, il a été conclu que le fonctionnaire avait fait l’objet de discrimination fondée sur des motifs de distinction illicites et il a été ordonné à l’employeur d’indemniser le fonctionnaire en conséquence. Le paragraphe 169 de cette décision est rédigé comme suit :

[169] J’ordonne à l’employeur de verser au fonctionnaire, dans les 90 jours suivants [sic] la date de la présente décision, l’indemnité pour toutes les sommes perdues au titre de la rémunération, des crédits de congé annuel, des avantages sociaux et des cotisations au régime de pension pour la période du 1er juin 2008 jusqu’à la date d’entrée en vigueur de son départ à la retraite pour des raisons médicales. Les parties devraient établir conjointement le montant dû au fonctionnaire et doivent le faire dans les 90 jours civils. Au moment d’effectuer les calculs, les facteurs qui suivent doivent également être appliqués :

1. Les calculs portent sur la rémunération, et non pas sur la catégorie ou la terminologie associée au système de rémunération des ressources humaines que l’employeur doit utiliser pour traiter la rémunération.

2. Pour la période du 1er juin 2008 au 15 septembre 2008, le paiement doit être calculé au groupe et niveau CR-05 et comprendre les redressements pour les années de service du fonctionnaire et la progression normale dans l’échelle salariale.

3. Pour la période du 15 septembre 2008 jusqu’à la date du départ à la retraite du fonctionnaire, le paiement doit être calculé au groupe et niveau PM‑01 en guise d’indemnisation pour la perte découlant du refus de le reclassifier pour des motifs discriminatoires.

4. Toutes les augmentations au titre du salaire et des avantages sociaux négociées à compter du 1er juin 2008 doivent être incluses.

5. Les cotisations au régime de pension applicables à compter du 1er juin 2008 devraient être appliquées au compte de pension du fonctionnaire et sa pension de retraite devrait faire l’objet d’un nouveau calcul en conséquence.

6. Toutes les répercussions fiscales pour le fonctionnaire devraient être calculées de façon à en minimiser les conséquences.

 

[245] Le fonctionnaire a fait valoir que l’approche adoptée dans Nicol devrait être adoptée dans le présent cas, car elle s’applique à sa situation. Il a tenu avec assiduité ses relevés d’emploi et de salaire et il a atténué ses pertes. L’employeur et lui devraient être en mesure de calculer facilement l’indemnité qu’il convient de lui accorder pour sa perte de salaire. Le fonctionnaire a demandé que je reste saisi de l’affaire dans l’éventualité où les parties n’arriveraient pas à s’entendre sur la somme appropriée.

[246] Le fonctionnaire a également demandé le rétablissement de plusieurs droits et avantages, notamment sa pension, qu’il aurait accumulés s’il avait été réintégré.

[247] Je suis d’accord avec le fonctionnaire qu’il n’aurait jamais dû retourner au CTD de Vegreville. La décision de le retourner sur ce lieu de travail est à l’origine d’une grande partie de ses problèmes, mais je ne peux pas en tenir compte pour établir la réparation, car il n’a pas déposé de grief à cet égard. Je ne peux pas justifier sa réintégration dans la fonction publique. Je peux uniquement lier la réparation à un grief particulier. Le mieux que je puisse faire, eu égard à l’ensemble des circonstances, est de bien évaluer le préjudice moral qu’il a subi et d’accorder des dommages en conséquence.

[248] L’effet cumulatif de ces mesures disciplinaires exagérément sévères, qui ont été imposées durant une période relativement courte et dans un lieu de travail dysfonctionnel à un fonctionnaire qui présentait déjà une invalidité, a été dévastateur. Après avoir reçu la lettre disciplinaire du 20 décembre 2010, le fonctionnaire s’est rendu directement chez son médecin qui lui a prescrit un congé de maladie prolongé. Le fonctionnaire n’est finalement jamais retourné sur son lieu de travail. Cela n’aurait jamais dû se produire et aurait pu être évité si l’état de santé du fonctionnaire avait été adéquatement pris en compte tout au long du processus. Cela n’a pas été fait à cause de l’insouciance de l’employeur.

[249] Je conclus que le fonctionnaire a subi un préjudice moral tout à fait particulier. L’épouse du fonctionnaire, en pleurs, a corroboré le témoignage du fonctionnaire lorsque celui-ci a dit qu’il s’était isolé au sous-sol et qu’il avait envisagé le suicide dans les jours qui ont suivi la réception de la lettre disciplinaire du 20 décembre 2010. Après un long congé de maladie, il a décidé de prendre un congé de la fonction publique, plutôt que de retourner dans un lieu de travail toxique. Il est difficile d’envisager un degré plus élevé de préjudice moral, et j’accorde l’indemnité maximale autorisée aux termes de l’alinéa 52(2)e), soit 20 000 $.

[250] Ces facteurs demeurent au premier plan de l’examen visant à déterminer l’indemnité spéciale à accorder aux termes du paragraphe 53(3) de la LCDP. Le comportement délibéré et inconsidéré de l’employeur à l’égard des renseignements médicaux qui n’ont jamais été communiqués aux personnes qui en avaient vraiment besoin pour rendre d’importantes décisions liées au travail a été examiné en profondeur.

[251] De même, la conviction croissante de l’employeur selon laquelle le fonctionnaire présentait un grave problème de santé mentale a été longuement étudiée. L’employeur n’a jamais fait de véritable analyse des mesures d’adaptation requises, si ce n’est que de demander à Santé Canada de faire une évaluation de l’aptitude au travail du fonctionnaire. Ce comportement délibéré et inconsidéré a eu pour effet net d’inciter le fonctionnaire à quitter son lieu de travail pour ne jamais y retourner. Comme je l’ai mentionné, cet effet ne pourrait être plus grave. En guise de dommages spéciaux, j’accorde l’indemnité maximale autorisée par la LCDP, soit 20 000 $.

[252] Comme je l’ai déjà mentionné, je ne suis pas habilité à ordonner le paiement d’intérêts sur des indemnités accordées au titre de la LCDP.

[253] Les griefs portant les numéros de dossier de la Commission 566-02-6300 et 6301 visent tous les deux la même série d’événements qui ont mené à l’imposition de la mesure disciplinaire du 20 décembre 2010. Ils sont tous les deux accueillis.

[254] La partie I de la présente décision est terminée. La partie II porte sur les tentatives du fonctionnaire de réintégrer la fonction publique et sur les efforts faits par l’employeur pour faciliter son retour.

III. Demande d’ordonnance de mise sous scellés

[255] Le fonctionnaire a demandé que soit rendue une ordonnance de mise sous scellés de pièces particulières qui ont été présentées à l’audience et qui contiennent des renseignements médicaux sensibles et détaillés à son sujet. L’employeur a accepté la demande et a reconnu que cela serait judicieux dans les circonstances. Il s’agit des pièces suivantes qui figurent dans le recueil de documents du fonctionnaire :

Onglet 3 :

[traduction] « Demande de prestations d’invalidité de longue durée »

Onglet 4 :

[traduction ]« Demande de prestations d’invalidité de longue durée »

Onglet 5 :

[traduction] « Antécédents » et observations à la suite d’un [traduction] « examen de l’état mental », St. Mary’s Hospital, Camrose (Alberta)

Onglet 12 :

Rapport de la conseillère en réadaptation

Onglet 89 :

Rapport des Services de santé de l’Alberta

Onglet 105 :

[traduction] « Évaluation de la santé mentale à Vegreville », Alberta Health Services

Onglet 108 :

Lettre du Dr Satar

Onglet 168 :

Notes de la Dre Ribeiro

Onglet 180 :

Notes de la Dre Ribeiro concernant les mesures d’adaptation

 

[256] La politique et pratiques de la Commission en ce qui a trait aux ordonnances de mise sous scellés, dans le contexte du principe de transparence judiciaire, ont été publiées et sont bien connues. Conformément à cet important principe constitutionnel, les audiences de la Commission sont publiques, sauf dans des circonstances exceptionnelles. La mission de la Commission et la nature de ses procédures l’obligent à maintenir une politique d’ouverture de la justice axée sur la transparence, la responsabilité et l’équité.

[257] La Cour suprême du Canada a conclu qu’il incombe à la partie qui demande l’ordonnance de mise sous scellés d’en justifier la délivrance au moyen d’éléments de preuve suffisants. Ce qui est désormais convenu d’appeler le « critère Dagenais/Mentuck » émane de Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 RCS 835, et R. c. Mentuck, 2001 CSC 76. Ce critère comporte deux volets :

1. L’ordonnance est-elle nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d’un litige, vu l’absence d’autres mesures raisonnables pouvant écarter ce risque?

2. Les effets bénéfiques de l’ordonnance, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent-ils sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public au regard de la publicité des débats judiciaires?

 

[258] La Cour suprême du Canada a eu l’occasion d’examiner ces principes plus récemment dans Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25. Il y est énoncé ce qui suit au paragraphe 33 :

[33] La diffusion de renseignements personnels dans le cadre de débats judiciaires publics peut être plus qu’une source de désagrément et peut aussi entraîner une atteinte à la dignité d’une personne. Dans la mesure où elle sert à protéger les personnes contre une telle atteinte, la vie privée constitue un intérêt public important qui est pertinent selon Sierra Club. La dignité en ce sens est une préoccupation connexe à la vie privée en général, mais elle est plus restreinte que celle‐ci; elle transcende les intérêts individuels et, comme d’autres intérêts publics importants, c’est une question qui concerne la société en général. Un tribunal peut faire une exception au principe de la publicité des débats judiciaires, malgré la forte présomption en faveur de son application, si l’intérêt à protéger les aspects fondamentaux de la vie personnelle des individus qui se rapportent à leur dignité est sérieusement menacé par la diffusion de renseignements suffisamment sensibles. La question est de savoir non pas si les renseignements sont « personnels » pour la personne concernée, mais si, en raison de leur caractère très sensible, leur diffusion entraînerait une atteinte à sa dignité que la société dans son ensemble a intérêt à protéger.

 

[259] Les neuf pièces en question dans la présente décision ont constitué des éléments de preuve cruciaux lors de l’audience. Toutes contenaient des renseignements médicaux ou personnels explicites concernant l’état de santé du fonctionnaire. Compte tenu des circonstances que le fonctionnaire a exposées et qui n’ont pas été contestées par l’employeur, je conclus, pour reprendre les termes de la Cour suprême du Canada au paragraphe 35 de Sherman, que les renseignements dans ces neuf pièces « [...] sont suffisamment sensibles pour que l’on puisse dire qu’ils touchent au cœur même des renseignements biographiques de la personne et, dans un contexte plus large, qu’il existe un risque sérieux d’atteinte à la dignité de la personne concernée si une ordonnance exceptionnelle n’est pas rendue ».

[260] Je n’ordonnerai pas la mise sous scellés de toutes les pièces dans le cas présent, mais seulement des neuf pièces mentionnées par le fonctionnaire, et cela afin de réduire au minimum l’entrave au principe de transparence judiciaire. Je conclus qu’une telle ordonnance, qui ne vise que neuf des pièces, n’entrave pas l’équité des procédures, ni ne compromet de manière significative l’intérêt public. Il est ordonné de mettre sous scellés les pièces énumérées ci-dessus.

IV. Partie II : Résumé des éléments de preuve déposés à l’appui des griefs dans les dossiers 566-02-10192 et 10938

[261] À partir de janvier 2011, Mme Casper est devenue un important (et parfois le seul) point de liaison entre le fonctionnaire et l’employeur.

[262] Suivant la recommandation de son médecin, le fonctionnaire a pris un congé (pour raisons personnelles) du 11 janvier 2012 au 9 avril 2013. Durant ce congé, il a travaillé dans le secteur privé, où il a occupé divers emplois manuels et emplois dans la construction. L’absence de sécurité d’emploi dans le secteur privé est le principal facteur qui a motivé sa décision de réintégrer la fonction publique, et il a de nouveau entamé un dialogue avec son employeur pour connaître la façon de procéder à cette fin.

[263] Le 14 mai 2013, l’employeur a proposé de mettre le fonctionnaire en congé non payé jusqu’au mois d’avril 2014, afin qu’il puisse pourvoir son poste d’attache. Son droit de priorité en tant que fonctionnaire en congé devait expirer le 30 septembre 2014. Selon l’article 42 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; LEFP), à défaut de retourner au travail dans l’année suivant l’expiration de son statut de bénéficiaire de priorité, soit le 30 septembre 2015, il perdrait sa qualité de fonctionnaire.

[264] Le fonctionnaire a été mis en congé avec statut de bénéficiaire de priorité auprès de la Commission de la fonction publique (CFP). Dans le cadre du mécanisme de dotation fondé sur le statut de bénéficiaire de priorité, plusieurs présentations pour des postes correspondant à son groupe et à son niveau lui ont été envoyées. Toutefois, les demandes du fonctionnaire ont souvent été rejetées, car il ne possédait pas les qualifications requises pour les postes. Il n’a pas non plus été retenu pour des postes pour lesquels il était qualifié, ayant échoué aux examens et aux entrevues.

[265] Le 16 août 2013, le fonctionnaire a déposé un grief relatif à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation. Il prétendait que le processus de présentation prioritaire était un moyen inefficace de le réintégrer dans le milieu du travail. Ce grief porte le numéro de dossier de la Commission 566-02-10192.

[266] L’employeur n’a examiné aucun mécanisme de dotation autre que le processus de présentation prioritaire, sauf une fois, le 26 mars 2014, lorsqu’il a offert au fonctionnaire une mutation latérale dans un poste permanent identique qui nécessitait toutefois son déménagement à Ottawa. Le fonctionnaire a d’abord accepté le poste, puis, après réflexion, il l’a refusé à cause des incertitudes au sujet des perspectives d’emploi pour son épouse et du fait qu’il devait rester dans l’Ouest canadien pour prendre soin de ses parents âgés.

[267] Insatisfait des lacunes persistantes dans le processus de présentation prioritaire, le fonctionnaire a déposé un autre grief relatif à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation le 4 novembre 2014. Ce grief porte le numéro de dossier de la Commission 566-02-10938.

