Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Six surveillants de la transformation des aliments (EG-05) se sont plaints que l’employeur avait enfreint les dispositions sur les heures supplémentaires de leur convention collective en leur refusant les mêmes possibilités d’heures supplémentaires qui étaient offertes aux inspecteurs des aliments (EG-03 et 04) – entre autres, la convention collective prévoyait que l’employeur « […] réparti[sse] les heures supplémentaires de façon équitable entre les employé-e-s qualifiés, immédiatement disponibles […] » – la Commission a conclu que les dispositions sur les heures supplémentaires de la convention collective ne constituaient pas un droit aux heures supplémentaires – sous réserve des exigences opérationnelles qui tenaient compte de la réduction au minimum des coûts, de la maximisation de la valeur et de la réduction de leur incidence sur le moral des employés, les heures supplémentaires devaient être réparties de façon équitable entre les employés de même travail et classification que le travail à effectuer – il n’était pas logique, sur le plan économique ou administratif, d’affecter des surveillants à un autre poste comportant un ensemble différent de fonctions essentielles simplement parce qu’ils auraient pu les exécuter.

Griefs rejetés.

Contenu de la décision

Date: 20230619

Dossiers: 566-32-10002, 10005, 10006, 10009, 10014 et 10015

 

Référence: 2023 CRTESPF 62

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail dans

le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

ENTRE

 

Norman Allen, Zamira Cicko, John Harland, Donal Irons, Marc Van Gageldonk ET John Wachnik

fonctionnaires s’estimant lésés

 

et

 

AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS

 

employeur

Répertorié

Allen c. Agence canadienne d’inspection des aliments

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

Devant : Augustus Richardson, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour les fonctionnaires s’estimant lésés : Kourosh Farrokhzad, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l’employeur : Amanda Bergmann et Elizabeth Matheson, avocates

Affaire entendue par vidéoconférence,

les 2 et 3 août 2022 et les 27 et 28 février 2023.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Introduction

[1] Je suis saisi d’un grief collectif constitué de six griefs individuels. Tous portent sur la même question, à savoir l’interprétation et la mise en application d’une disposition relative aux heures supplémentaires dans la convention collective conclue entre l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’« employeur ») et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur ») pour l’unité de négociation de l’AFPC, qui est venue à échéance le 31 décembre 2014 (la « convention collective »).

[2] Norman Allen, Zamira Cicko, John Harland, Donal Irons, Marc Van Gageldonk et John Wachnik, les fonctionnaires s’estimant lésés (les « fonctionnaires ») étaient des surveillants de la transformation des aliments (groupe et niveau EG-05) employés par l’employeur dans la région de Toronto, en Ontario. Ils ont déposé un grief au motif qu’en mars 2013, l’employeur a instauré ce qu’ils prétendent être une nouvelle politique qui refusait aux surveillants EG-05 les mêmes possibilités d’effectuer des heures supplémentaires que celles offertes aux inspecteurs des aliments (groupe et niveau EG-03 et EG-04) dans cette région. Les fonctionnaires ont allégué qu’en leur refusant le droit d’inscrire leur nom sur les listes d’heures supplémentaires pour les travaux d’inspection, l’employeur a enfreint la clause 27.03 de la convention collective, qui se lit comme suit :

27.03 Sous réserve des nécessités du service, l’Employeur doit faire tout effort raisonnable :

a. pour répartir les heures supplémentaires de façon équitable entre les employé-e-s qualifiés, immédiatement disponibles,

et

b. pour donner aux employé-e-s tenus de faire des heures supplémentaires un préavis raisonnable concernant cette exigence.

 

[3] Les fonctionnaires ont déclaré qu’ils étaient disponibles et qualifiés pour effectuer le travail d’inspecteur et que, par conséquent, ils auraient dû avoir accès « de façon équitable » aux heures supplémentaires pour ce travail. L’employeur, pour sa part, a nié avoir enfreint la clause 27.03 pour diverses raisons, notamment a) les nécessités du service, et b) la politique en question représentait en fait une répartition équitable de l’accès à la prime.

[4] Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365; LCRTEFP) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé ainsi la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (CRTEFP) pour remplacer l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP), ainsi que l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). Conformément à l’article 393 de la Loi no2 sur le plan d’action économique de 2013, une instance engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2003, ch. 22, art. 2; LRTFP) avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la LRTFP, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no2 sur le plan d’action économique de 2013.

[5] Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la CRTEFP et le titre de la LCRTEFP et de la LRTFP pour qu’ils deviennent respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral.

II. La preuve

[6] Les parties ont présenté des éléments de preuve sous forme de témoignages de quelques témoins et d’un énoncé conjoint des faits, afin de fournir le contexte dans lequel s’inscrivent leurs arguments concernant l’interprétation et la mise en application de la clause 27.03.

[7] Les témoignages ont été présentés au cours de deux journées assez éloignées l’une de l’autre. Au nom des fonctionnaires, le 2 août 2022, j’ai entendu les témoignages de deux d’entre eux, Marc Van Gageldonk et Zamira Cicko.

[8] Au nom de l’employeur, le 27 février 2023, j’ai entendu le témoignage de Judy Strazds, qui était à l’époque pertinente pour ces griefs la gestionnaire d’inspection pour la transformation de la viande et des fruits frais dans la région de Toronto de l’employeur.

[9] Les postes, fonctions et responsabilités des témoins et des fonctionnaires qui n’ont pas témoigné sont indiqués dans l’énoncé conjoint des faits (pièce 1), dont il sera question plus loin dans la présente décision.

[10] Les parties étaient en réalité peu voire pas du tout en désaccord quant aux faits. La question centrale portait sur l’interprétation de la clause 27.03 et, compte tenu de cette interprétation, sur la façon dont elle devait s’appliquer dans le contexte de l’époque. Cela étant, j’exposerai mes conclusions de fait sans paraphraser en long et en large le témoignage de chacun des témoins. Je n’y ferai référence que lorsqu’il sera nécessaire d’expliquer une conclusion particulière. Je commencerai par l’énoncé conjoint des faits. Je le reprendrai dans son intégralité; seule la numérotation des paragraphes a été modifiée.

