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Date: 20230913

Dossier: 566-02-46115

 

Référence: 2023 CRTESPF 84

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Bernard Laquerre

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

Commission des champs de bataille nationaux

 

employeur

Répertorié

Laquerre c. Commission des champs de bataille nationaux

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Laval Dallaire et Antoine Fontaine-Asselin, avocats

Pour l’employeur : Karl Jessop et Véronique Aubé, avocats

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés
les 18 novembre et 20 décembre 2022, et les 17 juillet, 8 et 25 août 2023.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1] Le 21 octobre 2022, Bernard Laquerre a été licencié par son employeur, la Commission des champs de bataille nationaux (CCBN). Le 18 novembre 2022, il a renvoyé son grief à l’arbitrage devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »).

[2] La CCBN s’oppose au renvoi et soutient que la Commission n’a pas compétence pour entendre le grief.

[3] La présente décision porte uniquement sur la compétence de la Commission d’entendre un grief provenant de la CCBN. Lorsque M. Laquerre a renvoyé son grief à la Commission, il a également joint une opinion juridique sur la compétence de la Commission. L’objection de la CCBN est arrivée par la suite. J’ai ensuite invité les parties à compléter leur argumentaire sur la compétence de la Commission. Pour faciliter la compréhension du litige, je présente les arguments des parties en commençant par l’objection de la CCBN, pour ensuite présenter les arguments de M. Laquerre, ce qui ne respecte pas l’ordre dans lequel les arguments ont été reçus, mais demeure fidèle, du moins je l’espère, à leur teneur.

[4] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la Commission n’a pas compétence pour entendre le grief de M. Laquerre.

II. Résumé de l’argumentation

[5] Remarque : Il est usuel d’utiliser le terme « fonctionnaire » pour désigner la personne qui renvoie un grief à l’arbitrage; toutefois, ici, l’enjeu même de la décision est de savoir si M. Laquerre est effectivement un « fonctionnaire » au sens de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). Par conséquent, j’emploie son nom dans la présente décision. Pour la même raison, parce qu’il s’agit de décider si la CCBN est un « employeur » au sens de la Loi, je désigne l’organisation par son acronyme.

A. Objection de la CCBN

[6] Selon elle, la CCBN ne fait pas partie de la fonction publique au sens de la Loi et, par conséquent, M. Laquerre n’est pas un fonctionnaire qui a un recours en vertu de la Loi.

[7] Par ailleurs, la Loi concernant les champs de bataille nationaux de Québec (S.C. 1908, ch. 57), loi constituante de la CCBN, prévoit ce qui suit :

[…]

4 La Commission peut établir des règlements pour :

[…]

c) la nomination, le contrôle, les devoirs et le renvoi de tous officiers, gardiens, agents, conseillers techniques et professionnels, et employés de la Commission, et leur rémunération;

[…]

 

[8] Aucun règlement n’a été établi à cette fin.

[9] La Loi définit au paragraphe 2(1) le terme « employeur » comme étant soit un ministère figurant à l’annexe I de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. (1985), ch. F-11), soit un autre secteur de l’administration publique fédérale figurant à l’annexe IV de cette loi, soit un organisme distinct figurant à l’annexe V de cette loi. Le terme « fonction publique » est défini comme l’ensemble des postes dans les entités comprises dans les trois annexes.

[10] La CCBN ne figure dans aucune des trois annexes, mais figure plutôt à l’annexe II. Elle ne fait donc pas partie de la fonction publique telle que définie par la Loi. Certains organismes, telle l’Agence du revenu du Canada, figurent à la fois à l’annexe II et l’annexe V. Ce n’est pas le cas de la CCBN, qui figure uniquement à l’annexe II.

[11] L’article 206 de la Loi précise à qui s’applique le recours du grief. Seul un fonctionnaire peut présenter un grief individuel, et le terme fonctionnaire est défini à cet article comme suit : « [p]ersonne employée dans la fonction publique […] ».