[268] Le fonctionnaire a cherché du travail ailleurs et il s’est inscrit à un programme de formation offert par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) en décembre 2014. Sa formation exigeait qu’il déménage pour quelque temps en dehors de la province et qu’il assiste à des formations dans des régions éloignées sans accès à Internet. Durant son absence, son épouse a continué de postuler des offres d’emploi en son nom et de discuter avec des employeurs éventuels d’entrevues et d’examens d’emploi. Cependant, le fonctionnaire a souvent été incapable de se présenter aux examens ou entrevues, à cause de l’intensité de ses séances de formation au CN. En avril 2015, les discussions avec l’employeur en vue d’un retour au travail ont cessé complètement, mais le fonctionnaire a continué de recevoir des présentations de postes. Le fonctionnaire (ou son épouse, en son absence) a présenté sa candidature pour quelques-unes de ces offres, même s’il ne possédait les qualifications requises pour aucun des postes.

[269] La candidature du fonctionnaire n’a été retenue à aucune reprise. Le 30 septembre 2015, en application de l’article 42 de la LEFP, il a cessé d’avoir qualité de fonctionnaire.

[270] Durant son témoignage, le fonctionnaire a déclaré avoir eu de plus en plus de difficulté à obtenir des soins médicaux constants de la part du Dr Parker, et que c’est pourquoi il a commencé à consulter la Dre Ribeiro en novembre 2011.

[271] Le fonctionnaire a demandé que la Dre Ribeiro, une médecin de famille ayant une vaste expérience des maladies liées à la santé mentale, soit habilitée à titre de témoin expert.

[272] L’employeur a soulevé une objection, en invoquant les cas suivants à l’appui :

· Boiko c. Conseil national de recherches du Canada, 2018 CRTESPF 11, aux paragraphes 736 à 739;

· Guraluk c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2018 CRTESPF 42, au paragraphe 29;

· R. v. Hamilton, 2011 ONCA 399, au paragraphe 259;

· R. v. K.(A) (1999), 45 O.R. (3d) 641 (C.A. Ont.), au paragraphe 72;

· R. v. Livingston, 2017 ONCJ 645, au paragraphe 65;

· R. c. Mohan, [1994] 2 RCS 9;

· R. v. Muller, 2013 BCCA 528, aux paragraphes 34 à 37;

· White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co., 2015 CSC 23.

 

[273] En plus de Mohan et White Burgess Langille Inman, le fonctionnaire a invoqué les décisions suivantes pour appuyer sa prétention selon laquelle la Dre Ribeiro devrait être habilitée comme témoin expert en raison uniquement de son expertise dans le diagnostic et le traitement de ses problèmes de santé mentale :

· Westerhof v. Gee Estate, 2015 ONCA 206;

· Kon Construction Ltd. v. Terranova Developments Ltd., 2014 ABQB 256;

· Laing v. Sekundiak, 2015 MBCA 72;

· Kaul c. La Reine, 2017 CCI 55;

· Canada Post Corp. v. C.U.P.W. (External) (1992), 29 L.A.C (4th) 143.

 

[274] L’employeur a fait valoir que la Dre Ribeiro n’était pas une spécialiste de la santé mentale et qu’elle n’avait pas les compétences requises pour avoir qualité de témoin expert. De plus, son témoignage n’était pas nécessaire pour trancher les questions en litige à l’audience, car elle ne pouvait pas fournir des renseignements qui ne relevaient pas de l’expérience ou des connaissances du juge des faits. L’employeur a également fait valoir qu’en sa qualité de médecin traitant du fonctionnaire, la Dre Ribeiro n’avait pas l’impartialité requise pour agir en qualité de témoin expert et qu’elle ne ferait que défendre les intérêts du fonctionnaire.

[275] Le fonctionnaire a attiré l’attention sur la partie du témoignage de la Dre Ribeiro où celle-ci a déclaré qu’en sa qualité de médecin traitant, elle avait le devoir de se prononcer dans l’intérêt supérieur de la santé du patient, ce qui n’influerait pas sur son impartialité. Dans les poursuites judiciaires, les médecins traitants sont les experts participants les plus souvent reconnus, par opposition aux experts des litiges. L’expert participant est directement concerné par les faits de l’affaire et n’est pas convoqué à la seule fin du litige. Ce témoin peut agir en qualité de témoin des faits uniquement, bien qu’il soit préférable, dans bien des cas, qu’il soit habilité comme expert. Les présents griefs portent sur une prétendue invalidité, ce qui constitue une décision judiciaire. Le juge des faits doit déterminer si le fonctionnaire avait une déficience et quels étaient les symptômes et les manifestations de celle-ci. Le fonctionnaire a fait valoir que ces facteurs étaient clairement pertinents pour régler la question de la prise de mesures d’adaptation, et la Dre Ribeiro, en qualité de témoin expert, pouvait apporter une vue utile sur ces questions.

A. Décision concernant l’habilitation de la Dre Ribeiro à titre de témoin expert

[276] En ce qui concerne la question de l’indépendance, je reconnais le devoir de se prononcer dans l’intérêt supérieur de la santé de ses patients. La Dre Ribeiro a été habilitée comme expert dans d’autres procédures judiciaires, et les témoignages qu’elle a présentés au sujet de sa qualité d’expert étayent suffisamment le fait qu’elle connaît son rôle dans la présente procédure. Au paragraphe 46 de White Burgess Langille Inman, la Cour suprême note que, « [p]ar conséquent, les témoins experts doivent être conscients de leur obligation principale envers le tribunal et pouvoir et vouloir s’en acquitter ». J’ai été convaincu que la Dre Ribeiro présenterait des avis impartiaux et honnêtes, sans égard aux effets qu’ils pourraient avoir sur les intérêts financiers ou juridiques du fonctionnaire.

[277] Le curriculum vitæ de la Dre Ribeiro a été produit en preuve et, durant son témoignage, elle a parlé des différents aspects de sa pratique dans la sphère des problèmes de santé mentale. Je conclus qu’elle est pleinement qualifiée en tant que médecin de famille, mais également qu’elle possède une expérience suffisante des problèmes de santé mentale pour avoir qualité d’expert au sujet de la santé mentale du fonctionnaire.

[278] Je suis d’avis que personne n’était mieux placé que la Dre Ribeiro pour témoigner de la santé mentale du fonctionnaire durant toutes les périodes pertinentes visées par les griefs liés à l’obligation qu’avait l’employeur de prendre des mesures d’adaptation dans le cadre du processus de retour au travail. Je note toutefois que la Dre Ribeiro n’était pas le médecin traitant du fonctionnaire durant la période visée par les griefs disciplinaires.

[279] Quant à la question de la nécessité, j’accepte les arguments de l’employeur selon lesquels les lettres de la Dre Ribeiro sont parfaitement compréhensibles pour un profane, mais que le profane pourrait être dépassé par certains aspects de l’interprétation des faits de la Dre Ribeiro. Il était impossible de prévoir à l’avance quels éléments nécessiteraient l’interprétation d’un expert pour aider le juge des faits. Dans ces circonstances, j’ai jugé prudent d’accorder à la Dre Ribeiro la qualité de témoin expert et de lui permettre d’exprimer des opinions selon les faits qu’elle a observés au sujet de la santé mentale du fonctionnaire.

B. L’année civile 2011

[280] La Dre Ribeiro a témoigné de la piètre santé mentale du fonctionnaire lorsque celui-ci l’a consultée pour la première fois, en octobre 2011. Elle a posé un diagnostic de trouble dépressif majeur qui, a-t-elle mentionné, était conforme à d’autres diagnostics posés précédemment par d’autres professionnels de la santé mentale consultés par le fonctionnaire. La Dre Ribeiro a mentionné qu’un médecin en particulier avait inclus un diagnostic de [traduction] « [...] trouble de l’adaptation accompagné d’anxiété et d’humeur dépressive ». Il s’agit du seul diagnostic autre que le trouble dépressif majeur qui a été posé. La Dre Ribeiro n’acceptait toutefois pas ce diagnostic, principalement parce que le trouble de l’adaptation a une définition restreinte et qu’il doit disparaître dans les six mois suivant le retrait du facteur de stress. Or, ce n’était pas le cas du fonctionnaire, dont l’état dépressif a duré plus de six mois après que celui-ci a quitté son milieu de travail stressant.

[281] Le fonctionnaire a été en congé de maladie payé du 21 janvier au 21 mars 2011, après quoi il a été en congé de maladie non payé et a reçu des prestations d’invalidité de longue durée.

[282] En juin 2011, le fonctionnaire s’est retiré du processus d’évaluation de l’aptitude au travail de Santé Canada, estimant que ce processus n’avait aucune valeur puisque, selon ses propres mots, il n’allait [traduction] « pas retourner au travail de sitôt ».

[283] Le 24 novembre 2011, la Dre Ribeiro a écrit à l’employeur pour lui recommander la mesure suivante pour le fonctionnaire :

[Traduction]

 

[…]

[…] que [le fonctionnaire] soit absent [du travail] pendant au moins un an pour prendre soin de son bien-être mental, de sa réadaptation et de son rétablissement. Ce temps d’arrêt est nécessaire pour évaluer les effets de divers environnements sur sa capacité fonctionnelle, sa santé mentale et son bien-être.

Je vous informerai lorsque [son] état de santé se sera stabilisé et qu’il sera vraisemblablement en mesure d’occuper un emploi à temps plein.

[…]

 

[284] Au cours de l’année civile 2011, après avoir consulté ses médecins, le fonctionnaire a commencé à ressentir le besoin d’avoir un rythme différent de celui de la fonction publique, et il s’est mis à chercher du travail dans le secteur privé. Il ne pouvait donc plus toucher de prestations d’invalidité de longue durée. Il a commencé à travailler dans le secteur privé en janvier 2012.

C. L’année civile 2012

[285] Un tableau indiquant les différents emplois que le fonctionnaire a occupés en dehors de la fonction publique a été présenté en preuve. Durant son témoignage, le fonctionnaire a déclaré avoir ressenti beaucoup de frustration, car bon nombre de ces emplois étaient dans le secteur de la construction et les champs pétrolifères et comportaient de lourds travaux manuels, ce qui l’a marqué physiquement. Sa principale préoccupation dans tous ces emplois était l’absence de sécurité d’emploi. Il se retrouvait sans cesse dans la situation où il était mis à pied et devait chercher un nouvel emploi.

[286] Désireux de ne pas écarter la possibilité d’un retour dans la fonction publique, le fonctionnaire a demandé un congé non payé de longue durée du 11 janvier 2012 au 9 avril 2013. Ce congé non payé a été classé dans la catégorie des congés pour raisons personnelles.

D. L’année civile 2013

[287] Après avoir consulté son épouse et ses médecins, le fonctionnaire a décidé de réintégrer la fonction publique. Le 4 février 2013, la Dre Ribeiro a envoyé à l’employeur une lettre dans laquelle elle insistait sur le fait que le retour au travail du fonctionnaire devait se faire ailleurs qu’au CTD de Vegreville.

[288] Dans une lettre datée du 16 février 2013, Mme Casper a, au nom du fonctionnaire, écrit à Josée Lapointe, directrice, Efficacité de l’effectif. Elle faisait référence à la lettre de la Dre Ribeiro et aux mesures d’adaptation qu’elle recommandait.

[289] Ariane Hovington, gestionnaire des relations de travail à CIC, a participé au processus de retour au travail du fonctionnaire. Dans un courriel daté du 24 mai 2013, elle prenait acte de la mesure d’adaptation demandée, mais elle déclarait qu’aucun poste n’était disponible.

[290] Mme Hovington a alors fait remarquer à Mme Casper que M. Casper [traduction] « […] devait participer au processus de mesure d’adaptation » et qu’il devait à cette fin remplir les documents demandés.

[291] Les documents auxquels Mme Hovington faisait référence comprenaient des formulaires de demande de congé. Dans des courriels datés du 23 mai 2013 et adressés à Joanne Daniel, représentante de l’agent négociateur du fonctionnaire, Mme Hovington a indiqué ce qui suit : « […] nous voulons prolonger son congé non payé et pourvoir son poste. » Elle précisait qu’elle l’informerait lorsque le poste du fonctionnaire serait pourvu et qu’il avait été inscrit sur la liste des bénéficiaires de priorité.

[292] Mme Casper a, au nom du fonctionnaire, demandé plus de renseignements sur les conséquences de la dotation du poste et de l’inscription du fonctionnaire sur la liste des bénéficiaires de priorité.

[293] Durant leurs témoignages, le fonctionnaire et Mme Casper ont indiqué qu’ils avaient hésité à s’engager dans le processus de présentation prioritaire et qu’ils avaient tous les deux demandé directement pourquoi la réintégration dans son poste d’attache (dans un bureau autre que le CTD de Vegreville) n’était pas une option.

[294] Mme Hovington a témoigné que ce n’était pas une option, parce qu’aucun poste de ce type n’était disponible. Ce témoin a déclaré que 19 bureaux de CIC avaient été fermés un peu partout au pays et que de nombreux postes avaient été supprimés. Le poste de SPS auquel aspirait le fonctionnaire n’existait plus qu’à Sydney (Nouvelle-Écosse), à Vegreville (qui n’était pas une possibilité en raison des mesures d’adaptation à prendre), ainsi qu’à Ottawa et Mississauga (Ontario). Les deux autres types de postes de niveau PM-03 (agent d’établissement et agent de citoyenneté et d’immigration) existaient ailleurs qu’à Vegreville, mais la description de travail de ces postes différait complètement de celle des postes de SPS.

[295] Le fonctionnaire a fait part de ses préoccupations à son agent négociateur. Le 5 avril 2013, Claire Lalonde a écrit en son nom à l’employeur en déclarant ce qui suit : [traduction] « [...] pouvez-vous confirmer que vous avez informé la direction locale de Terry qu’il sera en congé non payé jusqu’à ce que vous lui trouviez un poste pour son retour au travail? »

[296] Le 23 mai et le 13 juin 2013, Mme Daniel a demandé plus de renseignements au sujet du processus de présentation prioritaire et a proposé de régler les griefs en suspens.