III. Énoncé conjoint des faits

[11] Lorsqu’ils ont déposé leurs griefs respectifs, les fonctionnaires étaient employés par l’employeur à titre de surveillants de la transformation des aliments (EG-05) dans ses installations de transformation des aliments pour l’hygiène des viandes (TAHV) situées dans la région de Toronto.

A. Contexte : activités dans la région de Toronto

[12] L’employeur répartit les activités qu’il mène dans la province de l’Ontario en quatre régions spécifiques : Nord-Est, Sud-Ouest, Centre et Toronto.

[13] Les fonctionnaires ont tous travaillé dans les installations de TAHV de l’employeur dans la région de Toronto. Par TAHV, on entend la manipulation de la viande après l’abattage, comme la coupe, la congélation, la salaison, la cuisson, le broyage et la préparation de certains aliments contenant de la viande (pizzas, lasagnes, bacon, etc.).

[14] Sur le plan logistique, l’employeur a regroupé toutes ses installations de TAHV de la région de Toronto en entités plus vastes appelées [traduction] « complexes » et délimitées selon un découpage géographique précis. Les inspecteurs et les surveillants travaillaient normalement dans un complexe dit [traduction] « principal », mais ils pouvaient être appelés à travailler dans un autre complexe si les nécessités du service l’exigeaient.

[15] Sous l’effet de plusieurs facteurs, l’employeur a modifié la configuration de ces complexes de manière significative entre 2008 et 2013, notamment en passant de trois grands complexes à six complexes plus petits. Lorsque les griefs ont été déposés, la région de Toronto comptait entre 120 et 140 installations de transformation réparties en 6 complexes, comme suit :

[Traduction]

[…]

a. le complexe n° 3, qui couvre le quartier industriel de Concord dans la ville de Vaughan et le quartier de Weston dans la ville de Toronto;

b. le complexe n° 4, qui couvre la région géographique du nord-ouest de Toronto, notamment des secteurs de Brampton et de Mississauga;

c. le complexe n° 5, qui couvre principalement les villes de Brampton et de Mississauga;

d. le complexe n° 6, qui couvre le nord de Mississauga et certains secteurs de Brampton;

e. le complexe n° 7, qui couvre la région géographique du sud de Toronto, le long de la rive du lac;

f. le complexe n° 11, qui couvre principalement le reste du quartier de Weston dans la ville de Toronto.

[…]

 

[16] Lorsque les griefs ont été déposés, les horaires des heures supplémentaires étaient établis et gérés par le surveillant (EG-05) responsable de chaque complexe. La possibilité de faire des heures supplémentaires pour l’inspection était fonction d’un certain nombre de facteurs, notamment la nature des installations situées dans un complexe, la période de l’année (et les demandes saisonnières connexes) et les effectifs globaux.

[17] Les parties conviennent qu’il était courant de faire des heures supplémentaires dans la région de Toronto, comme le montre le tableau ci-dessous :

[Traduction]

[…]

a. pour permettre la poursuite des activités des installations enregistrées le soir et les fins de semaine (c.-à-d. en dehors des horaires de travail convenus avec l’employeur) afin de répondre aux besoins de l’offre et de la demande.

b. dans les situations d’urgence (par exemple, les rappels d’aliments à la suite d’épidémies de pathogènes).

[…]

 

B. Rôle de chaque groupe et niveau d’attache

[18] Les inspecteurs (EG-03 et EG-04) étaient chargés d’inspecter les installations de transformation et de conservation de la viande afin de s’assurer que l’industrie respectait toutes les réglementations applicables et les systèmes de sécurité alimentaire approuvés par l’employeur. Ce processus d’inspection, connu sous le nom de système de vérification de la conformité (« SVC »), exigeait de ces inspecteurs les tâches suivantes :

[Traduction]

[…]

a. s’assurer que chaque installation de TAHV en activité fasse l’objet d’une visite d’inspection d’au moins 15 minutes au cours de chaque quart de travail prévu dans l’entente sur les quarts de travail, conformément aux exigences du programme de l’ACIA;

b. prélever et préparer des échantillons dans les zones de production, de récolte et de transformation en vue d’une analyse ultérieure en laboratoire pour détecter la présence de résidus, d’agents pathogènes et de contaminants dans les produits alimentaires;

c. vérifier que les installations maîtrisent les risques liés à la contamination par des agents pathogènes ou d’autres dangers spécifiques en respectant les procédures d’analyse des risques aux points critiques (« HACCP ») qui leur sont propres. Les inspecteurs (EG-03 et EG-04) s’en assurent en menant des entretiens, en examinant les registres et en effectuant une observation directe des activités;

(*Il convient de noter que certaines tâches de vérification HACCP exigent que le ou les inspecteurs aient suivi une formation complémentaire (par exemple, pour le procédé thermique spécifique aux activités d’autoclave). Ces tâches ne peuvent donc être effectuées que par des inspecteurs (EG-04) et des surveillants (EG-05) ayant reçu une formation de ce type.)

d. vérifier que les procédures HACCP mises en place dans chaque installation sont conformes aux exigences du programme de l’ACIA;

e. vérifier le respect des exigences en matière d’étiquetage et des autres exigences nationales par l’observation directe et l’examen des registres;

f. vérifier le respect des exigences en matière d’exportation par l’observation directe et l’examen des registres;

g. vérifier le respect des exigences en matière d’importation par l’observation directe et l’examen des registres.

[…]

 

[19] Les inspecteurs (EG-03 et EG-04) étaient également chargés d’assurer le suivi des plaintes des consommateurs et des commerçants dans les installations concernées.

[20] Si un inspecteur (EG-03 et EG-04) constatait un cas de non-conformité dans une installation, il était également chargé de la négociation des mesures correctives, et notamment des lettres d’avertissement et des rejets de produits jusqu’à la rétention et la saisie.

