Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant s’est plaint que la défenderesse a agi de manière arbitraire et de mauvaise foi, manquant ainsi à son devoir de représentation équitable – le plaignant avait informé la défenderesse qu’il estimait que l’évaluation qu’il avait reçue dans son « entente de gestion du rendement des employés » constituait des représailles pour avoir présenté une plainte de harcèlement contre son directeur et que son âge aurait pu également constituer un facteur dans son évaluation – le plaignant était représenté par la défenderesse et un grief a été présenté alléguant que l’employeur avait contrevenu à ses politiques internes – le grief a été renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi – la défenderesse a ensuite retiré sa représentation du plaignant, déclarant que son grief ne pouvait pas être renvoyé à l’arbitrage en vertu de la Loi, mais elle l’a informé qu’il pouvait toujours se représenter lui-même dans le cadre de la procédure d’arbitrage devant la Commission – la Commission a conclu qu’il existait une cause défendable selon laquelle la défenderesse a manqué à son devoir de représentation équitable au motif du caractère arbitraire en ce qui concerne le traitement du dossier de grief du plaignant – la Commission a conclu qu’il n’y avait pas de cause défendable quant à l’allégation selon laquelle la défenderesse avait agi de mauvaise foi.

Objection accueillie en partie.

Contenu de la décision

Date: 20230627

Dossier: 561-02-41222

 

Référence: 2023 CRTESPF 66

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

ENTRE

 

JACQUES (jake) Barrett

plaignant

 

et

 

ASSOCIATION CANADIENNE DES EMPLOYÉS PROFESSIONNELS

 

défenderesse

Répertorié

Barrett c. Association canadienne des employés professionnels

Affaire concernant une plainte déposée en vertu de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Caroline E. Engmann, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Lui-même

Pour la défenderesse : Jean-Michel Corbeil, avocat

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés
le 12 décembre 2019, les 13 et 27 janvier et le 17 mars 2020.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Plainte devant la Commission

[1] Le plaignant, Jacques (Jake) Barrett, a déposé une plainte le 15 novembre 2019 en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi ») auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), dans laquelle il allègue que la défenderesse, soit l’Association canadienne des employés professionnels (ACEP ou le « syndicat »), a manqué à son devoir de représentation équitable envers lui et, ce faisant, a contrevenu à l’article 187.

[2] Le syndicat a contesté les allégations et a demandé que la plainte soit rejetée de façon sommaire, sans tenir d’audience, parce qu’elle ne révèle pas une violation à première vue de la Loi ou, à titre subsidiaire, qu’elle soit rejetée sur le fond.

[3] L’alinéa 190(1)g) de la Loi exige que la Commission instruise toute plainte selon laquelle une organisation syndicale s’est livrée à une pratique déloyale de travail. L’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) autorise la Commission à rendre des décisions sur les affaires dont elle est saisie sans tenir d’audience.

[4] Le syndicat a fourni sa réponse à la plainte le 12 décembre 2019, puis une réponse modifiée le 13 janvier 2020. Le plaignant a déposé une réponse approfondie le 27 janvier 2020. Le 17 mars 2020, le plaignant a transmis une annexe à sa réponse. Le 4 octobre 2021, la Commission a informé les parties qu’elle traiterait la requête préliminaire du syndicat sur la base d’arguments écrits et les a invitées à présenter des arguments supplémentaires. Les parties avaient jusqu’au 29 octobre 2021 pour présenter des arguments supplémentaires et jusqu’au 12 novembre 2021 pour répondre aux arguments de l’autre partie. Les parties n’ont pas soumis d’arguments supplémentaires dans les délais impartis.

[5] J’ai été désignée en tant que formation de la Commission pour rendre une décision sur l’objection préliminaire soulevée par le syndicat. Je suis d’avis que les arguments écrits des parties me fournissent une base suffisante pour me prononcer sur l’objection du syndicat.

[6] J’ai appliqué le cadre analytique adopté par la Commission pour traiter ce type d’objections préliminaires, à savoir l’analyse de la cause défendable. Pour les motifs exposés dans la présente décision, j’accueille partiellement l’objection préliminaire de la défenderesse visant à faire rejeter la plainte. J’estime qu’il existe une cause défendable fondée sur une conduite arbitraire. Je suis d’avis qu’il n’existe pas de cause défendable fondée sur la mauvaise foi.

II. Résumé des positions des parties

[7] Les deux parties ont présenté des arguments détaillés au sujet des discussions avec l’employeur en vue du règlement du grief qui est au cœur de la présente plainte. Elles ont fourni des précisions sur les options de règlement qui ont été envisagées lors de ces discussions. Je ne juge pas nécessaire, dans le cadre de mes délibérations et de ma décision, de relater ou d’exposer les tenants et aboutissants de ces discussions, car ils ne sont pas pertinents pour mes conclusions à ce stade.

A. Pour le plaignant

[8] La présente plainte découle de la façon dont l’ACEP a traité un grief daté du 25 octobre 2016, qu’elle a rédigé et déposé au nom du plaignant. Ce dernier allègue que l’ACEP a agi de mauvaise foi et qu’elle s’est montrée trompeuse et malhonnête dans sa représentation envers lui dans le cadre de ce grief. Il a également allégué que l’ACEP a agi de façon arbitraire.

[9] D’après les documents présentés par le plaignant, il semble qu’il ait interagi à plusieurs reprises avec les personnes suivantes au sein de l’ACEP à l’époque en question : Greg Phillips, président de l’ACEP; Claude Vézina et Mireille Vallière, tous deux agents de relations de travail; Richard Sharpe et Alex Butler, délégués syndicaux.

1. Contexte

[10] Au mois de novembre 2014, le plaignant a retenu les services d’un avocat privé pour déposer une plainte officielle de harcèlement contre sa directrice. Je considère que la nature des allégations de harcèlement fournit un certain contexte au grief que l’ACEP a fini par déposer en son nom et qui constitue le fondement de la présente plainte. Dans sa plainte pour harcèlement, le plaignant a allégué qu’il avait commencé à rencontrer des difficultés en milieu de travail à l’arrivée d’une nouvelle directrice sur son lieu de travail. L’enquêteur externe que l’employeur a embauché pour enquêter sur la plainte a défini et catégorisé la nature générale de ses allégations comme suit :

[Traduction]

[…]

1) Isoler le plaignant en lui donnant trop peu de travail.

2) Proférer des menaces et tenir des discussions inappropriées.

3) Rabaisser le plaignant, l’insulter et le critiquer de manière injustifiée.

4) Priver [le plaignant] des ressources nécessaires qui lui permettraient de réussir.

[…]

 

[11] L’enquêteur a terminé son enquête et a rendu son rapport le 12 août 2015. Il a conclu que la plainte n’était pas fondée. L’employeur a accepté cette conclusion.

[12] Il convient de faire remarquer qu’à toutes les périodes pertinentes, le plaignant a tenu l’ACEP au courant de sa plainte de harcèlement ainsi que des défis et des difficultés qu’il rencontrait dans son milieu de travail. Selon l’annexe 1 jointe à la présente plainte, le 6 novembre 2013, il a rencontré pour la première fois M. Vézina, qui était alors l’agent de relations de travail de l’ACEP affecté au ministère du plaignant, soit Services publics et Approvisionnement Canada. Lors de leur rencontre, il a fait part à M. Vézina du [traduction] « harcèlement de la part de la direction » qu’il subissait depuis peu, et ce, particulièrement depuis l’arrivée de la nouvelle directrice.

[13] Selon le plaignant, c’est après que l’ACEP eut décidé qu’elle ne l’aiderait pas à déposer une plainte de harcèlement qu’il a retenu les services d’un avocat privé pour le faire lui-même. Dans sa réponse à la réponse du syndicat à la présente plainte, il explique son état d’esprit comme suit :

[Traduction]

[…]

Le fait que je me sois senti à ce point déterminé à engager mes propres avocats révèle le poids du stress et de l’anxiété que je subissais. Je savais que j’avais besoin d’aide et que l’ACEP ne m’en fournirait pas.