[297] Durant son témoignage, Edward Stack, de la Commission de la fonction publique, a parlé du Système de gestion de l’information sur les priorités (SGIP). Il a déclaré que, si un employé est en congé durant une période suffisamment longue et que son poste est pourvu, cet employé a alors droit à une présentation prioritaire lorsque des possibilités d’emploi s’offrent.

[298] M. Stack a décrit le processus de présentation prioritaire comme un outil permettant aux fonctionnaires de maintenir une continuité de service durant des périodes d’absence prolongée du lieu de travail. L’employeur doit pourvoir le poste occupé par la personne en congé pour maintenir la productivité sur le lieu de travail et, lorsque cela est fait, la personne en congé bénéficie d’un droit de priorité de nomination pour faciliter son retour au travail.

[299] Bien que le fonctionnaire se soit défini comme une personne handicapée, il s’agit d’une catégorie très restreinte qui ne s’appliquait pas à lui. Il a plutôt été classé dans la catégorie des personnes retournant au travail après un congé, lequel congé devait prendre fin le 30 septembre 2014. Le droit de priorité dure un an.

[300] Durant son témoignage, M. Stack a renvoyé aux articles 41 et 42 de la LEFP, qui sont rédigés comme suit :

41 (1) Dans le cas où un fonctionnaire est en congé et est remplacé par voie de nomination ou de mutation d’une autre personne à son poste pour une période indéterminée, ont droit à une priorité de nomination absolue :

41 (1) When an employee on leave of absence is replaced, pursuant to the appointment or deployment of another person for an indeterminate period to the employee’s position, priority for appointment shall be given over all other persons to

a) le fonctionnaire qui est en congé, pendant son congé et l’année qui suit;

(a) the employee on leave of absence, for the duration of the leave of absence and a further period of one year ….

[…]

42 La personne visée au paragraphe 41(1) qui n’est pas nommée à un poste dans le délai applicable aux termes de ce paragraphe perd sa qualité de fonctionnaire à l’expiration de ce délai.

42 A person who is entitled under subsection 41(1) to be appointed to a position and who is not so appointed in the applicable period provided for in that subsection ceases to be an employee at the end of that period.

 

[301] M. Stack a précisé que le fonctionnaire avait été inscrit à quatre groupes et niveaux, dont le groupe et niveau correspondant à son poste (PM-03) et trois autres, soit AS-03, WP-02 et FB-02. Le bénéficiaire de priorité peut modifier les renseignements saisis, par exemple afin d’ajouter ou de supprimer des groupes et niveaux ou d’ajouter (ou de modifier) un curriculum vitæ. La personne peut parfois accepter un poste doté pour une période déterminée plutôt qu’un poste permanent, ou elle peut accepter un poste de niveau inférieur, et ces changements favoriseront un plus grand nombre de présentations. M. Stack a mentionné que le fonctionnaire n’avait pas opté pour un poste doté pour une période déterminée.

[302] Même si le fonctionnaire n’était pas visé par un processus de réaménagement des effectifs, on lui a également proposé des présentations prioritaires dans le cadre de ce processus afin de maximiser le nombre de présentations qui lui étaient faites.

[303] M. Stack a mentionné que le fonctionnaire semblait avoir bénéficié de toutes les possibilités qui s’offraient dans le cadre du processus de présentation prioritaire. Il a déclaré qu’absolument rien de plus n’aurait pu lui être offert dans les circonstances.

[304] Le 25 juin 2013, Mme Casper a écrit ce qui suit au nom du fonctionnaire :

[Traduction]

 

[…] Je voulais encore une fois communiquer directement avec vous, car quatre mois se sont écoulés depuis que l’employeur a été informé que Terry pouvait retourner au travail [...]

[…]

[…] Si le ministère n’est pas disposé à accepter des propositions de règlement, nous nous attendons à ce que les mesures d’adaptation normales et habituelles soient offertes [...]

[…]

[…] Puisque cette situation traîne depuis déjà quatre mois et que nous n’avons obtenu aucune réponse concernant ses mesures d’adaptation ou son retour au travail, nous sollicitons de nouveau votre intervention et votre aide.

[…]

 

[305] Le 18 juin 2013, la Dre Ribeiro a écrit à l’employeur ce qui suit :

[Traduction]

 

[…]

Selon ce que je comprends, il vous est impossible d’offrir un poste qui permettrait à M. Casper de reprendre un travail gratifiant ou de réintégrer le milieu du travail pour une durée indéterminée. Je crois également comprendre que vous aimeriez régler les plaintes de harcèlement qui ont été déposées par, et contre, M. Casper.

Comme les événements passés au travail ont déjà eu d’importants effets négatifs sur la santé physiologique de M. Casper, je suis convaincue que vous pouvez comprendre à quel point il est difficile et néfaste pour M. Casper d’avoir à gérer en même temps deux événements majeurs dans le cours de sa vie, soit l’impossibilité pour lui de reprendre un travail gratifiant et le fait d’avoir à composer avec des plaintes de harcèlement.

Compte tenu des effets que les problèmes antérieurs au travail ont eus sur la santé de M. Casper, il n’est pas recommandé à ce stade qu’il revive d’anciens traumatismes au travail. Il serait vraiment bénéfique pour le bien-être de M. Casper que l’on facilite son retour au travail immédiat en lui confiant un emploi gratifiant dans un lieu de travail différent, comme il a déjà été demandé.

[…]

 

[306] Dans un courriel daté du 11 juillet 2013, M. Armstrong, directeur général de la Région du traitement centralisé, a indiqué que la direction ne souhaitait nullement un règlement et a répété en ces termes les options qui s’offraient au fonctionnaire :

[Traduction]

 

[…]

Comme le congé approuvé actuel de M. Casper a pris fin le 5 juillet 2013, il est important qu’il informe la direction de l’option qu’il privilégie pour l’avenir (c’est-à-dire que CIC continue de lui proposer uniquement des postes internes ou qu’il y ait dotation de son poste, ce qui donnera lieu à un droit de priorité). Quelle que soit sa décision, il devra soumettre un autre formulaire de congé afin que la durée de son congé non payé soit prolongée au-delà du 5 juillet 2013. J’invite M. Casper à remplir le formulaire ci-joint et à me le retourner au plus tard le 17 juillet 2013.

[…]

 

[307] Le 12 juillet 2013, Mme Casper a demandé des précisions au nom du fonctionnaire, en ces termes :

[Traduction]

 

[…]

1.) Pourriez-vous me dire quelles mesures ont été prises conformément aux nouvelles lignes directrices relatives à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation, publiées par la Direction générale des ressources humaines en avril 2013?

2.) Pourriez-vous me fournir une liste des postes, des lieux de travail et des personnes-ressources pour lesquels la candidature de M. Casper a été proposée, et m’indiquer où en sont rendues ces démarches?

3.) S’il accepte la proposition, pourriez-vous m’indiquer l’article de la LEFP qui s’applique relativement à son droit de priorité?

4.) Si M. Casper choisit de ne pas devenir un bénéficiaire de priorité, quelles sont les autres options dont dispose le ministère en termes de mesures d’adaptation?

[…]

 

[308] Dans sa correspondance du 11 septembre 2013, M. Armstrong résumait les mesures d’adaptation qui avaient été prises et mentionnait que le curriculum vitæ du fonctionnaire avait été distribué dans l’ensemble des régions de l’ouest et de l’Ontario de CIC, ainsi que dans la région de la capitale nationale. M. Armstrong n’a pas témoigné, car il est malheureusement décédé.

[309] Une énorme quantité de documents ont été produits en preuve sur chacune des présentations qui ont été faites dans le cadre du processus de présentation prioritaire. Il est inutile de faire un examen exhaustif de chacun de ces documents. Il suffit d’en donner une description générale.

[310] Au départ, le fonctionnaire avait indiqué qu’il était disposé à déménager en dehors de l’Ouest canadien, y compris à Ottawa et à Mississauga, et il a reçu des propositions pour ces endroits. Il a posé sa candidature, mais on a jugé qu’il ne répondait pas aux exigences.

[311] Mme Hovington a déclaré que 36 postes différents lui avaient été proposés par CIC entre août 2013 et janvier 2014. M. Stack a mentionné au total 76 présentations de la part de la CFP.

[312] Mme Casper a examiné ces présentations et a noté que, pour certaines d’entre elles, la date de nomination était antérieure à la mise en place du processus de présentation. Pour d’autres, les exigences linguistiques ou la formation requise excluaient la candidature du fonctionnaire.

[313] Le fonctionnaire a témoigné de sa frustration de ne pas satisfaire aux exigences de qualification de la presque totalité des postes qui lui étaient présentés, en ce qu’il ne pouvait pas satisfaire à l’exigence d’une [traduction] « expérience professionnelle récente » du fait qu’il avait été absent si longtemps du travail.

[314] Dans un courriel du 13 janvier 2014 et durant son témoignage, Mme Hovington a déclaré que [traduction] « [...] la direction a[vait] accepté de prendre en compte l’expérience [du fonctionnaire] avant son congé et de ne pas tenir compte de sa période d’invalidité » dans le cadre du processus de dotation collective pour lequel il avait postulé. Elle a reconnu que cette façon de faire était celle de M. Armstrong, et que chaque directeur général était responsable de sa propre région et que rien ne garantissait que d’autres traiteraient la situation de la même façon que M. Armstrong.

[315] Mme Hovington a également témoigné que le processus de présentation n’était pas parfait et qu’il y avait eu certains [traduction] « bogues ». Par exemple, certaines présentations n’ont jamais été envoyées au fonctionnaire. On lui a également proposé des postes qui étaient habituellement réservés aux personnes touchées par un réaménagement des effectifs. Ce processus particulier de présentation a été mis en place uniquement pour le fonctionnaire.

[316] Sharon Barbour, représentante de l’agent négociateur, a témoigné au nom du fonctionnaire des efforts qu’elle a faits pour l’aider. Elle a reconnu que la situation du fonctionnaire était compliquée du fait que la majorité des postes à CIC sont situés à Ottawa et qu’il ne pouvait pas poser sa candidature pour des postes au Québec et dans la région de l’Atlantique, puisqu’il n’est pas bilingue.

[317] Mme Barbour a déclaré qu’elle connaissait d’autres mesures d’adaptation qui, selon elle, auraient pu être envisagées. Le 5 mars 2014, elle a envoyé un courriel au nom du fonctionnaire, dans lequel elle mentionnait notamment ce qui suit :

[Traduction]

 

[…]

Je crois comprendre que ce statut de bénéficiaire de priorité est la seule mesure d’adaptation prévue pour l’instant pour M. Casper. M. Casper continuera de collaborer et de participer à tous les efforts faits par l’employeur pour lui trouver un poste approprié, mais il est prêt à reprendre le travail depuis environ un an et les efforts faits par le ministère à son égard ont été jusqu’à maintenant infructueux.

Il paraît évident que le plan d’adaptation actuel de M. Casper n’est pas suffisant. Nous demandons que M. Casper soit réintégré immédiatement dans son poste d’origine dans un lieu de travail différent.

CIC emploie-t-il des coordonnateurs des retours au travail qui pourraient aider le fonctionnaire dans ses efforts en ce sens? Dans la négative, pourriez-vous suggérer quelqu’un de l’Unité de l’équité en matière d’emploi, de la diversité et des langues officielles de CIC avec qui nous pourrions travailler?

[…]

 

[318] Trois semaines plus tard, soit le 26 mars 2014, M. Armstrong a proposé au fonctionnaire la mutation suivante :

[Traduction]

 

[…]

Il s’agit d’un poste de spécialiste de la prestation des services, classifié au groupe et au niveau PM-03, au Centre de soutien des opérations [...] situé dans le centre-ville d’Ottawa [...]

[…]

Veuillez également prendre note que, si votre épouse devait demander un congé non payé pour réinstallation du conjoint afin de déménager avec vous, ce congé lui serait accordé pour une période maximale d’un an [...] et elle bénéficierait alors d’un droit de priorité pour réinstallation du conjoint.

[…]

 

[319] Le fonctionnaire et Mme Casper ont témoigné que l’offre de mutation avait suscité au départ un certain optimisme. Cette mutation signifiait que le fonctionnaire pourrait réintégrer son ancien poste dans un lieu de travail autre que Vegreville, sans avoir à passer d’entrevue ou d’examen.

[320] Le fonctionnaire et Mme Casper ont tous deux témoigné de leurs doutes au sujet du processus de présentation prioritaire. Selon eux, ce processus ne semblait pas fonctionner très bien pour le fonctionnaire, et Mme Casper craignait de se retrouver dans la même situation.

[321] Le fonctionnaire a déclaré avoir mûrement réfléchi à l’offre de mutation pendant environ un mois. Lui, son épouse et Mme Barbour ont discuté plus en détail avec M. Armstrong pour savoir ce que la mutation impliquerait. Le fonctionnaire a finalement décidé de refuser l’offre. Le 28 avril 2014, Mme Barbour a envoyé ce courriel en son nom :

[Traduction]

 

Merci pour votre courriel. Après mûre réflexion, M. Casper a décidé qu’il ne peut pas accepter cette offre d’emploi.

Sa situation a changé durant la longue période qui s’est écoulée depuis qu’il a d’abord fait savoir qu’il pourrait travailler à Ottawa. Cette période prolongée de congé non payé a été difficile sur le plan financier, et M. Casper et son épouse ne sont pas en mesure pour le moment de déménager à l’autre bout du pays. Ils perdraient leur réseau de soutien familial et Mme Casper perdrait son revenu durant une période indéterminée. La meilleure solution pour eux est de rester dans l’Ouest.

Nous vous saurions gré de retirer Ottawa de la liste des lieux de travail potentiels. Edmonton, Calgary, Regina et Saskatoon demeurent des possibilités pour leur famille.

[…]

 

[322] L’employeur a appelé Colleen Bohan à témoigner des efforts qu’elle a faits pour aider le fonctionnaire à obtenir un poste. Elle a déclaré qu’elle comptait sept années d’expérience dans le domaine des relations de travail lorsqu’elle a commencé à s’occuper du dossier du fonctionnaire. Elle était au courant de l’exigence de mesure d’adaptation selon laquelle la candidature du fonctionnaire ne devait pas être proposée pour des postes au CTD de Vegreville.