[12] Il est vrai, comme le dit M. Laquerre, qu’il n’a pas de recours non plus devant le Conseil canadien des relations industrielles. À défaut d’un recours devant un tribunal administratif, M. Laquerre peut se présenter devant un tribunal civil.

B. Argumentation de M. Laquerre

[13] En l’absence d’une procédure de règlement de griefs à la CCBN, M. Laquerre a renvoyé directement son grief contre son licenciement à la Commission en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi. Dans l’anticipation d’une objection de la part de la CCBN, il a joint un avis juridique sur la compétence de la Commission d’entendre son grief.

[14] Selon cet avis juridique, M. Laquerre n’a pas de recours en vertu de l’article 240 du Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L-2), puisque l’application de l’article est restreinte par l’article 167, qui exclut notamment « tout établissement public » au sens de la Loi sur la gestion des finances publiques, soit une personne morale mentionnée à l’annexe II de cette loi. La CCBN est donc exclue du champ d’application du Code canadien du travail pour ce qui est d’un recours contre un licenciement.

[15] L’avis juridique reconnaît que la CCBN ne fait pas partie expressément du champ d’application de la Loi, puisque la fonction publique y est définie comme étant les entités figurant aux annexes I, IV et V de la Loi sur la gestion des finances publiques.

[16] M. Laquerre soutient toutefois que son exclusion de l’application de la Loi va à l’encontre des objectifs de celle-ci, notamment, selon son préambule, de « […] résoudre de façon juste, crédible et efficace les problèmes liés aux conditions d’emploi […] ».

[17] M. Laquerre souligne que la CCBN est une agence du gouvernement canadien et qu’elle fait partie du portefeuille du ministère du Patrimoine canadien. En outre, le financement de la CCBN est assuré par le ministère des Finances. Son poste relève donc, au moins indirectement, de ministères figurant à l’annexe I de la Loi sur la gestion des finances publiques.

[18] L’avis juridique soulève également tout un argumentaire pour soutenir que la CCBN fait partie de l’appareil gouvernemental canadien.

[19] Dans sa réplique à l’objection détaillée, M. Laquerre déclare qu’il est évident qu’il est un fonctionnaire, et mentionne notamment que les employés de la CCBN sont représentés par l’Alliance de la Fonction publique du Canada, un syndicat qui représente nombre de fonctionnaires fédéraux.

[20] Dans sa réplique également, M. Laquerre soutient que l’Agence du revenu du Canada a été ajoutée à l’annexe V uniquement en 2015, par le décret DORS/2015-118. Autrement dit, le législateur peut être appelé à ajouter des entités aux annexes ouvrant droit à un recours devant la Commission, et l’omission de la CCBN peut être un simple oubli, vu sa petite taille.

III. Analyse

[21] Il ne fait aucun doute que la CCBN fait partie de l’appareil gouvernemental canadien. Cela ne veut pas dire pour autant que la loi habilitante de la Commission offre un recours de grief à M. Laquerre.

[22] L’argumentation de M. Laquerre se fonde notamment sur une interprétation du Code canadien du travail, pour démontrer que M. Laquerre doit avoir un recours devant la Commission puisqu’il n’a pas de recours en vertu du Code canadien du travail.

[23] Toutefois, cet argument écarte la nécessité que la loi habilitante de la Commission offre effectivement un recours à M. Laquerre. Or, tel n’est pas le cas. M. Laquerre n’était pas, comme employé de la CCBN, un fonctionnaire au sens de la Loi et, par conséquent, il ne peut se prévaloir du recours de grief prévu par cette loi et ne peut donc pas renvoyer un grief à l’arbitrage devant la Commission.

