Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé était un plombier et un instructeur dans un établissement correctionnel, mais il n’était pas un agent correctionnel – il a contesté son licenciement – il a reconnu qu’un courriel menaçant qu’il avait envoyé à un superviseur et le fait d’avoir laissé un détenu de se déplacer au sein de l’établissement sans supervision justifiaient une mesure disciplinaire – la Commission a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé avait envoyé son courriel sous l’impulsion du moment, qu’il avait fait preuve de remords pour l’avoir envoyé, qu’il avait offert de présenter ses excuses à son superviseur et qu’il avait déjà fait l’objet d’une suspension de 20 jours pour un incident semblable – la Commission a également conclu que, même si l’incident distinct consistant à laisser un détenu de se déplacer dans l’établissement sans supervision représentait un manque de jugement grave et que le fonctionnaire s’estimant lésé savait qu’il n’avait pas le pouvoir de prendre cette décision, une telle pratique avait été autorisée dans le passé, l’agent correctionnel qui a vu le détenu se déplacer sans supervision n’est pas intervenu et n’a pas signalé l’incident, et le défendeur n’a pas fait d’enquête sur l’incident lorsqu’il en a pris connaissance – la Commission a comparé les circonstances du deuxième incident à des précédents qui concernaient des agents correctionnels et des agents des services frontaliers – la Commission a également estimé que le fonctionnaire s’estimant lésé avait reconnu son erreur et qu’il l’avait signalé rapidement au défendeur – la Commission a conclu que le licenciement était excessif dans les circonstances et l’a remplacé par une suspension de quatre mois.

Grief accueilli.

Contenu de la décision

Date: 20230707

Dossier: 566-02-41168

 

Référence: 2023 CRTESPF 70

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

Entre

 

Paul Canning

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(Service correctionnel du Canada)

 

défendeur

Répertorié

Canning c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Augustus Richardson, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Aaron Lemkow, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour le défendeur : Mathieu Cloutier, avocat

Affaire entendue par vidéoconférence

les 6, 7 et 8 mars 2023.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Introduction

[1] En date du 11 février 2018, Paul Canning, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), un plombier de métier, était un instructeur en plomberie (classifié GL-PIP-09) à l’Établissement de Springhill à sécurité moyenne (« Springhill ») du Service correctionnel du Canada (le « défendeur ») à Springhill, en Nouvelle-Écosse. Il avait presque dix ans d’expérience avec le défendeur, d’abord à son Pénitencier de Dorchester à sécurité maximale situé à Dorchester, au Nouveau-Brunswick, puis à Springhill. Le 12 février 2018, il a été licencié parce qu’il a permis à un délinquant purgeant une peine fédérale de conduire lui-même un véhicule de l’établissement à Springhill et de se présenter à une unité, sans surveillance, et parce qu’il a envoyé un courriel à un autre employé contenant une menace voilée.

[2] Le fonctionnaire a reconnu que sa conduite justifiait l’imposition d’une mesure disciplinaire. Il a toutefois déclaré que le licenciement était une sanction trop sévère pour sa conduite, surtout compte tenu de son ancienneté et de son bon dossier et parce que la sanction ne respectait pas les principes de la mesure disciplinaire progressive. Le défendeur, de son côté, a déclaré que la conduite en question – en particulier le défaut de surveiller le délinquant – était suffisamment grave pour justifier le licenciement et que, de toute façon, la conduite a irrémédiablement nui au lien de confiance essentiel à la relation d’emploi.

[3] Selon les faits dont je suis saisi et pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que le grief doit être accueilli sur la question de la sévérité de la mesure disciplinaire et qu’au lieu du licenciement, une suspension de quatre mois sans solde est justifiée.

II. La preuve

[4] Étant donné qu’il s’agissait d’une question de mesure disciplinaire, il incombait au défendeur d’établir le bien-fondé à la fois de la nécessité d’une mesure disciplinaire et de la sanction qu’il a imposée. J’ai entendu les témoignages des personnes suivantes pour son compte :

· Kevin Snedden, qui à l’époque pertinente était le sous-commissaire régional intérimaire du défendeur pour sa région de l’Atlantique;

· Doug Bitten, qui à l’époque pertinente était gestionnaire correctionnel à Springhill;

· Bruce Rushton, qui à l’époque pertinente était superviseur de l’entretien à Springhill et sous la supervision duquel le fonctionnaire relevait.

 

[5] J’ai entendu les témoignages des personnes suivantes pour le compte du fonctionnaire :

· le fonctionnaire;

· Bruce Barton, qui à l’époque pertinente connaissait depuis longtemps le fonctionnaire et travaillait à Springhill comme agent des services et de l’approvisionnement pour la gestion du parc automobile.

 

[6] Les parties ont également présenté un recueil conjoint de documents comme pièce 1. Une ordonnance de mise sous scellés a été rendue à l’égard de l’onglet 24 (un schéma de Springhill) et de l’onglet 25 (le dossier médical du fonctionnaire). L’onglet 12, une déclaration de M. Rushton préparée le 22 décembre 2017, et l’onglet 13, une déclaration préparée par l’un des superviseurs du fonctionnaire, Ryan Murray, le 22 décembre 2017, sont également à noter.

[7] Je dois également mentionner que les parties n’avaient que peu, voire pas du tout, de différend quant aux événements qui ont conduit au licenciement. Le fonctionnaire a convenu que les actes énumérés dans la lettre de licenciement constituaient un motif approprié pour imposer une mesure disciplinaire. De plus, les parties ont présenté un exposé conjoint des faits. La question centrale n’a donc pas porté sur la crédibilité, mais sur les inférences et les conséquences juridiques à tirer des faits. Cela étant, je vais simplement exposer les faits tels que je les ai constatés et je ne ferai référence à des éléments de preuve précis que lorsque cela est nécessaire pour expliquer une conclusion de fait particulière.

[8] Je commence par l’exposé conjoint des faits qui, de temps à autre, fait référence à des documents du recueil conjoint. Je reviendrai plus tard sur certains d’entre eux, dans la section des motifs. La plupart des déclarations sont reproduites; la numérotation des paragraphes a été modifiée afin de maintenir la cohérence de la numérotation dans la présente décision.

III. L’exposé conjoint des faits

[9] Le défendeur était représenté par son administrateur général.

[10] L’Alliance de la Fonction publique du Canada est l’agent négociateur accrédité de l’unité de négociation du groupe Services opérationnels.

[11] Le Syndicat des employé-e-s de la Sécurité et de la Justice est un élément de l’Alliance de la Fonction publique du Canada. Il administre la convention collective du groupe Services opérationnels au nom de l’Alliance de la Fonction publique du Canada et des membres de l’unité de négociation.

[12] Le fonctionnaire a appartenu à l’unité de négociation tout au long de son emploi avec le défendeur.

[13] En tout temps pendant son emploi, le fonctionnaire était assujetti au Code de discipline et au Code de valeurs et d’éthique du secteur public se trouvant aux onglets 1 et 2 du recueil conjoint de documents. Sa description de travail se trouve à l’onglet 3.

[14] Le 19 mai 2008, le fonctionnaire a commencé à travailler pour le défendeur à titre d’instructeur en plomberie, classifié GL-PIP-09, à l’emplacement de CORCAN Construction à Amherst, en Nouvelle-Écosse. Le mandat devait se terminer à l’origine le 31 août 2008. Le contrat d’emploi qu’il a signé le 16 juin 2008 se trouve à l’onglet 4 du recueil conjoint de documents.

[15] Le 8 septembre 2008, le défendeur a prolongé rétroactivement la durée du mandat du fonctionnaire jusqu’en octobre 2008. La lettre de prolongation qu’il a signée le 10 septembre 2008 se trouve à l’onglet 5 du recueil conjoint de documents.

[16] Le 17 novembre 2008, le défendeur a prolongé rétroactivement la durée du mandat du fonctionnaire jusqu’au 14 janvier 2009. La lettre de prolongation qu’il a signée le 26 novembre 2008 se trouve à l’onglet 6 du recueil conjoint de documents.

[17] Le 3 septembre 2009, le défendeur a prolongé rétroactivement la durée du mandat du fonctionnaire jusqu’au 31 mars 2010, au poste de plombier (classifié GL‑PIP-09) au Pénitencier de Dorchester. La lettre de prolongation qu’il a signée le 22 septembre 2009 se trouve à l’onglet 7 du recueil conjoint de documents.

[18] Le 20 mai 2010, le défendeur a offert au fonctionnaire une nomination permanente au poste de plombier au Pénitencier de Dorchester. La lettre d’offre qu’il a signée le 10 juin 2010 se trouve à l’onglet 8 du recueil conjoint de documents.

[19] Le 15 septembre 2010, le défendeur a offert au fonctionnaire une mutation à Springhill, à titre de plombier (GLPIP-09). La lettre de mutation qu’il a signée le 29 septembre 2010 se trouve à l’onglet 9 du recueil conjoint de documents.

[20] Le résumé de la formation du fonctionnaire se trouve à l’onglet 10 du recueil conjoint de documents.

[21] Le ou vers le 4 juillet 2014, le fonctionnaire s’est blessé au dos sur le lieu de travail. Une description de la blessure se trouve aux pages 87, 88, 91 à 93, 142 et 143, onglet 25, du recueil conjoint de documents.