[323] Mme Bohan a déclaré qu’une des présentations en particulier, que le fonctionnaire a reçue le 21 mai 2014, était pour un poste permanent d’agent d’établissement classé au groupe et au niveau PM-03, à Edmonton. Le fonctionnaire a demandé une prolongation du délai de cinq jours prévu pour répondre à la proposition de poste. Mme Bohan lui a accordé deux jours supplémentaires.

[324] Le fonctionnaire devait fournir le nom de deux personnes pouvant fournir des références. Il a affirmé qu’il n’en avait qu’une seule, et Mme Bohan a témoigné qu’elle avait accepté cette unique référence. Le 25 juillet 2014, le fonctionnaire a été convoqué à une entrevue. Il a déclaré que les questions de l’entrevue lui avaient causé de l’anxiété, en raison de son invalidité. Il a consulté son médecin, la Dre Ribeiro, qui a écrit une lettre le 29 juillet 2014, dans laquelle elle disait notamment ce qui suit :

[Traduction]

 

[…]

Comme M. Casper n’a pas eu l’occasion d’exercer ses fonctions professionnelles habituelles depuis longtemps, il n’a pas été en mesure de mettre en pratique le raisonnement systématique détaillé qu’exigeait son ancien poste. Il serait donc judicieux de lui fournir des questions ou des renseignements à l’avance. Il devrait également disposer de plus de temps pour la prise de décisions, l’analyse et la communication de renseignements exigeant une réponse rapide.

[…]

 

[325] Durant son témoignage, Mme Bohan a déclaré avoir reçu un courriel daté du 1er août 2014 de la CFP au sujet du processus de présentation. Il y était notamment indiqué ce qui suit : [traduction] « J’aimerais seulement savoir où en est cette demande. Vous avez reçu les dossiers des bénéficiaires de priorité le 21 mai. Une rétroaction est habituellement exigée dans un délai de 60 jours. Dans votre cas, 72 jours sont passés. »

[326] Mme Bohan a témoigné au sujet de la réponse qu’elle a fournie le 6 août 2014, dans laquelle on peut lire ce qui suit :

[Traduction]

 

[…]

Nous poursuivons toujours l’évaluation avec M. Casper. Plusieurs demandes de sa part ont retardé le processus. Il a notamment demandé plus de temps pour mettre à jour son curriculum vitæ, il a tardé à fournir des références et n’a fourni qu’une seule référence au lieu des deux exigées. Il n’était pas disponible à la première date prévue pour l’entrevue et il nous a maintenant envoyé une note de son médecin qui demande certaines mesures d’adaptation durant l’entrevue [...]

[…]

 

[327] Mme Bohan a témoigné qu’elle était intervenue en faveur du fonctionnaire et qu’elle n’avait pas annulé la demande d’autorisation de la priorité. Les retards ont causé des inconvénients à CIC. Elle a notamment mentionné un courriel qu’elle avait reçu de Sadie McLure, qui résumait la situation comme suit :

[Traduction]

 

[…]

Il est essentiel que nous continuions à avancer dans ce dossier qui paralyse nos activités, car le processus de présentation de la CFP à l’égard de ce fonctionnaire bloque la dotation d’environ 16 postes en Alberta. Je n’ai pas l’impression que le fonctionnaire fait autant d’efforts que nous. La CFP nous a présenté le fonctionnaire le 21 mai 2014 et nous tentons activement de terminer son évaluation depuis.

[…]

 

[328] Le fonctionnaire, par l’entremise de son agent négociateur, a invité l’employeur à faire appel au Centre de psychologie du personnel (CPP) pour l’aider à trouver des mesures d’adaptation. Mme Bohan a reconnu, durant son témoignage, avoir reçu un questionnaire du CPP au sujet du format de l’entrevue. Elle l’a rempli et l’a retourné à la CFP le 2 septembre 2014, avec l’énoncé des critères de mérite et le guide de cotation.

[329] Mme Bohan a témoigné que cela avait nécessité la collecte de renseignements supplémentaires auprès du médecin du fonctionnaire. Dans un courriel envoyé au fonctionnaire le 18 septembre 2014, Mme Bohan a joint le formulaire intitulé [traduction] « Renseignements recueillis auprès d’un professionnel de la santé aux fins de prise de mesures d’adaptation ». Elle demandait que le formulaire soit retourné avant le 23 septembre 2014.

[330] Le 14 novembre 2014, Helen Grantis, du CPP, a répondu à Mme Bohan en lui présentant un résumé de recommandations sur la manière d’évaluer équitablement le fonctionnaire lors d’une entrevue. La lettre de Mme Grantis mentionnait notamment ce qui suit :

[Traduction]

 

[…]

Comme vous le savez, mon travail consiste à vous conseiller sur la manière d’évaluer M. Casper équitablement. J’ai commencé par faire un examen approfondi de la nature et de l’étendue de ses limitations fonctionnelles. J’ai examiné son questionnaire personnel, ainsi que la lettre et le questionnaire de son médecin. J’ai également parlé au candidat.

J’ai ensuite examiné les questions d’entrevue et les critères d’évaluation pour voir s’ils comportaient quelque élément susceptible de nuire à une évaluation équitable. J’ai également tenu compte du contexte de dotation, c’est-à-dire du processus de présentation prioritaire.

Au terme de cette évaluation, j’ai conclu qu’il vous sera impossible d’évaluer M. Casper équitablement en utilisant des questions axées sur le comportement, qui l’obligeraient à revenir sur sa conduite antérieure au travail. Il ne fait aucun doute que, s’il doit le faire, il aura de la difficulté à prouver sa compétence de manière équitable, en raison du lien entre ses expériences professionnelles passées et son invalidité actuelle. Le médecin a indiqué qu’il faut « éviter que le fonctionnaire ait à se remémorer des expériences professionnelles ou personnelles liées au travail ».

Puisque M. Casper bénéficie d’une priorité légale et qu’il est le seul à faire l’objet d’une évaluation, vous disposez d’une certaine marge de manœuvre quant à la manière de l’évaluer. Bien que le fonctionnaire doive démontrer qu’il possède les qualifications essentielles, le gestionnaire a le pouvoir discrétionnaire de l’évaluer de la manière qu’il juge appropriée.

Votre entrevue contient une question axée sur le comportement qui devra être modifiée. En d’autres termes, vous devez modifier la première question. Les autres questions peuvent rester inchangées, à condition que le fonctionnaire n’ait pas à fournir d’exemples liés au travail. Vous pourriez, par exemple, remplacer la première question par une question situationnelle. En plus de modifier cette question, je vous recommande également d’accorder plus de temps au candidat pour étudier les questions. Je vous remettrai un rapport énonçant mes recommandations la semaine prochaine.

[…]

 

[331] Mme Bohan a témoigné au sujet de la décision de l’employeur d’accepter toutes les recommandations du CPP et du fait qu’il a tenté de tenir une entrevue le plus rapidement possible pour les postes. Dans l’intervalle, un autre poste PM-03 à CIC a été présenté au fonctionnaire, situé cette fois-ci à Saskatoon (Saskatchewan). Dans un courriel envoyé au fonctionnaire le 20 février 2015, Mme Bohan a notamment écrit ce qui suit :

[Traduction]

 

[…]

En réponse à la demande de Jodi Casper, je vous écris pour confirmer la forme que prendront les prochaines étapes de l’évaluation de M. Casper pour des postes PM-03 au sein de CIC situés à Edmonton, Calgary et Saskatoon.

Terry devra se soumettre à un examen écrit, ce qu’il pourra faire depuis la maison. L’examen comportera trois questions visant à évaluer les critères de mérite suivants : esprit de décision, souci de la qualité et du détail, jugement/raisonnement analytique et compétence en communication écrite. Il bénéficiera de mesures d’adaptation durant la portion écrite, conformément aux recommandations du Centre de psychologie du personnel :

« Il devrait avoir le double du temps accordé aux autres candidats. L’horaire devrait être établi en tenant compte de cette période prolongée. » Nous enverrons les questions d’examen par courriel et Terry aura 24 heures pour faire l’examen et le retourner. Nous n’avons pas encore été en mesure de fixer une date à laquelle Terry sera disponible pour faire cet examen écrit.

La date de l’entrevue reste elle aussi à déterminer. L’entrevue se fera en personne ou par vidéoconférence. Elle comportera trois questions de type situationnel. Ces questions viseront à évaluer les critères de mérite suivants : faculté d’adaptation et souplesse, communication interactive efficace, compréhension interpersonnelle et valeurs et éthique. Terry bénéficiera là encore de mesures d’adaptation conformément aux recommandations du Centre de psychologie du personnel :

« TEMPS SUPPLÉMENTAIRE :

M. Casper devrait disposer de 48 heures pour étudier les questions de l’entrevue.

L’entrevue pourrait durer plus longtemps. M. Casper devrait avoir plus de temps pour répondre, au besoin. S’il y a lieu, le comité devra poser des questions pour obtenir des clarifications.

AUTRES : Des mesures doivent être prises pour réduire le stress pour ce candidat :

Durant l’entrevue, lui accorder une courte pause, au besoin.

Il peut y avoir des périodes plus propices dans la journée pour faire passer l’entrevue. »

Veuillez prendre note que j’ai informé la conseillère en administration des priorités de la CFP que Terry n’est pas disponible pour une évaluation avant la mi-mars, selon les courriels reçus de Jodi Casper les 6 et 10 février. Celle-ci a confirmé que le fonctionnaire n’avait pas informé la CFP de cette actuelle non-disponibilité [...]

[…]

 

[332] Dans un courriel daté du 10 février 2015, Mme Casper a notamment écrit ce qui suit :

[Traduction]

 

Bonjour Colleen, je confirme que nous avons reçu les renseignements que vous avez envoyés au sujet des mesures d’adaptation. En raison du long intervalle qui s’est écoulé, [le fonctionnaire] suit actuellement un programme de formation afin d’avoir la possibilité d’obtenir une certaine sécurité d’emploi. Ce programme est donné dans une région éloignée et il n’a pas accès à un ordinateur. Ce dont je suis certaine pour l’instant, c’est qu’il ne sera pas disponible avant la mi-mars.

[…]

 

[333] Lors de leurs témoignages, Mme Casper et le fonctionnaire ont fourni plus de détails à ce sujet. Ils avaient tous les deux le sentiment que le processus de présentation prioritaire ne leur convenait tout simplement pas, et ils ont dit avoir été déçus qu’il n’y ait pas d’autres options ou possibilités permettant le retour au travail du fonctionnaire. Le fonctionnaire a donc cherché un emploi sûr et stable ailleurs. Dans ce but, il a présenté sa candidature pour un programme de formation offert par le CN, avec succès.

[334] Le fonctionnaire a témoigné qu’il avait suivi un programme de formation préliminaire de huit semaines à Winnipeg (Manitoba) pour devenir chef de train. Il s’agissait d’un programme rigoureux comportant huit heures par jour de formation en classe et sur le terrain. Ayant réussi cette étape de la formation, il a ensuite pu entreprendre un processus de qualification d’une durée de quatre à six mois. Il s’est rendu en Saskatchewan durant la première semaine de mars 2015 pour commencer ce processus. Durant cette période, il a eu très peu de communications avec son épouse. Il n’avait pas d’ordinateur et il se retrouvait souvent dans des régions éloignées du pays, sans connexion Internet ou avec une connexion rudimentaire, au mieux.

[335] Le fonctionnaire n’a pas participé au processus d’entrevues pour les postes PM-03 offerts à Calgary et Edmonton, en Alberta, ainsi qu’à Saskatoon.

[336] Mme Bohan a déclaré avoir fait un suivi à plusieurs reprises entre février et avril 2015, mais elle n’a jamais pu obtenir du fonctionnaire qu’il fixe une date d’entrevue. Celui-ci a déclaré durant son témoignage qu’il n’avait pas été en mesure de le faire à cause des exigences de son calendrier de formation au CN.

[337] Les derniers échanges de courriels entre le fonctionnaire et Mme Bohan ont eu lieu les 28 et 30 avril 2015; on pouvait notamment y lire ceci :

[Traduction]

 

[…]

Comme la fin avril approche, veuillez nous indiquer si M. Casper est maintenant disponible pour une présentation en qualité de bénéficiaire de priorité. Comme je le mentionne ci-après, j’ai modifié son statut dans le Système de gestion de l’information sur les priorités, à « non disponible ». Nous devons connaître la date à laquelle il sera disponible afin que nous puissions de nouveau lui présenter des postes susceptibles de l’intéresser.

Veuillez prendre note que le droit de priorité de M. Casper prendra fin le 30 septembre 2015.

[…]

 

[338] Au nom du fonctionnaire, Mme Casper a continué de répondre aux présentations proposées et de postuler différents postes pendant que le fonctionnaire poursuivait sa formation au CN. Aucune de ces demandes n’a été retenue.

[339] Le 8 septembre 2015, le fonctionnaire a reçu une lettre de l’employeur dans laquelle il était notamment énoncé ceci :

[Traduction]

 

[…]

La présente fait suite à ma lettre du 25 septembre 2014, dans laquelle nous vous informions que votre priorité de fonctionnaire en congé prendra fin le 30 septembre 2015 et des dispositions énoncées à l’article 42 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP) :

42. La personne visée au paragraphe 41(1) qui n’est pas nommée à un poste dans le délai applicable aux termes de ce paragraphe perd sa qualité de fonctionnaire à l’expiration de ce délai.

Votre priorité de fonctionnaire en congé expirera à la fin du présent mois. Vous perdrez donc votre qualité de fonctionnaire le 30 septembre 2015 si vous n’êtes pas nommé à un poste de durée indéterminée avant cette date. La personne qui cesse d’être fonctionnaire à l’expiration de la période de validité de sa priorité de fonctionnaire en congé pourrait devoir démissionner au moins un jour avant la date en question pour protéger ses prestations de fin d’emploi. Vous devriez en discuter avec votre conseiller en rémunération avant la date d’expiration de votre période de priorité (le 30 septembre 2015).

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[340] À la date indiquée dans la lettre, le fonctionnaire a cessé de faire partie de la fonction publique.