[24] La Loi définit le fonctionnaire comme une personne employée dans la fonction publique. La fonction publique est définie comme suit au paragraphe 2(1) de la Loi :

fonction publique Sauf à la partie 3, l’ensemble des postes qui sont compris dans les entités ci-après ou qui en relèvent :

public service, except in Part 3, means the several positions in or under

a) les ministères figurant à l’annexe I de la Loi sur la gestion des finances publiques;

(a) the departments named in Schedule I to the Financial Administration Act;

b) les autres secteurs de l’administration publique fédérale figurant à l’annexe IV de cette loi;

(b) the other portions of the federal public administration named in Schedule IV to that Act; and

c) les organismes distincts figurant à l’annexe V de la même loi.

(c) the separate agencies named in Schedule V to that Act.

 

[25] La CCBN ne figure dans aucune de ces annexes; elle apparaît uniquement à l’annexe II de la Loi sur la gestion des finances publiques.

[26] Il est significatif que la procédure habituelle de grief ne peut pas être suivie à la CCBN, puisqu’elle n’existe pas. Or, cette procédure, selon l’article 225 de la Loi, est un préalable au renvoi à l’arbitrage.

[27] M. Laquerre soutient qu’on peut considérer qu’il est un fonctionnaire puisque la CCBN relève du ministère du Patrimoine canadien.

[28] Le ministère du Patrimoine canadien inclut dans son portefeuille trois organismes ministériels : l’Office national du film du Canada, Bibliothèque et Archives Canada et la CCBN. L’Office national du film figure à l’annexe V de la Loi sur la gestion des finances publiques, et Bibliothèque et Archives Canada figure à l’annexe IV de cette loi. Encore une fois, la CCBN figure uniquement à l’annexe II.

[29] Il ne s’agit pas ici d’un oubli – le législateur a placé la CCBN dans une certaine catégorie (annexe II) et non dans les annexes qui font partie de la fonction publique. Il aurait pu placer la CCBN à la fois à l’annexe II et à une autre annexe de la Loi sur la gestion des finances publiques (comme c’est le cas pour l’Agence du revenu du Canada), mais il ne l’a pas fait.

[30] Il est faux de dire que l’Agence du revenu du Canada n’a été ajoutée à l’annexe V qu’en 2015. Elle figure à l’annexe V depuis sa création en 2005. En 2015, par décret, le gouverneur en conseil l’a désignée pour les fins de l’application de l’alinéa 209(1)d) de la Loi, qui permet à un fonctionnaire de contester une rétrogradation ou un licenciement imposé pour une raison autre que disciplinaire. Depuis sa création, ses employés ont toujours été des fonctionnaires.

[31] La situation de la CCBN est parallèle à celle des musées nationaux, qui figurent à l’annexe III, qui font également partie du portefeuille du ministère du Patrimoine canadien et qui reçoivent leur financement du ministère des Finances. Leurs employés ne font pas partie de la fonction publique au sens de la Loi et n’ont aucun recours devant la Commission. Ils sont représentés par un syndicat qui représente nombre de fonctionnaires fédéraux (l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada), mais l’accréditation de ce syndicat, comme agent négociateur pour les unités de négociation des musées, est faite par le Conseil canadien des relations industrielles, et non par la Commission. L’accréditation de l’Alliance de la Fonction publique du Canada comme agent négociateur des employés de la CCBN est également accordée par le Conseil canadien des relations industrielles, et non par la Commission.

[32] J’en conclus que M. Laquerre n’est pas un fonctionnaire au sens de la Loi et ne peut donc pas présenter un grief à la Commission. Le résultat de cette analyse est malheureux, parce qu’il entraîne comme recours une procédure plus coûteuse devant un tribunal civil, mais la Commission ne peut inclure sous l’égide de la Loi ce que le législateur n’a pas inclus. Ce serait outrepasser sa compétence.

[33] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


IV. Ordonnance

[34] La Commission déclare ne pas avoir compétence pour entendre le grief de M. Laquerre contre son licenciement.

[35] Le dossier 566-02-46115 est clos.

Le 13 septembre 2023.

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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