Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé, qui à l’époque était affecté en Chine, a contesté le refus de son employeur de lui accorder une couverture en vertu de la Directive sur le service extérieur 41 - « Déplacement pour soins médicaux » et de lui fournir, ainsi qu’à son mari, des avantages financiers pour assister à la naissance de leur enfant – l’employeur a refusé d’accorder une couverture puisque l’enfant est né par mère porteuse et que, par conséquent, le fonctionnaire s’estimant lésé et son conjoint n’effectuaient pas un déplacement pour soins médicaux – la Commission a conclu que la DSE 41 s’appliquait bel et bien au fonctionnaire s’estimant lésé et que l’employeur avait interprété et appliqué la DSE 41 de façon discriminatoire – la DSE 41 vise à garantir qu’un employé ou sa personne à charge a accès aux services et installations de soins de santé nécessaires et appropriés – Santé Canada avait déterminé que les établissements de soins de santé de la Chine ne convenaient pas à l’accouchement – en outre, l’employeur n’a pas tenu compte de l’accès du fonctionnaire s’estimant lésé à des services de soins de santé appropriés liés à la maternité de substitution en Chine, y compris le fait que les lois du pays interdisent le mariage entre personnes du même sexe et l’adoption par des couples de même sexe et ne reconnaissent pas un couple de même sexe comme les parents d’un enfant né par mère porteuse – rien dans le libellé de la DSE 41 ne soutenait l’interprétation de l’employeur selon laquelle la directive ne s’appliquait pas au fonctionnaire s’estimant lésé parce que ni lui ni son conjoint n’avaient besoin de soins médicaux, y compris toute exigence limitant son application aux situations de grossesse d’une employée ou de la conjointe d’un employé – en incluant de telles conditions, l’employeur a exclu le fonctionnaire s’estimant lésé de l’application de la DSE 41 – les caractéristiques protégées de l’orientation sexuelle et de la situation de famille étaient des facteurs de cette exclusion parce qu’en tant que couple d’hommes, ni lui ni son conjoint ne pouvaient tomber enceinte, et pour qu’ils puissent fonder une famille et avoir un enfant biologique, il était nécessaire de recourir à une mère porteuse – en réponse à cette discrimination prima facie, l’employeur a fait valoir que l’absence de droit à des prestations liées à l’accouchement lorsque l’employé ou sa personne à charge ne porte pas l’enfant est une exigence professionnelle justifiée – il a soutenu que l’objet et la justification de la DSE 41 seraient compromis et que le fait de couvrir les situations de maternité de substitution entraînerait des coûts opérationnels indus – la Commission a conclu que son interprétation de la DSE 41 dans cette décision ne modifiait pas fondamentalement la directive et qu’elle était toujours fondée sur la pertinence des installations et des services de soins de santé au poste – l’employeur n’a pas fourni de renseignements sur les coûts opérationnels – la Commission a conclu que l’employeur ne s’était pas acquitté de son fardeau de prouver qu’il subirait une contrainte excessive – par conséquent, il a été conclu que l’employeur avait interprété la DSE 41 de façon discriminatoire – la Commission a laissé aux parties le soin de déterminer la réparation ou de demander son aide si elles ne sont pas en mesure de conclure une entente.

Grief accueilli.

Contenu de la décision

Date: 20230818

Dossier: 566-02-14731

 

Référence: 2023 CRTESPF 79

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

HUGUES Alexandre Moniz

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement)

 

employeur

Répertorié

Moniz c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Morgan Rowe et Simcha Walfish, avocats

Pour l’employeur : Karl Chemsi, avocat

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés
les 15 juin, 21 juillet et 3 août 2022.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1] Hugues Alexandre Moniz, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), a déposé un grief pour contester le refus de son employeur de lui accorder une couverture en vertu de la Directive sur le service extérieur (DSE) 41 – « Déplacement pour soins médicaux » et de lui fournir, ainsi qu’à son mari, des avantages financiers pour leur permettre d’assister à la naissance de leur premier enfant.

[2] L’employeur a refusé d’accorder la couverture demandée sous prétexte que c’est une mère porteuse qui a mis l’enfant au monde et que, par conséquent, le fonctionnaire et son époux n’avaient pas à se déplacer pour des raisons de soins médicaux, selon l’interprétation que fait l’employeur de la DSE 41.

[3] Aux fins de la présente décision, bien que le Conseil du Trésor soit l’employeur légal du fonctionnaire, le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement, communément appelé Affaires mondiales Canada, est réputé être l’employeur, étant donné que le Conseil du Trésor a délégué des responsabilités de gestion à son administrateur général.

[4] Le fonctionnaire croit que l’employeur interprète la DSE 41 de façon erronée. Par ailleurs, il estime que cette interprétation revêt un caractère discriminatoire en raison de motifs de distinction illicite, à savoir l’orientation sexuelle et la situation de famille.

[5] Les faits ne sont pas contestés. Il s’agit uniquement d’interpréter la DSE 41 et de l’appliquer à la situation du fonctionnaire. Les parties ont convenu de procéder par voie d’arguments écrits.

[6] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la DSE 41 s’applique à la situation du fonctionnaire et que son interprétation et son application par l’employeur étaient discriminatoires.

II. Contexte

[7] Les parties ont présenté un exposé conjoint des faits, et chaque partie a présenté un affidavit, à savoir celui du fonctionnaire et celui d’Aline Taillefer-McLaren, qui, à l’époque pertinente, était directrice intérimaire, puis directrice de la Direction des initiatives et du contrôle des DSE à Affaires mondiales Canada. Je vais résumer les faits contenus dans ces trois documents.

[8] Le fonctionnaire a présenté deux griefs à l’employeur, l’un visant le refus d’accorder les avantages financiers demandés, l’autre visant la discrimination présumée sous-jacente à ce refus. Les deux affaires sont portées devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») dans le cadre du présent dossier.

[9] À l’époque pertinente, le fonctionnaire était employé à titre d’agent de gestion et d’agent consulaire intérimaire au groupe et au niveau FS-03 chez l’employeur. Il fait partie d’une unité de négociation représentée par l’Association professionnelle des agents du service extérieur (APASE). À l’article 40 de la convention collective conclue entre l’APASE et le Conseil du Trésor (date d’expiration : 30 juin 2014; la « convention collective ») figurent les Directives sur le service extérieur du Conseil national mixte (les « DSE »).

[10] De 2014 à 2019, le fonctionnaire a été affecté à un poste à l’étranger au Consulat général du Canada à Guangzhou, en Chine. Son mari, Jing Zhu, résidait avec lui. M. Zhu n’était pas un employé d’Affaires mondiales Canada.

[11] Le fonctionnaire et son mari avaient décidé au début de l’année 2014 de fonder une famille. Des considérations juridiques, notamment l’obligation de s’assurer qu’ils seraient reconnus comme les seuls parents légaux de l’enfant qui naîtrait dans tout pays où le fonctionnaire pourrait travailler, les ont amenés à choisir la maternité de substitution en Amérique du Nord. Une mère porteuse leur a été proposée à Indianapolis, dans l’État de l’Indiana, aux États-Unis. Le conjoint du fonctionnaire est le père biologique et la grossesse a été rendue possible grâce à une donneuse d’ovules. Le contrat conclu avec la mère porteuse stipulait très clairement qu’elle n’aurait aucune responsabilité légale ou de soins à l’égard de l’enfant après la naissance. Le fonctionnaire et M. Zhu ont donc estimé qu’il était important qu’ils soient tous deux présents à l’accouchement, afin d’assumer l’entière responsabilité de l’enfant à la naissance.

[12] Le couple savait également qu’il ne pourrait pas accueillir l’enfant en Chine, car les lois chinoises interdisent le mariage entre personnes de même sexe, l’adoption par des couples de même sexe et la reconnaissance du statut de parents à un couple de même sexe dans le cas d’un enfant né d’une mère porteuse.

[13] La naissance était attendue pour le début du mois de janvier 2016. Au début du mois de juillet 2015, le fonctionnaire a demandé au chef de mission de Guangzhou, Weldon Epp, d’approuver sa demande de couverture en vertu de la DSE 41, en particulier au titre de l’article 41.3, « Accouchement ». Le fonctionnaire a proposé d’écrire à l’administration centrale de l’employeur pour s’assurer de l’accord de sa direction à Ottawa, en Ontario. M. Epp a accepté.

[14] Le 20 juillet 2015, le fonctionnaire a fourni à l’administration centrale des précisions sur la grossesse et l’accouchement prévu, et a cherché à prendre des dispositions pour l’accouchement et son congé parental. Il a demandé la confirmation que le billet d’avion aller-retour et les frais de subsistance raisonnables en attendant le retour à Guangzhou après la naissance lui seraient remboursés, ainsi qu’à son conjoint et à l’enfant, en vertu de l’article 41.3 des DSE. Il a également demandé la confirmation que les frais d’expédition des biens pour leur enfant à Guangzhou seraient couverts en vertu de la DSE 15 – « Réinstallation ».

[15] Le fonctionnaire a effectué un suivi en août auprès de Stephen Doust, chef de mission par intérim, pour demander l’approbation de la couverture demandée en vertu de la DSE 41. Il a fourni un plan de voyage détaillé pour se rendre au Canada, puis en Indiana, en précisant les frais de vol, de location de voiture et d’hébergement, pour un total estimatif de 17 665,89 $. Le fonctionnaire a demandé une avance de 17 000 $ pour permettre de prendre les dispositions nécessaires pour les déplacements et l’hébergement.

[16] M. Doust a approuvé le plan et, peu après, le fonctionnaire a reçu l’avance de 17 000 $. Plus tard en août, l’administration centrale a informé le fonctionnaire que sa demande avait été renvoyée au groupe de travail B et qu’elle pourrait également être renvoyée aux services juridiques de l’employeur, étant donné que la situation était inédite.