V. Résumé de l’argumentation à l’appui des griefs déposés dans les dossiers 566-02-10192 et 10938

A. Pour l’employeur

[341] L’employeur a prétendu avoir fait tous les efforts raisonnables pour trouver un poste au fonctionnaire, en tenant compte de la mesure d’adaptation recommandée par la Dre Ribeiro, à savoir qu’il soit affecté à un lieu de travail autre que Vegreville.

[342] Le 26 mars 2014, l’employeur a proposé au fonctionnaire une mutation pour une durée indéterminée dans son poste d’attache, à Ottawa. Après avoir initialement accepté le poste, le fonctionnaire l’a finalement refusé pour des raisons personnelles.

[343] M. Stack a témoigné qu’il y avait eu au total 76 présentations par la CFP et Mme Hovington a indiqué qu’il y en avait eu 36 de CIC.

[344] Dans Gourley v. Hamilton Health Sciences, 2010 HRTO 2168, 40 offres d’emploi au total avaient été présentées. Il y est indiqué ce qui suit au paragraphe 51 :

[Traduction]

 

[51] […] Le fait que plus de quarante emplois très variés ont été proposés en 2006-2007, sans qu’aucun poste de remplacement convenable ne soit trouvé, témoigne de la difficulté à mettre en place des mesures d’adaptation pour répondre aux restrictions physiques et psychologiques du demandeur. Je précise que ma conclusion selon laquelle le volet fondamental de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation a été satisfait en l’espèce n’est pas fondée uniquement sur le nombre d’offres d’emploi qui ont été examinées, mais aussi sur le fait que le défendeur a pris en compte et évalué un large éventail de postes disponibles. J’accepte l’explication du défendeur que la recherche a été compliquée du fait que le demandeur n’avait pas de compétences spécialisées, de formation ou d’expérience qui pouvaient facilement s’appliquer à d’autres postes dans le secteur des soins de santé. Par conséquent, je conclus que, dans les circonstances, le défendeur n’a pas enfreint le volet fondamental de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation aux termes du Code.

 

[345] Dans le contexte des deux derniers griefs, l’employeur, renvoyant de nouveau à Central Okanagan, a répété que la prise de mesures d’adaptation est un processus multipartite. Mme Bohan a témoigné que l’employeur a répondu à de nombreuses demandes précises concernant les examens et les entrevues et que, pour chacune de ces demandes, il a proposé une solution pour apaiser les préoccupations du fonctionnaire. Ce dernier s’est finalement retiré du processus en avril 2015 et il a cessé de communiquer avec Mme Bohan, laquelle a déclaré que les postes qui lui avaient été présentés en mai 2014 n’avaient toujours pas été évalués à la fin d’avril 2015 et qu’ils ne l’ont finalement jamais été, le fonctionnaire ayant cessé de communiquer avec elle. Selon Mme Bohan, il s’agit du processus d’évaluation le plus long auquel elle a participé, car ce processus se termine habituellement en 60 jours. Durant son témoignage, Mme Bohan a décrit le fonctionnaire comme la personne ayant fait preuve du [traduction] « pire degré de coopération qu’elle ait jamais observé ».

[346] L’employeur reconnaît que le processus de présentation prioritaire a connu certains ratés au départ, mais ajoute que, lorsque le processus a été opérationnel, des postes à l’extérieur de Vegreville correspondant à son groupe et niveau ont régulièrement été présentés au fonctionnaire. L’employeur invoque Taticek c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2015 CRTEFP 12, pour faire valoir que l’adoption de mesures d’adaptation peut prendre du temps. Il n’est pas nécessaire que la mesure soit immédiate. Il y est indiqué ce qui suit au paragraphe 71 :

71 [...] Il n’existe aucune obligation de prendre une mesure d’adaptation immédiate ou parfaite (voir McGill University Health Centre (Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4, au paragr. 22; Tweten c. RTL Robinson Enterprises Ltd., 2005 TCDP 8; Graham c. Société canadienne des postes, 2007 TCDP 40, aux paragr. 91 à 94; Canada (Ministre de l’Environnement) c. Hutchinson, 2003 CAF 133, au paragr. 77).

 

[347] L’employeur a noté que le fonctionnaire avait contesté la procédure de mise en œuvre et d’application du droit de priorité, car, selon lui, cette procédure présentait des lacunes fondamentales et créait des complications. Au paragraphe 25 de Canada (Procureur général) c. Duval, 2019 CAF 290, la Cour d’appel fédérale a formulé la conclusion suivante :

[25] […] Dans l’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 131, [2015] 3 R.C.F. 103 (C.A.F.), notre Cour a conclu qu’il n’existe pas de droit procédural à un accommodement distinct qui impose une procédure particulière que l’employeur doit suivre lorsqu’il cherche à prendre des mesures d’accommodement en faveur d’un employé. Au contraire, dans chaque cas, la question de savoir si l’employeur a ou non établi qu’il a pris des mesures d’accommodement à l’égard d’un plaignant au point de constituer une contrainte excessive est une question de fait.

 

[348] L’employeur a opté pour le processus de présentation prioritaire, car ce processus a prouvé son efficacité pour la réintégration des fonctionnaires sur le lieu de travail. L’employeur a fait valoir que ce processus était une démarche d’adaptation raisonnable, puisque le fonctionnaire prévoyait retourner au travail après un congé pour raisons personnelles.

[349] L’employeur a dit avoir agi de manière raisonnable et avec obligeance chaque fois que le fonctionnaire a mentionné un nouveau besoin nécessitant une mesure d’adaptation, que ce soit pour la présentation des demandes ou pour l’examen ou l’entrevue. À titre d’exemple, le fonctionnaire a été autorisé à soumettre une référence au lieu des deux qui étaient demandées, il n’a pas eu à satisfaire à la qualification essentielle relative à une « expérience récente et appréciable », et l’examen et l’entrevue ont tous les deux été revus pour répondre à ses besoins. L’employeur a fait valoir qu’il ne peut pas être tenu responsable de l’insuccès du fonctionnaire dans ses demandes d’emploi.

[350] L’employeur a soutenu avoir demandé à Mme Bohan de participer au processus, dans le but précis de faciliter le processus de prise de mesures d’adaptation, mais que celle-ci a exprimé sa frustration face au manque de coopération du fonctionnaire. Durant son témoignage, Mme Bohan a clairement fait savoir que le fonctionnaire n’avait pas facilité la recherche de mesures d’adaptation appropriées.

[351] L’employeur a attiré l’attention sur certains aspects des témoignages du fonctionnaire et de Mme Casper et Mme Barbour qui laissaient entendre que d’autres mesures d’adaptation auraient pu être envisagées. Aucun élément de preuve, a soutenu l’employeur, ne montre que le fonctionnaire lui a proposé d’autres mesures. Ses témoins ont mentionné les compressions fédérales, qui ont mené à la restructuration de certains CTD partout au Canada et qui ont eu une incidence sur le nombre de présentations qui ont pu être faites. Le CTD de Regina, par exemple, a été fermé.

[352] L’employeur a donné un exemple en particulier témoignant du défaut du fonctionnaire de satisfaire à son obligation de faciliter le processus de prise de mesures d’adaptation. Le 18 septembre 2013 à 9 h 27, Mme Hovington a envoyé au fonctionnaire une présentation pour un poste permanent PM-03 à Mississauga, qui portait le numéro 2013-IMC-IA-CPR-17502. Durant son témoignage, Mme Casper a déclaré l’avoir reçu et y avoir répondu en envoyant le curriculum vitæ du fonctionnaire à 9 h 35, soit seulement huit minutes plus tard.

[353] Mme Casper a déclaré qu’elle savait que la lettre d’accompagnement et le curriculum vitæ devaient être adaptés à chaque demande. Selon l’employeur, il lui aurait été impossible de faire cela en huit minutes. Il n’est donc pas étonnant que, le 7 octobre 2013, le fonctionnaire ait reçu un avis l’informant qu’il avait été écarté du processus :

[Traduction]

 

[…]

Après avoir évalué avec soin les renseignements que vous avez fournis pour le poste PM-03, les personnes responsables de l’évaluation ont conclu que vous n’avez pas réussi à démontrer les qualifications essentielles suivantes :

E2 – Expérience récente de la direction et de la coordination de projets ou de travaux d’une équipe ou d’un groupe de travail

E3 – Expérience récente de la prestation de services de consultation et d’orientation à l’intention d’autres personnes dans un contexte professionnel, en ce qui concerne les procédures, les politiques, les règlements et les lois

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[354] L’employeur a fait valoir que le fonctionnaire n’a fait aucun effort pour réintégrer la fonction publique, en dehors du processus que l’employeur avait mis en place. Aucun élément de preuve n’indique que d’autres demandes ont été faites. Durant son témoignage, M. Stack a mentionné que les bénéficiaires de priorité doivent participer activement au processus, ce qui signifie qu’ils doivent également chercher eux-mêmes d’autres postes.

[355] Le fonctionnaire a reconnu ne pas avoir posé sa candidature pour tous les postes qui lui ont été proposés. Mme Casper a reconnu qu’elle n’avait pas postulé en son nom pour certains de ces postes, car elle savait dès le départ qu’il n’avait pas les qualités requises. Selon l’employeur, cela a limité ses chances d’être retenu pour un poste et témoigne de son défaut de s’acquitter de son obligation de participer pleinement au processus de prise de mesures d’adaptation.

[356] L’employeur a reconnu que les communications de la Dre Ribeiro étaient claires et il a reconnu la nécessité de prendre des mesures d’adaptation relativement à l’invalidité du fonctionnaire. L’exigence d’adaptation était simple : affecter le fonctionnaire ailleurs qu’à Vegreville, et l’employeur a fait tout son possible pour répondre à ce besoin. Une mutation à Ottawa pour un poste de spécialiste de la prestation des services a été offert au fonctionnaire, qui l’a refusé.

[357] L’employeur a fait valoir que, selon le paragraphe 142 de Ahmad c. Agence du revenu du Canada, 2013 CRTFP 60, le fonctionnaire ne peut pas dicter les conditions d’une mesure d’adaptation. Dans Central Okanagan, il est indiqué que les employés ne doivent pas s’attendre à une mesure d’adaptation parfaite ou correspondant à une préférence, et qu’ils sont tenus d’accepter une mesure d’adaptation raisonnable qui répond à leurs besoins. Leclair, au paragraphe 134, énonce ce qui suit :

134 Bon nombre d’employés, comme le fonctionnaire, croient que la recherche d’une mesure d’adaptation constitue une carte blanche pour obtenir le poste de leur choix en raison de l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation jusqu’au point de la contrainte excessive à leur égard. Il s’agit d’une conception erronée; les employés n’ont pas droit à la mesure d’adaptation de leur choix. Ils ont droit à des mesures d’adaptation raisonnables qui permettent de répondre à leurs besoins déterminés. En l’espèce, l’employeur s’est efforcé à trouver une mesure d’adaptation raisonnable en fonction des renseignements médicaux qui lui ont été fournis. Le fonctionnaire n’était pas disposé à envisager les options qui lui ont été présentées et il a retardé le processus.

 

[358] L’employeur a souligné que le refus du fonctionnaire d’accepter la mutation à Ottawa pour des raisons familiales s’apparente aux circonstances décrites dans Tchorzewski c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2015 CRTEFP 86, où il est indiqué ce qui suit aux paragraphes 216 et 217 :

[216] L’obligation de prendre des mesures d’adaptation relativement à l’incapacité d’un employé est définie en fonction des restrictions reconnues médicalement touchant la capacité de l’employé d’exécuter un emploi. À sa connaissance, la seule restriction dont l’employeur devait tenir compte était le fait que la fonctionnaire ne pouvait pas travailler au CPR [...]

[217] En ce qui concerne son refus d’envisager un poste à l’extérieur de Saskatoon, j’ai conclu que la fonctionnaire s’était imposé elle-même cette restriction et que l’employeur n’était pas lié par cette préférence [...]

 

[359] L’employeur a invoqué les cas suivants pour étayer son argument selon lequel la personne qui demande une mesure d’adaptation doit envisager des options qui peut-être ne lui conviennent pas parfaitement, mais qui répondent néanmoins à ses besoins, et la personne ne peut pas restreindre la recherche d’emplois de telle sorte qu’il soit pratiquement impossible pour l’employeur de prendre des mesures d’adaptation :

· Nash c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTEFP 4;

· Sioui c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 44.

 

[360] L’employeur a donc fait valoir qu’il s’est pleinement acquitté de son obligation de prendre des mesures d’adaptation et que les griefs dans les dossiers 566-02-10192 et 10938 devraient être rejetés pour ce motif.

[361] L’employeur a ajouté que, si la Commission ne rejetait pas ces deux derniers griefs au motif que le fonctionnaire n’a pas pu établir une preuve à première vue de discrimination ou qu’il n’a pas collaboré au processus de prise de mesures d’adaptation, alors elle devrait conclure que la mesure d’adaptation demandée posait une contrainte excessive.

[362] Le fonctionnaire insistait pour être affecté à son poste d’attache dans un nouveau lieu de travail. L’employeur a toutefois fait valoir, en invoquant à l’appui le témoignage de Mme Hovington, que cela était extrêmement difficile vu le contexte économique de l’époque. Le fonctionnaire demandait essentiellement qu’un nouveau poste de SPS soit créé dans un lieu de son choix, ce qui constituait une contrainte excessive.

[363] L’employeur a invoqué plusieurs cas pour étayer sa thèse selon laquelle rien ne l’oblige à :

· créer un nouveau poste (Holmes c. Canada (Procureur général), 1997 CanLII 5101 (CF), au par. 16);

· former l’employé afin qu’il occupe de nouvelles fonctions (Kingston (City) v. Canadian Union of Public Employees, Local 109, [2016] O.L.A.A. No. 439 (QL)), au par. 87);

· affecter l’employé à un poste pour lequel il n’est pas qualifié (Kingston, au par. 91);

· affecter l’employé à un poste de niveau supérieur (Magee c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 1, au par. 93).

