Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé, un gestionnaire correctionnel, a déposé un grief contre une réprimande écrite et la procédure disciplinaire qui a donné lieu à sa délivrance – l’administrateur général s’est opposé à la compétence de la Commission, en soutenant que la mesure disciplinaire n’avait pas entraîné un licenciement, une rétrogradation, une suspension ou une sanction pécuniaire – le fonctionnaire s’estimant lésé a fait valoir qu’il avait subi une sanction pécuniaire parce que la réprimande avait affecté sa capacité de demander des promotions et d’accroître son revenu – la Commission a conclu qu’elle n’avait pas compétence sur une réprimande écrite – le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait mentionné aucune perte financière au cours de la procédure de règlement des griefs – en l’absence de compétence sur la réprimande écrite, la Commission a conclu que les allégations du fonctionnaire s’estimant lésé concernant la procédure disciplinaire ne pouvaient être tranchées en tant que questions autonomes.

Objection quant à la compétence accueillie.
Grief rejeté.

Contenu de la décision

Date: 20230911

Dossier: 566‑02‑46907

 

Référence: 2023 CRTESPF 82

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

Entre

 

Jason Steele

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

administrateur général

(Service correctionnel du Canada)

 

défendeur

Répertorié

Steele c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Patricia H. Harewood, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Lui‑même

Pour le défendeur : Lisa Lawlor, conseillère principale des Relations de travail ministérielles

 

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 28 mars, les 12 et 27 avril et les 15, 22 et 27 juin 2023.
(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1] Jason Steele, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), travaille en tant que gestionnaire correctionnel à l’Établissement Joyceville du Service correctionnel du Canada (le « défendeur »), à Kingston, en Ontario, où il supervise les agents correctionnels. Il a déposé un grief le 10 juin 2022 après que le défendeur lui a remis une lettre écrite de réprimande pour son refus de se conformer, comme il est déclaré dans celle‑ci, à [traduction] « un ordre d’un supérieur ».

[2] Voici l’essentiel du grief, tiré du formulaire de grief :

[Traduction]

Je, Jason Steele, dépose un grief contre le fait que, le 30 mai 2022, j’ai fait l’objet d’une mesure disciplinaire sans procédure en bonne et due forme. L’employeur a enfreint la politique et les procédures établies par le SCC concernant la procédure disciplinaire et a choisi volontairement de ne pas les respecter. L’employeur a volontairement refusé de suivre la politique et la procédure du SCC en ce qui concerne la procédure disciplinaire ainsi que les lignes directrices énoncées dans le guide du gestionnaire pour les enquêtes disciplinaires […] En outre, cette mesure disciplinaire est excessive, injustifiée et non fondée.

Il s’agit d’un abus de pouvoir de l’employeur et de ses droits de gestion.

[…]

[Mesure corrective demandée]

Que je sois indemnisé intégralement et que toute mention de la mesure disciplinaire soit supprimée de tous les dossiers.

Que je sois remboursé avec les intérêts prévus par la loi.

Que la mesure disciplinaire soit supprimée de mes dossiers.

Et tous les autres droits en vertu de la convention collective et de toute loi applicable.

Toute autre réparation qui sera présentée ou que la Commission juge indiquée.

Des excuses écrites.

Que l’employeur cesse d’exercer son pouvoir de manière déraisonnable et qu’il suive une procédure en bonne et due forme dans le cadre des enquêtes et audiences disciplinaires.

 

[3] Les CX‑04 ne sont pas représentés par un agent négociateur. Un protocole d’entente est en vigueur entre le Conseil du Trésor et l’Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN qui exclut tous les postes classifiés au groupe et au niveau CX‑04 pour la durée de la convention collective conclue entre eux, qui a expiré le 31 mai 2022 (la « convention collective »).

[4] Le 30 mai 2022, le fonctionnaire a reçu une lettre de réprimande pour avoir refusé de se conformer à un ordre d’un directeur adjoint.