[22] Le 4 mars 2015, le défendeur a émis l’évaluation finale du rendement du fonctionnaire pour la période d’évaluation 2014-2015, dont une copie se trouve à l’onglet 26, page 202, du recueil conjoint de documents.

[23] Le 31 mars 2016, le défendeur a émis l’évaluation finale du rendement du fonctionnaire pour la période d’évaluation 2015-2016, dont une copie se trouve à l’onglet 26, page 241, du recueil conjoint de documents.

[24] Le ou vers le 11 juillet 2016, le fonctionnaire s’est de nouveau blessé au dos sur le lieu de travail. Une description de la blessure se trouve aux pages 106 à 197, onglet 25, du recueil conjoint de documents.

[25] Le ou vers le 28 septembre 2016, le fonctionnaire s’est de nouveau blessé au dos sur le lieu de travail. Une description de la blessure se trouve à la page 170, onglet 25, du recueil conjoint de documents.

[26] Le 10 mars 2017, le défendeur a émis l’évaluation finale du rendement du fonctionnaire pour la période d’évaluation 2016-2017, dont une copie se trouve à la page 283, onglet 26, du recueil conjoint de documents.

[27] Le ou vers le 25 avril 2017, le fonctionnaire s’est blessé au dos sur le lieu de travail en tirant sur une barrière et n’a pas pu revenir avant le 8 mai 2017. Une radiographie de l’époque, et une autre du 1er septembre 2017, ont révélé des changements arthritiques sur son pied droit. La blessure et la détection de l’arthrite sont indiquées en détail aux pages 117 à 121, onglet 25, du recueil conjoint de documents.

[28] Le 30 août 2017, le fonctionnaire a participé à une altercation physique avec un collègue de travail à Springhill. Le 6 septembre 2017, le fonctionnaire a assisté à une audience disciplinaire avec le défendeur relativement à cette altercation.

[29] Le 20 décembre 2017, le fonctionnaire faisait une sieste dans son atelier lorsque deux gestionnaires correctionnels, soit M. Mitton et M. Sean MacLeod, l’ont réveillé. Ils sont partis peu après avoir eu une brève conversation avec lui.

[30] Le 21 décembre 2017, le fonctionnaire a reçu un appel de son superviseur, qui l’a informé qu’il avait reçu une plainte parce qu’il s’était endormi au travail.

[31] Plus tard le 21 décembre 2017, le fonctionnaire a autorisé un détenu à conduire seul dans une autre zone de Springhill pour effectuer des travaux de plomberie.

[32] Toujours plus tard le 21 décembre 2017, le fonctionnaire a envoyé un courriel à M. Mitton, dont l’objet était [traduction] « On récolte ce que l’on sème ». Une copie du courriel se trouve à l’onglet 11 du recueil conjoint de documents.

[33] Le 21 décembre, M. Rushton, le superviseur du fonctionnaire, a rédigé un rapport détaillé intitulé [traduction] « Incident Paul Canning, Établissement de Springhill, 21 déc. 2017 ». Une copie se trouve à l’onglet 12 du recueil conjoint de documents.

[34] Le 22 décembre 2017, M. Murray a rédigé un rapport sur les événements qui ont eu lieu les 20 et 21 décembre 2017. Une copie se trouve à l’onglet 13 du recueil conjoint de documents.

[35] Le 3 janvier 2018, le fonctionnaire a écrit une lettre pour expliquer pourquoi il a écrit le courriel du 21 décembre 2017 (onglet 11, recueil conjoint de documents). Une copie se trouve à l’onglet 21 du recueil conjoint de documents.

[36] Le 4 janvier 2018, le fonctionnaire a assisté à une audience disciplinaire avec le défendeur au sujet du courriel du 21 décembre 2017 et de sa décision de laisser un détenu conduire un véhicule de l’établissement. À la réunion, le fonctionnaire a remis à M. Snedden une copie de sa lettre du 3 janvier 2018. À la fin de la réunion, le défendeur a suspendu le fonctionnaire pendant 20 jours sans solde pour l’altercation physique du 30 août 2017. Une copie de la lettre disciplinaire se trouve à l’onglet 14 du recueil conjoint de documents.

[37] Le défendeur a enregistré l’audio de l’audience disciplinaire. Une copie ainsi que les notes d’audience du défendeur se trouvent à l’onglet 15 du recueil conjoint de documents.

[38] Le fonctionnaire n’a pas contesté la suspension de 20 jours.

[39] Le 7 février 2018, le défendeur a envoyé au fonctionnaire une lettre l’invitant à une réunion le 12 février 2018, au cours de laquelle il devait recevoir une décision. Une copie se trouve à l’onglet 16 du recueil conjoint de documents.

[40] Le 12 février 2018, le défendeur a mis fin à l’emploi du fonctionnaire pour l’incident du courriel du 21 décembre 2017 et sa décision de laisser un détenu conduire un véhicule du défendeur. Une copie de la lettre de licenciement se trouve à l’onglet 17 du recueil conjoint de documents.

[41] Le 14 février 2018, le fonctionnaire a écrit une lettre pour expliquer pourquoi il avait laissé le détenu conduire un véhicule de l’établissement, qu’il a remise au représentant de son agent négociateur. Une copie se trouve à l’onglet 22 du recueil conjoint de documents.

[42] Le 26 février 2018, le fonctionnaire a contesté son licenciement. Une copie du grief se trouve à l’onglet 18 du recueil conjoint de documents.

[43] Le 8 mars 2018, le défendeur a émis l’évaluation finale du rendement du fonctionnaire pour la période d’évaluation 2017-2018. Une copie se trouve à la page 327, onglet 26, du recueil conjoint de documents.

[44] Le 24 septembre 2019, le défendeur a rendu sa décision de grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs dans laquelle il a rejeté le grief visant le licenciement. Une copie se trouve à l’onglet 20 du recueil conjoint de documents.

[45] Le 20 octobre 2019, le fonctionnaire a renvoyé le grief visant le licenciement à l’arbitrage.

IV. Faits additionnels

[46] Springhill est un établissement à sécurité moyenne. Il comprend un grand nombre de bâtiments, dont des unités de détenus et des bâtiments d’entretien, d’entreposage et d’administration, tous entourés d’une clôture périmétrique. Les portes des unités de détenus sont verrouillées, mais les détenus jouissent d’une certaine liberté de mouvement à Springhill, toujours sous la surveillance générale des agents correctionnels et du personnel de Springhill.

[47] L’un des bâtiments (le bâtiment B) abritait un atelier de plomberie qui contenait des outils, de l’équipement et des fournitures de plomberie. Le fonctionnaire et un collègue plombier le dirigeaient. Leurs responsabilités comprenaient l’entretien de l’ensemble des systèmes de plomberie de Springhill ainsi que la formation et la supervision des détenus qui avaient été autorisés à y travailler ou à apprendre le métier de plombier par le personnel correctionnel (ainsi que le fonctionnaire et son collègue). Les travaux de plomberie et les réparations pouvaient être effectués dans l’atelier ou dans les bâtiments et les unités de détenus n’importe où à l’intérieur de la clôture périmétrique. L’atelier était composé d’au moins trois pièces : l’atelier, un bureau et un bureau intérieur ou une salle d’entreposage.

[48] L’entretien et le contrôle des outils et des fournitures de plomberie étaient une responsabilité importante et quotidienne du fonctionnaire. Les détenus pouvaient se servir de ces outils comme armes. Ils étaient accrochés à des objets appelés [traduction] « tableaux-témoins », qui étaient peints pour rendre évident l’emprunt de l’un d’entre eux, ou ils étaient gardés dans des armoires fermées à clé. Le contrôle des fournitures de plomberie était également important, parce que ces dernières pouvaient être utilisées pour produire de l’alcool artisanal illicite. Tout cela signifiait que les activités des détenus lorsqu’ils travaillaient dans l’atelier de plomberie – ou exécutaient une tâche de plomberie quelque part à Springhill – devaient être sous la supervision et le contrôle du fonctionnaire ou de son collègue.

[49] La description de travail du fonctionnaire (pièce 1, onglet 3) décrivait ce rôle. Elle comprenait les résultats suivants du service à la clientèle :

[Traduction]

[…]

Assurer l’entretien dans les domaines suivants : plomberie, chauffage à eau chaude, eau réfrigérée, vapeur à basse pression, gaz, protection contre les incendies, eau potable, chauffage au gaz naturel, égouts sanitaires, conduites d’air comprimé et services d’égouts pluviaux pour les occupants et le personnel d’un établissement du Service correctionnel du Canada.

 

Supervision et formation de détenus.

[…]

 

[50] Les principales activités comprenaient ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Superviser, former et instruire les délinquants dans l’exécution de tâches liées à la plomberie, au gaz, à la protection contre les incendies, à l’eau potable, au chauffage, aux égouts sanitaires et pluviaux; ainsi que dans des pratiques de travail sûres et dans l’utilisation sûre et appropriée des outils manuels et des outils électriques portatifs; maintenir et contrôler l’inventaire et les outils de l’atelier; surveiller le contrôle de la qualité des services fournis par les délinquants; remplir le rapport d’évaluation des détenus; et contrôler le comportement et le mouvement des délinquants.