 

[364] L’employeur a soutenu avoir pris des mesures raisonnables pour aider le fonctionnaire à réintégrer le lieu de travail à la suite de son congé. Selon l’article 42 de la LEFP, si une personne bénéficiant d’une priorité de fonctionnaire en congé n’est pas nommée à un poste dans le délai applicable, elle perd sa qualité de fonctionnaire à l’expiration de ce délai. Il s’agit d’une procédure automatique et non discrétionnaire. Des rappels constants ont été envoyés concernant les répercussions d’une absence de nomination avant le 30 septembre 2015.

[365] L’employeur a invoqué l’article 211 de la LRTSPF, qui énonce que la Commission n’a pas compétence sur l’article 42 de la LEFP.

[366] L’employeur a soutenu que, pour les motifs précités, les griefs dans les dossiers 566-02-10192 et 10938 devraient être rejetés.

B. Pour le fonctionnaire

[367] Le fonctionnaire a répété l’argument qu’il a invoqué dans la partie I, à savoir qu’il n’aurait jamais dû avoir à quitter les effectifs, puis à tenter de réintégrer la fonction publique. Selon lui, il n’aurait pas dû être contraint de postuler de nouveau son ancien poste. Son absence du secteur public l’a grandement désavantagé, notamment lorsqu’il a eu à démontrer, dans ses demandes, qu’il possédait une [traduction] « expérience récente et appréciable » et qu’on lui a demandé de fournir des références.

[368] La Dre Ribeiro a autorisé un retour au travail le 4 février 2013, en faisant référence à sa lettre antérieure datée du 24 novembre 2011. Ces lettres traitaient de la santé mentale et du bien-être du fonctionnaire. Son invalidité, a fait valoir le fonctionnaire, avait été clairement établie et l’employeur en avait pris acte. Dans un courriel daté du 24 mai 2013, Mme Hovington a résumé comme suit la démarche de l’employeur en matière de mesures d’adaptation :

[Traduction]

 

[…]

Mesures d’adaptation

· L’unité de gestion des priorités de CIC reçoit toutes les demandes des gestionnaires de CIC pour la dotation de tout type de postes. Lorsqu’elle reçoit une demande de dotation pour un poste PM-03 ou l’équivalent dans la région de l’Ouest et la région de l’Ontario (y compris la région de la capitale nationale), elle me transmet l’information.

· Je communique ensuite ces postes à M. et Mme Casper (conformément à vos instructions), en y joignant une copie de l’énoncé des critères de mérite. M. Casper doit ensuite me fournir une copie de son curriculum vitæ à jour et une lettre d’accompagnement s’il veut que sa candidature soit prise en considération pour le poste.

· Pour que sa candidature soit prise en considération pour le poste, M. Casper doit répondre dans un délai de 72 heures. S’il le fait, j’envoie son curriculum vitæ et sa lettre d’accompagnement au gestionnaire.

Congé non payé et statut de bénéficiaire de priorité

· Nous proposons d’accorder à M. Casper un congé non payé pour d’autres raisons, du 10 avril 2013 au 11 avril 2014, afin de pourvoir son poste. L’employé devra soumettre un formulaire de demande de congé pour obtenir ce congé non payé pour d’autres raison, du 10 avril 2013 au 11 avril 2014, en sélectionnant le code 999. À cette fin, veuillez utiliser la pièce jointe et me la retourner. Son congé non payé actuel a été prolongé jusqu’au 5 juillet 2013.

· L’employé sera informé lorsque son poste sera pourvu et qu’il y sera admissible en qualité de bénéficiaire de priorité.

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[369] Le fonctionnaire a fait valoir que l’employeur avait clairement reconnu son invalidité et qu’il avait accepté l’obligation de prendre des mesures d’adaptation.

[370] Il a invoqué ce qui suit pour affirmer avoir subi un effet préjudiciable lié à son invalidité :

· Seule une restriction médicale, qui était liée à son invalidité et qui l’empêchait de retourner au travail à Vegreville et d’être en contact direct avec ses anciens gestionnaires, l’a empêché de réintégrer immédiatement son poste d’attache en février 2013.

· Cette incapacité de réintégrer son poste d’attache a fait en sorte qu’il est resté en congé non payé pendant trois ans et qu’il a finalement perdu sa qualité de fonctionnaire, le 30 septembre 2015.

 

 

[371] Le fonctionnaire a fait valoir que cela suffit pour établir l’existence d’un effet préjudiciable clairement lié à son invalidité. Cela constitue une preuve prima facie de discrimination et donne naissance à l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation jusqu’au point de la contrainte excessive.

[372] Pour établir l’existence d’une contrainte excessive, l’employeur doit démontrer que la mise en place de mesures d’adaptation pour répondre aux besoins du fonctionnaire lui imposerait une contrainte excessive en matière de santé, de sécurité et de coûts. Le fonctionnaire a invoqué des cas mentionnés dans la partie I, en insistant plus particulièrement sur Ahkwesahsne Police Assn. v. Mohawk Council of Akwesasne, [2003] C.L.A.D. No. 642 (QL), publiée dans Canadian Labour Arbitration, où il est indiqué ce qui suit au paragraphe 33 :

[Traduction]

[33] Il semble évident que les cas les plus récents dans lesquels a été envisagée une réorganisation du travail en réponse au défi de l’adaptation témoignent d’un changement et peut-être d’un élargissement de la manière dont les arbitres interprètent et appliquent les lois sur les droits de la personne, ce qui, bien sûr, reflète l’élargissement des protections prévues par la loi et l’interprétation que les cours, commissions des droits de la personne et tribunaux font de ces normes. Par conséquent, les affaires qui concernent l’étendue de l’obligation de l’employeur d’affecter de manière permanente un employé dans un autre poste semblent aujourd’hui reconnaître que cette obligation peut nécessiter une importante réorganisation du lieu de travail. Le seul facteur clair qui limite ces efforts est que l’employé doit être en mesure d’exécuter un travail productif et utile pour l’employeur (Hamilton Civic Hospitals and CUPE, Local 794 (1994), 44 L.A.C (4th) 31).

 

[373] Le fonctionnaire a paraphrasé la Cour suprême du Canada dans Central Okanagan lorsqu’il a dit que la notion de contrainte excessive suppose que l’employeur subisse, à juste titre, une certaine contrainte lorsqu’il prend des mesures d’adaptation à l’égard d’un employé ayant une invalidité.

[374] Le fonctionnaire a soulevé les huit points suivants pour étayer son argument selon lequel l’employeur a manqué à son obligation de prendre des mesures d’adaptation.

1. Point 1 : l’employeur a fait preuve d’une mauvaise compréhension du processus de prise de mesures d’adaptation

[375] Le fonctionnaire a fait valoir que l’employeur n’a pas suivi ses propres lignes directrices, en particulier quant à son obligation d’obtenir les conseils et les commentaires des bureaux de son organisation dont la mission précise est d’aider les parties relativement à la prise de mesures d’adaptation.

[376] L’employeur a immédiatement mis en place le système de présentation prioritaire, sans se demander s’il s’acquitterait ainsi de son obligation de prendre des mesures d’adaptation.

[377] Mme Hovington, dans son courriel du 24 mai 2013, et M. Armstrong, dans son courriel du 23 juillet 2013, ont tous les deux omis de reconnaître que l’on peut exiger de l’employeur qu’il crée un poste, à condition que ce poste fournisse un travail utile. L’employeur peut également être tenu de modifier le lieu de travail jusqu’au point de la contrainte excessive.

[378] Le fonctionnaire a affirmé que Mme Hovington et M. Armstrong ont tous les deux omis de comprendre que l’employeur devait, s’il y a lieu, chercher à l’extérieur d’un service en particulier. Peu d’éléments indiquent que cela a été fait. Au paragraphe 106 de Kelly c. Conseil du Trésor (ministère des Transports), 2010 CRTFP 80, il est énoncé ce qui suit :

[106] […] L’employeur aurait pu faire plus d’efforts pour faire connaître le fonctionnaire avant de l’obliger à utiliser ses congés. Peu importe si une telle action aurait porté fruit, l’employeur avait quand même le devoir de faire connaître le fonctionnaire et son omission d’informer les employeurs éventuels de cette offre salariale signifie qu’il n’a pas pris les mesures d’adaptation voulues à l’égard du fonctionnaire [...]

 

[379] Le fonctionnaire a établi un parallèle avec Nicol, où il est indiqué ce qui suit au paragraphe 102 :

[102] [...] Lorsqu’une décision de prendre des mesures d’adaptation est prise, des discussions ont lieu et des descriptions de travail sont examinées, notamment par un médecin, et le partage de rapports sur toutes les évaluations fonctionnelles est encouragé. Le dialogue est continu jusqu’à ce que l’employé appuie la résolution.

 

[380] Le fonctionnaire a affirmé que sa situation était pire que celles décrites dans Kelly et Nicol, car, après avoir mis en place le processus de présentation prioritaire, l’employeur ne s’est nullement préoccupé de savoir si ce processus fonctionnait adéquatement.

2. Point 2 : délai déraisonnable et absence de mesure d’adaptation provisoire

[381] Comme il est indiqué au paragraphe 145 de Nicol, le défaut de mettre en place des mesures d’adaptation dans un délai raisonnable constitue un manquement à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation. Lorsque le premier grief a été déposé le 14 août 2013, aucune présentation n’avait encore été faite.

[382] Lorsqu’il est apparu évident que le processus pourrait prendre un certain temps, des mesures provisoires auraient pu être mises en place, mais cela n’a pas été fait. L’employeur aurait pu, par exemple, continuer à verser le salaire du fonctionnaire ou lui trouver des postes temporaires, tels que des affectations ou des détachements comme dans Kelly.

3. Point 3 : le processus était inutilement complexe

[383] Le fonctionnaire a affirmé qu’il était clair que tout le monde était dépassé par le processus de présentation exagérément complexe. L’employeur ne lui a offert aucune aide substantielle véritable pour s’y retrouver. La participation de la CFP ne dégageait pas l’employeur de son obligation à cet égard.

[384] Dans Hotte c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2016 CRTEFP 122, le fait que l’employeur avait inscrit l’employée dans le SGIP pour l’aider à trouver du travail ailleurs dans la fonction publique ne suffisait pas, en soi, pour conclure à la prise d’une mesure d’adaptation constituant une contrainte excessive.

[385] Le fonctionnaire a fait valoir que le paragraphe 96 de Hotte est particulièrement pertinent. Il est rédigé comme suit :

[96] […] J’estime que si l’employeur avait sincèrement souhaité accommoder la fonctionnaire, il se serait donné beaucoup plus de mal pour essayer de trouver une solution adaptée à son cas. Il aurait certainement pu, entre autres, lui fournir de l’aide pour la rédaction de son curriculum vitae, de la formation, du coaching ou du mentorat, de même que des services de soutien pour l’aider à mieux comprendre le fonctionnement du SGIP et les postes qui y étaient affichés.

4. Point 4 : refus de revoir le processus de présentation prioritaire

[386] Bien que le fonctionnaire lui ait indiqué à maintes reprises que le processus de présentation prioritaire ne fonctionnait tout simplement pas pour assurer son retour au travail, l’employeur n’a rien fait pour revoir cette stratégie.

[387] Le caractère fondamental de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation fait que l’employeur ne peut pas se contenter de toujours répéter le même processus lorsqu’il est manifeste qu’il ne fonctionne pas et que d’autres options devraient être envisagées.

[388] Le 13 février 2014, il était devenu manifeste pour le fonctionnaire et pour l’employeur que le fonctionnaire était écarté à l’étape de la présélection pour les postes qui lui étaient proposés. Cela aurait dû éveiller des soupçons chez l’employeur.

5. Point 5 : défaut de mettre en place les mesures d’adaptation habituelles

[389] Le fonctionnaire a affirmé qu’un grand nombre d’options habituelles n’ont pas été envisagées, notamment les suivantes :

· mesure provisoire, comme un congé payé ou un détachement ou une affectation temporaire;

· formation d’appoint;

· aide financière pour permettre au fonctionnaire d’obtenir du perfectionnement professionnel en dehors du lieu de travail;

· promotion active du fonctionnaire auprès d’autres services;

· regroupement de tâches pour créer un emploi que le fonctionnaire serait en mesure d’exercer;

· mentorat et assistance professionnelle;

· aide pour la rédaction du curriculum vitæ et durant le processus de demande;

· assouplissement ou modification des normes de sélection;

· offre de postes à d’autres niveaux de rémunération.

 

[390] Dans un courriel daté du 31 juillet 2013, l’employeur a reconnu que l’obligation de prendre des mesures d’adaptation [traduction] « [...] pouvait comprendre le perfectionnement professionnel du fonctionnaire jusqu’au point de la contrainte excessive ». Cette option n’a pas été envisagée pour le fonctionnaire.

[391] Le fonctionnaire a soutenu que lorsque d’autres options ont été envisagées, elles l’ont été d’une manière désordonnée et inefficace. Le fonctionnaire a été continuellement écarté parce qu’il ne possédait pas une [traduction] « expérience récente », l’employeur a modifié cette exigence essentielle d’une manière incohérente et imprécise et l’a appliquée à un seul processus, laissant aux autres gestionnaires le soin d’interpréter l’exigence au cas par cas.

[392] Le télétravail est une autre option qui n’a pas été dûment envisagée. Le fonctionnaire a affirmé que Mme Hovington n’a pas envisagé cette possibilité et que M. Armstrong s’est contenté de dire que cela n’était pas possible.

6. Point 6 : défaut de proposer des mutations ou des affectations après l’offre à Ottawa

[393] Le fonctionnaire a affirmé avoir refusé la mutation à Ottawa pour des raisons légitimes, précisant qu’il n’aurait plus eu accès au soutien familial qui lui était offert dans l’Ouest canadien s’il avait déménagé à Ottawa. Il a également mentionné que son épouse, qui l’aurait certainement accompagné à Ottawa, aurait été à la merci du processus de présentation prioritaire qui, en ce qui le concernait, était un échec.

[394] Le fonctionnaire a fait valoir qu’il aurait pu simplement être muté à l’un des nombreux postes qui se sont libérés dans l’Ouest canadien durant la période pendant laquelle il a fait l’objet du processus de présentation prioritaire. Selon lui, l’employeur a tout simplement écarté cette option particulière lorsqu’il a refusé la mutation à Ottawa.