(Remarque : les trois réunions que j’ai eues avec l’ACEP (M. Vézina) le 6 novembre 2013, le 7 janvier 2014 et le 1er avril 2014 (voir mes notes manuscrites remises à l’ACEP à l’annexe 3) avaient été organisées à l’avance. Lors de la réunion du 1er avril 2014, M. Vézina ne s’est pas montré ouvert et a fait preuve de rudesse.

Après avoir pris un congé pour des raisons de santé à l’été 2014, je me suis rendu au siège de l’ACEP, de manière impromptue, le 9 septembre 2014 et j’ai eu une quatrième réunion avec M. Vézina au cours de laquelle je lui ai remis des copies de mon dernier lot de notes manuscrites. M. Vézina a fait preuve d’une attitude clairement dédaigneuse et m’a fait comprendre qu’en dépit des documents que je lui avais fournis, l’ACEP ne traiterait pas mon cas de manière officielle, ni même semi-officielle, avec la direction.

C’est à ce moment-là, sachant que l’aide professionnelle dont j’avais besoin ne viendrait pas de l’ACEP, que j’ai décidé d’engager mes propres avocats en septembre 2014, car je savais que j’avais besoin de l’expertise de personnes capables de me guider dans les méandres du droit du travail, de ses procédures et de ses options. Grâce au dépôt par mes avocats, à la fin du mois de novembre 2014, d’une plainte officielle de harcèlement fondée sur la Politique sur la prévention et la résolution du harcèlement du CT, j’ai retrouvé une certaine tranquillité d’esprit pendant une partie de l’année suivante, jusqu’à ce que le processus d’enquête se déroule).

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[14] Le rapport d’enquête sur le harcèlement a été présenté en août 2015. Le 10 novembre 2015, le plaignant l’a remis à son représentant de l’ACEP de l’époque, M. Butler, accompagné d’une copie d’un document de neuf pages dans lequel il réfutait le rapport. Dans ce document, le plaignant a souligné certaines lacunes et incohérences factuelles. Il a spécifiquement demandé l’aide de l’ACEP pour répondre au rapport d’enquête, qu’il estimait erroné. Son courriel se lit comme suit (envoyé à M. Butler le 24 novembre 2015 à 9 h 54) :

[Traduction]

Alex,

Après avoir eu la chance d’examiner tous les documents, seriez-vous disposé à discuter des options possibles pour l’ACEP?

Je suis d’avis que si l’on permet au syndicat de ne pas contester un rapport final aussi manifestement entaché d’irrégularités, cela signifie-t-il qu’il serait tout simplement préférable que le syndicat ait pour politique d’informer ses membres de ne jamais déposer de plainte officielle pour harcèlement?

[...]

Je crains qu’une position consistant à éviter une plainte officielle pour harcèlement (que cette position soit officielle ou officieuse de la part du syndicat) ne fasse qu’enhardir la direction à traiter les membres comme elle l’entend, même si c’est injuste (voir à nouveau mes quatre questions à la direction ci-dessous).

En d’autres termes, je ne crois pas que les membres devraient simplement accepter de subir les [traduction] « assauts » de la direction, en particulier lorsque le rapport final d’un enquêteur soi-disant « indépendant », choisi et payé uniquement par la direction, contient des preuves qui confirment la partialité. À cet égard, la question est de savoir pourquoi les membres et le syndicat ne peuvent pas avoir leur mot à dire sur l’identité de l’enquêteur « indépendant ».

Dans l’attente de votre réponse,

Cordialement,

Jake

 

[15] Sur la recommandation de M. Butler, le 25 novembre 2015, le plaignant a remis à Mme Vallière, au bureau national de l’ACEP, les documents relatifs au rapport d’enquête sur le harcèlement, y compris les rapports d’enquête préliminaire et final.

[16] Le 14 décembre 2015, l’ACEP a écrit au plaignant comme suit (de la part de Mme Vallière) :

[Traduction]

[…]

Après avoir examiné moi-même et avec certains de mes collègues tous les éléments d’information que vous avez envoyés, nous avons décidé que, malheureusement, l’ACEP ne peut rien faire dans votre dossier pour l’instant. Nous estimons que le processus suivi par la direction pour traiter votre plainte de harcèlement était approprié.

[…]

 

2. Le grief du 24 octobre 2016

[17] Le 12 avril 2016, le plaignant a demandé à l’ACEP de déposer un grief en son nom, car il estimait avoir fait l’objet de représailles en raison de la plainte de harcèlement qu’il avait déposée en 2014 à l’encontre de sa directrice. Il a expliqué sa demande comme suit :

[Traduction]

Mireille,

Cet après-midi (15 h-15 h 30), j’ai effectué mon EGRE en présence de ma directrice, qui m’a attribué la mention « Réussi - ».

Je pense qu’il s’agit de « représailles » parce que j’ai déposé une plainte officielle pour harcèlement l’année dernière […]

En outre, je pense qu’une évaluation aussi injuste cette année me prépare à une évaluation encore plus mauvaise l’année prochaine et l’année suivante, ce qui est inacceptable car manifestement injuste.

(Remarque : le fait que j’aie 62 ans, bien que je n’aie pas beaucoup d’années de service par rapport à d’autres personnes de mon âge ou même plus jeunes, pourrait également entrer en ligne de compte dans leur stratégie. Lors de cette réunion, ma supérieure m’a demandé quand j’envisageais de prendre ma retraite et je lui ai répondu dans huit ans, car ma femme et moi avons une famille nombreuse et que, pendant 24 ans, nous n’avons eu qu’un seul revenu et que notre situation financière nous incite à travailler huit ans de plus).

Par conséquent, je souhaiterais que l’ACEP dépose un grief de travail officiel en mon nom.

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[18] D’après les courriels fournis par le plaignant, les échanges décrits dans les paragraphes qui suivent ont eu lieu avant que l’ACEP ne rédige et ne dépose le grief du 25 octobre 2016.

[19] Le 22 septembre 2016, le plaignant a rencontré le vice-président de la section locale de l’ACEP de l’époque, M. Sharpe, pour discuter de son évaluation semestrielle et d’autres problèmes survenus au cours des six derniers mois avec sa nouvelle directrice. M. Sharpe lui a conseillé de ne pas signer l’évaluation tant que les problèmes actuels et passés avec sa directrice ne seraient pas résolus.

[20] Le 28 septembre 2016, le plaignant a fourni à M. Butler et à M. Sharpe des documents qui, selon lui, démontraient une gestion de mauvaise foi de sa situation avec sa supérieure hiérarchique. Il a également déclaré ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Ce qui est réellement troublant, c’est qu’en ce qui concerne le harcèlement et la discrimination, selon l’enquête de Statistique Canada sur la fonction publique, le « pire » DG de notre ministère – et sans doute de l’ensemble de la fonction publique – pendant la période de l’enquête (printemps/été 2014) était André Latreille.

Avant cela et pendant la période de harcèlement présumé de José Laverdière, André Latreille était mon DG.

Après avoir été DG, Planification et politiques stratégiques, André Latreille est devenu sous-ministre adjoint par intérim de la Direction générale des ressources humaines.

En cette qualité, André Latreille maintient sa décision d’accepter les conclusions du rapport final contradictoire et entaché d’erreurs rédigé par le soi-disant enquêteur « indépendant » (recruté et payé par la Direction générale des ressources humaines). Il ne mentionne pas, ne réfute pas et ne fournit aucun semblant d’explication sur les raisons pour lesquelles il maintient sa décision.

[...]

Je crois résolument que l’ACEP devrait engager ses avocats pour présenter toutes les preuves à la Cour fédérale en vue d’un contrôle judiciaire véritable et impartial, démontrant ainsi à l’employeur que le conflit d’intérêts de la haute direction ne saurait être pris à la légère par l’ACEP.