[21] Les surveillants (EG-05), quant à eux, étaient chargés de la mise en œuvre du programme. Ils devaient encadrer les inspecteurs en clarifiant les attentes, en répartissant la charge de travail, en fixant des objectifs individuels et en procédant à des évaluations de leur système de gestion de la qualité dans leurs complexes. Ce système exigeait des surveillants qu’ils se rendent chaque mois dans les installations de TAHV et qu’ils observent directement chaque inspecteur dans l’accomplissement de ses tâches, afin de confirmer qu’il respectait les exigences du SVC.

[22] Les surveillants (EG-05) assuraient également la gestion des complexes en fixant des objectifs et en rendant compte des résultats à l’employeur. Ils étaient chargés de la gestion des activités, de la résolution des problèmes, et notamment du suivi des enquêtes en fonction des priorités, de l’information et de l’orientation des clients de l’industrie, ainsi que des programmes de formation et de perfectionnement des employés.

[23] Enfin, dans la mesure où les surveillants (EG-05) sont assimilés à des inspecteurs aux fins du paragraphe 13(3) de la Loi sur l’Agence canadienne d’inspection des aliments (L.C. 1997, ch. 6), ils pouvaient être appelés (et dans certains cas, ils l’ont été) à exercer des fonctions d’inspecteur.

C. Contexte : les fonctionnaires

[24] M. Allen est devenu surveillant de la transformation des aliments dans le cadre du programme de TAHV dans la région de Toronto le 7 novembre 2005. Avant cette nomination, il n’avait aucune expérience en tant qu’inspecteur (EG-04) de la TAHV. Il a pris sa retraite le 9 septembre 2017, mais avant cela, il était le surveillant habituellement affecté au complexe n° 5.

[25] Mme Cicko a commencé à occuper le poste d’attache de surveillante de la TAVH le 28 septembre 2012 et l’occupait toujours au début de l’audience. Auparavant, son poste d’attache était celui d’inspectrice (EG-04) de la TAVH. À ce titre, elle a occupé un poste de surveillante (EG-05) par intérim du 4 au 13 août 2010 et du 7 octobre 2010 au 27 septembre 2012. À toutes les époques pertinentes, elle était la surveillante habituellement affectée au complexe n° 7.

[26] M. Harland est devenu surveillant de la TAHV le 28 septembre 2012. Auparavant, son poste d’attache était celui d’inspecteur (EG-04) de la TAHV. À ce titre, il a occupé un poste de surveillant (EG-05) par intérim du 6 au 8 avril 2011 et du 26 avril 2011 au 27 septembre 2012. M. Harland a pris sa retraite le 28 novembre 2019, mais avant cela, il était le surveillant habituellement affecté au complexe n° 11. Par la suite, M. Harland a été réembauché à plusieurs reprises en tant qu’inspecteur (EG-04).

[27] M. Irons est devenu surveillant de la TAHV (EG-05) le 30 juin 2000. Auparavant, il occupait un poste de groupe et de niveau PI-04, lequel a finalement été reclassé en EG-05 en 2000 ou autour de cette année-là. M. Irons a pris sa retraite le 21 novembre 2013, mais avant cela, il était le surveillant habituellement affecté au complexe n° 3.

[28] M. Van Gageldonk est devenu surveillant de la TAHV (EG-05) le 2 janvier 2001. Il a également exercé des fonctions intérimaires au groupe et au niveau EG-05 pendant environ un an avant d’être promu au début de l’année 2001. Il était toujours employé en tant que surveillant (EG-05) de la TAHV au début de l’audience. À toutes les époques pertinentes, il était le surveillant habituellement affecté au complexe n° 6 et, plus tard, au complexe n° 4.

[29] M. Wachnik est devenu surveillant de la TAHV (EG-05) le 28 septembre 2012. Auparavant, son poste d’attache était celui d’inspecteur (EG-04) de la TAHV. À ce titre, il a occupé un poste de surveillant (EG-05) par intérim du 26 avril 2011 au 27 septembre 2012. À toutes les époques pertinentes, il était le surveillant habituellement affecté au complexe n° 6.

[30] Lorsque les griefs ont été déposés, tous les fonctionnaires relevaient de Mme Strazds, gestionnaire d’inspection pour les installations de TAHV de la région de Toronto.

D. Les griefs

[31] Les présents griefs portent précisément sur l’allégation formulée par les fonctionnaires selon laquelle l’employeur a adopté une nouvelle directive par l’entremise de Mme Strazds à la fin de mars 2013, laquelle modifiait les pratiques relatives aux heures supplémentaires pour les surveillants (EG-05) dans la région de Toronto. Les fonctionnaires ont collectivement allégué qu’il s’agissait d’une violation de l’article 27 de la convention collective.

[32] L’employeur a soutenu que la directive adoptée à la fin du mois de mars 2013 ne modifiait pas les pratiques des surveillants (EG-05) en matière d’heures supplémentaires et qu’il n’y a pas eu violation de l’article 27 de la convention collective.

[33] Les parties conviennent que la Commission n’est pas saisie des questions relatives à la disponibilité et aux jours fériés payés.

[34] Le libellé et la teneur de chaque grief sont identiques, mais par souci de clarté, ils sont désignés comme suit :

[Traduction]

[…]

a. le grief 28863 a été déposé par Norman Allen;

b. le grief 28862 a été déposé par Zamira Cicko;

c. le grief 28866 a été déposé par John Harland;

d. le grief 28870 a été déposé par Donal Irons;

e. le grief 28875 a été déposé par Marc Van Gageldonk;

f. le grief 28876 a été déposé par John Wachnik.

[…]

 

[35] Tous les griefs ont été déposés le 12 avril 2013.

E. Renvois à l’arbitrage

[36] Les griefs ont été rejetés au premier palier le 31 mai 2013.

[37] Les griefs ont été rejetés au deuxième palier et chaque fonctionnaire a reçu une lettre distincte et identique le 12 juillet 2013.

[38] Les griefs ont été rejetés au dernier palier et chaque fonctionnaire a reçu une lettre distincte et identique le 30 juillet 2014.

[39] Les griefs ont été renvoyés collectivement à l’arbitrage devant la CRTFP le 4 septembre 2014.