[17] Les groupes de travail sont des comités ministériels chargés de la gestion coordonnée des questions et des décisions relatives au service extérieur pour le compte des ministères fédéraux dont certains employés travaillent à l’extérieur du Canada. Le groupe de travail A est un comité de coordination. Le groupe de travail B est un sous‑comité chargé d’interpréter et d’appliquer les DSE pour le compte des ministères. Au moment des événements qui ont donné lieu au grief, Mme Taillefer-McLaren en était la présidente.

[18] Le 28 août 2015, l’administration centrale a informé le fonctionnaire de la conclusion selon laquelle sa situation ne lui ouvrait pas droit à la couverture prévue dans la DSE 41, mais que le groupe de travail A se pencherait sur la situation de façon plus approfondie. Le 31 août 2015, le fonctionnaire a demandé des précisions sur le processus décisionnel et s’il pouvait présenter des renseignements à l’appui de sa demande.

[19] L’administration centrale a répondu le 10 septembre 2015 en indiquant les personnes qui avaient été consultées. Le courriel contenait également la décision prise par le groupe de travail B et les motifs invoqués : ni le fonctionnaire ni M. Zhu n’étaient en situation d’accouchement, le fonctionnaire n’était pas admissible à une indemnité pour les frais de déplacement ou de subsistance en vertu de l’alinéa 41.3.1b) des DSE parce qu’il n’était ni l’époux ni le conjoint de fait de la personne qui accouchait, et Indianapolis n’était pas « le centre convenable le plus proche », une exigence contenue dans l’alinéa 41.3.1b).

[20] L’administration centrale a également ajouté qu’il avait été demandé au groupe de travail A de confirmer l’interprétation de la directive.

[21] Le 19 septembre 2015, l’administration centrale a transmis au fonctionnaire le procès-verbal de la décision du groupe de travail B. On peut y lire ceci :

[Traduction]

[…]

Le groupe de travail B renvoie le dossier au groupe de travail A en formulant les observations suivantes. Le groupe de travail B a examiné la situation et a conclu que la DSE 41 ne s’applique pas. Selon le principe d’équivalence, le voyage du fonctionnaire et de son conjoint à Indianapolis ne saurait être couvert. Il est recommandé au fonctionnaire d’utiliser les dispositions de la DSE 50 ou de l’article 56.11 de la DSE 56 pour couvrir ces dépenses.

À la naissance de la nouvelle personne à charge, une indemnité non soumise à justification (INJC) sera versée pour son voyage de la ville de l’administration centrale au lieu d’affectation. Les parents devront couvrir les frais de voyage de la personne à charge d’Indianapolis à la ville de l’administration centrale.

[…]

 

[22] Le 13 novembre 2015, le groupe de travail A a rendu sa décision et a formulé la recommandation suivante :

[Traduction]

[…]

En ce qui concerne l’enfant, le groupe de travail A convient que la DSE 15 prévoit une indemnité de voyage pour réinstallation non soumise à une justification et un envoi net de 300 kg si nécessaire, en fonction du coût du trajet entre la ville de l’administration centrale et le lieu d’affectation.

Étant donné que l’enfant doit être accompagné lors de son voyage, le groupe de travail A recommande que le ministère exerce son pouvoir discrétionnaire de gestion en vertu de l’article 15.42 de la DSE 15 pour rembourser le voyage aller-retour du père du lieu d’affectation à l’endroit où se trouve l’enfant, jusqu’à concurrence du coût du voyage aller-retour calculé en fonction du tarif aérien le plus bas disponible entre le lieu d’affectation et la ville de l’administration centrale, ce qui comprend le transport à destination et en provenance de l’aéroport à ces endroits.

[…]

 

[23] Le même jour, la recommandation a été approuvée par Leslie Scanlon, directrice générale, Bureau des DSE, Affaires mondiales Canada, et le fonctionnaire en a été informé.

[24] Le fonctionnaire a déclaré dans son affidavit à quel point tous ces échanges au sujet de l’application de la DSE 41 avaient été éprouvants pour lui et pour son époux. Au moment où ces événements se produisaient, deux de ses collègues du consulat de Guangzhou se sont également rendus dans un autre pays avec leurs époux respectifs pour la naissance d’un enfant. Selon le fonctionnaire, ils ont bénéficié de la couverture prévue dans la DSE 41.

[25] L’enfant est né le 30 décembre 2015. Le fonctionnaire a débuté son congé parental le 4 janvier 2016. Il a déposé deux griefs, un grief relatif à la discrimination et un grief relatif à l’interprétation de la directive, le 28 janvier 2016.

[26] Le 5 juillet 2016, l’employeur a rejeté le grief relatif à l’interprétation de la DSE au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs. L’affaire a été renvoyée au Conseil national mixte en vue de l’audition du grief au dernier palier, qui a eu lieu en septembre 2017. Le Conseil a rejeté le grief le 29 novembre 2017.

[27] Voici le contenu du grief renvoyé à l’arbitrage :

[Traduction]

Je dépose un grief à l’égard du refus d’Affaires mondiales Canada d’autoriser les indemnités prévues à la DSE 41 à la suite de la naissance par maternité de substitution de l’enfant naturel de mon mari et de mon fils adoptif, également ma personne à charge, Oscar Zhu Moniz. Sont notamment visés :

1. les frais de voyage pour me rendre à Indianapolis (États-Unis), où l’accouchement de mon fils a eu lieu et où il a reçu des soins médicaux postnatals, et pour en revenir;

2. les frais de subsistance réels et raisonnables depuis l’accouchement jusqu’à l’obtention d’un visa permettant à mon fils de se rendre à Guangzhou (Chine), où je suis actuellement en poste;

3. les frais de voyage depuis et vers Indianapolis (États-Unis) pour que mon mari puisse assister à l’accouchement de notre enfant;

4. les frais de subsistance, pour une durée maximale de cinq jours, de mon époux, Jing Zhu.

Le refus de mon employeur est fondé sur une interprétation rigide, étroite et restrictive de la DSE 41. Par conséquent, mon mari et moi nous voyons refuser le même traitement que celui généralement offert aux couples hétérosexuels qui ont un enfant alors qu’ils sont affectés à l’étranger dans un contexte où les soins médicaux ne répondent pas aux normes canadiennes.

Cette situation est d’autant plus révoltante que nous sommes les seuls des trois couples qui ont eu un enfant à Guangzhou (Chine) au cours des derniers mois à nous voir refuser les indemnités prévues par la DSE 41 pour assister à la naissance de notre enfant et pour couvrir les frais de subsistance en attendant les documents nécessaires (confirmation d’affectation, passeport diplomatique, visa, etc.) pour que notre enfant puisse voyager avec nous à Guangzhou, où je suis affecté.

La décision de mon employeur est un cas flagrant de discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et la situation de famille.

Cette pratique contrevient à la Loi canadienne sur les droits de la personne ainsi qu’à la convention collective du groupe Service extérieur, dont la DSE 41 fait partie intégrante.

 

[28] À titre de réparations, le fonctionnaire a demandé à bénéficier de la couverture visée dans le grief, ainsi que de tout autre avantage prévu dans la DSE qui s’applique à sa situation.

[29] Le grief a été renvoyé au Comité exécutif du Conseil national mixte. Voici le texte de la décision du Comité exécutif :

[Traduction]

[…]

Le Comité exécutif a examiné et approuvé le rapport du Comité des Directives sur le service extérieur, dans lequel il est indiqué que le fonctionnaire a été traité conformément à l’esprit de la Directive sur le service extérieur (DSE) 41. Le Comité a conclu que, dans la mesure où ni le fonctionnaire ni son conjoint présent sur le lieu d’affectation n’avaient besoin de soins médicaux, la DSE 41 ne s’appliquait pas. Le Comité a également pris note du principe d’équivalence selon lequel, dans la mesure du possible, les fonctionnaires en poste à l’étranger ne devraient pas être placés dans une situation plus ou moins favorable que celle dans laquelle ils se trouveraient s’ils étaient en poste au Canada. À ce titre, le Comité a convenu que l’employé avait été traité de la même façon que tout autre employé affecté au Canada ou en poste à l’étranger qui sollicite les services d’une mère porteuse. Le grief est donc rejeté.

[…]

 

[30] En fin de compte, le fonctionnaire et son conjoint n’ont reçu aucune indemnité de l’employeur pour les frais de voyage et d’hébergement qu’ils ont dû engager pour assister à la naissance de leur enfant. Ils sont arrivés à Indianapolis le 31 décembre 2015 et y sont restés jusqu’au début du mois de février 2016 pour permettre à leur fils de recevoir du lait maternel, comme cela avait été recommandé. Ils sont ensuite retournés au Canada et ont attendu d’obtenir un visa pour l’enfant, avant de retourner à Guangzhou à la mi-mai 2016.

[31] Dans son affidavit, le fonctionnaire a déclaré que le refus de l’employeur de lui fournir une couverture au titre de l’article 41.3 des DSE avait constitué une source de frustration, car la seule raison pour laquelle il l’avait demandée était son affectation. Selon lui, s’il avait vécu à Ottawa, il n’aurait formulé aucune demande d’indemnité au titre des dépenses pour les déplacements vers la Chine et depuis ce pays ainsi que pour l’attente des documents nécessaires pour retourner en Chine avec l’enfant.

[32] Dans son affidavit, Mme Taillefer-McLaren a expliqué le point de vue de l’employeur au sujet de la DSE 41 et de son applicabilité à la situation du fonctionnaire.

[33] La DSE 41, intitulée « Déplacement pour soins médicaux », vise à fournir une indemnité aux fonctionnaires lorsque ces derniers ou les personnes à leur charge doivent se déplacer hors du lieu d’affectation pour recevoir un traitement médical.

[34] L’article 41.3 des DSE, intitulé « Accouchement », s’applique expressément à la situation de l’accouchement. L’alinéa 41.3.1a) vise les situations où la fonctionnaire ou la conjointe enceinte doit se déplacer pour recevoir un traitement médical lié à l’accouchement. L’alinéa 41.3.1b) prévoit une aide pour que l’autre parent puisse se déplacer pour assister à la naissance de l’enfant dans la situation visée à l’alinéa 41.3.1a).