[5] Le grief a été entendu aux premier et deuxième paliers de la procédure de règlement des griefs et a été renvoyé à l’arbitrage le 9 mars 2023 après que le défendeur n’a pas donné de réponse au dernier palier.

[6] Le fonctionnaire a rempli un formulaire 21 et a indiqué que le grief était renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 22; la « Loi »). Cette disposition fait référence aux mesures disciplinaires entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire.

[7] Le 28 mars 2023, le défendeur a soulevé une objection préliminaire à l’égard de la compétence de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »). Le défendeur a soutenu que le grief porte sur une réprimande écrite et qu’il existe une [traduction] « vaste jurisprudence » à l’appui de sa position selon laquelle une réprimande écrite ne constitue pas [traduction] « […] une mesure disciplinaire entraînant […] la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire » [le passage en évidence l’est dans l’original]. Le défendeur a demandé que l’objection soit accueillie et que le dossier soit fermé.

[8] Le fonctionnaire a répondu le 12 avril 2023 en affirmant que le grief ne portait pas seulement sur la réprimande écrite, mais également sur les procédures disciplinaires et de règlement des griefs du défendeur qui, selon lui, avaient été écartées. Il a déclaré que le défendeur n’avait pas donné de réponse de troisième palier, en dépit de l’octroi d’une prorogation. De plus, il a fait valoir que les personnes qui avaient administré la mesure disciplinaire ont participé à la procédure de règlement des griefs. Il a soutenu que la réprimande écrite touchait sa capacité de demander des promotions et de gagner un revenu pour subvenir aux besoins de sa famille.

[9] La présente décision ne porte que sur l’objection préliminaire. Le 24 mai 2023, le greffe de la Commission a écrit aux parties pour les informer qu’après avoir examiné le dossier, la commissaire avait déterminé que l’objection préliminaire pouvait être tranchée sur la base d’arguments écrits. La Commission a donné aux parties la possibilité de présenter des arguments supplémentaires et un calendrier pour leur présentation. Le défendeur a déposé des arguments écrits supplémentaires le 15 juin 2023 et le fonctionnaire a déposé sa réponse le 22 juin 2023. Le défendeur a fourni une réfutation le 27 juin 2023.

[10] À la suite d’un examen complet du dossier, y compris de tous les arguments écrits, je dois accueillir l’objection préliminaire. Les parties déclarent toutes les deux dans leurs arguments que le présent grief porte sur une réprimande écrite et la procédure disciplinaire qui l’a précédée. La Commission n’a pas compétence pour entendre un grief qui est renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) et qui ne porte pas sur une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire. Le fonctionnaire n’a pas établi que la réprimande écrite avait entraîné une sanction pécuniaire.

A. Historique de la procédure

[11] Les parties n’ont pas présenté un recueil conjoint de documents. Toutefois, les faits qui suivent ne sont pas contestés.

[12] Le 20 avril 2022, le fonctionnaire a refusé de suivre un ordre d’un directeur adjoint concernant l’endroit où les visites des détenus avec un avocat devraient avoir lieu.

[13] Aucune enquête disciplinaire n’a été menée à l’égard de cet incident.

[14] Un avis d’audience disciplinaire portant sur l’incident a été remis au fonctionnaire en mains propres le 3 mai 2022. L’avis indiquait que l’audience disciplinaire aurait lieu le 10 mai 2022, à 10 h.

[15] Après l’audience disciplinaire, le fonctionnaire a reçu une lettre de réprimande le 30 mai 2022.

[16] Le fonctionnaire a déposé un grief contestant la lettre de réprimande et la procédure disciplinaire le 10 juin 2022.

[17] Le défendeur a envoyé ses réponses au grief aux premier et deuxième paliers le 24 juin et le 12 juillet 2022, respectivement, et elles ont été signées par le directeur adjoint intérimaire et le directeur. Le grief a été renvoyé au dernier palier le 19 juillet 2022.