F. Autre

[40] Un recueil conjoint de documents a été admis par consentement. Les parties se sont réservé le droit d’argumenter sur le poids à accorder aux documents qui le composent.

[41] Les parties se sont réservé le droit de produire des preuves orales et documentaires supplémentaires au besoin.

IV. Éléments de contexte importants

[42] La région de Toronto comptait deux types d’installations de TAHV. Tout d’abord, les usines de transformation que je qualifie de [traduction] « simples », dans lesquelles les produits carnés sont transformés, par exemple, en étant découpés en morceaux et emballés en vue de leur distribution ou de leur vente. Il n’y a pas de procédé thermique, c’est-à-dire pas de cuisson ou de chauffage des viandes.

[43] D’autre part, il y avait les usines de procédés que j’appellerai [traduction] « thermiques ». Y était pratiqué le procédé thermique, c’est-à-dire la cuisson ou le chauffage des viandes. Ainsi, par exemple, ces installations pouvaient être chargées de la préparation de pepperoni ou de jambons cuits. Comme indiqué dans l’énoncé conjoint des faits, seuls les inspecteurs EG-04 ou les surveillants EG-05 étaient formés et qualifiés pour inspecter les usines de procédé thermique.

[44] Je remarque également que, d’après les éléments de preuve, il est clair que l’inspection quotidienne et pratique des deux types d’usines de transformation a été effectuée normalement par les inspecteurs de groupes et de niveaux EG-03 et EG-04. Les inspecteurs de groupe et de niveau EG-03 ne pouvaient inspecter que les usines de transformation simples. Les inspecteurs de groupe et de niveau EG-04 pouvaient inspecter à la fois les usines simples et les usines thermiques. Dans de nombreuses usines de transformation, les inspecteurs travaillaient pendant différents quarts de travail, les fins de semaine ou les deux, ce qui signifie que les inspecteurs de groupes et de niveaux EG-03 et EG-04 pouvaient se retrouver à travailler en fonction des activités des usines qu’ils inspectaient.

[45] Encore une fois, comme nous l’avons déjà mentionné, les inspecteurs de groupes et de niveaux EG-03 et EG-04 relevaient des surveillants de groupes et de niveaux EG-05, qui à leur tour relevaient de la gestionnaire d’inspection de la région de Toronto, qui était à l’époque Mme Strazds. Contrairement aux inspecteurs de groupes et de niveaux EG-03 et EG-04, les surveillants travaillaient normalement de jour, du lundi au vendredi. À l’occasion, ils travaillaient hors de leurs horaires normaux lorsque, par exemple, ils devaient procéder à l’évaluation du rendement d’un inspecteur qui travaillait l’après-midi ou le soir, si une usine de transformation avait mis en place un nouveau procédé qui devait être évalué, ou, à l’occasion, pour remplacer un inspecteur qui n’était pas disponible pour travailler pendant un quart de travail particulier.

V. Pratique antérieure

[46] M. Van Gageldonk a témoigné qu’à l’époque où il était surveillant par intérim, il effectuait régulièrement des heures supplémentaires en tant qu’inspecteur. Il a expliqué qu’une liste des quarts de travail était établie et contenait les noms des personnes désireuses d’effectuer des heures supplémentaires. La liste ne se limitait pas aux inspecteurs de groupes et de niveaux EG-03 et EG-04 – les surveillants de groupe et de niveau EG-05 y figuraient également, car, à ce titre, ils étaient en mesure d’effectuer le travail des inspecteurs et étaient qualifiés pour le faire. Les propositions d’heures supplémentaires étaient ensuite présentées à tour de rôle sur la base de cette liste.

[47] Il a témoigné que les inspecteurs étaient soumis à une forte pression et que nombre d’entre eux ne voulaient pas effectuer d’heures supplémentaires ou étaient en situation d’épuisement professionnel. Par conséquent, le fait de faire figurer les surveillants sur la liste permettait de répartir la charge et d’éviter ou du moins de limiter les cas où l’on pouvait ordonner à un inspecteur d’effectuer le travail. Les heures supplémentaires effectuées dans ces conditions ne devaient pas être approuvées, même si le directeur régional devait y apposer sa signature. Chaque mois, le directeur prenait connaissance des heures supplémentaires effectuées par l’ensemble des employés.

[48] M. Van Gageldonk a également témoigné que les conditions de travail avaient changé en 2011, ce qui a eu une incidence sur les heures supplémentaires. Des dispositions relatives à la disponibilité (et donc à l’indemnité de disponibilité) ont été mises en place. La convention collective de l’époque interdisait le cumul de la rémunération des heures de disponibilité et des heures supplémentaires. Les surveillants en disponibilité ne pouvaient pas effectuer d’heures supplémentaires simultanément, ce qui signifie que leurs heures supplémentaires étaient limitées aux périodes où ils n’étaient pas en disponibilité. Ils pouvaient toujours figurer sur la liste des employés susceptibles d’effectuer des heures supplémentaires et en effectuer, pour autant qu’ils n’étaient pas également en disponibilité au même moment.

[49] Sur ce point, Mme Strazds a témoigné qu’elle passait normalement en revue les heures supplémentaires réclamées par l’ensemble des employés, mais qu’elle n’avait pas compris que les surveillants de groupe et de niveau EG-05 effectuaient des heures supplémentaires parce qu’ils inscrivaient leur nom sur la liste des heures supplémentaires des inspecteurs. En d’autres termes, elle considérait que les surveillants effectuaient des heures supplémentaires dans le cadre de leurs fonctions de surveillants, et non pour remplacer les inspecteurs.

VI. La note de service du 26 mars 2013

[50] Le 26 mars 2013, Mme Strazds a publié une note de service portant sur l’organisation de la disponibilité des surveillants. En substance, cette note – qui constitue le fondement des griefs – indiquait que les surveillants de groupe et de niveau EG-05 ne devaient pas être inscrits sur la liste des heures supplémentaires qui, auparavant, contenait le nom de toutes les personnes qui occupaient des postes de groupes et de niveaux EG-03, EG-04 et EG-05 susceptibles de vouloir effectuer des heures supplémentaires et d’être disponibles à cet effet.