[35] Selon l’employeur, puisque ni le fonctionnaire ni son conjoint n’accouchaient, l’alinéa 41.3.1a) ne pouvait pas s’appliquer et, par conséquent, l’alinéa 41.3.1b) non plus. C’est la conclusion à laquelle est arrivé le groupe de travail B. Il a renvoyé le dossier au groupe de travail A pour s’assurer que la situation soit examinée en profondeur. Le groupe de travail B était d’avis que d’autres dispositions des DSE s’appliqueraient mieux à la situation.

[36] L’article 56.11 de la DSE 56, intitulé « Indemnité spéciale de poste », est une indemnité non soumise à une justification conçue pour aider un fonctionnaire à se déplacer hors d’un lieu d’affectation. Au cours de la période allant du 1er juin 2015 au 31 mai 2016, le fonctionnaire a reçu 7 623 $ pour se déplacer depuis son lieu d’affectation, à Guangzhou, et, en vertu de l’article 50.3 de la DSE 50, son époux aussi.

[37] Le groupe de travail A a également recommandé qu’une indemnité de déplacement non soumise à une justification soit versée pour permettre la réinstallation du nouveau-né de la ville de l’administration centrale du fonctionnaire au lieu d’affectation, ainsi que l’expédition d’un maximum de 300 kg d’effets nécessaires pour le bébé. Le groupe de travail A a également recommandé de rembourser les frais de voyage du père entre le lieu d’affectation et le lieu où se trouvait l’enfant.

[38] Selon l’employeur, dans sa forme actuelle, la DSE 41 ne s’applique pas à une situation de maternité de substitution. D’autres dispositions de la DSE pourraient s’appliquer pour aider le fonctionnaire. L’article 56.2 de la DSE 56, intitulé « Prime de service extérieur », vise à indemniser les fonctionnaires pour le service effectué à l’extérieur du Canada. Au cours de la période allant du 1er avril 2015 au 31 mars 2016, le fonctionnaire a reçu 14 573 $ au titre de cette disposition. En vertu de la DSE 58, intitulée « Indemnité différentielle de poste », qui est une indemnité visant à tenir compte des difficultés liées aux affectations, le fonctionnaire a touché, pour la même période, la somme de 13 236 $.

[39] En 2015 et 2016, le fonctionnaire a touché un montant de 50 678 $ en indemnités au titre des articles 50.3, 56.2, 56.11 et 58 des DSE. Il n’aurait pas touché ce montant s’il était resté à Ottawa.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire

[40] Le fonctionnaire fait valoir deux arguments principaux. D’une part, l’indemnité prévue dans la DSE 41 a été refusée en raison de l’interprétation erronée et trop étroite de cette directive par l’employeur et, d’autre part, le refus d’accorder l’indemnité était discriminatoire.

[41] Le fonctionnaire soutient que l’interprétation étroite de la DSE 41 par l’employeur ne peut pas être retenue. Selon lui, l’objet de l’article 41.3 des DSE [traduction] « […] est clairement de veiller à ce que les parents reçoivent une aide financière pour leurs frais de déplacement et de subsistance lorsque leur enfant ne peut pas être mis au monde au lieu d’affectation à l’étranger où l’un des parents travaille ». L’application de l’article 41.3 ne devrait pas se limiter aux circonstances dans lesquelles la mère biologique de l’enfant se déplace hors du lieu d’affectation.

[42] Voici les dispositions pertinentes :

[…]

41.1 Application

[…]

41.1.3 Lorsque l’administrateur général s’est assuré qu’il est impossible de trouver sur place les installations ou les services de santé convenables qui sont nécessaires, ou que le coût du traitement dépasse les frais de déplacement, le coût du traitement et des frais de subsistance à la plus proche localité acceptable, ou à toute autre localité acceptable, ou encore au Canada, il peut autoriser :

a) le fonctionnaire à prendre un congé de déplacement,

b) le paiement des frais réels et raisonnables de déplacement, y compris le tarif aérien le plus économique, compte tenu de la circonstance particulière et(ou) de l’itinéraire qui pourraient comprendre l’application d’une norme plus élevée pour les déplacements, pendant le temps de déplacement pour un fonctionnaire ou une personne à charge et(ou) pour un jeune enfant obligé d’accompagner un des parents lors d’un déplacement pour soins médicaux et, si le besoin en est attesté par un médecin qualifié, pour la personne qui accompagne le ou la malade, entre le lieu où habite le fonctionnaire ou la personne à sa charge et l’endroit le plus proche jugé convenable par l’administrateur général; ou, si le fonctionnaire en fait la demande, le paiement de frais de déplacement jusqu’au Canada ou une autre localité convenable où sont assurés les soins médicaux voulus, à un coût qui justifie cette mesure, selon ce que détermine l’administrateur général […]

[…]

41.3 Accouchement

41.3.1 Pour un accouchement, lorsque le paiement des frais réels et raisonnables de déplacement est autorisé en vertu du paragraphe 41.1.3 pour le fonctionnaire et(ou) une personne à sa charge qui se rend dans le centre convenable le plus proche ou, lorsque l’administrateur général juge que cela est plus économique et que le fonctionnaire en fait la demande, au Canada ou dans tout autre centre convenable où l’accouchement pourrait avoir lieu, l’administrateur général peut également approuver :

a) le paiement des frais réels et raisonnables de subsistance avant et après l’accouchement, lorsque :

(i) les formalités de visa ou autres formalités de rentrée retardent son retour au poste; et(ou)

(ii) le transporteur public que l’administrateur général a autorisé comme étant le moyen de transport le plus convenable et le plus approprié demande que le déplacement s’effectue avant la date prévue pour l’accouchement; et(ou)

(iii) Santé Canada juge que cela est nécessaire pour des raisons d’ordre médical;

b) le paiement des frais de déplacement et de subsistance de l’époux ou du conjoint de fait, assujetti à la DSE 70 – Obligation de faire rapport et vérification des indemnités, pour une période maximale de cinq jours, conformément au paragraphe 41.1.3, afin de lui permettre d’assister à la naissance de son enfant.

[…]

 

[43] Le fonctionnaire soutient que la DSE 41 doit être interprétée de manière à permettre une couverture dans les cas de maternité de substitution. L’article 41.3 des DSE ouvre droit au versement d’une indemnité lorsqu’un fonctionnaire ou une personne à charge doit se rendre dans un autre pays pour accoucher d’un enfant. La condition préalable veut que l’administrateur général soit convaincu que les installations médicales nécessaires et convenables ne sont pas disponibles sur place. L’article 41.3 des DSE prévoit également une couverture supplémentaire si le fonctionnaire ou une personne à charge doit attendre un visa pour retourner au lieu d’affectation.

[44] L’interprétation de l’employeur limite le champ d’application de l’article 41.3 des DSE aux cas où une conjointe reçoit l’autorisation de se déplacer pour accoucher personnellement. Cette interprétation, selon le fonctionnaire, est contraire aux principes applicables à l’interprétation des DSE et empêche une lecture des dispositions pertinentes en harmonie avec l’ensemble de la convention collective, notamment la disposition relative à la non-discrimination.

[45] Le fonctionnaire concède que l’article 41.3 des DSE, qui traite de l’accouchement, s’inscrit dans le cadre du paragraphe 41.1.3, ce qui a pour effet d’établir un lien entre la couverture et les déplacements pour soins médicaux. En d’autres termes, ce ne sont pas toutes les situations d’accouchement qui entrent dans le champ d’application de l’article 41.3 des DSE. Le fonctionnaire soutient que les avantages prévus au paragraphe 41.1.3 et à l’article 41.3 devraient être accordés si les conditions suivantes sont remplies :

[Traduction]

[…]

a) les deux parents résident ensemble au lieu d’affectation;

b) l’accouchement au lieu d’affectation n’est pas possible parce que « les normes de soins médicaux et le niveau des installations de traitement ou des services spécialisés sont inadaptés lorsqu’on les compare à ceux qui sont offerts au Canada ».

[…]

 

[46] Le fonctionnaire soutient que les deux conditions étaient remplies dans son cas : il résidait avec son mari au lieu d’affectation, et Santé Canada avait déclaré que les fonctionnaires d’Affaires mondiales Canada ne devaient pas accoucher à Guangzhou.

[47] Pour interpréter la DSE 41, il faut commencer par se pencher sur son intention. De par leur nature, les DSE ne peuvent pas traiter spécifiquement de toutes les situations qui peuvent survenir; par conséquent, il faut, comme il est énoncé dans l’introduction des DSE, tenir compte de leur champ d’application prévu :

[…]

Afin de réaliser les objectifs des directives, on continuera de prendre en considération les situations éventuelles qui n’y sont pas expressément traitées, mais qui cadrent avec l’esprit des principes fondamentaux décrits ci-dessus ou expliqués dans l’introduction de l’une ou l’autre directive.

[…]

 

[48] Le fonctionnaire fait remarquer que l’article 41.3 des DSE ne tient tout simplement pas compte de la maternité de substitution dans le contexte d’un couple homosexuel de sexe masculin. Il soutient que cette exclusion n’est pas voulue, mais qu’il s’agit plutôt d’une lacune qui s’est produite lors de la rédaction de la directive. L’article 41.3 vise les couples qui doivent se déplacer hors de leur lieu d’affectation pour un accouchement parce que les installations médicales sont inadaptées et, dans le cas du fonctionnaire, lorsque lui et son conjoint ne peuvent pas être parents d’un enfant aux termes de la loi.