Effectuer les activités relatives à la gestion de cas pour les détenus assignés. Saisir les évaluations du travail des détenus dans le Système de gestion des délinquants (c.-à-d. documenter le comportement des détenus).

[…]

Le titulaire du poste porte le titre d’agent de la paix.

[…]

 

[51] Pour les fins du présent grief, il faut savoir que le bâtiment B était adjacent à l’une des unités de détenus, soit le bâtiment A; ils étaient à environ 100 m d’écart. La porte de l’atelier dans le bâtiment B se trouvait du côté opposé à celui donnant sur le bâtiment A. L’atelier n’avait pas de fenêtres donnant sur le bâtiment A, ce qui signifiait qu’un détenu sortant de l’atelier de plomberie pour se rendre au bâtiment A ne pouvait être vu aller ou venir.

[52] Il y avait aussi une fourgonnette de plomberie. Elle contenait des fournitures et, parfois, des outils de plomberie et était habituellement garée près de la porte de l’atelier de plomberie. Elle était verrouillée en tout temps. Le fonctionnaire ou son collègue devaient avoir sur eux en tout temps les clés de la fourgonnette, des armoires à outils et de l’atelier de plomberie, ou encore elles étaient conservées dans une boîte de clés à accès contrôlé.

V. Contexte des événements entourant le licenciement

[53] Le fonctionnaire a été licencié pour deux raisons.

[54] Tout d’abord, le 21 décembre 2017, à 13 h 18, il a envoyé un courriel vide à M. Mitton, un gestionnaire correctionnel, avec l’objet suivant : [traduction] « On récolte ce que l’on sème ».

[55] Deuxièmement, plus tôt ce matin-là, il a donné les clés de la fourgonnette de plomberie et quelques outils à un détenu et lui a confié la tâche de fixer une tête de douche dans la toilette du bâtiment A. Il n’a pas surveillé le détenu qui s’est rendu seul au bâtiment A, a réparé la douche, puis est revenu.

[56] Comme je l’ai mentionné, le fonctionnaire a reconnu que les deux incidents justifiaient l’imposition d’une mesure disciplinaire. Le premier était injurieux et non professionnel, et le second enfreignait son obligation de surveiller les détenus et, en particulier, de maintenir en tout temps le contrôle de la fourgonnette de plomberie, de ses clés, des outils et des fournitures.

[57] Toutefois, à l’appui de sa décision de licencier le fonctionnaire, le défendeur a fourni des éléments de preuve portant sur deux autres incidents et a voulu les invoquer. L’un était l’altercation physique entre le fonctionnaire et son collègue, qui s’est déroulée en août 2017. Le fonctionnaire a été réprimandé le 4 janvier 2018 par une suspension sans solde de 20 jours, qu’il n’a pas contestée.

[58] Le deuxième incident s’est produit le 20 décembre 2017. Il a servi de prétexte au courriel du fonctionnaire qui, à son tour, est devenu l’une des deux justifications du défendeur pour le licencier. Deux gestionnaires correctionnels, soit M. Mitton et M. MacLeod, effectuaient une inspection de sécurité de routine du bâtiment B. Ils sont entrés dans l’atelier de plomberie verrouillé et sont tombés sur le fonctionnaire, qui dormait dans le bureau ou dans la salle d’entreposage, les lumières éteintes et portant des protecteurs d’oreilles. Ils l’ont réveillé puis sont partis pour terminer leurs rondes. Ils ont signalé l’incident.

[59] Selon la position du défendeur, il s’agissait d’un incident de sommeil au travail et donc d’une conduite inacceptable. Le fonctionnaire était d’avis qu’il avait dormi pendant sa pause déjeuner et qu’il était donc dans son temps libre. Ce repos soulageait son dos (qu’il avait blessé quelque temps auparavant), et de toute façon, le défendeur connaissait son habitude de dormir pendant sa pause déjeuner.

[60] À l’audience, le défendeur a soutenu que ces deux incidents faisaient partie du dossier et qu’ils auraient pu servir à appuyer la décision du défendeur de licencier le fonctionnaire. Le fonctionnaire s’est opposé avec force et à plusieurs reprises à l’utilisation ou à l’introduction de tels éléments de preuve. Il a soutenu que le défendeur ne pouvait invoquer que les motifs énoncés dans sa lettre de licenciement, qui ne mentionnait pas expressément l’un ou l’autre des incidents.

[61] En fin de compte, j’ai décidé d’autoriser le dépôt de cette preuve. Il s’est avéré que l’incident du sommeil était le prétexte pour le courriel. De plus, bien que l’altercation physique n’ait pas été expressément mentionnée dans la lettre de licenciement, le défendeur a tenu compte de sa [traduction] « mesure disciplinaire antérieure » lorsqu’il a décidé de licencier le fonctionnaire. En outre, l’incident du sommeil, le courriel qui en a résulté et l’incident d’absence de surveillance du détenu se sont déroulés dans un délai rapproché, ce qui rend difficile le fait de les séparer. C’est pourquoi je vais les examiner ensemble.

A. Le détenu non surveillé et le courriel résultant de l’incident du sommeil

[62] Comme je l’ai mentionné, M. Mitton et M. MacLeod ont trouvé le fonctionnaire endormi en faisant leurs rondes le 20 décembre 2017. Le fonctionnaire a témoigné que leur visite avait été très brève et qu’ils sont partis sans lui donner la chance d’expliquer que c’était son heure de déjeuner et qu’il avait dormi pour soulager son mal de dos. Les deux ont ensuite signalé l’incident à la direction. Lorsque le fonctionnaire a appris plus tard ce jour-là ou tôt le lendemain qu’un rapport avait été fait, il est devenu très contrarié. Il estimait que le rapport était unilatéral (parce qu’il ne contenait pas son explication) et le faisait mal paraître.

[63] Le lendemain matin, soit le 21 décembre 2017, M. Rushton a rencontré le directeur intérimaire et le directeur adjoint intérimaire. Ils ont estimé que l’incident n’était pas acceptable, et M. Rushton a accepté de discuter de la question avec le fonctionnaire.

[64] Pendant ce temps, une autre chose s’est produite. Le fonctionnaire était entré au travail. Il souffre d’arthrite au pied, ce qui le fait parfois enfler douloureusement et empêche le fonctionnaire de porter les chaussures de sécurité réglementaire. Il avait un ordre de travail pour une tête de douche défectueuse dans le bâtiment A. Il a téléphoné à l’agent correctionnel responsable de ce bâtiment et lui a dit qu’il enverrait le détenu réparer la douche. Il a ensuite donné les clés de la fourgonnette de plomberie, ainsi que quelques outils (qu’il a comptés avant le départ du détenu et après son retour), au détenu et lui a dit de prendre la fourgonnette, d’aller au bâtiment A, de réparer la douche, puis de revenir. Il n’a pas accompagné le détenu, qui s’y est rendu et est revenu seul.

[65] Lorsque le détenu est revenu, il a dit au fonctionnaire qu’un agent correctionnel du bâtiment A avait dit qu’il n’aurait pas dû s’y rendre sans surveillance en tant que détenu. À ce moment-là, sinon avant, le fonctionnaire s’est rendu compte qu’il avait commis une infraction à ses fonctions et responsabilités et qu’il n’aurait pas dû fournir les clés de la fourgonnette au détenu ou le laisser sans surveillance pour se rendre au bâtiment A et en revenir.

[66] Peu de temps après le retour du détenu à l’atelier, M. Rushton est arrivé, vers 11 h 50. Il ignorait ce qui s’était passé à l’égard du détenu. Il était là pour discuter de l’incident du sommeil. Toutefois, avant de pouvoir dire quoi que ce soit, le fonctionnaire a dit : [traduction] « Je sais pourquoi vous êtes ici ». M. Rushton a préparé un rapport écrit qui comprenait un compte rendu de ce qui s’est passé (à l’audience, le fonctionnaire l’a accepté comme étant essentiellement exact), comme suit :

[Traduction]

[…]

[…] J’ai demandé ce qui s’était passé au 58. Il a répondu : « Nous avions un ordre de travail au 58 et j’ai appelé l’unité pour leur dire que j’envoyais mon détenu et on m’a dit que c’était ok. Lorsque le plombier détenu est arrivé à l’unité, un autre CX a informé le détenu qu’il devait être surveillé et qu’il ne devait pas venir seul ». Nous avons discuté brièvement de cette question, puis Paul a dit : « Regardez, j’ai donné la fourgonnette au détenu et je l’ai envoyé à l’unité parce que mon pied me dérange vraiment aujourd’hui, alors je l’ai envoyé ». Nous avons ensuite eu une discussion sur les détenus qui conduisaient la fourgonnette ou tout autre véhicule. Paul a tenté de discuter du fait que les détenus peuvent conduire puisqu’ils sont autorisés à conduire des tracteurs, mais j’ai dit très clairement qu’ils ne conduisent PAS d’autres véhicules et je lui ai dit qu’il le sait pertinemment.

[…]

 

[67] Je fais remarquer que les éléments de preuve concernant d’autres détenus qui conduisent des véhicules sans surveillance se sont résumés à ce qui suit.