[18] Le défendeur n’a pas donné de réponse au dernier palier.

[19] Le fonctionnaire a renvoyé le grief à l’arbitrage le 9 mars 2023.

II. La question en litige

[20] La Commission a‑t‑elle compétence pour entendre un grief concernant une réprimande écrite et la procédure disciplinaire qui y a mené?

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le défendeur

[21] Le défendeur soutient qu’il a donné une réprimande écrite au fonctionnaire le 30 mai 2022. Il n’a pas imposé une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire. Par conséquent, la Commission n’a pas compétence pour entendre le présent grief, étant donné qu’une réprimande écrite n’est pas incluse dans le libellé de l’alinéa 209(1)b) de la Loi.

[22] Le défendeur fait valoir que cette question est bien étayée par la jurisprudence. Il invoque les décisions suivantes : Reasner c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier de la CRTFP n166‑02‑26260 (19950607); Lamarre c. Conseil du Trésor (Pêches et Océans), dossier de la CRTFP no 166‑02‑26902 (19960311); Rajakaruna v. Conseil du Trésor (Revenu Canada, Impôt), dossier de la CRTFP no 166‑02‑23135 (19930414); Procureur général du Canada c. Lachapelle, [1979] 1 C.F. 377 (1re inst.); Parkolub c. Agence du revenu du Canada, 2007 CRTFP 64; Wepruk c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé), 2016 CRTEFP 55; Gardanis c. Administrateur général (ministère de l’Emploi et du Développement social), 2022 CRTESPF 5; et MacDonald c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2022 CRTESPF 8.

[23] De plus, le défendeur soutient que les allégations du fonctionnaire au sujet de la procédure disciplinaire, y compris les questions d’équité procédurale, sont secondaires, mais qu’elles découlent de la sanction disciplinaire. Les questions relatives à l’équité procédurale et à la justice naturelle sont souvent abordées dans les articles des conventions collectives liés aux normes de discipline. Toutefois, dans le présent cas, le fonctionnaire n’est pas représenté par un agent négociateur et aucune des dispositions de la convention collective ne s’applique.

[24] Un arbitre de grief ne peut pas utiliser la « question relative à la procédure » ou les questions d’équité ou la procédure régulière pour élargir sa compétence lorsque le législateur n’a pas voulu que les réprimandes écrites ou orales soient soumises à l’arbitrage (voir Lachapelle).

[25] Même si un grief individuel peut être renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi s’il n’a pas été réglé à la satisfaction de l’employé et si le grief porte sur l’interprétation ou l’application d’une convention collective, le fonctionnaire est un gestionnaire exclu, et cette disposition ne s’applique qu’aux employés représentés par un agent négociateur. Il n’est pas pertinent que certaines des modalités de la convention collective s’appliquent au fonctionnaire, car l’alinéa 209(1)a) ne s’applique pas à lui.

[26] Le défendeur a également cité Parkolub et Symes c. Administrateur général (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CRTFP 39. Parkolub applique l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.R.C. (1985), ch. P‑35; l’« ancienne Loi »), mais soutient la proposition selon laquelle le libellé général de la convention collective ne peut pas élargir la compétence de la Commission. Par conséquent, un grief qui comporte une allégation de manquement à la procédure régulière demeure un grief disciplinaire et ne porte pas sur l’interprétation d’une convention collective. Étant donné le poste CX‑04 du fonctionnaire, il ne peut pas renvoyer un grief à l’arbitrage qui porte sur l’application des modalités d’une convention collective.

[27] Symes affirme qu’un fonctionnaire non représenté n’a qu’un seul moyen de renvoyer un grief, soit l’alinéa 209(1)b). Une réprimande écrite ne satisfait pas aux critères de cette disposition.