Jake

PS – comme indiqué précédemment, l’historique et le modèle continu de harcèlement au cours des trois dernières années sont clairs.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[21] Dans un autre courriel daté du 28 septembre 2016, adressé par le plaignant à M. Butler et M. Sharpe, le plaignant a demandé à l’ACEP de déposer un grief officiel en son nom, en déclarant ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Compte tenu de mon évaluation semi-annuelle la plus récente (16 septembre), totalement inadmissible et injustifiée, selon laquelle des « progrès » sont « nécessaires », et compte tenu des informations envoyées précédemment et de ces documents, je dirais qu’il est clair que la direction s’est engagée, avec préjudice et sans aucune preuve objective, dans un cycle continu de trois ans de comportements harcelants à mon égard.

Je pense qu’avec cette dernière tentative de harcèlement, l’ACEP devrait être en mesure de déposer un grief officiel en mon nom.

Cordialement,

Jake

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[22] Le 20 octobre 2016, le plaignant a réitéré sa demande à l’ACEP de déposer un grief en son nom, en indiquant dans un courriel ce qui suit :

[Traduction]

[…] Mireille, cet après-midi, ma collègue TBAD [nom caviardé], avec qui je travaille depuis 5 ans, a été évacuée du lieu de travail sur une civière par du personnel paramédical. Vendredi dernier, c’était le dernier jour de son patron [nom caviardé] après avoir été embauché par [nom caviardé] il y a seulement 6 mois. Vous comprendrez qu’il s’agit d’une situation pénible et nous espérons vraiment que [la collègue] s’en sortira. J’ai toujours soutenu que la direction non seulement permettait, mais avait probablement l’intention de créer un environnement toxique dans son intérêt. Dans la mesure du possible, je pense que, dans la foulée de ce dernier incident, plus vite nous déposerons une plainte officielle, mieux ce sera pour signaler à la direction l’existence d’un grave problème. Vous êtes d’accord? Merci, Jake.

[Je mets en évidence]

 

[23] Mme Vallière a répondu le 21 octobre 2016 en ces termes :

[Traduction]

Bonjour Jake, j’espère aussi que votre collègue se porte bien. J’ai eu une réunion téléphonique avec Alex aujourd’hui et nous avons parlé de votre situation, j’avais donc l’intention de travailler sur ce dossier aujourd’hui. Je suis d’accord, le plus tôt sera le mieux, j’espère que ce sera fait d’ici la fin de la journée, sinon ce sera fait lundi prochain.

[…]

 

[24] Le 24 octobre 2016, l’ACEP a rédigé un grief et l’a envoyé au plaignant pour qu’il le signe. Son contenu était le suivant :

[Traduction]

[…]

Partie B – Contenu du grief

1. Je dépose un grief au motif que l’employeur a contrevenu à la politique du Conseil du Trésor du Canada et à la politique du ministère sur la prévention et la résolution des problèmes de harcèlement en milieu de travail en ne me garantissant pas un milieu de travail exempt de harcèlement.

2. Je dépose un grief au motif que l’employeur a enfreint le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique du Secrétariat du Conseil du Trésor en omettant de se conformer aux dispositions du Code.

Partie C – Date à laquelle j’ai été informé des actions de mon employeur

Depuis que José Laverdière est devenue directrice de la Direction des affaires du Conseil du Trésor en octobre 2013, elle a fait preuve de comportements de harcèlement à mon égard.

Partie D – Mesures correctives demandées

1. Je demande que les mesures indiquées soient prises, que je puisse immédiatement travailler dans un environnement exempt de harcèlement et que je sois indemnisé intégralement.

2. Que mon employeur prenne des mesures correctives à l’égard des personnes responsables de ce harcèlement afin de garantir que ces comportements ne se reproduisent plus.

3. Que mon employeur favorise un lieu de travail respectueux par la prévention et la résolution rapide du harcèlement.

4. Qu’une formation adéquate soit dispensée à l’ensemble du personnel et de la direction.

5. Que le dépôt du présent grief ne me porte pas préjudice dans mes relations futures avec mon employeur.

6. Que l’employeur m’indemnise pour tous les dommages que j’ai subis et que je continuerai à subir en raison de la négligence et de la discrimination délibérée de mon employeur.

[Certains des passages en évidence le sont dans l’original et je mets en évidence]

 

[25] Les parties ont tenté de résoudre le grief au moyen de la procédure interne de règlement des griefs. Lorsque les discussions en vue d’un règlement ont échoué, l’employeur a émis sa réponse au dernier palier le 4 octobre 2018. Il a accueilli le grief en partie en modifiant l’évaluation du rendement du plaignant.

[26] L’ACEP a renvoyé le grief à l’arbitrage le 17 octobre 2018, en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi, qui permet le renvoi à l’arbitrage de griefs portant sur l’interprétation ou l’application des dispositions d’une convention collective. Le formulaire utilisé pour le renvoi, soit le formulaire 20, indique ce qui suit :

[…]

Conformément au paragraphe 209(2) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, un grief individuel qui porte sur l’interprétation ou l’application d’une disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale ne peut être renvoyé à l’arbitrage sans que l’agent négociateur du fonctionnaire s’estimant lésé accepte de le ou la représenter dans la procédure d’arbitrage.

[…]

 

3. Le libellé du grief

[27] Selon le plaignant, il a fait confiance à l’ACEP en raison de son expertise en matière de convention collective, de lois du travail et de règlements pour rédiger le grief, et lorsqu’on lui a demandé d’y apposer sa signature, il l’a fait.

[28] Il a déclaré qu’il n’a jamais formulé d’allégations fondées sur la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6; LCDP) ou sur la convention collective parce qu’il n’avait aucune connaissance à ce sujet à l’époque, et que l’ACEP ne l’a jamais informé que cela pouvait être pertinent. Cependant, avant la préparation du grief, il a fourni à l’ACEP des documents qui mentionnaient spécifiquement le fait qu’il se sentait victime de discrimination en raison de son âge et de son origine ethnique. Plus précisément, il a fait référence au rapport d’enquête final, qu’il a communiqué à l’ACEP en 2015 et dans lequel la question de la discrimination fondée sur l’origine ethnique était abordée.

[29] En ce qui concerne l’allégation de discrimination fondée sur l’âge, le plaignant a fait référence à sa communication avec les agents de l’ACEP dans laquelle il les informait qu’il pensait que le fait qu’il était d’âgé de 62 ans pouvait également figurer dans la stratégie de l’employeur et qu’on lui avait demandé, lors de sa réunion d’évaluation du rendement, à quel moment il allait prendre sa retraite. Dans le même échange, il a demandé à l’ACEP de déposer un grief officiel en son nom.

[30] Dans ses arguments en réponse, le plaignant s’est référé à l’article 16 de la convention collective pertinente, qui énonce ce qui suit :

[…]

Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire d’exercée ou d’appliquée à l’égard d’un fonctionnaire du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine nationale ou ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, son identité sexuelle et l’expression de celle-ci, sa situation familiale, son état matrimonial, son incapacité mentale et physique, son adhésion au syndicat ou son activité dans celui-ci, ou une condamnation pour laquelle le fonctionnaire a été gracié.

[…]

[Je mets en évidence]

 

4. Le retrait de la représentation

[31] Le plaignant a reçu une lettre datée du 10 juin 2019 de l’ACEP l’informant qu’elle retirait sa représentation à l’arbitrage et précisant ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Vous avez déposé une plainte pour harcèlement qui a fait l’objet d’une enquête. Nous avons examiné le rapport qui a été émis en août 2015 et n’avons pas constaté de lacunes évidentes ou de manquements aux normes juridiques applicables. Un an après avoir reçu le rapport, vous vous êtes adressé à l’ACEP pour nous consulter sur une situation similaire à celle abordée dans la plainte et le rapport de harcèlement précédents, à savoir des problèmes liés à votre rapport de rendement (c.-à-d. une mention « pas sur la bonne voie » pour atteindre les objectifs).