[68] Premièrement, certains détenus, à condition qu’ils aient été dûment contrôlés, étaient autorisés à conduire des tracteurs (que les parties ont appelé à plusieurs reprises « Kubota »; j’ai considéré que cela désignait des petits tracteurs et des tondeuses autoportées souvent utilisés dans l’aménagement paysager) sur le terrain de Springhill pour tondre les pelouses ou enlever la neige. Le contrôle consistait en des discussions avec les agents – y compris les agents de sécurité, les agents de libération conditionnelle et les agents correctionnels – afin de déterminer si cela était approprié. De plus, les détenus qui conduisaient les véhicules n’étaient pas complètement sans surveillance, puisqu’un agent les surveillait de temps à autre, mais pas de façon continue.

[69] Deuxièmement, et en particulier en ce qui concerne les détenus qui travaillaient à l’atelier de plomberie, à un moment donné dans le passé non précisé, il y avait eu une pratique consistant à utiliser des détenus appelés [traduction] « plombiers itinérants », qui travaillaient dans l’atelier de plomberie et avaient été autorisés à se déplacer dans Springhill sans surveillance pour effectuer différentes petites tâches de plomberie. Ils transportaient un petit sac avec quelques outils pour de telles réparations, comme un tournevis, une clé ou une sonde spirale pour dégager les drains bloqués. Aucun des témoins n’a indiqué à quel moment exactement la pratique avait cessé; tout ce qu’ils pouvaient dire, c’était que cela avait été le cas dans le passé. Toutefois, j’ai été convaincu qu’elle existait lorsque le fonctionnaire a commencé à travailler à Springhill et qu’elle était inutilisée ou a été interrompue quelque temps après qu’il ait commencé à y travailler.

[70] Pour en revenir à la conversation entre le fonctionnaire et M. Rushton, ils ont ensuite discuté de l’incident où le fonctionnaire a été trouvé en train de dormir. Le fonctionnaire est devenu agité à l’idée que la situation ait été signalée. La préoccupation de M. Rushton (du moins telle qu’elle est exposée dans sa déclaration écrite) était que le fonctionnaire pouvait dormir au-delà du déjeuner jusqu’à 16 h, mais le fonctionnaire a dit que cela ne se produirait pas. M. Rushton a fait remarquer que le fonctionnaire avait semblé se calmer pendant qu’ils parlaient de l’incident. En fin de compte, M. Rushton lui a dit [traduction] « […] laisse tomber, nous allons passer à autre chose » (pièce 1, onglet 12). Ils ont ensuite discuté de certains travaux et d’un point sur lequel le fonctionnaire travaillait. M. Rushton est alors parti, après s’être assuré que le fonctionnaire semblait bien aller.

[71] Cependant, cela n’a pas mis fin à la discussion sur l’incident du sommeil. Le fonctionnaire était encore contrarié et, à 12 h 30, il a téléphoné au bureau de travail et a parlé à M. Murray, qui s’est ensuite rendu à l’atelier pour lui parler. M. Murray a trouvé le fonctionnaire contrarié. Il a expliqué au fonctionnaire que les gestionnaires correctionnels avaient l’obligation de signaler ce qu’ils voyaient ou trouvaient lors de leurs rondes ou lors d’inspections d’outils. M. Murray a déclaré que le fonctionnaire avait dit qu’il [traduction] « […] aurait du mal à ne rien dire à ces gestionnaires correctionnels s’il les voyait ». M. Murray a essayé de le calmer. Il a dit que les gestionnaires faisaient seulement leur travail et qu’ils avaient le devoir de signaler les choses qu’ils avaient observées. Néanmoins, le fonctionnaire a dit qu’il serait tenté de mentionner son mécontentement s’il rencontrait l’un ou l’autre des gestionnaires. M. Murray lui a dit qu’il n’y avait rien de personnel dans ce qui s’était passé et a demandé au fonctionnaire la garantie qu’il laisserait le tout en veilleuse. M. Murray avait l’impression que le fonctionnaire s’était calmé. La conversation a ensuite porté sur le travail à faire ce jour-là. (M. Murray a consigné ses observations dans une déclaration, que le fonctionnaire a examinée à l’audience devant moi et qu’il n’a pas contestée de façon importante (pièce 1, onglet 13).)

[72] Toutefois, le fonctionnaire n’a pas laissé aller les choses. Peu de temps après sa rencontre avec M. Murray, il a envoyé un courriel vide à M. Mitton à 13 h 18, qui contenait uniquement l’objet [traduction] « On récolte ce que l’on sème » (pièce 1, onglet 11).

[73] M. Mitton a témoigné qu’il avait trouvé le courriel très perturbant et menaçant. Il avait souvent reçu des menaces de la part de détenus, mais jamais de collègues de travail. L’imprécision de la menace perçue a ajouté à son effet, puisqu’il ne savait pas si lui ou sa famille était menacé ou quel type de menace (physique ou réputationnelle) était en cause. Il est devenu très émotif en témoignant.

[74] De plus, c’est certainement ainsi que le défendeur l’a pris à l’époque. Peu après l’envoi du courriel, le directeur adjoint intérimaire a fait escorter le fonctionnaire hors de Springhill et l’a placé en congé administratif, en attendant une enquête.

B. Les retombées

[75] Une audience disciplinaire a eu lieu le 4 janvier 2018. M. Snedden y a assisté. Deux choses se sont produites.

[76] L’audience a été enregistrée. L’enregistrement, ainsi que les témoignages de M. Snedden et du fonctionnaire, indiquent clairement que la discussion a porté sur l’altercation physique avec le collègue de travail le 30 août 2017, le courriel et la décision du fonctionnaire de donner à un détenu les clés de la fourgonnette de plomberie et de lui permettre de partir et d’effectuer le travail dans le bâtiment A sans être surveillé.

[77] À un moment donné, le fonctionnaire a reçu une lettre disciplinaire datée du 4 janvier 2018, qui portait sur l’altercation physique du 30 août 2017. L’incident avait fait l’objet d’une audience disciplinaire le 6 septembre 2017 (avec M. Snedden). La lettre indiquait que l’incident contrevenait aux Règles de conduite professionnelle du défendeur, à son Code de discipline et au Code de valeurs et d’éthique du secteur public. Dans la lettre, le défendeur a imposé la suspension de 20 jours et a inclus l’avertissement habituel selon lequel les actes d’inconduite futurs pourraient entraîner une mesure disciplinaire plus sévère, pouvant aller jusqu’au licenciement.

[78] Le fonctionnaire a ensuite quitté la réunion pour attendre une décision concernant le courriel et l’incident du détenu non surveillé. Il est resté en congé administratif payé. Le 7 février 2018, on lui a conseillé d’assister à une réunion pour connaître la décision du défendeur sur les deux incidents.

[79] Le 12 février 2018, le fonctionnaire a assisté à la réunion. Il a reçu une lettre portant cette date qui avait été rédigée par M. Snedden. Elle commençait par faire observer que M. Snedden avait examiné les faits et les circonstances de l’affaire et elle se poursuivait comme suit :

[Traduction]

[…]

[…] d’après les éléments de preuve recueillis et votre propre aveu, vous avez effectivement permis à un délinquant purgeant une peine fédérale de conduire lui-même un véhicule de l’établissement et de se présenter à une unité pour remplir un ordre de travail sans surveillance. De plus, vous avez envoyé un courriel contenant une menace voilée à un autre employé. Ce faisant, vous avez commis un acte grave d’inconduite qui contrevient clairement aux Règles de conduite professionnelle du Service correctionnel du Canada (SCC), au Code de discipline – Directive du commissaire (DC) 060 et au Code de valeurs et d’éthique du secteur public.

[…]

 

[80] En ce qui concerne l’utilisation non surveillée de la fourgonnette, M. Snedden a fait référence aux règles ou codes de conduite précis suivants :

[Traduction]

[…]

Règles de conduite professionnelle – Règle un – Responsabilité dans l’exécution des tâches : Les employés doivent avoir une conduite qui rejaillit positivement sur la fonction publique du Canada, en travaillant ensemble pour atteindre les objectifs du Service correctionnel du Canada. Ils s’acquitteront de leurs tâches avec diligence et compétence, et en ayant soin de respecter les valeurs et les principes décrits dans le document sur la Mission, ainsi que les politiques et procédures établies dans la législation, les directives, les guides et autres documents officiels. Les employés sont obligés de suivre les instructions de leurs superviseurs et de tout autre employé responsable du lieu de travail. Ils doivent également servir le public avec professionnalisme, courtoisie et promptitude.

Infractions : Commet une infraction l’employé qui :

– omet de respecter ou d’appliquer une loi, un règlement, une directive du commissaire, un ordre permanent ou une autre directive quelconque ayant trait à ses fonctions;

– exerce ses fonctions de façon négligente et par ce fait, soit directement ou indirectement, met en danger un autre employé du Service ou une autre personne quelconque ou cause des blessures ou la mort.

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[81] En ce qui concerne le courriel, M. Snedden a fait référence aux règles 2 et 3 des Règles de conduite professionnelle, dont l’essentiel exigeait que les employés se conduisent de manière professionnelle en paroles et en actes et ne se livrent pas à des comportements injurieux, offensants ou menaçants.