VII. Résumé de l’argumentation

A. Pour les fonctionnaires

[51] L’agent négociateur a fait valoir que la décision d’exclure les surveillants de groupe et de niveau EG-05 de la liste des heures supplémentaires consacrées à l’inspection contrevenait à la clause 27.03 de la convention collective. Avant mars 2013, les surveillants de groupe et de niveau EG-05 pouvaient effectuer des heures supplémentaires par rotation. Après cette date, ils ne le pouvaient plus. Il a fait valoir que le fait d’inclure les surveillants de groupe et de niveau EG-05 aurait permis de mieux respecter l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée de toutes les personnes occupant des postes de groupes et de niveaux EG-03, EG-04 et EG-05, car cela aurait permis de partager le fardeau – et les avantages – des heures supplémentaires entre toutes les personnes capables et qualifiées pour effectuer le travail d’un inspecteur. Aucune nécessité de service n’a entraîné de changement par rapport à la pratique en vigueur jusqu’alors. Mme Strazds l’a imposé unilatéralement sans consulter l’agent négociateur.

[52] L’agent négociateur a reconnu que les surveillants qui étaient en disponibilité pouvaient à l’occasion être rappelés au travail en cas d’urgence, auquel cas ils étaient rémunérés pour leurs heures supplémentaires. Mais cela se produisait rarement, si on compare cette situation à celle qui prévalait avant la mise en place de la nouvelle directive.

[53] L’agent négociateur a également fait valoir que la pratique consistant à inscrire les surveillants sur la liste des personnes susceptibles d’effectuer des heures supplémentaires avant mars 2013 était courante et ancienne, et que l’employeur en avait connaissance. La gestionnaire (c.-à-d. Mme Strazds) examinait et approuvait les heures supplémentaires, de sorte qu’elle devait savoir que les surveillants prenaient régulièrement des heures supplémentaires pour effectuer le travail d’un inspecteur.

[54] L’agent négociateur a fait valoir que l’intention des parties, comme en témoigne la clause 27.03, était de répartir les heures supplémentaires de façon équitable entre tous les employés qui étaient qualifiés et disponibles pour effectuer les tâches nécessaires. Les employés de groupe et de niveau EG-05 étaient manifestement qualifiés pour effectuer le travail d’inspecteur. Ils avaient été inspecteurs dans le passé. Ils avaient continué à effectuer des inspections lorsque, en tant que surveillants, ils avaient accepté des affectations d’heures supplémentaires pour effectuer des inspections et, en cas d’urgence, ils l’avaient fait après mars 2013. Il est absurde de suggérer que les surveillants ne sont pas qualifiés pour effectuer des inspections. Après tout, pour surveiller les inspecteurs, ils devaient connaître, effectuer et expliquer le travail d’inspection aux inspecteurs.

[55] L’agent négociateur a également fait valoir qu’aucune preuve n’indiquait que le fait de laisser les surveillants effectuer le travail d’inspection alourdissait le fardeau administratif. Au contraire, cela facilitait la tâche consistant à trouver un remplaçant en cas d’absence d’un inspecteur, en élargissant le bassin de remplaçants possibles. En outre, rien dans la convention collective n’interdisait aux surveillants d’effectuer le travail des inspecteurs.

[56] L’agent négociateur a ensuite abordé l’avertissement liminaire de la clause 27.03, qui se lit comme suit : « [s]ous réserve des nécessités du service […] ». Il a fait valoir qu’il incombait à l’employeur d’établir que cette réserve s’appliquait. Il a déclaré qu’aucune preuve n’indiquait une [traduction] « nécessité de service urgente » justifiant le retrait des surveillants EG-05 de la liste des personnes susceptibles d’effectuer des heures supplémentaires contenant le nom des inspecteurs de groupes et de niveaux EG-03 et EG-04. Il a invoqué les décisions rendues dans NAV Canada v. ACCTA, 2018 CarswellNat 8251; Degaris c. Canada (Conseil du Trésor – Transports Canada), dossiers de la CRTFP 166-2-22490 et 22491 (19931102); Calgary Airport Authority v. PSAC Local 30301, 2004 CarswellNat 3318; Vancouver International Airport Authority and Public Service Alliance of Canada, Local 20221, 29 mars 2007 (Greyell).

[57] Il a fait valoir que l’idée maîtresse qui se dégage de ces décisions est que l’expression « nécessités du service » doit se rapporter au travail à effectuer, et non à un ensemble de règles administratives élaborées par la direction. En particulier, un employeur ne pouvait pas invoquer les « nécessités du service » si le prétendu besoin à satisfaire résultait de circonstances indépendantes de sa volonté. Dans le présent cas, la question du coût n’a jamais été avancée pour justifier le retrait des surveillants de la rotation des heures supplémentaires. De plus, le fait de les retirer (réduisant ainsi le bassin de remplaçants qualifiés) n’a fait qu’accroître la pression exercée sur les inspecteurs.

[58] L’agent négociateur a invoqué des extraits de Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 5e édition, aux paragraphes 4:20, 4:21 et 4:27; Degaris; Conseil du Trésor (Transports Canada) c. MacGregor, dossier de la CRTFP 166-02-22489 (1992-1022); Calgary Airport Authority; NAV Canada.

[59] L’agent négociateur a conclu en proposant que les griefs soient accueillis et que je conserve ma compétence pour déterminer les dommages à accorder, le cas échéant.

B. Pour l’employeur

[60] Les arguments de l’employeur portent essentiellement sur les trois questions suivantes :

1) si les nécessités du service imposent de ne pas inscrire les surveillants sur la liste des heures supplémentaires des inspecteurs;

2) s’il serait équitable de permettre aux surveillants (EG-05) de figurer sur la liste des heures supplémentaires des inspecteurs (EG-04 et EG-05);

3) si une pratique antérieure obligeait l’employeur à maintenir les surveillants sur la liste des heures supplémentaires des inspecteurs.