[395] Le fonctionnaire a invoqué Fair v. Hamilton-Wentworth District School Board, 2012 HRTO 350 (recueil de jurisprudence du fonctionnaire, onglet 20A), qui énonce ce qui suit au paragraphe 5 :

[Traduction]


[5] Le principe fondamental en cause en l’espèce concerne une employée qui, à cause d’une déficience, ne peut plus accomplir les tâches essentielles du poste qu’elle occupait jusqu’à l’apparition de sa déficience. Dans un tel cas, une mutation dans un autre poste chez le même employeur pourrait constituer une mesure d’adaptation raisonnable dans certaines circonstances [...]

 

[396] Il semble qu’il s’agisse d’une solution facile qui n’a pourtant jamais été envisagée.

[397] Le fonctionnaire a soutenu que les paragraphes 44 à 46 de Fair montrent que les circonstances dans cette affaire étaient comparables à celles du présent cas. Dans Fair, l’employeur avait un poste vacant et, plutôt que de l’offrir à l’employée en situation de handicap en guise de mesure d’adaptation, il a obligé l’employée à participer au processus de sélection en vue d’obtenir le poste. La décision indique ceci au paragraphe 46 :

[Traduction]


[46] Le défendeur avait le pouvoir discrétionnaire de ne pas afficher le poste et il avait la possibilité d’utiliser ce poste comme mesure d’adaptation. Il a choisi de ne pas le faire. Je conclus que le défendeur n’aurait pas subi une contrainte excessive s’il avait affecté la demanderesse à ce poste, sans tenir de processus de sélection.

 

[398] Le fonctionnaire a soutenu qu’un autre cas semblable est Metsala v. Falconbridge Limited, Kidd Creek Division, [2001] O.H.R.B.I.D. No. 5 (QL), qui a été entendu par le prédécesseur du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario. Ce cas portait sur une employée qui était retournée au travail après une absence due à une invalidité et qui n’avait pas bénéficié d’une mesure d’adaptation appropriée. Au paragraphe 47, il y est mentionné ce qui suit : [traduction] « Au vu de l’ensemble de la preuve, il ne fait aucun doute que Falconbridge a adopté comme position que la plaignante devait attendre que se libère un poste pour lequel elle était qualifiée. Ce n’est pas ce qu’on appelle une mesure d’adaptation. »

[399] Le fonctionnaire a réitéré que l’employeur n’a présenté aucune preuve indiquant qu’il aurait subi une contrainte excessive s’il l’avait affecté à un poste parmi les dizaines qui étaient vacants à CIC, sans parler de l’ensemble du secteur public fédéral.

7. Point 7 : le fonctionnaire n’aurait jamais dû être soumis au processus de présentation prioritaire

[400] Le fonctionnaire a affirmé qu’il était injuste de l’obliger à constamment demander une prolongation de son congé non payé. Le seul avantage d’une telle pratique a profité à l’employeur, qui a pu ainsi pourvoir le poste.

[401] Le fonctionnaire a fait valoir que la loi lui reconnaît le droit de réintégrer son poste d’attache, à moins que l’employeur ne puisse établir que cela constituerait une contrainte excessive.

[402] Le fonctionnaire a soutenu que l’employeur avait unilatéralement modifié sa situation d’emploi et que cela l’avait mené vers la cessation d’emploi.

8. Point 8 : le processus de la CFP ne dégage pas l’employeur de son obligation de prendre des mesures d’adaptation

[403] Bien que le fonctionnaire ait reconnu que le processus de la CFP était une façon de trouver une mesure d’adaptation, les éléments de preuve montrent que l’employeur a été essentiellement absent de 2014 à 2015 et a laissé le fonctionnaire traiter seul avec la CFP.

[404] Le fonctionnaire a affirmé que, dans son analyse finale, l’employeur n’a présenté aucun élément de preuve indiquant pourquoi il n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire pour prolonger, plutôt qu’interrompre, son congé non payé en 2014. Comme l’a conclu le prédécesseur de la Commission au paragraphe 140 de Nicol, « [a]ttendre ne constitue pas une contrainte excessive ».

[405] Le fonctionnaire a affirmé que les huit points précités montrent que l’employeur a manqué à son obligation de prendre des mesures d’adaptation et que les griefs dans les dossiers 566-02-10192 et 10938 devraient être accueillis.

[406] Répondant à l’argument de l’employeur selon lequel le fonctionnaire n’a pas collaboré au processus d’adaptation, le fonctionnaire a indiqué qu’il est important de souligner que le premier grief a été déposé en août 2013, ce qui est bien avant tout prétendu défaut de collaborer.

[407] Le fonctionnaire a invoqué JL v. Empower Simcoe, 2021 HRTO 222, qui portait sur un prétendu défaut de collaborer. Dans ce cas, le demandeur était un enfant ayant des besoins liés à une invalidité, qui vivait dans un foyer de groupe exploité par le défendeur. L’enfant alléguait avoir été victime de discrimination fondée sur la déficience lorsque le défendeur a restreint les visites durant la pandémie de COVID-19, ce qui a eu pour effet d’empêcher ses parents de lui rendre visite.

[408] Selon le fonctionnaire, il y a un rapprochement direct à faire entre sa situation et celle décrite aux paragraphes 131 à 135 de cette décision, reproduits ci-après :

[Traduction]


[131] Le défendeur affirme que les parents du demandeur n’ont pas collaboré au processus de prise de mesures d’adaptation et qu’ils ont au contraire insisté pour que soit retenue la mesure d’adaptation qu’ils privilégiaient, à savoir des visites en personne sans distanciation physique. Je ne suis pas de cet avis. Les parents du demandeur ont demandé à voir leur fils sans distanciation physique et ils ont expliqué pourquoi. Ils ont dit au défendeur qu’ils croyaient que leur fils ne comprendrait pas pourquoi ils devaient se tenir à distance et que cela lui causerait détresse et préjudice. Ils lui ont expliqué qu’ils croyaient que le contact physique était important pour établir une communication significative avec le demandeur. Le défendeur connaissait parfaitement les limitations du demandeur sur le plan de la communication, et du fait qu’il préférait communiquer, du moins en partie, par contact physique. Le demandeur était sous ses soins depuis sept ans.

[132] Le demandeur a demandé au défendeur de prendre une mesure d’adaptation à son égard – de permettre à ses parents de lui rendre visite sans distanciation physique, en respectant les autres précautions de protection contre la COVID. Il incombait au défendeur d’examiner la demande d’adaptation du demandeur et d’obtenir un avis des responsables de la santé publique au sujet de cette demande précise. Il ne l’a pas fait. Au contraire, il est demeuré inflexible. Puisque le défendeur n’a pas examiné la demande d’adaptation du demandeur, il n’existe aucune preuve objective en santé publique indiquant que faire droit à cette demande aurait constitué une contrainte excessive en mettant en danger la santé et la sécurité des résidents et du personnel du foyer de groupe. Le défendeur n’a pas présenté de tels éléments de preuve à l’audience.

[133] Le défendeur affirme que les parents du demandeur ont refusé des solutions de rechange raisonnables qui leur auraient permis de rendre visite à leur fils. Parmi ces solutions de rechange figuraient notamment des visites à distance par l’usage de la technologie. Cet argument soulève plusieurs problèmes. Bien que les éléments de preuve montrent que le demandeur a été exposé à la technologie, ils n’indiquent pas qu’il maîtrisait suffisamment la technologie pour qu’elle lui permette de communiquer de manière significative avec ses parents. La technologie n’est pas une mesure d’adaptation raisonnable pour un enfant non verbal qui communique, du moins en partie, par contact physique.

[134] Qui plus est, cet argument ne tient pas compte non plus de la question fondamentale dans cette affaire, qui est de savoir si la mise en place de la mesure d’adaptation demandée aurait constitué une contrainte excessive pour le défendeur. Il s’agit d’une question à laquelle il faut répondre. Ce n’est pas une réponse que de dire que le demandeur aurait dû accepter la mesure proposée, qu’elle soit appropriée ou non, et que son défaut de le faire constitue un défaut de collaborer au processus de prise de mesures d’adaptation qui a mené au rejet de sa demande.

[135] Je m’arrête un moment pour apporter une précision. L’obligation de prendre des mesures d’adaptation incombe au défendeur, car celui-ci est le mieux placé pour déterminer quelle mesure d’adaptation peut être prise à l’égard du demandeur sans que cela ne constitue une contrainte excessive. Le demandeur doit collaborer au processus de prise de mesures d’adaptation en fournissant suffisamment de renseignements pour permettre au défendeur de comprendre la nature de l’invalidité et la mesure d’adaptation requise. C’est ce qu’on appelle communément l’« obligation de collaborer ». L’obligation de collaborer ne signifie toutefois pas qu’il incombe au demandeur de trouver la solution. Cette responsabilité incombe toujours au défendeur. Ainsi, bien que le processus d’adaptation requière une collaboration multipartite, la responsabilité n’est pas répartie également entre les parties. Le défendeur en assume une plus grande responsabilité, car c’est lui qui contrôle le processus, comme en témoigne le fait que, si le défendeur refuse catégoriquement d’accéder à une demande de mesure d’adaptation, il y a très peu de choses que le demandeur puisse faire. Voir Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, 1992 CanLII 81 (CSC); Espinoza v. the Napanee Beaver Limited, 2021 HRTO 68, au par. 102.

 

[409] Le fonctionnaire a également renvoyé à Zorzi v. AimH – Prince George Association for Community Living and others, 2020 BCHRT 198, pour étayer son argument selon lequel il ne suffit pas que l’employeur accepte la demande de mesure d’adaptation de l’employé. Pour établir un manquement à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation, l’employeur doit établir que la mesure qu’il a proposée était raisonnable et qu’il était déraisonnable pour l’employé de la refuser.

[410] Selon le fonctionnaire, l’analogie entre cette décision et le présent cas est évidente. Son refus d’accepter la mesure d’adaptation ne constituait pas un défaut de collaborer et ne dégageait pas, en soi, l’employeur de son obligation de continuer à chercher des mesures d’adaptation et d’explorer différentes options.

[411] Le fonctionnaire a soutenu que dans Kelly, il a été jugé compréhensible et raisonnable que l’employé ne soit pas en mesure d’accepter un poste à l’extérieur de St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador), car l’employé devait s’occuper de ses parents et de son fils en situation de handicap, et cela n’a pas été considéré comme un défaut de collaborer.

[412] De même, le fonctionnaire a soutenu que dans Nicol, le refus d’accepter l’un des trois postes offerts n’a pas été considéré comme un défaut de collaborer.

[413] En bref, le fonctionnaire a affirmé avoir agi de bonne foi tout au long du processus de prise de mesures d’adaptation. Il a participé au processus de présentation prioritaire du mieux qu’il a pu. En ce qui a trait à la participation de Mme Bohan, le fonctionnaire a soutenu qu’il était parfaitement compréhensible qu’il n’ait pas été en mesure de mener à bien le processus de demande d’emploi à la fin de 2014 et en 2015. Durant son congé non payé, il a dû travailler lorsqu’il le pouvait, notamment en raison de l’état de santé de Mme Casper qui déclinait.

[414] En guise de réparation, le fonctionnaire a demandé que soit annulée sa cessation d’emploi aux termes de l’article 42 de la LEFP. Il n’y aurait jamais eu cessation d’emploi si une mesure d’adaptation adéquate avait été mise en place. Il devrait être réintégré dans son poste d’attache, c’est-à-dire le poste qu’il aurait occupé si une mesure d’adaptation adéquate avait été mise en place lors du dépôt de son grief en août 2013.

C. Décision et motifs concernant les griefs dans les dossiers 566-02-10192 et 10938

[415] Certains cas invoqués dans la partie I de la présente décision (griefs disciplinaires) s’appliquent également à la partie II. J’ai lu toutes les décisions qui ont été invoquées par les parties, mais, comme je l’ai fait dans la partie I, je ne mentionnerai ici que celles qui ont éclairé le raisonnement que j’ai suivi pour décider de rejeter les griefs dans les dossiers 566-02-10192 et 10938.

[416] Contrairement à la partie I, dans laquelle l’employeur prétendait ne pas avoir été au courant de l’invalidité du fonctionnaire, l’employeur a accepté la lettre de la Dre Ribeiro, dans laquelle il était recommandé [traduction] « [...] qu’une mesure d’adaptation soit prise à l’égard de M. Casper en le réintégrant de manière permanente dans un bureau autre que le Centre de traitement des demandes de Vegreville, que ce soit au sein de Citoyenneté et Immigration ou d’un autre ministère fédéral ».

[417] La Dre Ribeiro a ajouté ceci :

[Traduction]

 

[…]

Compte tenu de la nature et de la gravité de l’état de M. Casper, de son lien avec le bureau de Vegreville et des diverses difficultés antérieures qui ont eu un effet préjudiciable sur sa santé mentale, M. Casper ne devrait plus avoir affaire avec les gestionnaires actuels ou passés du Centre de traitement des demandes de Vegreville, ni avec aucun autre membre de la direction avec qui il a pu avoir eu à traiter [...]

[…]

 

[418] Le fonctionnaire a manifesté son désir de reprendre le travail dans le secteur public en février 2013 à la suite, il est important de le souligner, d’une situation que lui-même avait choisie, c’est-à-dire un congé non payé pour raisons personnelles. Il a quitté le lieu de travail en décembre 2010 pour des raisons médicales qui ont été documentées au début de janvier 2011, mais, après quelque temps, il a pris un congé pour raisons personnelles suivant la recommandation de son médecin, puis il a travaillé dans le secteur privé.

[419] En 2013, le fonctionnaire ne cherchait donc pas à revenir au travail après un congé pour raisons médicales. Il s’agit d’un fait important qui a eu une incidence sur la manière dont l’employeur a cherché à le réintégrer dans la fonction publique. Ce fait a clairement été établi lors du témoignage de M. Stack. Il s’agit d’une distinction importante, car bon nombre des décisions invoquées par le fonctionnaire portaient sur des mesures d’adaptation prises à l’égard de personnes ayant une invalidité qui sont retournées au travail lorsque leur médecin les a autorisées à reprendre le travail après un congé de maladie.