[82] M. Snedden a terminé en concluant que les deux infractions avaient [traduction] « […] mis à rude épreuve la relation de travail à un niveau indéfendable » et a ajouté que, lorsqu’il a déterminé la mesure disciplinaire appropriée, il avait tenu compte de ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] tous les facteurs aggravants et atténuants, y compris vos années de service, votre dossier d’emploi, votre mesure disciplinaire antérieure dans votre dossier, les renseignements que vous avez présentés au cours de votre audience disciplinaire ainsi que le fait que vous occupez un poste de confiance dans un milieu correctionnel.

[…]

 

[83] Compte tenu de tous ces facteurs, M. Snedden a conclu [traduction] « […] que cette inconduite est grave au point que le lien de confiance qui est fondamental à la relation de travail a été irrémédiablement compromis ». Par conséquent, il a licencié le fonctionnaire, à compter du 12 février 2018 (pièce 1, onglet 17).

[84] À l’audience, M. Snedden a témoigné qu’il avait tenu compte de l’ancienneté du fonctionnaire à la fois comme facteur atténuant et aggravant, ce dernier parce que le fonctionnaire aurait dû se montrer plus avisé, compte tenu de ces années de service. Il a également tenu compte de la mesure disciplinaire pour l’altercation physique. Il a reconnu en contre-interrogatoire qu’il n’avait pas mené d’enquête sur l’incident de la fourgonnette. Il n’avait pas, par exemple, envisagé la possibilité que l’agent ou les agents correctionnels du bâtiment A n’aient rien fait pour remédier à l’absence de surveillance du détenu. La fourgonnette n’a pas été fouillée pour vérifier si des fournitures manquaient. De plus, en ce qui concerne les outils, rien ne contredit le témoignage du fonctionnaire selon lequel il avait énuméré les outils que le détenu avait pris avant son départ et qu’il avait effectué une vérification des outils à son retour.

VI. Résumé de l’argumentation

A. Pour le défendeur

[85] Le défendeur a présenté des arguments détaillés et convaincants, dont l’idée principale était que le courriel et la décision du fonctionnaire de laisser le détenu prendre les clés de la fourgonnette et la conduire suffisaient pour justifier le licenciement. Ces deux incidents mettaient en évidence et appuyaient pleinement le point de vue de M. Snedden énoncé dans la lettre de licenciement selon lequel le lien de confiance entre le défendeur et le fonctionnaire avait été irrémédiablement compromis.

[86] La décision du fonctionnaire d’envoyer le courriel, même après qu’il eut discuté avec M. Rushton et M. Murray du facteur qui l’a précipité, et même après qu’ils lui eurent conseillé de ne rien faire, était fautive. Le courriel était clairement menaçant à première vue. En dépit de la volonté avouée du fonctionnaire de présenter des excuses à M. Mitton, en réalité, il ne l’a pas fait. Il aurait dû savoir qu’un courriel comme celui qu’il a envoyé – particulièrement dans le contexte d’un milieu correctionnel – serait perçu comme menaçant. Il était également conforme à la conduite – l’altercation physique – pour laquelle il attendait une décision disciplinaire. On aurait pu croire qu’il aurait eu un comportement irréprochable en attendant cette décision, mais cela n’a pas été le cas.

[87] La décision de permettre au détenu de prendre les clés de la fourgonnette de plomberie et de la conduire sans surveillance frôlait la négligence grave et dangereuse. Il n’y a pas eu de situation d’urgence en plomberie qui exigeait la prise d’une décision rapide d’envoyer un détenu sans surveillance pour s’en occuper. Le travail concernait une tête de douche défectueuse, et cela aurait pu attendre. De plus, si le pied du fonctionnaire était en mauvais état au point où il ne pouvait pas travailler, il aurait dû appeler pour signaler qu’il était malade et laisser une autre personne, qui pouvait faire le travail ainsi que surveiller les détenus en plomberie, faire le quart. Le fonctionnaire savait que, avant que les détenus puissent faire des choses sans surveillance, ils devaient être contrôlés par plus d’une personne.

[88] D’autres raisons ont fait en sorte que la décision du fonctionnaire était imprudente, suspecte et dangereuse. La fourgonnette aurait pu être utilisée pour blesser d’autres détenus ou des employés ou pour effectuer une évasion en traversant la clôture périmétrique. Elle aurait aussi pu contenir des tuyaux que les détenus auraient pu utiliser pour fabriquer une boisson illicite appelée [traduction] « alcool frelaté ». De son propre aveu, le fonctionnaire n’a pas vérifié la fourgonnette avant ou après que le détenu l’eut utilisée et n’a donc pas pu dire si des fournitures manquaient. On craignait également qu’en accordant au détenu le privilège d’utiliser la fourgonnette sans surveillance, le fonctionnaire puisse l’avoir mis en danger. D’autres détenus auraient pu soupçonner que le détenu donnait de l’information à leur sujet à cause des faveurs qui lui avaient été accordées.

[89] Le témoignage du fonctionnaire selon lequel il avait lu la décision de détermination de la peine du détenu des mois avant l’incident de la fourgonnette allait dans le même sens. Bien que la décision mentionnait le détenu comme un bon employé, elle précisait aussi qu’il était prêt à mentir à la police et à tromper ceux-ci et d’autres sur ses actes et sa conduite. Le fait que le fonctionnaire ait fait confiance à une telle personne était téméraire et même, d’une certaine façon, arrogant. Il savait que le détenu n’avait été approuvé ou contrôlé que pour travailler dans l’atelier de plomberie, ou pour travailler dans les environs de Springhill, et seulement sous surveillance.

[90] Tout cela souligne un dangereux manque de jugement de la part du fonctionnaire, qui a mis en danger non seulement lui, mais aussi ses collègues, le détenu et d’autres détenus.

[91] Chaque incident avait en commun un manque de jugement de la part du fonctionnaire. Ce manque de jugement a également été constaté dans l’altercation physique parce que, comme M. Snedden l’a déclaré, le fonctionnaire a suivi son collègue de travail après la première altercation pour le confronter de nouveau. Le fait de dormir avec des protecteurs d’oreilles, ce qui l’exposait à un danger dans l’éventualité où une alarme qu’il n’aurait pas pu entendre avait sonné, montrait un manque de jugement similaire.

[92] Tous ces éléments étaient plus que suffisants pour justifier la décision du défendeur de licencier le fonctionnaire. Sa conduite a irrémédiablement compromis la relation d’emploi.

[93] Subsidiairement, si le licenciement est jugé trop sévère pour ce qui s’est passé, le défendeur a soutenu que la sanction appropriée serait une suspension jusqu’à la date de la présente décision. Pour cet argument, il s’est appuyé sur Matthews c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 38, et Dekort c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2019 CRTESPF 75.

B. Pour le fonctionnaire

[94] Le fonctionnaire a commencé par souligner qu’il était d’accord pour dire que la mesure disciplinaire était justifiée pour le courriel et l’incident de la fourgonnette. Toutefois, le défendeur avait le fardeau d’établir que la sanction imposée était raisonnable. Il a soutenu que le défendeur n’avait pas atteint ce seuil et que, par conséquent, le licenciement était trop sévère et trop déraisonnable dans les circonstances.

[95] Le fonctionnaire a fait remarquer que les faits n’étaient pas vraiment contestés. Il a reconnu qu’il avait commis une erreur et l’a avouée dès le début. Son erreur était due en partie au fait qu’il avait vu d’autres détenus utiliser des véhicules (ou du moins des Kubota) sans surveillance, et savait que cela s’était produit, et à cause de la pratique passée du plombier itinérant. Son pied lui causait beaucoup de douleur, ce qui a conduit à l’erreur de jugement.

[96] En ce qui concerne l’incident de la fourgonnette, le fonctionnaire a fait remarquer qu’il n’y avait aucune preuve de la présence d’articles dans la fourgonnette à l’époque en cause, de sorte qu’il n’y avait aucune preuve que des fournitures de plomberie avaient effectivement disparu. La seule preuve concernant les outils provient du fonctionnaire, qui a déclaré qu’aucun outil n’avait disparu.

[97] Le fonctionnaire a également noté que l’agent correctionnel du bâtiment A aurait pu penser que le détenu aurait dû être surveillé, mais aucune preuve n’a indiqué que son inquiétude est allée plus loin que le fait de le dire au détenu. L’agent correctionnel n’a certainement pas empêché le détenu de faire son travail ou de quitter l’unité pour retourner à l’atelier de plomberie sans surveillance. M. Snedden n’a pas non plus envisagé la tenue d’une enquête sur le comportement de cet agent.

[98] La question qui se pose alors est la suivante : si la décision du fonctionnaire de laisser le détenu se déplacer sur les lieux sans surveillance constituait une violation aussi grave de la politique et de la conduite, pourquoi personne d’autre n’a fait l’objet d’une enquête? Pourquoi le fonctionnaire a-t-il été le seul à être puni, alors que l’agent correctionnel du bâtiment A a également autorisé le détenu à se déplacer sans surveillance?

[99] En ce qui concerne le courriel, le fonctionnaire a soutenu qu’il avait reconnu qu’il avait été perçu comme menaçant. Il a éprouvé des remords quant aux répercussions qu’il a eues sur M. Mitton, qu’il a exprimés à la fois à la réunion disciplinaire avec M. Snedden et devant moi. Le fonctionnaire a reconnu que le courriel était inacceptable et justifiait une mesure disciplinaire, mais il a déclaré que la jurisprudence de la Commission n’appuie pas une sanction de longue durée, certainement aucune se rapprochant du licenciement.