[28] Que le grief ait été renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)a) ou b), la Commission n’a pas compétence pour le trancher.

[29] Le défendeur a présenté des arguments sur le bien‑fondé du grief. Je n’en aborderai aucun dans la présente décision puisque celle‑ci ne porte que sur son objection préliminaire.

B. Pour le fonctionnaire

[30] En réponse à l’objection préliminaire, le fonctionnaire demande à la Commission d’entendre le présent grief à l’arbitrage, car il [traduction] « […] ne fait pas seulement référence à une réprimande écrite, mais également au mépris de l’employeur de suivre ses propres procédures disciplinaires et de règlement des griefs ».

[31] Le fonctionnaire a allégué que le gestionnaire qui avait administré la mesure disciplinaire avait participé à la procédure disciplinaire. Le fonctionnaire a également fait valoir que le défendeur n’a pas donné de réponse au dernier palier, ce qui est injuste. Il allègue que la réprimande écrite a affecté sa capacité de postuler des promotions.

[32] En réponse à l’objection préliminaire du défendeur, le fonctionnaire a ajouté, le 12 avril 2023, ce qui suit au sujet de la réprimande écrite versée à son dossier : [traduction] « […] [elle] affecte directement ma possibilité de gagner [un revenu] et de subvenir aux besoins de ma famille. »

[33] Contrairement aux allégations du défendeur, il a subi une sanction pécuniaire en vertu de l’alinéa 209(1)b) étant donné que sa capacité d’obtenir une promotion a été entravée.

[34] Après 26 ans à la fonction publique fédérale, il ne sera ni pris en considération, ni sélectionné, ni recommandé à l’égard de postes intérimaires pour une période de deux ans parce que la lettre de réprimande a été versée dans son dossier.

[35] Le fonctionnaire a déclaré que son revenu après la retraite est également touché, car il en est aux dernières années de sa carrière. Le fait de ne pas pouvoir postuler pour une promotion aura une incidence sur son revenu ouvrant droit à pension et lui procurera un revenu moindre lorsqu’il prendra sa retraite.

C. Pour le défendeur – réfutation

[36] Dans ses arguments en réfutation du 27 juin 2023, le défendeur a soutenu que l’expression « sanction pécuniaire » à l’alinéa 209(1)b) de la Loi fait référence à une sanction pécuniaire unique découlant d’une sanction disciplinaire imposée. Le défendeur a soutenu que le fonctionnaire n’a fourni aucun élément de preuve selon lequel il s’est vu refuser un avancement professionnel en raison de cette sanction. De plus, en vertu de Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.), le fonctionnaire ne peut pas soulever cette nouvelle allégation qui ne figure pas dans son grief initial.

[37] Le défendeur a également fait remarquer que le fonctionnaire ne pouvait pas, en vertu de Burchill, présenter de nouvelles allégations concernant des gestionnaires qui auraient participé à la procédure disciplinaire et de règlement des griefs.

[38] Enfin, le défendeur a soutenu que l’alinéa 209(1)a) de la Loi ne s’appliquait pas au fonctionnaire parce qu’il occupe un poste de gestion exclu au groupe et au niveau CX‑04. Il n’est pas représenté par un agent négociateur. L’alinéa 209(1)a) ne s’applique qu’aux membres d’un syndicat qui ont l’appui de leur agent négociateur.

IV. Motifs

[39] Les deux parties ont présenté des arguments sur le bien‑fondé du grief. Toutefois, étant donné que la présente décision ne porte que sur l’objection préliminaire, je n’aborderai pas ces arguments, même si j’ai examiné attentivement tous les documents présentés.

[40] Cela signifie que les allégations des deux parties concernant l’incident du 20 avril 2022 et la nature de la procédure disciplinaire qui a suivi ne seront pas traitées quant au bien‑fondé. Mon analyse visera à déterminer si la réprimande écrite et la procédure disciplinaire connexe peuvent faire l’objet d’un arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi.