[420] Toutefois, dans le présent cas, les éléments de preuve montrent clairement que l’employeur a reconnu l’invalidité du fonctionnaire, qu’il a respecté les recommandations de la Dre Ribeiro et qu’il était disposé à réintégrer le fonctionnaire en appliquant ces restrictions.

[421] Les deux griefs portent sur les efforts déployés par l’employeur pour trouver des mesures d’adaptation en vue du retour au travail du fonctionnaire. Le premier grief a été déposé en août 2013, soit environ six mois après que le fonctionnaire a manifesté son désir de revenir au travail. Une différence importante entre ce grief et le deuxième, déposé en novembre 2014, tient à la question de savoir si le fonctionnaire a manqué à son devoir de collaborer dans le cadre du processus de prise de mesures d’adaptation. Cet argument ne peut tout simplement pas être invoqué en ce qui concerne le premier grief, car il a fallu un certain temps pour que le processus de présentation prioritaire soit opérationnel. Par conséquent, j’examinerai les deux griefs en ordre chronologique.

[422] Une question préliminaire, commune aux deux griefs, consiste à se demander si le fonctionnaire a établi une preuve à première vue de discrimination. Il est établi que le cadre d’analyse à cette fin est celui énoncé dans Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, au paragraphe 33. Le fonctionnaire doit établir, selon la prépondérance des probabilités :

1) qu’il possède une caractéristique protégée contre la discrimination;

2) qu’il a subi un effet préjudiciable;

3) que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable.

 

[423] Contrairement à la partie I, toutes les parties reconnaissent que l’invalidité du fonctionnaire est une caractéristique protégée contre la discrimination. L’employeur a reconnu son obligation de prendre des mesures d’adaptation pour ce motif. Selon la prépondérance des probabilités, je conclus que le fonctionnaire a subi un effet préjudiciable qui est directement lié à la caractéristique protégée. Il n’a pas été en mesure de réintégrer son poste d’attache à cause de son invalidité. Il a donc dû prendre un congé non payé, ce qui lui a causé un préjudice, sur le plan tant financier que psychologique. Il voulait retourner au travail, mais il n’a pas pu le faire. Cela a eu un effet préjudiciable.

[424] Je conclus que le fonctionnaire a établi une preuve à première vue de discrimination relativement aux deux griefs déposés dans les dossiers 566-02-10192 et 10938.

1. Le grief dans le dossier 566-02-10192 (août 2013)

[425] Durant son témoignage, Mme Hovington a parlé du contexte économique en 2013. Le fonctionnaire n’a pas contesté que, à l’époque (et j’en prends connaissance d’office), le secteur public fédéral ressentait encore les effets du plan d’action pour la réduction du déficit (PARD), plan auquel il a souvent été fait référence par l’acronyme anglais « DRAP » à l’audience et ailleurs. Un avis du ministre daté du 13 avril 2013 a été produit en preuve relativement aux compressions annoncées dans le budget de 2012 et aux effets des mesures de réaménagement des effectifs. Dix-neuf bureaux ont été fermés. Le bureau de Vancouver a été fusionné avec celui de Calgary. Dans l’Ouest, le seul CTD était celui de Vegreville, où le fonctionnaire ne pouvait pas retourner. Les autres CTD étaient situés à Sydney, à Ottawa et à Mississauga.

[426] J’accepte le témoignage de Mme Hovington, qui a affirmé que le contexte économique a influencé la démarche de l’employeur pour la prise de mesures d’adaptation à l’égard du fonctionnaire. Dans un courriel daté du 24 mai 2013, elle faisait clairement savoir qu’aucun poste PM-03 n’était alors disponible.

[427] Mme Hovington a témoigné que, en raison de la situation économique de l’époque, une stratégie appropriée était de pourvoir le poste du fonctionnaire afin que ce dernier soit admissible au processus de présentation prioritaire. L’employeur a envisagé cette stratégie bien avant le courriel du 24 mai 2013. Mme Hovington a déclaré que cette option faisait l’objet de discussions depuis que le fonctionnaire avait signifié son intention de retourner au travail, en février 2013.

[428] J’ai examiné avec soin les éléments de preuve et les arguments relatifs à la décision de l’employeur à cet égard, et je ne trouve rien de déraisonnable dans cet aspect de son approche. Bien qu’il ne soit pas parfait, le processus de présentation prioritaire est une méthode reconnue pour la réintégration des employés au sein des effectifs.

[429] Il est tout aussi important de reconnaître à ce stade de l’analyse que l’employeur a exercé son pouvoir discrétionnaire lorsqu’il a élargi la portée des postes qui étaient présentés au fonctionnaire, en inscrivant le fonctionnaire au processus de présentation prioritaire, lequel est censé être réservé aux personnes touchées par un réaménagement des effectifs. L’employeur n’était pas obligé de prendre cette mesure supplémentaire, laquelle, selon moi, est clairement un signe de bonne foi.

[430] Le seul aspect du grief déposé dans le dossier 566-02-10192 qu’il y a lieu d’analyser est le fait que la mesure d’adaptation n’a pas été immédiate. Je conviens que cela a dû être frustrant pour le fonctionnaire de constater, après avoir décidé de revenir au travail et avoir accepté (bien qu’avec certaines appréhensions) d’être inscrit au processus de présentation prioritaire, que seulement quelques offres lui avaient été présentées lorsqu’il a déposé son grief, en août 2013.

[431] Je souscris à l’observation de l’employeur qui, invoquant Taticek, a fait valoir qu’il n’est pas nécessaire que la mesure d’adaptation soit immédiate. J’accepte les éléments de preuve des témoins de l’employeur, qui ont reconnu que quelques problèmes sont survenus durant la mise en place du processus de présentation prioritaire. Il fallait s’y attendre. J’accepte également le renvoi fait par l’employeur à Duval, de la Cour d’appel fédérale, qui a déterminé qu’il n’existe aucun droit procédural distinct à une mesure d’adaptation qui impose une procédure particulière que l’employeur doit suivre lorsqu’il cherche à prendre des mesures d’adaptation au regard d’un employé.

[432] Je conclus que l’employeur a agi de manière raisonnable en mettant en place un processus de présentation prioritaire dès que le fonctionnaire a accepté d’y participer en soumettant les formulaires de congé exigés, ainsi qu’en mettant en place les mesures nécessaires pour que le fonctionnaire reçoive le plus grand nombre possible de présentations. Le grief déposé en août 2013 dans le dossier 566-02-10192 est rejeté pour ce motif.

2. Le grief dans le dossier 566-02-10938 (novembre 2014)

[433] Le grief a été déposé le 4 novembre 2014 et il porte sur l’échec du processus de retour au travail du fonctionnaire.

[434] Les éléments de preuve montrent que l’employeur a fait du mieux qu’il a pu dans les circonstances. Il a accepté l’unique mesure d’adaptation recommandée par la Dre Ribeiro, soit éviter d’affecter le fonctionnaire au CTD de Vegreville. Cela a compliqué le processus, mais l’employeur est demeuré diligent dans ses efforts pour trouver au fonctionnaire une affectation qui lui conviendrait ailleurs, que ce soit par le processus de présentation prioritaire ou par une offre de mutation.

[435] Je rejette l’argument du fonctionnaire fondé sur Fair, un cas dans lequel l’employée qui retournait au travail après un congé d’invalidité bénéficiait d’un droit de retour au travail. Cela ne correspond pas du tout à la situation du fonctionnaire, qui ne souhaitait pas reprendre le travail après un congé d’invalidité, mais plutôt être réintégré dans la fonction publique après un congé pour raisons personnelles.

[436] Je suis d’avis que les témoins de l’employeur ont livré des témoignages convaincants, attestant des efforts déployés par l’employeur pour permettre le retour au travail du fonctionnaire. Celui-ci a reçu plus de 110 présentations, dont 36 de CIC et 76 de la CFP. Lorsque le fonctionnaire a soulevé des problèmes qui le rendaient incapable de satisfaire aux exigences, l’employeur a proposé diverses mesures d’adaptation, en réduisant le nombre de références exigées, en dispensant le fonctionnaire de l’exigence relative à une « expérience récente et appréciable » et en modifiant les processus d’examen et d’entrevue lorsque la Dre Ribeiro a fait part de ce besoin. Mme Bohan a été affectée dans le but précis d’aider à lui trouver un poste. Je conclus que le témoignage de Mme Bohan sur le manque de collaboration du fonctionnaire était particulièrement convaincant, et sa frustration à la barre des témoins était palpable.

[437] Une mutation à Ottawa a été proposée en mars 2014, mais le fonctionnaire l’a finalement refusée. Il s’agit d’un facteur important qui a influencé ma décision de rejeter ce grief. Bien que je reconnaisse que déménager à Ottawa aurait été problématique à bien des égards, il s’agissait d’une initiative tout à fait raisonnable de l’employeur en vue de réintégrer le fonctionnaire dans le milieu du travail. Cela est d’autant plus vrai compte tenu des difficultés que le processus de présentation prioritaire causait au fonctionnaire. Une mutation correspondait exactement à ce qu’il avait demandé, et il aurait dû accepter l’offre. J’accepte les renvois à Leclair, Central Okanagan et Ahmad que l’employeur a faits sur cette question. Le fonctionnaire ne pouvait pas dicter les modalités de la mesure d’adaptation et il n’avait pas droit à une mesure d’adaptation parfaite ou correspondant à sa préférence. Il devait accepter une mesure d’adaptation raisonnable qui répondait à ses besoins, et je conclus qu’il a omis de le faire en refusant la mutation à Ottawa.

[438] Ayant choisi de refuser la mutation, le fonctionnaire est retourné à un processus qui lui déplaisait déjà, et ses efforts pour faciliter le processus de présentation prioritaire sont devenus sporadiques et dénués d’enthousiasme.

[439] Je conclus que le fonctionnaire n’a fait aucun effort pour réintégrer la fonction publique en dehors du processus mis en place par l’employeur. Lorsque le fonctionnaire a accepté de suivre le programme de formation du CN, en décembre 2014, ce qui l’a amené à se rendre dans des régions éloignées sans accès Internet durant de longues périodes, il est effectivement devenu impossible pour lui de faire un suivi diligent ou de participer à la procédure d’entrevue pour les postes PM-03 à Calgary, à Edmonton et à Saskatoon.

[440] Il semble à propos de répéter ici les commentaires formulés au paragraphe 134 de Leclair :

134 Bon nombre d’employés, comme le fonctionnaire, croient que la recherche d’une mesure d’adaptation constitue une carte blanche pour obtenir le poste de leur choix en raison de l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation jusqu’au point de la contrainte excessive à leur égard. Il s’agit d’une conception erronée; les employés n’ont pas droit à la mesure d’adaptation de leur choix. Ils ont droit à des mesures d’adaptation raisonnables qui permettent de répondre à leurs besoins déterminés. En l’espèce, l’employeur s’est efforcé à trouver une mesure d’adaptation raisonnable en fonction des renseignements médicaux qui lui ont été fournis. Le fonctionnaire n’était pas disposé à envisager les options qui lui ont été présentées et il a retardé le processus.

 

[441] J’accepte également l’observation de l’employeur eu égard aux conclusions énoncées dans Nash et Sioui, selon lesquelles la personne qui demande une mesure d’adaptation doit prendre en considération des options qui ne répondent peut-être pas parfaitement à ses attentes, mais qui répondent néanmoins à ses besoins. En s’écartant du processus d’entrevue pour les postes PM-03 offerts à Calgary, à Edmonton et à Saskatoon du fait de son absence, le fonctionnaire a effectivement fait en sorte qu’il a été impossible pour l’employeur de prendre des mesures d’adaptation à son égard.

[442] Pour les motifs précités, le grief dans le dossier 566-02-10938 est également rejeté.

[443] Pour ces motifs, la Commission rend les ordonnances qui suivent relativement aux griefs qui ont fait l’objet de l’audience :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[444] Le grief dans le dossier no 566-02-4291 est accueilli et la mesure disciplinaire est annulée. L’employeur remboursera au fonctionnaire les cinq jours de suspension sans solde qui lui ont été imposés. La somme à rembourser correspond au total du salaire et des avantages perdus, moins les retenues applicables.

[445] Le grief dans le dossier no 566-02-4292 est rejeté.

[446] Le grief dans le dossier no 566-02-4293 est accueilli en partie. La mesure disciplinaire sous la forme d’une suspension sans solde de sept jours est réduite à une lettre de réprimande. L’employeur remboursera au fonctionnaire les sept jours. La somme à rembourser correspond au total du salaire et des avantages perdus, moins les retenues applicables.

[447] Le grief dans le dossier no 566-02-4294 est accueilli. J’accorde des dommages de 7 000 $, en application de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP, ainsi qu’une somme supplémentaire de 7 000 $ en application du paragraphe 53(3).

[448] Le grief dans le dossier no 566-02-6300 est accueilli en partie. La suspension disciplinaire de dix jours est réduite à une suspension d’une journée, et la différence de neuf jours doit être remboursée au fonctionnaire. La somme à rembourser correspond au total du salaire et des avantages perdus, moins les retenues applicables.

[449] Le grief dans le dossier no 566-02-6301 est accueilli et j’accorde des dommages de 20 000 $ en application de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP, ainsi qu’une somme supplémentaire de 20 000 $ en application du paragraphe 53(3).

[450] Des intérêts sont payables sur les griefs dans les dossiers nos 566-02-4291, 566-02-4293 et 566-02-6300, conformément aux modalités décrites précédemment. Aucun intérêt ne peut être exigé sur les indemnités accordées aux termes de la LCDP.

[451] La Commission reste saisie de l’affaire pendant un an après la publication de la présente décision, au cas où les parties auraient de la difficulté à mettre en œuvre les réparations accordées.

[452] Les griefs dans les dossiers nos 566-02-10192 et 566-02-10938 sont rejetés.

[453] Le dossier d’employé du fonctionnaire sera modifié pour rendre compte de ces décisions.

Le 13 avril 2023.

Traduction de la CRTESPF

 

James R. Knopp,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.