[100] Le fonctionnaire a renvoyé à Cahill c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), dossier 166-02-28730 de la CRTFP (19990830), où on a conclu qu’une menace, soit « Si tu craches sur moi, je te mettrai mon poing dans la figure », justifiait seulement une réprimande écrite (plutôt qu’une suspension de cinq jours), et à Cyr c. Agence Parcs Canada, 2016 CRTEFP 111, où la réaction explosive d’un employé à la décision de son employeur de le mettre en congé de maladie et sa menace que sa superviseure allait « me payer ça » a entraîné une suspension de dix jours, réduite à trois jours. Le fonctionnaire a également invoqué Graves c. Conseil du Trésor (Revenu Canada – Douanes, Accise et Impôt), dossiers 149-02-199 et 166-02-28758 de la CRTFP (19990611), où une suspension de cinq jours pour agression a été réduite à trois jours en raison des remords de l’employé.

[101] En ce qui concerne l’incident du sommeil, le fonctionnaire a répété l’objection qu’il a faite tout au long de l’audience, à savoir qu’il était non pertinent et irrecevable aux fins de l’examen du grief. La lettre de licenciement ne l’a pas mentionné. Il n’y avait pas non plus de preuve claire que dormir pendant la pause déjeuner personnelle est de toute façon une infraction qui entraînerait une mesure disciplinaire.

[102] Le fonctionnaire a également soutenu que le défendeur ne pouvait pas raisonnablement s’appuyer sur la suspension de 20 jours pour l’incident d’août 2017 afin d’établir une mesure disciplinaire progressive. Le principe fonctionne parce que les employés qui ont fait l’objet de mesures disciplinaire pour des infractions semblables dans le passé ont la chance de réfléchir à leur conduite et d’améliorer leur comportement. Dans le présent cas, le défendeur a maintenu le fonctionnaire dans le noir jusqu’à ce que les incidents du courriel et de la fourgonnette se produisent. Cette mesure disciplinaire ne pouvait pas non plus être utilisée pour justifier la mesure disciplinaire pour l’incident de la fourgonnette parce qu’elle n’était pas de la même nature; voir Doucette c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2003 CRTFP 66.

[103] Le fonctionnaire a également soutenu que la sanction subsidiaire proposée par le défendeur – une suspension jusqu’à la date de la présente décision – est déraisonnable. Comme le fonctionnaire a pris sa retraite, il ne bénéficierait d’aucun avantage.

[104] Le fonctionnaire a soutenu qu’une sanction plus appropriée pour l’incident du courriel serait de l’ordre d’une réprimande écrite ou d’une suspension de trois jours. Pour l’incident de la fourgonnette, il a soutenu qu’une suspension de trois à six mois serait raisonnable.

C. La réplique du défendeur

[105] En ce qui a trait au fait que l’agent correctionnel n’a pas pris de mesures pour remédier au manque de surveillance du détenu, le défendeur a soutenu que c’était une omission, mais que l’omission d’un autre employé ne diminuait pas la gravité de la conduite du fonctionnaire. Le défendeur a fait valoir que l’absence d’une politique écrite sur la vérification des détenus (c’est-à-dire le moment où ils peuvent travailler à Springhill sans surveillance) n’était pas déterminante. Le bon sens à lui seul indiquait clairement qu’on ne permettait pas aux détenus de travailler sans surveillance avec des outils. Le défendeur a distingué certaines des décisions que le fonctionnaire a invoquées.

VII. Analyse et décision

[106] Il s’agit d’un grief disciplinaire qui soulève les trois questions suivantes :

· La mesure disciplinaire était-elle justifiée?

· Dans l’affirmative, la sanction imposée était-elle excessive?

· Dans l’affirmative, y a-t-il une sanction moindre qui serait mieux adaptée à l’infraction (voir Basra c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 24, au par. 29)?

 

[107] Le fonctionnaire a reconnu que son courriel et sa décision de laisser le détenu s’occuper de la tâche au bâtiment A sans surveillance justifiaient l’imposition d’une mesure disciplinaire. En effet, le fonctionnaire a été le premier à révéler au défendeur qu’il avait commis une erreur en permettant au détenu de conduire la fourgonnette de plomberie et d’effectuer le travail sans surveillance.

[108] Compte tenu de cet aveu, je n’ai qu’à aborder les deuxième et troisième questions. Il incombait au défendeur d’établir que la sanction n’était pas excessive. Dans l’éventualité où il ne s’acquitterait pas de son fardeau, l’analyse passerait à la troisième question, dans laquelle il incomberait aux deux parties de me persuader de la sanction appropriée.

[109] La sanction de licenciement était-elle excessive? Lorsque j’ai examiné cette question, j’ai pris en compte deux choses : la preuve et d’autres décisions.

[110] D’abord, il y a les éléments de preuve concernant les deux incidents.

[111] Pour ce qui est du courriel, essentiellement, il a été envoyé dans le feu de l’action. Le fonctionnaire venait d’apprendre le signalement du fait qu’il avait dormi. Il craignait que sa réputation soit entachée sans qu’il n’ait eu la chance de donner sa version de l’histoire, c’est-à-dire qu’il dormait pendant son temps personnel et non celui du défendeur, et qu’il l’avait fait pour faire face aux conséquences de sa blessure. Cela dit, le contenu et le ton du courriel étaient menaçants. L’expression [traduction] « On récolte ce que l’on sème » est communément comprise comme signifiant que des conséquences négatives quelconques seront éprouvées par le destinataire du message. Toutefois, le courriel était au nom du fonctionnaire. Il n’était pas anonyme. S’il avait été anonyme, il est clair que le degré de menace aurait été plus grave. De plus, le fonctionnaire a exprimé des remords pour le courriel et a offert de présenter des excuses (ce qu’il n’a pas pu faire parce qu’il a été renvoyé chez lui).

[112] En ce qui a trait à l’incident concernant le détenu, encore une fois, il s’agit d’une grave erreur de jugement de la part du fonctionnaire. Il savait et comprenait que les décisions quant à savoir si un détenu pouvait se déplacer ou travailler sans surveillance ne pouvaient être prises qu’après avoir consulté d’autres employés correctionnels qui connaissaient le détenu. Cette décision ne pouvait pas être prise unilatéralement sur l’impulsion du moment simplement parce qu’on ne voulait pas prendre le temps – pour quelque raison que ce soit – d’assurer ou d’organiser une surveillance.

[113] D’autre part, il a été prouvé que dans le passé, il y avait eu une pratique consistant à permettre aux détenus plombiers de circuler sans surveillance, que le fonctionnaire connaissait. Il est également clair que certains détenus ont été autorisés à travailler sans surveillance, sans qu’il y ait d’incident. De plus, l’agent correctionnel du bâtiment A qui a soulevé la question le premier n’a pas empêché le détenu de poursuivre son affectation sans surveillance et n’a pas renvoyé le détenu à l’atelier de plomberie, et rien n’indique que l’agent correctionnel a signalé l’incident à quiconque. (Cette conduite doit être comparée au rapport qui a été fait lorsque les superviseurs ont trouvé le fonctionnaire endormi dans l’atelier.) Il n’y avait d’ailleurs pas non plus de preuve que le défendeur a vérifié la fourgonnette ou mené une enquête sur la façon dont au moins un autre employé correctionnel savait que le détenu n’était pas surveillé, mais n’a rien fait.

[114] Deuxièmement, il y a les autres décisions qui portaient sur des mesures disciplinaires liées à un milieu correctionnel ou liées à la sécurité. J’ai mis l’accent sur ces dernières parce qu’elles portaient sur des questions de sécurité semblables dans des environnements correctionnels ou liées aux armes.

[115] Dans Cahill, un agent correctionnel a répondu à la déclaration d’un subordonné au sujet d’une situation hypothétique dont ils discutaient à l’époque, à savoir : « Si tu franchis ma ligne de piquetage, je te cracherai à la figure » en disant « Si tu craches sur moi, je te mettrai mon poing dans la figure ». Un détenu a entendu le commentaire et s’est plaint de l’incident auprès du directeur. L’agent a été sanctionné par la perte de cinq jours de salaire. Il a déposé un grief, et l’arbitre de grief qui a entendu le grief l’a accueilli en ce qui concerne la sanction et a remplacé la perte de salaire par une réprimande écrite.

[116] L’employé dans Labadie c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2006 CRTFP 53, était un agent correctionnel. Le jour en question, il se trouvait au poste de contrôle du bloc « H » de l’établissement Donnacona au Québec, qui est un établissement à sécurité maximale. Un incident s’est produit impliquant des détenus, et l’employé a quitté le poste de contrôle pour intervenir auprès d'eux en portant son arme (un pistolet) à sa ceinture. Il s’agissait d’une violation des politiques de sécurité qui exigeaient que les agents remisent leurs armes avant d’entrer dans le poste de contrôle (et donc avant de se mélanger aux détenus). L’employeur a imposé une sanction égale à la perte de quatre jours de salaire. À l’audience, l’employeur a mis l’accent sur le fait que l’employé n’avait pas remisé son arme et sur la façon dont il avait quitté le poste de contrôle. Un arbitre de grief a rejeté le grief, en faisant remarquer ce qui suit au paragraphe 53 :

[53] Je conclus que le fonctionnaire s’estimant lésé a fait preuve de négligence en remettant son arme à sa ceinture avant que le repas ne soit terminé et qu’il n’y ait plus de détenus qui circulent dans le corridor. Il y a donc lieu à une sanction disciplinaire. Les collègues de travail du fonctionnaire s’estimant lésé se sont sentis menacés et ce dernier minimise la portée de son geste. Dans ces circonstances, la sanction imposée par l’employeur me semble appropriée.