Un grief a été déposé dans l’espoir de résoudre la situation générale à laquelle vous étiez confronté au travail. Vous avez été informé à l’époque que le grief était un moyen que nous utiliserions pour tenter de trouver une solution. Vous avez également été informé que le grief était hors délai et qu’il ne pouvait être tranché en droit puisqu’il est fondé sur une politique de l’employeur et sur un code de valeurs et d’éthique.

[…]

À ce stade, nous devons vous informer de notre décision de retirer la représentation dans votre dossier auprès de la Commission. En droit, ce dossier ne peut pas faire l’objet d’un arbitrage en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Bien que vous puissiez vous représenter vous-même dans cette procédure, nous vous conseillons de ne pas le faire car le grief n’a aucune chance de succès.

Nous vous recommandons de nous autoriser à retirer l’ensemble du dossier de la Commission, et de l’informer que nous retirons non seulement la représentation, mais aussi le grief lui-même.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[32] Le 30 septembre 2019, lors d’une conversation avec un membre du greffe de la Commission, le plaignant a appris pour la toute première fois qu’en raison de la nature du grief et du renvoi à l’arbitrage, il devait être représenté par son syndicat et qu’il ne pouvait pas se représenter lui-même dans la procédure d’arbitrage. Selon lui, il a été [traduction] « totalement choqué » d’apprendre cette exigence parce qu’elle était en [traduction] « contradiction flagrante » avec la lettre du 10 juin 2019 qu’il avait reçue de l’ACEP indiquant qu’il pouvait se représenter lui-même dans le cadre de la procédure.

[33] Le plaignant a rencontré le président de l’ACEP le 12 novembre 2019 et il a déposé la présente plainte le 15 novembre 2019.

B. Pour le syndicat

[34] Le plaignant a contacté l’ACEP pour la première fois en novembre 2013, lorsqu’il s’est adressé à M. Vézina, au sujet de problèmes liés au milieu de travail impliquant l’employeur. Ses problèmes découlaient essentiellement d’une mauvaise relation avec sa nouvelle directrice. Dans les semaines et les mois qui ont suivi, les représentants de l’ACEP lui ont fourni des renseignements et des conseils pour résoudre ses problèmes liés à l’emploi.

[35] Le plaignant a déposé une plainte pour harcèlement sur le lieu de travail, qui a fait l’objet d’une enquête de la part de la direction. Dans un rapport émis en août 2015, il a été conclu que les allégations de harcèlement n’étaient pas fondées. Plus d’un an après l’émission du rapport, en octobre 2016, le plaignant a contacté l’ACEP pour obtenir de l’aide afin de contester les conclusions de l’enquête. Il a allégué que le rapport d’enquête contenait de nombreuses erreurs majeures et il souhaitait contester le fait que son [traduction] « entente sur la gestion du rendement de l’employé » (EGRE) pour l’exercice 2016-2017 indiquait la mention [traduction] « progrès nécessaires/pas sur la bonne voie pour atteindre [les objectifs] ».

[36] L’agente de relations de travail de l’ACEP, Mme Vallière, a proposé, pour aider à résoudre les problèmes du plaignant en milieu de travail, de déposer un grief contestant le harcèlement allégué qui faisait l’objet du rapport d’enquête sur le harcèlement d’août 2015. Dès le début, elle l’a informé qu’un tel grief ne pourrait pas faire l’objet d’un arbitrage par la Commission. Elle l’a également informé que ce grief serait hors délai. Selon elle, la meilleure façon d’obtenir un résultat favorable pour lui était de parvenir à un règlement dans le cadre de la procédure de règlement des griefs.

[37] En ce qui concerne la façon dont le grief a été rédigé, l’ACEP a expliqué ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Il convient de souligner que, malgré l’allégation apparente du plaignant au paragraphe 2i) de sa plainte selon laquelle le harcèlement présumé qu’il a subi résultait « de [son] âge et de [son] origine ethnique », le plaignant n’a jamais prétendu à l’ACEP qu’il avait été victime de discrimination fondée sur un motif de distinction illicite au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la « LCDP »). Par conséquent, le grief ne contient aucune allégation de discrimination et ne fait pas référence à la LCDP ou aux dispositions antidiscriminatoires de la convention collective. Le plaignant a lui-même approuvé le contenu du grief en signant le formulaire de grief le 25 octobre 2016.

[…]

 

[38] Au cours du processus de traitement interne du grief, les parties ont étudié les options de règlement, en vain.

[39] L’employeur a rendu la décision au dernier palier le 4 octobre 2018. Le grief a été accueilli en partie dans la mesure où l’employeur a accepté de modifier l’EGRE semi-annuelle du plaignant. En ce qui concerne le reste du grief, l’employeur a rendu la décision que voici :

[Traduction]

[…]

J’ai examiné les arguments avancés par vous et votre représentant syndical et j’ai passé en revue les éléments d’information dont je dispose, notamment les conclusions de l’enquête externe sur le harcèlement qui s’est achevée en août 2015 et qui a conclu que vos allégations de harcèlement à l’encontre de Mme Laverdière n’étaient pas fondées. Je suis également d’accord avec le décideur de deuxième palier dans la présente affaire et j’estime que les incidents/allégations qui se sont produits entre octobre 2013 et septembre 2016 sont hors délai conformément à la convention collective. En outre, si vous n’étiez pas d’accord avec les conclusions de l’enquête externe, vous aviez à l’époque la possibilité de saisir la Cour fédérale. Par conséquent, votre grief relatif au harcèlement est rejeté pour ces raisons.

[…]

 

[40] L’ACEP a renvoyé le grief à l’arbitrage le 17 octobre 2018. Dans sa réponse modifiée, elle a expliqué ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] L’ACEP a informé le plaignant à plusieurs reprises qu’elle ne lui garantissait pas qu’elle le représenterait jusqu’à l’arbitrage et que, par ailleurs, elle réexaminerait l’affaire après le renvoi et l’informerait de sa décision quant à la poursuite de sa représentation. Comme indiqué ci-dessus, l’ACEP craignait que le grief ne relève d’aucun des alinéas 209(1)a), b), c) ou d) de la Loi et, par conséquent, qu’il ne puisse faire l’objet d’un arbitrage. L’ACEP a décidé de renvoyer le grief en vertu de l’alinéa 209(1)a), réservé aux griefs portant sur « l’interprétation ou l’application [à l’égard du fonctionnaire] de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale », parce qu’elle estimait que cet alinéa était celui qui avait le plus de chances d’être applicable. Le formulaire 20, « Avis de renvoi à l’arbitrage d’un grief individuel – Interprétation ou application d’une disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale », a été utilisé pour effectuer le renvoi […]

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[41] Au printemps 2019, l’ACEP a examiné le dossier du plaignant et a décidé de ne pas continuer à le représenter dans le cadre de son grief. Elle a fondé sa décision sur ces trois points principaux : a) le rapport d’enquête sur le harcèlement d’août 2015 ne contenait pas d’erreur majeure, b) dès le départ, elle a fait savoir au plaignant que le grief ne relevait pas de l’article 209 de la Loi, et c) le grief serait vraisemblablement jugé hors délai.

[42] L’ACEP a fait part au plaignant de sa décision de retirer sa représentation dans le cadre du grief dans une lettre datée du 10 juin 2019. J’estime nécessaire de reproduire cette lettre dans son intégralité, comme suit :

[Traduction]

[…]

M. Barrett,

Nous avons, à votre demande, entrepris un examen anticipé du dossier renvoyé à l’arbitrage concernant votre plainte pour harcèlement.

Vous avez déposé une plainte pour harcèlement qui a fait l’objet d’une enquête. Nous avons examiné le rapport qui a été émis en août 2015 et nous n’avons pas constaté de lacunes évidentes ou de manquements aux normes juridiques applicables. Un an après avoir reçu le rapport, vous vous êtes adressé à l’ACEP pour nous consulter sur une situation similaire à celle abordée dans la plainte et le rapport de harcèlement précédents, à savoir des problèmes liés à votre rapport de rendement (c.-à-d. une mention « pas sur la bonne voie » pour atteindre les objectifs).