[49] L’un des principes dont il est question dans l’introduction des DSE est celui de l’équivalence, défini comme suit : « L’équivalence – dans la mesure du possible et du pratique, les fonctionnaires en service à l’étranger ne devraient être ni plus ni moins favorisés que s’ils travaillaient au Canada. »

[50] Le fonctionnaire soutient que si lui et son conjoint s’étaient trouvés au Canada au moment de l’accouchement, peu importe que la maternité de substitution ait eu lieu au Canada ou aux États-Unis, les frais de déplacement et de subsistance auraient été minimes. Cependant, le fait d’être à Guangzhou les contraignait à avoir un enfant loin du lieu d’affectation, conformément à l’avis émis par Santé Canada et en raison des complications juridiques pour un couple de même sexe en Chine.

[51] Voyager pour assister à la naissance de leur enfant dans un pays doté d’installations médicales adéquates qui les reconnaîtraient comme les parents légaux a coûté au fonctionnaire environ 21 000 $, ce qui n’aurait pas été le cas s’il avait été au Canada. C’est précisément l’objet des DSE : veiller à ce que les fonctionnaires ne soient pas placés dans une situation moins favorable au lieu d’affectation qu’au Canada.

[52] La conclusion de l’employeur selon laquelle l’article 41.3 des DSE exige que la couverture soit accordée à la mère biologique pour qu’un avantage soit accordé ne tient pas compte du fait que pour que des partenaires masculins aient un enfant biologiquement apparenté, la naissance doit se faire par l’entremise d’une mère porteuse. En d’autres termes, cette condition préalable empêche les couples homosexuels masculins de bénéficier de la couverture.

[53] Cela est contraire aux principes des droits de la personne qui sont intégrés aux conventions collectives, à la fois en raison de la présence d’une disposition expresse de non-discrimination et du principe dicté par la Cour suprême du Canada selon lequel il faut toujours tenir compte de la législation sur les droits de la personne lorsqu’on interprète les conventions collectives (voir Parry Sound (District), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42, au par. 23).

[54] En outre, le fonctionnaire soutient que si l’interprétation de la DSE 41 par l’employeur est la seule permise à la lumière de son libellé, alors la directive elle-même est discriminatoire pour des motifs d’orientation sexuelle et de situation de famille, en violation de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6; la « LCDP »).

[55] En matière de discrimination, l’analyse se fait en deux étapes. Le plaignant (dans le présent cas, le fonctionnaire) doit établir l’existence d’une preuve prima facie de discrimination, et l’intimé (dans le présent cas, l’employeur) peut répondre en fournissant une explication pour démontrer que ses actes ne sont pas discriminatoires ou en établissant une exception conformément à la LCDP, par exemple, en indiquant qu’il a pris des mesures d’adaptation à l’égard du fonctionnaire qui ont entraîné une contrainte excessive.

[56] À la première étape, le fonctionnaire n’a pas besoin de démontrer que la discrimination était la cause de l’acte de l’employeur; il ne doit pas non plus démontrer que l’employeur avait l’intention d’agir de manière discriminatoire. Il lui suffit de démontrer qu’une caractéristique protégée a été un facteur de l’effet préjudiciable subi par le fonctionnaire.

[57] Le fonctionnaire fait partie d’un groupe protégé en raison de son orientation sexuelle et de sa situation de famille, qui comprend la composition de la famille et l’arrivée d’un enfant né d’une mère porteuse.

[58] Le fonctionnaire a subi un effet préjudiciable en raison du refus d’appliquer l’article 41.3 des DSE à sa situation particulière, parce que ni lui ni son conjoint n’étaient la mère biologique de l’enfant, ce qui était la seule situation envisagée par l’employeur. En d’autres termes, une lacune dans le libellé de la DSE a privé le fonctionnaire des avantages que la DSE prévoit. Il cite un passage d’une décision de la Cour d’appel de l’Ontario (voir A.A. v. B.B., 2007 ONCA 2) qui traite d’une lacune législative (et la comble, en fin de compte) dans le contexte de la reconnaissance de deux femmes comme étant les parents d’un enfant :

[Traduction]

[…]

[34] […] La loi ne traitait pas du statut des parents naturels, mais du statut des enfants. L’objet de la loi était de déclarer que tous les enfants devaient avoir un statut égal. À l’époque, la notion d’égalité de statut consistait à reconnaître l’égalité entre les enfants nés dans le cadre du mariage et ceux nés en dehors du mariage. Le législateur avait à l’esprit les unions traditionnelles entre une mère et un père. Il n’a pas légiféré sur d’autres types de relations parce que ces relations et l’avènement des techniques de reproduction échappaient aux vues de la Commission de réforme du droit et du législateur de l’époque […]

 

[35] Les conditions sociales et les attitudes ont évolué. Les progrès dans notre compréhension de la valeur d’autres types de relations et dans la science des techniques de reproduction ont créé des lacunes dans le régime législatif de la Loi portant réforme du droit de l’enfance de l’Ontario (L.R.O. 1990, chap. C. 12). En raison de ces évolutions, un enfant peut avoir pour parents deux femmes ou deux hommes. Ceux-ci sont les parents de l’enfant au même titre que les parents adoptifs ou les parents « naturels ». Cependant, la Loi portant réforme du droit de l’enfance ne reconnaît pas ces formes de parentalité et, par conséquent, les enfants issus de ces relations sont privés de l’égalité de statut que les déclarations de filiation procurent.

[…]

 

[59] Le fait d’exiger que le fonctionnaire ou son conjoint soit la mère biologique de l’enfant à naître illustre comment la société fait obstacle à la légitimité des couples de même sexe et leurs familles. Le fonctionnaire et son conjoint ne peuvent pas être des mères biologiques, mais ils peuvent être des parents. La maternité de substitution est le principal moyen de reproduction qui leur permet de mettre au monde un enfant. L’effet préjudiciable subi est directement lié à leur orientation sexuelle et à leur situation de famille.

[60] Les DSE en général, et l’article 41.3 en particulier, ont été modifiés pour tenir compte de l’acceptation des partenaires de même sexe (à la suite de décisions du Tribunal canadien des droits de la personne) en remplaçant « mari » par « époux ou conjoint de fait » et, dans le cas de l’article 41.3 des DSE, pour préciser les personnes qui peuvent voyager et assister à la naissance d’un enfant. Toutefois, cette approche formelle de l’égalité ne tenait pas compte des besoins des couples et des familles de même sexe en ce qui concerne les possibilités modernes de procréation.

[61] L’orientation sexuelle et la situation de famille du fonctionnaire ont manifestement été des facteurs qui ont contribué à lui refuser les avantages conférés par l’article 41.3 des DSE. La règle selon laquelle l’une des personnes voyageant pour la naissance d’un enfant doit être la mère biologique excluait de toute évidence le fonctionnaire et son conjoint. Ainsi, il est clair qu’une preuve prima facie de discrimination a été établie.

[62] Selon le fonctionnaire, l’employeur n’a fourni aucune justification permettant de réfuter l’existence de la discrimination.

B. Pour l’employeur

[63] L’employeur soutient que les dispositions de la DSE 41 relatives aux déplacements pour soins médicaux ne s’appliquaient pas au fonctionnaire puisque ni lui ni son conjoint n’avaient à se déplacer hors du lieu d’affectation pour recevoir des soins médicaux. Par ailleurs, l’employeur est d’avis que le fonctionnaire n’a pas satisfait au critère de la preuve prima facie de discrimination, car il n’a pas démontré que l’orientation sexuelle ou la situation de famille étaient des facteurs dans l’effet préjudiciable allégué.

[64] Selon l’employeur, le fonctionnaire a mal interprété l’objet des avantages offerts en vertu de la DSE 41. Il ne s’agit pas de fournir un soutien aux parents, mais plutôt de veiller à ce que les employés et les personnes à leur charge reçoivent des soins médicaux convenables s’ils ne sont pas disponibles au lieu d’affectation. Puisque cette situation n’était pas celle du fonctionnaire, aucun effet préjudiciable n’a été causé. L’article 41.3 des DSE ne s’appliquait pas puisque le fonctionnaire et son époux n’avaient pas besoin de traitement médical; de plus, la mère porteuse n’était pas une personne à charge et n’était donc pas visée par l’article 41.3 des DSE.

[65] L’employeur soutient également que le fonctionnaire a reçu des avantages en vertu d’autres DSE, qui visent à tenir compte des difficultés liées au fait de travailler à l’extérieur du Canada.

[66] Selon l’employeur, deux questions doivent être tranchées : 1) La DSE 41 s’applique-t-elle à la situation du fonctionnaire? 2) L’interprétation et l’application de la DSE 41 par l’employeur sont-elles discriminatoires?

[67] En ce qui concerne la première question, l’employeur soutient que la DSE 41 ne s’applique pas à la situation du fonctionnaire.

[68] Les DSE sont élaborées conjointement par le Conseil du Trésor et les agents négociateurs du secteur public fédéral dans le cadre d’un processus mené par le Conseil national mixte; l’approbation finale revient au Conseil du Trésor. À l’heure actuelle, les DSE ne contiennent aucune disposition relative à la maternité de substitution.

[69] Le but de la DSE 41, tel qu’énoncé dans son introduction, est de « […] permettre au fonctionnaire et aux personnes à sa charge d’avoir accès, au besoin, à des installations et à des services médicaux convenables […] ».

[70] L’employeur invoque Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp, 2014 CSC 53, qui porte sur l’interprétation des contrats, et cite l’extrait suivant de Fehr c. Agence du revenu du Canada, 2017 CRTESPF 17 :

[…]

67 Cette approche plus moderne de l’interprétation des contrats a évolué vers une démarche plus pratique et fondée sur le sens commun et n’est pas axée sur des règles de forme en matière d’interprétation. La question prédominante consiste à discerner l’intention des parties et la portée de leur compréhension. Pour ce faire, le décideur doit interpréter le contrat dans son ensemble, en donnant aux mots le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec les circonstances dont les parties avaient connaissance au moment de la conclusion du contrat.