 

[117] L’employé dans Eden c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2011 CRTFP 37, un agent des services frontaliers, a omis de ranger correctement son arme de service, ses munitions et son vaporisateur de poivre dans le casier réservé à cette fin. Les agents étaient tenus de décharger et de remiser leurs armes à feu dans un coffret de remisage individuel désigné dans une salle dont l’accès est restreint et sécurisé, appelée salle d’armement. L’employé était malade un jour et a décidé de rentrer chez lui. Il a laissé son arme à feu chargée dans un classeur plutôt que dans la salle d’armement. Il a été sanctionné pour cette erreur par une suspension de dix jours sans solde. Un arbitre de grief a conclu que la sanction était trop sévère et l’a remplacée par une suspension de cinq jours.

[118] L’employé dans Kinsey c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2015 CRTEFP 30, était un agent correctionnel. Il s’est vu imposer une sanction pécuniaire, une suspension de 18 jours et, au bout du compte, il a été licencié pour insubordination, négligence et absentéisme. Le défendeur a allégué que l’employé avait refusé de se conformer aux directives visant à remplir des demandes de congé, à porter l’insigne de grade approprié ou à entreposer correctement le vaporisateur de poivre. Selon la preuve du défendeur, il avait des antécédents d’insubordination, d’inconduite et de négligence; il a omis de se présenter au travail à temps; il a porté un téléphone cellulaire pendant qu’il était en poste; et, de l’avis du défendeur, ce qui est le plus grave, il a permis à un détenu d’être mis en liberté sans avoir obtenu un laissez-passer. L’employé a reconnu qu’il avait commis une erreur sur ce point, mais il a fait remarquer que quatre autres agents étaient présents et qu’ils n’avaient pas été traités de la même façon. Le défendeur a considéré que le dernier incident était le point culminant et l’a licencié.

[119] En réponse, l’employé dans Kinsey a soutenu que le défendeur n’avait pas prouvé ses allégations et a soutenu qu’une suspension de 18 jours ne pouvait pas être considérée comme une mesure disciplinaire progressive. Il a fait valoir qu’il entreposait le vaporisateur de poivre conformément à la pratique dans un établissement où il avait travaillé auparavant (sans tenir compte des procédures écrites). L’employé a admis ne pas avoir porté l’insigne de grade approprié. Le défendeur a toléré la présence de téléphones cellulaires pendant son affectation, et l’employé a été le seul des cinq agents présents à la mise en liberté du détenu qui a fait l’objet de mesures disciplinaires.

[120] L’arbitre de grief dans Kinsey a conclu que, malgré l’historique problématique de l’employé avec le défendeur, il avait droit à un traitement équitable et qu’il n’aurait pas dû être licencié pour un motif valable sans une preuve claire et convaincante. Elle a maintenu la suspension de 18 jours, mais a conclu que le licenciement était trop sévère et l’a remplacé par une suspension de trois mois.

[121] Dans Matthews, l’employé était un agent correctionnel qui avait été licencié pour avoir contrevenu aux politiques du défendeur concernant l’escorte de détenus, entre autres choses. Alors que lui-même et un autre agent escortaient en voiture un détenu de Springhill à destination et en provenance d’une maison de transition, voici ce qui s’est passé :

a) l’employé est allé dans un pub pour dîner;

b) l’employé a autorisé le détenu à se rendre à la toilette du pub sans être accompagné;

c) ils se sont arrêtés à un marché, où l’employé est allé aux toilettes, laissant le détenu à l’extérieur;

d) l’employé a participé à une discussion et les trois personnes se sont entendues pour dire qu’ils se sont rendus dans un restaurant de restauration rapide McDonald’s plutôt qu’à un pub.

 

[122] L’employé dans Matthews a déposé un rapport d’observation qui indiquait de façon erronée où ils étaient allés dîner. Une arbitre de grief a relevé des lacunes dans l’enquête du défendeur et s’est dite préoccupée par l’accent qu’il avait placé sur l’employé par rapport à son collègue qui avait participé au déplacement. L’arbitre de grief a fait remarquer que l’employé avait éprouvé de sincères remords, quoique tardivement, pour sa conduite. En se fondant en partie sur le témoignage de certains témoins selon lequel ils estimaient que l’employé était récupérable, l’arbitre de grief a accueilli le grief dans la mesure où elle a rendu une ordonnance de réintégration à la date de l’ordonnance, sans salaire. (Étant donné que le licenciement est entré en vigueur en mai 2014 et que l’ordonnance a été rendue en juin 2016, elle a pris la forme d’une suspension sans solde d’environ deux ans.)

[123] L’employé dans Yayé c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTEFP 51, était un agent correctionnel. Dans la soirée du 14 février 2014, il devait s’assurer que les détenus de chaque cellule de sa rangée étaient bien en vie. Le lendemain matin, l’agent qui a pris la relève à la fin de son quart a découvert qu’un des détenus s’était suicidé. L’enregistrement vidéo des rondes de l’employé ce soir-là a montré qu’il marchait rapidement d’un bout à l’autre de la rangée sans prendre le temps de regarder dans chaque cellule. Après une enquête, il a été licencié. Il a tergiversé dans son témoignage quant à la question de savoir s’il avait regardé dans les cellules et comment il avait pu ne pas avoir vu le détenu suspendu au plafond de la cellule. La Commission a rejeté le grief, confirmant ainsi le licenciement.

[124] Dans Dekort, l’employé était un agent correctionnel affecté à un poste de patrouille mobile. Cette tâche consistait à patrouiller dans le périmètre de sécurité extérieur de l’établissement à sécurité moyenne où il travaillait. Le poste a été décrit comme la dernière ligne de défense en cas d’évasion et la première ligne de défense en cas d’intrusion. Il a été trouvé endormi dans son véhicule garé. Il a été licencié. Il a reconnu qu’il était coupable d’une inconduite qui justifiait une mesure disciplinaire, mais il contestait la gravité de la sanction imposée.

[125] La Commission a conclu que même si l’inconduite était extrêmement grave, elle ne justifiait pas le licenciement. La Commission a tenu compte de l’absence d’enquête détaillée de la part du défendeur (autre qu’un exercice d’établissement des faits de dix minutes), des neuf années de service de l’employé et de la reconnaissance de son acte répréhensible. Le grief a été accueilli dans la mesure où il a été réintégré à la date de l’ordonnance, sans solde. (Étant donné que le licenciement a eu lieu en mai 2017 et que l’ordonnance a été rendue en juillet 2019, la mesure a pris la forme d’une suspension sans solde d’un peu plus de deux ans.)

[126] L’employé dans Smith c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2021 CRTESPF 9, était un agent des services frontaliers. Il était surintendant à temps plein à un point d’entrée. Il s’est vu imposer une suspension de trois jours pour deux incidents. Dans le premier, il a autorisé trois agents à prendre la commande d’autres agents et de lui-même et de quitter le point d’entrée pour acheter de la bière qui était en vente dans un magasin hors taxes aux États-Unis. Dans l’autre, il a permis qu’un incident similaire se produise quelques heures plus tard.

[127] L’employeur a soutenu que l’employé avait manqué à ses fonctions lorsqu’il a autorisé les agents à quitter leur poste pendant leur quart et qu’il a autorisé un traitement préférentiel en omettant de s’assurer qu’ils paient les droits de douane et les taxes sur la bière qu’ils ont importée, ce qui comprenait ses deux caisses. Ce faisant, il a contrevenu à plusieurs articles de son code de conduite.

[128] La Commission a reconnu que la conduite de l’employé constituait un manque de jugement. Toutefois, selon la preuve, les agents ont obtenu la bière pendant leurs pauses et l’employé n’avait pas compris ou ne s’était pas rendu compte qu’en tant que superviseur, il devait s’assurer qu’ils se conformaient aux exigences relatives aux taxes et aux droits. La Commission s’est inquiétée du fait que l’employeur n’ait pas enquêté sur les autres personnes impliquées dans les deux incidents ni n’ait pris de mesures disciplinaires à leur égard. Dans ces circonstances, la Commission a accueilli le grief, annulé la suspension et ordonné que toute mention des incidents soit supprimée.

[129] L’employée dans Besirovic c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2021 CRTESPF 33, était une agente correctionnelle. Elle a été affectée à une surveillance du risque de suicide/d’automutilation les 24 et 27 février 2017. Il a été allégué qu’elle avait dormi pendant son service le 24 février et qu’elle avait fait des travaux scolaires pendant son service le 27 février. Il a été allégué qu’aux deux dates, elle n’avait pas surveillé de manière constante et directe un détenu et n’avait pas consigné ses activités, comme l’exigeait la politique du défendeur. Elle a été licenciée.