Un grief a été déposé dans l’espoir de résoudre la situation générale à laquelle vous étiez confronté au travail. Vous avez été informé à l’époque que le grief était un moyen que nous utiliserions pour tenter de trouver une solution. Vous avez également été informé que le grief était hors délai et qu’il ne pouvait être tranché en droit puisqu’il est fondé sur une politique de l’employeur et sur un code de valeurs et d’éthique.

Notre stratégie a fonctionné puisque l’employeur a fait une offre pour régler le grief. L’employeur a offert de corriger l’EGRE de l’exercice 2016-2017 et de rembourser 81 des 162 jours de congé de maladie que vous avez pris en réaction à la situation regrettable à laquelle vous avez été confronté dans votre milieu de travail. Vous avez refusé cette offre.

À ce stade, nous devons vous informer de notre décision de retirer la représentation dans votre dossier auprès de la Commission. En droit, ce dossier ne peut pas faire l’objet d’un arbitrage en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Bien que vous puissiez vous représenter vous-même dans cette procédure, nous vous conseillons de ne pas le faire car votre grief n’a aucune chance de succès.

Nous vous recommandons de nous autoriser à retirer l’ensemble du dossier de la Commission, et de l’informer que nous retirons non seulement la représentation, mais aussi le grief lui-même.

Avant de vous envoyer la présente lettre, nous avons repris contact avec l’employeur et avons été informés que l’offre de règlement était toujours disponible. Nous vous recommandons d’accepter cette offre et vous demandons de nous informer dès que possible de votre décision.

 

Cordialement,

[signé]

Isabelle Petrin, LL.L, B.A.

Agente des relations de travail

 

[43] Selon l’ACEP, en raison d’un malentendu interne, celle-ci n’a pas pleinement tenu compte des répercussions sur la possibilité pour le plaignant de poursuivre le grief devant la Commission sans son soutien. Elle a reconnu son erreur dans sa réponse modifiée en ces termes :

[Traduction]

[…]

Dans la mesure où le grief avait été renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi, par application du paragraphe 209(2), le fait que l’ACEP ait retiré la représentation signifiait que le plaignant ne serait pas en mesure de porter le grief à l’arbitrage par ses propres moyens. Malheureusement, au moment où l’ACEP a procédé à l’examen de l’affaire, un malentendu interne a fait en sorte que l’ACEP n’a pas pleinement tenu compte de l’incidence du renvoi en vertu de l’alinéa 209(1)a) sur la possibilité pour le plaignant de porter le grief devant la Commission. Cela a conduit l’ACEP à déclarer par erreur, dans sa correspondance du 10 juin 2019 au plaignant, que ce dernier était en mesure de « se représenter lui-même dans la procédure » malgré le désistement de l’ACEP.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[44] Le plaignant n’a pas accepté la proposition de règlement de l’employeur ni la proposition de retrait du grief formulée par l’ACEP dans sa lettre du 10 juin 2019.

[45] Malgré la décision prise par l’ACEP en juin 2019, elle a tenté une dernière fois d’aider le plaignant en demandant à l’employeur de formuler sa proposition par écrit. Une ébauche de protocole d’entente a été rédigée à l’intention du plaignant, mais cette nouvelle négociation a échoué parce qu’il a rejeté la proposition de l’employeur.

[46] Le 13 janvier 2020, l’ACEP a adressé une lettre à la Commission pour confirmer qu’elle renonçait à représenter le plaignant dans le cadre de son grief.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le plaignant

[47] Les arguments détaillés du plaignant dans sa réponse ont été conservés dans le dossier de la Commission. Il a invoqué les cas suivants, que j’ai tous lus : Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon, [1984] 1 R.C.S. 509 (« Gagnon »); Punko c. Customs Excise Union Douanes Accise, 2007 CRTFP 56 et Richard c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2000 CRTFP 61.

[48] Après avoir passé en revue ses nombreux échanges de courriels avec les agents de l’ACEP, le plaignant a conclu son argumentation comme suit :

[Traduction]

[…]

L’employeur m’a harcelé et maltraité.

L’ACEP m’a laissé tomber.

Par conséquent, l’ACEP et l’employeur partageaient un objectif commun, à savoir que mon grief ne soit jamais soumis à l’arbitrage de la Commission (et en outre, si possible, qu’ils me réduisent au silence).

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[49] En réponse à la position de l’ACEP selon laquelle le grief qu’elle a rédigé en son nom ne mentionnait pas la discrimination parce que le plaignant ne l’a jamais informée qu’il était victime de discrimination fondée sur des motifs de distinction illicite au sens de la LCDP ou de la disposition de non-discrimination de la convention collective, le plaignant a fait valoir ce qui suit :

[Traduction]

[…]

68. La véritable question est de savoir pour quelles raisons l’ACEP a délibérément adopté, non pas une fois, mais deux fois, une approche dont elle a toujours su que la poursuite serait, à long terme – c’est-à-dire au niveau de la Commissionvouée à l’échec? […]

69. […] La lettre de l’ACEP du 10 juin 2019 indiquait que mon grief « ne pouvait être tranché en droit puisqu’il est fondé sur une politique et un code de valeurs et d’éthique de l’employeur ». […] Il est évident que c’était le fait de l’ACEP et non un accident, car l’ACEP est loin d’être aussi ignorante et de se tromper à ce point quant aux questions de droit du travail […]

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[50] En réponse à la suggestion de l’ACEP selon laquelle il avait approuvé le libellé du grief lorsqu’il l’a signé en octobre 2016, le plaignant a fait valoir qu’il s’était fié à l’expertise de l’ACEP en la matière et qu’il avait signé le formulaire de grief lorsque l’ACEP le lui avait demandé. En outre, il a fourni à l’ACEP des documents étayant sa conviction que la discrimination fondée sur l’âge et l’origine ethnique semblait être un des facteurs expliquant le traitement qu’il recevait de la part de la direction. L’ACEP, pleinement consciente de ces allégations et de l’article 16 de la convention collective, a choisi de fonder le grief sur la politique de l’employeur, sachant très bien qu’une plainte pour harcèlement avait déjà été déposée, en vain.

[51] Le plaignant a demandé pourquoi l’ACEP adoptait délibérément une approche dont elle savait qu’elle était vouée à l’échec. Selon lui, la représentation de l’ACEP, depuis la rédaction du grief jusqu’au retrait de la représentation, a été la suivante :

[Traduction]

[…]

[…] n’a pas été juste ni réelle, mais simplement apparente, et n’a pas été faite avec intégrité et compétence et n’a pas adéquatement fait avancer ni pris en compte [ses] intérêts, [l’ACEP n’a pas] « réfléchi » au bien-fondé de [son] dossier [c.-à-d. l’article 16 – origine ethnique et âge], a été arbitraire […] gravement négligente, s’est livrée à une conduite de mauvaise foi.

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[52] Le plaignant a soutenu que, dans sa lettre du 10 juin 2019, l’ACEP s’est livrée à une conduite malhonnête et trompeuse dans le cadre de sa représentation , ce qui a amené le plaignant à croire qu’il pouvait porter le grief lui-même à l’arbitrage. Le plaignant soutient, sur la base de la plainte et des arguments, qu’il s’agit d’une cause défendable de violation de l’article 187 de la Loi par la défenderesse.

B. Pour le syndicat

[53] La Commission a conservé au dossier les arguments détaillés et modifiés de l’ACEP. L’ACEP a invoqué les cas suivants, que j’ai tous lus : Gagnon; Judd v. Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 2000, 2003 CanLII 62912 (BC LRB); Manella c. Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada et Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 128; Halfacree c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 28; Exeter c. Association canadienne des employés professionnels, 2009 CRTFP 14; Russell c. Syndicat de l’emploi et de l’immigration du Canada, 2011 CRTFP 7; Therrien c. Association canadienne des employés professionnels, 2011 CRTFP 118 et Michael MacNeil, Michael Lynk et Peter Engelmann, Trade Union Law in Canada.