[…]

 

[71] La DSE 41 a pour objet de permettre aux fonctionnaires et aux personnes à leur charge d’avoir accès à des soins médicaux si ceux qui sont offerts au lieu d’affectation sont inadéquats. L’article 41.3 des DSE s’applique à une fonctionnaire ou à une personne à sa charge qui est enceinte et qui doit se déplacer pour accoucher. À l’article 41.3 des DSE, il est indiqué que l’autre parent peut assister à la naissance de l’enfant.

[72] L’application de l’article 41.3 des DSE est subordonnée à celle du paragraphe 41.1.3 des DSE, qui précise les dépenses qui seront couvertes lorsque « [l]’administrateur général s’est assuré qu’il est impossible de trouver sur place les installations ou les services de santé convenables qui sont nécessaires […] ».

[73] Selon l’employeur, le but de la DSE 41 [traduction] « […] n’est pas d’offrir la possibilité d’avoir des enfants ou d’aider les parents à couvrir les frais de déplacement et de subsistance dans une situation où eux-mêmes n’ont pas besoin de recevoir des soins médicaux hors du lieu d’affectation ».

[74] L’employeur cite le même passage de l’introduction des DSE que le fonctionnaire selon lequel de nouvelles situations peuvent survenir qui ne sont pas expressément abordées, mais il arrive à la conclusion contraire : non seulement la maternité de substitution n’est pas expressément abordée, mais elle ne s’inscrit pas dans l’esprit des DSE. Celles-ci prévoient des indemnités particulières compte tenu du fait que l’affectation à l’étranger peut poser des défis particuliers, et le fonctionnaire a pu s’en prévaloir.

[75] L’employeur soutient que la modification de l’article 41.3 des DSE pour y inclure la maternité de substitution constitue une modification de la convention collective, ce qui n’est pas permis en vertu de l’article 229 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). Il cite l’extrait suivant de Forbes c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2021 CRTESPF 110, à l’appui de son argument :

[…]

[67] La Commission devrait être extrêmement prudente pour ne pas ajouter d’avantages aux conventions que les parties à ces conventions n’ont pas négociés. Le législateur a adopté une telle restriction à l’égard de la défense créative par les parties à l’article 229 de la LRTSPF, qui interdit aux arbitres de grief de rendre des décisions qui modifieraient les modalités d’une convention collective.

[…]

[69] Comme l’a fait remarquer l’employeur, il doit être entendu que les parties à une entente ont choisi les termes précis qui forment leur entente. En l’espèce, les parties n’ont rien indiqué au sujet du coût des certificats médicaux. Les faits présentés, à savoir que les fonctionnaires ont voyagé pour obtenir leurs certificats médicaux, ne rendent en aucun cas les certificats accessoires au voyage.

[…]

 

[76] Quant à la seconde question, celle visant à déterminer si l’interprétation et l’application de la DSE 41 sont discriminatoires, l’employeur affirme que le fonctionnaire n’a pas satisfait au critère de la preuve prima facie de discrimination.

[77] L’employeur ne conteste pas que le fonctionnaire possède des caractéristiques personnelles qui tombent dans le champ d’application des motifs de discrimination illicites énoncés dans la LCDP, à savoir l’orientation sexuelle, la situation de famille voire les deux à la fois. Il conteste l’existence d’un traitement défavorable. Par ailleurs, même si tel est le cas, les caractéristiques protégées du fonctionnaire n’ont pas été des facteurs constitutifs de ce prétendu traitement défavorable.

[78] Il ne peut pas y avoir de traitement défavorable lorsque des avantages sont accordés dans un but qui ne correspond pas à la situation de la personne qui se plaint de discrimination. Selon l’employeur, le fonctionnaire a mal interprété l’intention et l’objet de l’article 41.3 des DSE en affirmant que cet article visait à couvrir les frais de déplacement et de subsistance des parents dont l’enfant ne peut pas être mis au monde au lieu d’affectation de l’employé à l’étranger. La DSE 41 vise plutôt à assurer l’accès à des installations médicales convenables lorsqu’elles ne sont pas disponibles au lieu d’affectation. Elle ne vise pas la maternité de substitution; par conséquent, le fonctionnaire ne s’est pas vu refuser un avantage dont d’autres personnes peuvent se prévaloir.

[79] Par ailleurs, l’orientation sexuelle ou la situation de famille ne peuvent pas être considérées comme des facteurs du traitement défavorable, dans la mesure où aucun employé n’aurait le droit d’être couvert dans un cas de maternité de substitution, indépendamment de son orientation sexuelle ou de sa situation de famille.

[80] Si un cas prima facie de discrimination est établi, le non-octroi d’avantages au titre des frais de déplacement et de subsistance lorsque ni l’employé ni une personne à charge n’est la mère biologique est une exigence professionnelle justifiée.

[81] Selon l’employeur, le libellé de la DSE correspond à une exigence professionnelle justifiée : celle-ci a été établie dans un but rationnellement lié à l’emploi et a été adoptée de bonne foi, et l’employeur ne peut pas prendre de mesures d’adaptation pour les personnes présentant les caractéristiques du fonctionnaire sans subir une contrainte excessive.

[82] L’employeur prétend que l’application de l’article 41.3 des DSE aux situations de maternité de substitution lui causerait une contrainte excessive, dans la mesure où cela changerait fondamentalement la nature de l’avantage; c’est la non-disponibilité de soins médicaux convenables qui le justifie et ce n’est pas ce dont il s’agit dans le présent cas.

[83] L’employeur invoque Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43, à l’appui de la proposition selon laquelle l’employeur n’a pas à modifier fondamentalement les conditions d’emploi pour s’acquitter de son obligation de prendre des mesures d’adaptation. Le fonctionnaire a effectivement bénéficié de mesures d’adaptation raisonnables en recevant une aide financière en vertu de plusieurs DSE.

C. La réponse du fonctionnaire

[84] L’employeur n’a pas appliqué les principes d’interprétation pertinents.

[85] L’interprétation de la DSE 41 faite par l’employeur ne tient pas compte de l’ensemble du texte et du contexte. Ainsi, l’employeur ne tient pas compte de l’alinéa 41.3.1b) des DSE, qui démontre que l’intention n’est pas de voyager pour protéger la santé de la mère enceinte, mais plutôt d’assurer la présence des deux parents à la naissance, lorsque celle-ci n’est pas possible au lieu d’affectation. Cette dernière interprétation couvre la situation du fonctionnaire, car la naissance de son enfant n’a pas pu avoir lieu au lieu d’affectation en raison des lois chinoises et de la qualité des soins médicaux.

[86] En outre, l’employeur affirme à tort que, puisque la maternité de substitution n’est pas expressément mentionnée, les parties ont voulu l’exclure du champ d’application de l’article 41.3 des DSE. Cette affirmation ne tient pas compte de la façon dont les DSE devraient être interprétées selon l’introduction, c’est-à-dire en tenant compte des situations qui ne sont pas expressément traitées dans les DSE.

[87] En d’autres termes, il ne s’agit pas d’étendre les avantages, comme le prétend l’employeur, mais plutôt de faire preuve de souplesse dans l’application des dispositions, comme cela est préconisé.

[88] Dans Jonk c. Conseil du Trésor (Affaires étrangères et Commerce international), dossier de la CRTFP no 166-02-28111 (19980619), [1998] C.R.T.F.P.C. no 54 (QL), une ancienne Commission a appliqué la DSE pertinente même si la situation ne correspondait pas entièrement à la définition, parce qu’elle s’inscrivait dans l’esprit général de la directive.

[89] De la même façon, le fonctionnaire soutient que sa situation s’inscrit dans l’esprit de l’article 41.3 des DSE et que son interprétation est conforme à la convention collective, qui contient notamment une disposition de non-discrimination.

[90] Même dans le cas où l’interprétation de l’employeur serait jugée correcte sur le plan formel, elle devrait être jugée discriminatoire.

[91] L’analyse de l’employeur est fondée sur l’égalité formelle et non sur l’égalité réelle. L’employeur affirme que toutes les situations de maternité de substitution seraient traitées de la même façon et que, par conséquent, le fonctionnaire n’a pas subi d’effet préjudiciable en raison de son orientation sexuelle et de sa situation de famille.

[92] Une telle approche est contraire à celle adoptée par la Cour suprême du Canada depuis Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 RCS 143. Il ne s’agit pas de comparer des groupes en situation similaire, mais plutôt de tenir compte des effets de la politique sur l’individu ou le groupe concerné. L’argument de l’employeur ne tient pas compte du fait que son interprétation a pour effet concret d’exclure les couples homosexuels masculins de la couverture accordée par l’article 41.3 des DSE parce que, pour eux, le fait d’avoir un enfant biologiquement apparenté implique toujours le recours à une mère porteuse. En d’autres termes, les couples homosexuels masculins sont touchés de manière disproportionnée.

[93] Le cas invoqué par l’employeur, soit Toronto (City) v. Toronto Professional Fire Fighters' Association, 2009 CanLII 28639 (ON LA), dans lequel un couple d’hommes s’est vu refuser une couverture pour les traitements de fertilité d’une mère porteuse, diffère nettement du présent cas. Dans le premier, les avantages étaient demandés en faveur de la mère porteuse, qui n’était ni une employée ni une personne à charge. Dans le présent cas, les avantages étaient demandés pour le fonctionnaire et son époux, qui est une personne à charge.

[94] L’argument de l’employeur selon lequel il a agi dans l’esprit de la DSE 41 et donc sans exercer de discrimination est contraire au principe bien établi selon lequel il n’est pas nécessaire que la discrimination soit intentionnelle. Ce sont les répercussions disproportionnées sur un groupe protégé qui sont déterminantes, et non l’intention.

[95] En outre, l’argument de l’employeur selon lequel la discrimination ne peut pas découler de la définition des avantages et de leur but ne peut pas être retenu. L’employeur a défini de façon étroite l’objet de l’article 41.3 des DSE pour ensuite conclure que cet article ne vise pas les naissances par maternité de substitution, et donc les couples homosexuels masculins, ce qui rend l’objet lui-même discriminatoire.