[41] Pour les motifs qui suivent, je dois conclure que la Commission n’a pas compétence pour entendre le présent grief.

A. Les dispositions pertinentes de la Loi

[42] Je reproduis ci-dessous les parties de la Loi qui étaient applicables au moment pertinent :

[…]

209 (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire qui n’est pas un membre, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

209 (1) An employee who is not a member as defined in subsection 2(1) of the Royal Canadian Mounted Police Act may refer to adjudication an individual grievance that has been presented up to and including the final level in the grievance process and that has not been dealt with to the employee’s satisfaction if the grievance is related to

a) soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

(a) the interpretation or application in respect of the employee of a provision of a collective agreement or an arbitral award;

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

(b) a disciplinary action resulting in termination, demotion, suspension or financial penalty ….

[…]

 

[43] L’alinéa 209(1)b) est précis. Son libellé limite considérablement le type de mesures disciplinaires qui peuvent être renvoyées à l’arbitrage.

[44] Cela ne veut pas dire qu’un employé non représenté n’a aucun recours lorsqu’un défendeur impose une réprimande écrite. L’employé peut présenter son grief à différents paliers de la procédure de règlement des griefs, mais une fois le dernier palier épuisé, il n’y a aucun recours à l’arbitrage devant la Commission.

[45] Le législateur n’avait pas l’intention de permettre que toutes les mesures disciplinaires puissent être renvoyées à l’arbitrage, mais seulement celles qui ont des résultats graves et précis, notamment les licenciements, les rétrogradations, les suspensions ou les sanctions pécuniaires. La Commission a déterminé à maintes reprises que ce libellé législatif à l’alinéa 209(1)b) l’empêche de trancher des griefs portant sur les réprimandes écrites, selon l’examen ci‑dessous.

B. Une réprimande écrite qui n’entraîne pas une sanction pécuniaire ne peut pas faire l’objet d’un arbitrage.

[46] Dans Canada (Procureur général) c. Robitaille, 2011 CF 1218 (suivie dans Gardanis), la Cour fédérale a conclu qu’il était déraisonnable pour la Commission d’entendre un grief renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) qui vise à contester une réprimande écrite. Je cite comme suit les paragraphes pertinents, qui citent Lachapelle et Lamarre. Le défendeur invoque également ces décisions dans ses arguments :

[…]

[25] L’article 208 de la LRTFP permet à un fonctionnaire s’estimant lésé de présenter un grief à l’égard de toute question portant sur ses conditions de travail.

[26] Je suis d’accord avec le demandeur que tout grief présenté en vertu de l’article 208 de la LRTFP n’est pas nécessairement arbitrable. Le Parlement a précisé à l’article 209 de la LRTFP que seulement les griefs portant sur des matières aux alinéas 209(1)a), b), c) et d) peuvent être renvoyés à l’arbitrage.

[27] Plus spécifiquement, en ce qui a trait aux mesures disciplinaires, le Parlement a décidé que seulement les griefs contestant les mesures disciplinaires les plus sévères peuvent être renvoyés à l’arbitrage. Selon l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP, seul un grief contre une mesure disciplinaire entraînant un licenciement, une rétrogradation, une suspension ou une sanction pécuniaire peut être renvoyé à l’arbitrage.

[28] Une réprimande écrite, quoiqu’une mesure disciplinaire, n’entraîne pas les conséquences énumérées à l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP et par conséquent, un grief portant sur une réprimande écrite ne peut être renvoyé à l’arbitrage. La Cour fédérale a confirmé cette interprétation dans Canada (Procureur général) c. Lachapelle, [1978] A.C.F. no 145, au paragraphe 11 :

[…] En édictant ce texte, le Parlement entendait manifestement limiter et préciser les cas où un employé, syndiqué ou non, aurait droit de soumettre son grief à ce mode d’arbitrage qu’il établissait d’autorité et dont il confiait la surveillance à cette commission qu’il venait de créer. Il est clair que pour lui tous les cas de griefs n’exigent pas l’intervention d’un arbitre officiel par‑delà les paliers de la procédure ordinaire. […] En s’exprimant comme il l’a fait, le Parlement me semble avoir voulu envisager globalement tous les griefs ayant trait à des mesures disciplinaires imposées à des individus pour ne retenir que ceux relatifs à des mesures ayant entraîné le congédiement, la suspension ou une peine pécuniaire.