[54] L’ACEP a fait valoir que le seuil à franchir pour établir un comportement arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi est élevé. Il ne suffisait pas que le plaignant établisse qu’il avait des désaccords passés avec des dirigeants syndicaux; il devait démontrer que les actions du syndicat étaient motivées par des considérations inappropriées et qu’elles étaient motivées par la mauvaise volonté, l’hostilité ou la malhonnêteté. Il n’a pas réussi à établir une preuve prima facie; par conséquent, la Commission devrait rejeter la plainte ou, à titre subsidiaire, la plainte doit être rejetée sur le fond.

[55] La Commission ne doit pas s’interroger sur la validité de la décision du syndicat; elle doit plutôt chercher à savoir comment le syndicat est parvenu à sa décision et évaluer la conduite du syndicat dans le cadre de cette procédure. La Commission ne doit pas se baser sur un critère exigeant la perfection pour évaluer la conduite du syndicat. Une simple erreur n’équivaut pas à un manquement au devoir de représentation équitable.

[56] L’ACEP a admis avoir commis une erreur lorsque, dans la lettre du 10 juin 2019, elle a indiqué que le plaignant pouvait se représenter lui-même dans le cadre de son grief devant la Commission, mais nie catégoriquement lui avoir menti ou avoir agi de mauvaise foi de quelque autre manière que ce soit.

[57] L’ACEP a soutenu qu’elle n’avait aucune raison de mentir au plaignant dans sa lettre du 10 juin 2019, puisque celle-ci lui expliquait qu’elle retirait sa représentation. L’ACEP a déclaré qu’elle avait simplement [traduction] « commis une erreur en toute honnêteté et de bonne foi » lorsqu’elle n’a pas compris que le retrait de la représentation empêcherait le plaignant de poursuivre le grief de son propre chef à l’arbitrage.

[58] L’ACEP a soutenu qu’elle avait eu raison d’informer le plaignant que le grief ne pouvait pas faire l’objet d’un arbitrage, de sorte que sa décision de retirer sa représentation était juridiquement justifiée. L’ACEP a procédé à un examen approfondi et complet du bien-fondé du grief avant de décider de retirer sa représentation. Il n’y a pas eu de conduite arbitraire ou de mauvaise foi dans son comportement.

[59] Si l’on tient pour vraies les allégations du plaignant, aucune preuve raisonnable ne vient étayer son allégation de mauvaise foi lorsque l’ACEP l’a informé par erreur qu’il pouvait se représenter lui-même dans le cadre de la procédure d’arbitrage de griefs.

IV. Motifs

A. Le cadre législatif

[60] Voici le libellé de l’article 187 de la Loi :

187 Il est interdit à lorganisation syndicale, ainsi quà ses dirigeants et représentants, dagir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de lunité dont elle est lagent négociateur.

187 No employee organization that is certified as the bargaining agent for a bargaining unit, and none of its officers and representatives, shall act in a manner that is arbitrary or discriminatory or that is in bad faith in the representation of any employee in the bargaining unit.

[…]

 

[61] L’article 187 englobe ce que l’on appelle communément le devoir de représentation équitable de l’agent négociateur. C’est l’un des principes fondamentaux que l’on retrouve dans la plupart des lois régissant les relations de travail au Canada, et c’est le corollaire du droit exclusif accordé à l’agent négociateur de représenter tous les employés d’une unité de négociation déterminée ou d’agir à titre d’agent pour eux dans leurs relations avec l’employeur. Dans Bernard c. Canada (Procureur général), 2014 CSC 13, la Cour suprême du Canada a défini comme suit le cadre juridique des obligations de représentation d’un syndicat :

[…]

[21] Il est important de bien comprendre le contexte des relations du travail dans lequel s’inscrivent les plaintes en matière de vie privée déposées par Mme Bernard. Le principe du monopole syndical conféré par un vote majoritaire – une assise fondamentale de notre droit du travail – constitue un élément clé de ce contexte. Le syndicat a le droit exclusif de négocier au nom de tous les employés d’une unité de négociation donnée, y compris ceux assujettis à la formule Rand. Le syndicat est l’agent exclusif de ces employés en ce qui concerne les droits que leur confère la convention collective. Un employé est certes libre de ne pas adhérer au syndicat et de devenir ainsi un employé assujetti à la formule Rand; il ne dispose toutefois d’aucun droit de retrait en ce qui concerne la relation de négociation exclusive ainsi que les obligations de représentation du syndicat.

[22] La nature des obligations de représentation du syndicat constitue un élément important du contexte dans lequel la Commission a rendu sa décision. Le syndicat doit représenter tous les employés de l’unité de négociation avec équité et bonne foi […]

[…]

[Je mets en évidence]

 

[62] Dans Gagnon, la Cour suprême du Canada a énoncé cinq principes relatifs au devoir de représentation équitable d’un syndicat :

1) Le droit exclusif d’un agent négociateur d’agir à titre de porte-parole des employés d’une unité de négociation comporte en contrepartie l’obligation pour l’agent négociateur de représenter équitablement tous les employés faisant partie de l’unité.

2) En règle générale, les employés représentés par un agent négociateur n’ont pas le droit absolu de renvoyer un grief à l’arbitrage, car l’agent négociateur dispose d’un pouvoir discrétionnaire considérable pour décider des griefs à renvoyer à l’arbitrage.

3) L’agent négociateur doit exercer ce pouvoir discrétionnaire de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief, en tenant compte des intérêts de l’employé d’une part et de ses propres intérêts légitimes d’autre part.

4) L’agent négociateur ne doit pas agir de manière arbitraire, discriminatoire, capricieuse ou abusive.

5) L’agent négociateur doit agir avec équité, intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure ni hostilité à l’égard de l’employé.

 

[63] Dans Savoury c. Guilde de la marine marchande du Canada, 2001 CRTFP 79, le prédécesseur de la Commission a résumé les principes applicables comme suit :

[…]

[125] Je crois que l’état actuel du droit au Canada, d’après la jurisprudence, peut se résumer ainsi. Le pouvoir conféré à un syndicat – que prévoit le paragraphe 10(2) de la Loi ainsi que d’autres dispositions législatives similaires – d’agir comme porte-parole des fonctionnaires inclus dans une unité de négociation comporte une obligation correspondante de juste représentation de tous les fonctionnaires inclus dans cette unité. Dans les affaires portant sur une plainte pour représentation injuste, ainsi que le prévoit l’article 23 de la Loi, les actions du syndicat qui sont examinées comprennent la décision du syndicat de représenter ou pas les membres à tous les stades, y compris pendant la procédure de règlement des griefs, ainsi que la décision du syndicat de représenter ou non le membre à l’arbitrage.

[126] Lorsque le syndicat entreprend une représentation, celle-ci doit être juste, réelle et pas seulement apparente. Elle doit être faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave et sans hostilité envers le fonctionnaire. Lorsque l’arbitrage est envisagé, on doit reconnaître que le fonctionnaire n’a pas un droit absolu à l’arbitrage, car le syndicat jouit d’une discrétion appréciable dans la prise de cette décision, mais ce pouvoir discrétionnaire est limité par la gravité et les répercussions de la sanction disciplinaire sur le fonctionnaire. La discrétion dont jouit le syndicat doit être exercée :

a) de bonne foi, de façon objective et honnête;

b) après une étude sérieuse du grief et du dossier, et non pas une étude juste pour la forme;

c) en tenant compte de toutes les considérations pertinentes au dossier;

d) en tenant compte de l’importance du grief et de ses conséquences pour le syndiqué;

e) en tenant compte des intérêts légitimes du syndicat;

f) en tenant compte des motifs appropriés seulement.