[96] Selon le fonctionnaire, [traduction] « […] l’objet légitime et non discriminatoire de la DES 41 est de couvrir les frais de déplacement hors d’un lieu d’affectation à l’étranger pour assister à la naissance d’un enfant, lorsque l’enfant ne peut pas naître au lieu d’affectation ».

[97] Selon le fonctionnaire, l’employeur n’a pas démontré l’absence de discrimination. L’employeur n’a pas réussi à établir une exigence professionnelle justifiée. Il n’a pas démontré que l’exclusion de la maternité de substitution du champ d’application de l’article 41.3 des DSE était rationnellement liée à l’emploi ou adoptée de bonne foi. Il n’a pas non plus démontré que la prise en compte de la maternité de substitution lui causerait une contrainte excessive. Faire vaguement mention des coûts potentiels ne suffit pas.

IV. Analyse

[98] Les parties ont convenu de scinder l’audience et de traiter la question de la réparation dans une décision ultérieure. Par conséquent, la présente décision ne porte que sur le fond de l’affaire.

[99] La question dont je suis saisie est celle de savoir si le fonctionnaire avait droit, pour la naissance de son enfant, aux avantages prévus dans la DSE 41. Il demande un traitement égal à celui des autres parents dont l’enfant est né ailleurs qu’au lieu d’affectation.

[100] L’analyse comporte deux volets. Le fonctionnaire avait-il droit à la couverture prévue dans la DSE 41? L’interprétation et l’application de la DSE 41 par l’employeur étaient-elles discriminatoires?

[101] Je conclus que la DSE 41 s’applique à la situation du fonctionnaire et qu’il avait droit à la couverture en question. Je conclus également que l’interprétation et l’application de la DSE 41 par l’employeur étaient discriminatoires. Le fonctionnaire a droit aux avantages prévus à l’article 41.3 des DSE.

A. Le fonctionnaire avait-il droit à la couverture prévue dans la DSE 41?

[102] Les DSE font partie intégrante de la convention collective. Il s’agit d’un point important pour deux raisons. Je suis liée par les dispositions de la convention collective et je ne peux pas les modifier (voir l’art. 229 de la Loi), et la convention collective contient une disposition de non-discrimination, qui fait écho à l’article 7 de la LCDP en interdisant la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et la situation de famille.

[103] Aux fins de la présente analyse, il est utile de reproduire les passages pertinents des DSE, notamment un extrait de l’introduction et le texte de l’article 41.3 des DSE, ainsi que le champ d’application général de la DSE 41 :

[…]

Introduction

Les Directives sur le service extérieur sont élaborées conjointement par les agents négociateurs et les employeurs de la fonction publique du Canada participants au Conseil national mixte.

[…]

Afin de réaliser les objectifs des directives, on continuera de prendre en considération les situations éventuelles qui n’y sont pas expressément traitées, mais qui cadrent avec l’esprit des principes fondamentaux décrits ci-dessus ou expliqués dans l’introduction de l’une ou l’autre directive.

[Les principes fondamentaux sont : l’équivalence à la situation de l’employé au Canada, l’encouragement à recruter et à conserver des employés dans le service extérieur, et des dispositions relatives à l’exécution des programmes.]

[…]

DSE 41 – Déplacement pour soins médicaux

Champ d’application

Introduction

Dans certaines localités à l’étranger, les soins médicaux, les installations et les possibilités de traitement ou de recours aux spécialistes ne répondent pas aux normes canadiennes. De plus, le coût des traitements est trop élevé dans plusieurs localités où les installations ou les soins seraient convenables. La présente directive a pour but de permettre au fonctionnaire et aux personnes à sa charge d’avoir accès, au besoin, à des installations et à des services médicaux convenables, et ce, à un coût rentable tel que défini par l’administrateur général.

[…]

41.1.2 L’administrateur général doit déterminer si les installations médicales sont convenables, en demandant l’avis d’un médecin attitré, d’un fonctionnaire de Santé Canada ou de tout autre médecin qualifié. Pour déterminer si un centre de traitement est convenable, il conviendra également de tenir compte des facteurs d’ordre culturel, social et politique.

41.1.3 Lorsque l’administrateur général s’est assuré qu’il est impossible de trouver sur place les installations ou les services de santé convenables qui sont nécessaires, ou que le coût du traitement dépasse les frais de déplacement, le coût du traitement et des frais de subsistance à la plus proche localité acceptable, ou à toute autre localité acceptable, ou encore au Canada, il peut autoriser : [congé de déplacement, frais de déplacement, frais de subsistance].

[…]

41.3 Accouchement

41.3.1 Pour un accouchement, lorsque le paiement des frais réels et raisonnables de déplacement est autorisé en vertu du paragraphe 41.1.3 pour le fonctionnaire et(ou) une personne à sa charge qui se rend dans le centre convenable le plus proche ou, lorsque l’administrateur général juge que cela est plus économique et que le fonctionnaire en fait la demande, au Canada ou dans tout autre centre convenable où l’accouchement pourrait avoir lieu, l’administrateur général peut également approuver :

a) le paiement des frais réels et raisonnables de subsistance avant et après l’accouchement, lorsque :

(i) les formalités de visa ou autres formalités de rentrée retardent son retour au poste; et(ou)

(ii) le transporteur public que l’administrateur général a autorisé comme étant le moyen de transport le plus convenable et le plus approprié demande que le déplacement s’effectue avant la date prévue pour l’accouchement; et(ou)

(iii) Santé Canada juge que cela est nécessaire pour des raisons d’ordre médical;

b) le paiement des frais de déplacement et de subsistance de l’époux ou du conjoint de fait, assujetti à la DSE 70 – Obligation de faire rapport et vérification des indemnités, pour une période maximale de cinq jours, conformément au paragraphe 41.1.3, afin de lui permettre d’assister à la naissance de son enfant.

[…]

 

[104] Les parties s’entendent sur les principes d’interprétation. Une disposition doit être lue dans son contexte global et selon son sens ordinaire, mais en tenant compte de son objectif sous-jacent. Voici un extrait de Brown and Beatty, Canadian Labour Arbitration, 5e édition, au paragraphe 4:20, dans lequel est repris un passage de Imperial Oil Strathcona Refinery v. Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 777 (2004), 130 L.A.C. (4e) 239, p. 252, comme suit : [traduction] « Dans l’interprétation des conventions collectives, le libellé de la convention collective doit être interprété dans son contexte intégral, selon son sens grammatical et ordinaire, en conformité avec l’économie et l’objet de la convention et avec l’intention des parties. »

[105] Les parties divergent quant à l’objectif de l’article 41.3 des DSE. Selon l’employeur, étant donné que l’article 41.3 fait partie de la DSE 41, qui est intitulée « Déplacement pour soins médicaux », celui-ci doit être interprété en tenant compte du fait que l’accouchement aura lieu hors du lieu d’affectation, pour des raisons médicales. De l’avis du fonctionnaire, l’objectif est de couvrir les frais de déplacement et de subsistance pour assister à l’accouchement lorsque celui-ci a lieu hors du lieu d’affectation.

[106] Chaque partie peut justifier son raisonnement. L’employeur soutient que l’article 41.3 des DSE vise les déplacements pour soins médicaux, et que par « Accouchement », on vise la nécessité pour une fonctionnaire ou une personne à charge de donner naissance à un enfant dans des installations médicales convenables.

[107] Le fonctionnaire fait quant à lui remarquer que l’article 41.3 des DSE vise non seulement l’accouchement de la mère, mais aussi la présence de l’autre parent à l’accouchement et les frais de subsistance dans l’attente du visa de l’enfant nouveau-né.

[108] Cependant, comme dans toute interprétation d’une entente, les mots doivent être considérés dans leur contexte. L’article 41.3 des DSE, qui est intitulé « Accouchement », fait effectivement partie intégrante de la DSE 41, qui est intitulée « Déplacement pour soins médicaux ». Cependant, le terme « soins médicaux » n’est pas défini dans la directive.

[109] L’objet de la DSE 41 est énoncé dans son introduction : « La présente directive a pour but de permettre au fonctionnaire et aux personnes à sa charge d’avoir accès, au besoin, à des installations et à des services médicaux convenables, et ce, à un coût rentable tel que défini par l’administrateur général. »

[110] L’accès à des installations médicales nécessaires et convenables ne limite pas en soi le champ d’application de la DSE 41 à la situation d’un fonctionnaire ou d’une personne à sa charge qui reçoit directement des soins médicaux; ces personnes devraient plutôt avoir accès à des installations et à des services de soins médicaux nécessaires et convenables.

[111] Au paragraphe 41.1.2 des DSE, il est précisé que c’est l’administrateur général qui détermine si les installations et les centres de traitement sont convenables. Le caractère convenable des installations est déterminé, entre autres, en fonction de l’avis de Santé Canada. Le paragraphe 41.1.2 précise en outre que l’évaluation du caractère convenable des centres de traitement doit « […] également […] tenir compte des facteurs d’ordre culturel, social et politique ». Le terme « services », tout comme celui de « soins médicaux », n’est pas défini dans la directive et l’évaluation du caractère convenable des « services » de soins médicaux n’est pas abordée au paragraphe 41.1.2 des DSE.