 

[61] En ce qui concerne la question des nécessités du service, l’employeur a insisté sur le fait que la mise en disponibilité des surveillants impliquait qu’ils ne pouvaient pas non plus être disponibles pour des heures supplémentaires. En outre, leur utilité – et d’ailleurs leur rôle et leur fonction – consistait à encadrer les inspecteurs, et non à effectuer le travail d’inspection. Le fait qu’ils effectuent des inspections à leur tarif d’heures supplémentaires (de surveillant) constitue une exploitation inopportune (et onéreuse) de leur expertise. En outre, les surveillants pouvaient effectuer des heures supplémentaires en tant que surveillants lorsque, par exemple, ils devaient rencontrer un inspecteur en dehors de leur horaire de travail quotidien, pour traiter des problèmes de rendement ou pour les évaluations annuelles du rendement, ou lorsqu’ils devaient effectuer des tâches de vérification de la conformité sur un site de TAHV qui ne pouvaient être exécutées que par un surveillant. S’appuyant sur Doherty c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2014 CRTFP 77, l’employeur a fait valoir qu’il appartenait à la direction de structurer et de gérer les heures supplémentaires d’une manière qu’elle jugeait équitable.

[62] L’employeur en est venu à la deuxième question. S’appuyant sur Canada (Procureur général) c. Bucholtz, 2011 CF 1259; Brisebois c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2011 CRTFP 18; Barbour c. Conseil du Trésor (ministère des Transports), 2018 CRTESPF 80, l’employeur a fait valoir que l’équité va dans les deux sens. Il était permis de maximiser l’efficacité et de minimiser les coûts lors de l’attribution des heures supplémentaires. Ainsi, par exemple, l’équité pour l’employeur consistait à ne pas affecter des employés de niveau supérieur (et donc mieux payés) à des tâches de niveau inférieur (Brisebois, supra). L’équité pour les employés consistait à ne pas dresser une seule liste d’heures supplémentaires pour tous, quelle que soit la classification, car cela aurait signifié que les employés de niveau supérieur auraient eu accès à toutes les heures supplémentaires disponibles à leur propre niveau ainsi qu’à toutes les heures supplémentaires disponibles aux niveaux inférieurs. L’employeur a également fait valoir qu’en examinant ce qui était équitable, il devait tenir compte du fait que les surveillants avaient accès à d’autres formes de service supplémentaire (comme la disponibilité) qui n’étaient pas disponibles pour les inspecteurs.

[63] En ce qui concerne la pratique antérieure consistant à approuver les heures supplémentaires des surveillants qui remplaçaient les inspecteurs, l’employeur a fait remarquer que la convention collective était d’application générale dans l’ensemble du pays. L’employeur ne pouvait pas être lié par la pratique des gestionnaires d’une de ses régions. Pour être exécutoire – ou même pour servir d’aide à l’interprétation – la pratique devait être ouverte, notoire et connue de l’employeur, et non seulement des surveillants ou des gestionnaires locaux; voir Chafe c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2010 CRTFP 112, au par. 71.

[64] L’employeur a conclu en proposant le rejet des griefs.

C. La réponse des fonctionnaires

[65] L’agent négociateur a fait valoir que les heures supplémentaires n’étaient pas une ressource rare et qu’il n’y avait aucune preuve voulant qu’elles l’étaient. Cela étant, rien n’indique que l’attribution d’heures supplémentaires aux employés de groupe et de niveau EG-05 prive les employés de groupes et de niveaux EG-03 ou EG-04 de cet avantage. Il a rappelé que, dans le passé, les gestionnaires avaient approuvé des heures supplémentaires pour les surveillants effectuant le travail des inspecteurs.

VIII. Analyse et décision

[66] Il me faut interpréter le sens de la clause 27.03 dans le contexte de la convention collective. Comme l’ont fait remarquer les deux parties, je conviens que la détermination de la signification de la clause doit, du moins en premier lieu, se fonder sur les termes explicites employés. Je dois donner aux termes employés leur signification habituelle ou commune, à moins que cela n’aboutisse à une absurdité ou ne soit incompatible avec d’autres clauses de la convention collective ou que le contexte n’indique qu’une signification différente a été voulue; voir Brown et Beatty.

[67] Je dois également préciser que les décisions invoquées par les parties, à une ou deux exceptions près, ne m’ont pas été d’un grand secours. Les dispositions interprétées n’étaient pas identiques à celle dont je suis saisi. Elles n’impliquaient pas non plus des situations factuelles similaires. Elles ne portaient pas non plus sur les mêmes questions. Il n’est pas surprenant qu’il en soit ainsi. Les circonstances dans lesquelles les heures supplémentaires peuvent être nécessaires, les employés tenus de les effectuer et le moment où ils doivent le faire, la pratique historique d’un employeur particulier et la manière dont les heures supplémentaires sont attribuées dépendent des faits et sont en outre régis par le libellé spécifique de la convention collective particulière qui régit l’attribution des heures supplémentaires.

[68] Je voudrais également souligner que, d’après les cas qui ont été invoqués, tous sauf un, à savoir Brisebois, supra, concernaient des employés de même niveau. Il ne s’agissait pas d’employés qui, tout en appartenant à la même classification, avaient grimpé dans l’échelle pour occuper des postes aux responsabilités plus grandes et différentes – essentiellement, des emplois différents et des titres d’emploi différents. Et dans le présent cas, comme dans Brisebois, supra, au par. 32, la question est la suivante : l’employeur « doit-il répartir les heures supplémentaires de façon équitable entre tous les employés qualifiés et facilement disponibles, peu importe le niveau de la classification, ou peut-il d’abord faire appel aux employés de la classification qui font habituellement le travail, pour des motifs d’efficacité et de moindre coût »? [je mets en évidence]

[69] Pour en venir à la question qui m’occupe, je reproduis, pour des raisons de commodité, la clause 27.03 :

27.03 Sous réserve des nécessités du service, l’Employeur doit faire tout effort raisonnable :

a. pour répartir les heures supplémentaires de façon équitable entre les employé-e-s qualifiés, immédiatement disponibles,

et

b. pour donner aux employé-e-s tenus de faire des heures supplémentaires un préavis raisonnable concernant cette exigence.