[127] En fin de compte, la décision que prend un syndicat à l’égard de la représentation de ses membres ne sera pas perturbée en l’absence d’éléments de mauvaise foi ou de comportement arbitraire, capricieux ou discriminatoire ou abusif pour autant que le syndicat ait satisfait aux critères précités.

[…]

 

[64] Les principes énoncés dans Gagnon s’appliquent pour déterminer si un agent négociateur a exercé de façon convenable son pouvoir discrétionnaire de déposer un grief et de le renvoyer à l’arbitrage, ainsi qu’à la conduite de l’agent négociateur dans le traitement du dossier de grief d’un employé (voir Ouellet c. St-Georges, 2009 CRTFP 107, au par. 30).

B. Conduite arbitraire

[65] Dans Noël c. Société d’énergie de la Baie James, 2001 CSC 39, la Cour suprême du Canada, précisant la notion de caractère arbitraire dans le contexte du devoir de représentation équitable d’un syndicat, a affirmé ce qui suit :

[…]

[50] Se reliant étroitement, les concepts d’arbitraire et de négligence grave définissent la qualité de la représentation syndicale. L’élément de l’arbitraire signifie que, même sans intention de nuire, le syndicat ne saurait traiter la plainte d’un salarié de façon superficielle ou inattentive. Il doit faire enquête au sujet de celle-ci, examiner les faits pertinents ou obtenir les consultations indispensables, le cas échéant, mais le salarié n’a cependant pas droit à l’enquête la plus poussée possible. On devrait aussi tenir compte des ressources de l’association, ainsi que des intérêts de l’ensemble de l’unité de négociation. L’association jouit donc d’une discrétion importante quant à la forme et à l’intensité des démarches qu’elle entreprendra dans un cas particulier […]

[…]

 

[66] Dans Jakutavicius c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2005 CRTFP 70, le prédécesseur de la Commission a affirmé ce qui suit :

[…]

[133] Le concept d’« arbitraire » est l’un des plus difficiles à définir et semble souvent chevaucher celui de « négligence ». Dans la décision Re City of Winnipeg and Canadian Union of Public Employees, Local 500, 4 L.A.C. (4e) 102, l’arbitre a résumé d’autres définitions de l’« arbitraire » se trouvant à la fois dans la doctrine et dans la jurisprudence :

 

[Traduction]

[…]

[…] « […] arbitraire »; « […] sans motif »; « […] à sa guise »; « […] pour la forme »; « […] affiche un défaut de se pencher sur la question et de prendre part à un mécanisme décisionnel rationnel » […] ou un défaut « […] d’adopter un point de vue raisonnable face au problème et d’en arriver à un jugement raisonné sur ce qu’il convient de faire après avoir pris en compte les divers éléments conflictuels pertinents ». […]

 

[…]

 

C. Mauvaise foi

[67] Dans le contexte du devoir de représentation équitable, la mauvaise foi implique une conduite et un comportement délibérés et oppressifs de la part de l’agent négociateur. Comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans Noël, au paragraphe 48, la mauvaise foi « […] suppose une intention de nuire, un comportement malicieux, frauduleux, malveillant ou hostile […] ».

[68] Aux fins de l’analyse de la cause défendable, les faits allégués doivent, s’ils sont considérés comme avérés, révéler une intention de nuire, un comportement malicieux ou hostile ou une intention malveillante. Par exemple, la preuve d’une communication non professionnelle avec le plaignant ou d’un mensonge à son égard a permis à l’ancienne Commission de conclure à la mauvaise foi dans Benoit c. Trimble, 2014 CRTFP 46, aux paragraphes 47 et 48.

V. Analyse

I. Le cadre analytique de la cause défendable

[69] La Commission a adopté le cadre de la cause défendable lorsqu’elle examine des requêtes préliminaires visant à faire rejeter les plaintes pour pratiques déloyales de travail. Ce cadre exige que la Commission présume que les faits allégués dans les arguments des parties sont avérés et, sur cette base, qu’elle évalue si ces faits révèlent une cause défendable de violation de la Loi (voir Beniey c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2020 CRTESPF 32, au par. 57 (demande de contrôle judiciaire rejetée dans Beniey c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2021 CAF 99)).

[70] Le syndicat s’est appuyé sur Exeter, au paragraphe 14, et Therrien à l’appui de sa position selon laquelle la plainte ne révèle pas une violation prima facie de la Loi. Il a fait valoir ce qui suit :

[Traduction]

[…]

53. La Commission a statué dans des décisions antérieures qu’une plainte peut être rejetée si le plaignant n’établit pas, à première vue, le lien entre ses allégations et chacun des alinéas 190(1)a) à g) de la Loi qui auraient été violés […] une allégation est fondée à première vue « lorsque les faits allégués – et considérés comme avérés aux fins de la question préliminaire – révèlent qu’il y a des motifs valables de croire que certaines dispositions de la loi n’ont pas été respectées. »

 

[71] Dans Therrien, un prédécesseur de la Commission a rendu la décision suivante :

46 La question à trancher est à savoir si le plaignant a établi les fondements d’une plainte pouvant être justifiée aux termes de l’alinéa 190(1)g) de la Loi, pour autant que l’on considère ses allégations comme étant avérées […]

[…]

51 L’expression « prima facie » est communément employée pour désigner la nature apparente de quelque chose qui ressort de son observation initiale. En droit, cette expression est employée généralement afin de décrire la démonstration par son auteur d’une preuve suffisante au soutien de ses prétentions (une preuve « prima facie »).

52 Afin de s’acquitter de ce fardeau initial, le plaignant doit produire suffisamment de preuves se rapportant à tous les éléments de sa plainte afin d’étayer celle-ci. Cela consiste à satisfaire « en apparence » l’exigence de la présentation de faits suffisamment pertinents pour établir une violation de la Loi. Ces fondements probants doivent être suffisants au plan juridique pour justifier une prétention voulant qu’il y a effectivement eu violation de la Loi […]

[…]

[Je mets en évidence]

 

II. Les faits saillants

[72] Dans les paragraphes qui suivent, j’ai exposé les faits qui sont essentiels à ma décision concernant l’objection préliminaire de la défenderesse. Ils sont tirés en grande partie de parties des arguments des parties qui ne sont pas contestés. Je dois considérer ces faits comme avérés aux fins de l’analyse de la cause défendable.

[73] En 2013, le plaignant s’est adressé à l’ACEP pour obtenir de l’aide afin de régler des problèmes en milieu de travail qu’il considérait comme du harcèlement et qui avaient des répercussions négatives sur sa santé. Il a rencontré M. Vézina, qui lui a demandé de tenir l’ACEP au courant de ce qui lui arrivait, ce qu’il a fait par l’entremise de ses représentants syndicaux locaux.

[74] En novembre 2014, le plaignant a retenu les services d’un avocat privé pour déposer une plainte officielle de harcèlement, et l’employeur a engagé un enquêteur externe pour mener l’enquête. L’enquêteur a rendu son rapport en août 2015, concluant que la plainte n’était pas fondée.

[75] Le plaignant n’était pas d’accord avec les conclusions contenues dans le rapport d’enquête sur le harcèlement. Le 10 novembre 2015, il a remis à l’ACEP le rapport et sa réfutation détaillée faisant état des lacunes dans les conclusions, ainsi que les documents à l’appui. Il a demandé à l’ACEP de l’aider à contester le rapport.

[76] Le 14 décembre 2015, l’ACEP a informé le plaignant de ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Après avoir examiné moi-même et avec certains de mes collègues tous les éléments d’information que vous avez envoyés, nous avons décidé que, malheureusement, l’ACEP ne peut rien faire dans votre dossier pour l’instant. Nous estimons que le processus suivi par la direction pour traiter votre plainte de harcèlement était approprié.