[112] Aux termes du paragraphe 41.1.3 des DSE, « [l]orsque l’administrateur général s’est assuré qu’il est impossible de trouver sur place les installations ou les services de santé convenables qui sont nécessaires […] », un congé de déplacement, des indemnités pour frais de déplacement, frais de subsistance et d’autres paiements peuvent être approuvés. La naissance du fils du fonctionnaire a eu lieu à l’extérieur de la Chine parce qu’il était impossible d’avoir accès à des installations médicales convenables en Chine. Il n’a pas été contesté que Santé Canada avait déterminé qu’il n’était pas convenable d’accoucher en Chine. Par ailleurs, rien n’indique que l’employeur ait tenu compte de l’accès du fonctionnaire à des services médicaux convenables pour la mère porteuse en Chine, y compris des facteurs culturels, sociaux et politiques. Encore une fois, il n’a pas été contesté que la loi chinoise ne reconnaît pas aux couples de même sexe le statut de parents d’un enfant né d’une mère porteuse. Selon l’employeur, la DSE 41 ne s’appliquait pas au fonctionnaire parce que ni lui ni son conjoint n’avaient besoin de recevoir des soins médicaux. Rien dans le libellé de la DSE 41, ni dans les paragraphes 41.1.2 et 41.1.3, ne permet d’étayer cette interprétation ou de justifier pourquoi les frais de déplacement réels et raisonnables du fonctionnaire ne devraient pas être couverts au titre du paragraphe 41.1.3.

[113] L’article 41.3 des DSE, intitulé « Accouchement », vise la naissance d’un enfant et se fonde sur l’autorisation du paiement des frais de déplacement en vertu du paragraphe 41.1.3 des DSE. Lorsqu’un tel paiement a été autorisé, l’administrateur général peut également approuver les frais de subsistance avant et après l’accouchement, y compris lorsque le visa ou d’autres formalités de rentrée retardent le retour au lieu d’affectation (al. 41.3.1a) des DSE). L’administrateur général peut également approuver une indemnité pour les frais de déplacement et de subsistance afin de permettre au conjoint d’être présent à la naissance de l’enfant (al. 41.3.1b) des DSE). Encore une fois, l’employeur affirme que la DSE 41 ne s’appliquait pas à la situation du fonctionnaire parce que ni lui ni son conjoint n’avaient besoin de recevoir des soins médicaux. Toutefois, il est difficile de concilier cette interprétation dans la mesure où l’article 41.3 des DSE ne porte pas strictement sur les soins médicaux. L’article prévoit également des avantages pour aider les parents d’un nouveau-né. Le voyage et l’hébergement en vue de permettre à l’autre parent d’assister à l’accouchement sont visés. Il n’est pas question des soins médicaux, mais plutôt d’assurer un bon départ dans la vie de parent. L’article vise également à couvrir les frais d’hébergement et de déplacement dans l’attente du visa du nouveau-né. Là encore, il n’est pas question des soins médicaux, mais plutôt de la responsabilité parentale à l’égard d’un enfant qui se trouve à l’étape de sa vie où il est le plus vulnérable.

[114] En outre, malgré l’argument de l’employeur, il n’existe aucune formulation spécifique limitant l’application de l’alinéa 41.3.1a) des DSE aux situations dans lesquelles la fonctionnaire est enceinte ou le fonctionnaire a une épouse enceinte, ou limitant l’application de l’alinéa 41.3.1b) aux situations dans lesquelles la personne qui accouche est soit une employée, soit une personne à charge.

[115] Dans le cas du fonctionnaire, c’est d’un accouchement qu’il s’agissait; il devait donc avoir accès à des installations et à des services médicaux convenables. Par conséquent, rien ne justifie que les frais de déplacement réels et raisonnables du fonctionnaire ne soient pas couverts en vertu du paragraphe 41.1.3 des DSE. Rien non plus dans le libellé de l’article 41.3 des DSE ne justifie le refus de l’employeur de couvrir les frais en vertu des alinéas 41.3.1a) et b) des DSE.

[116] En d’autres termes, l’article 41.3 des DSE s’appliquait au fonctionnaire et à son conjoint à titre de parents d’un nouveau-né devant assister à la naissance de ce dernier et assumer l’entière responsabilité de son bien-être.

[117] L’employeur affirme que, puisque la maternité de substitution n’est pas expressément mentionnée, les parties ont voulu l’exclure du champ d’application de l’article 41.3 des DSE. Cette position est contraire à l’interprétation qu’il convient de faire des DSE, conformément à l’introduction de ces dernières : « […] on continuera de prendre en considération les situations éventuelles qui n’y sont pas expressément traitées, mais qui cadrent avec l’esprit des principes fondamentaux […] »; parmi ces principes figure l’équivalence.

[118] L’équivalence signifie que l’application des DSE ne devrait pas placer le fonctionnaire dans une situation plus favorable ou moins favorable que celle dans laquelle il se serait trouvé s’il était demeuré au Canada. Selon l’employeur, le fait de faire droit à la demande d’indemnité pour frais de déplacement en raison d’une maternité de substitution placerait le fonctionnaire dans une situation plus favorable que s’il avait eu accès à une maternité de substitution dans l’Indiana pendant qu’il était en poste au Canada.

[119] L’argument porte essentiellement sur une petite partie des frais de déplacement réclamés, soit pour le trajet effectué entre Ottawa et Indianapolis. Bien que la DSE 41 accorde aux administrateurs généraux le pouvoir discrétionnaire de déterminer si des installations et des services plus économiques peuvent être disponibles à un autre endroit convenable ou au Canada, cela ne change rien au fait que les services d’accouchement et de maternité de substitution n’étaient pas disponibles pour le fonctionnaire en Chine. Il a dû se déplacer pour avoir accès aux installations et services nécessaires et convenables. Le fait de refuser complètement la couverture en vertu de la DSE 41 en raison de la maternité de substitution place le fonctionnaire dans une situation moins favorable que s’il était resté au Canada.

B. L’interprétation de la DSE 41 par l’employeur était-elle discriminatoire?

[120] La discrimination est depuis longtemps une réalité malheureuse à laquelle sont confrontés les couples de même sexe, et ce n’est que récemment que le mariage et la parentalité leur ont été ouverts. Il y a quelque chose de déchirant dans le sentiment du fonctionnaire que, d’une manière ou d’une autre, son expérience parentale est traitée différemment de celle de ses collègues hétérosexuels.

[121] Dans le cadre de l’analyse visant à vérifier l’existence d’une discrimination, comme les deux parties l’ont déclaré à juste titre, il convient d’abord de déterminer s’il existe une preuve prima facie de discrimination. À ces deux égards, le critère pertinent est énoncé succinctement dans Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, comme suit :

[…]

[33] Comme l’a à juste titre reconnu le Tribunal, pour établir à première vue l’existence de discrimination, les plaignants doivent démontrer qu’ils possèdent une caractéristique protégée par le Code contre la discrimination, qu’ils ont subi un effet préjudiciable relativement au service concerné et que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable. Une fois la discrimination établie à première vue, l’intimé a alors le fardeau de justifier la conduite ou la pratique suivant le régime d’exemptions prévu par les lois sur les droits de la personne. Si la conduite ou pratique ne peut être justifiée, le tribunal conclura à l’existence de la discrimination.

[…]

 

[122] Moore portait sur la discrimination dans le système d’éducation provincial de la Colombie-Britannique, et la loi applicable était le Human Rights Code (RSBC 1996, c. 210, s. 8) de cette province. Dans le présent cas, les caractéristiques protégées se trouvent dans la convention collective et, comme suit, au paragraphe 3(1) de la LCDP, qui s’applique au secteur public fédéral :

(1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre, l’état matrimonial, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, l’état de personne graciée ou la déficience.

 

[123] À l’article 3.1 de la LCDP, il est indiqué que « […] les actes discriminatoires comprennent les actes fondés sur un ou plusieurs motifs de distinction illicite ou l’effet combiné de plusieurs motifs ». Le fonctionnaire fait partie d’un couple d’hommes qui a décidé de fonder une famille par l’intermédiaire d’une mère porteuse. Ni le fonctionnaire ni son époux ne pouvaient mettre au monde un enfant et la maternité de substitution était le principal moyen de procréation qui leur permettait de le faire. Par conséquent, j’estime que le fonctionnaire présente une combinaison de caractéristiques protégées contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et la situation de famille.

[124] Le fonctionnaire soutient qu’il a subi un effet préjudiciable parce qu’on lui a refusé des avantages octroyés à d’autres couples qui ont eu un enfant hors de leur lieu d’affectation. L’employeur soutient qu’il n’y a pas eu de refus d’accorder des avantages, puisque ces avantages n’étaient pas ouverts au fonctionnaire ou à son conjoint et que, de toute façon, le fonctionnaire recevait des avantages au titre d’autres DSE.

[125] L’employeur invoque à cet égard Toronto (City), une affaire dans laquelle un couple d’hommes s’est vu refuser une couverture pour un traitement de fertilité qui était nécessaire en vue d’une maternité de substitution. La couverture était censée viser les coûts encourus par un employé ou une personne à sa charge, et non les coûts encourus par des tiers qui, dans ce cas, étaient la mère porteuse et la donneuse d’ovules. L’arbitre a jugé qu’il ne s’agissait pas de discrimination puisque le régime couvrait les employés et leurs personnes à charge, et non les tiers.

[126] Le raisonnement de l’employeur est le même : le fonctionnaire ne peut pas prétendre avoir subi un effet préjudiciable puisque, de toute façon, il n’est pas visé par l’article 41.3 des DSE.

[127] Ce raisonnement est remarquable par son caractère circulaire. Puisque l’avantage n’est pas offert, le fonctionnaire ne peut pas prétendre y avoir droit ou dire que le refus a eu un effet préjudiciable sur lui. Pourtant, c’est précisément l’objet du grief : se voir refuser des avantages équivalents à ceux offerts aux autres employés dont l’enfant est né hors du lieu d’affectation. Le fonctionnaire demande une indemnisation pour ses frais de déplacement et de subsistance et ceux de son conjoint en vertu de la directive, et non pour la mère porteuse, comme c’était le cas dans Toronto (City).

[128] Je ne peux que conclure que le fonctionnaire a subi un préjudice en se voyant refuser ces avantages. J’ai déjà conclu que l’interprétation et l’application de la DSE 41 par l’employeur, qui a refusé la couverture au fonctionnaire, ne sont pas étayées par le libellé et le contexte de la directive. Ce refus a eu pour conséquence de priver le fonctionnaire et son conjoint de l’indemnisation des frais de déplacement et de subsistance liés à la naissance de leur enfant. Les avantages que le fonctionnaire a reçus au titre d’autres DSE lui auraient été accordés indépendamment de la naissance de son enfant; il n’a donc pas été indemnisé pour cette naissance.