[130] La Commission a convenu que l’inconduite de l’employée était grave, mais elle a aussi noté ses remords et sa volonté d’en assumer la responsabilité. La Commission a substitué une suspension de 18 mois au licenciement. Ce faisant, la Commission était convaincue que « cette suspension prolongée enverra un message à la fois à la fonctionnaire et aux autres agents correctionnels selon lequel une inconduite pendant la surveillance accrue du risque de suicide/d’automutilation est très grave », au paragraphe 191.

[131] D’après les nombreuses décisions qui m’ont été présentées par les deux parties, dont la plupart concernent des agents correctionnels, je constate ce qui suit.

[132] Tout d’abord, dans un seul cas – Yayé – le licenciement de l’employé a été confirmé. Dans ce cas, un détenu, dont la vie et la sécurité étaient une responsabilité et une fonction expresses et directes des fonctions de l’employé, est décédé par suicide en raison du manquement au devoir de l’employé. De plus, l’employé n’a reconnu avoir commis de faute qu’après des tergiversations et avec réticence.

[133] Deuxièmement, dans tous les autres cas cités, la réintégration a été ordonnée. La différence se situe dans la fourchette de sanctions de substitution, qui allaient de réprimandes écrites ou de suspensions sans rémunération de quelques jours ou semaines, à l’extrémité inférieure, à des dates, à l’extrémité supérieure, qui coïncidaient avec les dates de réintégration (dans ces cas, jusqu’à deux ans).

[134] Troisièmement, tous les cas portaient sur des agents correctionnels ou des services frontaliers, et non sur des employés civils. Sur ce point, je reconnais l’argument du défendeur selon lequel le fonctionnaire, même en tant qu’employé civil, bénéficiait en vertu de la loi de l’autorité d’un agent de la paix. Toutefois, il est également vrai qu’il ne portait pas l’uniforme quasi militaire d’un agent correctionnel ou des services frontaliers. Bien qu’il ait pu être responsable de détenus, cette responsabilité n’était pas du même type ou de la même qualité que celle qui serait exercée par un agent correctionnel ou des services frontaliers ou attendu de celui-ci. Le fonctionnaire était essentiellement un plombier et un instructeur, et non un agent correctionnel.

[135] Quatrièmement, je constate que dans un certain nombre de cas, les décideurs ont accordé une certaine importance au fait que les manquements à la sécurité dans de telles organisations résultent souvent d’un échec collectif. Autrement dit, il s’agit souvent de situations dans lesquelles plus d’un agent était responsable de ce qui équivalait à une atteinte à la sécurité. Dans un tel cas, le fait que l’employeur n’ait pas enquêté sur toutes les personnes concernées dans une infraction présumée à ses obligations ou qu’il n’ait pas traité toutes ces personnes de la même façon que l’employé qui a fait l’objet d’une sanction disciplinaire a souvent contribué à déterminer si la mesure disciplinaire était excessive.

[136] Dans le cas dont je suis saisi, l’agent correctionnel qui a laissé le détenu entrer dans le bâtiment A ne semblait pas partager la préoccupation du défendeur quant à la décision du fonctionnaire de laisser le détenu conduire le véhicule de plomberie au lieu de travail sans surveillance. De même, le défendeur ne semblait pas non plus préoccupé par le fait que l’agent n’ait rien fait d’autre que de dire au détenu (plutôt qu’au fonctionnaire) qu’il ne devrait pas être sans surveillance. De même, la fourgonnette n’a pas été fouillée pour voir s’il manquait quoi que ce soit, et il n’y a pas eu d’enquête au sujet de l’agent qui a laissé le détenu poursuivre ses activités sans surveillance et il n’a pas fait l’objet d’une mesure disciplinaire.

[137] Cinquièmement, la question de savoir si l’infraction a entraîné ce qui a motivé les préoccupations du défendeur au départ semble également avoir joué un rôle. Comparons, par exemple, le résultat de Yayé avec celui de Besirovic. Dans ces cas, les deux agents correctionnels étaient affectés à une surveillance du risque de suicide. Les deux agents n’ont pas effectué la surveillance requise des détenus. Dans le premier cas, un détenu est mort par suicide; dans le deuxième, aucun détenu n’est décédé ou ne s’est blessé. Dans le premier cas, la Commission a confirmé le licenciement. Dans le deuxième cas, la Commission a substitué une suspension de 18 mois sans solde. Donc, dans le cas dont je suis saisi, je constate qu’aucune des craintes du défendeur – l’évasion du détenu à l’aide de la fourgonnette, la perte d’outils qui auraient pu être utilisés comme armes ou la disparition de fournitures de plomberie – ne s’est matérialisée.

[138] Enfin, toutes les décisions citées – de même que la jurisprudence générale en matière d’arbitrage dans le secteur public fédéral – indiquent clairement que les remords et la volonté d’un employé de reconnaître sa faute sont toujours un facteur dans l’évaluation de la gravité de la mesure disciplinaire imposée. Dans le présent cas, le fonctionnaire a reconnu son erreur dès que le détenu est retourné à l’atelier. Il n’a fait aucun effort pour le cacher à M. Rushton et, en fait, il a été le premier à le soulever et à reconnaître qu’il avait commis une erreur. Son acceptation de la faute s’est poursuivie tout au long de l’enquête qui en a résulté et devant moi, à l’audience.

[139] À la lumière de cet examen et des faits de l’affaire, je suis convaincu que la conduite du fonctionnaire d’envoyer le courriel et de permettre au détenu de conduire la fourgonnette et d’exécuter la tâche sans surveillance justifiait une mesure disciplinaire. Il avait raison de le reconnaître dès le départ. Toutefois, je suis également convaincu, pour les mêmes raisons, que le licenciement était une sanction beaucoup trop sévère.

[140] En ce qui concerne le courriel, je comprends que le fonctionnaire l’a envoyé par frustration, laquelle découlait de sa préoccupation selon laquelle sa version de l’histoire n’avait pas été communiqué au défendeur. D’autre part, il a eu l’occasion de discuter de la question avec M. Rushton et M. Murray. On l’a exhorté à ne pas succomber à son irritation et à sa frustration, mais il a quand même envoyé le courriel. De plus, au lieu de dire au destinataire pourquoi il était frustré (ce qui aurait pu éliminer tout venin associé à un tel courriel), il a rédigé et formulé le courriel d’une manière qui est communément, et raisonnablement, comprise comme une forme de menace. Dans ce cas, l’agissement était de nature similaire, sinon comparable, à l’agression pour laquelle il a reçu plus tard la suspension de 20 jours sans solde. En appliquant les principes des mesures disciplines progressives à la question, je suis d’avis qu’une suspension de 30 jours sans solde aurait été – et est – la sanction appropriée pour cette conduite.

[141] En ce qui a trait à la décision de laisser le détenu conduire la fourgonnette de plomberie et effectuer la réparation de plomberie dans le bâtiment A sans surveillance, je note que cette inconduite était de nature et de type différents de celle du courriel. Elle portait sur le devoir du fonctionnaire de surveiller les détenus, plutôt que sur son obligation d’être respectueux et de ne pas menacer quiconque. Elle justifiait une mesure disciplinaire, mais à mon avis, cette conduite se situe au bas ou au milieu de l’échelle d’après mon examen des cas qui m’ont été présentés. Je tiens compte en particulier du fait qu’il était un employé civil et qu’un agent correctionnel était au courant de la décision d’envoyer le détenu sans surveillance dans la fourgonnette et qu’il n’a rien fait à ce sujet. Compte tenu de tous ces facteurs, je suis convaincu qu’une suspension de trois mois sans solde aurait été – et est – la sanction appropriée pour cette conduite.

[142] Enfin, pour ce qui est de savoir si les deux sanctions doivent être simultanées ou séquentielles, je tiens compte a) du fait que les deux incidents relevaient des fonctions et des responsabilités d’un employé et b) du fait que les principes des mesures disciplinaires progressives devraient, pour cette raison, être respectés.

[143] Par conséquent, j’ordonne que les deux sanctions visant les deux décisions disciplinaires soient considérées comme applicables de façon séquentielle. Je suis convaincu qu’une suspension totale de quatre mois sans solde, à compter du 12 février 2018, devrait être substituée au licenciement.

[144] Puisque le fonctionnaire a pris sa retraite quelque temps après le 12 février 2018, les parties devront discuter de l’effet de cette ordonnance sur toute rémunération ou avantage qui aurait par ailleurs pu lui être dû. Je demeurerai saisi de cette question pendant 60 jours à compter de la date de la présente décision pour traiter des questions qui en découleront.

[145] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VIII. Ordonnance

[146] Le grief est accueilli en partie.

[147] Le licenciement du fonctionnaire le 12 février 2018 est annulé et remplacé par une suspension de quatre mois sans solde.

[148] Je demeurerai saisi pendant 60 jours à compter de la date de la présente décision pour trancher toute question concernant la rémunération ou les avantages sociaux, le cas échéant, auxquels le fonctionnaire pourrait avoir droit par suite de cette décision.

Le 7 juillet 2023.

Traduction de la CRTESPF

Augustus Richardson,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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