[…]

 

[77] En avril 2016, le plaignant a informé l’ACEP d’une évaluation du rendement négative qu’il avait reçue et qu’il a perçue comme étant des représailles pour avoir déposé sa plainte de harcèlement. Il a demandé à l’ACEP de déposer un grief en son nom, expliquant qu’en plus de l’évaluation négative, il croyait qu’en raison de son âge, l’employeur avait des intentions cachées quant à son maintien en poste parce que son gestionnaire s’était enquis de la date à laquelle il envisageait de prendre sa retraite. Le texte intégral du courriel est le suivant :

[Traduction]

Mireille,

Cet après-midi (15 h-15 h 30), j’ai effectué mon EGRE en présence de ma directrice, qui m’a attribué la mention « Réussi - ».

Je pense qu’il s’agit de « représailles » parce que j’ai déposé une plainte officielle pour harcèlement l’année dernière…

En outre, je pense qu’une évaluation aussi injuste cette année me prépare à une évaluation encore plus mauvaise l’année prochaine et l’année suivante, ce qui est inacceptable car manifestement injuste.

(Remarque : le fait que j’aie 62 ans, bien que je n’aie pas beaucoup d’années de service par rapport à d’autres personnes de mon âge ou même plus jeunes, pourrait également entrer en ligne de compte dans leur stratégie. Lors de cette réunion, ma supérieure m’a demandé quand j’envisageais de prendre ma retraite et je lui ai répondu dans huit ans, car ma femme et moi avons une famille nombreuse et que, pendant 24 ans, nous n’avons eu qu’un seul revenu et que notre situation financière nous incite à travailler huit ans de plus).

Par conséquent, je souhaiterais que l’ACEP dépose un grief de travail officiel en mon nom.

Le dépôt d’un grief officiel obligera la direction à justifier les fondements de son évaluation et je peux affirmer catégoriquement que la direction ne peut fournir aucune preuve, même minime, pour justifier cette évaluation injuste, car elle n’est absolument pas fondée sur des preuves.

Merci,

Jake

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[78] Entre avril et octobre 2016, il a continué à tenir l’ACEP au courant de sa situation par l’intermédiaire de ses représentants locaux. D’après les courriels fournis, les représentants de l’ACEP l’ont conseillé et l’ont accompagné à certaines réunions avec la direction concernant l’évaluation de son rendement.

[79] En septembre 2016, les représentants de l’ACEP ont conseillé au plaignant de ne pas signer son EGRE tant que les problèmes actuels et passés liés à ses évaluations ne seraient pas résolus. Le 28 septembre 2016, il leur a envoyé un courriel dans lequel il indiquait notamment ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] l’équité et le respect des valeurs de la fonction publique exigent que le rapport final de l’enquêteur soit annulé parce qu’il révèle une grande incompétence et est entaché de vices irrémédiables.

Je crois résolument que l’ACEP devrait engager ses avocats pour présenter toutes les preuves à la Cour fédérale en vue d’un contrôle judiciaire véritable et impartial, démontrant ainsi à l’employeur que le conflit d’intérêts de la haute direction ne saurait être pris à la légère par l’ACEP.

[…]

 

[80] Il leur a envoyé un autre courriel le 28 septembre 2016, dans lequel il indiquait notamment ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Compte tenu de mon évaluation semi-annuelle la plus récente (16 septembre), totalement inadmissible et injustifiée, selon laquelle des « progrès » sont « nécessaires », et compte tenu des informations envoyées précédemment et de ces documents, je dirais qu’il est clair que la direction s’est engagée, avec préjudice et sans aucune preuve objective, dans un cycle continu de trois ans de comportements harcelants à mon égard.

Je pense qu’avec cette dernière tentative de harcèlement, l’ACEP devrait être en mesure de déposer un grief officiel en mon nom.

Cordialement,

Jake

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[81] Le 7 octobre 2016, Mme Vallière a confirmé qu’elle avait reçu tous les documents que le plaignant avait envoyés pour déposer un grief en son nom.

[82] Le 20 octobre 2016, un incident est survenu dans son milieu de travail qui a amené le plaignant à demander à nouveau à l’ACEP de déposer un grief officiel en son nom. Le lendemain, Mme Vallière l’a informé qu’elle travaillait sur le grief et qu’il serait préparé le jour même ou au plus tard le lundi suivant.

[83] Le 24 octobre 2016, l’ACEP a rédigé le grief au cœur de la présente plainte et le plaignant l’a signé. À ce moment-là, le plaignant avait fourni à l’ACEP des documents concernant ses échanges avec l’employeur, notamment des échanges de courriels avec son gestionnaire ainsi que les rapports de plainte pour harcèlement et sa réfutation.

[84] Au 24 octobre 2016, l’ACEP avait déjà établi que le processus utilisé par la direction pour traiter la plainte de harcèlement du plaignant était approprié et avait déjà décidé de ne rien faire au sujet du problème de harcèlement.

[85] Au fur et à mesure que le grief franchissait les étapes de la procédure interne de règlement des griefs, les parties ont tenté, sans succès, de le régler. L’employeur a partiellement accueilli le grief au dernier palier en acceptant de modifier l’évaluation du rendement du plaignant. Il a rejeté le reste du grief au motif qu’il était hors délai.

[86] L’ACEP a renvoyé le grief à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi. Le 10 juin 2019, elle a retiré sa représentation à l’arbitrage et a informé le plaignant qu’il pouvait se représenter lui-même à l’arbitrage. L’ACEP a reconnu dans ses arguments qu’il s’agissait d’une erreur, qu’elle a attribuée à un [traduction] « malentendu interne ».

III. Conclusion

[87] Je conviens avec la défenderesse qu’en vertu du cadre de la cause défendable, les faits ne permettent pas de conclure à une violation de la Loi pour cause de mauvaise foi. Toutefois, j’estime que ces mêmes faits justifient une violation fondée sur une conduite arbitraire.

[88] Comme il a été indiqué dans Noël, pour agir de mauvaise foi, il faut avoir l’intention de nuire, agir de façon malveillante ou adopter un comportement hostile. Aux fins de l’analyse de la cause défendable, les faits allégués doivent, s’ils sont considérés comme avérés, révéler une intention de nuire, une conduite malveillante ou hostile ou un acte de malveillance. J’ai examiné attentivement les arguments des parties ainsi que le ton et le contenu des courriels échangés entre le plaignant et les représentants de l’ACEP au cours de la période pertinente. Dans le présent cas, je ne considère pas que les échanges du plaignant avec les représentants syndicaux à divers moments de la rédaction et du traitement du grief du 24 octobre 2016 atteignent le seuil de la conduite de mauvaise foi. La correspondance électronique entre le plaignant et les représentants syndicaux était cordiale et ne révélait aucune intention de nuire, de comportement méchant ou hostile ni de malveillance.

[89] Dans Noël, la Cour suprême du Canada précise que « même sans intention de nuire, le syndicat ne saurait traiter la plainte d’un salarié de façon superficielle ou inattentive ». En acceptant que les faits allégués sont avérés, j’estime que le plaignant a présenté une cause défendable selon laquelle le syndicat a manqué à son devoir de représentation équitable dans la rédaction du grief, le traitement et le renvoi de celui-ci à l’arbitrage le 24 octobre 2016. En particulier, les événements qui ont mené à la rédaction du grief, le contenu réel du grief, le renvoi à l’arbitrage et les observations contenues dans la lettre du 10 juin 2019 de l’ACEP au plaignant.

[90] Je suis d’avis que les faits allégués révèlent une cause défendable de violation du devoir de représentation équitable dans le contexte d’une conduite arbitraire. Il convient donc de recueillir des éléments de preuve pour établir les faits pertinents et pour déterminer si ces faits permettent effectivement de conclure à l’existence d’une telle violation.

[91] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


 

VI. Ordonnance

[92] L’objection préliminaire est accueillie quant à l’allégation de mauvaise foi.

[93] L’objection préliminaire est rejetée quant à l’allégation de conduite arbitraire.

[94] Le greffe de la Commission communiquera avec les parties concernant les prochaines étapes.

Le 27 juin 2023.

Traduction de la CRTESPF

Caroline E. Engmann,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.