[129] La troisième étape est déterminante pour l’analyse visant à vérifier l’existence d’une preuve prima facie de discrimination. L’orientation sexuelle et la situation de famille du fonctionnaire sont-elles entrées en ligne de compte dans le refus?

[130] Comme je l’ai indiqué précédemment, la DSE 41 confère à l’employeur un large pouvoir discrétionnaire en ce qui a trait à la couverture au titre des déplacements pour soins médicaux. Toutefois, rien dans le libellé de la DSE 41 n’appuie la position de l’employeur selon laquelle la maternité de substitution n’est pas visée. Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, l’employeur n’a pas tenu compte des éléments de la DSE 41 qui étaient pertinents à la situation du fonctionnaire, tels que les facteurs culturels, sociaux et politiques qui ont fait en sorte que la maternité de substitution en Chine était impossible pour le fonctionnaire et son époux. Dans son interprétation, l’employeur a intégré des conditions qui ne figurent pas dans le libellé de l’article 41.3 des DSE, notamment le fait que la couverture ne peut être offerte qu’à une fonctionnaire qui est enceinte ou à un fonctionnaire dont la conjointe est enceinte. Ce faisant, l’employeur a exclu le fonctionnaire de l’application de la DSE 41. Ses caractéristiques protégées ont été des facteurs dans cette exclusion, car dans le cas de ce couple d’hommes, ni le fonctionnaire ni son conjoint ne pouvaient tomber enceinte, et pour qu’ils puissent fonder une famille et avoir un enfant biologiquement apparenté, il fallait nécessairement avoir recours à une mère porteuse.

[131] Je conclus à l’existence d’une preuve prima facie de discrimination.

[132] L’employeur nie l’existence d’une preuve prima facie de discrimination. Même si tel était le cas, la DSE 41 et l’absence de droit aux avantages pour les frais de déplacement et de subsistance liés à l’accouchement lorsqu’un employé ou une personne à charge ne porte pas l’enfant constituent une exigence professionnelle justifiée.

[133] À l’alinéa 15(1)a) de la LCDP, il est précisé que ne constituent pas des actes discriminatoires « les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées […] ».

[134] Ensuite, au paragraphe 15(2) de la LCDP, il est précisé que, pour qu’un acte mentionné à l’alinéa 15(1)a) soit considéré comme étant motivé par une exigence professionnelle justifiée, il doit être établi que la satisfaction des besoins d’un individu ou d’une catégorie d’individus concernés imposerait une contrainte excessive à la personne qui devrait satisfaire à ces besoins, en matière de santé, de sécurité et de coûts.

[135] Dans Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3 (« Meiorin »), la Cour suprême du Canada a défini le contenu de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation incombant à l’employeur et l’analyse permettant d’évaluer les efforts déployés par l’employeur.

[136] Pour établir l’existence d’une exigence professionnelle justifiée, l’employeur doit prouver :

[…]

1) que l’employeur a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause;

2) que l’employeur a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail;

3) que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail. Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, il faut démontrer qu’il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l’employeur subisse une contrainte excessive.

[Meiorin, au par. 54]

 

[137] L’employeur soutient que la DSE 41 présente un lien rationnel avec l’objectif de l’employeur de veiller à ce que la directive s’applique aux fonctionnaires ou aux personnes à charge qui ont besoin de recevoir des soins médicaux lorsqu’il est jugé que les normes en vigueur au lieu d’affectation ne correspondent pas aux normes canadiennes, ou lorsque le coût du traitement au lieu d’affectation serait excessif. De même, l’employeur soutient que la DSE 41 a été adoptée de bonne foi, étant donné que les DSE sont élaborées conjointement par l’employeur et les agents négociateurs par l’entremise du Conseil national mixte.

[138] Selon moi, l’employeur a établi que la DSE 41 sert un objectif rationnellement lié à l’exécution des fonctions liées au service extérieur, à savoir donner accès aux installations et aux services médicaux convenables aux employés et aux personnes à leur charge, et que la DSE 41 a été adoptée de bonne foi pour atteindre cet objectif. Cependant, rien n’a été fait pour tenir compte de la situation particulière du fonctionnaire.

[139] L’employeur soutient qu’il subirait une contrainte excessive s’il devait prendre des mesures d’adaptation à l’égard du fonctionnaire en faisant en sorte que la DSE 41 s’applique aux situations de maternité de substitution. Si les fonctionnaires en poste à l’étranger et les personnes à leur charge bénéficiaient d’une couverture pour les frais de déplacement et de subsistance dans des situations telles que la maternité de substitution, lorsqu’ils n’ont pas eux-mêmes besoin de recevoir des soins médicaux, l’objet et la raison d’être de la DSE 41 seraient minés et la question du caractère convenable des soins médicaux au lieu d’affectation serait vidée de son sens. La nature de l’avantage s’en trouverait fondamentalement modifiée. Une des conséquences plus importantes est l’absence de toute base de distinction entre la naissance par une mère porteuse et tout autre moyen de formation d’une famille, comme l’adoption. Dans l’ensemble, selon l’employeur, le coût opérationnel serait excessif.

[140] Il est difficile de concilier la position de l’employeur avec le libellé de la DSE 41. J’ai constaté que cette directive s’appliquait à la situation du fonctionnaire et qu’elle conférait un large pouvoir discrétionnaire, conformément au principe selon lequel il peut survenir des situations qui ne sont pas expressément visées par les DSE. Une telle interprétation ne constitue pas non plus une modification fondamentale de la DSE 41, comme l’a laissé entendre l’employeur. L’interprétation de la DSE 41 dans le présent cas repose toujours sur le caractère convenable des installations et des services médicaux disponibles au lieu d’affectation.

[141] Par ailleurs, l’employeur n’a fourni aucun renseignement sur les coûts opérationnels, et je suis d’accord avec le fonctionnaire pour dire que l’employeur ne s’est tout simplement pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer l’existence d’une contrainte excessive. Il n’est pas contesté que les employés affectés à des postes à l’étranger sont ou voudront devenir parents et que certains d’entre eux auront des enfants pendant leur affectation à l’étranger. Cela fait partie de l’objet et de la raison d’être de l’article 41.3 des DSE; de façon plus générale, les DSE renferment le principe de l’« encouragement » pour recruter et conserver les fonctionnaires dans le service extérieur. Si l’employeur est prêt à assumer les frais de déplacement liés à la naissance, il devient difficile de justifier pourquoi un type de naissance (par la mère biologique) offre des avantages et l’autre (par une mère porteuse) n’en offre pas, d’autant plus si un groupe protégé ne peut pas envisager d’avoir un enfant sans avoir recours à une mère porteuse. En l’absence d’explication, il est aussi difficile de comprendre en quoi cela entraînera une augmentation injustifiée des coûts.

[142] L’employeur a fait valoir qu’il avait pris des mesures d’adaptation en accordant d’autres types d’indemnités au fonctionnaire. Les mesures d’adaptation doivent être raisonnables; elles n’ont pas à être parfaites.

[143] Selon moi, le fait que l’employeur ait pu offrir de l’aide au titre d’autres DSE n’a aucune incidence sur l’analyse d’une contrainte excessive dans le présent cas, qui est fondé spécifiquement sur la DSE 41. En fin de compte, le fonctionnaire et son conjoint n’ont reçu aucune indemnité de l’employeur pour les frais de déplacement et d’hébergement engagés pour assister à la naissance de leur enfant.

[144] J’estime que le fonctionnaire a subi un traitement défavorable, compte tenu de la différence entre le traitement réservé à un couple dont la mère accouche et qui peut tout simplement demander les avantages offerts par l’article 41.3 des DSE et, comme dans le présent cas, le traitement réservé à un couple d’hommes qui ont un enfant par l’entremise d’une mère porteuse. L’orientation sexuelle et la situation de famille constituent des facteurs de ce traitement défavorable et de l’interprétation de la DSE 41 par l’employeur. L’employeur n’a pas établi que son interprétation de la DSE 41 était fondée sur une exigence professionnelle justifiée. Par conséquent, je conclus que l’interprétation de la DSE 41 par l’employeur est discriminatoire.

V. Conclusion

[145] De toute évidence, il faut reconnaître que la situation de maternité de substitution est nouvelle. Toutefois, il est précisé dans les DSE que l’interprétation de celles-ci devrait permettre de tenir compte des situations qui n’y sont pas expressément traitées, à la lumière de leurs principes directeurs, notamment celui de l’équivalence. Dans le contexte de la DSE 41, la maternité de substitution est bel et bien une situation de ce type.

[146] Je conclus que l’interprétation donnée à la DSE 41 dans la situation du fonctionnaire constitue une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et la situation de famille. Elle a un effet préjudiciable sur le fonctionnaire et son conjoint, qui forment un couple homosexuel masculin et qui ont choisi d’avoir un enfant biologiquement apparenté en recourant à la maternité de substitution.

[147] La naissance de leur enfant aurait dû être pour le fonctionnaire et son époux une source de joie et non une préoccupation financière injustifiée.

[148] Je laisse aux parties le soin de décider de la réparation appropriée ou de demander l’aide de la Commission si elles ne parviennent pas à s’entendre.

[149] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[150] Le grief est accueilli.

[151] Le fonctionnaire a droit à la couverture prévue dans la DSE 41.

[152] L’interprétation de la DSE 41 par l’employeur est discriminatoire.

[153] Dans l’éventualité où les parties ne peuvent pas s’entendre sur une réparation, la Commission demeure saisie pour en décider. Dans les 90 jours suivant la réception de la présente décision, les parties doivent aviser la Commission par écrit que l’aide de la Commission est requise pour trancher cette question.

Le 18 août 2023.

Traduction de la CRTESPF

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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