Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le demandeur a renvoyé son grief individuel à l’arbitrage après l’expiration du délai applicable – il a demandé une prorogation du délai pour le renvoyer – la Commission a conclu que l’équité justifiait l’octroi de la prorogation, étant donné que le défendeur n’avait respecté ni le délai pour rendre une décision au dernier palier de la procédure de règlement des griefs ni la date limite pour répondre au renvoi du grief à l’arbitrage – la Commission a également conclu que le défendeur n’avait pas identifié de préjudice réel qu’il subirait si la demande était accueillie et a mentionné que tout préjudice possible dans cette affaire serait attribuable au défendeur lui-même.

Demande accueillie.

Contenu de la décision

Date: 20230801

Dossiers: 566-02-47012 et 568-02-47552

 

Référence: 2023 CRTESPF 76

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Michael Zeleke

fonctionnaire s’estimant lésé et demandeur

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(Service correctionnel du Canada)

 

défendeur

Répertorié

Zeleke c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage et une demande de prorogation du délai prévu à l’alinéa 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Christopher Rootham, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé et demandeur : Fathiya Wais, Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN

Pour le défendeur : Sarah Thuswaldner, Service correctionnel du Canada

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les 11 et 26 avril et le 12 mai 2023.


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Aperçu

[1] La présente décision porte sur deux questions préliminaires connexes dans le présent grief. Premièrement, le défendeur s’oppose au grief au motif qu’il a été renvoyé à l’arbitrage après l’expiration du délai. Deuxièmement, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire ») demande une prorogation du délai pour renvoyer le grief à l’arbitrage.

[2] Le fonctionnaire ne conteste pas le fait que le grief a été renvoyé à l’arbitrage tardivement. La véritable question est de savoir si la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») devrait accorder au fonctionnaire une prorogation du délai pour renvoyer le grief à l’arbitrage.

[3] Le défendeur n’a pas rendu sa décision au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, même si le fonctionnaire lui a accordé une prorogation du délai pour le faire. Le souci de l’équité favorise l’octroi de la prorogation de délai demandée, étant donné le défaut du défendeur de respecter ses propres échéances dans ce dossier. En outre, le défendeur n’a pas démontré qu’il subira un préjudice si j’accorde cette prorogation du délai. Même s’il devait subir un préjudice, ce préjudice est sous son contrôle, car il dépend du moment où il rendra sa décision au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, s’il rend une telle décision.

[4] Par conséquent, j’accorde au fonctionnaire une prorogation du délai pour renvoyer le présent grief à l’arbitrage.

II. Chronologie du grief et raison pour laquelle il a été renvoyé à l’arbitrage tardivement

[5] Le grief conteste une suspension disciplinaire sans solde. Le fonctionnaire a présenté le grief le 27 septembre 2022 et l’a transmis au dernier palier de la procédure de règlement des griefs le 27 octobre 2022. Le défendeur a demandé une prorogation du délai pour statuer sur le grief jusqu’au 13 janvier 2023. Le fonctionnaire a accepté cette prorogation. Malgré cette prorogation du délai, le défendeur n’a jamais rendu de décision au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.

[6] Le fonctionnaire a renvoyé le grief à l’arbitrage le 23 mars 2023. Le représentant de l’agent négociateur du fonctionnaire a expliqué qu’un employé de l’agent négociateur (l’Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN) avait mal calculé la période de 40 jours pour renvoyer le grief à l’arbitrage. En effet, il l’avait traitée comme si elle commençait à s’écouler 30 jours après la date limite convenue du 13 janvier 2023 pour une décision au dernier palier au lieu de s’écouler à partir de cette date limite.

[7] Il n’est pas contesté que le grief devait être renvoyé à l’arbitrage au plus tard le 22 février 2023. À titre explicatif, la période de 40 jours pour renvoyer le grief à l’arbitrage commence à s’écouler à la date de la décision au dernier palier ou, en l’absence d’une telle décision, à la date à laquelle une décision au dernier palier devait être rendue en vertu de l’une des trois sources suivantes : 1) une convention collective, 2) le Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005-79; le « Règlement »), ou 3) une date approuvée par les parties. Comme les parties ont convenu d’une date limite du 13 janvier 2023 pour que le défendeur tranche le grief au dernier palier, la période de 40 jours pour renvoyer ce grief à l’arbitrage a commencé à s’écouler à cette date. Par conséquent, le délai pour renvoyer le grief à l’arbitrage a expiré le 22 février 2023. Le renvoi à l’arbitrage a été présenté tardivement.

[8] Le reste des présents motifs portera sur la demande de prorogation du délai présentée par le fonctionnaire.