[Je mets en évidence]

 

[70] L’autre clause pertinente de la convention collective est l’article 6 (intitulé « Responsabilités de la direction »), qui énonce ce qui suit : « Sauf dans les limites indiquées, la présente convention ne restreint aucunement l’autorité des personnes chargées d’exercer des fonctions de direction à l’Agence canadienne d’inspection des aliments. »

[71] Je commencerai par les observations suivantes. Tout d’abord, il faut être prudent dans la compréhension du droit établi par la clause 27.03. Il ne s’agit pas d’un droit aux heures supplémentaires. En effet, en règle générale, les employés ne jouissent pas d’un droit aux heures supplémentaires, ni d’ailleurs d’un droit d’éviter leur attribution. En l’absence d’un libellé contraire dans une convention collective, un employeur a le droit d’attribuer des heures supplémentaires obligatoires comme il l’entend (sous réserve des limites imposées par la loi); voir Algoma Steel Corp Ltd. v. USWA, Local 2251 (1960), 11 L.A.C. 118.

[72] Ensuite, il n’y a pas de liberté d’action en ce qui concerne les heures supplémentaires. Il s’agit d’une exigence liée à – et découlant de – la nécessité de faire effectuer un travail particulier par une catégorie particulière d’employés. Cette nécessité survient parce que l’employé qui effectue normalement ce travail n’est pas disponible (et doit donc être remplacé par un autre employé qui a déjà effectué ses heures normales de travail), ou parce que la quantité de travail requise pour ce travail a augmenté et dépasse la capacité des employés qui effectuent ce travail à l’accomplir pendant leurs heures normales de travail. Dans un cas comme dans l’autre, les heures supplémentaires à effectuer relèvent d’un travail particulier exécuté par une catégorie d’emploi particulière. Le fait qu’un employé d’une classification différente qui effectue un travail différent sous un titre différent puisse également être en mesure d’effectuer le travail ou l’emploi nécessitant des heures supplémentaires ne change rien au fait que les heures supplémentaires se rapportent à un travail qui n’est pas normalement le leur.

[73] Il convient également de souligner que la clause 27.03 est une composante du droit général de l’employeur, prévu à la clause 6.01, de gérer ses activités comme il l’entend. Dans le cadre de ces activités, il est parfois nécessaire de recourir aux heures supplémentaires, ce qui soulève la question de la façon dont elles devraient ou pourraient être attribuées. Du point de vue de l’employeur, si le travail doit être effectué, il doit être réparti de manière à minimiser son coût, à maximiser sa valeur et à minimiser ses effets sur le moral des employés. Ce dernier point est important, car du point de vue des employés, ce travail peut être un avantage ou un inconvénient (ou les deux). Il offre la possibilité d’un travail supplémentaire moyennant une prime (et donc un revenu supplémentaire). Mais il empiète également sur le temps personnel et familial (ce qui représente un coût).

[74] En gardant cela à l’esprit, nous en arrivons à ce que les fonctionnaires ont qualifié de question centrale – l’attribution des « […] heures supplémentaires de façon équitable entre les employé-e-s qualifiés, immédiatement disponibles […] ». Ils affirment que le travail à attribuer est celui des inspecteurs et que toutes les personnes qualifiées pour l’effectuer (c’est-à-dire celles occupant des postes de groupes et de niveaux EG-03, EG-04 et EG-05) devraient pouvoir le faire de façon égale, qu’il s’agisse ou non des fonctions essentielles de leur poste. En d’autres termes, ils affirment que les surveillants ont le droit, au même titre que les inspecteurs, de se voir proposer d’effectuer des heures supplémentaires pour mener à bien le travail des inspecteurs parce qu’ils ont la compétence technique nécessaire pour le faire.

[75] Cette interprétation de la clause 27.03 me pose problème à plusieurs égards.

[76] D’abord, la clause 27.03 n’exige pas que la proposition d’heures supplémentaires se fasse « de façon égale », mais plutôt « de façon équitable ». Les mots, bien que semblables, n’ont pas la même signification.

[77] Les définitions du terme « equal » [égal] sont les suivantes :

[Traduction]

[Extrait du dictionnaire en ligne Merriam-Webster]

1 a (1) : de la même mesure, quantité, montant ou nombre qu’un autre

(2) : identique en valeur mathématique ou en valeur logique [...]

b : semblable en qualité, nature ou statut

c : identique pour chaque membre d’un groupe, d’une classe ou d’une société

assurer l’égalité des chances en matière d’emploi

[…]

[Extrait du dictionnaire en ligne Cambridge]

la même quantité, le même nombre ou la même taille…

[…]

[Extrait du dictionnaire en ligne Free Dictionary]

1. Avoir la même quantité, la même mesure ou la même valeur qu’un autre.

2. […] Être le même ou identique en valeur.

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[78] Les définitions du terme « equitable » [équitable] sont les suivantes :

[Traduction]

[Extrait du dictionnaire en ligne Merriam-Webster]

1 : ayant ou faisant preuve d’équité : traitement juste et équitable de toutes les parties concernées

2 : qui existe ou qui est valable selon l’équité, par opposition à la loi

une défense équitable

[…]

[Extrait du dictionnaire en ligne Cambridge]

traiter chacun de façon juste et identique :

  • un système fiscal équitable

[…]

[Extrait du dictionnaire en ligne Free Dictionary]

caractérisé par l’équité; juste et droit; impartial; non biaisé

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[79] Le fait de proposer des heures supplémentaires pour effectuer le travail des inspecteurs de façon égale aux inspecteurs et aux surveillants n’est donc pas la même chose que de les proposer de façon équitable. L’équité, comme la beauté, dépend de la personne qui l’observe. Les fonctionnaires sont tous des surveillants. Aucune preuve n’a été soumise quant à ce que les inspecteurs pourraient penser du fait qu’un surveillant prenne des heures supplémentaires pour effectuer le travail des inspecteurs qui, autrement, auraient été attribuées à d’autres inspecteurs. Les inspecteurs pourraient en effet considérer que ces heures supplémentaires sont offertes aux surveillants de façon inéquitable, étant donné que les surveillants touchent déjà une rémunération plus élevée et qu’ils ont accès à d’autres types de primes (comme la disponibilité) qui ne sont pas offertes aux inspecteurs.