[29] Cette interprétation a été également adoptée par la CRTFP dans Lamarre c. Le Conseil du Trésor (Pêches et Océans), [1996] C.R.T.F.P.C. no 20 :

[7] Or l’article 92 limite de façon précise les griefs qui peuvent faire l’objet d’un renvoi à l’arbitrage. Seule la mesure disciplinaire qui dans l’immédiat a entraîné une suspension, une peine pécuniaire, un licenciement ou une rétrogradation peut être renvoyée à l’arbitrage.

[8] La lettre de réprimande ne constitue pas une sanction qui donne droit au renvoi à l’arbitrage même si de fait il s’agit d’une mesure disciplinaire qui, dans le cadre d’un système de discipline progressive, pourrait un jour justifier l’imposition de sanctions plus sévères.

[…]

 

[47] Depuis Robitaille, le titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique a été changé à Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, mais le libellé de l’alinéa 209(1)b), qui est en litige dans la présente décision, n’a pas changé.

[48] De plus, le défendeur cite des décisions telles que Reasner, Lamarre et Rajakaruna, qui ont été rendues par l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) en vertu de l’ancienne Loi, et son article 92 était presque identique à l’alinéa 209(1)b) de la Loi. Le même principe s’appliquait dans ces décisions. La CRTFP a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour entendre les griefs portant sur des réprimandes écrites, étant donné le libellé restrictif de la disposition.

[49] Il n’est pas contesté que le fonctionnaire a fait l’objet d’une mesure disciplinaire, mais ce qu’il a reçu le 30 mai 2022 était une réprimande écrite, rien d’autre.

[50] Massip c. Canada (Conseil du Trésor), [1985] A.C.F. No. 12 (C.A.F.) (cité au par. 109 de Parkolub), est l’arrêt de principe qui examine ce qui peut constituer une mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire. Pour rendre une décision, la Commission doit examiner si la perte est « […] “trop lointaine” ou, d’autre part, découler directement et inévitablement de la mesure disciplinaire […] » (voir Parkolub, au par. 109).

[51] Rien dans les allégations figurant sur le formulaire de grief ou dans la correspondance relative à la procédure de règlement des griefs ne fait référence à une sanction pécuniaire, comme la perte de revenu. Dans son formulaire de grief, la principale cible du fonctionnaire est la procédure disciplinaire prétendument injuste. Il n’y a aucune mention de pertes financières. Par conséquent, je conclus que la réprimande écrite n’a pas entraîné une sanction pécuniaire.

[52] Le fonctionnaire a également formulé plusieurs allégations dans son grief initial au sujet de la procédure disciplinaire qui a mené à la réprimande écrite, notamment les allégations suivantes dans son grief :

· le défendeur n’a pas suivi ses procédures disciplinaires et de règlement des griefs;

· la procédure disciplinaire était injuste;

· la procédure disciplinaire ne lui a pas donné la possibilité d’être pleinement entendu ni d’entendre les arguments ou les éléments de preuve contre lui;

· la procédure disciplinaire était partiale.

 

[53] Les allégations du fonctionnaire au sujet de la procédure disciplinaire sont toutes liées au processus mené par le défendeur qui a précédé la lettre de réprimande du défendeur du 30 mai 2022. Cette procédure ne peut pas être dissociée de son résultat final, soit la réprimande écrite.