III. Motifs de l’octroi de la prorogation du délai

A. Les cinq facteurs habituels à prendre en considération dans l’évaluation d’une demande de prorogation de délai

[9] La Commission a le pouvoir de prolonger toute période prévue dans une convention collective ou dans le Règlement « par souci d’équité » (alinéa 61b) du Règlement). Les deux parties ont axé leurs arguments sur les facteurs dits Schenkman (de Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1), que la Commission applique couramment afin de déterminer s’il y a lieu d’accorder une prorogation de délai, à savoir :

· le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;

· la durée du retard;

· la diligence raisonnable du fonctionnaire s’estimant lésé;

· l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit le défendeur si la prorogation est accordée;

· la chance de succès du grief (souvent exprimée par la question de savoir si le grief soulève une cause défendable).

 

[10] Ces critères ne sont pas tous pondérés de façon égale, et ils ne sont pas tous importants dans tous les cas. Comme la Commission l’a déclaré dans Bowden c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2021 CRTESPF 93, au paragraphe 55, « [c]es critères ne sont pas fixes et l’objectif primordial est de déterminer ce qui est juste en fonction des faits de chaque cas […] De plus, les critères n’ont pas nécessairement le même poids et la même importance […] ».

B. La raison du retard n’est pas critique dans le présent cas

[11] Le défendeur a appliqué le principe selon lequel tous les facteurs n’ont pas le même poids en soutenant que le premier facteur (une raison claire, logique et convaincante) est essentiel. Le défendeur a ensuite soutenu que l’erreur d’un agent négociateur n’est pas une explication suffisante du retard. Le défendeur s’est appuyé sur les décisions Martin c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2021 CRTESPF 62, Edwards c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2019 CRTESPF 126, Copp c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères et du Commerce international), 2013 CRTFP 33, et Parker c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2022 CRTESPF 57, pour étayer cette proposition.

[12] En revanche, le fonctionnaire a soutenu que l’erreur d’un représentant justifie une prorogation du délai. Le fonctionnaire s’est appuyé sur les cas suivants à l’appui de cette proposition, ainsi que sur des propositions générales concernant les prolongations de délai : Grekou c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2020 CRTESPF 94, Riche c. Conseil du Trésor, 2009 CRTFP 157, Barbe c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2022 CRTESPF 42, Slusarchuk c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2023 CRTESPF 22, Lewis c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2023 CRTESPF 27, Gee c. Administrateur général (ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2022 CRTESPF 58, D’Alessandro c. Conseil du Trésor (ministère de la Justice), 2019 CRTESPF 79, et Lessard‑Gauvin c. Conseil du Trésor (École de la fonction publique du Canada), 2022 CRTESPF 40.

[13] Je reconnais qu’il y a de nombreux cas où l’explication du retard est le facteur prédominant, voire déterminant, lorsqu’il s’agit de trancher une demande de prorogation de délai, comme dans Parker, au paragraphe 41, et Martin, au paragraphe 33. Si je devais suivre cette approche dans la présente décision, je procéderais à un examen fastidieux de la jurisprudence mentionnée ci-dessus pour déterminer si le fonctionnaire devrait subir les conséquences du manquement d’un agent négociateur ou d’un autre représentant. J’examinerais attentivement les cas où une telle négligence a été traitée comme une raison convaincante du retard (comme dans Gee, D’Alessandro, Barbe, Lewis et Slusarchuk) et d’autres cas où elle ne l’a pas été (comme dans Copp, Edwards et Grekou). Comme l’a dit succinctement la Commission dans Barbe, au paragraphe 48 :

[48] Il est clair qu’il existe deux courants de pensée à la Commission – soit, on peut tenir rigueur à un fonctionnaire des erreurs de son agent négociateur, soit, on ne doit pas tenir rigueur au fonctionnaire, qui se trouve lésé non seulement par l’action de son employeur, mais aussi par l’action de son agent négociateur […]

 

[14] J’ai décidé de ne pas me prononcer sur laquelle de ces deux écoles de pensée devrait être suivie, et j’ai tranché la présente demande sur une base plus simple.

C. Le fait que le défendeur n’ait pas rendu de décision au dernier palier est le facteur essentiel

[15] Le fait que le défendeur n’ait toujours pas rendu de décision au dernier palier de la procédure de règlement des griefs est le fait clé dans le présent cas, pour deux raisons.

1. Il est équitable d’accorder une prorogation du délai, car le retard est attribuable au défendeur

[16] Premièrement, le défendeur se plaint du retard du fonctionnaire, et ce, malgré son propre retard. Le défendeur devait rendre une décision au dernier palier de la procédure de règlement des griefs au plus tard le 9 décembre 2022. Il a demandé une prorogation du délai pour rendre sa décision jusqu’au 13 janvier 2023, que le fonctionnaire a acceptée. Le défendeur a ensuite manqué la date limite même qu’il avait demandée. Quand le fonctionnaire a renvoyé le présent grief à l’arbitrage, la décision au dernier palier du défendeur devait être rendue depuis longtemps. La Commission n’a pas été informée que le défendeur a rendu une décision au dernier palier sur le grief depuis. Le défendeur n’a pas expliqué pourquoi il a tardé à rendre sa décision au dernier palier.