[80] À ce sujet, la décision rendue dans Brisebois me conforte dans une certaine mesure. Dans ce cas, le fonctionnaire s’estimant lésé était employé comme conducteur de véhicules lourds et occupait un poste classifié GL-MDO-6. Les niveaux de classification MDO étaient différenciés selon le poids, la variété et la complexité du véhicule lourd à conduire.

[81] L’employeur proposait des heures supplémentaires à tour de rôle aux employés qualifiés pour effectuer le travail normal en question. Si personne n’était disponible à ce niveau, les heures supplémentaires étaient proposées aux employés du niveau suivant, et ainsi de suite jusqu’à ce que les heures supplémentaires soient attribuées. Le fonctionnaire s’estimant lésé s’est plaint de ne pas s’être vu proposer des heures supplémentaires de façon égale aux employés de niveau inférieur.

[82] L’arbitre de grief a fait remarquer que les niveaux de classification n’étaient pas interchangeables. Ils exigeaient des qualifications différentes. Si l’employeur était tenu de maintenir une seule liste contenant le nom des employés de tous les niveaux, alors « […] seuls deux employés, dont le fonctionnaire, seraient en mesure d’effectuer les heures supplémentaires à tous les niveaux, au détriment des neuf autres employés sur la liste ». Comme l’a fait remarquer l’arbitre de grief au paragraphe 40, une telle liste d’affectation des heures supplémentaires « […] deviendrait alors inéquitable par rapport à la majorité des employés ». Il a rejeté le grief.

[83] Cela m’amène au deuxième point. L’interprétation des fonctionnaires passe sous silence la question de savoir ce qui doit être attribué exactement. Il s’agit bien sûr d’heures supplémentaires, mais de quel travail s’agit-il? Dans les faits dont je suis saisi, le travail en question était le travail effectué par un inspecteur en tant qu’inspecteur. Il ne s’agit pas d’un travail de surveillant, bien qu’un surveillant puisse être en mesure de l’effectuer. Mais les principales tâches, fonctions et responsabilités – le travail et l’emploi – d’un inspecteur sont fondamentalement différents de ceux d’un surveillant. Lorsqu’un inspecteur censé travailler ne se présente pas pour une raison ou une autre, il est nécessaire que quelqu’un effectue ce travail et ces tâches, et non le travail et les tâches d’un surveillant. Le fait qu’un surveillant puisse, à la rigueur, effectuer le travail d’un inspecteur ne change pas la nature du travail particulier à attribuer et à effectuer lors des heures supplémentaires.

[84] Troisièmement, la répartition de travail en vertu de la clause 27.03 est faite expressément sous réserve des nécessités du « service ». J’accepte que, comme l’a fait valoir l’agent négociateur, l’expression « nécessités du service » doit se rapporter au travail à accomplir et non à un ensemble de règles administratives établies par la direction. Elles ne peuvent pas non plus être le résultat d’un sous-effectif découlant de la décision de l’employeur de réduire les niveaux de dotation; voir NAV Canada, aux paragraphes 33 et 34. Mais dans le présent cas, la nécessité du service était celle d’un inspecteur, et non d’un surveillant. De plus, l’employeur a le droit et même l’obligation de minimiser le coût des activités et donc de minimiser le nombre d’heures supplémentaires qu’il doit payer; voir, par exemple, Calgary Airport Authority, au par. 44; et Doherty, au par. 36.

[85] Par conséquent, il ne serait pas judicieux, d’un point de vue économique ou administratif, d’attribuer aux surveillants un travail différent assorti d’un ensemble différent de fonctions essentielles (même s’ils sont en mesure de les accomplir). Le faire régulièrement (c’est-à-dire lorsque d’autres inspecteurs sont disponibles) serait contraire aux nécessités du service et donc aux termes introductifs de la clause 27.03a). Le travail nécessitant des heures supplémentaires était celui d’un inspecteur, et non celui d’un surveillant, et rien dans la convention collective ou dans la clause 27.03a) n’exige que l’employeur attribue des heures supplémentaires pour un travail à un employé qui accomplit normalement un travail différent.

[86] En ce qui concerne la pratique antérieure, je n’ai pas été convaincu par la preuve que ce qui a pu se produire dans la région de Toronto avant mars 2013 était pertinent ou pouvait servir d’outil d’interprétation dans le présent cas. La convention collective régit l’agent négociateur et l’employeur dans l’ensemble du pays. Le fait qu’une pratique particulière ait pu se développer dans une région de l’employeur ne signifie pas que l’employeur en a connaissance – ou qu’il la tolère ou l’accepte; voir Chafe, au par. 71; et Doherty, par. 33.

[87] Compte tenu de ces observations, je ne suis pas convaincu que l’interprétation que l’agent négociateur a faite de la clause 27.03 ou de la façon dont elle devait être appliquée soit correcte. Selon mon interprétation de la clause et, en particulier, de la signification du terme [traduction] « travail » dans le contexte de la clause 27.03, les parties ont voulu et convenu que, sous réserve des nécessités du service dans le cadre desquelles il convient de réduire au minimum le coût des heures supplémentaires et de veiller à ce que, dans la mesure du possible, l’employé à remplacer le soit par un employé effectuant habituellement le même travail, les heures supplémentaires devaient être réparties de façon équitable entre les employés dont le [traduction] « travail » – c’est-à-dire l’emploi et la classification – était le même que le travail et la classification de l’employé devant être remplacé. En d’autres termes, elles ne devaient pas être attribuées en temps normal à un employé ayant un poste différent – et un ensemble de tâches essentielles et une classification de niveau supérieur – simplement parce qu’il pourrait être capable, en cas de besoin, d’exécuter les tâches de ce poste de niveau inférieur.

[88] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


IX. Ordonnance

[89] Les griefs sont rejetés.

Le 19 juin 2023.

Traduction de la CRTESPF

Augustus Richardson,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

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