[54] Par conséquent, en l’absence de compétence à l’égard de la réprimande écrite, la Commission n’a pas compétence à l’égard des allégations concernant l’équité procédurale et la justice naturelle formulées au sujet de la procédure disciplinaire. Cette conclusion est semblable à MacDonald, au paragraphe 62, où la Commission a conclu que les allégations concernant la nature discriminatoire d’une réprimande écrite ne pouvaient pas être renvoyées à l’arbitrage en tant que questions distinctes en l’absence de compétence à l’égard de la réprimande écrite.

C. Aucune compétence en vertu de l’alinéa 209(1)a)

[55] De plus, le fonctionnaire ne peut pas renvoyer le grief en vertu de l’alinéa 209(1)a) puisqu’il n’est représenté par aucun agent négociateur (voir Parkolub et Symes). L’alinéa 209(1)a) permet le renvoi de griefs liés à l’interprétation, à l’application et à l’administration de la convention collective. Ces griefs doivent être approuvés par un agent négociateur.

[56] Il est incontesté que le fonctionnaire est un CX‑04 et qu’il n’est pas représenté. Par conséquent, l’alinéa 209(1)a) ne s’applique pas à lui.

D. Les objections en vertu de Burchill

[57] Je vais maintenant aborder les objections du défendeur en vertu de Burchill concernant certaines nouvelles allégations que le fonctionnaire a soulevées pour la première fois dans sa réponse à l’objection préliminaire. Le défendeur soutient que le fonctionnaire ne peut pas présenter les deux allégations suivantes :

1) la procédure était injuste parce que le même gestionnaire qui a administré la mesure disciplinaire a également participé à la procédure de règlement des griefs;

2) la sanction disciplinaire a eu pour effet de priver le fonctionnaire de ses possibilités d’avancement professionnel.

 

[58] Burchill est essentiellement une règle d’équité et le droit d’une partie de connaître les arguments invoqués contre elle et d’être à l’abri des surprises au cours de la procédure de règlement des griefs. Un fonctionnaire ne peut pas modifier le fondement de son grief pendant la procédure de règlement des griefs et n’a donc pas le droit de renvoyer à l’arbitrage un grief comportant de nouvelles allégations qui n’ont jamais été soulevées auparavant.

[59] Étant donné que j’ai déjà conclu que la Commission n’a pas compétence pour aborder les allégations concernant la procédure régulière, l’équité procédurale ou l’absence de celle‑ci, il serait inutile d’aborder la question de savoir si le fonctionnaire est empêché, en vertu de Burchill, de soulever cette allégation. Une décision n’aurait aucune incidence sur l’issue de la présente décision et je n’en rends donc aucune.

[60] En ce qui concerne l’allégation du fonctionnaire selon laquelle la mesure disciplinaire a eu pour effet de priver le fonctionnaire de ses possibilités d’avancement professionnel, je conclus que cette allégation a été soulevée pour la première fois dans la réponse du fonctionnaire à l’objection préliminaire du défendeur. Elle ne figure nulle part sur le formulaire de grief initial ni à aucune étape de la procédure de règlement des griefs avant que le grief n’ait été renvoyé à l’arbitrage. Le défendeur n’a soulevé l’objection en vertu de Burchill à l’égard de cette allégation que dans sa réfutation finale et le fonctionnaire n’a pas eu l’occasion d’y répondre. Étant donné que j’ai déjà conclu que le fonctionnaire ne s’est pas acquitté de son fardeau d’établir une sanction pécuniaire, il n’est pas nécessaire de rendre une décision au sujet de cette deuxième objection en vertu de Burchill, car elle n’aurait aucune incidence sur l’issue de la présente affaire.

[61] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[62] L’objection préliminaire est accueillie. La Commission n’a pas compétence pour entendre le grief.

[63] Le grief est rejeté.

Le 11 septembre 2023.

Traduction de la CRTESPF

Patricia H. Harewood,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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