[17] De plus, le défendeur n’a pas aidé sa cause en répondant tardivement à la présente demande de prorogation du délai. Le défendeur a répondu à la présente demande avec deux jours de retard et a expliqué son retard en indiquant qu’il avait perdu le courriel de la Commission qui fixait le délai de réponse. Le défendeur n’explique pas en quoi sa propre demande à la Commission d’accepter les arguments présentés en retard malgré son erreur cadre avec sa position selon laquelle une erreur du représentant d’un fonctionnaire ne peut pas justifier une prorogation du délai.

[18] Le Règlement m’oblige à déterminer si le « souci d’équité » justifie une prorogation du délai. Il serait injuste de refuser au fonctionnaire une prorogation du délai, compte tenu du traitement cavalier que le défendeur a réservé à ses propres délais dans le présent cas.

2. Le défendeur ne subira aucun préjudice si la prorogation est accordée

[19] Deuxièmement, le défendeur n’a pas démontré qu’il subira un préjudice si j’accueille la présente demande.

[20] J’ai lu attentivement les arguments du défendeur sur le préjudice et j’ai décidé de les reproduire ici dans leur intégralité :

[Traduction]

[…]

Il faudrait accorder une importance égale à l’injustice subie par l’employé et au préjudice causé à l’employeur si la Commission accorde la prorogation. L’employeur fait valoir qu’il subira inévitablement un préjudice du fait du renvoi tardif ultérieur à l’arbitrage qui a été présenté pour un grief concernant l’enquête sur le fonctionnaire. Bien que les griefs soient distincts et doivent le rester, la clémence accordée pour l’un des deux retards influera inévitablement sur l’autre.

[…]

 

[21] Dans ses arguments, le défendeur n’expose aucun préjudice réel découlant du retard de 29 jours dans le renvoi du grief à l’arbitrage : par exemple, aucun document n’a été perdu, aucun témoin n’a oublié les événements qui ont conduit à la suspension, et le défendeur n’a engagé aucun coût du fait que le fonctionnaire n’a pas renvoyé le grief à l’arbitrage.

[22] Je suis également préoccupé par le fait que le défendeur n’ait pas rendu de décision au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Si je refuse la présente demande de prorogation de délai, le défendeur pourrait rendre une décision au dernier palier. Si le défendeur rejette le grief, la période de 40 jours dont dispose le fonctionnaire pour renvoyer le grief à l’arbitrage recommencera conformément au paragraphe 90(1) du Règlement. Le défendeur affirme qu’il subira « inévitablement » un préjudice; en fait, l’existence d’un préjudice dépend du moment où le défendeur rendra sa décision au dernier palier, si il rend une telle décision. Le défendeur ne peut pas prétendre que des circonstances qui sont sous son contrôle lui causeront « inévitablement » un préjudice. Je ne le récompenserai pas non plus pour avoir omis de rendre une décision au dernier palier.

D. Le retard d’un défendeur ne justifie pas automatiquement une prorogation du délai

[23] Pour être clair, ma décision est fondée sur les faits particuliers du présent cas. J’ai également accordé une certaine importance à la période relativement courte de dépassement du délai (29 jours) et à l’absence d’indication selon laquelle le fonctionnaire n’a pas agi avec diligence raisonnable. Cette décision ne donne pas le droit aux fonctionnaires de ne pas respecter les délais lorsque l’employeur a également manqué un délai. Les prorogations de délai ne sont jamais automatiques, et j’insiste sur le fait que le retard d’un employeur ne justifiera pas automatiquement l’octroi d’une prorogation de délai. Toutefois, dans le présent cas, le retard du défendeur et l’absence de préjudice qui en a résulté ont constitué le principal facteur justifiant l’octroi de la prorogation du délai.

[24] À la lumière de ma décision d’accorder au fonctionnaire une prorogation du délai, l’objection quant au respect du délai pour ce renvoi à l’arbitrage est devenue sans objet et je la rejette uniquement pour cette raison.

[25] Pour tous ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


IV. Ordonnance

[26] La demande de prorogation du délai est accueillie.

[27] L’objection relative au respect du délai pour le renvoi à l’arbitrage est rejetée.

[28] Le grief sera renvoyé au greffe de la Commission pour être mis au rôle selon la pratique normale.

Le 1er août 2023.

Traduction de la CRTESPF

 

Christopher Rootham

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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